Devenir un stratège de l'évolution.
PRATIQUE INTEGRALE DU TAO
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Soyez
sur vos gardes face à tout ce qui vous suggère de conserver ou de
ne pas lâcher une impureté ou une imperfection, une confusion dans
le mental, un attachement dans le cœur, un désir et une passion
dans le prâna ou une maladie dans le corps. L'un des artifices
habituels des forces hostiles consiste à faire durer ces choses
grâce à des justifications et des déguisements ingénieux.
Sri Aurobindo
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Car
le positif et le négatif existent non seulement côte à côte, mais
l'un par rapport à l'autre et l'un par l'autre; ils se complètent,
et pour la vision totale (qu'un mental limité ne peut atteindre)
s'expliqueraient l'un par l'autre. On ne connaît réellement ni l'un
ni l'autre lorsqu'on les sépare; nous commençons seulement à
connaître l'un ou l'autre en sa plus profonde vérité quand nous
pouvons y lire la suggestion de ce qu'est son opposé apparent. C'est
à travers une telle intuition unverselle plus profonde et non par
des oppositions logiques exclusives que notre intelligence doit
aborder l'Absolu.
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Sri
Aurobindo, la vie divine, chapitre 31
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Les
éveillés et les avatars, les précurseurs, ne sont que des
guérisseurs de la vie qui est rendue malade par notre ignorance, la
vie humaine est malade parce que l'être humain est un animal
différent des autres. Il a reçu une nouvelle donne qu'on appelle la
pensée mais il est resté en même temps un primate, un singe. Au
cours de l'évolution sa forme a changé, il lui reste pourtant des
traces très anciennes de son animalité comme les ongles qui sont
les vestiges des griffes. Ceux qui ont découvert la conscience, qui
se sont adonné à la conscience, l'ont rarement fait pour se
féliciter d'être des hommes supérieurs. Ils l'ont fait dans le
désir de participer de manière exhaustive à la réalité. Ils ont
eu des émotions devant l'immensité du ciel, ils ont eu des émotions
nouvelles, des émotions qui leur ont dicté une nouvelle approche
de la réalité. Nous ne sommes pas que des animaux pensants,
toujours à la recherche de la sécurité, toujours à la recherche
du plaisir. Ils ont voulu aller plus loin et sont allés plus loin
parce qu'ils ont découvert que l'intelligence n'avait pas de
limites, ils ont compris et en comprenant le monde, ils ont senti la
place nouvelle qu'ils pouvaient y tenir, cette place est celle des
guérisseurs, de ceux qui veulent guérir la blessure humaine, la
blessure entre l'homme qui pense et l'animal qui survit. La blessure
est toujours là et les hommes s'inventent de nouveaux mensonges pour
faire comme si elle n'était pas là. Aujourd'hui cette blessure peut
être guérie par des pouvoirs nouveaux, divins. Pour participer à
cette guérison il est nécessaire de s'ouvrir, de collaborer,
d'aller voir en soi le rapport conflictuel qui existe entre l'animal
et celui qui pense. Ce discours montre comment transformer la
perception de la réalité à partir d'une prise de conscience de
notre fonctionnement.
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1 LA RECONCILIATION DU CORPS ET DE L'ESPRIT
1 LE RÔLE DES OPPOSÉS DANS NOTRE PERCEPTION
Parce
qu'il est possible d'être en quelque sorte « anéanti »
quand on ne vit plus que pour la Conscience, et que tout le reste en
nous se rebelle, je vous livre une nouvelle approche de notre
fonctionnement pour vous aider à découvrir les causes de vos
difficultés. Une partie de notre évolution se fait dans le
gratifiant et dans la gratitude, et c'est vrai que nous évoluons
quand nous sommes heureux, bien dans notre peau, et que les choses se
font toutes seules; mais il est rare de pouvoir faire durer ces
périodes indéfiniment puisque le seul fait de progresser amène à
la surface des matériaux à transformer. La montée de « l'ombre »
accompagne nécessairement ce que Sri Aurobindo appelle la
sâdhana, soit l'ascèse dévolue au déconditionnement dans
l'ouverture au plan divin. Un chercheur qui n'éprouverait pas de
difficultés serait un tricheur qui resterait dans le mental pour
éviter de se confronter aux processus archaïques — parfois très
puissants — qui font parfois irruption dans le moi quand on appelle
le Divin, ou que la concentration sur l'idéal de Vérité provoque
des états sublimes qui soulèvent peu après des
configurations obscures (karmiques, héréditaires, ou
psychologiques) à la surface du moment.
Dans
le paradigme de la stratégie de l'évolution supramentale, l'épreuve
est aussi nécessaire que la prise de conscience. Vous le voyez, les
deux forment déjà un couple yin/yang — confrontation à l'obscur
et réception de la clarté, et s'appellent l'un l'autre. Ni les
épreuves drastiques ni les illuminations ne durent. Notre
constitution matérielle a tendance à revenir à la norme et nous
devons donc nous attendre à ne pas pouvoir conserver les grands
moments extatiques, ce qui est compensé par l'inverse, une
renaissance toujours possible au terme d'une crise. Si nous sommes
vigilants, l'adversité ne peut pas s'éterniser, d'une part parce
que la vie se renouvelle, d'autre part parce que l'ego ne la récupère
pas pour se plaindre. Je me garderai bien de définir l'ego, chacun
de vous connaît intimement une partie de lui-même qui renâcle à
avancer, et je vous déconseille d'attribuer un caractère
« ontologique » à l'ego. Ce n'est pas un être, pas même
un double, mais un ensemble de cristallisations diverses, d'habitudes
incoercibles, ou de résistances rigides à certains types de
réalité. Ne couronnez pas votre ego en le prenant trop au sérieux,
il est celui, dans son sens positif, qui nous montre nos limites.
Nous avançons par le gratifiant quand tout se déroule sans effort,
que tout va bien, que le pas, sans être pressé, est rapide et
léger, et que l'on sent une assimilation en quelque sorte sacrée
des événements qui se déroulent. Dans ces moments-là, le corps
physique est content et la respiration se fait toute seule, ce qui
veut dire que le corps et l'esprit fonctionnent de concert. Quand on
est vraiment en phase avec les champs de la Connaissance, on
parvient assez facilement à diminuer l'appétit, à espacer les
rencontres sexuelles, et beaucoup de prises de conscience se
manifestent quand la satisfaction vient naturellement d'en haut. Une
vision qui porte plus loin que « notre » hsitoire engage
des perspectives nobles, et des états d'esprits confiants et
positifs. Ces périodes doivent exister pour nourrir notre
réceptivité cosmique, mais l'erreur est de vouloir les posséder,
c'est-à-dire de les faire perdurer outre mesure. Personne n'est
jamais établi longtemps dans une phase naturelle d'assimilation
positive. Ces périodes arrivent toujours à leur terme, d'une façon
ou d'une autre, pour nous permettre une décantation, puis une
nouvelle orientation après avoir pris conscience de certaines
limites.
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Dans
le yoga supramental, qui est très physique, très matériel,
n'importe quelle phase d'ascension finit par faire surgir des
obscurités intérieures et personnelles, ou héréditaires et
transgénérationnelles, ou encore génériques. L'évolution
continue alors en se heurtant à des oppositions ou résistances
assez solides, voire des adversaires humains ou occultes. Rien n'est
séparé dans l'univers, concentrer la conscience et l'augmenter
provoque des réactions de tout ce qui ne veut pas évoluer pour
conserver un pouvoir.
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Le
clin d'oeil du Tao:
Collaborer
pour l'Un c'est combattre la division.
Les phases d'expansion naturelle nous soutiennent, et ensuite il est bien
évident que pour devenir responsable de notre évolution, nous
sommes en quelque sorte testés par l'univers-Un qui vérifie ce que
l'on fait des choses qu'il nous a données — cela mérite d'être
développé car c'est la clé de la complémentarité du yin et du
yang. Les épreuves arrivent pour nous tester. Autrement dit, si
l'univers envoie des seuils à franchir à tout le monde, il n'y a
que ceux qui relèvent le défi de les traverser qui évoluent, les
autres se mettent dans la posture de la victime. Alors, pour
affronter correctement les adversaires intérieurs, ne vous mettez
jamais dans la position de la victime, parce qu'ils auront déjà
gagné. Nous allons faire de la stratégie, c'est-à-dire poser
l'intention de vaincre sur le champ de bataille.
« Tiens
pour égaux plaisir et peine, gain et perte, victoire et défaite,
et entre dans la bataille; ainsi tu éviteras
le péché ».
Bhagavad Gîtâ
Ce
verset est magnifique parce qu'il souligne l'équivalence des
contraires, aucun n'est meilleur que l'autre. S'attacher à l'un ou
à l'autre, c'est manquer la capacité d'embrasser le réel qui nous
soumet sans cesse à une alternance rapide de tous les algorithmes du
yin et du yang, actif passif, positif négatif, élan repli, désir
peur, identification désidentification, implication lâcher prise.
Nous souhaitons faire progresser la connaissance, et cet exposé
traite de l'art de repérer les changements de phase opportuns à une
ascension spirituelle. Nous nous consacrons à vaincre le mensonge
pour être inspirés par la Vérité. Le fonctionnement qui est le
nôtre obéit à certaines lois que nous allons évoquer et qui
rendent compte des difficultés de notre avancée hors des sentiers
battus. Les adversaires intérieurs naissent de notre simple
constitution projetée dans le temps, avec une double dualité,
yin/yang, et pensée/organisme. La durée meut l'ensemble de notre
moi, toujours pris entre deux feux, ce que je suis et ce qui
m'arrive. Voilà la question la plus épineuse: saurons-nous
pardonner à Dieu de nous avoir fait tels que nous sommes, chargés
de l'obscurité matérielle, qui nourrit un conflit depuis
l'Inconscient avec le Divin ? Peu d'êtres humains acceptent que le
Divin soit aussi peu prévoyant par rapport aux attentes de ses
créatures, qui rêvent d'un bonheur sur mesure et accessible sans
effort. Le mental se projette dans l'avenir et son rôle est de
souhaiter le meilleur, mais il ne parvient à l'atteindre qu'à la
condition d'observer minutieusement le fonctionnement du moi pour le
libérer de l'ignorance. Son caractère essentiel provient de la
main-mise de la nature et de la mémoire évolutive sur notre espèce.
Nous pouvons profiter de cette bataille entre le meilleur et le pire,
l'épreuve et l'éclaircissement, pour décider de parvenir à
l'unité: elle ne se fera jamais toute seule — et pourtant
l'effort n'est pas supérieur à la grâce.
Si
nous voulons faire feu de tout bois pour évoluer, la portée
universelle du yin et du yang doit être intégrée
dans notre fonctionnement, et nous devons les respecter autant l'un
que l'autre. Chacun des deux essaie de voler la place de l'autre, si
nous leur attribuons une personnalité. Autrement dit, nous sommes
souvent dans le yang alors qu'il vaudrait mieux être dans le
yin, et réciproquement. Ce qui nous fait tromper de polarité a
été traité dans des millions de pages par les fabricants de
doctrines spirituelles et les philosophes. Une puissance d'illusion,
le samsâra, trompe l'esprit à partir de la puissante gouverne
de la nature, qui nous pousse outre mesure vers le désir et la peur
selon Bouddha, vers l'appropriation subjective de la durée pour
d'autres, vers la confusion entre ce que l'on sent et ce que l'on
est, pour les philosophes, qui ont toujours remarqué les conflits
inhérents à notre double nature, organique et immatérielle — par
la pensée. Il y a des moments où il est strictement nécessaire de
ne rien faire pour être disponible aux influx subtils. Je
préconise cela parce que les êtres humains qui en ce moment
s'ouvrent à la conscience, se mettent martel en tête, et veulent
tout contrôler de leur évolution, comme si le yang pouvait à
lui tout seul résoudre tous les problèmes, sous prétexte qu'il
s'oriente enfin vers l'essentiel. Chaque individu progresse
aujourd'hui plus facilement qu'autrefois, parce qu'il y a un plan
divin sur la terre actionné depuis 1956, et qui s'actualise très
lentement. Toute une gamme de chercheurs spirituels conservent la
mentalité de leur culture occidentale et veulent contrôler leur
mouvement, tandis que quelques personnes qui font des expériences
remarquables tiennent un discours contraire et affirment qu'il suffit
de s'ouvrir: Si vous êtes sincère, vous vous ouvrez et « ça
va le faire », l'ego lâcherait tout seul... C'est vrai en
partie, mais le yin n'est pas tout non plus. S'il s'empare de
tout, le chercheur a autant de chances de se noyer que de finir dans
la totalité. Il est faux que tout puisse être absorbé, sous
prétexte que même la volonté personnelle fait partie de l'ego.
L'aspiration au Divin et la convoitise personnelle d'un état
spirituel supérieur ne constituent pas deux réalités identiques,
mais elles peuvent être confondues tant que l'essence du yang
— extérioriser, et l'essence du yin — intérioriser,
n'ont pas été profondément différenciées et intégrées. Cette
question est une torture pour beaucoup: mon désir de Dieu est-il
convoitise, vanité, narcissisme, ou bien est-ce le Divin qui remonte
du fond de moi et commence à réclamer son dû ? Certains éveillés
ne veulent pas entendre parler de la poussée de l'âme et
soupçonnent que le désir divin est un obstacle. Il serait
émotionnel ou narcissique, ou encore l'expression d'un manque de
l'image père ou de l'image mère, quand on ne le soupçonne pas
d'être le fruit de frustrations sexuelles.
Même
votre désir d'éveil est à jeter à la poubelle qu'ils prétendent,
souvent en se réclamant de la non-dualité, mais de l'autre côté,
quand les chercheurs tombent sur Sri Aurobindo, Natarajan, Mère,
Amma, Ma Ananda Moyi, Sri Tathâta, Mère Meera, Ramakrishna ou
Vivekananda par exemple, c'est la reconnaissance du Divin qui prime
sur l'abandon à l'éveil — mais en fait ces deux prises de
conscience radicales ne sont pas incompatibles. Avec les éléments
que je vais vous fournir, vous pourrez mener de front et
simultanément la recherche d'autonomie, qui mène au Soi, et
l'abandon au Divin qui conduit au Supramental. Mon témoignage
consiste à affirmer que se tourner vers la non-dualité par
le travail sur soi et vers le Divin par l'aspiration constitue la
voie la plus profonde, qui peut être unique si les principes sont
compris. C'est vrai que l'ouverture — le grand yin —
suffit... jusqu'aux épreuves. Mais si le moi se rend plus loin que le
silence mental, des expériences incongrues se produisent, qui ne
trouvent pas leur place dans les références. Après des moments
extatiques extrêmes, parfois avec la sensation de l'énergie
(shakti) dans le corps, autour de la tête, ou à la surface de
la peau, un abîme peut s'ouvrir soudain sans qu'on sache comment le
chasser, et l'on se trouve alors « anéanti »,
continuerSri Aurobindo ne cesse de traiter ce problème dans «Lettres sur le yoga»
entièrement démuni pour ...
La participation active, la volonté, l'endurance entretenue doivent
se développer et permettre d'encaisser des chocs d'une extrême
violence, coups qui succèdent presque naturellement à ce que l'on
pourrait appeler des envolées — des moments d'union vécus avec un
appauvrissement du discours de la pensée, tandis que la conscience
n'aura jamais été aussi claire. Dans la vie divine, une
vision de l'homme très séduisante se dessine, comme si ce dernier
était destiné à être absorbé dans le Divin parce qu'il est déjà
le Divin, et c'est sans doute l'ouvrage le plus profond qui ait
jamais été écrit, et qui ouvre la voie à l'homme véritable. Mais
dans la pratique, des
difficultés se présentent à l'évoluteur, que nous pouvons ramener
à trois causes,
persévérer
dans une posture yang devenue obsolète,
persévérer
dans une posture yin périmée,
ne
pas pouvoir choisir de nouveau départ, alors qu'on se sent « au
bout du rouleau ».
Les exemples les plus
courants de ces dysfonctionnements sont connus. Primo, s'accrocher à
tout prix à des situations et identifications absolument révolues
qu'on tente contre toute logique de faire perdurer — impossibilité
de lâcher prise, deuxio cultiver le sentiment d'être victime ou
esclave d'une situation, se complaire dans la défaite ou l'échec au
lieu de respirer et d'envisager de se prendre en mains, — déni
du souverain présent, tertio hésiter perpétuellement entre les
décisions fondatrices et les attentes miraculeuses d'une
amélioration provenant du dehors — remettre au lendemain à chaque
fois (la nécessité d') une rupture, un déménagement, un voyage,
une retraite, un changement important.
Pour
vous permettre d'avoir confiance, j'aimerais vous épargner quelques
questions techniques autour desquelles se battent depuis toujours les
soi-disant maîtres de la conscience. Lorsqu'on s'ouvre, il
n'y a pas d'efforts à faire, une observation supérieure se met en
place. Mais c'est très important aussi de comprendre cela: au cœur
de la pratique évolutive, on se trouve quelquefois dans des moments
où l'on ne sait même plus qui observe et on est satisfait
quand même, en-dehors de la question du qui suis-je ? Il y a
eu des joutes pendant des siècles. Certains prétendent qu'il faut
perdre le sentiment du moi dans le nirvana, et que c'est là
le sommet, d'autres disent, non pas du tout, le sentiment fusionnel
absolu n'est pas forcement passif, un Moi peut en jouir sans se
perdre. Et les uns et les autres, ces petits singes supérieurs, se
traitent mutuellement de ne pas être à la hauteur, dans la plus
sublime vérité qui — comme d'habitude — serait de
leur propre côté. Il suffit de comprendre que ce n'est pas
incompatible, et que certains moments nous rappellent forcément à
l'identité profonde (sans l'identification événementielle) dans la
mesure où des décisions s'imposent au fond d'une crise
incontournable. Et décider, ce n'est pas rien: c'est utiliser la
matière du temps pour se donner à quelque chose de particulier,
avec le clivage yin/yang: commencer autre chose ou continuer
la même chose. Quand le connu devient-il sclérose, quand le nouveau
mérite-t-il d'être appelé ?
Je
tiens à vous recommander Nagarjuna, qui en avait assez des
thuriféraires du Soi comme s'il était autre que la vie, alors que
c'est seulement un autre regard sur la vie:
Je ne suis pas au-delà de la maladie, de la vieillesse, de la mort De
la séparation d'avec l'agréable et pas davantage Du résultat
des actes accomplis. L'antidote constitué par la répétition de
cette évidence Mettra fin à la vanité.
Il
entend par là, la vanité d'être parvenu jusque dans le Soi, étape
qui fait parfois oublier la dimension matérielle et chronologique de
l'existence. Même si la durée n'est plus ressentie comme telle à
partir de l'éveil, elle continue de s'écouler dans la réalité
objective. La preuve en est que les maîtres, — possesseurs du
Soi impersonnel, continuent de vieillir et de tomber malades. Sans
s'attacher au résultat, l'évoluteur qui s'accomplit laisse entendre
qu'une satisfaction noble est possible, celle d'agir librement dans
le monde. Ce moine bouddhiste recommande dans le même traité de se
conduire pour le bien de tous. Aujourd'hui, la question est réglée,
puisque le Supramental rend plus facile le contact avec l'être
psychique, avec l'âme. L'Union suprême ne sera donc plus perte de
l'identité dans l'Absolu, mais jouissance individuelle de l'Un,
grâce à l'interface que le supramental possède avec la matière.
Un corps humain « travaillé » par le supramental se
sentira collaborer à la totalité, et à la rédemption de la
matière et de la vie.
2 OBSERVER NOTRE FONCTIONNEMENT, COMPRENDRE NOTRE FORME
Il
est nécessaire, dès le départ, de toujours tout ramener à
l'alternance du yin et du yang, puisque l'univers se construit de
cette manière-là, aussi est-il conforme d'envisager un Soi passif,
et un Soi actif aujourd'hui que des vibrations nouvelles facilitent
le passage divin et permettent de rester relié à la Terre tout en
étant bénéficiaire du silence mental. Ce qui est gagné à
l'intérieur peut s'exprimer, et les actions justes, les disciplines,
les actes purs améliorent la perception de soi-même. Nous savons
également que le yin et le yang, l'affirmation et la négation
s'épaulent et se succèdent dans tous les domaines. Les avancées
rapides sont également suivies de réactions en sens inverse, et une
belle méditation sur le ressac des vagues de n'importe quelle plage,
donne une idée précise du fonctionnement (tao) de la Manifestation.
Les meilleurs physiciens, depuis quelques années, ont renoncé à la
simplification de la théorie du big-bang (ou origine initiale) et
commencent à rechercher des paramètres qui auraient eux-mêmes
« préparé » le big-bang. Cette optique aurait été
déplacée une trentaine d'années en arrière, quand le problème
semblait définitivement résolu, et qu'on se gargarisait de l'idée
de pouvoir créer l'espace à partir d'un point situé nulle part et
d'une explosion. Nous avons toujours à l'idée, en tant
qu'évoluteurs, que tout se renverse à un moment donné.
L'assimilation donne sur trois résultats possibles, la satiété
naturelle, mais aussi sur l'indigestion par excès, ou la frustration
par déficience. Sur le plan physique, ces trois options peuvent être
ressenties sans équivoque, alors que sur les plans subtils la
question est beaucoup plus grave. Oui, nous devons assimiler les
objets de nos perceptions et faire face à nos besoins, mais comme
par hasard le mental vient surenchérir les dispositions naturelles
de notre organisme, et il est difficile de doser correctement nos
nourritures émotionnelles, affectives, et même spirituelles. Oui,
nous nous nourrissons de beaucoup de choses, d'impressions, de
sensations et d'idées, d'émotions — et même d'attentes !
Et puis nous serons amenés à trier, pour laisser de la place et
aspirer au Divin. Cela n'empêche pas d'apprécier l'exercice de
l'intelligence qui mène au discernement, et l'exercice du corps qui
mène à l'intégritéEn astrologie, Jupiter amasse et Saturne trie, hiérarchise, puis rejette...
La
perception pure, c'est extrêmement pratiqué par les taoïstes. Qui
voit ? Qui suis-je ? Peu importe. Je m'en moque totalement, je suis
ce que je sens dans une harmonie parfaite et je n'ai pas besoin du
moindre retour sur moi-même... Là, il n'y a rien à dire,
l'ouverture absolue, le non agir intégral fonctionnent. Mais
cela ne peut pas être tout le temps ainsi. Nous sommes confrontés
selon des cycles ou des séquences aléatoires, à nos limites
qui posent la question de nos capacités, de notre tolérance aux
faits hétérogènes pour notre structure mentale. Ce n'est pas
suffisant d'être sans cesse dans une identification, même
indistincte, à ce que nous percevons. Le fait d'avancer sur la
Voie fait surgir des adversaires automatiquement, et nous devons
alors identifier les obstacles à l'intérieur de nous, et les
ennemis à l'extérieur pour s'en protéger. La grâce ne va pas
dissoudre les obstacles si vous n'avez pas le courage de les
affronter. Il est nécessaire alors de descendre dans le moi, de se
retrancher dans une identité profonde, celle qui accepte l'adversité
et reste néanmoins tournée vers le Divin, en se détachant
suffisamment des circonstances pour ne pas être ensevelie sous les
attaques. Je me suis rendu compte récemment qu'il était impossible
de tenir un discours qui ne donne pas lieu à toutes sortes
d'interprétations subjectives — dérivées, c'est-à-dire qui
perdent en cours de route l'intention de l'orateur. C'est un des
casse-tête que rencontrent les maîtres spirituels qui jouent à
faire varier l'ordre des précepts de leur doctrine, qui forme un
puzzle avec différents contours possibles. Ils posent des
présupposés, et après, chacun des disciples en fait son miel et
n'importe quoi. Finalement, l'essentiel de la doctrine se perd dans
les règles alors qu'elles ne servent que de points de repère, et
n'ont donc aucune utilité en dehors de la pratique. Si l'on ne
comprend pas l'origine des « prescriptions », elles
s'appliquent sans porter leurs fruits. En ce qui me concerne, je
reprends le socle hindouïste et bouddhiste, c'est l'ignorance notre
nature et la source de tous les maux. Mais pour moi, il ne s'agit pas
d'une ignorance ontologique, cette fameuse ignorance provient
simplement du couplage de la pensée et du corps, et elle implique un
troisième terme pour être dépassée.
Le
témoin, le purusha doit être capable d'observer le corps et
ses désirs et ses peurs autant que la pensée elle-même. Vient
alors la possibillité de coïncider avec le Tao: être yin avec lui
quand la passivité et le repos l'emportent, être yang avec lui,
quand le mouvement et la production l'emportent. Je vais donc éviter
toute doctrine pour vous fournir le modèle de notre fonctionnement,
qui vous permettra alors de vous emboîter dans la volonté de
l'univers en devenant vous-mêmes conforme à votre morphologie,
cette étoile à cinq branches — attendez encore un
peu — à laquelle vous appartenez, sans le savoir... Le courage
est nécessaire pour découvrir, accepter et transformer notre
constitution puisque chaque branche de l'étoile possède sa propre
force centrifuge qui se lance en avant avec une autonomie susceptible
de créer un dysfonctionnement de l'ensemble.
Si
vous êtes à l'écoute, vous disposerez d'un miroir abstrait mais
un miroir dynamique quand même: « c'est comme cela que je
fonctionne », et vous n'aurez à vous référer qu'à cinq
éléments, organes, ou fonctions. Ce seront donc les mêmes cinq,
appelés éléments si l'on s'attache à la constitution de
l'ensemble qui forme un tout. Nous les nommerons plutôt organes pour
les saisir dans leur activité contingente, alors que le terme de
fonctions les campe dans une économie générale, une finalité qui
leur attribue à chacune une puissance particulière. Le modèle que
je vais vous donner s'accorde avec tous les types d'incarnation. Si
vous êtes un ange, une âme d'extraterrestre, un humain, une
émanation de la source, peu importe, de toute façon vous n'échappez
pas au modèle que je vais vous soumettre, et je tiens à vous le
fournir parce que beaucoup parmi vous possèdent de belles
aspirations qu'ils ne savent pas connecter à leur être contingent,
l'incarnation terrestre étant quelque chose de particulier qui n'a
peut-être pas été définitivement compris par vos âmes. Je n'ai
pas d'a priori sur l'entité que vous êtes. Vous pouvez avoir
n'importe quel type de karma ou l'avoir dissous, vous n'échappez
pas non plus à ce fonctionnement, qui est voulu par la montée
ascendante de la matière vers l'Esprit. Je vais donc jusqu'à la
fin défendre la thèse selon laquelle notre apparence matérielle,
notre corps physique, possède la forme idéale pour nous permettre
une évolution infinie vers le Divin. Les formes sont parfaitement
adaptées aux principes dans la Manifestation biologique, et la
position verticale de l'espèce constitue un seuil primordial, un
saut extraordinaire.
La
conscience supramentale m'a montré la finalité de la
physionomie humaine, il y a plus de vingt ans, et je suis resté deux
ou trois heures absorbé dans un film qui m'a subjugué, dans un état
de conscience indescriptible, une pure vision sans mots. C'est
seulement maintenant que je l'utilise car j'ai beaucoup appris
depuis, et je peux enfin mettre en forme cette révélation. La
station debout est quelque chose de neuf — une forme qui commence à
se libérer de la nature rampante, naturellement, mais le plus
invraisemblable, c'est que l'équilibre vertical est maintenu avec
trois fois rien, la plante des pieds, d'une largeur ridicule et d'une
longueur très faible par rapport à la taille. Je regrette
qu'intellectuellement vous ne puissiez pas voir la même chose, et je
suis loin de restituer l'expérience sublime en la décrivant, sinon
vous ne douteriez plus une seconde que votre mission est de devenir
conscient, d'accomplir le potentiel de la verticalité, et de
supporter le défi que l'univers se pose à lui-même dans votre
propre personne.
Donc,
être debout, c'est un exploit totalement neuf: l'homme. Grande
taille, petit empattement, et ça ne tombe pas. C'est miraculeux.
Ensuite, nouveau miracle, il y a de la « marge » dans le
corps. L'extravagante symétrie du corps est touchante, ainsi
beaucoup d'outils sont en double, on entend bien avec deux oreilles,
on voit bien avec deux yeux, mais si l'un des deux flanche, on s'en
tire quand même. Aujourd'hui, certaines personnes vivent avec un
seul rein. De la marge il y en a partout, si l'on s'engraisse, un
jeûne peut venir à bout de ce qu'il y a de trop. Les heures de
sommeil sont variables, et l'on peut rattraper du retard avec une
grasse matinée. Le cœur ralentit ou accélère. L'organisation est
stupéfiante, et nous voyons collaborer les contraires. L'écart
n'est pas incompatible avec le fixe. C'est-à-dire qu'il y a des
variations, de l'élasticité, et que cela revient à la norme grâce
au principe de l'homéostasie, un pouvoir holistique qui
maintient l'ensemble cohérent à travers de petites variations,
comme la température par exemple.
3 LE SCHÉMA DU FONCTIONNEMENT
Nous
allons parler de cinq appareils distincts qui doivent fonctionner de
concert pour notre évolution et qui forment une étoile à cinq
branches. Notre forme géométrique d'ensemble est presque fractale.
La tête et les quatre membres et les cinq doigts à chaque membre.
Vous
visualisez donc votre corps, et mentalement vous attribuez à votre
tête les verbes
souhaiter,
imaginer, vouloir, décider.
Vous
visualisez votre bras droit et vous lui attribuez les verbes
raisonner,
calculer, combiner, chercher le sens.
Vous
visualisez votre bras gauche, et vous lui attribuez les verbes
deviner,
recevoir le sens, synthétiser, se sentir relié.
Vous
visualisez votre jambe droite et vous lui attribuez les verbes
désirer et s'élancer.
Vous
visualisez votre jambe gauche et vous lui attribuez les verbes avoir
peur et reculer.
Sachez
déjà que les émotions se chargeront de vous rappeler à l'ordre
quand l'unité du système est rompue par quelque chose, et qu'on
peut donc les symboliser comme la ligne de démarcation entre le
corps et l'esprit, charge à elles de créer une conscience plus
intense pour signaler un événement perçu comme hétérogène.
Elles signaleront un désaccord profond, et vous obtiendrez alors des
informations sur les mesures à prendre. Désir dit satisfaction
autant que manque, comme peur dit danger réel autant que menace
imaginaire. Il s'agit de gérer un organisme extrêmement bien
construit, bourré d'alternatives pour chaque occasion, et qui fait
face en permanence aux stimuli avec ses propres grilles de
lecture. Nous débordons largement du cadre de la créature animale,
et nous ne savons toujours pas quoi faire de la bête en nous. Le
cerveau interprète nos perceptions bien souvent selon la loi du
corps sans qu'on puisse l'empêcher, nous y reviendrons. Il apparaît
aujourd'hui aussi faux de dire je ne suis pas mon corps, que
je suis mon corps. Nous sommes l'un et l'autre, souvent
combinés dans un seul être satisfait de ce qu'il perçoit, souvent
nous ne sommes qu'un des deux, quand le corps veut soumettre
l'esprit, ou quand la soi-disant « âme » méprise le
corps. Vous avez dit non-dualité ? Bravo. Votre corps et votre
esprit font un, et cet un fait un avec l'Un. Encore bravo. Jusqu'à
quand sans vous offenser ? Et c'est toute l'histoire de l'humanité
... Le fardeau du corps, qu'est-ce que je fais de mon corps dont je
suis prisonnier ? Quand est-ce qu'il me sert, quand est-ce qu'il me
trompe, quand est-ce qu'il me trahit, quelle marge d'autonomie
possède-t-il, et qui lui permet de me jouer autant de tours ? Voilà
la question posée. Je vais vous proposer de répondre à ces
interrogations en explorant votre propre dualité-une corps/esprit.
4 NOUS SOMMES UNE ETOILE A CINQ BRANCHES !
Ce
système est très économe, en cela il correspond à la nature qui
déploie l'essentiel de son mouvement en évitant les choses
inutiles. Par exemple, les oiseaux n'ont pas intérêt à être
lourds, alors au lieu de leur octroyer des ailes trop difficiles à
manœuvrer par leur envergure, la nature a prévu de mettre du vide
là où c'était possible, dans les os, peut-être même dans la
structure de la plume. Il y a une intelligence formidable dans la
nature, même si nous devons la dépasser, elle est absolument
géniale. Un soir donc que je réfléchissais à un programme de
séminaire, le schéma de l'étoile à cinq branches m'est
tombé dessusJ'ai déjà évoqué le Cinq dans le tarot et brièvement dans les Principes de la Manifestation.. Le pentagramme arrive après le carré qui ferme tout, tandis que le
5 divise l'espace d'une manière qui n'est pas symétrique. Il y a un
saut quantique entre le 4 et le 5, autrement dit un abîme que seule
la conscience peut franchir. Je pourrais essayer de vous expliquer
que cinq n'est pas le prolongement de quatre, mais cela prendrait des
heures et ne vous permettrait sans doute pas de franchir l'abîme en
question. (Si vous voulez en savoir plus, allez lire les
Inconnaissables sur le site). Le pentagramme est une merveilleuse
figure. Si l'on rabote une sphère avec égalité pour lui donner
douze facettes, chacune d'elles est un pentagone puisque les côtés
qui réunissent les branches de l'étoile apparaissent.
Léonard
de Vinci parvenait à dessiner des dodécaèdres. L'étoile à cinq
branches est merveilleuse la pointe en haut, — la pointe en
bas, elle représente le diable. Le Cinq, c'est le jaillissement du
pouvoir, de la création. Cette forme brise la symétrie des opposés,
ça s'éloigne de la dualité, c'est donc par définition la source
de transformations perpétuelles. C'est très créatif de tirer 5
dans le tarot, — un espace de liberté se présente, encore
faut-il avoir la présence d'esprit de se lancer dans une œuvre que
l'on crée soi-même (sinon on rate l'opportunité et on fait
n'importe quoi, la force de vie (rajas) récupère la
synchronicité). Bien. Voilà donc que le Cinq me tombe dessus, et
comme j'ai vu que dans la Nature les formes correspondent exactement
à des principes (aérodynamisme pour les oiseaux, hydrodynamisme
pour les poissons et les cétacés), j'ai vu en un éclair que la
forme humaine, un pentagone étoilé — avec deux membres
inférieurs, deux membres supérieurs et une tête (qui devient le
chef quand on décide d'évoluer), c'était exactement la
signature de ce que nous sommes intérieurement.
|
Je
vais traiter cette forme (notre moi) de manière purement
stratégique, c'est-à-dire pointer les perturbations du système,
car tout système peut se dérégler — soit par une usure
mécanique, soit par l'intrusion de facteurs hétérogènes qui
exigent des modifications temporaires. Vous pourrez vous référer à
ce fonctionnement, si besoin est, pour comprendre vos résistances,
vos dualités. Parfois, il y aura hésitation ou combat entre le haut
et le bas, hésitation ou combat entre le yin et le yang, y aller /
s'abstenir. Ce qui est intéressant, c'est qu'ainsi vous
dépersonnalisez vos difficultés, ce ne sont plus vraiment les
vôtres. Elles ne vous appartiennent pas totalement. La plupart des
obstructions sur la Voie proviennent vraiment de la nature elle-même,
de notre constitution.
|
Ce
n'est pas la peine d'en rajouter en se culpabilisant par principe.
Cela peut être humiliant de voir que n'importe laquelle des cinq
branches, que n'importe laquelle de nos fonctions peut d'un seul coup
se dérégler, — devenir excessive ou déficitaire tout en
créant du désordre dans l'ensemble. Mais c'est toute l'histoire
humaine, ce dérèglement du 5. Ce modèle fragile avec tout
ce qui attaque son fonctionnement, va simplement confirmer l'autorité
de l'univers sur notre petite personne, et la souveraineté de la
vitesse dans le monde manifesté, ce qui nous pousse à « être
dépassés par les événements » quand un choc hétérogène
se produit, en fournissant des réponses inadaptées. Nous allons
trouver beaucoup d'Inconscient, en tout cas de subconscient dans
cette forme humaine en mouvement et exposée à toutes sortes de
perceptions, car elle obéit à la Nature. Et la nature n'est pas
pour le moment transcendante — mais elle peut changer. Elle est
très obstinée, ce qui veut dire qu'elle est vraiment récalcitrante
à tout ce qu'on lui impose. C'est pourtant possible de la
transformer. Elle assure la perpétuation des espèces et peut
quelquefois nous enchanter, mais il ne faut pas être trop gourmand:
son pouvoir est limité, elle ne peut plus donner grand chose à un
être humain qui veut vivre pour le Divin. Cette étoile à cinq
branches qui se décompose en parties conflictuelles et s'unit à
nouveau en tout cohérent — selon les cycles, les occasions et les
accidents, nous inflige une prise de conscience: la fragilité.
Je suis fragile et je dois m'adapter sans cesse car le Présent
charroie tout ce qui peut exciter mes envies, mes peurs, mes besoins,
mes attentes, mes projets, mes aspirations. Je suis vulnérable parce
que mon bras droit ne veut pas (en permanence) la même chose que mon
bras gauche, que ma jambe droite ne veut pas (à chaque instant) la
même chose que la gauche. En effet, nous venons d'attribuer des
fonctions aux membres, et tout cela va s'éclairer. Bien sûr, dans
l'ordre matériel, nous pouvons affirmer que le corps travaille de
concert avec l'esprit de l'espèce, mais si nous interprétons notre
forme à partir de ce qui lui est propre — la verticalité projetée
dans son devenir, le corps que j'évoque se déploie avec toutes ses
qualités intérieures, face à l'abîme indéterminé du présent.
Cette étoile à cinq branches est dynamique. Elle est calquée sur
la forme physique et constitue l'amont de la forme matérielle, son
principe:
le
vouloir (la tête),
la
pensée (bras droit),
la
réceptivité (bras gauche),
le
désir (jambe droite)
et
la peur (jambe gauche).
Les
archétypes fondamentaux s'emparent quelquefois de l'être humain, ne
vivre que pour le bas OU ne vivre que pour le haut, — l'instinct
ou la vertu, ne vivre que pour conquérir et posséder, OU au
contraire ne vivre que pour imaginer et se laisser aller au gré des
circonstances. Depuis des milliers d'années, l'humanité
aspire à faire mieux, et elle n'y parvient pas, tout simplement
parce que le haut et le bas continuent de se combattre ou de
s'exclure, comme le yin et le yang continuent de
s'opposer ou de s'exclure. Je vous donne le modèle dynamique de ce
que nous sommes – Un cinq qui peut faire Un — et
toutes les contraintes qui en découlent. Selon l'adage: « un homme
averti en vaut deux », vous découvrirez comment les accepter puis
les transformer.
Le
clin d'oeil du Tao:
Escamoter
les contraintes ne les élimine pas.
Sommes-nous
face à l'univers et contre lui, ou avec lui jusqu'à l'embrasser
complètement et qu'il nous embrasse en retour ?
|
Dieu
a fait du monde un champ de bataille et l'a empli du piétinement des
combattants et des cris d'un grand conflit et d'une grande lutte.
Voudrais-tu dérober sa paix sans payer le prix qu'il a fixé ?
|
Sri Aurobindo.
Nous
allons nous retrouver avec un potentiel de transformation infini
parce que ce fonctionnement est le nôtre, et que nous pouvons à la
fois le subir et l'améliorer (subir est yin et améliorer
yang parce nous nous impliquons). La question n'est pas
d'échapper à l'étoile mais de bien la connaître, afin de ne plus
se laisser berner par les aberrations d'une branche quand elle
se manifeste. Si ce 5 en mouvement ne se détraquait pas à la
moindre occasion, l'humanité aurait depuis longtemps éradiqué la
violence, et produit d'autres types de société, sans aliénation
des plus faibles. Afin que nous
puissions devenir responsables de notre évolution, nous
pouvons repérer les erreurs mécaniques du système,
observer une branche défectueuse avant de la laisser corrompre le
système entier. C'est
une grande aventure que tous les êtres humains ne partagent pas.
Ceux et celles qui n'aspirent pas à plus de conscience ne trouvent
jamais la branche supérieure, qui est verticale, et laissent parler
les bras et les jambes selon les circonstances sans se méfier de
leur autonomie respective, qui leur confère souvent un pouvoir
usurpateur. Chaque branche peut selon les circonstances être appelée
à un rendement excessif, qui, s'il n'est pas modéré par une
conscience supérieure dépasse les prérogatives du sujet. De la
même manière, le potentiel, la positivité de chaque branche n'est
pas forcément découverte. Ainsi la colère donne toute latitude de
s'exprimer à la branche inférieure droite comme le chagrin et le
dépit excitent soudainement la branche inférieure gauche. Une
personne qui vient de monter en grade subit généralement une
poussée de la branche supérieure droite, comme le début d'une
histoire d'amour provoque un développement de l'activité de la
branche supérieure gauche. (D'ailleurs tout le problème est là,
puisque les attentes vont augmenter à partir de l'instauration de la
relation). Bien sûr, pour le moment, peu d'être humains savent que
la nature est parfaitement bien organisée et qu'elle travaille à
notre insu en utilisant nos perceptions subjectives pour
perfectionner son action ou la modifier. Autrement dit, notre étoile
à cinq branches fonctionne de toute façon, et il ne dépend que de
nous de dégager le potentiel infini de ce modèle énergétique.
Nous
progressons aujourd'hui quelque peu dans la compréhension de la
complexité du cerveau, qui se charge de coordonner nos contenus
psychologiques avec l'économie générale du corps. Nous savons que
nous ne pouvons pas les séparer, et intégrer cette interdépendance
pour pouvoir l'observer constitue la base de la sâdhanâLa voie..
L'émoi, la peur, le désir violent, le fait d'être le point de mire
de centaines de regards, l'agressivité verbale que nous subissons,
et bien d'autres impressions subjectives se traduisent immédiatement
par des signaux, par des symptômes, tels que l'accélération
du cœur, la sueur, la fièvre, la rougeur ou la pâleur du visage,
la préparation à l'emploi des organes génitaux, la chair de poule,
le vertige, l'accélération ou décélération du rythme
respiratoire, les tics, les gestes brusques, le regard fuyant, le
bégaiement, le baillement (contagieux) etc... ... Nous admettons donc
que le dualisme qui oppose le corps et l'esprit a été
établi pour des raisons religieuses et éthiques, mais, dans la
réalité ce dualisme pose question au fil de la journée. Pour
empêcher le corps d'exprimer des pulsions compulsives, il faut être
devenu extrêmement conscient, suffisamment en tout cas pour avoir
changé, par l'intention et l'ascèse, une partie du fonctionnement
du cerveau lui-même en le libérant de l'automatisme naturel et
animal.
Tandis
qu'il est certain que le haut et le bas ne peuvent pas changer de
place, l'attribution du yin à gauche et du yang à droite n'est pas
définitive. Il s 'agit là du modèle traditionnel chinois des
forces quand elles sont non-manifestées. D'un autre point de vue,
par exemple pour lire les mémoires du corps, la mère revient au
côté droit, et le père au côté gauche. Ces contradictions
formelles n'ont d'ailleurs aucune importance, puisque ce n'est même
pas le yin et le yang qui nous préoccupent, mais leur processus de
renversement naturel: le yin aboutit au yang en fin de course, comme
le yang, épuisé, donne naissance au yin. La réceptivité est donc
à gauche dans l'ordre des principes, et l'activité à droite.
|
Les
chinois confirment cette vision: selon leur prorpre Tradition, le
corps énergétique est, dans sa réalité non-manifestée, masculin
à droite, féminin à gauche. Ils appellent le non-manifesté
ontologique le ciel antérieur,
et le manifesté biologique immédiat le
ciel postérieur.
|
Annick
de Souzenelle, le symbolisme du corps humain.
Je
déveloperai dans cet ouvrage le paradigme selon lequel ce qui est
puisé grâce à la réceptivité peut se transformer en énergie
positive et créatrice, de la même manière que les fruits de nos
investissements, de nos actions, nous permettent une reconnaisance
supérieure de la qualité d'écoute et de la nécessité de la
grâce, pour acquérir des développements supérieurs. Aussi, nous
gardons à l'idée que le haut et le bas ne sont pas
interchangeables, l'esprit demeure de toute façon au-dessus de la
nature, tandis que le yin et le yang peuvent se placer à droite ou à
gauche selon le point de vue d'où l'on se place, comme si la matière
était miroir et reflétait les principes supérieurs. Notre
convention fait passer l'attribution initiale en premier, mais ne
dément pas une attribution inverse dans les faits, d'autant que le
cerveau croise son activité, le gauche dirige la droite et
réciproquement.
L'éveil
spirituel, c'est donc le besoin de comprendre ce que l'on est,
préoccupation qui dépasse largement le besoin d'appartenir à un
ordre de valeurs supérieures. En dépassant les manipulations de la
nature, par l'observation de la dualité et la pratique des remèdes
unifiants, un travail profond s'effectue. Le Moi évolutif éclaircit
la perception générale et l'élève, tout en diminuant l'emprise du
désir, donc des émotions, puisqu'il n'abandonne pas le regard vers
le bas, les racines inconscientes du corps physiqueLe registre de la perception augmente donc simultanément vers le haut illimité, le yang absolu (six traits continus) et vers le bas sans fond, le yin absolu (six traits discontinus) dans le modèle du Yi-king.. L'évoluteur décide alors de s'investir dans l'observation de
ses quatre branches, deux qui plongent de toute façon vers la terre,
les jambes, deux qui peuvent monter, les bras. La tête devient le
chef. Des décisions d'un nouvel ordre apparaissent, indépendantes
des calculs de l'ego, et qui s'éloignent de l'avidité de
sensations, du besoin de sécurité, de la demande d'approbation, de
la peur du changement. Nous pourrions donc qualifier ces nouvelles
décisions de décisions cosmiques, puisqu'elles sacrifient le
sentiment du moi individuel et contingent à la recherche de son
origine divine. Non, nous ne pouvons pas échapper au fonctionnement
centrifuge de , et des erreurs de jugement se produisent
automatiquement quand une branche s'empare de notre ressenti
au-delà de ses propres prérogatives. C'est notre histoire et celle
de l'homme. Ce sont les contraintes de l'incarnation, auxquelles nous
consentons désormais en renonçant au déni de la réalité,
qui constitue l'activité principale du mental. Je vous laisse
quelques instants pour poser une intention, intention que vous
n'avez pas à communiquer aux autres.
Le
clin d'oeil du Tao:
L'
intention est quelque chose de beaucoup plus puissant que
l'acte, qui lui se trouve en bout de chaîne et soumis à des règles
qui le rendent en partie aléatoire. Une intention est un souhait, —
ce n'est pas certain qu'on y réussisse, ce n'est pas un calcul.
C'est une propulsion de soi-même dans un Idéal qui n'est pas
fondé sur le calcul, mais sur l'amour, l'aspiration, la connaissance
et le besoin d'intégrité.
5 PARADIGME SYSTEMIQUE
Quelques
abstractions permettront de mieux saisir l'enjeu du fonctionnement de
notre étoile que nous considérons comme une combinaison de forces
que l'esprit rend homogène. C'est un agrégat. Tout système
est formé de plusieurs éléments combinés pour parvenir à une
seule fin, et nous pouvons donc considérer que notre évolution
consiste à faire coïncider les cinq branches qui nous constituent
d'une manière de plus en plus complète et parfaite, quitte à subir
des dysfonctionnements révélateurs qui nous mettront sur la piste
d'un nouvel ordonnancement plus performant. Nous sommes ainsi partie
prenante de l'univers qui détruit des formes pour en façonner de
nouvelles, et rien ne nous empêche de sentir que les destructions
amènent des formes inédites plus performantes. C'est d'ailleurs le
pari du supramental, — l'évolution de la nature n'est pas séparée
de celle de la conscience. Depuis les années 1950, des spécialistes
étudient les flux et les modifications dans les systèmes — quels
qu'ils soient. C'est ce que l'on appelle une approche systémique,
et nous en avons déjà besoin.
Un organisme, un animal, c'est un système puisque plusieurs
fonctions s'organisent vers la même fin. Une administration, un État
sont des systèmes. Quand des relations sont répétitives et
soumises à des règles entre plusieurs individus, c'est aussi un
système — famille, clan, tribu, secte, parti politique. Tous ces
modèles sont traversés par des perturbations qui tiennent à la
spécifité élastique de chaque élément. Tout système est par
définition en contact, d'une manière ou d'une autre, avec le monde
extérieur, ce qui peut également le perturber. En revanche, si le
système se ferme, il périclite. Car tout est relié. Le principe
essentiel est le suivant:
Tout
système est menacé dans son équilibre
A/
par de l'hétérogène qui vient de l'extérieur, comme les
virus informatiques, les infections, les changements de température,
les envahisseurs, les agressions, etc
B/
par les trubulences intérieures
1/soit
par l'usure interne,
2/soit
par le jeu, l'élasticité dans les communications entre les
différents éléments, les différentes fonctions, les différents
organes (variations, dérèglement, atrophie, hypertrophie).
|
Les
pièces dans un moteur, les différents organes dans un système
biologique, les fonctions dans un système mental, toutes les
structures systémiques sont soumises comme le reste au passage de la
durée, à l'érosion, à l'entropie. Quant au dysfonctionnement, il
se met en place dès que, pour une raison ou une autre, la régularité
du système est compromise (trop de flux, pas assez de flux,
obstruction ou hyper-activité dans un secteur, qui déséquilibre
l'ensemble). Dans notre modèle étoilé, le
dysfonctionnement mettra en place trop de yin ou trop de yang,
trop de pensée ou trop de sensations, trop de fermeté ou
trop de malléabilité, trop d'énergie ou trop d'inertie.
|
Avec bien sûr beaucoup
d'équivalents, je suis trop autoritaire, trop influençable; trop
cérébral, trop sensuel; je suis hyperactif ou paresseux; je suis
trop matérialiste (je ne suis pas assez convaincu du pouvoir de
l'Esprit) ou trop idéaliste (je suis naïf en croyant que les choses
peuvent changer). Je suis anorexique (je veux tout contrôler) ou
boulimique (je veux tout recevoir); je suis optimiste (je crois aux
issues favorables), je suis pessimiste (je pars plutôt perdant); je
suis calculateur (je veux obtenir même par la ruse), je suis
négligent (j'abandonne un projet au moindre obstacle). Je suis
courageux (l'adversité me renforce), je suis lâche (je hais les
difficultés). Il y a de multiples équivalences de ce type qui
illustrent la guerre du yin et du yang et la guerre du haut et du
bas.
Nous allons étudier le
fonctionnement humain de cette manière-là.
Le moi est un
système, nous sommes un système:
|
A/ nous sommes menacés
d'une part par les événements hétérogènes
qui viennent de l'extérieur.
B/ nous sommes menacés
d'autre part par l'usure de notre propre système,
c'est-à-dire par
des cristallisations dans les parties de notre être,
habitudes mentales, comportementales, physiques.
|
6 PRATIQUE ENERGETIQUE DE LA GÉOMÉTRIE SACRÉE
Nous
allons travailler sur l'écartèlement, présenté d'une nouvelle
manière, stratégique. Voilà ce que nous sommes (une étoile
à cinq branches). La forme est conforme aux principes, les poissons
sont hydrodynamiques, les oiseaux aérodynamiques, et nous, nous
sommes verticaux et pourvus d'un équilibre extraordinaire par
rapport à l'empattement de nos pieds. Je me répète exprès
parce que ces évidences infrabanales passent inaperçues alors
qu'elles sont riches d'un sens infini: nous devons recouvrer le
sentiment de la légitimité de notre corps physique. Revenons aux
sources. Pour vous permettre d'utiliser rapidement le paradigme,
prononcez cette phrase à voix haute: ma fragilité me
déstabilise mais je me reconstruis chaque fois que je tombe en
devenant plus conscient. Qu'avez-vous ressenti en la prononçant
? C'est déjà une piste pour travailler vos branches. Si la phrase
vous dérange beaucoup, vous avez peut-être fabriqué une carapace,
elle vous protège, mais vous empêche aussi d'évoluer, car elle
ratiboise la réceptivité.
Tenir
debout sans effort s'effectue très jeune, et c'est une prouesse de
la Nature. Autrement dit, nous ne sommes pas intérieurement à
la hauteur de la forme que le Divin et la Nature nous ont donnée. Si
nous savons marcher correctement c'est parce que la prakriti
(l'énergie qui façonne) coordonne nos mouvements, mais notre
identité dans sa marche ininterrompue, se confronte au temps, c'est
inévitable. Si vous êtes yang vous considérez que vous
traversez le présent, si vous êtes yin que c'est le présent
qui vous traverse, mais dans l'un ou l'autre cas, cela ne change
rien. Nous sommes donc soumis à des faux pas et à des chutes
psychologiques parce que notre jugement se trouve aux prises avec le
choix, le carrefour, la bifurcation, l'écrasement du présent entre
un passé à tendance perpétuable et un avenir à tendance sui
generis. Voilà pourquoi nous souffrons: l'automatisme du corps
régi par la nature ne peut plus fonctionner, comme chez l'animal,
en toutes circonstances. Il doit être approuvé ou désapprouvé par
l'esprit, qui le laisse s'exprimer ou le contrôle. L'automatisme
naturel et le libre arbitre se mènent une guerre sans merci, thème
qui est la torture et le délice des philosophes depuis des milliers
d'années.
Faire
fausse route (se tromper de chemin, faire des erreurs, agir à
l'encontre de notre évolution, employer des moyens discutables,
nuire à l'autre plus ou moins consciemment) nous arrive, cela fait
partie de l'expérience du cinq. Quand nous nous faisons une entorse
intérieure, nous ne pouvons plus marcher aussi bien — c'est
l'occasion de remettre en question le pied endommagé, l'usage du
désir et de l'allant ou celui de la peur et du recul. Oui, nous
tombons comme un enfant se casse la figure en courant, sans faire
suffisamment attention à ce qui l'entoure, quand notre jambe gauche
s'enlise dans la peur répétitive ou quand notre jambe droite nous
tire plus vite que la musique dans un « investissement »
qui nous dépasse. Nous prenons des gamelles psychologiques. La
position verticale est une exception dans le monde biologique, et
elle signe la ligne de notre évolution future. La quête, la
voie, nous permet de devenir dignes de cette forme extraordinaire qui
est la nôtre, sensible, souple, droite, mais vulnérable. Pour le
moment, nous sommes des débutants, et dès que nous l'oublions la
perversité yang nous manipule, avec le triomphalisme, comme la
perversité yin nous embobine, avec tout ce qui nous fait « baisser
les bras ». Maintenir un équilibre suffisant pour ne pas
tomber — ou savoir profiter de la chute — n'est possible que
pour les funambules: les évoluteurs qui harmonisent les bras et les
jambes, l'esprit et le corps, l'action et le lâcher prise.
|
Nous
sommes l'espèce la plus prédatrice de toutes, qui compromet à elle
toute seule le devenir de sa planète, et pourtant nous sommes la
seule à posséder un tel potentiel ! Nous n'avons pas intégré
notre forme ! Le potentiel de transformation et de création est égal
au potentiel de destruction. Qu'est-ce que cela veut dire d'être
pentaorienté ? Les pieds assignent à la matière, la tête assigne
au ciel et à l'Esprit — à condition de l'utiliser pour observer
le fonctionnement des quatre membres. Si toutes les fonctions de ce
système ne sont pas en harmonie, les adversaires intérieurs
jaillissent.
|
2 INTEGRATION DE L'ETOILE A CINQ BRANCHES
La conscience chez
l'homme est surtout intelligence. Elle aurait pu, elle aurait dû,
semble-t-il, être aussi intuition. Intuition et intelligence
représentent deux directions opposées du travail conscient:
l'intuition marche dans le sens même de la vie, l'intelligence va en
sens inverse, et se trouve ainsi tout naturellement réglée sur le
mouvement de la matière. Une humanité complète et parfaite serait
celle où ces deux formes de l'activité consciente atteindraient
leur plein développement.
Henri Bergson,
l'évolution créatrice.
PREMIER
AXIOME:
Chaque élément
parmi les cinq travaille pour lui mais
doit collaborer à l'action des quatre
autres simultanément.
1
LE CERVEAU S'ADAPTE A NOS PRÉOCCUPATIONS
Le
chef harmonise et se tient au-dessus de la polarité pour balancer du
yin au yang et réciproquement selon les intentions ou les
circonstances. S'il y a trop de bras droit, le gauche s'atrophie. À
droite — la pensée rationnelle, à gauche — l'
intuition. Donc, si on mouline tout le temps à droite,
l'intuition disparaît. Bergson semble appeler intelligence le
processus de capture par la pensée qui s'appuie sur le passé et la
logique, et qui donc ne peut pas faire front au présent sans le
réduire à des formes connues, alors qu'il détermine bien que
l'intuition marche avec la vie, puisqu'elle relie à ce qui se
passe. Si le cerveau canalise toute son énergie du seul côté
rationnel, il finira par réfuter tout ce qui n'est pas prouvé par
a+b. Si en revanche, on ne veut utiliser que de l'intuition pour
mieux baigner dans « le sentiment océanique », et qu'on
n'aime ni raisonner ni réfléchir (parce que cela interrompt le
bain d'identifications), on manque de discernement. Le cerveau
s'adapte tout autant à ne vivre que dans une dimension symbolique,
dans laquelle chaque acte est prétexte à mettre en valeur une
dramatisation subjective, qu'il s'habitue, inversement, à ne
produire que des raisonnements et des calculs, des analyses et des
contrôles. La cohérence émotionnelle remplace la cohérence
objective sous le monopole du yin; — le positif est
idolâtré, paré de merveilleux et le négatif semble un complot. Le
résultat de cette politique est aussi catastrophique que le monopole
du yang, pour lequel toute ouverture est perte de pouvoir, et
toute incertitude un crime. Les deux extrêmes ont un effet inverse.
Excès alarmant de sécheresse et d'implications précises et
médiocres d'un côté sous l'égide d'une religion du but pour le
monopole du yang, excès pathologique d'humidité, de sensibilité,
de réactivité, de l'autre, sous l'égide d'une implication
d'ensemble totalitaire dans tout et rien simultanément, ce qui
égalise toutes choses et rejette toute initiative, pour le monopole
du yin.
2 ESQUISSE DES BRAS, RAISON ET INTUITION
|
D'un
côté se donner le change en n'ayant jamais une minute à soi, de
l'autre attendre que quelque chose se passe ad vitam aeternam.
Inutile d'incriminer notre cerveau dans la mauvaise gestion du
yin/yang. Il utilise son immense réservoir de possibles dans le sens
vers lequel le moi le pousse, et structure selon son propre mode nos
impressions. Il fait même son travail avec une application
remarquable et obtient des résultats probants des deux côtés. La
sâdhanâ par la raison peut mener très loin, à condition de
retrouver la qualité supérieure du mental, qui n'a pas besoin
d'agir, mais d'associer. L'intuition emmène certains mystiques et
artistes dans des modes de reliance pure dont le chemin n'a pas été
tracé ni par des arguments ni par des idées.
|
Si
nous savons utiliser les adversaires intérieurs pour des « prises
de conscience », nous nous rétablissons après les turbulences
en jouissant d'un équilibre supérieur. Nous aurons pris conscience
soit d'un trop plein rationnel — vouloir tout ramener aux causes et
au effets, soit d'un trop plein intuitif: sous prétexte de ne se
fier qu'à son propre « ressenti », certains paramètres
auront été oubliés au profit de préférences engendrant une
catastrophe. Voilà le projet pour les branches supérieures. Ni trop
condensé dans la politique du but, du contrôle, de l'aménagement
du « territoire », ni trop dilué dans le temps qui
passe, à se laisser couler sans de vrais chantiers à mettre en
place, fussent-ils seulement abstraits, comme une discipline du
savoir. La connaissance appelle un emploi du temps, lire, réfléchir,
l'Amour exige un travail sur le relationnel, un équarissage de la
réactivité pour ne jamais ramener l'autre à soi, mais le
comprendre tel qu'il est — hors de nos attentes. L'intégrité
nécessite un emploi du temps, s'occuper avec soin de son
alimentation, de son dosage, faire un peu d'exercice, éviter la
séduction.
Cela,
c'est l'équilibre, ne jamais forcer dans une orientation qui
deviendrait obsessionnelle, ou éliminerait d'autres champs
nécessaires. Mais dans les faits, il arrive qu'une épreuve nous
déstabilise, et l'on risque alors de vouloir s'en sortir en misant
sur les points forts. C'est exactement la mécanique de la nature
répétitive, qui peut s'obstiner dans des réponses inadéquates,
car elle n'en connaît pas d'autres. C'est souvent dans les grandes
épreuves qu'un changement de stratégie est le seul moyen
d'en sortir. Les très actifs, passionnés du contrôle, trouveront
l'issue d'une crise grave par un lâcher prise effectif dans
différents secteurs, et peu importe le temps qu'ils mettront à
trouver le sursaut positif dans le consentement à leur situation.
Pour les réceptifs, seule une décision « vorace »,
celle qui va les distraire du subir, va pouvoir les sauver: un acte
fondateur. Quand yin et yang sont mélangés, le rétablissement ne
se produit pas forcément plus rapidement, des hésitations faisant
passer le sujet en danger ou en crise d'une politique résolutive qui
échoue en s'épuisant vite / à un lâcher prise entaché de
résignation et de dépit, qui le sabote. Un éclaircissement finira
par l'emporter grâce à une stratégie radicale, soit un vrai lâcher
prise sans réticences, un authentique abandon sans ressentiment,
soit au contraire une volonté indestructible et guerrière,
remontant de l'instinct de conservation universel. Nous considérons
que nous sommes bloqués quand le yang et le yin s'immobilisent l'un
l'autre, et nous empêchent de trouver une solution. Dans ce cas, il
faut attendre en souhaitant trouver la tactique qui permettra de
deviner une issue, et qui sera radicale en disposant ainsi de toute
la force disponible du yin ou du yang pur. Si les deux principes
peuvent parfois se combiner sans dommage, dans les situations
extrêmes l'absolue volonté active ou l'absolu abandon passif
permettent des trajectoires plus adaptées. Le verbe tergiverser
signale que le yin et le yang nous proposent chacun leur concours
sans qu'on sache lequel choisir.
Etrangement,
quand des seuils apparaissent, que des sortes de termes inéluctables
se présentent contre l'assentiment du moi, les individus yang
s'enferrent dans des actions renouvelées, et ils auront beau en
changer sans résultat, ils préfèrent cette vaine répétition,
puisque c'est connu, à l'abandon. Ceci dit, certains — « tout
au bout du rouleau » — lâchent prise. Après avoir
toujours « fait », ils renoncent et se laissent envahir
par leur condition sans plus lutter contre elle.
LE
SECRET DU TAO:
La
politique suprême utilise deux stratégies différentes.
La stratégie yang s'évertue à produire du positif. La
stratégie yin s'évertue à supprimer le négatif.
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L'examen
des circonstances permet de déterminer s'il vaut mieux créer de
nouvelles conditions de toutes pièces ou s'il vaut mieux se
contenter d'éliminer les conditions défectueuses. Il est parfois
plus opportun de perdre l'obscurité que de gagner la clarté.
Le
yin évite la défaite, le yang vise la victoire.
Se
libérer du contentieux avant d'entreprendre respecte les deux
principes.
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3 EXERCICE DE VISUALISATION DE L'ETOILE A CINQ BRANCHES
Vous
vous identifiez à une étoile à cinq branches pour faire le tour de
vos possibilités.
Le
chef, placez votre conscience au milieu du front.
Le
bras droit, la raison, sentez le pouvoir de votre intelligence dans
cette partie du corps.
Le
bras gauche, l'intuition, placez votre réceptivité dans ce membre.
La
jambe droite, le désir et l'élan de la force vitale, pensez qu'elle
vous permet de marcher.
La
jambe gauche, la peur et le repli de l'énergie vitale, pensez que
cette partie du corps vous protège.
Le
pentagramme peut se regrouper dans deux ensembles. Le premier divise
l'étoile verticalement, c'est yang à droite (quand on regarde à
partir du corps) et yin à gauche, selon l'ordre des principes. Le
chef transcende les polarités et distribue l'ouverture ou la
fermeture, fait passer l'esprit de l'action à l'inaction, de la
pensée construite à la rêverie ou à la méditation. Il permet le
balancement de ce que l'on exprime à ce que l'on reçoit, à chaque
moment. L'activité et la passivité font la navette de l'une à
l'autre sous des dizaines de formes d'expression différentes, c'est
la structure même de la perception. Le fonctionnement mécanique
est gouverné par la Nature couronnée par la pensée, tandis que
le stratégique fait intervenir ce qu'on appelle un
feedback. L'individu dévoué à la Conscience, — au lieu
de vivre l'amalgame confus des sensations, des sentiments et des
pensées, se jette à corps perdu dans le système de sa perception,
et revient donc sans cesse sur son ressenti, non pour le renier, mais
pour l'évaluer par rapport à ses aspirations. Les raisons du
consentement à l'abîme indéterminé du présent sont provoquées
par un nombre de causes incalculables, qui entraînent toutes le même
mouvement de remise en question des contenus psychologiques. Nous
pourrions appeler cette naissance au regard neuf le grand
renversement universel, celui de la nature vers la Conscience par
l'intermédiaire ou médium du moi, — notre individu
qui se prête à ce jeu.
Ce
renversement nous stimule, mais l'erreur serait de nous l'approprier.
En fait, notre chef, ou notre âme, ou notre Soi supérieur décide
du moment où la différenciation instinctive — suivre son
caractère, tourne au basculement vers la différenciation cosmique,
la Voie, la sâdhanâ, qui mène jusqu'au Divin. Mais une fois cette
décision prise, que l'on peut considérer comme une concentration
extrême du yang, une combustion, c'est au yin de venir
contrebalancer cette puissante impulsion, et il s'agit alors de se
laisser entraîner sans calcul par l'aspiration dans un éventail de
sensations spontanées, délivrées du poids du regard de la pensée
constructive, avide de bâtir. Il est alors judicieux de confier à
la Conscience le soin de transformer la nature, car nous imaginer que
nous pouvons mener ce combat seul reviendrait à couronner
définitivement le yang, en oubliant toute notre nature passive et
ses immenses réservoirs d'impressions face aux grands cercles de la
réalité, la vie, l'intelligence, les forces universelles. Bien que
la démarche d'éveil nous concerne au premier chef dès qu'elle
s'établit, — puisque c'est la nôtre, si nous la regardons
depuis Sirius, notre propre aventure est celle d'un spécimen humain,
créé par un système, un tao qui le dépasse, et qui
transforme avec les deux principes (la volonté et la réceptivité)
le socle d'existence naturelle en matière transcendantale.
Notre
propre expérience tournée vers le Divin appartient autant à
l'univers dont nous dépendons, et dont nous sommes un fragment,
qu'elle nous appartient en propre. Si cet aspect n'est pas compris,
le yin reste à la traîne, l'adepte ne dispose pas d'une
confiance suffisante dans l'altérité, la grâce ou le Divin pour
mener loin sa quête. Il ramène par trop son expérience à son but,
et ce mécanisme empêche de tremper dans le bain exhaustif, hors de
toute attente. Et il s'imagine propriétaire alors qu'il n'est que
locataire. Nous pouvons imprimer sur notre pensée toute notre
volonté, cela ne constitue que la moitié de son rendement. Dans
l'écoute absolue, dépourvue de toute finalité, notre esprit est
tout-à-fait à même de recevoir de l'univers ce qui lui est
nécessaire, sous de nombreuses formes qui descendent et nourrissent
l'aspiration. Le spécialiste du yang ne développe pas assez
le bras gauche qui, dans son office conscient est toujours tourné
vers la souveraineté de l'Un, vers la suprématie du Divin, qu'on
l'aborde sous une forme statique, le Soi, ou sous une forme
dynamique, l'éventail des shakti divines. Tandis que le
sâdhak, l'aspirant accepte
humblement d'être travaillé par l'évolution et d'y collobarer en
consentant à l'opposition conflictuelle du yin/yang, et qu'il
apprécie son rôle d'instrument, l'ésotériste se contente d'un
accord entre ses représentations métaphysiques et son existence,
sans se douter de l'immense pouvoir du Divin. Il demeure donc dans le
déni d'une soumission innocente, par laquelle la réceptivité
développe des pouvoirs de ramification infinie aux énergies
supérieures.
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Les
indices sur la suprématie de l'instrument qui reçoit la totalité
(davantage qu'il ne la capture) ont déjà été fournis dans la
Bhagavad Gîtâ, la notion du naïshkarma, le non agir taoïste, la
vision de Plotin, Jésus, et bien entendu de rares témoignages. Même
si les mystiques évoquaient autrefois qu'ils acceptaient
intégralement « le joug de Dieu », la rareté de leurs
paroles pouvait passer pour une sorte de preuve a contrario qu'il ne
s'agissait là que d'une sorte de parti-pris personnel, puisque
d'autres éveillés, beaucoup plus nombreux, prétendaient au
contraire que cette reconnaissance était inutile ou infantile. Ou
encore la trace sentimentale de la nature dans une perception élevée,
en quelque sorte souillée par cette « identification ».
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Ces
deux paradigmes de l'abandon au Divin (surrender) et de la volonté
réalisatrice se complètent. L'autonomie, soit le grand yang,
constitue une phase absolument nécessaire pour se dépouiller de
toutes les scories du yin inconscient, toutes ces appartenances
tenaces et obscures fondées sur des conditionnements, des
attachements et des croyances, des modèles hypnotiques, des
imitations esthétiques, des visions pragmatiques en trompe l'oeil.
Sur le chemin incessant, le grand renversement ne cesse jamais
d'opérer, et les phases opposées, loin d'être contraires, révèlent
les aspects fondamentaux des principes aussi bien que les fondations
du moi. Un sentiment de liberté triomphal au bout d'une ascèse
infiniement subjective, peut laisser la place à un espace imprévu
dans lequel ce qui semble le moi se dissout, révélant un
vaste témoin, qui a nul besoin
des qualités de notre propre caractère pour goûter le monde. Et
plus loin encore, mais tout aussi accessible pour celui qui s'enfonce
dans la dialectique entre la nature et la Conscience, apparaissent
des identités universelles et immatérielles, qui s'emparent
provisoirement du moi, et qui n'ont nul besoin de ce qu'il y a de
particulier dans la personnalité pour s'exprimer en chaque
évoluteur. Voilà le topo,
si nous poussons loin le développement potentiel de l'étoile à
cinq branches. Le purusha
(témoin immobile) humain
lié à une forme animale largement développée dans la nature, la
lignée des primates, ne possède pas de limite supérieure, et
découvre au-dessus ce qui mène à l'immortalité, alors que la
limite inférieure, elle, est indiscutable pour le moment, —
c'est l'érosion du corps et la mort. Nous ne faisons rien d'autre
qu'apprendre très lentement à nous soumettre aux lois cachées
qu'entraîne notre souveraine verticalité. Notre délicat équilibre
nous maintient droit entre la précipitation qui fait tomber tête la
première, et la procrastination qui fait tomber tête en arrière.
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Le
clin d'oeil du Tao:
précipitation
et ajournement sont identiques.
Yang excessif et yin excessif sabotent le
cours des choses.
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4 LA RESISTANCE DU REEL AUX PREROGATIVES DU MOI
La plupart des maîtres
incitent à prendre très au sérieux le monde phénoménal sous
prétexte de s'en libérer. Les discours autorisés font croire que
l'individu joue un rôle immense dans son accès au spirituel. Si ce
point est exact dans les premiers degrés de l'ascension, vient un
moment où l'être est pleinement consacré, à l'abri des erreurs
communes et des tentations symboliques, devinant spontanément
n'importe quel piège, et c'est alors en s'abandonnant plus loin
encore qu'il peut recevoir l'influx divin. Même si nous sommes
responsables de notre orientation, et faisons tout le nécessaire
pour ne pas nous laisser détourner, nos prérogatives sont faibles
dans notre propre avancée, aussi bien parce que la nature est plus
puissante que nous, que par le fait incontestable que seul un pouvoir
transcendant, bien au-dessus de notre volonté propre, peut la
transformer en profondeur. En tout cas, si nous voulons évoquer une
évolution sans limites, c'est de cette manière qu'il est nécessaire
de présenter les choses. Tout progrès accompli, quel que soit notre
mérite, reste la possession du Dao ou du Brahman, et le signe de
l'Unité. Un emploi plus efficace de la vérité est possible, à
condition qu'elle ne nous appartienne pas, mais soit le souffle du
Divin Lui-Même, qui se délègue en notre action.
Ce
qui nous intéresse, c'est le modèle stratégique, — sa
compréhension nous permet de transformer la manifestation générique
de la nature, d'échapper à ce qui devrait arriver dans le seul fil
d'une vie animale, légèrement rectifiée par le pouvoir de
conjuguer, cette caractéristique évolutive nouvelle qui fonde le
statut de l'homme. Le modèle mécanique correspond à l'être
humain qui n'a pas encore été appelé par la Conscience. La tête
s'amalgame aux quatre branches, et aucune transformation n'est
possible, seules de petites modifications découlent des crises qui
auront vu le jour quand les fonctions auront été empêchées de
fonctionner de concert. L'individu « naturel » reste
homogène en dépit de quelques blessures, et ne combat pas
l'ignorance, comme dirait Gautama... et les sages de l'Inde. Il ne
cherche pas non plus à goûter Dieu comme le désirent les saints,
les Hassidim, les soufis, les bhaktas. Il n'est pas davantage appelé
à soupçonner l'extraordinaire bénéfice d'une perception de
l'esprit délivré du but d'obtenir, ce que chantent les éveillés
de la non-dualité. Mais à partir du moment où il y a aspiration à
la conscience, quelque chose de nouveau se met en marche, —
l'étoile à cinq branches révèle un potentiel enfoui, les
fonctions peuvent rejoindre les organes d'une manière plus
authentique. A ce moment là, la tête devient le chef, celui qui
commande. Auparavant, c'était la tête pensante et réagissante,
incapable d'aucune prise de décision effectuée en profondeur et
qui autorisait des expressions brutales des bras, comme par exemple
des jugements à l'emporte-pièce, des constructions défectueuses de
valeurs partisanes, et des pas en avant hasardeux suivis de pas en
arrière offensants, tels ces engagements sexuels et affectifs partis
trop loin devant la capacité de les assumer, et qui finiront par des
reculs conséquents de toutes sortes, accompagnés de désordres
certains. Des replis humiliants, comme les deuils interminables, les
sentiments de vengeance inexpugnables, les dépressions
interminables, les divorces sanguinaires. Des troubles ou maladies
psychosomatiques succèdent à des élans fulgurants qui n'ont
pas été intégrés par l'ensemble du moi après des pertes qui
s'avèrent irréparables.
Cet
état de choses, l'implacable revanche de la réalité quand nous ne
savons pas mener correctement des investissements intenses a toujours
été observée par les êtres profonds, comme Bouddha et les
philosophes présocratiques, qui ont laissé entendre que les
identifications n'étaient pas innocentes, souvent dangereuses, et
que c'était donc un soulagement de pouvoir trouver des éclaircies,
des champs de présence dans lesquels l'esprit pourrait se contenter
de son être au lieu de se nourrir des objets que la nature convoite.
L'ataraxie et la méditation contrebalancent l'activité gourmande
des processus naturels, et séparent le mental de son amalgame avec
les jambes, ce qui lui permet de découvrir un nouveau
fonctionnement, en cessant de poursuivre. Car le fait est là, le
mental, avant la libération, poursuit toujours quelque chose
d'extérieur, le mouvement sourd du bas, du corps et des ses besoins,
et quand il ne trouve pas d'objet auquel s'identifier, sa course
continue quand même, entraînée par la vitesse comme s'il devait
toujours fureter, courir, capturer une pensée quelconque, ou
attraper un désir. C'est la marche du monde consignée dans les
meilleures Ecritures, les pensées sont-elles réelles, étant donné
leur volatilité, leur existence si brève qu'aucune ne peut durer,
ne faut-il pas apprendre à déterminer leur origine, leur direction,
leur but, les maîtres qu'elles servent dans leur diversité, les
couleurs auxquelles elles s'attachent ?
Epicure
s'était avisé de la difficulté d'utiliser la pensée, lui qui
savait que digérer constitue une opération complexe, aussi bien
dans le corps que dans l'esprit. Oui, le mouvement nous entraîne
plus loin que là où nous pouvons le maîtriser sans violence, sans
effort, sans intimidation, sans crainte, sans drame, et l'obligation
de faire machine arrière aussi spontanément qu'on s'est lancé
auparavant, c'est cela aussi la loi de la nature — et elle
rétablit l'équilibre. Dans le moi, trop de yang finit par
produire, quand il échoue à augmenter le contrôle, l'arrivée d'un
yin indéterminé, archaïque et grossier, en quantité inhabituelle
et insurmontable, qui s'empare de la perception, la renverse dans
l'interrogation compulsive. Voilà le sujet aupravant sûr de lui,
jeté en patûre à la réalité plus vaste qu'il reniait en
fabriquant son propre monde. Les tenants et aboutissants de
l'identité s'effondrent — et la révélation humilante d'être
englouti dans un monde inconnu qui ne répond plus aux ordres qu'on
lui donne se substitue à l'ancienne stratégie de conquête,
anéantie. A l'inverse, quand l'habitude de surfer sur les événements
sans les diriger tombe sur une vague trop haute, la stratégie du yin
agonise, et une immense insatisfaction brûlante se développe,
maintenant que la plasticité ne suffit plus à résoudre, et qu'un
problème insoluble se dresse. Le moi découvre des sentiments
jusqu'alors inconnus, la rage, la colère, l'opposition forcenée, le
conflit à couteaux tirés qu'aucun compromis, qu'aucune ruse
n'apaise, tandis que ne rien faire, en ce cas précis, serait
suicidaire. Un mur de verre épais s'est installé entre le sujet
déconfit et l'univers-Un, tandis que la révélation jusque-là
ajournée par le yin triomphal dicte son verbe inattendu: je suis
une entité séparée du reste, je suis autre chose qu'une simple
suite d'appartenances à et d'adhésions ponctuelles, et d'adhérences
systématiques. Je dois survivre en ne collant plus à quoi que ce
soit !(§ Pluton)
Les
échecs violents mettent un frein à l'arrogance, à la vanité tout
autant qu'à la naïveté, à l'imprudence comme à l'incompétence,
et dans la perspective la plus éclairée, ils brisent les limites
tout en les révélant. Cette dernière vérité est suffisante et
nécessaire pour accepter toutes les épreuves, dont le sens absolu
est de découvrir davantage de conscience. Dans le domaine de
l'action, la cause de l'imperfection ou de l'échec est alternative.
Soit la déception et l'humiliation proviennent d'un investissement
totalitaire — le fantasme du pouvoir absolu, soit d'un
investissement déficitaire, avec une implication beaucoup trop
faible ou élastique ou encore mal orientée, du sujet vers son
projet. Une fois de plus, le yin et le yang se disputent l'espace,
même celui des incapacités humaines, même celui des combats,
perdus par orgueil ou lâcheté, perdus par le triomphe de la
rigidité ou celui de la mollesse, perdus par l'autoritarisme ou le
laxisme. D'un point de vue mécanique, cette politique fonctionne au
petit bonheur la chance: le destin se charge des décisions
qu'on est incapable de prendre. Mais la vie est coriace. Quand une
stratégie s'avère absolument inefficace, l'amorce d'une
autre possibilité finit par poindre tandis que la mort s'avance, une
stratégie incalculable, aux manœuvres contraires, inattendues,
neuves, absolument inconnues. La vie ne se laisse pas détruire
facilement. Les orgueilleux se sauveront par l'humilité. Les lâches
par la volonté.
5 L'IMPERFECTION DU SYSTEME MECANIQUE, LA SOMATISATION
La
nature sait réparer la plupart des blessures, et le mouvement à
l'aveuglette vers l'autre, vers la vie, vers le monde ne pénalise
pas par principe le singe debout. Il tire en général une petite
leçon des mauvaises expériences, ne remet pas la main sur le feu,
et applique le principe de précaution a posteriori. Mais
certaines blessures, trop graves, laissent des traces dans le moi, et
entraînent une sorte de dysfonctionnement chronique des cinq
branches de notre étoile. Les faits sont là. L'accumulation de
mémoires négatives qui vont se loger un peu partout dans le corps,
et qu'il sera difficile de déloger par la suite. La structuration du
cerveau limbique par des événements insupportables, dont le
souvenir viendra frapper régulièrement le sujet, est aujourd'hui un
fait avéré, tandis que les remèdes sont aléatoires. Le soldats
revenus de guerre, les femmes violées, les enfants qui assistent à
la mort accidentelle de leurs parents pour la plupart ne s'en
remettront jamais complètement. Ces considérations tragiques nous
rappellent que notre fonctionnement dépasse largement nos
prétentions de maîtrise. Vivre nous impose parfois des états d'âme
insupportables. Ce pauvre corps humain possède des lois qui lui sont
propres, dont une grande partie échappe à toutes nos prérogatives.
Presque toutes sont identiques à celles qui régissent la vie d'un
chimpanzé. Si nous abandonnons le caractère mystique du
supramental, il n'en demeure pas moins que nous avons à notre
disposition une énergie colossale, qui est justement capable
d'investir le corps là où nul autre pouvoir ne peut aller, ce qui
ouvre enfin des perspectives de libération profonde du passé, comme
le précise Sri Aurobindo dans son dernier ouvrage, la
manifestation supramentale sur la Terre. Ce serait donc un
progrès considérable pour l'espèce de parvenir, même en petit
nombre, à contacter cette Force pour lui permettre, entre autres
performances, de nettoyer le contentieux contracté avec les ancêtres
— qui ont forcément souffert et accumulé quelques scories que la
nature nous transmet, dans le caractère, le fonctionnement des
organes et leurs faiblesses pathologiques, et sans doute jusqu'aux
gènes programmateurs.
6 LA MATIERE MEMOIRE TRANSFORMÉE PAR LE DIVIN
Nous
voilà en train de donner une nouvelle signification à l'étoile à
cinq branches. Possédée par la nature, elle est l'homme, mais elle
contient un potentiel infini. Le cerveau animal devient humain par la
pensée, et attire le Divin sur lui, par les chakras, dès que
son possesseur se voue exclusivement à la Voie, et qu'il y parvient.
Le côté droit supérieur améliore sa rigueur autant que le côté
gauche supérieur améliore son écoute exhaustive. La rigueur peut
être considérée comme un des aboutissements parfaits du yang,
comme l'écoute non réactive, transparente, libérée des affects et
des préférences/aversions peut être considérée comme un
aboutissement parfait du yin. Cette égalité dans le
développement favorable de chacun des deux pôles demeure nécessaire
à n'importe quelle étape, jusqu'à l'impact du supramental sous la
boite crânienne, qui fait pétiller tout le cortex. L'énergie
divine choisit les lieux où travailler dans la matière cellulaire,
et suit un plan qui lui appartient, tandis que l'évoluteur peut
aussi l'appeler dans des zones pour un travail particulier, auquel
elle répondra. Nous voilà donc au cœur d'une réalité nouvelle
que nous n'aurions pas pu aborder si nous n'avions pas auparavant
établi la fragilité du moi, non seulement par rapport à l'univers
par sa brièveté d'existence, mais par rapport à lui-même,
puisqu'il ignore une bonne partie des processus qui agissent en lui,
et le manipulent au-delà de ses intentions. Toujours propres les
intentions, semble-t-il. Mais l'Histoire est avant tout un champ
après la bataille, jonché de morts, qu'on nettoie le temps de
préparer une nouvelle guerre. Et si nous cherchons des coupables,
nous ne les trouvons pas. C'est la nature, qui préfère la vengeance
au pardon, la vengeance à la résilience, la vengeance à l'oubli.
C'est
toute cette matière qui s'énorgueillit de pouvoir survivre par tous
les moyens, ce sont les dents, les griffes, les ongles, qui assurent
une immortalité anonyme à des espèces rapides qui fabriquent leurs
membres à la chaîne, et qui ne vivent que pour cela, perpétuer
l'espèce. Nous sommes au sommet de cet édifice mystérieux, tout en
haut du mystère de la vie, de la matière qui se réplique, sans
qu'on sache même quelle est l'utilité de la chose dans l'univers
des quasars et des trous noirs, qui flirtent avec l'éternité. Nous
ne sommes donc pas tout ce que nous croyons être, nous sommes
davantage si nous devinons le Divin derrière les apparences, et nous
sommes moins si nous banalisons l'être au point de nous sentir les
seuls maîtres de notre vie éphémère, comme si nous l'avions
produite nous-mêmes. Nous marchons sur des millions d'années
pendant lesquelles le singe debout s'est constitué pour finir dans
notre moi aussi triomphal que maladroit, face au passé sanguinaire
et douloureux codé dans les mémoires corporelles, face à l'avenir,
le grand industriel de la déception, et face à notre propre
constitution animique, qui résiste tant que faire se peut à notre
soif du Divin. Mais s'il existe un levier, et Sri Aurobindo l'a
établi, nous pouvons l'utiliser. Il sera d'abord forgé en
nous-mêmes, puis il soulèvera les montagnes.
7 LE LEVIER INTERIEUR
|
Chacun promène avec
soi, dans son atmosphère, ce que Sri Aurobindo a appelé « les
Censeurs »; ce sont en quelque sorte les délégués permanents
des forces adverses. Leur rôle est de critiquer
impitoyablement chaque acte, chaque pensée, le moindre mouvement de
la conscience, et de vous mettre devant les ressorts les plus cachés
de votre conduite, de mettre en évidence la moindre vibration
inférieure qui accompagne vos pensées ou vos actes les plus purs,
les plus hauts. Mère, février
1958
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Quand
le chef, la tête couronnée, consent à faire fonctionner le yin et
le yang en les réconciliant, il produit une opération alchimique.
Il marie l'actif et le passif qui normalement s'évitent ou alternent
automatiquement, et décide de leur retournement le plus opportun. En
intervenant avant l'alternance naturelle, on prend donc de court
l'habitude et, par exemple, on passe du yang au yin au moment où
l'on allait se mettre en colère en arrêtant l'expression agressive
tout en absorbant la situation enfin consentie. Il est recommandé de
décharger son agressivité en jouant avec quelques gestes qui se
détournent de la personne qui nous a fait sortir de nos gonds. Les
jambes se libèrent ainsi sans affecter les bras. On peut en sens
inverse se libérer des dépendances et des influences quand on sent
qu'elles deviennent addictives ou privent d'autonomie, par un effort
de volonté conscient que la nature d'elle-même, ou l'être
ordinaire, ne parviendrait pas à mettre en place. On peut ainsi
s'empêcher de répondre au téléphone, quitte à faire un effort,
plutôt que de se lancer à nouveau dans un échange d'invectives en
décrochant. Certains parviennent à remettre une cigarette dans leur
paquet, au prix d'une sorte d'exploit, assez souvent pour se libérer
peu à peu du tabac. C'est donc de cela qu'il s'agit, briser le
rythme de la nature qui bien souvent impose une action incoercible
en se moquant des conséquences, ou poursuit un processus de retrait,
de repli, de fermeture ou d'abandon défavorable, mais qui semble
inévitable — le cerveau ayant inhibé les forces de résistance.
L'évoluteur
établit un pouvoir décisionnel qui fait bifurquer l'usage du temps,
avec ce que l'on pourrait appeler un apprentissage du « choisir »
qui mène de jour en jour à plus d'attention et davantage d'intérêt
pour ce qui est essentiel. Le moi habile sait quand employer la
raison, quand se laisser aller à l'intuition, à l'association libre
de pensées, par exemple en marchant dans la rue, et même cette
activité qui pour un être humain ordinaire ne serait que de la
rêverie, devient nourrissante pour l'évoluteur, qui voit certains
recoupements s'effectuer sans que son esprit oriente ses impressions.
En se développant, il devine les conséquences majeures d'un acte
qui l'appelle, et sait s'il doit s'en abstenir ou l'entériner. Dans
cette dialectique entre le raisonnement causal et le ressenti global
qui sait ou anticipe sans avoir besoin d'arguments, se développe le
début d'une nouvelle conscience, extrêmement souple, qui se détache
de l'idée d'aboutir, propre au yang, et qui goûte tous les instants
selon leur propre nature en cessant de forcer les opportunités,
contrairement au fonctionnement mécanique qui méprise le yin, et
s'attache aux verbes du mouvement: Viser, cibler, obtenir, calculer,
diriger, contrôler, réussir, convaincre, soumettre, dominer,
atteindre...
Nous
devons revenir un peu sur la prédilection de notre culture pour
évoquer le conditionnement socio-culturel que nous avons tous
enduré. Vivre pour obtenir, obtenir pour réussir. Les trajectoires
rentables se dessinent facilement, les buts se réalisent avec des
études de faisabilité, de marché. Le bonheur s'obtient par des
recettes, la réussite matérielle étant considérée comme une
entreprise qui obéit à des lois prospectives précises, des
règlements bien établis, des contrats sans avenants. L'erreur
dualiste, qui a empêché la philosophie d'avancer, a été d'établir
une suprématie de la raison sur le ressenti, de la pensée sur le
corps, du masculin sur le féminin, et finalement du projet sur le
fait, de l'avenir sur le présent — l'apothéose en quelque sorte
du culte voué à la divinité de la Raison. Nous trouvons cette
religion fanatique de l'avenir tout au long du dix-neuvième siècle,
sous de multiples formes, utopiques, religieuses, économiques ou
politiques, et pour le moment nous continuons de sacrifier à l'idole
notre présent, écrasé par nos erreurs passées autant que par nos
dettes qui attestent de l'achat inconséquent du futur par un présent
figé dans le passé. Le risque inhérent à la pensée rationnelle,
c'est de calculer l'avenir — sous prétexte qu'il sera meilleur —
et de passer à côté du présent, sous prétexte qu'il n'apporte
pas assez de choses, toutes ces promesses fallacieuses placées dans
la durée devant soi, qu'on tend à s'approprier par la vitesse. (Pas
de chance, plus on court vite vers le futur, plus il s'adapte à
l'accélération). La pensée rationnelle toute seule, le bras droit
de l'étoile archétype, est extrêmement dangereuse, et peut
toujours pousser plus loin ses prérogatives et ses illusions.
Descartes représente bien le penseur qui en abuse, et se trompe
souvent. Ce penseur, qu'il convient de citer puisqu'il est un des
emblèmes de la France, éprouva pendant quelques minutes des
intuitions remarquables, avant que la vision ne s'évapore. Il s'est
alors mis en tête de la retrouver, en remuant des pensées, et a
bâti tout un système qui ne l'a jamais remplacée. Je dirais qu'il
s'est fait embobiné par la raison. La logique sautillante l'a
carrément escroqué et envoûté à tel point qu'il croyait les
animaux dépourvus de sensibilité parce qu'ils n'ont pas de mental.
Dans notre approche, nous pourrions dire que le bras droit a essayé
vainement de faire le travail du gauche, jusqu'à fausser l'esprit
dans un seul moule de perception. La nature n'obéit pas à nos lois,
mais à des processus cachés. Elle accepte de paralyser un bras ou
une jambe si l'esprit évite jusqu'à l'oublier l'usage de ce membre.
En
ce qui nous concerne, la raison restera à notre disposition pour
obtenir la rigueur intellectuelle, pour découvrir les choses qui se
tiennent, pour déterminer des embranchements, pour prouver,
démontrer, et, d'une façon générale, pour établir les aspects de
la Réalité qui résistent à l'impermanence, dans notre vie, dans
la société s'il y en a, dans l'Histoire et sur la Terre. La raison
possède un côté rassurant, elle donne l'impression de pouvoir
poser ses pas dans des empreintes indiscutables qui décident du
chemin, mais ses vérités ne sont malheureusement que des
exactitudes. C'est du solide en apparence, mais cette solidité est
provisoire. En physique, les théories se détrônent à qui mieux
mieux, et elles sont toutes parfaitement logiques. La raison, oui,
mais ce n'est qu'une forme particulière de l'imagination, une
forme active qui quadrille le temps et l'espace, fabrique des puzzles
géométriques, et établit quelques points de repère. Or, il
demeure l'énigme de ce qui entoure ses constructions, il reste à
identifier le pourtour des systèmes, l'avant des causes, qui ne sont
pas toutes originelles, et l'après des mouvements, qui se perdent
dans de multiples conséquences dont la plupart sont imprévisibles à
long terme, comme le démontre l'effet papillon. L'intuition serait
plutôt la forme passive de l'imagination grâce à laquelle
les « recoupements » se font tous seuls, sans analyse —
à moins que celle-ci ait été opérée à un autre niveau,
inconscient ou subliminal.
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Le
moi subliminal s'étend derrière et soutient l'ensemble de l'homme
de surface; il recèle un mental plus large et plus efficace derrière
le mental de surface, un vital plus vaste et plus puissant derrière
le vital de surface, une conscience physique plus subtile et plus
libre derrière l'existence corporelle de surface. Au-dessus de ces
niveaux, il s'ouvre aux étendues supraconscientes, de même qu'en
dessous il s'ouvre aux étendues subconscientes inférieures. Si l'on
veut purifier et transformer la nature, c'est au pouvoir de ces
étendues supérieures qu'il faut s'ouvrir et s'élever afin, par
elles, de changer non seulement l'être subliminal mais l'être de
surface.
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Sri
Aurobindo cité dans l'agenda de Mère janvier 1962
L'intuition
n'a pas besoin de causes ni d'effets, elle rassemble plutôt, sans
ordre chronologique, des matériaux signifiants qui forment alors un
ensemble qui enracine l'esprit dans sa vision. Sa prescience de
l'homogène est beaucoup plus large que celle de la raison.
D'autre part la pensée yin,
par nature, surplombe l'ordre de la succession et ne se laisse pas
prendre aux règles du mouvement. Elle peut épouser l'intemporel et
se soustraire à la mécanique des enchaînements des
représentations. C'est le vice de la pensée active d'éliminer de
nombreux objets qu'elle juge a priori ne pas faire partie d'un
ensemble qu'elle cherche à reconstituer. L'intuition au contraire ne
se prive pas d'établir des relations entre des objets qui semblent
au premier abord n'avoir aucun rapport entre eux, et c'est souvent de
cette manière-là que des compréhensions fondamentales
s'effectuent, que des meurtriers sont découverts, que des secrets de
famille explosent en pleine figure. Les apparences cachent des
similitudes que la pensée passive peut recevoir à travers d'infimes
indices, d'autant que le yin, le réceptif, se développe en
bénéficiant de la confiance du chef dans le bras gauche. Elle est à
l'œuvre dans la poésie, dans la lecture des correspondances
d'un Paracelse ou d'un Albert Legrand. Elle inspire Bergson qui se
détache de l'Histoire pour penser les fondamentaux, elle saisit
Theilard de Chardin, tarabuste saint-Augustin qui tourne autour du
temps comme un amoureux fait sa cour, elle chuchote au mystique des
paroles ineffables qui lui permettront de voir les empreintes du
Divin là où l'homme ordinaire n'aperçoit aucun signe. Elle se
donne souvent au moine qui éloigne sa pensée et regarde un arbre se
pencher sous le vent, tandis que « l'esprit » déroule
ses impressions mesquines. Elle place le moi, soudain, dans une
dimension immense qu'il ne percevrait pas sans son appui qui efface
les représentations rapides. Elle brise les murs de verre posés par
la raison entre différents domaines qui apparaissent séparés pour
l'analyse, mais que l'intuition sait unis dans la réalité
insécable, en dépit des difficultés à repérer leurs rapports
respectifs par des arguments. Elle se penche, l'intuition, sur qui
rêve du souffle de Dieu ou qui souhaite recevoir le Vide, dans
lequel se seront libérés de leur propre existence les prédécesseurs
pour embrasser celle de tous les êtres, après avoir senti le penser
s'éteindre. L'intuition n'est pas une petite affaire, la preuve en
est que la méditation constitue le moyen ou l'appât pour
l'attraper, selon que l'on est détaché ou non de ce qu'elle est
censée apporter. Et plus on en attend, moins elle donne, ce qui est
le leitmotiv du tch'an et du zen.
Sur
la haute cime d'une montagne
ne
se voit que l'espace infini.
Comment
s'établir dans la méditation, nul ne le sait.
La
lune solitaire luit dans la mare glacée,
mais
dans la mare il n'y a point de lune;
la
lune est dans le ciel bleu de nuit.
Cette
chanson est chantée à présent,
or
il n'y a pas de tch'an dans la chanson.
Chanson
de maître Shan.
L'intuition
correspond au bras du côté gauche dans l'ordre des principes,
est-ce un hasard si c'est celui du cœur ? — Elle nous permet de
recevoir des réponses au moment où l'on sait se faufiler dans une
ramification supérieure, quand on se sent relié d'une manière plus
ample, plus profonde à ce qui nous entoure « indistinctement »,
tandis que le sentiment d'une légitimité indéfectible de notre
être vient donner au présent une touche immortelle. Ce ressenti ne
proviendra pas d'un raisonnement ni d'une accumulation quelconque de
concepts, mais d'un ralentissement, comme si le cerveau respirait et
laissait de coté quelque temps son ordinateur acharné. La méthode
du stratège peut donc consister à ne jamais sacrifier la droite à
la gauche ou réciproquement, à savoir utiliser l'analyse des faits
dans la difficulté, à savoir se laisser guider quand la
satisfaction d'agir, holistique, suit un chemin d'épanouissement. Le
risque à droite est de vouloir contrôler son voyage par des
constructions remplies de cibles et de buts qui se succèdent. Le
danger à gauche est de vouloir se relier en ne suivant que des
signes, dont on finira par inventer le sens quand ils cessent de se
présenter, sans se rendre compte qu'on établit soi-même
l'itinéraire avec de faux indices — plutôt que de reconnaître
une impasse.
Voilà
donc les mécaniques exclusives, soumettre le chemin à la dictature
d'une vision anticipée par des architectures conceptuelles, qui
forceront, vainement, la réalité à s'adapter, ou bien tracer sa
voie selon ses préférences combinées à du flair, tout en
prétendant qu'elle se manifeste d'elle-même à travers quelques
points de repère irréfutables. Dans ces deux trajectoires, la
subjectivité finit par l'emporter, une moitié du monde est rejetée,
une moitié du cerveau est abandonnée. D'un côté le carré fait la
loi, le calcul est une prière et l'acte gratuit un blasphème; de
l'autre côté le cercle règne, le but est suspect, la destination
un leurre, et si l'on se méfie des idoles matérielles et des ruses
de l'ego, ce n'est pas pour autant que tout se fait tout seul, comme
le voudrait la théorie. Les amants du carré se trompent aussi
facilement de buts que les amants du cercle se trompent de paysage et
de ramification, quand ils s'endorment dans des paradis sans
conviction, des sérénités sur mesure, des lâcher prise
obligatoires, des abandons certifiés conformes, autant de formes du
yin encore soumises, par en-dessous, à la dictature du yang.
S'il faut faire attention avec la pensée active à ne pas devenir
victime de son besoin d'initiative, et drogué au projet, la pensée
passive est tout aussi dangereuse, puisqu'elle nourrit toujours
sournoisement quelque attente, courtise la Totalité par toutes
sortes de séductions à défaut d'être reconnue par elle. Elle
finit par attendre des récompenses du hasard, tandis qu'elle est
prête à s'agréger facilement à quelque chose qui se présente
sous des auspices flatteurs. Voilà donc à quoi nous avons affaire
quand nous voulons sortir de l'impasse de l'espèce naturelle
— accablée par le yang archaïque de la violence, de la domination
et du conflit, et accablée tout autant par le yin archaïque de
l'inertie, de l'indifférence, du mépris de l'effort, du laisser
faire, de la séduction ou encore de la soumission. Le stratège
évolutif évitera l'illusion d'un chemin tracé d'avance par la
volonté d'obtenir, autant qu'il échappera à l'illusion d'un chemin
qu'il suffit de suivre sans jamais en vérifier l'orientation,
charge à un Divin imaginaire de l'indiquer.
8 LES JAMBES OU LA NATURE
Les
jambes nous font avancer et reculer, ce qui est le mouvement même de
la vie.
Le
membre inférieur droit, c'est l'élan vers le gratifiant, ce que
Bouddha appelait le désir... et sa déclinaison magique, la
convoitise yang et la frustration yin. Nous ne sommes plus dans
l'ordre de la pensée, nous entrons dans celui de l'organisme.
Manipulé par le désir, l'organisme vit pour survivre. La nature est
bien organisée, et se moque du mental qui prétend s'étendre en
avant et en arrière de l'immédiateté, avec la mémoire et le
projet. Cela explique que beaucoup de philosophes et de théologiens
ont relevé une opposition fondamentale entre le corps et l'esprit —
dans de nombreuses cultures fort éloignées les unes des autres.
L'esprit serait idéaliste, mais toujours empêché de suivre son
idéal jusqu'au bout, à cause des passions, des besoins physiques,
de la « struggle for life », ou encore à cause des
« survivances dynamiques » selon notre terminologie, ces
processus codés dans les cerveaux limbique et reptilien, qui
appartiennent non au mental (cortex) mais à la mémoire de
l'évolution. Dans la jambe droite, nous logeons les pulsions, les
impulsions, l'appétit, l'élan vers, le mouvement dont on attend des
satisfactions, l'expansion gratifiante, ce genre de choses qui nous
relie à la vie avec une connotation de plaisir, de jouissance et de
développement, comme l'animal qui veut jouir de la vie, sans que le
specimen n'ait à se mêler d'encourager cet élan. (D'ailleurs, il
est remarquable d'observer que ce processus se prolonge chez l'homme
à l'identique. Si les individus peuvent se targuer chacun d'une
philosophie différente et de valeurs opposées pour se tuer au nom
des Idées, ils sont tous égaux devant le désir sexuel. Nul n'y
échappe et le fait de choisir son genre n'abolit pas le processus
d'attirance sexuelle). C'est puissant l'animalité. La jambe droite
représente donc ce qui nous permet d'aller de l'avant, puisque le
vital a envie d'aller de l'avant, de s'enivrer de sensations étant
donné que — contrairement au mental, il ne connaît que
l'immédiateté — la seule chose dont il peut profiter. Il aime se
donner à des actions et recherche des performances. La stratégie
consistera donc à conserver la force du vital mais pour atteindre
des objets supérieurs au plaisir sensuel et à la satisfaction
egotique de la réussite. Autrement dit, « le désir »
peut se mettre au service de l'Idéal. Des satisfactions nouvelles
apparaissent dans des activités non sensuelles, non pragmatiques,
qui n'enrichissent que l'intérieur. Ces nouvelles implications
tracent la voie de la connaissance, permettent la sublimation,
s'ouvrent à des expansions indéterminées dans des champs de
compétence toujours plus subtils.
Le
stratège entreprend donc de relier les jambes aux bras et au chef.
La
jambe gauche, c'est ce qui nous permet d'aller vers l'arrière,
c'est-à-dire qu'elle gouverne tous les phénomènes de peur, de
rejet, de menaces, de repli, et en dérivant elle gère la honte,
sentiment passif par excellence, qu'il est très difficile
d'extérioriser, comme le montre l'exemple des femmes violées qui
taisent le préjudice subi. La jambe gauche de l'étoile pointe la
sensation de danger, et recule pour provoquer la fermeture, dans le
but d'une protection. Les deux mouvements, aller en arrière, battre
en retraite, rejeter — ou s'élancer et se projeter, entreprendre,
embrasser ou même attaquer, se produisent dans le monde naturel par
simple réaction, et alternent avec une homogénéité déconcertante,
comme le jour et la nuit, en passant par des phases intermédiaires
qui correspondent à l'aube et au crépuscule. Et c'est justement
parce qu'il n'y a pas de hachures entre les deux, qu'un esprit
ordinaire ne se rend pas compte qu'il oscille entre une dynamique de
la pensée vers l'objet — un processus dirigé, et une jachère
dans laquelle les pensées se font toutes seules sans qu'elles
soient orientées. Cet automatisme mécanique est si ancré que
l'existence se fait ainsi au petit bonheur la chance, les
pensées amenant toutes sortes d'impressions à la perception dans
laquelle tout et n'importe quoi peut jaillir, jusqu'à ce que le moi
perde les pédales devant un obstacle conséquent. Beaucoup d'hommes
trouvent légitime de donner libre cours à leur impatience et toute
leur vie ils s'identifieront à leur colère à la moindre
résistance, elle fait partie d'eux, comme il y a beaucoup de femmes
sentimentales susceptibles de pleurer plusieurs fois par semaine à
la moindre contrariété. Le singe debout ne touche pas au système
depuis des millénaires: les jérémiades et les colères ponctuent
un quotidien inamovible, les punitions et les récompenses balisent
les territoires de l'autorité. La confiance permet à des unités
semblables, des cercles, des clans, de coopérer, la méfiance
établit le seuil de l'altérité hétérogène, l'étranger
ou le membre d'une classe inférieure ou supérieure.
Une
telle habitude a été prise par l'humanité de laisser le mental
faire la loi de la perception en s'appuyant sur le vital, qu'il est
nécessaire d'avoir un besoin de vérité brûlant pour s'attaquer à
ce fonctionnement immémorial. Car la nature maintient l'homéostasie
du moi en provoquant des émotions violentes quand il outrepasse ses
capacités d'assimilation, et après la fièvre en quelque sorte, la
norme se rétablit. Les dégâts provoqués par la perte de
l'homéostasie psychologique peuvent être catastrophiques, voire
mortels, alors que le moi a déjà récupéré son assiette
perceptive, ce qui l'emporte sur les méfaits, les nuisances qu'il
aura commis. La violence, de ce point de vue, est un phénomène
absolument naturel, d'où la difficulté de la dissoudre. Elle
revient dans des cas, même pas extrêmes, de conflit, de déception,
ou de perte de contrôle, comme étant la solution la plus appropriée
pour gérer l'hétérogène. Elle peut être considérée comme un
« réflexe », quelque chose de si ancré que pour s'en
libérer, il est nécessaire de transformer la totalité de ses
valeurs, afin qu'elle ne possède plus aucune légitimité.
Régulièrement, des êtres profonds tentent d'établir une méthode
pour s'en libérer, Jésus, et dernièrement Krishnamurti, mais il
devient assez logique de considérer que seul le supramental, en
s'attaquant de près à la mémoire évolutive, parviendra à des
résultats conséquents si une certaine « contagion » du
mental holistique remplace l'ego générique.
Le
système entier des relations vitales et de son noyau de réflexes
fonctionne dans l'énergie de ce que Sri Aurobindo appelle la
prakriti, toute cette énergie naturelle qui forme la nature,
auquel le mental s'agrège dans notre espèce, et qui est bien
différente de la shakti, le pouvoir énergétique immatériel
qui n'est pas encore tombé dans une forme quelconque, dans un
agrégat biologique, et que nous pouvons aujourd'hui percevoir.
Mais
pour l'évoluteur, qui se distingue du primate pensant, n'importe
quelle interrogation de fond peut surgir à la suite d'une déception,
d'un échec, d'un acte manqué, dont le rôle sera de nous rappeler à
l'ordre, nous mettre face à l'écart entre ce que nous
croyons être et ce que nous sommes capables de faire. En revanche,
si l'interrogation ne se produit pas, l'émotion fera l'affaire. Le
problème sera enterré, ressurgira et sera à nouveau traité de la
même manière, par le yang dans la colère et l'intimidation,
par le yin dans le chagrin, la peur, la soumission ou la manipulation
(accent yang à l'intérieur du yin). Les larmes contre les coups, et
ça recommence, voilà bien le samsâra, dont des générations
entières d'êtres déçus par la vie, ont voulu s'extraire une bonne
fois pour toutes, en priant pour cesser de revenir dans la roue des
existences. Le sentiment d'impuissance fondamental face à la nature
est dissimulé par l'émotion négative qui donne le change dans
l'immédiat, elle explose, puis à nouveau est refoulée
l'incompétence naturelle. « Quand je ne fais pas le poids,
il me suffit de me mettre en colère et le tour est joué, ou
bien il me suffit de me plaindre, de pleurer, et d'attendre que ça
passe ». Voilà les réflexes de l'humanité
générique.
Le
clin d'oeil du Tao:
Les
fausses réponses des émotions négatives bloquent le passage
évolutif, j'apprends à ne plus en avoir besoin, mais sans les
refouler, et leur pouvoir diminuera à chaque expression, car je
pourrai moins m'identifier à leur drame.
9 UNE VOIE UNIQUE, DES ITINÉRAIRES DIFFÉRENTS
Une
Puissance riait des méchancetés du monde
Une
ironie mariait les contraires de l'univers
Et
les poussait dans les bras l'un de l'autre pour se battre,
Mettant
un rictus sardonique sur la face de Dieu.
Savitri,
Sri Aurobindo
Le
système fonctionne, puisque ainsi l'humiliant sentiment
d'impuissance passe inaperçu, et c'est tout ce que demande la
nature, ne pas être remise en question: « laissez-moi faire
mon travail de protection ». Or, c'est de là que partent tous les
conquérants du sens, pourquoi ne puis-je pas plus ? Et ils tentent
autre chose. Ils ont accepté l'impuissance et l'ont côtoyée.
Bouddha restera toujours l'emblème de cette descente dans
l'impuissance. D'autres trouveurs disent traverser la nuit pour
évoquer l'itinéraire qui ne correspond plus au connu, et qui n'a
pas encore gagné sa propre autonomie révélatrice. Pour vous
encourager, je vais encore vous donner quelques exemples de ceux qui
ont réussi après s'être enfonçés dans le rien, dans le vide,
renonçant aux petites vertus que certains — qui s'imaginent
supérieurs — développent comme des panacées, alors qu'il ne
s'agit que de remèdes pour des bobos. Disons que quelques-uns
s'aventurent dans le mystère, dans le « je ne sais pas mais
je cesse de me raconter des histoires ». Tchouang Tseu est
resté « suspendu » dans un no man's land dans
lequel l'activité humaine lui paraissait dérisoire, cruelle et
mensongère. Saint Augustin a eu l'audace de se mesurer au temps, et
comme Teilhard de Chardin, il est passé par des périodes
incandescentes, à se demander même si chacune des secondes qu'il
vivait était digne de Dieu. Que ce soit l'âme qui appelle ou bien
l'individu qui cherche à se désidentifier du non-satisfaisant, le
samsâra, ou son équivalent sombre, le mystère du blood and
flesh (le sang et la chair), peu importe. L'instigateur de la
stratégie évolutive se met en marche non pas vers des a priori
métaphysiques ou des croyances subtiles, mais vers son propre
fonctionnement dans l'ici et maintenant. L'impuissance est acceptée
pour être résolue, l'ignorance est consentie comme tremplin de la
connaissance. Le retour de l'esprit sur lui-même s'opère,
et c'est le seul moyen de le distinguer de la dynamique de la nature
sous-jacente à la pensée.
L'évoluteur
se reconnaît en pointillé chez les maîtres, les philosophes vivant
leur weltanschauung, les avatars, les sages — et
aujourd'hui chez les psychologues et thérapeutes. Tout en prenant la
mesure d'un chemin à parcourir sur lequel rien n'est tracé
d'avance, le projet s'annonce clair, indépendant des formes précises
que l'itinéraire revêtira: il s'agira de dépouiller le yin
de sa propension à s'étaler sournoisement dans le moi en le faisant
adhérer mécaniquement à ce qui lui arrive, comme il s'agira de
dépouiller le yang de sa main-mise triomphaliste sur la durée
qu'il instrumentalise mécaniquement, dans l'obsession du but et de
la conquête, de l'acharnement à réussir, de l'obsession du gain ou
de la capture. En dépit de l'abîme indéterminé du présent
toujours neuf qui s'ouvre désormais, la peur de l'inconnu recule, et
l'allant vers l'inédit se renforce. Les jambes vivent autrement. Le
yin et le yang commencent à conjuguer leurs efforts à
partir d'un plan plus élevé. Il reste à disposition du sadhâk les
deux boussoles indéfectibles de la fermeté et de la souplesse,
d'une part le courage, la volonté, la détermination, la motivation,
soit l'essence du yang à notre propre échelle, d'autre part,
l'essence du yin avec la réceptivité, l'humilité, l'abandon, le
service, l'endurance, le consentement, l'obéissance au Divin.
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Qui
dit mécanique dit panne. Devenir attentif aux ratés qui guettent,
aux événements perturbateurs, aux automatismes, aux réflexes, aux
réactions comme aux attentes magiques, aux troubles
psycho-somatiques, tel est le souci du scrutateur du temps. Posséder
la forme de l'étoile, c'est être tiraillé. C'est un peu comme les
cinq éléments chinois, chacun possède un tel écart avec l'autre,
que n'importe lequel se trouve l'adversaire mortel ou l'allié
naturel d'un autre.
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Chacune
des branches de l'étoile humaine a son mot à dire — le sien
propre — devant le temps qui passe et la sollicite peu ou prou.
C'est une source d'erreurs perpétuelle. L'ignorance disent les
orientaux, le péché, la passion, dit-on près de chez nous depuis
des générations écrasées par le poids de la vie. Souvent,
il faudrait dire oui à autre chose, le lâcher prise est de rigueur,
mais on s'acharne inutilement, comme d'habitude. Le yang n'en démord
pas. Souvent il faut dire non, non ce n'est pas pour moi, cela me
distrait de moi-même, mais on y va quand même par faiblesse, pour
jouir d'un moment, ou pour faire plaisir à quelqu'un, ou encore pour
oublier ses soucis. Le yin nous aura perversement associé à une
adhérence, à une identification inutile ou déroutante.
3 L'INITIATION
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A un moment donné,
l'être est dégoûté par l'humain et s'il réagit mal, il ne s'en
sort pas. Il y a de grandes intelligences qui sont tombées dans la
misanthropie et qui se sont plus ou moins trompé, Nietzsche, Cioran,
Schopenhauer. Ils étaient très intelligents mais il y a une chose
qu'ils ne sont pas parvenus à dépasser: ils n'ont pas accepté que
l'homme soit ce singe doué de l'être par-dessus — et qui ne
sait pas combiner les deux, matière et esprit. S'ils avaient admis
cela: on ne sait pas combiner les deux et il n'y a que par le dessus
que l'on peut y parvenir, ils auraient découvert une vraie voie
spirituelle, alors qu'ils ont cultivé le refus. Le yang brûle sans
espoir en se détournant du yin, et la douleur triomphe.
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1 INTEGRER LA JAMBE GAUCHE
Oui
les questions jaillissent, et certains les traitent, comme Platon,
d'autres aiment seulement se faufiler au milieu des embûches du
mental, comme Socrate. D'autres basculent encore plus loin, comme
Héraclite et de nombreux personnages, souvent inconnus. Quant à
notre époque, Krishnamurti a tout basé autour de l'interrogation,
et du recadrage sémantique: remonter la pensée en amont, déraciner
les pensées à leur source, puisqu'elles veulent toutes, ou presque,
s'approprier ce qui est hors de leur juridiction. Vous voyez que nous
sommes tous d'accord sur l'ouverture. C'est l'interrogation la clé.
L'interrogation ne veut pas dire la réponse, ne veut pas dire la
solution. Nous refusons la tyrannie de l'immédiateté, et
l'interrogation la brise car elle peut la faire bifurquer.
S'interroger est un acte fondateur. Mais figurez-vous qu'il fait peur
à beaucoup. Se pencher sur l'énigme du moi ou sur le mystère de
l'univers, c'est peut-être un mauvais pari, si jamais cela nous
entraînait en dehors des sentiers battus. C'est vrai, il n'y a pas
de réponse immédiate et satisfaisante à quoi que ce soit. Il y a
un long chemin d'incertitudes, mais nous abandonnons au passage les
codes biologiques tyranniques et les conditionnements culturels,
ainsi que le narcissisme primaire. Voilà une belle éclaircie qui
permet de bien mieux utiliser la pensée passive, qui commence à
découvrir la synchronicité, qui apprend à faire parler le hasard
pour qu'il indique le chemin, en tout cas il ne détournera plus de
la voie qui devient plus large et plus plastique. Nous remettons
aussi à leur place l'image/mère et l'image/père dans la foulée,
en vomissant toutes les scories affectives accumulées pendant
l'éducation, ce qui nous remettra sur la piste d'un yang
authentique, non contaminé par une autorité défaillante, et d'un
yin bienveillant, non parasité par le regard de la peur de la mère.
Nous refuserons aussi bien l'autorité de la nature que celle d'un
dieu masqué ou d'une philosophie qui nous mâcherait le travail, en
guise de substitution du père charnel. Nous refuserons tout autant
de sacrifier notre quête à la sécurité matérielle — notre
seconde mère.
|
Quelle
image de moi s'est-elle fabriquée, et sur quoi repose-t-elle ?
L'amour de papa, l'indifférence de maman ? Suis-je narcissique pour
éviter de me voir tel quel, ou bien parce qu'ainsi je suis au moins
certain qu'une personne m'aime ? Es-ce que par hasard je ne me
déprécierais pas pour jouir du bénéfice secondaire de ne rien
risquer, de ne rien tenter et de tourner en rond en pleine sécurité?
(Tous les bénéfices secondaires de la médiocrité mènent le
monde). Puis-je m'approprier la vérité par des raisonnements ? (Ce
serait bien pratique, ça me dispenserait de voir mes failles).
|
Oui,
il y a beaucoup de questions, et certaines sont même très
délicates, alors qu'elles sont étrangement universelles, autant
dire que nul n'entreprend le grand voyage s'il ne démystifie pas ses
croyances héritées de l'enfance. Quand la tête est remplacée par
le chef, tout le système de perception se transforme,
parce qu'il est enfin possible de mettre de côté les référents
extérieurs, et de s'en tenir à sa propre expérience. Bien sûr, on
conserve à l'esprit que certains ont trouvé l'itinéraire adéquat
— le moi s'est trouvé dans le non-moi, et ils disent même comment
s'y prendre. Mais cela reste des indications, comment user du temps
qui passe sans en faire (seulement) du prolongement. Le chemin...
c'est moi qui le trace désormais, pas mon gourou ni mon modèle, je
suis le seul à posséder mes bras et mes jambes. Est-ce que ma
raison et mon intuition s'épaulent, ou bien s'ignorent-elles, à
moins qu'une des deux bras frappe l'autre dès qu'elle veut faire son
boulot ? That is the question. On ne peut plus interpréter
de la même manière un pas en avant et un pas en arrière, on se
méfie des réactions et des emballements. Il est alors possible de
tomber sur les grandes auberges espagnoles dans lesquelles l'esprit
humain jette toute sa rancœur et son espérance, et son manque à
gagner, et l'on risque de croire en des recettes parce que c'est
facile de les appliquer. Mais il faudra bien dépasser ce que l'on
tire du zen ou du christianisme, de l'ésotérisme ou de la Tradition
pour ne pas s'enfermer dans un nouveau système qui finirait par
cacher le fonctionnement fondamental de l'étoile, aux prises avec
chaque instant.
Ramener
la richesse de l'immédiateté à la seule conformité à quelques
principes, c'est bien joli et cela donne un sentiment de sécurité
bienvenu, mais est-ce pour autant suffisant pour bénéficier du mode
d'emploi de la bonne décision ? Naturellement non, puisque la
décision est justement quelque chose de difficile par essence, s'il
faut décider, c'est que l'habitude, le connu ne suffisent plus. Il y
a une prise de risque pour se libérer du répétitif devenu inutile,
qui peine à contrebalancer les attachements qui veulent maintenir la
même politique, même défectueuse. Le samsâra révèle
que le monde de la vie humaine est truqué, que l'on ne prend
pas forcément la bonne direction alors que continuer sur la même
ligne ne mène plus à rien non plus. Des cercles à traverser pour
en sortir dans la ligne tibétaine (en premier lieu la peur), des
étapes cruciales pour des dizaines de doctrines hindoues, des
initiations dans beaucoup de cultures profondes et sans prétention.
Le péché dans les trois monothéismes locaux. Le prince des
ténèbres alimente d'illusions la vie humaine. La caverne de Platon.
L'aveu de Socrate. Même combat... Y débusquer la vérité — dans
notre vie — cela exigera qu'on s'y consacre pleinement, que les
bras n'oublient pas les jambes, que ni le yin ni le yang
ne soumette l'autre, et que chacun apparaisse au moment le plus
opportun.
La
capacité de produire des raisonnements et la capacité de recevoir
des « vérités » et des indices se distinguent l'une de
l'autre. Il y a un discernement discursif, qui a été très prisé
par Platon et Hegel par exemple, par les théologiens, mais
aujourd'hui, bien que ces systèmes ne nous fassent pas vraiment
hurler de rire, il s'avère qu'ils sont insuffisants. Ils dessinent
des cartes avec des points de départ précis et des points d'arrivée
merveilleux, mais tout le reste de l'itinéraire est passé sous
silence, c'est le vrai temps qui nous demande à chaque moment d'être
conforme au Dao, être sans juger, être sans nuire, être
sans prétention, être sans but, et reflèter la volonté du ciel.
Certains « assoiffés » ont voulu davantage que du
parcours qui se tient tout seul avec de la belle logique sur des
cartes au trésor bien précises, ils ont voulu autre chose que
l'engagement des bras si les jambes restent embourbées dans des
pulsions tyranniques. On sait encore moins comment s'y prendre avec
la nature quand on tient compte de sa présence vivante en soi, au
lieu de s'en débarrasser dans la catégorie des concepts
fondamentaux, pour jouer à celui qui a tout compris. C'est
l'aventure de Nietzsche, une sorte de martyr de la philosophie, qui a
démoli tout ce qui méritait d'être démoli, mais n'a pas eu le
temps de construire quoi que ce soit sur le champ de ruine. Et comme
il avait horreur des systèmes, il a poussé dans la direction de la
rébellion pure, une orientation qui finit elle aussi par s'épuiser,
puisque la question du lien avec l'univers demeure entière une fois
qu'on a brisé les idoles, toutes les idoles. Peu de personnes
ont d'ailleurs compris que son acharnement à nier l'immortalité de
l'âme lui était revenu, comme un boomerang, sous une forme qui l'a
envoûté — la « révélation » que la vie qui lui
avait été donnée se reproduirait indéfiniement — éternellement
! à l'identique. C'est l'histoire de l'arroseur arrosé, tragique,
et qui montre les limites de l'esprit humain si ce dernier est
absolument approprié par le moi. Il aurait suffi que ce génie
remarquable se laissât penser pour qu'il découvrît autre chose,
mais il se croyait foncièrement propriétaire de son mental. Par
ailleurs, il tenait fort à sa propre personne, ayant écrit sa
première biographie à l'âge de quatorze ans. Son contre exemple
est des plus déchirants et des plus émouvants également. Et ce
martyr de la pensée a posé la question du corps mieux que
quiconque. Il a subodoré l'Inconscient une dizaine d'années
avant Freud, mais le paradigme était dans l'air depuis quelque
temps, avec l'idée d'une force vitale qui pourrait jouer des tours à
la volonté et au libre arbitre (Schopenhauer, Karl Carus, Eduard von
Hartman).
Et
voilà bien le problème: la raison excelle à fournir des
explications, et après, à quoi servent-elles les explications ? Si
l'incarnation a un sens, il va se trouver dans le temps et
l'expérience, et non dans quelques pages qui dessinent l'histoire de
la vie ou de la société, avec un arsenal de combines pour ne pas
trop se faire avoir dans cette aventure insensée qu'est la vie,
soumise à des contraintes aveugles, comme le milieu social de
naissance par exemple... Ils ont souffert et senti davantage de
choses, les évoluteurs, qu'ils aient gagné ou perdu, ils ont
cherché la reliance qui rachèterait tous les accidents de terrain
qui découlent d'une naissance matérielle et contingente, manques
affectifs, poids du jugement d'autrui et bien pensance obligatoire.
Souvent maladroitement, comme l'auteur du gai savoir, dont le
corps physique n'a cessé de souffrir tandis que son esprit
s'immunisait contre la douleur. Ou comme Baudelaire anénanti par la
beauté qu'il voyait là où les autres passent à côté d'elle,
jusqu'à finir terrassé par elle et ses aspects obscurs dans sa
propre subjectivité, à force de ne plus craindre de se perdre dans
l'autre, dans le plaisir, dans la sensation. La reliance fait des
victimes. Comme Pascal, dont l'esprit très élevé s'accorde à une
personnalité faible, avec une santé très fragile. Blaise se
mortifie, porte un cilice pour être digne de Dieu, tandis qu'il
dépend de sa propre soeur dont il ne peut guère se passer... Et
Spinoza ! Il se met à dos absolument tout le monde parce qu'il ne
respecte aucune règle, ni celle de son clan, ni celles des
philosophes. Oui, la liberté a un prix exorbitant: les esclaves ne
nous la pardonnent pas, mais nous avançons quand même. Et Rimbaud,
Daumal, Artaud... Le grand plongeon dans l'absolu obéit à quelques
règles, sinon le plongeur peut mourir d'un plat, comme ces Mexicains
qui se jettent dans les vagues en faisant des figures de plus de
trente mètres. Les lois divines garantissent le succès de la quête,
mais non sa rapidité, et les reconnaître exige une transformation
aussi bien de la jambe droite, qui renâcle aux limites et aux
empêchements, que de la jambe gauche, qui craint l'autorité, et
nourrit toutes sortes d'aversions vis-à-vis des contraintes,
puisqu'elles font surgir la peur de ne pas pouvoir s'y adapter. Ceux
qui méprisent ou ignorent les lois spirituelles ne trouvent pas le
passage, ne franchissent pas les seuils décisifs, ne se libèrent
pas de Saturne, le fossilisateur. Mais si elles sont divines, les
lois de l'évolution, ne seraient-elles pas, par définition,
justes ?
2 CREATION DU MARIAGE ALCHIMIQUE
RETABLIR
LE YIN ORIGINEL
Primo,
vous décidez que la non-action est une action. Ainsi, vous ne
douterez plus de la qualité des moments qui ne sont pas dévolus à
un projet précis, à combler une attente particulière, vous
accepterez de vivre des minutes et des heures sans aucun rendement en
vue. Vous développez ainsi la réceptivité pure en renonçant à
vouloir quoi que ce soit. C'est un acte véritable, — une
prise de position radicale — de renoncer à l'action en s'ouvrant
à une inspiration supérieure, une connaissance meilleure. Les
réussites sociales dans de petites choses accaparent beaucoup
l'esprit, et il est nécessaire de parfois laisser le mental « en
roue libre », c'est une hygiène de vie reconnue en Asie mais
qui fait défaut en Europe. Il y a un état qui n'est plus de la
rêverie et mènera plus tard à la méditation, dans lequel le
cerveau est tout content de brasser les impressions du jour, sans
but, sans cultiver d'attentes, et tant que cette pratique n'est pas
un besoin, la voie est trop discontinue pour transformer le rapport à
l'immédiateté. Les actifs doivent s'autoriser au moins une
demi-heure par jour de jachère mentale, sinon ils feront toujours
tout dans le prolongement de quelque chose, sans pouvoir remettre en
question le projet et la manière de le mener. Il est possible de
« ruminer » plus longtemps, comme le prescrivaient les
grecs antiques, et comme le font la plupart des maîtres et éveillés.
Le non agir (avec ses dérivés comme la méditation et les exercices
physiques accomplis dans le lâcher prise), peut engendrer autant
d'initiatives que la volonté. Inspirées, intègres et non
egoïsantes. Ce qui vient de « la volonté du ciel »
est plus difficile à obtenir mais promet un meilleur emboîtement du
moi dans la réalité que les engagements issus de la volonté
personnelle.
RETABLIR
LE YANG ORIGINEL
Secundo,
vous décidez que l'action possède une valeur par elle-même mais ne
convoitez plus son résultat. La bhagavad-Gîtâ insiste sur
ce point. Si vous voulez récolter à tout prix c'est l'ego qui
parle. Contentez-vous de souhaiter agir avec une grande pureté.
C'est un engagement véritable d'agir et d'entreprendre mais sans
attendre de résultat. Que l'action se fasse parce qu'elle est pure,
ou utile, et peu importe ce qu'on en retire. Nous avons commencé à
« complémentariser » le yin et le yang, à jouer avec
eux, au lieu de nous contenter de leur manipulation brutale et
grossière. C'est la base d'une évolution accélérée.
Le
yang naturel et le yin naturels nous imposent des séquences trop
longues, c'est-à-dire qu'un esprit ordinaire reste sur une lancée
défectueuse jusqu'à ce que les dégâts arrivent, ou sur un repli
compulsif jusqu'à perdre pied avec les autres. La conscience se
développant, une poussée yang peut être interrompue si de
nouveaux facteurs la détournent ou si l'orientation se perd, comme
on découvre, inversement, qu'à un moment donné, il vaut mieux
amorcer une sortie, même aléatoire, que rester une minute de plus
dans le statu quo ou la
dépendance. Les élans et les replis sont conjugués par les
jambes et possèdent donc une force qui nous échappe et nous soumet,
et c'est à nous d'interrompre leur course par le vivekâ, le
discernement contextuel, si ça tourne mal, en ressentant
l'amorce du changement. Bien sûr, il peut y avoir des révoltes de
la personnalité quand les jambes se subordonnent aux bras, et que
leur autonomie décroit. On peut retomber dans une addiction ou
reprendre l'autoritarisme qu'on croyait avoir dépassés si une
occasion forte se présente, alors que des progrès semblaient avoir
été accomplis. Le cycle mental et le cycle vital ne sont pas
coordonnés, et les survivances dynamiques reviennent
occasionnellement quand le vital parvient à se révolter en
s'accrochant à un événement. Dissoudre la colère, la peur
irraisonnée, la jalousie, le ressentiment, la convoitise, la plainte
dramatisante, le jugement punitif, la demande d'approbation et le
complexe d'abandon (les archétypes les plus communs et les plus
soildes) — bien sûr que cela prend du temps: ces expressions
sont codées dans nos cerveaux inférieurs et sont à l'affût des
signaux produits par une dose quelconque d'hétérogénéité
pour s'emparer de l'esprit.
Il
s'agit de réconcilier la droite et la gauche, l'allant et le repli,
l'actif et le réceptif. Non seulement sur le plan de la perception
du moi, Raison et Intuition, mais aussi sur le plan de la conscience
matérielle et organique, puisque tous les stimuli émotionnels
auxquels notre incarnation nous soumet jaillissent dans le présent
— et passent par la pensée. Désir et peur. Ils vont bien
ensemble. Certains désirs sont dangereux pour l'intégrité.
Certaines peurs dépassées, le désir universel fonctionne mieux et
la vitalité débouche sur une ouverture cosmique libérée du besoin
de s'approprier. Cette vision de la nature qui peut être purifiée
par l'aspiration transcendante se trouve développée dans le
Shivaïsme et le tantrisme, ainsi que dans le taoïsme ésotérique.
On en trouve également des traces dans les plus belles
traditions chamaniques. Si l'on adopte cette vision, la sexualité
peut être légitime, et si la relation est belle dans sa
réciprocité, c'est inutile de cultiver la culpabilité, d'autant
que de vrais moments de gratitude peuvent être inspirés par l'amour
partagé. Mais beaucoup de maîtres trouvent plus radical d'interdire
la chose, sous prétexte que l'énergie va se tranformer toute seule.
Ils tiennent des discours sur prana, ojas et tejas, avec le
risque de faire convoiter une meilleure disposition spirituelle par
un sacrifice difficile à effectuer. L'abstinence qui n'est pas
librement consentie, et qui correspond à une étude de marketing
spirituel, ne donne pas davantage de résultats probants qu'une
sexualité saine et épanouie, qualitative et non quantitative. Il
est bien entendu possible de ne s'en tenir qu'à l'abstinence si l'on
est capable de sublimer.
DEUXIEME
AXIOME:
Cette
réconciliation du haut et du bas, de la perception mentale et de la
perception physique n'est possible qu'à la condition de mener une
observation acérée, mais non tendue, du fonctionnement de chacun
des quatre membres.
3 ASPIRER AU TÉMOIN
Chaque
fois qu'un événement sollicite plus qu'à l'accoutumée un membre
en particulier (dans la norme nous réagissons avec l'ensemble), il
apporte avec lui un coefficient perturbateur. L'attention spontanée
mise en route, l'esprit éprouve un plaisir nouveau autant à
pratiquer l'analyse qu'à s'ouvrir à l'écouteDans un certain sens, nous faisons du « Krishnamurti»..
C'est-à-dire qu'il est possible d'écouter attentivement, comme une
seconde fois, le produit de sa propre pensée. On atteint ainsi le
dédoublement qui, chose rare au début, devient manifeste et
permanent à la libération. Si l'on a un peu touché à tout,
au bouddhisme, au zen, aux voies du soi impersonnel, vous savez déjà
qu'il est possible d'apprendre à écouter sa pensée sans s'en
sentir l'auteur, ou bien en trouvant que l'auteur n'est qu'une petite
partie de soi-même projetée dans l'instant, ce qui permet de ne pas
croire sur parole ce qui vient de se former dans l'esprit. Dites-vous
bien que si la chose était d'emblée facile, la Terre compterait des
millions de Shankara et de Bouddha... Il semble que le
mental ne puisse se rendre et se soumettre à l'âme et au
Soi qu'en trouvant en face de lui un guerrier encore plus habile. Ce
sera le grand Yang, une volonté de feu indestructible, ou le
grand Yin, un abandon exhaustif à ce qui est. Les deux peuvent
se développer conformément, à condition d'être distingués l'un
de l'autre. Beaucoup de « chercheurs » glissent sur la
voie et tombent sans arrêt, car ils laissent se combattre en vain le
besoin d'autonomie spirituelle et celui de s'en remettre au Divin. Ce
n'est pas incompatible, mais l'ajustement peut prendre du temps et
utiliser certaines épreuves drastiques. Il suffit de caractériser
les secteurs dans lesquels il s'agit de compter sur soi et ceux sur
lesquels seul le Divin possède l'autorité, et de cesser de les
confondre. L'exigence peut s'améliorer dans tous les domaines qui
dépendent de nous, comme le lâcher prise peut devenir une
respiration dans les zones qui ne dépendent pas de notre
juridiction, quand nous laissons faire le travail par le présent
lui-même.
Cette
merveilleuse procédure, d'être le spectateur du penser,
apparaît dans toutes les grandes traditions, et elle est
loin de devoir être abandonnée sous prétexte que le plan divin
nous envoie désormais des énergies supérieures. Les pensées ne
sont plus censurées quand le témoin commence à se mettre en place,
et les suggestions de la nature peuvent être enfin distinguées de
l'identité personnelle, ce qui ouvre la voie à la démantibulation
des survivances dynamiques. L'adjectif possessif mon perd de
son autorité associé aux mots désir et peur, dont la source
naturelle se manifeste en amont de l'identification aux objets qui
les suscitent. Je veux défendre l'évolution accélérée, — terme
que j'emprunte à Satprem, et vous invite donc, si vous voulez
approfondir le paradigme du témoin, de penser sans se sentir
l'auteur, à faire d'autres recherches sur la non-dualité.
Nous ne devons pas la perdre de vue dans la pratique harmonisante du
yin/yang.
|
Dans
le zen, il n'y a rien sur quoi on peut s'accrocher. Ceux qui ne
saisissent pas cela au cours de leur étude, ont une recherche encore
trop teintée d'avidité.
Rinzaï
|
Oui,
ce que nous pensons vient de nous et d'ailleurs — nature et
culture, et nous pouvons toujours perfectionner l'écoute de notre
propre pensée. Cette nouvelle lecture permettra de voir les désirs
de l'extérieur. Ils peuvent être triés, suivis ou sublimés,
souvent rejetés, ils apparaissent parfois sous des figures étranges,
imposés par l'autre. Le désir, la peur et certaines pensées sont
tout simplement contagieuses, comme des rhumes. C'est la même
ouverture avec la jambe gauche qui libère des engrammes. La pensée
spectatrice découvre des plis et des replis, nous rencontrons
des objets obscurs d'identification, dont la seule image nous
asphyxie sans qu'on sache vraiment pourquoi. Sans doute des mémoires
profondes, des aversions irrationnelles, des parti-pris inexplicables
mais puissants.
4 VERS L'INFINI DE LA MATIERE VIVANTE
Je
est un autre cinq fois.
La
dualité corps/esprit, cheval de bataille de l'Occident dans la
religion et une bonne part de la philosophie, n'est donc pas fondée
sur de simples plaintes. La possibilité intemporelle du mental, qui
jongle avec le présent, le passé et l'avenir, se heurte à chaque
instant à l'oeil du corps physique, au moment qui fait vivre la
créature dans un ensemble de contraintes drastiques. C'est là qu'on
découvre l'entrelacement du vital convoitantsécuritaire et
du mental abstrait, dans la simple perception naturelle du moment qui
renvoie simultanément au sujet et à l'effet de l'objet sur le
sujet, via le contexte instantané. Les deux flux de conscience se
mélangent, et tandis que le flux mental est souple, relativement
plastique, et capable de différentes interprétations des
phénomènes, le flux vital en revanche est binaire, prêt à la
recherche du gratifiant tout autant qu'au déni de la douleur, prêt
à sanctifier la peur aux moindres menaces, et à suivre en sens
inverse une célébration de l'agréable ou supposé tel. Malgré
son homogénéité apparente, notre esprit est à chaque
instant la résultante de notre intelligence mélangée à notre
activité organique, qui agit depuis le socle de la nature, avec son
expérience immémoriale, sa puissance qui nous dépasse, et son
éventail conséquents de réflexes yang, dévolus à la
préservation du territoire par l'attaque ou l'intimidation, et de
réflexes yin, dévolus à la préservation par la fuite, la
dissimulation, et les ruses du mensonge et de l'intoxication.
|
La
recherche du gratifiant comme l'évitement et le déni sont
profondément structurés par des valeurs culturelles et religieuses,
familiales et transgénérationnelles. Nous cherchons des promesses
autant que nous fuyons les réalités dérangeantes, nous filtrons
les signes innombrables que nous fournit le présent.
|
Sans
l'alliance intime du yin et du yang, l'analyse rationnelle
produite par le bras droit fuit en avant dans l'action convenue et la
recherche du gratifiant, tandis que de l'autre côté l'ouverture
intuitive fuit dans l'angélisme, l'irresponsabilité, l'attente
miséricordieuse, la culture imaginaire du divin. Il serait possible
de réorganiser la philosophie autour de cette seule proportion, et
l'on verrait que les philosophes et artistes qui ont voulu utiliser
les deux bras de concert (après avoir obtenu un certain détachement
vis-à-vis des jambes) ont éprouvé davantage de difficultés que
les spécialistes d'un seul côté. Leur vie aura été plus riche,
plus pleine. L'existence de Kant n'est pas plus édifiante que celle
des romantiques allemands, le triomphalisme rationnel comme la
tentation suprême de la sensibilité donnent des satisfactions
certaines, tout en creusant un déficit ailleurs, aussi devons-nous
nous garder de chercher une plénitude spécialisée qui soulignerait
l'ombre des secteurs restés à l'abandon. Car même si nous pouvons
nous extasier sur certains poèmes, les biographies des êtres
sensibles, voués au yin sans une reconnaissance suffisante du yang,
dépeignent des hommes frustrés, qui restent en souffrance, en dépit
de sensations supérieures obtenues par une reconnaissance profonde
du mystère divin. Voilà pourquoi seule la voie de l'éveil respecte
toutes les juridictions de la constitution humaine, et renonce à
forcer le trait de la pensée contre la nature, qui enferme dans un
quant-à-soi de supériorité qui surplombe la vie, tout en renonçant
autant à voir dans la vie éphémère un principe fondamental.
L'équilibre sur un fil est donc une voie plus difficile à conserver
qu'une simple marche en terrain sec, yang et rapide, ou qu'un
parcours dans une terre meuble et mouillée, yin et lente parce
qu'elle colle à la terre humide.
Creuser
à droite vers la « raison souveraine » ou à gauche vers
une déception globale vis-à-vis de l'existence humaine (étant
donné que la réceptivité développée reçoit de plein fouet
l'incurie, la cruauté, l'egoïsme de notre espèce), sont deux
chemins contraires mais aussi insatisfaisants l'un que l'autre.
Beaucoup de philosophes et de poètes ont fait les frais d'une
attente déçue, d'une intuition creuse par trop éloignée du Divin,
et qui échoue à quelques pas de la délivrance, alors qu'ils ne
voulaient pas se rabattre sur les promesses fallacieuses des
explications tautologiques. Trop de développement à droite amène
de nombreuses satisfactions, la jouissance de l'effort et de son
résultat, l'engagement et ses fruits, mais la perception n'a aucune
chance de gagner de vastes horizons, puisque le mental l'organise
selon des prérogatives étroites et pragmatiques, tout en restant
attaché à la durée — et non à l'intemporel, à laquelle il
attribue trop d'importance. Autrement dit, peu de penseurs savent
utiliser le pouvoir mental comme une puissance unique de
rassemblement des orientations cardinales, et dès qu'ils tombent
d'un côté ou de l'autre, on retrouve le yang à droite, — des
œuvres conquérantes qui ne se doutent de rien et rapiècent la
réalité par des coutures logiques, ou le yin à gauche, — un
vaste espace homogène souhaité d'un seul tenant, sans contours,
mais qui doute de sa propre légitimité. Le poids du Tout finit par
être écrasant pour le yin s'il ne s'associe pas à l'innocente
volonté inépuisable de démystifier les sortilèges du temps, du
samsâra. L'arrogante raison qui vient à bout de tout par des
arguments montés sur des échasses contre la meuble intuition qui
s'enfonce dans l'Infini et perd ce qu'elle possède déjà pour
absorber et participer davantage au Dao, voilà le tableau !
Une
conquête qui se pousse toujours en avant par l'habileté des
représentations, mais s'aliéne l'Intemporel, et divise les hommes,
ou une fuite vertigineuse et enivrante, qui s'entiche des origines
sans cause et des fins dernières dans une offrande trop molle à
l'Absolu, et qui manipule avec de rassurants saluts. Comme il ne faut
pas oublier le rôle des penseurs dans la formation des élites et
des dirigeants, il convient de décrire ces deux pentes de l'esprit
qui s'opposent dans l'Histoire, alternent et reviennent sous de
nouvelles formes, et qui pour certaines d'entre elles décident de
l'orientation des peuples sur plusieurs générations. Après l'échec
d'un mégasystème spécialisé, son opposé revient à son tour, et
nous oscillons donc entre un culte idôlatre de la fuite qui sauve et
une liturgie de la matière en progrès et de la société parfaite.
Or, le pouvoir est un, et c'est notre travail de le découvrir, et de
faire en sorte d'accomplir dans l'athanor du moi, ce qui est
impossible dans la société dans laquelle les valeurs transcendantes
et contingentes resteront à couteaux tirés avant de grands
bouleversements. La raison et l'intuition sont exactement la même
chose — sous deux aspects différents.
La
logique de cause à effet revient plutôt à la Raison, au bras
droit. Et l'analogie, le flash symbolique, le sentiment fractal de
s'emboîter dans un cercle plus large provient du côté gauche. Ce
« mental » qui est villipendé par les éveillés, et qui
en parlent comme d'un adversaire majeur, c'est toute cette activité
rapide de la pensée, constante et inévitable, qui ne mène à rien,
qui n'est ni intuition du moment libre à passer, ni conclusion
éclairée d'un bilan, ni découverte utile assimilée par des
raisonnements parfaits, mais une activité rapide et chaotique,
réactive, toujours à la recherche d'une excitation, d'un projet,
d'un but ou d'un résultat, d'une obtention. Or, toute
l'humanité ou presque vit seulement dans cette sorte d'électricité
collective, la pensée au petit bonheur la chance, qui assure les
arrières, qui traite tout ce qui se présente sans savoir s'y
prendre, approximativement — car le yang tourne le dos au yin
et que leur alternance est automatiquement dictée par les événements
— et non par la conscience profonde, le purusha. Ne
vous plaignez donc plus de subir la dictature du yin/yang.
Leur mélange chaotique et conflictuel — l'organisation même
de la vie humaine dans le samsâra — vaut cent fois mieux
que la tyrannie d'un seul, car la dualité est nécessaire,
absolument nécessaire pour que puisse surgir une transformation de
la confrontation de l'un double.
Le
clin d'oeil du tao:
rien
ne se transforme sans opposition.
La
psychorigidité n'est pas plus performante que le laisser aller
absolu qui consiste à vivre d'expédients. Le monopole du yin pousse
à se perdre — dans l'alcool, la drogue, la manipulation ou la
perversion sexuelle, ou la mythomanie. Quant à l'immobilisation
réciproque des deux puissances, nous lui devons tous les êtres
humains ordinaires et culturellement conditionnés, qui, n'invitant
ni le yin ni le yang à se développer selon leur principe, ignorent
autant l'engagement courageux et exhaustif vis-à-vis de soi-même,
qui remet le moi en question, que l'abandon humble et d'un seul
tenant au Dao, qui attire la
transformation naturelle de la personnalité.
La
pente de la « projection » qui ramène tout à soi et qui
ne tolère que du semblable parfaitement identique équivaut à celle
qui consiste à se perdre dans l'ivresse des identifications aux
sens, à l'autre, aux Idées pour les pédants, aux modes pour les
jouisseurs ordinaires. Les types yang absolus adorent l'autorité à
manifester, les types yin absolus passent leur temps à se soumettre
à toutes sortes d'idoles en concurrence... Ces deux catégories
extrêmes d'individus peuvent exercer une puissante séduction sur
les chercheurs néophytes (et s'intituler maîtres), les uns par leur
force de conviction à toute épreuve puisqu'ils sont possédés par
le yang qui leur confère une sorte d'autorité magique, les autres
parce qu'ils se donnent à votre écoute, et comme ils subissent la
rotation de personnalités différentes selon ce qu'ils sentent qu'on
attend d'eux — tant le yin les possède, ils peuvent faire accroire
qu'ils disposent d'une merveilleuse personnalité, alors qu'aucune
identité ne rassemble les différentes facettes. A leur contact
prolongé, le risque de devenir une girouette s'accroît. Ainsi, le
Divin montre qu'il tolère des types d'expériences individuelles
très poussées dans la subjectivité, dont le rôle est de nous
dégoûter de nos faiblesses qui pourraient nous faire tomber sous
leur coupe. Les types purs sont très séduisants et parfois
irrésistibles, comme s'ils avaient volé à l'univers un principe
dont ils sont capables de vanter les mérites en répandant une
contagion irrésistible. En aval, mais dans le même registre du
monopole, les psychorigides ne comprennent pas l'expression « lâcher
prise », les versatiles purs ne savent pas sur quels critères
fonder la moindre décision, et ne possèdent aucune intégrité.
Trahir n'a pas de sens pour eux puisqu'ils vivent dans le discontinu.
Sincères dans tous les contextes, ils n'ont aucune structure, aucune
morale, aucune éthique.
Le
clin d'oeil du Tao:
Le
ferme devient dur puis rigide et sans retour au yin, c'est la
cristallisation absolue.
Le
malléable devient élastique puis diffus, et sans retour au yang,
c'est la dissolution absolue.
Le
yin et le yang ne sont donc pas des concepts chinois, mais des
principes d'action universels complémentaires et opposés qui
s'excluent l'un l'autre, l'un voulant capturer — l'autre voulant
adhérer. Montrer les extrêmes nous indique d'une part l'exubérante
plasticité du mental qui produit parfois des êtres si subjectifs
qu'ils sont reliés à la réalité par une approche exclusive qui
les condamne à perdre de vue les contraintes existentielles. Ce
débat ouvre également la perspective des pathologies mentales et
des troubles du comportement. Rétablir le pôle absent, chez une
personne tyrannisée par le yin ou le yang devrait être la politique
des médecins et des conseillers. La Manifestation fonctionnant sur
un mode binaire, il est évident que de nombreuses personnes qui
s'enferrent à n'exploiter qu'un des deux pôles finissent par
contrarier la nature à tel point que des maladies graves se
manifestent. Parce que les extrêmes se touchent, les mêmes
conséquences peuvent être produites par un monopole poussé à sa
quintessence. Les dépressions et les suicides peuvent aussi bien
s'abattre sur ceux et celles qui ne « veulent rien lâcher »
et fabriquent des blessures narcissiques à la moindre égratignure,
que sur ceux et celles qui se laissent engloutir sans jamais opposer
la moindre résistance aux événements qui s'enchaînent pour les
faire tomber de leur position, jusqu'à la chute dont on ne se relève
pas, une déchéance irréparable.
Bien
qu'un des deux prévale, chaque individu est soumis à la dictature
du plus présent (qui ne correspond pas forcément à la polarité
sexuelle), qui s 'affirmera avec plus de conscience que le second, au
détriment, naturellement, de l'itinéraire. Si les deux sont
égaux en force, leur union passe par des épreuves, les lunes de
miel sont courtes et volatiles, et quand l'un d'eux est blessé,
l'autre en profite pour l'écraser, ce qui se traduit par une
dévalorisation de l'image de soi. La connaissance de la nature peut
être menée très loin par l'évoluteur sur le terrain de
l'incarnation, et elle lui apparaît à l'œuvre sournoisement, dès
que le ressenti souffre. Même dans la production des valeurs, le
narcissime l'emporte souvent, et les prétentions morales sont
souvent empreintes de vanité ou d'orgueil, et elles résistent
rarement à des circonstances néfastes. Il est très agréable de
parvenir au seuil de conscience qui libère de la stratégie
réductionniste héritée de la nature, celle du pôle prépondérant,
qui utilise sans coup férir les survivances dynamiques conformes à
son principe, tranchantes pour le yang, émollientes et hypocrites
pour le yin. Le possesseur du chef, l'évoluteur, sent selon
les circonstances s'il vaut mieux s'affirmer par le yang, ou passer
par un effacement provisoire, moins résolutif dans l'instant, mais
qui permettra de prendre en compte tous les éléments d'un conflit
ou d'un obstacle, avant de prétendre y remédier.
Or,
peu d'être humains possèdent cette qualité de mesurer
l'opportunité du yin ou du yang, puisqu'ils ont tendance à se
prolonger dans l'action selon ce qu'ils connaissent de leur
caractère, quitte à employer des méthodes fallacieuses chaque fois
qu'ils se trompent de polarité, pour résoudre un problème qu'ils
voudraient soumettre à leur propre stratégie. Enfin, les deux
principes pourront agir avec égalité dans le moi si le chemin
cosmique est entrepris sans ambition et, si l'on échappe à la
jalousie de l'un vis-à-vis de l'autre, l'opportunité de leur emploi
se dessinera facilement selon les circonstances. Il faut quand même
s'attendre à voir parfois des sortes d'intentions animer le yang qui
se défie du yin, alors que le yin peut avoir peur du yang, si nous
personnalisons cette dualité fondamentale. Les personnes très
réceptives peuvent être terrorisées au moment de se lancer dans
une action même considérée comme nécessaire, comme les
conquérants se méfient du repos, de l'acte gratuit, du temps perdu,
de la trève, le plus souvent à tort. Chaque individu suivra sa
nature et conservera une prédilection, à condition qu'elle n'entame
pas le travail positif de l'autre pôle.
En
pratiquant la réconciliation être/phénomènes, esprit/matière,
réceptivité/activité — car il s'agit de formes différentes de
la même réalité, le moi connait les limites de la pensée
discursive d'un côté, et de l'intuition de l'autre. Il devient
sensible à ne pas s'emprisonner dans des buts mais il laissera
surgir l'action qui le distraiera d'une seule promenade paresseuse
dans le samsâra, et dont il tirera immanquablement des leçons
de vie. L'évoluteur ne pose plus d'artifices dans les raisonnements,
et rejoint l'art socratique, n'essayant plus d'accrocher des faits à
ses croyances ni des vertus à ses mouvements narcissiques. Il
observe comment le haut fuit le bas, comment le bas tâche de séduire
le haut, et c'est en quelque sorte là son sacerdoce: comment les
jambes, l'élan et le repli, s'immiscent dans les raisonnements, qui
déguisent le plus souvent des ambitions ou des croyances ou des
fuites, et encouragent les attentes multiples qui consistent à
souhaiter recevoir davantage des autres et de la vie, sans s'en
donner les moyens.
|
L'homme
est si misérable que, tournant toutes ses conduites à satisfaire
ses passions, il gémit incessament sous leur tyrannie; il ne peut
supporter ni leur violence ni celle qu'il faut qu'il se fasse pour
s'affranchir de leur joug, il trouve du dégoût non seulement dans
ses vices, mais encore dans leurs remèdes, et ne peut s'accomoder ni
des chagrins de ses maladies ni du travail de sa guérison.
|
Maximes
posthumes, La Rochefoucauld
5 L'EQUILIBRE ET SA NECESSITE
Voilà
la question posée correctement, et si l'on y réfléchit, l'échec
spirituel de l'humanité tient dans cette maxime. Ce n'est pas que le
mal n'apparaisse pas, bien au contraire, si les religions et les
morales poussent à la vertu, c'est bien qu'il est omniprésent et,
que l'on évoque des vices ou les aspects les plus sombres de la
mémoire évolutive, nous évoquons la même chose, la nature décalée
de son office par le mental. Tourner le dos à ce qui est « mauvais »
ne suffit pas, il est nécessaire de pouvoir persévérer, de ne pas
abandonner à l'occasion d'un revers, et de prendre son mal en
patience. Voilà pourquoi le développement de l'intuition est
nécessaire, parce qu'elle ne s'attache ni aux échecs ni aux
réussites et se moque de la tyrannie du temps. Elle impose sa paix
intemporelle au voyageur harassé. Le sâdhak trouvera un
refuge dans l'abîme de l'être. Le fait de se contenter de la seule
présence à soi tiendra tête au mouvement pressé des secondes,
comme l'ont établi de nombreux penseurs devant l'énigme du monde,
dans une période dont les traces sont presque perdues. Se refusant à
légitimer le mystère par des postures idéalistes méprisant les
faits ou matérialistes méprisant le besoin de reliance, ils
n'éprouvaient pas la tentation d'instrumentaliser le présent pour
dominer le temps (matérialisme) ou s'enfuir (idéalisme).
L'évoluteur touché par l'histoire terrestre n'aura plus besoin, en
de nombreuses occurrences, de la vision des causes et des effets pour
valider des états de conscience supérieurs: vécus dans une
nouvelle unité (avec la nature, le cosmique, ou bien le
Transcendant), ils indiqueront un chemin très large, avare en
repères mais essentiels, un itinéraire dépouillé d'attentes et de
manœuvres favorisant l'envie spirituelle. Ils parviendront à priver
l'être nerveux de ce qui le rassure et le détourne simultanément
de la vérité exhaustive du moment. Il apprendra à passer de la
raison à l'intuition en fonction de leurs capacités respectives.
La
Raison est pratique pour investir le temps, et y déceler ses
mécanismes. L'intuition plonge dans une autre étendue, soustrait
aux seules exigences contingentes, relie le présent trivial à
d'autres sources supérieures. La raison est efficace pour ce qui se
déroule, l'intuition pour recevoir ce qui tombe d'en haut, que ce
soit des plans immatériels de conscience ou des énergies subtiles.
Vivekâ, le discernement
évolutif, est donc la clé à condition que
l'intelligence utilise tout ce qui est à sa disposition, un yang
travaillé par la rigueur mathématique, un yin toujours
plus profond, réceptif et à l'écoute. Libre, la discrimination
mène à la non-dualité, au vaste espace du Brahman
qui permet de vivre avec une personnalité très effacée, très
souple, accueillante, unie indistinctementSi l'être psychique remonte des profondeurs, il conduit à la soumission au Divin, et c'est naturellement le sort qui est réservé à ceux qui prétendent agir pour le Supramental. .
La
raison et l'intuition peuvent aussi se départager à partir d'un
paradigme binaire qui montre la nécessité d'une pensée active
contingente, qui veut arriver aux fins qu'elle se propose pour lutter
contre le temps en imaginant des structures utiles, et la nécessité
tout aussi égale d'une pensée passive, qui ne s'invente pas
elle-même, et qui serait plutôt la captation de formes abstraites,
d'Idées, de vibrations supérieures pourvues de leur propre
intelligence. Cette attitude est perdue dans la culture, et seuls les
maîtres la réhabilitent. Autour du VI ° siècle avant
Jésus-Christ, une belle montée de la pensée holistique a soulevé
de nombreuses civilisations, avec Lao-tseu, Bouddha et plusieurs
philosophes grecs remarquables qui ont été éclipsés dans notre
Histoire par Platon, précurseur du chrisitianisme, lui qui a joué
la dualité matière/esprit en faveur de l'âme immortelle. Cette
pensée passive n'a pas à tenir compte du monde phénoménal et ne
se fait pas complice de la raison quand elle poursuit l'édification
d'un système qui, pour tenir, sacrifiera des vérités à d'autres,
contournera des difficultés essentielles pour en imposer d'autres.
La pensée passive reçoit du silence ou du dessus — ou d'elle-même
si elle devient une seconde nature, et elle se nourrit de l'intention
d'être, sans avoir besoin de s'inféoder à une croyance
métaphysique. Beaucoup de bouddhistes la développent jusqu'à être
saisis par le Soi, et se moquent éperdument d'avoir une âme ou non,
ou de survivre à leur propre mort. C'est donc bien l'ouverture à un
travail de collaboration entre le yin qui reçoit et le yang qui
poursuit, qui ouvre le chemin sans fin, et non pas la pose de
présupposés invérifiables, comme l'existence de Dieu ou la
réincarnation, ou l'obtention aléatoire du samadhi ou
du satori. La difficulté est quand même présente, puisqu'il
faut un long moment de consécration pour comprendre et renoncer à
tous les objets que le yang veut se procurer, et derrière il court
quand même longtemps vainement — comme la vérité par
exemple. Il est aussi nécessaire de comprendre que les « objets »
auxquels le yin peut aspirer sont par définition imprévus,
indéfinissables et insaisissables — ce sont des états de
conscience — puisqu'ils se présentent d'eux-mêmes dans des cadres
de coïncidence entre le sujet et le Tout. Quand l'évoluteur est
prêt, la conscience parvient à de nouvelles rencontres — enfin
précises — entre l'aspiration et son objet, — l'Un.
Cette
intention de l'être, seules quelques personnes parviennent à s'y
maintenir avec facilité — des individus indépendants et
brillants, artistes, musiciens, écrivains, créatifs, moines et
nonnes, tandis que la pensée active, qui gouverne l'intention
existentielle, survivre, avoir un toit, un gagne-pain et une famille,
régit la vie et étouffe la pensée passive. Lao-tseu comme Antiphon
se plaignaient déjà de la course aux honneurs et aux charges,
dénonçaient l'escalade sociale qui est devenue le principe de toutes
les sociétés historiques. Cette dualité — l'être contre
les phénomènes — a tourmenté les meilleurs esprits de l'Occident
pendant des siècles avec la célèbre opposition de la foi et de la
raison, cultivée par toute une élite, et qui a donné lieu à
toutes sortes de scandales et d'injustices. Procès de Galilée,
Giordano Bruno qui finit sur un bûcher, remous bien-pensants quand
Darwin publie l'origine des espèces... et bien d'autres
histoires horribles qui prouvent que l'actif et le passif se livrent
une guerre sans merci dans l'esprit humain, que le haut veut nier le
bas, et que la reconnaissance de la Matière par un esprit idéaliste
est presque impossible. Il s'agit là de nœuds très profonds,
presque inextricables, comme si l'esprit humain peinait à pouvoir
légitimer la conscience s'il légitime la Matière, — et
réciproquement. Une fois de plus, cette affirmation mériterait de
plus amples développements, mais pour s'en convaincre il suffit de
considérer que l'esprit ne peut pas tout voir en même temps, et
qu'il finit donc par choisir une pente particulière pour interpréter
les faits, une pente qui trouvera les moyens de se légitimer ad
vitam aeternam — tout en restant hermétique à l'autre. Le
matérialisme phagocyte naturellement l'idéalisme, et
réciproquement. Le nombre de scientifiques illuminés d'un côté et
d'idéalistes concrets de l'autre est pour le moment largement
insuffisant pour entraîner la formation exponentielle d'une nouvelle
élite, aussi ouverte au Divin qu'à la transformation écologique.
Des interprétations aussi différentes que légitimes découlent des
mêmes faits. Le mental est donc bien chaotique puisqu'il justifie
tout et son contraire, et son côté séparateur est tel que certains
mystiques l'associent au diable, dont le sacerdoce est la discorde.
Le côté diviseur du mental est sensible quand on se penche sur la
philosophie, qui comprend des dizaines d'interprétations divergentes
de la question humaine, alors qu'au contraire, la spiritualité est
très homogène, et se réduit à deux écoles seulement, l'ouverture
à la non-dualité et la soumission au Divin.
|
C'est
donc l'effort et l'aspiration, — une combinaison primordiale
du yin et du yang, qui nous permettront d'admettre, afin d'y
remédier, que nous rechignons à voir la réalité en face, en
tenant compte de tous les éléments qui nous composent. Renoncer à
la subjectivité rétrécissante, à la « projection »,
qui traite la suite des événements avec toujours les mêmes
critères, constitue le premier travail de l'évoluteur, humiliant au
début pour les esprits forts, décourageant au début pour les
esprits malléables.
|
Le
symbole de cette incompatibilité entre la matérialisme et
l'idéalisme (n'oublions pas que c'est une transposition de la
dualité jambes/bras dans notre étoile) s'amorce avec l'attitude de
Platon qui voulait racheter les œuvres de Démocrite pour les brûler
dans le vain espoir d'une éradication, et qui n'a jamais évoqué
son prédécesseur, plus difficile à réduire en miettes que les
autres philosophes auxquels il s'attaque, au risque de déformer
Socrate pour en tirer parti... Quelques centaines d'années plus tard,
la théorie supramentale de Sri Aurobindo couronne aussi bien le
meilleur platonisme, avec la puissance de l'âme, que la vision de
Démocrite et Leucippe, postulant que tout est agrégat par le
travail des atomes, et qu'il est donc présomptueux d'accorder de la
valeur aux opinions humaines — en bout de chaine d'un processus
trop complexe pour être investi. Mais pour n'apercevoir aucune
contradiction entre des philosophies divergentes, — seulement des
perspectives qui épuisent chacune un champ particulier, il est
nécessaire de s'être débarrassé soi-même de la pensée
dynamique. Il est alors jubilatoire de voir les pépites qui restent
vivantes dans chaque philosophie ou doctrine, dont aucune n'a été
exhaustive avant celle de Sri Aurobindo, considéré comme
matérialiste par les idéalistes, et comme idéaliste par les
matérialistes, — les uns et les autres deniant tout autant à
la Matière la capacité de posséder une interface avec la
Conscience, ce que Mirra Alfassa (la Mère) a pourtant commencé à
établir en 1956.
Prouver
l'existence de Dieu s'avère impossible tandis que de la même
manière les états d'union absolus avec la grâce ou les plans de
conscience supérieurs se suffisent à eux-mêmes, et ne trouvent
aucune traduction adéquate dans un discours quelconque, logique ou
poétique. Ainsi, goûter le Soi est impossible à celui qui n'en
fait pas l'expérience, quand bien même il connaîtrait par cœur
quelques récits d'illumination, susceptibles seulement de lui donner
l'eau à la bouche. Cette distance entre le vécu transcendant et la
possibilité de l'exprimer dans le monde ordinaire retarde l'
évolution humaine. Les témoignages supérieurs ne peuvent pas être
validés par une intelligence ordinaire, aussi un écart de
conscience conséquent existe-t-il aujourd'hui entre les évoluteurs
et les êtres humains manipulés par leurs traditions ou la mode
technologique. Ce traité du yin et du yang doit vous permettre de
comprendre la nécessité, même si vous travaillez beaucoup, de
dégager de la jachère mentale.
Vous découvrirez, de fil en aiguille, la nécessité de la
méditation, et parviendrez spontanément à équilibrer l'action et
le repos, l'imagination calculatrice, pragmatique et donc rigoureuse,
avec les grandes plages de non agir, lecture transcendantale,
marche méditative, réflexion métaphysique, exercices non forcés
pour le corps, tous ces espaces qui appartiennent à un temps sans
rendement, dans lesquels l'aspiration divine se trouve chez elle,
l'esprit étant libéré du processus d'obtention, et seulement
tourné sans attentes vers le Divin.
Loin
de moi l'idée de dévaloriser le bras droit dans notre morpholologie
subtile. Il se trouve qu'il a pris le pouvoir dans notre société
depuis quelques siècles et que la raison, l'analyse,
l'argumentation, la polémique, la causalité et la finalité sont
valorisées, alors que dans la tradition primordiale et ses
succédanés, ce type d'intelligence est jugé inférieur, puisqu'il
demeure fasciné par le mouvement et ses métamorphoses. Or, dès que
l'éveil menace l'ego, l'évoluteur sent parfois se pencher
sur lui des vérités qui ne dépendent ni de ce qu'il fait ni de ce
qui lui arrive, mais de son goût de l'essentiel, de son intensité à
comprendre pour changer le défectueux. Des informations viennent
d'ailleurs en quelque sorte, avec l'étrange propriété de ralentir
le temps subjectif, qui devient beaucoup plus nourrissant. C'est donc
se relier le moyen et le but, c'est à nous de nous emboîter dans
les cercles supérieurs. Et cela ne se trouve ni avec des équations
ni avec des Idées, mais en palpant notre ressenti, jusqu'où
ai-je l'impression de m'étendre ?
|
Jusqu'où
puis-je percevoir les autres, la nature, les Elements, la vie, le
Divin ? Les cercles de reliance sont hors mouvement et non
localisables, mais peuvent se précipiter jusqu'à nous si nous les
laissons passer. Pour cela notre esprit sera nécessairement passif
et réceptif — tel un miroir. Au lieu de nous acharner à trouver
la sortie du labyrinthe en nous essoufflant dans les couloirs, nous
la trouvons dans le dédale lui-même, dans le chaos que nous
embrassons d'une vision intemporelle qui nous délivre de l'urgence
de l'immédiateté. L'itinéraire qui mène au Divin peut très bien
ne pas bouger d'un pouce. Avoir toujours été là sans qu'on s'en
rende compte, sous nos pieds et au-dessus de notre tête, où que
l'on se trouve.
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L'intuition
se moque du chronologique et de la cause et de l'effet. Elle se joue
de la distance dans la télépathie et la prémonition. Elle voit,
sans que cela soit l'aboutissement d'une chaine de concepts, des
indices, des vérités, des mouvements à produire. Elle est donc
sensible à d'autres formes de logique que celles que la raison
poursuit et, finalement, quand la pensée fatigue de toujours
enchaîner des arguments, des concepts, des idées — où mènent
les explications ? — l'intuition commence à se mêler de la
création de la pensée. Elle prend d'autres routes, développe
d'autres logiques comme l'analogie, ou l'association libre, ou la
méditation, ou le support divinatoire, et s'enfonce d'une manière
souvent plus vivante et vraie que celle de la raison dans le mystère
de la vie. Dès que l'on possède quelque culture ésotérique, il
appert que le mystère est impénétrable avec des mots. Les koan
l'attestent. La pensée active et ordonnée est aux prises avec des
énigmes profondes, en physique, astrophysique, et astronomie. Mais
même dans ce domaine, certains résultats semblent arriver par
hasard, ou au cours de rêves. Les meilleurs savants disposent d'une
véritable intuition qu'ils ont ensuite de la peine à exprimer par
des formules. C'est l'occasion de citer Albert Einstein, profondément
préoccupé par la totalité du réel:
|
L'être
humain est une partie d'un tout que nous appelons « univers »,
une partie limitée dans le temps et l'espace. Il éprouve lui-même
ses pensées et ses émotions comme séparées du reste — par une
sorte d'illusion d'optique de la conscience. Cette illusion est pour
nous un genre de prison, qui nous restreint à nos désirs personnels
et à l'affection des quelques personnes qui nous sont le plus
proches. Notre tâche doit être de nous libérer de cette prison en
étendant notre cercle de compassion à toutes créatures vivantes et
à l'ensemble de la nature dans sa beauté.
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4 LE COEUR DU SYSTEME
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Car la Prakriti est
constituée de trois gounas ou modes essentiels de l'énergie: le
sattwa, semence de l'intelligence, préserve les opérations de
l'énergie; le radjas, semence de la force et de l'action, crée les
opérations de l'énergie; le tamas, semence de l'inertie et de la
non-intelligence, négation du sattwa et du radjas, dissout ce que
l'un crée et l'autre préserve. Sri Aurobindo, essais sur la
Guîtâ.
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1 IMMÉDIATETÉ ET INTEMPORALITÉ, la dualité fondamentale.
Et
maintenant pourquoi est-ce un défi d'évoluer ? Les contraintes
immémoriales que nous subissons parce que nous sommes soumis à
cette morphologie-là, l'étoile, sont suffisantes pour
justifier toutes nos difficultés. L'approche stratégique de la
relation corps/esprit ne cherche pas à faire prévaloir l'un ou
l'autre hiérarchiquement, mais reconnaît l'invasion de l'organique
dans la pensée, la perversion des contenus émotionnels affectant la
raison et l'intuition, comme elle reconnaît la main-mise parfois
absurde de la pensée sur le traitement du corps, qui conditionne son
fonctionnement à partir d'a priori (fuite du désir, culture
du désir, fuite de la peur, culture de la peur). L'amélioration de
votre intégrité, le développement de la connaissance, l'ouverture
à l'amour universel passent par un nettoyage des processus de
cérébralisation des tendances vitales, qui poussent à dramatiser
toutes les formes de résistance, tous les contacts avec
l'hétérogène. Colère, rancœur, ressentiment, angoisse, obsession
soudaine, déception, sentiment d'échec etc. Dans l'étoile, nous
reconnaissons l'organisme, l'enveloppe charnelle du bébé au
vieillard (les deux jambes), et vous voyez bien que cette réalité
est intrinsèque, indépendante de ce que pense de lui-même
l'individu qui grandit et meurt.
Ce
mode de la nature fonctionne dans l'immédiateté. Le désir,
la peur, c'est tout de suite... Les fonctions organiques se
manifestent dans l'immédiateté: les sens sont en prise directe
avec le présent et lui seul. Notre corps humain embrasse l'ici et
maintenant, qui nous soumet à des événements extrêmes que
nous ne pouvons pas rencontrer sans perdre le sentiment de notre
identité, de notre intégrité ou celui de l'harmonie. Peu importe
la fréquence des chocs qui nous poussent hors de nous-mêmes,
les circonstances extérieures nous apportent des informations qui
vont faire bouger les lignes de la recherche du gratifiant et de
l'affût de la peur. Un événement inattendu peut déclencher du
repli, du rejet, on peut sentir des menaces imaginaires. Certains
types de circonstances sont là pour susciter en nous les réactions
du monde naturel. Désir dit vite convoitise et peur dit vite
angoisse. Aujourd'hui nous savons qu'il est pour certains difficile
de dépasser des empreintes qui se sont inscrites pendant l'enfance,
avec des phobies qui peuvent continuer d'agir ou bien une
prédilection suspecte pour un seul des deux sexes caractérise le
comportement psychologique, ce qui arrive souvent si seul le père ou
la mère « a fait le poids ». Voilà donc le topo, un
corps meuble, une conscience nerveuse qui enregistre tout, attaque et
se défend au petit bonheur la chance, le plus souvent en répétant
des schémas familiaux
Le
désir peut sans doute être dépassé, mais pas à partir du
déni, qui accentue l'opposition naturelle corps/esprit, alors
qu'en revanche, aspirer à atténuer le pouvoir vital pour réduire
la part de notre condition animale est indispensable. Il en va de
même pour la peur, si sa part légitime est reniée et refoulée,
plus aucune prudence ne peut investir le comportement. La nature est
présente, et la transformer implique son observation permanente. Le
bouddhisme part de l'entrave de l'incarnation et ne la résout pas
entièrement, mais il a bien posé l'antagonisme de l'esprit et de la
matière, enfin résolu puisque maintenant la shakti divine
peut envahir l'enveloppe charnelle. L'accès à la claire lumière,
au sunyata, voire à des perceptions encore plus subtiles, ne
constitue plus l'apothéose de l'ascension. La vision tibétaine est
en quelque sorte détrônée depuis une centaine d'années, mais le
voeu des boddhisattva se perpétue chez les yogis supramentaux, qui
œuvrent à la libération de tous les êtres. Envisager que la
nature humaine va enfin s'améliorer avec le supramental est
une certitude. Cette vibration originelle plongera dans les
automatismes vitaux du corps, réduira les mémoires, tout en
illuminant l'esprit.
Ô
Nature, Mère matérielle,
tu
as dit que tu collaboreras et il n'y a pas de limite à la splendeur
de cette collaboration.
Message de Mère du 1° janvier 1958.
Au-dessus
des jambes, le tronc avec les bras et la tête représentent la
pensée. Les bras et les jambes sont doués d'une force centrifuge,
chacun s'élance dans sa propre direction pour saisir les objets lui
correspondant, mais en revanche, selon la Tradition, c'est au centre
qu'il faut revenir après les expansions. Dans le système
« mécanique », la tête gouverne sans remettre en
question la nature. Avec l'apparition du chef, toutes les branches
communiquent entre elles, et si nous savons mener à bien cette
entreprise, l'univers sanctionne notre appel et y répond. En effet,
l'initiation peut être considérée comme un retour au centre, une
fois que l'extérieur a été assimilé tel quel — dans l'unité
des opposés. Et ce que nous découvrons alors, c'est que notre
corps a suivi notre évolution. Un jour ou l'autre l'évoluteur
franchit deux seuils importants.
2 LE RETOUR AU CENTRE, OUVERTURE DU COEUR ET DU HARA
|
Pour celui qui se
tient au centre, tout est unifié, car il voit tout dans l'unité du
Principe; tous les points de vue particuliers (ou, si l'on
veut, « particularistes ») et analytiques, qui ne
sont fondés que sur des distinctions contingentes, et dont naissent
toutes les divergences des opinions individuelles, ont disparu pour
lui, résorbés dans la synthèse totale de la connaissance
transcendante, adéquate à la vérité une et immuable.
|
René Guénon, le symbolisme de
la croix.
L'éveillé
regroupe ses énergies dans le chakra du cœur, ce qui va le
dispenser de fabriquer de la pensée pour de la pensée puisqu'il
sera à chaque instant conscient des intentions dans les échanges,
conscient de ses propres buts et mouvements. Et d'autre part, si le
travail a été effectué sans jamais lâcher le pôle de
l'incarnation, l'évoluteur découvrira une nouvelle force
d'endurance, que l'on situe au-dessous du nombril, et qui est nommé
hara. Ces procédés s'effectuent d'eux-mêmes par le progrès
de la conscience, et il est dangereux de les forcer par des
manœuvres techniques, puisqu'ils doivent témoigner concrètement
d'une avancée spirituelle, découler d'un état supérieur, tandis
qu'il est beaucoup moins établi d'obtenir un accroissement de
conscience en partant d'une coercition sur le corps. Les exercices
spirituels, et d'une manière générale tout ce qui est entrepris au
sein de la durée pour faciliter la transcendance, ne peuvent porter
des fruits qu'à condition d'être subordonnés à une véritable
ascèse, un projet essentiel, un engagement, une consécration — si
nous nettoyons ce terme de ses relents religieux. Dans le yoga
supramental, c'est le manipura chakra, à la hauteur des
reins, qui semble pouvoir recevoir le plus d'énergie sans saturer
trop vite. Nous sommes donc encore dans le yin/yang, cette
fois sous la forme de l'aller et du retour, puisque, si nous avons
besoin d'identifications, de modèles, de weltanschauung pour
nous pousser vers des objets abstraits, des paradigmes, — les
ensembles signifiants de notre réalité, c'est l'assimilation puis
l'intégration de ces moments passés à s'ouvrir et réfléchir qui
nous orientent. C'est ainsi que nous abandonnons dogmes, théories,
religions, doctrines après en avoir profité jusqu'à nous trouver
au cœur du mystère, sans expédients ni adjuvents. Au défi de
mettre en place l'orientation de sa propre existence, sans imiter,
sans suivre ni obéir. Nous nous éloignons de nous-mêmes en lançant
nos bras et nos jambes dans l'altérité, ce champ global rempli de
promesses dans lequel nous menons différents types d'expansion et,
quand nous procédons correctement, il y a en quelque sorte un
« retour à l'envoyeur », un bénéfice spirituel si nous
n'avons pas peur des mots et que, comme Sri Aurobindo, nous évoquons
la jouissance de l'ananda, et la légitimité de la possession
de l'Un.
Aujourd'hui,
c'est davantage un intinéraire en spirale, qui prend un peu de tout
dans de nombreux champs, qui mène à l'éveil, plutôt qu'une
obédience manipulatrice qui, au nom des précepts, veut juger a
priori de la qualité des expériences, en supprimer d'office, en
imposer d'autres, commes si la nature pouvait se plier à cet effort
de domptage, s'humilier devant un désir en y renonçant, se moquer
de la peur si elle l'éprouve, se dispenser de toute ambition alors
qu'elle cherche confusément, la vie proprement dite, à satisfaire
grosso modo tous nos besoins renouvelables. Le chantier de
transformation paraît donc plus délicat que ce qui a été établi
par de nombreux maîtres en proposant des lignes de conduite
obligatoires: propices pour tout le monde, elles sont adéquates à
personne. Car il est difficile de signaler un itinéraire
transcendant qui ne patauge ni dans l'idéalisme, l'esprit vaut mieux
que le corps, ni dans un matérialisme: les recettes suffisent à
progresser, et leur pratique apporte des résultats. Il s'agit donc
de se vivre soi-même avec sa propre croix, l'axe de l'allant et du
repli croisant l'axe de l'organisme et de la pensée. Cela nous donne
donc six dualités fondamentales par le simple tracé du modèle:
l'opposition droite gauche du bas, l'opposition droite gauche du
haut, l'opposition à droite entre le haut et le bas, l'opposition à
gauche entre le haut et le bas, l'opposition du bras gauche avec la
jambe droite, et celle de la jambe gauche avec le bras droit.
Ceci
est la véritable matrice de notre déploiement dans la
temporalité, puisque toutes sortes de combinaisons exponentielles
découlent de ces rapports fondamentaux. Par coquetterie, nous
pourrions affirmer que nous sommes pliés en six et qu'il s'agit de
réduire ces plis jusqu'à retrouver une unité exhaustive. Le bas se
subordonne au haut après avoir subi son autorité, ce qui a toujours
été recommandé dans les voies spirituelles, en revanche le yin ne
doit pas se subordonner au yang, ni le yang au yin. De nombreux
chercheurs manquent l'éveil parce qu'ils veulent soumettre le passif
à l'actif: leurs prières, leurs méditations, leurs exercices
demeurent contaminés par la volonté mentale d'obtenir — qui
prive de la grâce, comme d'autres soumettent le yang au yin, ce qui
engendre des initiatives faibles, impossibles à mener à bien quand
les obstacles apparaissent. La voie débouche alors sur toutes sortes
de compromissions et d'avortements divers de processus de
transformation qui ne dépassent pas le stade de l'amorce.
Chaque
être humain, selon son karma, son énergie astrale, son intelligence
et sa sensibilité, possède quelque difficulté particulière avec
une des cinq branches, dont la déficience ou le mésusage interdit
la complémentarité de l'ensemble en bridant l'homogènéité du
système. Un conflit sous-jacent anime chez presque tous la relation
bras droit bras gauche. La confiance dans l'intuition est à recréer
de toutes pièces dans notre culture, alors qu'il est beaucoup plus
rare d'avoir le jugement actif à réhabiliter. Les êtres scrupuleux
sont aux prises régulièrement avec la dialectique du désir et de
l'inhibition, les jambes imposant des avancées et des reculs
proportionnels, souvent culpabilisateurs. Enfin, beaucoup ne savent
pas développer le bras gauche car la jambe gauche est trop
puissante, les peurs empêchant de s'ouvrir correctement à
l'indéterminé nourrissant, que l'intuition recherche. La belle
pensée passive à leur disposition est toujours assombrie par
quelque crainte. Sans parler des experts en bras droit qui, sous le
joug de la pensée discursive qu'ils idolâtrent, ne savent jamais
quoi faire de leur jambe droite, puisqu'ils conceptualisent le
désir jusqu'à en oublier la fonction naturelle, aussi bien dans le
déni que dans l'appropriation perverse cérébralisée. Enfin, le
passage de la tête au chef ne s'effectue pas toujours en une seule
fois, et les « machines arrière » sont destinées à
épuiser les satisfactions de la seule nature et de l'illusoire libre
arbitre.
Rien
n'est plus naturel que de voir les choses comme cela quand on dénonce le
déni généralisé qui touche à notre condition, largement
surestimée dans toutes les civilisations de l'écriture, dans
lesquelles le mental s'est emparé de la réalité jusqu'à la
reduire au seul petit champ qu'il escompte contrôler. En revanche,
les évoluteurs qui admettent, preuves à l'appui, que nous sommes un
« agrégat » ( selon de nombreux canons sur lesquels se
sont appuyés des générations d'aspirants spirituels) consentent à
l'adage rimbaldien: je est un autre, et se mettent en quête
de l'unité cachée par le pliage dynamique du yin et du yang
répartis sur deux plans.
|
Trouver
l'unité, faire marcher le puzzle de l'identité sans donner la part
trop belle à une fonction, ou même à deux ou trois, qui
laisseraient une partie du moi aux mains de l'Inconscient, tel est le
défi évolutif. Il s'agit donc — dans la pratique — de
coordonner la pression que l'immédiateté nous impose, avec le recul
que le vrai mental possède et peut développer à l'infini, afin de
libérer du vide, de laisser pénétrer dans le temps rapide de la
nature une immobilité, ou une intemporalité qui relativise la
pression du désir et de la peur.
|
Notre
pensée n'est pas rivée au présent, à chaque instant elle s'égare
dans une anticipation, va chercher dans le passé une structure, — le
mental est complètement intemporel. C'est quand il est passif qu'il
se tourne le mieux vers le Divin, prêt à écouter ses suggestions.
Il n'est pas concerné par la sensation de l'instant. La nature du
mental n'est pas soumise à « ce qui se passe », et quand
bien même il reste en contact avec les prérogatives du corps, il
est disponible pour s'ouvrir à l'immatériel, au subtil, au
transcendant. Nous sommes partagés entre un pouvoir
intemporel qui divise le temps, passé, présent et avenir et
un pouvoir qui nous soumet à l'immédiateté, par le corps,
l'organisme, et en dérivant par les émotions. Et s'il y a bien
une chose dont le mental se moque, c'est du présent. Le mental est
presque tout le temps en train d'anticiper. Il n'y a qu'une dualité
qui est vraiment fondamentale: c'est la soumission du corps physique
et émotionnel à l'immédiateté (les deux branches inférieures) et
la liberté absolue du mental (l'ensemble des trois branches
supérieures). Le mental possède la faculté de tricher en
remplaçant l'observation par l'invention.
Le
clin d'oeil du Tao:
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Il
y a davantage de tricherie dans le mental que dans l'organisme
humain. Ne méprisons pas les émotions, elles surgissent pour briser
un déni de réalité entretenu par le mental qui veut éviter
l'humiliation ou la reconnaissance du danger, tout ce qu'il a intérêt
à ajourner pour
ne pas perdre la face.
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3 DÉBOUTER LE MENTAL ET LA MEMOIRE, DU RESSENTI
Le mental apparaît
parfois telle est une machine à tricher avec la réalité pour
sauver la face. Selon l'axe du moment désobligeant, on quitte
l'instant, pour se voir triomphant dans l'avenir, ou à l'abri dans
le passé, et c'est ainsi que le déni est devenu une religion.
Pour
le mental le temps n'existe pas, et il sautille en avant ou en
arrière pour ne pas se soumettre à la légitimité du moment. Il
est certes arrimé au corps physique, mais la faculté de penser est
intemporelle et n'a rien à voir avec l'évolution des espèces !
Parmi les deux-cents-cinquante-six espèces de singes, tout d'un coup
l'une débouche subitement sur une réalité colossale qui
n'appartient pas à l'animal... mais cette nouvelle espèce
conserve toute l'animalité. Comment voulez-vous que ça
fonctionne correctement ? Une friction terrible s'établit entre le
temps du corps et la souveraineté intemporelle de la pensée. Le
couplage ne peut pas fonctionner sans dysfonctionnements
— provisoires ou chroniques, ce qui pose la question des
trauma, des « secondes natures », des subpersonnalités
obsessionnelles et du karma. L'incarnation constitue une épreuve
permanente pour parvenir à utiliser le mental vers le haut sans
perdre le bas. Dès que le chef remplace la tête, le potentiel se
dirige vers le haut et perçoit le subtil (la tête ne peut rien
recevoir puisqu'il manque le branchement). Couronner la tête —
accéder au chef, permet d'investir la dualité fondamentale entre
l'intemporel et la perception contingente, cette ouverture des sens
soumise au milieu et à l'instant. Et si nous nions cette dualité,
sous prétexte que notre perception est la plupart du temps homogène,
nous serons rappelés à l'ordre par un événement hétérogène
qui provoquera la déchirure du moi avec le surgissement d'une
survivance dynamique d'attaque ou de repli: les émotions nous
soumettent à des prises de conscience.
Le
pur mental ne cherche pas à répéter les mêmes choses, aussi
peut-il chercher à s'évader en ne suivant que sa propre piste,
indépendante du socle matériel de l'enveloppe charnelle, assujettie
à un éventail de cycles coercitifs, et donc de répétitions
obligées. Cette politique possède des limites infranchissables,
mais elle est fort pratiquée puisque de nombreux êtres humains sont
d'une part incapables de structurer leur perception, et d'autre part
incapables de transformer leurs attaches vitales. Une personnalité
versatile peut très bien s'établir sur des habitudes existentielles
toujours identiques à elles-mêmes. C'est un système
extraordinaire, et cela ne dépend que de nous de nous pencher, à
partir d'une intelligence vierge qui ne cherche pas à conserver quoi
que ce soit par principe, sur les dizaines de cycles inamovibles en
apparence de notre vie contingente, dont les plus sensibles sont les
schémas relationnels ancrés, souvent indécrottables en fonction
d'empreintes négatives très anciennes, les habitudes alimentaires,
la représentation et l'usage de la sexualité, l'image de soi, et la
persona, l'identité du rôle qui a tendance à devenir
autonome sans une vigilance experte.
Nous
possédons un logiciel qui peut réfléchir sur tout ce qui se
présente en tant qu'imprévu, qui peut reflèter le nouveau
puisque n'importe quel événement inédit fait l'affaire de la
pensée, à condition que le yin soit aussi puissant que le yang.
Mais l'esprit non rectifié par l'ascèse ne bénéficie pas de ce
pouvoir, et les faits nouveaux s'interprètent avec des critères
anciens, ce qui produit de très mauvais résultats. Pour les jambes,
le logiciel « organique » fonctionne sur le mode
répétitif et cyclique, une dictature insensée des besoins
renouvelables. De nombreux systèmes d'engrenages, avec des
crémaillières en quelque sorte, organisent les relations entre le
système nerveux et les différents appareils, digestif,
respiratoire, circulatoire, le tout magnifiquement connecté aux
organes des sens qui font entrer sans cesse le non-moi dans le
moi.
Ici
encore, nous devons rétablir une vision saine de la réalité, et
redonner au yin la place qu'il mérite. Sous prétexte que
nous choisissons les objets que nous voyons, nous avons tendance à
imaginer que c'est notre perception qui va à l'encontre du monde
extérieur, qui s'élance, et cette croyance s'augmente du fait que
nous choisissons également le contenu de la plupart des moments qui
se présentent. Oui, nous pouvons admettre que notre perception est
yang et définit le rapport à l'extérieur, mais en fait elle
est tout autant yin, dans la mesure où ce sont bien le jour
et la nuit qui nous pénètrent de toute façon, qui nous envahissent
jusqu'à l'âme — quelle que soit la manière dont nous les
utilisons. Cette vérité n'apparaît pas dans la nature, qui nous
donne l'impression d'être les possesseurs de nos moments, et il est
donc nécessaire de mener l'ascèse assez loin pour se rendre compte
que, quoi que nous fassions, nous sommes un objet de l'univers avant
tout, qui ne fait que rebondir tant le temps le presse. Nous touchons
là au cœur du problème de l'incarnation: pour le yang,
voir, c'est voir ce qu'il veut voir, ce qu'il choisit de voir, et il
n'est jamais très loin du déni de la réalité, ne serait-ce que
parce qu'il passe son temps à se focaliser, à réduire le champ
pour en obtenir une faveur particulière. « Je détourne mon
regard si je veux ».
Tandis
que le yin reçoit les impressions du monde extérieur et
possède la capacité de s'identifier à ce qui le pénètre, que ce
soit voulu ou non, favorable ou défavorable, il ne sait pas opposer
de résistance conséquente, sinon la peur, par rapport au yang qui
ferme ou tient à distance. Le passif est donc meuble par principe —
et donc vulnérable, alors que l'actif ne peut pas l'être, sa
poussée s'oppose à l'impact extérieur, et contrecarre peu ou prou
l'inertie. Nous sommes donc absolument coincés, ou
plutôt comprimés si nous l'acceptons, entre l'ouverture qui
avale, absorbe, invite, et la fermeture, qui tient à distance ou
imprime son propre effet et, si nous trichons avec cette alternative,
que nous ne suivons pas la souveraineté du présent en nous entêtant
dans la fermeture ou l'ouverture déjà révolus par l'alternance
naturelle, alors l'émotion négative arrive souveraine et la Nature
parle: « regarde mon enfant, cela tu n'en voulais pas mais
tu as un corps et un esprit, et tu ne peux pas te débarrasser du
contexte qui te dérange ! Cesse de nier ton terrioire et apprends à
prendre du recul, c'est cela que tu as de mieux à faire. »
Car c'est bien là le problème de toute notre espèce, le déni
possède le mérite d'effacer — provisoirement — tout ce qui
révèlerait l'impuissance, l'incurie, la faiblesse de la nature
humaine. En fin de compte, le contentieux s'ajourne indéfiniement,
et il est fort probable que la première moitié du vingt-et-unième
siècle fasse remonter à la surface du temps tout ce qui n'a pas
été réglè depuis plus de deux mille ans.
4 LE MOI, CHAMP DE BATAILLE
Le
côté répétitif du cycle naturel explique la résurgence
d'adversaires que l'on croyait avoir écartés... et qui reviennent
au bout d'un cycle: ils s'étaient endormis et ils réapparaissent
sous une nouvelle forme. Ils testent à nouveau les limites de notre
capacité d'expression, notre usage du yang, et celles de nos
capacités de réception, notre usage du yin. Quelques survivances
dynamiques coriaces, colère, pulsion sexuelle exacerbée, peur de
l'avenir, convoitise magique de la sécurité, demande d'approbation,
complexe d'abandon, mépris, narcissime et dévalorisation de soi,
vanité de la réussite, recours à la manipulation, culte du secret
et de la dissimulation, ou encore culpabilité de principe devant
l'échec (— rédempteur en vue d'un progrès), reviennent, même
s'ils ont été affaiblis dans des phases antérieures. Ils agonisent
en quelque sorte cycliquement.
|
Comment
la nature, parvenue à un stade mental dans lequel la pensée est en
quelque sorte incorporée à l'organisme s'y prend-elle pour
maintenir l'homogénéité entre l'esprit et l'organisme ? Les
émotions imposent qu'on ne quitte pas le navire. Elles témoignent
de l'inséparabilité concrète du corps et de l'esprit et les réunit
contre notre gré, plus rarement avec notre assentiment comme dans la
sexualité.
|
Quelques
émotions extatiques s'effectuent dans la reliance, mais dans la
sexualité, c'est difficilement reproductible, on ne sait pas à quoi
tient l'émotion merveilleuse, cela nous déborde — sinon ce n'est
pas une émotion. La
plupart des émotions négatives dépendent de la jambe gauche et
ordonnent une forme de repli. Nous débusquons un ensemble
conséquent, la peur, la détresse, la tristesse passagère,
l'angoisse devant un proche avenir, le mensonge pragmatique de
dissimulation ou de fuite, le ressentiment qui est structuré
mentalement sur une base de mémoire négative, et qui redevient de
l'émotion à la moindre occasion. Une émotion très profonde permet
de rectifier l'image de soi, révèle les liens profonds entre le
corps et l'esprit, et pousse donc à se préoccuper d'une meilleure
stratégie pour investir le non-moi, afin de ne pas reproduire les
mêmes moments catastrophiques. « Je ne suis pas ce que je
croyais être » constitue un aveu à double-tranchant,
dynamique pour l'évoluteur, humiliant pour l'individu
socio-culturel. Si la vision de la dualité corps/esprit se renforce
après des épreuves émotives, par la même occasion, l'aspiration à
l'unité grandit, et rachète la phase subie.
TROISIEME
AXIOME:
Le
pôle narcissique et le pôle de dévalorisation obéissent à des
événements majeurs et leurs variations permettent de toujours
renouveler l'image de soi vers plus d'objectivité.
Le
stratège de l'évolution réagit chaque fois que son image de soi
est mise à mal par les événements, qu'il retombe dans quelque
chose qu'il croyait avoir dépassé, ou qu'il ne sait pas faire face
à une situation. L'image de soi est élastique, c'est la première
manifestation du chef, qui autorise la remise en question radicale de
la personnalité. L'image de soi est donc obligée de prendre place
dans le psychisme pour contrebalancer l'adhérence quasi
mécanique du moi à ce qu'il éprouve, et imposer un itinéraire de
principe. Les personnes qui ne sentent aucune antinomie entre leur
ego et leur être ne parviennent jamais à remettre en
question l'image de soi, ou n'en possèdent même pas. L'hypothèse
de « se revoir à la baisse » est exclue pour eux. (Is
devront attendre une déflagration entre les branches de l'étoile
pour pouvoir le faire). Le narcissime possède même plusieurs
degrés, aujourd'hui investis par de nombreux thérapeutes qui
logent l'échec existentiel de leurs patients autant dans les faits
que dans l'incapacité à les modifier, soit par un acharnement yang,
« je n'ai rien à changer dans mon attitude », ou une
obstination yin « je ne serai jamais capable d'échapper à
l'échec ». L'image de soi doit servir de relais temporaire et
nous renseigner sur notre capacité à vivre en fonction de nos
valeurs, c'est-à-dire qu'elle est une sorte de baromètre. Il est
bon de reconnaître quand nous nous décevons à nos propres yeux,
pour rectifier le tir, quand est-ce que nous éprouvons une
satisfaction intérieure à avoir accompli correctement quelque
chose, pour consolider la confiance. Nous nous rapprochons ainsi
d'une coïncidence entre le Tout et soi-même, grâce à une image de
soi exigeante mais également changeante, car il s'agit ni de se
reposer sur ses lauriers ni de se lamenter sur ses faiblesses. Il y
a la moitié du travail de fait quand nous n'avons plus peur de
reconnaître nos échecs, nos fautes, nos jugements faux, nos
relations défectueuses, mais il y a beaucoup de barrières
inconscientes pour nous empêcher d'accéder à cet état de
lucidité.
Je
refuse de décider, je ne veux pas me sentir coupable d'un échec.
Je
refuse de me voir objectivement, il y aurait alors trop de choses à
changer.
Je
refuse de me donner à la vie, il y aurait une trop grande perte de
contrôle.
Je
refuse de mettre de l'ordre dans mes désirs, il faudrait m'interdire
certaines choses.
Je
refuse d'éprouver la moindre peur, je trouve cela humiliant, et je
veux tout me permettre.
La
nature a horreur de se sentir faible. Sa formidable force peut être
contrebalancée par la Conscience, le respect et l'amour que nous
pouvons lui donner, sinon les bilans de notre existence montrent un
être faillible, incapable, prenant ses désirs pour des réalités,
et l'offense l'emportera sur la prise de conscience transformatrice,
chaque fois qu'une bataille sera perdue. La foi dans le potentiel
peut circonvenir les constats accablants sur les résistances que
nous rencontrons, et qui nous assaillent. Le mystère de
l'incarnation, de la nature et du Tout, c'est donc cette marge de
manœuvre imprévisible dans la manifestation des événements.
Projetée dans notre fonctionnement et notre vie, cette marge procure
une autonomie remarquable à chacune des cinq branches qui nous
composent, avec l'alternative complémentaire mais opposée, soit
celle de l'expansion holistique quand l'étoile entière bénéficie
de nouvelles informations, soit celle du dysfonctionnement quand les
autres membres n'ont pas pu s'adapter à la poussée de celui qui
vient de se développer.
C'est
ainsi que s'explique l'échec général de notre espèce. Des
expansions isolées de capacités qui ne respectent pas le
développement holistique du moi, et qui spécialisent outre mesure
la perception dans un champ étroit de compétence.
La
raison devient vite totalitaire chez les intellectuels et finit par
priver certains d'une sensibilité qu'ils possédaient au départ, de
même que l'adhérence yin seule, même profonde et esthétique,
risque d'empêcher toute fidélité à soi-même et à l'Idéal en
rendant le moi esclave de ses sensations, même subtiles, de son
besoin fusionnel, même éclairé. Le développement monolothique de
la jambe droite rend trop yang et débouche sur des formes
quelconques de rigidité, dans l'usage de l'autorité et de
l'expression, tandis que trop utiliser la jambe gauche tire vers la
paranoïa, les rituels, les superstitions de la chance, jusqu'à
l'évitement morbide de la responsabilité.
L'être
humain peut s'identifier à telle ou telle branche au détriment des
autres sans savoir relier spontanément cette expansion à
l'ensemble. On peut expanser les directions et, en exagérant,
cela dessine des tempéraments. Le bilieux possède une jambe gauche
démesurée, le lymphatique c'est le bras gauche qui l'emporte, le
sanguin la jambe droite, le nerveux le bras droit, et de la même
manière le schéma coïncide en partie avec les tempéraments
planétaires. Chacun de nous est caractérisé par une certaine
prépondérance et, sans vigilance, ça pousse tout seul dans la
branche où nous sommes déjà le plus performant — au risque
d'être entraîné trop loin. De la même manière à l'inverse, les
procèdures inconscientes refoulent la nécessité de tenir à
l'oeil la branche la plus faible, comme si elle pouvait être
éliminée. Le combat du yin et du yang se poursuit donc à notre
insu dans des zones quasi inaccessibles, si la ferme volonté de voir
ce que nous sommes ne s'empare pas de notre oeil intérieur.
C'est
la malédiction de la nature en quelque sorte, gonfler le facile,
rétrécir le difficile, chercher la courbe d'expansion la plus
gratifiante, développer les armes qui réussissent, laisser les
autres dans l'ombre, involuées, qui se réveilleront peut-être dans
des cas d'urgence extrêmes. Elle développe là où le plaisir
naturel l'emporte. Là où l'apprentissage sera pesant, c'est à nous
de mettre la main à la pâte pour obtenir des pouvoirs d'adaptation
supérieurs. La preuve en est qu'on trouve dans de nombreuses langues
les notions de mérite et de volonté, qui laissent entendre qu'une
valeur a été ajoutée par le moi lui-même à la personnalité qui
lui a été offerte par l'existence. On peut surdévelopper la
nature animique, qui concerne la satisfaction du désir: sous
prétexte d'ouverture, certains se croient tellement disponibles
qu'ils se permettent toutes sortes d'avancées inconsidérées pour
maintenir l'intensité dans l'approche du mystère, tombant dans le
piège de l'amalgame de l'ivresse et de l'aspiration. On peut booster
l'inverse, développer outre mesure le membre inférieur gauche,
courtiser le repli, exagérer la distance avec les choses pour s'en
débarrasser, et finir dans un monde d'apparence parfait, mais où la
vie n'aura plus cours. L'individu peut développer outre mesure ce
qu'il veut, dans cinq directions différentesVérifié cent fois en astrologie, il n'y a qu'une partie du thème natal qui fonctionne, ce qui est nécessaire, le reste peut rester inexploité jusqu'à ce que la conscience s'en mêle: c'est le grand renversement. Le purusha réveille la prakrtiti, et l'on devient responsable d'un travail de conscience. Le moi décide d'évoluer quand il utilise les événements comme les miroirs de son âme..
5 TROUVER L 'EQUILIBRE DE NOTRE PROPRE MORPHOLOGIE
ll
est dangereux de s'en tenir au développement volontaire, parce que
cela se fait au détriment de l'autre pôle. Et L'Occident commence
seulement aujourd'hui, grâce aux aspirants cosmiques, à reconnaître
le rôle de la passivité: recevoir et recevoir encore ! Après
absorption, ce qui est reçu se transforme et s'intègre, les
nourritures subtiles se digèrent et sustentent l'esprit. En ce
moment, le côté droit est démesuré, enflé dans notre culture de
masse, la mentalité du calcul et du programme s'empare de toutes les
intelligences. On ne se fait plus peur avec les pulsions, on méprise
l'intuition et la réceptivité — c'est un monde de perversion
avec un manque de culpabilité vraiment extraordinaire qui veut
sacrer un individu social, coupé de l'univers et de son âme. Un
éventail très large de satisfactions sur mesure, de plaisirs à la
carte, compense le refoulement de la transcendance. Il faut défendre
à chaque instant notre intégrité, notre profondeur, face à la
religion de l'objet protéiforme. Les autres nous font éprouver de
la colère et du ressentiment — c'est leur manière à eux de nous
retenir dans leur monde ordinaire et de provoquer les émotions qui
montrent nos limites. Si après un discours sur la vacuité
vous montez sur vos grands chevaux à cause d'une attaque
personnelle, cela fait désordre. Une véritable stratégie de
transformation libère de la posture spirituelle « supérieure »
— qui sert le plus souvent à se justifier de porter des jugements
de valeur méprisants, et de plonger dans l'ego des autres comme un
puceau jette un oeil dans un joli décolleté.
Appliquer
la transformation s'effectue par les deux pôles de l'esprit dans le
courant toujours renouvelé du présent: réflexion, rumination,
méditation, contemplation, ou bien pensée active, avec de
nombreuses déclinaisons dans lesquelles des invariants, des lois
apparaissent, qui donnent à la réalité une véritable architecture
d'ensemble sur laquelle le temps déploie son chaos. Les invariants
posent les conditions nécessaires pour effectuer une ascension
conforme aux principes réels des choses. Nous ne pouvons pas les
contourner, ils dessinent l'itinéraire conforme au Principe. Nous
les connaissons par les prédécesseurs, l'étude de leurs
préoccupations, les témoignages de leur expérience métaphysique.
Ils définissent les catégories essentielles des systèmes qui
représentent les différents fonctionnements des choses, et les
variations fondamentales de la réalité. Les invariants tiennent
dans les nombres, et plus les principes sont profonds et premiers,
plus ils sont proches de l'unité. Les dix sephiroth, la tétraktys
pythagoricienne, les huit trigrammes chinois, le septenaire
astrologique, le pentagramme, les gounas, le yin/yang, les couples
Ishwara/Shakti et Purusha/Prakriti, sont autant d'approches —
necéssaires et suffisantes — de l'un dans le multiple, qui
conduisent à consentir à la pluralité des forces qui nous animent
pour les distinguer, les purifier de leurs amalgames, afin de les
réunir à leurs source transcendante.
Toutes
les doctrines de l'ascension se donnent la peine de décomposer
l'homme en éléments, afin qu'il prenne conscience de ses pouvoirs
pour mieux les combiner vers le chemin divin. Les maîtres finissent
par jongler avec une poignée de prescriptions qui leur ont réussi,
parce qu'ils sont sortis du labyrinthe. Ils peuvent opposer le vide
et le plein avec génie, l'action et l'inspiration pour les
délimiter, et ils s'amusent aussi à proportionner l'élan et le
repli, chose à quoi se sont essayés tous les philosophes grecs
avant l'éradication par Platon de cette proéoccupation, l'âme
devant mettre un terme au règne de la nature. Le problème, nous
l'avons découvert dans notre culture récemment avec Nietszche puis
Freud, c'est que les deux taos qui nous composent ne sont pas
vraiment séparés, que les jambes se débattent quand les bras
veulent faire la loi. L'Inconscient et le subconscient codent ce qui
nous arrive — indépendamment de ce que cela représente pour nous,
dans des champs profonds dont les informations remontent parfois à
la surface pour troubler le présent. Assigner le mal au désir,
est-ce bien raisonnable ? Cultiver la peur de la mort, est-ce à cela
que doit se résumer une existence ? Quelle que soit la manière dont
nous nous y prenons, il apparaît bien que l'existence pose avant
tout la question de l'usage du temps, et des traces qu'il laisse dans
notre psychisme selon notre capacité à vivre l'harmonie. Quatre
principes différents convoitent le flux originel — le présent. La
peur est réellement à l'affût du danger, comme le désir est
réellement à l'affût du plaisir. La pensée rationnelle est à
l'affût de la rigueur, dont la logique est la forme la plus
générale, comme la pensée passive est à l'affût du moment
fusionnel, quel que soit le diamètre du cercle qui fonde
provisoirement le moi dans l'Un, sous un de ses aspects.
Nos
prédécesseurs dissidents apportent de l'eau à notre moulin et nous
encouragent à respecter les lois cosmiques davantage que les règles
humaines, puisqu'elles nous permettent de venir à bout des amalgames
malsains entre les pulsions et les pensées, et des combinaisons
inutiles ou nocives du yin/ yang, quand leur proportion est
défectueuse, ou que l'un des deux instrumentalise l'autre en le
réduisant au rôle qu'il veut lui faire jouer. Or, c'est ainsi que
le fonctionnement naturel s'établit, sans grande conscience, avec un
maître et un serviteur, alors que la collaboration est beaucoup plus
avantageuse. Le yang manipule le yin dans les fonctions contingentes,
en le poussant à de petites ouvertures, à des procédures d'écoute
acérées bien vite récupérées, qu'il limitera en fonction de ses
buts, sans se douter des immenses possibilités du principe s'il le
laissait se manifester à sa guise. L'inspiration, et la capacité de
trouver dans le hasard des indices prometteurs, et des bifurcations
favorables inattendues appartiennent au yin libéré du droit de
regard autoritaire du yang. Inversement, le yin peut concéder à se
servir ponctuellement du yang pour de petits parcours, de minuscules
actions pratiques, sans reconnaître par ailleurs son essence, la
célébration de l'élan, la confiance dans le mouvement, le goût du
risque, l'audace, l'expansion créatrice.
Nos
prédécesseurs nous incitent au chantier d'un travail conscient sur
les faiblesses et les failles, que la lame du temps met à jour pour
nous permettre d'évoluer, et nous décidons de ne plus nous laisser
berner par les signifiants. Le tch'an tient dans quelques
formules étincelantes qui font se rencontrer la Chine et Bouddha, ce
sont les arbres qui cachent la forêt de tous ceux et toutes celles
dont la vie humble visait le principe sans rien cibler, puisqu'aucune
direction particulière n'y conduit. L'idée d'attirer le Dao
à soi, plutôt que le poursuivre dans une direction donnée, telle
est finalement l'essence du non agir. Comme nous ne savons pas
vraiment où chercher l'ultime Vérité, faisons en sorte que ce soit
elle qui vienne à notre rencontre, afin de ne gaspiller aucun temps
dans d'illusoires itinéraires possédés par des vitesses
trompeuses. Allons jusqu'au bout de l'effacement, et l'empathie nous
permettra sans doute de devenir le yin absolu, qui reçoit le yang
absolu, la volonté du ciel, si nous conservons, tout en perdant les
actions inutiles, l'intégrité du feu.
Et
il n'y a finalement que deux types de points faibles. D'une part,
ceux qui proviennent de l'étanchéité du moi, se fermant à
des sources salvatrices dans un parti-pris d'orgueil et
d'indépendance, construisant une cuirasse, fignolant une carapace
dans l'espoir de rester à l'abri du danger, alors que ce dernier est
déjà parvenu, comme le cheval de Troie, à s'emparer de l'esprit en
le rendant hermétique à l'altérité. D'autre part, le second
adversaire fondamental consiste dans la perméabilité
absolue, qui provoque des dévastations par l'envahissement consenti
de valeurs parasites, de moments toxiques, d'influences morbides,
comme si le sujet ne pouvait se résoudre à poser la moindre limite
entre l'altérité et lui, préférant se perdre dans une
identification mortelle qu'ériger une barrière entre le non-moi et
lui. La meilleure façon d'évoluer consiste donc à comprendre que
le yin et le yang possèdent des caractères
foncièrement hostiles quand ils prennent le pouvoir d'une manière
absolue sur l'esprit, après avoir chassé leur contraire, ou bien
quand ils reviennent concentrés sous la forme des survivances
dynamiques, pour protéger l'ego. Et ces deux principes si puissants
possèdent tellement de manœuvres à leur disposition que seule une
vision de leur unité contradictoire donne la clé de leur pouvoir.
Pour
les considérer dans leur égalité stratégique, pour apprécier le
génie de chacun, il est nécessaire de venir à bout aussi bien de
la préférence que de l'aversion. Même si le yin ou le yang demeure
en chacun de nous le premier, le princeps, sur le champ de
bataille nous devons ressentir quelle arme est la mieux adaptée,
l'attaque ou l'esquive, l'avancée ou le détour, l'expression
pragmatique ou une nouvelle intériorisation qui prépare une réponse
plus complète. S'extraire des ornières de la nature est donc
possible, à condition de décider soi-même de la suprématie du yin
ou du yang à chaque moment. Ce que l'habitude veut nous imposer, ce
que le caractère nous enjoint constituent des réponses préconçues
qui veulent faire prévaloir le moi sur le présent, comme s'il
pouvait s'en rendre maître, indépendamment de son contenu. Alors
que la solution fournie par la conscience aura tenu compte au plus
près de la configuration événementielle, de l'état du territoire,
de la posture des adversaires, par un ressenti exhaustif, la nature
naturante associée au mental générique, se contente de quelques
manœuvres grossières, adaptées à la survie seulement, et non à
l'évolution. Car nous devons considérer le mental comme une
innovation évolutive, aussi chaotique qu'il soit, puisqu'il prépare
un passage, à long terme, vers le supramental pour notre espèce.
Aussi l'utiliser pour venir à bout des ruses de la nature, des
entêtements du socle matériel, n'est pas un luxe spirituel, mais
une nécessité absolue pour franchir le cap décisif de l'ascension.
Scruter
le temps depuis une étoile harmonisée, une forme consciente,
prévient les tours qu'il peut nous jouer, avec ses innombrables
artifices, ses séductions imprévues, ses menaces ricanantes, ses
grimaces inattendues, ses accidents stupides, afin d'éviter de trop
nombreuses fausses routes. Se libérer du samsâra, oui,
encore faut-il l'avoir percé à jour, savoir produire le positif, et
consentir au négatif quand il se manifeste, ce qui suppose une
alliance amoureuse du yin et du yang, un travail profond qui nous
permettra de savoir compter sur l'un ou sur l'autre, quoi qu'il
arrive. Nous cessons d'être des orphelins de l'Esprit quand nous
sommes devenus aussi conscients de notre indépendance que de notre
capacité à embrasser le Tout.
Car
la question est simple, s'il n'y avait pas conscience d'un manque,
d'une lacune, d'une impuissance, ou encore d'une incapacité ou d'une
séparation — ce qui revient de toute façon au même, notre vie
s'accomplirait dans le prolongement de la nature, et c'est justement
ce que les possesseurs du chef refusent: la dictature d'ensemble des
bras et des jambes toujours sous la menace d'un conflit entre eux,
chacun tirant à soi la couverture selon les stimuli extérieurs, la
pente du caractère, les insatisfactions et les revanches à prendre
sur de faux échecs qui n'étaient que des étapes en creux, et sur
de fausses déceptions qui n'étaient que le moyen d'une prise de
conscience.
Il
s'agira donc de trouver comment le haut et le bas peuvent converger,
le plus souvent après des batailles épiques, comment le yin et le
yang peuvent ensemble partager le territoire du temps, alors qu'ils
semblent vouloir par un décret de la nature qui les code en phases
alternatives, s'exclure mutuellement — tant que chacun peut
l'emporter dans une période donnée. Il s'agira donc de vérifier le
cours des choses lors de leur flux présent, ni avant ni après
l'opportunité du changement. Il s'agira d'intervenir soit pour
abréger un mouvement qui se survit déjà, soit pour mettre
un terme à une pose qui entre en conflit avec le déroulement
exhaustif, aux perpétuelles modifications rapides. Nous trouvons
parfois les traces d'une vision capable de combiner les deux
principes fondateurs, et l'exemple le plus représentatif est donné
par le traité de stratégie de Sun Zi:
Lors de vos
opérations militaires,
faites semblant de vous laisser duper
par les plans de l'ennemi
tout en visant son flanc exposé.
Le
début de la phrase expose une tactique yin qui dissimule, tandis que
dans la seconde partie, une tactique yang est préconisée. Après
tout, la complexité n'est-elle pas le propre de la Manifestation, et
les contraires ce qui la met en œuvre ?
6 RELIER LES BRAS ET LES JAMBES
Nous
pouvons jouer avec la nature, sans se laisser prendre à ses filets,
mais il est alors nécessaire que la volonté de ne pas en abuser
soit égale à la capacité de la goûter. La question de « la
jambe droite », c'est bien ce qui a fait couler le plus d'encre
partout sur Terre, depuis l'invention de l'écriture. Le désir et
son rôle, quand l'appétit devient-il pervers, ou bien l'est-il à
sa racine ou ne le sera-t-il jamais ? Le besoin sexuel peut-il être
assimilé à la soif et la faim, qui, empêchés de parvenir à leur
objet, entraînent la mort ? Le désir sexuel est violent, exigeant,
insatiable si l'on s'y adonne, et affamé si l'on s'en prive, ce qui
en fait le problème philosophique le plus épineux à traiter,
tandis que dans le yoga,
son statut est plutôt de s'en libérer. Néanmoins, dans la mesure
où les frustrations peuvent dans certains cas empêcher la
sublimation, il devient inutile de faire de l'abstinence une règle
absolue. Qu'on y cède ou non, qu'on le vénère ou le dénigre, ou
que, comme Diogène, on le traite à part de tout le reste, en y
répondant sans partenaire, pour jouir d'un esprit tranquille après
satisfaction, le fait est que le désir est tout puissant. Les bras
dépendent en grande partie des jambes dans notre modèle étoilé,
et en voie de conséquence, une partie des qualités du sexe qui nous
revient se traduit également en prédispositions psychologiques
correspondantes. Nous voyons par là qu'à notre insu de nombreux
courants fluctuent entre l'organisme et la pensée, en-dessous de
notre perception. Si le supramental est capable de mettre un ordre
dans l'axe vertical, nous devons de toute façon nous préparer à
cette descente en « purifiant » la jambe droite, modérer
l'emploi du désir.
|
Le système qui
consiste à se débarrasser des choses indésirables par anoubhava
(assouvissement) peut également être dangereux; sur ce chemin, il
est plus facile de s'empêtrer davantage que d'arriver à la liberté.
Cette méthode s'appuie sur deux principes psychologiques bien
connus. L'un, le principe d'épuisement volontaire, est valable dans
certains cas, surtout quand certaines tendances naturelles ont une
emprise trop forte ou une poussée trop puissante pour que l'on
puisse s'en débarrasser par vichâra, c'est-à-dire par le procédé
de rejet et de substitution du mouvement vrai; quand ceci arrive
avec excès, le chercheur doit parfois même retourner à l'action
ordinaire de la vie ordinaire et en faire l'expérience vraie avec un
mental nouveau et une volonté nouvelle derrière, puis revenir à la
vie spirituelle une fois que l'obstacle est éliminé ou prêt à
être éliminé. Mais cette méthode d'assouvissement volontaire est
toujours dangereuse, bien que parfois inévitable. Elle ne réussit
que si l'être possède une puissante volonté de réalisation, car
l'assouvissement entraîne une forte insatisfaction et une réaction,
vaïragya et dès lors la volonté de perfection peut être poussée
dans la partie récalcitrante de la nature. .
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Sri Aurobindo dans l'Agenda de Mère 1962
C'est
au centre de la philosophie présocratique, des religions, des
revendications de toutes sortes: quelle liberté est-elle la nôtre
si nous dépendons à ce point de la sexualité, notre animalité
nous empêche-t-elle de développer l'être au présent, qui aspire à
une complète harmonie avec la totalité ? Mais la question de la
liberté se pose autant avec la main-mise de la jambe gauche,
n'y-a-t-il pas, dans l'abandon au Divin, un risque que je refuse de
courir par peur, crainte du lendemain, d'être moins performant dans
la société, voire rejeté ? Quelle que soit la manière dont sera
traité le problème, le nœud gordien est là: le désir source de
félicité et de désarroi dans la même escarcelle, la peur source
de sécurité face au vrai danger et origine de toutes les lâchetés
quand l'esprit se complaît à s'angoisser s'il perd tant soit peu de
contrôle. La complémentarité des contraires, avec l'image
d'aimants qui se repoussent dans un sens et s'attirent dans l'autre,
demeure le principe fondamental, — pas d'Un sans deux — dans
la Manifestation. En physique pas d'attraction sans répulsion, en
amour, la haine peut survenir après les abandons ou « trahisons ».
Pas de mouvement sans repos, ni de jour sans nuit. La lumière a
besoin de l'espace pour s'exprimer, et sans distance à parcourir, sa
vitesse serait insignifiante. En métaphysique, il ne reste au sommet
que la Conscience et l'Energie, toutes les deux si subtiles pour nous
qu'elles en paraissent immatérielles. Dans le dépliage descendant
des principes, le mâle et la femelle reproduisent les lois qui
existent en amont, l'impulsion et le déroulement, ou l'origine et le
développement, et nous pouvons donc décliner cette complémentarité
dans de nombreuses fractales sur différents plans, comme l'indique
le Yi-King. Nous voyons que le Deux s'est emparé de tout, jusqu'au
oui et non, jusqu'au code binaire des ordinateurs, et que nous avons
une grande facilité nous-mêmes à comprendre les choses par leur
contraire, pas de norme sans transgression, ni de guerre sans paix,
ni de conflit sans accord, ni de richesse sans pauvreté. Ce qui met
une touche finale au tableau, c'est que ce sont de nombreuses petites
fractales du yin/yang qui se disputent la dualité la plus
chère à notre cœur, avec le passé en face du futur, l'un le
contraire de l'autre. Le futur hérite de toutes les déceptions du
passé, qui sont transformées en attentes, aussi faut-il s'en méfier
autant que des mémoires.
Nous
ne méditons pas assez sur le fait que le présent, lui, n'a pas de
contraire, pas d'inverse, et qu'il est ainsi le réservoir de toutes
les choses qui s'affrontent et se détruisent, ou se combinent et se
perdent l'une dans l'autre. C'est le couple intention/acte qui peut
utiliser le présent d'une manière constructive, mais les intentions
restent souvent lettre morte (comme les bonnes résolutions
abandonnées) abattues par la vitesse, tandis que beaucoup d'actes
sont entrepris sans dépendre d'une réelle intention. Gérés dans
le fil de l'habitude, de la soumission ou de l'imitation, rarement
dans celui de la nécessité, ces actions donnent le sentiment d'une
stabilité illusoire. Voilà explicitée la difficulté de combiner
le yin et le yang dans le fonctionnement de l'étoile, ou de marier
la théorie et la pratique si l'on préfère. Le bas résiste au
haut, le yang ne se donne au yin qu'épuisé, le yin ne se donne au
yang qu'en dernier recours, pour renaître au lieu de mourir. Donner
de la substance à nos intentions supérieures constitue une
entreprise difficile, — les quatre membres éprouvent de graves
difficultés à partager le même but.
5 LES LOIS DU SYSTEME
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Les hommes voient les
événements comme quelque chose d'inaccompli et qu'il faut chercher
à atteindre, qu'il faut réaliser. C'est une fausse manière de
voir. Les événements ne se réalisent pas: ils se révèlent.
L'événement est Brahman déjà accompli de tout temps et qui
maintenant se manifeste. Sri Aurobindo
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1 LA MAIN-MISE DES POLARITÉS
Les
deux approches de l'immédiateté par le mental, yang et constructive
ou yin et ramificatrice, doivent s'épauler, mais sans conscience de
soi, le vital accomplit et choisit sur le mode répétitif, ou bien
un seul bras fonctionne — et veut faire le travail de l'autre ! Le
potentiel de l'unité de l'ensemble est ainsi gaspillé par la
nature, mais en ce qui concerne les évoluteurs, ils sont prêts à
observer le fonctionnement hasardeux de leur caractère pour
dégager le potentiel de transformation. C'est dans ce sens que
toutes nos erreurs, et même toutes nos fautes nous sont utiles si
l'aspiration prend en main notre étoile et se jette à l'eau dans la
découverte des résistances verticales,
agir
ou s'abstenir,
et
des résistances horizontales,
la
tentation de cultiver le désir et la peur.
C'est
dans ce sens également que toutes les émotions renseignent, qu'on
les trouve d'abord humiliantes ou non. C'est leur portée qui est
utile et non ce qu'elles sanctionnent dans la douleur. C'est très
courant de vouloir avancer sans avoir développé suffisamment le
pôle déficient, c'est alors pire que de ne pas évoluer du tout,
puisque la prépondérance naturelle est encore davantage poussée,
ce qui provoque l'augmentation du déséquilibre, compensée par des
manifestations compulsives régulières, une seconde nature qui
déborde d'un éventail de survivances dynamiques. La colère et
l'intimidation maintiennent le yang dans le déni du yin chez
les types excessifs, comme la plainte, le mensonge et la
dissimulation maintiennent le yin dans l'évitement du yang.
La nature nous emmène dans la direction qui lui est le plus
favorable, et sans une descente en soi, on peut toujours être
victime de la même stratégie qui échoue dans les moments
hétérogènes, soit le volontarisme qui devient aveugle, ou le
lâcher prise peu importun qui se termine en fuite, et qui n'est en
dernière analyse qu'une forme de lâcheté. Ce parti pris
naturel de préférer la puissance la plus adroite atrophie
complètement la plus faible — le yin ou le yang en le reléguant.
Se fabrique alors l'ego spirituel, soit celui du chercheur qui sait,
côté droit, et croit qu'il peut régenter la vie et obtenir par le
mérite seul; soit celui du chercheur « qui se donne » à
gauche, sans jamais faire quoi que ce soit d'autre que se couler dans
le courant en subissant tous les événements, tout en feignant d'y
consentir. L'irritation agressive à fleur de peau est le signe d'un
yang tyrannique, la susceptibilité maladive, celle d'un monopole du
yin. Ces compulsions peuvent également se mélanger, s'épauler pour
rétablir un équilibre vital quand la personne a pris l'habitude de
vivre sous la dictature d'un des deux pôles, ce qui l'expose à de
perpétuelles décalages avec la réalité relationnelle et sociale.
Des voies « sincères » mais étroites égarent le
chercheur pour s'être déroulées dans le déni de l'actif ou du
passif, compris au sens large. Le plus faible aura été écrasé par
la confiance absolue en l'autre, qui finit par imposer le même
itinéraire dans des circonstances fort éloignées les unes
des autres, ce qui se solde un jour ou l'autre par un écart
conséquent entre le chemin et la destination où il était censé
mener.
L'incapacité
de « faire » quoi que ce soit de son propre chef sous
prétexte que toutes les voies sont égales, une mécompréhension de
la toute puissante volonté divine, de l'Inch Allah musulman, ou à
l'inverse l'impossibilité de ressentir son être sans contrôler par
des centaines de critères le présent afin qu'il soit conforme à
l'usage qu'on veut en faire, représentent les abus du yin et du yang
quand l'ego, fier de ses prérogatives, décide de s'emparer de l'âme
d'un des deux principes de la Manifestation. Reconnaître l'égalité
du yin et du yang constitue donc un pas décisif dans l'ascèse, et
le développement du principe le plus faible doit faire l'objet d'une
attention soutenue. Puis il sera question de mener sa barque avec la
souplesse nécessaire pour faire face à tous les obstacles. Un seuil
décisif est franchi quand l'évoluteur choisit le yin ou le yang
conformément au profil des circonstances, au lieu de pratiquer,
comme au préalable, la seule stratégie disponible dans toutes les
situations, comme si elles pouvaient toutes se soumettre à une
politique préconçue.
Le
clin d'oeil du Tao:
l'effort
est parfois le seul moyen de réveiller le pôle déficient...
l'abandon
est parfois le seul moyen de retrouver de vrais repères.
2 LE MENTAL, PASSAGE EVOLUTIF
Une
personne trop campée dans le raisonnement manquera d'intuition et
sous-estimera l'inconscient de la jambe gauche. Elle pourra même se
persuader qu'elle n'a peur de rien en évitant de descendre dans les
abîmes, ce que représente la mort, la déchéance, le temps. Le
raisonnement est bien pratique pour emballer la réalité et agir
dessus, mais ce sont dans des zones faciles à atteindre qu'il se
déploie, et il n'est même pas très utile pour mener l'observation
de la nature, car il pourrait fausser l'interprétation de la peur et
du désir. L'intuition est aussi indispensable que le raisonnement et
elle écoute le corps distinctement, sans lui demander de jouer un
rôle. L'ouverture totale reconnaît le besoin d'intuition, une
disponibilté consacrée à l'inutile — au champ infini — et
reconnaît également la nécessité de comprendre par la rigueur
logique, l'itinéraire causal et les moyens du but. Il n'y a pas
d'incompatibilité puisque ce sont les deux formes primordiales de
l'imagination qui l'une et
l'autre sont imprégnées du même potentiel conscient. Les
deux bras se rejoignent au centre, servent le même but, l'un par
l'habileté dans l'action, l'autre par l'habileté dans la réception.
Et s'il est judicieux de savoir les combiner et les alterner avec
intelligence, c'est une chose assez rare dont je vous indique le
chemin, si vous acceptez, primo de vous reconnaître dans la dualité
corps/esprit, et secundo de ne jamais prendre au sérieux cette
séparation qui n'est établie que pour provoquer l'amour de l'unité.
Demander à l'intuition ce qui ne la concerne pas, et au raisonnement
ce qui est hors de sa portée, c'est ce que nous faisons dans notre
grande majorité parce que c'est ainsi que nous sommes fabriqués,
on mise sur ce qui « marche » mais c'est
insuffisant. C'est une des idées maîtresses de la vision
supramentale, la difficulté d'utiliser correctement le mental —
c'est l'histoire même de l'incarnation, et plutôt que de mettre de
côté le pouvoir de la pensée, la conscience supramentale propose
d'en conserver l'aspect essentiel de l'intelligence, comprendre afin
de percevoir des taos de plus en plus profonds et larges, dans
le dessein d'une identité absolue non seulement avec le Soi, mais
avec les autres, et la vie à transformer.
Si
tout est un, comme le dit Sri Aurobindo dans le second tome de la
vie divine, le mental conserve la trace du Divin originel, et il
peut donc être employé avec confiance, contrairement aux
affirmations de nombreuses écoles zen, qui n'ont pas la
prétention, il est vrai, de ramener l'humain au Divin, le satori
étant considéré comme un aboutissement qui nous rend quitte
avec la totalité. Si la nature accomplit très bien son office dans
l'animal, le primate humain dispose du mental qui s'y superpose, et
voilà mis en place le pouvoir de faire n'importe quoi du présent,
devenant une marchandise. C'est une faculté nommée pompeusement le
libre arbitre qui prétend gérer le présent, et qui apparaît à la
lumière du supramental comme la plus trompeuse contrainte à
laquelle une créature peut être soumise. Car l'explosion de l'
étoile, notre fonctionnement ouvert vers la terre et le ciel, le
passé et l'avenir, provoque tout et son contraire dans notre univers
psychologique, esclave de l'impact des circonstances. De
l'observation, de la pure imagination solaire — le mieux, de la
pensée constructive mêlant des projections de convoitise et des
concepts, des cheminements préconçus et des errances consenties ou
involontaires, de la rêverie molle et du fantasme (si le bras gauche
tourne à vide dans son coin), des opinions défensives sans valeur,
ou encore de la « reconnaissance » naturelle, qui sauve
l'ensemble des pensées médiocres — ces rares moments pendant
lesquels nous comprenons en profondeur qu' écouter l'univers et
les parties qui nous assemblent constitue un projet exhaustif qui
provient de la Conscience et y ramène.
Ces
possibilités incalculables de sensations, d'impressions et de
pensées qui s'entrecroisent ne sont guère favorables à l'évolution
puisque le présent apporte par lui-même le chaos et cisaille
des mouvements, déroute des projets, provoque des occasions
aléatoires et des accidents certains, attaque les structures,
compromet la stabilité, — le présent avance masqué. La
fameuse phrase « Nul ne sait ce qu'il pensera trois minutes
plus tard », n'est pas un simple aphorisme brillant, mais
l'aveu — et il faut avoir abandonné toute tentation de déni pour
le faire — qu'aucun ordre ne peut être fixe dans la Manifestation.
Les principes immobiles le sont sans doute dans l'éternité, mais
dans le samsâra, rien ne peut perdurer tel quel. Autant dire
que les transformations sont nécessaires, non seulement dans ce qui
est de l'ordre du progrès et qui varie sans cesse, mais elles sont
également indispensables à la maintenance du Même. Cette vérité
est si dérangeante que tout le monde la fuit. Bien sûr, on
l'applique au monde mécanique, et l'on sait bien que de nombreux
appareils ont besoin d'entretien et de révisions, mais en ce qui
concerne le moi et ce qu'il détient, la pratique de l'observation
permanente est bien rarement ancrée. D'où la sempiternelle histoire
des couples qui réalisent un beau matin qu'ils ne s'aiment plus, le
yang se confinant dans la possession et le yin dans le taire, alors
qu'un simple échange spontané et perdurable aurait pu sauver la
situation, une excellente perspective par exemple dans une famille.
Que faut-il incriminer ? L'habitude ? L'entropie ? La banalisation
d'un bonheur qui doit trop au hasard ? L'érosion de l'échange,
comme s'il ne pouvait pas s'approfondir avec un peu d'écoute ? Ce
problème concerne tous les évoluteurs, la Voie peut parfois
s'étrécir ou se perdre dans un itinéraire d'apparence conforme, un
tao, qui donne le change: la cristallisation guette, Saturne
régit le déclin, ou comme le dit encore l'adage, qui n'avance
pas recule.
Mais
le sentiment que le moi doit s'adapter sans cesse aux obstacles qui
surgissent alors qu'ils sont encore en germe au lieu d'attendre
qu'ils prennent de la puissance destructrice ne s'obtient qu'après
une longue pratique de l'attention spontanée. L'impulsion du yang
doit parfois varier de la direction originelle pour accorder sa
puissance aux nouvelles circonstances et découvrir que la cible
bouge, que des efforts sont exigés pour conserver une orientation
absolue dans son principe mais variable dans la forme, car les actes
ne peuvent garantir une trajectoire parfaite s'ils se reproduisent à
l'identique. Rien n'est plus absurde que de consolider ce qui doit
disparaître ou diminuer, et pourtant c'est ce qui nous « pend
au nez » si le présent n'est pas examiné de très près. De
même, le yin menace rapidement d'indifférence, de sommeil et
de torpeur une trajectoire qui semble tracée d'avance, et qui se
développe dans une sorte de facilité spontanée et involontaire, ce
qui finira par émousser la volonté, et produire une allergie au
difficile.
|
Or
chaque moment présent est si pur et si vrai qu'il possède le
pouvoir de remettre en question tout ce qui a été établi dans le
royaume de la forme. La seule chose à l'abri du serpent du temps est
l'aspiration divine.
|
Il
est question d'entretenir ce qui est pérenne, sinon comme le reste,
le favorable se dissout ou se fossilise, et nous avons tout à fait
le droit d'établir que le favorable doit être une constante, et non
le fruit du hasard, mais il faudra alors savoir l'implanter de
manière durable dans une vision informelle à l'abri de la chance et
de la malchance, en éliminant l'infortune ou en sachant en tirer
parti. Le simple passage du temps implique une lutte à
contre-courant pour préserver par toutes sortes de soins et
d'attentions ce qui ne mérite pas de passer, ce qui doit perdurer.
Lutter contre l'entropie constitue donc un merveilleux projet. Le
temps qui nous avale nous nourrit suffisamment pour que l'érosion de
toutes choses soit compensée, contrebalancée, rachetée par un
regard souverain, un gain intemporel, une conscience qui s'établit
au-dessus des valeurs yang qui brûlent et des valeurs yin qui
moisissent. Finalement, la petite illumination qui est bien pratique
consiste à décider que notre esprit peut investir et coordonner les
orientations de la croix cardinale qui fonde notre morphologie. Si
vous voulez jouer avec votre potentiel, prononcez à haute voix:
je n'ai plus peur des nervures qui séparent les cinq branches,
l'hétérogène me montre le chemin des transformations vers
l'homogène.
|
La
verticale partage le yin et le yang et nous divise: avancer ou
reculer, commencer ou attendre, continuer ou s'arrêter, consolider
ou transformer, parler ou écouter, exprimer ou recevoir,
conceptualiser ou méditer, diminuer ou augmenter, ralentir ou
accélérer, produire ou réfléchir.
|
Ce sont des alternatives
permanentes, de belles petites crémaillères qui font tourner
l'horloge de notre temps subjectif. Sommes-nous capables, comme les
stratèges chinois, de sentir l'amorce des choses, ce qui permet de
laisser se développer les bonnes et d'éliminer les mauvaises avant
qu'elles aient acquis trop de pouvoir ?
|
Koans:
Peut-on
gaspiller l'inutile ?
L'émotion
appartient-elle au dessus ou au dessous, au corps ou à l'esprit ?
Quand
est-ce que demain sera aujourd'hui ?
|
3 STRATEGIE UNE ET TACTIQUES OPPOSÉES, LE MODÈLE UNIVERSEL
Chacun
de nous fait trop confiance au bras droit ou au bras gauche, mise
plutôt sur l'allant ou le repli. Un point faible correspond à la
manifestation brute d'une des branches, propension au contrôle, qui
rétrécit et crée des conflits, arrogance conquérante et ouverte
qui change souvent d'objet et aime se précipiter, ou prédilection
du repli qui inhibe, expose à surenchir les difficultés
matérielles, ou encore culte de la perméabilité qui se pousse en
avant, et se soumet à de trop nombreuses attentes d'ordre
spirituel. Que l'écoute serve à l'action, et que l'expression serve
une meilleure écoute, tel est le projet exhaustif, une
communication, voire une communion entre la capacité d'absorber dont
nous tirons des nourritures merveilleuses qui nous donneront la force
et l'habileté de faire le contraire: exprimer, déterminer, agir.
Inversement, une fois que nous aurons apposé notre sceau dans la
réalité, cette affirmation nette et sans bavure nous permettra de
mieux sentir ce que nous avons encore à apprendre, par réceptivité
pure, pour améliorer l'action, le service, l'indépendance vis-à-vis
du monde extérieur.
Or,
il n'est pas si évident que cela de faire profiter le yin des acquis
du yang et réciproquement, primo parce qu'il faut savoir que c'est
possible, deuxio parce que les développements peuvent rester
parallèles si la nature gouverne, alors q'une réflexion profonde
sur le faire permet d'en changer la manière, de purifier les
mouvements, de ne conserver que les meilleurs, et qu'une action sur
le non faire permet également d'améliorer les performances du yin.
Les horaires de passivité pure, de réceptivité ne doivent-ils pas
être mis en place, décidés par une implication solide ? C'est sur
cete question que butent de nombreux chercheurs qui ne parviennent
pas à libérer assez de temps réceptif, et qui par la suite se
plaignent de faire des progrès dérisoires. Alors que nul éveillé
ne cache que la détente, que le relâchement nerveux sont
indispensables pour jouir d'un esprit holistique, et que cela
s'obtient par une mise à l'écart des soucis contingents, beaucoup
continuent de diviser leur perception en deux, une tranquillité à
la maison qui compense une excitation à l'extérieur. Or, le lâcher
prise n'est opératif que s'il se maintient au cours de toutes les
activités. L'esprit peut s'entraîner à voir les choses de loin,
même dans les préocuppations les plus triviales, et c'est cela le
chemin de l'unité et non un meilleur clivage mouvement / repos, qui
améliore les performances du yang et celles du yin séparement.
Instaurer un faux équilibre est pourtant tentant, puisque des
progrès s'effectuent des deux côtés, mais l'avancée véritable
consiste à pouvoir ralentir la pensée en permanence et dans toutes
les circonstances, jusqu'à ce qu'elle bénéficie de petits
intervalles vides pendant lesquels le Soi vient nourrir le cerveau.
C'est le chemin par lequel la pensée est ressentie de plus en plus
comme un simple instrument du moi, et non pas comme l'artisan de
l'identité.
Nous
devrons disposer d'une tactique offensive et d'une tactique
défensive, toutes les deux au service de l'unique stratégie:
devenir plus conscient. Comme dans une guerre, comme aux
échecs, le terrain et l'adversaire se prêtent plutôt à exercer le
yin que le yang, et il en est de même dans le flux du
temps, qui nous soumet à de nombreux événements. L'échec
spirituel s'explique par de nombreux facteurs, dont la réduction de
la stratégie de l'appel — embrasser la Voie — à une tactique
unique et répétitive qui ne s'adapte pas à tous les contextes.
« Je vais évoluer exclusivement par le raisonnement » —
cela donne les esotérismes secs et parfois fascisants et l'idolâtrie
des nombres ou des Idées, « je vais évoluer exclusivement par
l'intuition » — on finit par se ruiner chez les devins et
astrologues en attendant qu'un nouveau monde meilleur tombe du ciel
comme de la pluie, « je vais évoluer seulement par
l'observation » — on rejette le champ qui n'est pas contrôlé
ou passe inaperçu, en rétrécissant les mondes subtils,
inobservables, « je vais évoluer juste en me méfiant de
l'allant » — on finit par mépriser l'existence et cultiver
la culpabilité du désir, « je vais évoluer grâce à une
volonté de guerrier renforcée chaque jour » — le yin prend
ses cliques et ses claques... Autant d'exemples caricaturaux pour
nous mettre en garde contre le fantasme de pouvoir anticiper les
étapes de notre évolution. A court terme, oui, mais n'importe quel
événement d'envergure, obscur ou lumineux, remet en question aussi
bien l'image de soi que la tactique employée jusqu'à cette
nouvelle prise de conscience.
Comprendre
la morphologie humaine des principes ouvre sur toutes nos
possibilités, et nous réalisons que le temps, mal employé, est une
prison, ou un boa constrictor, qui étouffe facilement celui qui perd
le fil de son évolution. L'avancée vers la Conscience ne peut pas
être exclusivement positive, elle révèle toute la réalité, et à
chaque montée correspond une descente proportionnelle. La vision
évolutive multiplie les contraintes, non parce qu'elle les invente,
mais parce que nous les découvrons, alors que le but de la nature
était de nous les cacher, qu'on se préoccupe seulement de vivre au
petit bonheur la chance jusqu'au dernier souffle. Une des premières
phases de l'initiation oblige souvent à méditer tous les jours sur
la mort, comme les sannyasins shivaïtes qui se promènent
avec un crâne humain, et le résultat se traduit par un sens plus
aiguisé de la valeur du présent. Pour se préparer à l'éveil ou
au supramental, une investigation panoramique permettra de faire de
l'évolution accélérée. Cela comprend l'étude de nos résistances,
de nos faiblesses, de nos aversions — tout ce qui rechigne à la
tâche quand il faut s'aligner sur une prise de conscience qui
engendre des bouleversements en nous montrant l'insuffisance de nos
moyens.
L'ajournement
de fuite, c'est du yin qui ne se renverse pas, comme ruer dans les
brancards exprime le yang excessif, réactif, tandis que l'expression
« prendre le taureau par les cornes » indique au
contraire un renversement primordial du yin vers le yang. «
Mettre de l'eau dans son vin » exprime également un
renversement du yang vers le yin, quand l'implication et la volonté
apparaissent comme insuffisantes pour régler une situation, et que
le moi est poussé dans ses retranchements, quitte à se poser,
vaincu, des questions sans réponse plutôt que d'imposer des
solutions défectueuses. Les faits nous renseignent sur nos
faiblesses, sur nos angles morts, et de même que l'évolution finit
par trouver la forme la mieux adaptée à chaque espèce en fonction
de son environnement, nous n'avons aucune raison de douter de la
capacité d'apprendre à modifier les confrontations aux attaques
qui nous perturbent. On peut toujours, quelles que soient les
circonstances, creuser plus loin le sentiment de la peur et
l'évaluation de l'opportunité du désir. Les peurs « subtiles »
concoctent des empêchements a priori, et
ordonnent le repli indépendamment des menaces réelles. La
peur de la société chez les mystiques, la peur de l'autre parce
qu'il est très encombrant, la peur du conflit qui fait taire et
inhibe, la peur de s'attacher alors qu'on est torturé par l'amour
quand même, la peur d'être seul alors que l'expérience manque pour
juger de ce que cela peut apporter, — sans oublier la peur de
l'avenir qui est souvent proportionnelle aux attentes placées dans
le futur.
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Nous
voyons bien que l'esprit est mal à l'aise avec l'immédiateté,
puisqu'il veut en traiter le contenu avant qu'elle ne présente ses
objets dans le moment. Maintenant vous avez sans doute compris
pourquoi il est nécessaire d'investir les jambes, car jusqu'à
présent cela paraissait surtout utile. Si on évite de le faire, le
moment sera teinté soit par une impulsion brillante de capture soit
par une impulsion opaque ou sombre de déni. La célébration a
priori du gratifiant sourd de la jambe droite, comme le rejet de
principe des réalités a priori non conformes aux attentes, sourd de
la jambe gauche.
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4 VOIR LA REALITE EN FACE, CONDITION DE L'EVOLUTION
Toutes
nos branches fonctionnent et nous sommes au milieu de ce fatras de
forces centrifuges. Le mot peut paraître exagéré, mais quand on
pense aux nombres de guerres, de viols, d'injustices et de scandales,
de leçons non comprises, de menaces entretenues par l'impéritie
humaine (nucléaire, hyperlibéralisme, détérioration écologique),
il faut bien nommer péjorativement cette vulnérabilité à
se laisser emporter par les jambes, ou à inventer des illusions avec
les bras. Car il suffit de descendre dans ce modèle vivant pour voir
la réalité face à face, moi et mon singe faisons-nous bon ménage
? — ce qui revient à dire que notre seule grande difficulté,
en tant qu'espèce, est d'abandonner la tête pour le chef, et donc
de décider de se mettre à la démystification de la nature. Si nous
ne le faisons pas, c'est elle qui nous mène par le bout du nez, à
travers nos convoitises, nos ambitions, notre défense mesquine de
petits territoires matériels, et nos dénis préférés pour
pratiquer la politique de l'autruche là où nous craignons ne pas
trouver de solutions. Cette nature qui nous manipule est celle qui a
été investie par la pensée et nous dicte nos politiques
contingentes, notre adaptation au milieu comme s'il s'agissait là
d'un cercle essentiel, alors que c'est le plus étroit des cercles de
reliance, et sans doute le plus pesant.
La
vraie nature, celle que le mental n'a pas encore contaminée, est en
revanche une force qui nous anime et que nous pouvons aimer, parce
qu'elle est notre socle indéfectible. Nous sommes encore horrifiés
à l'idée d'être des animaux en Occident, alors que cela n'est pas
dégradant du tout, la preuve en est que nous aimons les animaux, ils
nous touchent, tous les enfants pensent à eux, ils ont une innocence
qui nous manque, parce que nous vivons dans le conflit droite gauche
et dessous-dessus. Mais si nous supposons que l'unité de la croix
cardinale est accessible, que notre étoile à cinq branches peut
découvrir un ordre transcendant, ce n'est plus la nature qu'il faut
accuser de nous induire en erreur par la peur et le désir, mais
c'est à nous-mêmes que nous devons nous en prendre, de ne pas
savoir l'utiliser à bon escient. Il n'est plus temps d'éprouver de
la honte d'être encore des « bêtes » puisque nous
décidons de transformer cet animal en amenuisant son pouvoir, tout
en reconnaissant son utilité. C'est encore les sens qui nous lient à
la vie, et ils peuvent servir les sens intérieurs, la vue
discriminative et l'écoute du Soi, à condition d'être nettoyés,
comme le préconisent les doctrines qui évitent l'écueil de
l'idéalisme. Résumons donc notre condition afin de la voir
suffisamment clairement pour disposer d'une Voie à tracer à chaque
moment.
Notre
esprit est plié, désir et gratifiant contre déni et évitement
pour le regard qu'il porte sur notre corps, comprendre par la logique
et la construction, et comprendre par l'absorption et la ramification
sans limites pour son exercice immatériel. Le mental est soumis à
la superposition des alternatives du yin et du yang, celle du
dessous, des jambes, servant le contingent, celle du dessus, des
bras, servant le transcendant. Tous ces possibles nous attirent dans
chaque coin de la croix, et brodent entre eux des motifs. Nous nous
dirigeons sans cesse vers davantage de stabilité ou d'impermanence,
vers davantage d'habitudes ou d'aventures, vers davantage
d'initiatives ou de laisser faire. Selon ce que représente le désir,
l'amour, l'argent, le Divin, le temps, la totalité, la mort, nous
expérimentons un certain chemin, posons des écluses pour que le
flux du temps arrose le potager où nous travaillons et notre jardin
laissé à l'abandon. L'expérience nous pousse à doser la
manipulation du temps et la simple ouverture à son passage. Il n'est
pas plus aisé d'instrumentaliser correctement la durée que de
s'abandonner sans projet et sans but au moment. La pratique de
l'action peut toujours s'affiner vers l'essentiel, si le yin
la seconde en fournissant l'écoute supérieure qui garantit
l'apprentissage et la compétence. Le non agir, pour perdurer
sans finir dans l'habitude d'une ouverture stérile incorpore en
arrière-plan le yang qui fournit l'intensité intérieure
nécessaire à l'abandon, pour lui éviter de tomber dans la torpeur,
la négligence ou la complaisance.
Je
vous encourage donc à distinguer les deux principes pour pouvoir par
la suite les utiliser en pleine conscience. La réflexion sur l'objet
est absolument illimitée, le pouvoir de la raison par la réflexion
défriche le terrain, permet d'intégrer les principes, découvre les
invariants de la réalité, et finit par se rendre compte des limites
propres à l'entendement dirigé. Au bout du compte, de nombreux
présuppossés différents ou contraires définissent des approches
de la réalité exhaustive sans pouvoir l'épuiser. Les axiomes étant
des origines, une fois posés ils sont intellectuellement légitimes
indépendamment de toute vérité. Je vous épargne donc le long
trajet d'étude de la philosophie qui mène inévitablement à cette
conclusion, que les bases n'ayant pas d'amont — elles se valent
toutes. Cela vous dispensera par la même occasion d'attribuer trop
de valeur à vos représentations architecturées, qui d'ailleurs
s'adaptent à l'évolution en fonction de l'expérience. De l'autre
côté, la réceptivité et l'abandon qui constituent et favorisent
l'intuition sont des pouvoirs illimités eux aussi. Ramakrishna était
constamment « à gauche », il avait beaucoup étudié,
puis il a abandonné l'exercice mental. Vivekananda est devenu en
quelque sorte son bras droit, défendant la même vision généreuse
avec des tactiques rationnelles.
Intégrez
cette morphologie de l'étoile, elle vous sera précieuse en
cas d'urgence ou même méthodiquement, chaque fois que vous sentirez
le pliage doite/gauche ou haut/bas s'effectuer en compromettant votre
unité. Quand le travail du chef s'opère correctement, les
résultats parviennent au centre de l'étoile. Le hara et l'ouverture
du cœur attestent des progrès effectués vers la réconciliation
holistique, puis la complicité cosmique s'accroît par toutes sortes
de moyens que Sri Aurobindo attribue au moi subliminal. Le
sommeil monte en fréquence et « branche» sur des plans
transcendants, les besoins du corps sont interceptés plus
facilement, ce qui déloge les pouvoirs usurpateurs du vital,
excessif par définition (pour contrebalancer la pulsion de mort).
Nous allons donc observer les quatre forces centrifuges, détecter
leur insistance, leurs abus, leur tendances opportunistes, qui nous
poussent trop loin ou nous retiennent trop longtemps. La vie est
centrifuge, portée vers l'immédiateté avec la fascination de
l'objet nourrissant. Si les épreuves sont consenties — (or
beaucoup de nos contemporains trouvent qu'elles sont insupportables),
le retour au centre est possible après avoir expérimenté
nos quatre membres. Dès que les épreuves font partie du chemin,
elles sont privées de leur nocivité, de l'a priori qu'elles
sont mauvaises ou pire, injustes, ce qui ouvre définitivement
le côté gauche, en reliant la jambe et le bras.
Dans
cette recherche d'équilibre spontané, nous ne cessons d'observer la
manipulation réciproque, celle de l'organisme sur l'esprit, qui veut
faire prévaloir les cercles contingents, et celle de l'esprit sur
l'organisme, puisqu'il le charge de le soutenir à travers toutes
sortes d'excès dans le plaisir, l'addiction, l'usage de la médecine
psychosomatique, le surmenage. Le rapport entre l'esprit et le corps
n'a jamais été facile à établir correctement, primo parce
que les survivances dynamiques préservent l'intégrité du
territoire avec une détermination farouche (colère, jalousie,
ressentiment, autoritarisme, possessivité, besoin de punir, demande
d'approbation et complexe d'abandon), secundo parce que
l'esprit n'a pas accès aux besoins essentiels du corps, que le
vital exagère. Quand vous faites bien fonctionner le pentagramme,
les transformations se produisent puisque c'est l'univers qui
vous prend en charge, le chef ayant reconnu et utilisé la pensée
passive, que l'humanité entière méprise — sauf les
éveillés, quelques artistes et les futurs libérés vivants. Vous
acceptez la réalité dans son intégralité, le bien autant que le
mal, et l'ouverture du cœur se produit puisque ce n'est plus une
entrave qu'il y ait du mal. Le mal constitue un handicap tant qu'il
empêche d'avancer, en signant le tableau de la Manifestation de
symboles de sang, ou de douleurs permanentes.
A
partir du moment où les contraires sont perçus dans leur unité,
le mal devient seulement un résidu de la nature... qui possède la
fonction d'éveilleur, un déchet issu de la friction entre la
matière (conservatrice) et l'esprit (novateur). A partir de la prise
de conscience de la nécessité — provisoire — du Mal,
nous obtenons le pouvoir spontané de pardonner. Le chef accomplit le
décret divin et libère du passé. La fontanelle reçoit la
shakti quand la complémentarité des bras est parfaite. Au
préalable, le barattage permanent des pensées par l'aspiration
permet également l'ouverture du « troisième oeil ».
6 RAPPEL DU PARADIGME
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Soutenir
l'émotion par le mental ne mène à rien, pas plus que les refouler
par peur ou par orgueil. Le témoin doit rester présent pendant que
le corps émotionnel manifeste rapidement quelque chose à creuser.
Ainsi le retour à l'unité est-il disponible dès que la dualité
frappe.
|
1 L'IDEAL DE L'EQUILIBRE
Quand
le bras droit prend le pouvoir, le monde est instrumentalisé et
contrôlé par ce que l'on croit être la raison. Ce n'est qu'une des
formes de l'intelligence cosmique — et ce n'est pas la meilleure,
car en quelque sorte elle dévore tout sur son passage, s'approprie
le champ et devient de plus en plus obsessionnelle. Par exemple, il
est toujours nécessaire de créer des comités d'éthique, assez
impuissants au demeurant, pour ralentir l'invention technologique.
Une fois que l'on est passé de l'arc à l'arme à feu, plus moyen de
s'arrêter. Même les bombes atomiques ont encore été largement
poussées après Hiroshima. Pareil pour la biologie, on n'est plus
très loin de son propre clone en conserve sur lequel on pourra
prélever de temps en temps un organe, car il sera à l'abri de
l'entropie dans son bocalVous voyez le tableau, des hommes monstrueux agés de six cents ans d'ego, et qui font la chasse aux mutants supramentaux qui parviennent à dépasser les deux cents ans sans aucun artifice, et dont la seule présence est insupportable aux oligarches qui s'accrochent à ne pas mourir... A moins qu'un grand changement....
L'univers est capable de tout, voilà pourquoi une énorme
responsabilité échoie à ceux qui aiment la Conscience. La
spiritualité peut devenir tout à fait autre chose que ce que l'on
connait, le moyen de transformer la vie dans sa substance.
Voilà
pourquoi Sri Aurobindo est essentiel. Le supramental pourra orienter
la vie vers le Divin, au lieu de la laisser stagner dans son
équilibre chaotique, avec des seuils infranchissables. Il s'agit
de libérer la mémoire de l'évolution, sous toutes ses formes
dynamiques, qui sont cruelles ou mensongères. Les échecs
relationnels sont codés dans l'hérédité, on tombe toujours sur
les mêmes limites, soudain quelque chose ne veut plus avancer, et il
est impossible d'aller plus loin. Ce sont de grandes peurs, des
angoisses abyssales, des dénis primordiaux, des non-dits toxiques,
des milliers d'états de conscience qui ont perverti la vie, l'ont
rendue mauvaise, avec les interprétations fausses du mental abouché
au vital frustré ou insatisfait, ou bien violent et ivre. Tous ces
univers à transformer, et qui s'inscrivent dans le corps physique,
ne s'abordent pas par la raison, — à la rigueur elle peut
établir la carte des préjudices possibles et dresser des
nomenclatures de traumas et de parasites psychologiques, mais
pour descendre dans ces couches bien réelles,
dans
l'océan de l'Inconscient,
c'est
un autre pouvoir qui est demandé, une intuition sans limites dirigée
par l'énergie divine, et qui voit et comprend, et ressent ce qu'il y
a derrière les mots, derrière les justifications, derrière les
explications, plus loin que les causes. Le supramental veut libérer
notre espèce de l'origine du mal. Et c'est une affaire complexe,
nous sommes reliés par des réseaux infinitésimaux aux ancêtres, à
leurs karmas, à leurs failles, à leurs actes inconséquents, à
leurs échecs patents qui ont laissé des traces. Parce que la
matière est mémoire. C'est donc le supramental le seul moyen de
nettoyer le passé, de nettoyer l'ashvattaL'arbre de l'évolution cosmique..
L'imagination
créatrice dont nous disposons à travers notre intelligence et notre
aspiration, transcende la dualité pensée active/pensée passive.
Ces distinctions conventionnelles pour séparer la pensée qui
s'éprend d'architecturer la perception et celle qui renonce à son
mouvement pour ressentir l'effet de la totalité en soi, ont été
établies par le mental, clivé lui aussi, comme presque toute la
manifestation, par l'opposition yin/yang difficile à saisir
dans son essence, mais dont les déclinaisons particulières les plus
remarquables sont l'actif et le passif, le mouvement et le repos, le
ferme et le malléable, l'expression et l'intériorisation. Dans une
pespective physique, le yang imprime et le yin attire, le yang
distingue, le yin adhère. La substance du mental est unique et se
prête à des manœuvres différentes mais c'est la même
intelligence qui agit. Il est vrai que le cerveau divise son activité
pour traiter deux univers, le moi par rapport à son corps, son
histoire, sa chair, et le moi par rapport à lui-même, avec le
mystère béant de la place qu'il peut se donner à lui-même,
indépendamment de son milieu, en accordant un sens spécial à son
passage dans l'incarnation. Accepter la pensée passive (intuition)
n'est pas facile pour tous, puisque elle semble, dans le moment, ne
mener à rien, être inutile — contrairement aux
raisonnenments qui s'emparent de situations pour les traiter.
Certains la rejettent parce qu'ils ne peuvent pas la diriger, et ils
ne soupçonnent pas son magnifique pouvoir de prévoir à long terme
en apprivoisant la peur de mourir, ou de découvrir ce qui est
au-dessus du temps, les forces qui échappent à Kâla. La raison, au
contraire, construit et suit des lignes irréprochables, et domine le
court terme. L'intuition ouvre au lointain et dilate tandis que la
raison découpe pour bâtir.
Nous
pourrions continuer à avoir une confiance absolue en la Raison si ce
qu'elle construisait était efficace, mais tel n'est pas le cas. Tous
les systèmes parfaitement ordonnés par la pensée fermée et
active, oublient l'entropie, l'imprévisible, l'enchevêtrement de
nouvelles conséquences quand on aura fait bouger les choses avec les
nouveaux présupposés. La leçon du marxisme est récente, changer
la société sans changer l'homme ne modifie que la surface des
choses, et comme le mental n'invente plus d'utopies collectives,
l'Histoire aujourd'hui à bout de souffle, sombre dans le chaos,
toutes les recettes étant épuisées. Le singe debout, néophyte
dans la reconnaissance de la verticalité, reste manipulé par la
mémoire évolutive, surestime sa place dans l'univers, adore la
nature quand elle le sert et la hait dans les autres cas. La dualité
entre la souveraineté de l'immédiateté et l'autorité intemporelle
de la pensée établie au-dessus n'est résolue aujourd'hui que par
les évoluteurs recouvrant le Dao, la complémentarité
absolue du yin et du yang qui s'annulent dans leur au-delà ou leur
source, le Brahman.
Le
bras droit mutile le bras gauche ou réciproquement, puisque la
nature seule ne développe qu'un type d'efficacité, celui qui est le
plus à sa portée. Dans la pratique, l'aveu du pôle déficient peut
se faire, et après les réactions émotionnelles de déni pour fuir
la nécessité de son développement, l'évoluteur peut tout
simplement reconnaître les faits, et s'ouvrir à détecter les
petites amorces naturelles qui permettront au yin ou au yang
refoulé de commencer à intervenir en pleine conscience. Le passé
peut très bien poser des barrages pour empêcher cette
reconnaissance, puisque cette prise de conscience fait sortir
des ornières du destin dont la force est presque incoercible.
L'ascension déroute le moi de ce qui était prévu pour lui par les
seules forces matérielles du temps. La pratique de l'étoile à cinq
branches peut donc légitimement déboucher sur un conflit originel
en soi, — mais provisoire, l'incapacité à reconnaître l'utilité
ou l'urgence de devenir conscient d'une ou plusieurs des branches,
que l'on voudrait laisser en l'état en se persuadant qu'on peut
l'ignorer, pour mieux se régaler des fonctionnements déjà
maîtrisés. Mais l'appel du potentiel peut prévaloir également, et
vaincre des obstacles d'apparence insurmontable a priori.
Par
métaphore, notre jambe droite, c'est le to be or not to be un
singe, c'est un univers très large de sensations, qui ramène la
virtualité du temps imaginé à des désirs. L'excès d'animalité,
c'est la culture des passions qui prétend que les émotions
« nourrissent », tandis que les abus sont considérés
comme valorisants. Quand le mental prend possession de l'animal, il
découvre qu'il a à sa disposition le vital, et il se dit :
tiens ! le désir c'est bon, je vais le cultiver, et le
rechercher. C'est un thème essentiel. Toute la philosophie
grecque d'avant Platon tourne autour de cette question, la dose
idéale de plaisir... Existe-t-il d'autres possibilités que
satisfaire les sens ? Et enfin, ce qui rejoint un peu le bouddhisme,
éviter la souffrance n'est-il pas une procédure qui peut s'affilier
au plaisir ? L'animal n'a pas les moyens de cultiver le désir, bien
qu'il puisse apprendre à s'énivrer quand la saison le permet, car
les représentations lui manquent pour en faire une idole. Tandis que
la perversion humaine c'est bien de « réaliser » que le
désir est bon s'il est satisfait, nuisible s'il ne l'est pas. On le
provoque, on le cultive, on le chérit, on le recherche en visant les
objets qui le sollicitent, pourvoyeurs de plaisir. Inversement, le
monde vital peut récupérer le mental: se plaindre, être la
victime, harceler l'autre qui ne donne pas assez, c'est la jambe
gauche qui manipule les bras... .Quant au manque d'intérêt pour
l'organisme physique, cela pose des empêchements, problèmes de
santé, sublimations sexuelles qui échouent et qui fabriquent
finalement des êtres humains frustrés, vindicatifs, malveillants
voire cruels.
C'est
donc une erreur d'imaginer que le corps ne jouerait pas un grand rôle
dans notre évolution, c'est faux. C'est lui qui est en première
ligne, assujetti à l'immédiateté, avec son ordre et son chaos
indissociables. C'est pour cela que le cas de Nietzsche est si
émouvant, il avait détecté qu'une partie des représentations
venait du corps, ce qui mettait à mal presque toute la philosophie
précédente, qui voulait abolir le singe dans de belles
architectures, et qui rêvait de communion cosmique sans investir le
fonctionnement d'assez près. Un équilibre est sans doute
possible entre ne pas s'occuper du corps sous prétexte qu'il est en
dessous, ou trop s'en occuper en célébrant les appétits et les
émotions.
Trouvons
le fil de funambule.
L'
équilibre provisoire (c'est un pléonasme) — c'est la loi. Ou bien
nous tombons ou bien nous restons sur le fil. L'équilibre est
forcément bancal. L'équilibre ne stagne pas, ne cristallise pas, il
est toujours en transformation, face aux tentations, aux menaces, aux
échecs, aux occasions, aux accidents. Tomber n'est rien, si c'est
pour le retrouver, alors que faire semblant de ne pas tomber...
Le
clin d'oeil du Tao:
En
fait, être en équilibre c'est savoir qu'on va peut-être le perdre
pour en retrouver un autre qui sera mieux adapté à la nouvelle
situation, entretemps, — l'épreuve. On ne peut pas imposer à
l'équilibre de rester plus longtemps si les forces ne sont plus
équidistantes.
Ce
schéma est stratégique, vous allez sentir les modifications
dans chacune des branches, comment une variation peut contaminer les
autres en mal ou se répercuter en bien. Comment réagit-on quand il
y a un tourbillon, un dysfonctionnement qui apparaît, qu'est-ce
qu'on en fait ? Il faut savoir que nous sommes beaucoup plus soumis
que ce que nous croyons à la transformation perpétuelle des flux de
toutes sortes, et que nos impressions se moquent des représentations
qu'on leur octroie. Beaucoup d'interprétations mentales du
ressenti ne servent à rien, le dissimulent, le déforment, le
travestissent, l'exagèrent ou le minimisent. Jusqu'à ce que la
nature se venge, et montre qu'elle a le pouvoir, si l'on triche pour
interpréter à sa guise, d'imposer de violentes déconvenues, de
déclencer des crises, de produire des maladies. Certaines personnes
nient qu'elles souffrent par exemple, elles essaient de passer par
dessus la souffrance, et cela peut donner le change un moment, la
jambe gauche sera interdite d'expression, puis le corps va protester
en déclenchant des troubles, un certain seuil inconscient atteint.
L'immense puissance émotionnelle de l'événement a commencé à
être méprisée il y a plus de mille ans au bénéfice
d'architectures mentales sur ce qu'il faut faire ou pas, avec la
montée dictatoriale de l'Eglise en Europe, et son évangile de la
souffrance. La morale est devenue l'arme de la jambe gauche, avoir
peur de la vie, du péché, de Dieu. Notre héritage est très lourd
à porter en dépit de nos prouesses matérialistes. C'est la ligne
de la dualité corps/esprit qui nous a conduit à une telle
catastrophe, une destruction écologique aveugle, maintenant que nous
nous sommes coupés de la nature.
Imaginez
la surprise de Leibniz quand il tombe sur le
yi-king : la réalité est forcèment contenue dans une
de ses 64 « formules de base », le tout érigé d'une
manière entièrement mathématique. Certains hexagrammes du yi-king
rendent compte de cela, si dehors rien n'est favorable, il convient
de se retirer plutôt que de chercher à forcer les événements
(yang) ou de faire comme si rien n'était (yin). Les survivances
dynamiques comme la lâcheté et le déni du dérangeant
animent la fonction inconsciente du repli. Néanmoins, la branche
inférieure gauche peut être éduquée. Dans la stratégie
militaire, battre en retraite n'est pas une humiliation mais
une tactique. Se replier pour renoncer à une aventure qui ne nourrit
pas, pour échapper à un prédateur, pour couper court à un
engagement qui tourne mal, quoi de plus naturel, l'incarnation est
fragile, — l'adversité jamais loin. Souvent l'humilité s'apprend
pendant les périodes qui résistent à nos projets et à notre
volonté, et qui nous contrarient en profondeur. Il se pourrait même
que l'humilité soit la face éclairée du renoncement au pouvoir,
tandis que la résignation en est la face obscure, et que le dépit
en est la version régressive. Ce sont les mêmes événements qui
provoquent soit l'humilité, et le chemin continue quand même, soit
la résignation teintée du sentiment d'être victime, et là, le
chemin s'arrête, s'égare ou fait machine arrière.
Ressentir
la jambe gauche donne le sens de la prudence et de la
précaution, qui deviendra d'autant plus objectif qu'un nettoyage de
la fonction aura eu lieu, car une partie de la nature aime se faire
peur pour donner du poids aux sensations, et cette couche dramatise
pour le plaisir. On ne peut pas mutiler la fonction du repli sous
prétexte que les trois quarts des menaces sont imaginaires, ou que
la peur surgit des mémoires des ancêtres accumulées pour des
occasions ridicules, puisque même ces mémoires-là, qui ne nous
appartiennent pas, nous traversent et devront être balayées. La
nature aime développer ce qu'on lui donne à expanser et elle aime
tout autant atrophier ce que nous lui empêchons de travailler, aussi
faut-il garder un contact éclairé avec la fonction du repli, qui
contebalancera de manière naturelle la force de l'élan — toujours
opportuniste, et parfois violente. Les personnes qui mettent de côté
la peur et l'appréhension par une décision mentale de déni,
se mettent dans une posture glorieuse d'invulnérabilité et se
dirigent vers la transgression des lois cosmiques, devenant
insensibles aux dangers qui retiennent l'ascension, tandis qu'ils
méprisent les lois, les règles, et étouffent le sentiment naturel
de culpabilité. L'intégrité se dissout alors. Malgré tous ses
mouvements inutiles, ses mises en garde souvent paranoïaques,
et sa crainte facile du lendemain, la jambe gauche est nécessaire
pour commander en cas d'urgence, et elle nous conseille de faire
profil bas, d'évaluer l'ennemi à sa juste valeur. D'ailleurs, tout
le monde sait bien que le courage n'est pas une absence de peur, mais
la conscience de celle-ci transcendée par l'aspiration ou l'urgence.
La
jambe gauche comprend de nombreux dispositifs, comme les autres
branches qui fourmillent de possibilités. Ce sont toutes des
réservoirs d'actions potentielles infiniment variées, qu'on ne peut
pas dénombrer, et qui s'adaptent au flux des circonstances, mais
sans leur observation spontanée, elles nous imposent les survivances
dynamiques pour traiter l'hétérogène, et nous réagissons outre
mesure. La branche inférieure gauche possède un yin très
archaïque, tout le champ de la réceptivité négative du corps qui
craint les agressions. « La peur » est le plus courant
des mécanismes de défense. Si la jambe gauche communique avec le
reste, cette peur devient un garde-fou de l'intégrité, elle indique
ce qui peut nous corrompre et nous en préserve. En évoluant vous
ne conserverez que les vrais signaux d'alarme, ceux qui indiquent un
danger. Dans le fonctionnement de base, le potentiel de crainte
contrebalance symétriquement, exactement, la jambe droite,
qui fonce toujours plus, qui s'aveugle pour réaliser certains
désirs, et si j'y reviens c'est pour vous permettre de voir le
yin/yang comme une seule énergie qui change de direction, plutôt
que comme deux pôles. De la même manière, quand on pense un
jour de la semaine, on sait bien qu'il contient le jour et la
nuit, ainsi nous faisons de même: il n'y a pas de séparation entre
le yin et le yang, mais une simple navette du plus vers le moins, de
l'actif vers le passif, du mouvement vers le repos.
Un
équilibre hasardeux mais spontané se forme pour que les deux
processus opposés se retiennent l'un l'autre, mais ni le désir ni
la peur ne possèdent d'identité propre, ils constituent le même
socle de la nature évolutive, dans ses débuts. Ils ont le pouvoir
de se mêler à toutes sortes d'énergies morbides ou étincelantes,
et deviennent par la même occasion des bombes à retardement. Cette
vérité est ésotérique, et concerne l'occultiste, mais il est
nécessaire de la rappeler. Le désir et la peur attirent à eux
toutes sortes de présences subtiles et de forces inconnues, ce qui
rend nécessaire, pour n'importe quel évoluteur, la clarification
des deux branches du dessous. Les énergies transportent de la
conscience obscure quand elles dépendent du monde astral — le plan
subtil de la nature.
Pas
assez de bras gauche provoque un déficit spirituel. Parce que l'on
ne comprend pas que c'est dans la passivité que l'on se relie le
mieux à l'univers. Cela peut provenir d'un parti pris culturel ou du
caractère affirmé, mais également d'une expérience traumatique.
Beaucoup d'êtres humains font taire leur yin après une
mauvaise expérience, afin de ne plus courir le risque d'être
blessés s'ils s'ouvrent à nouveau à l'altérité. Nous voyons une
fois de plus que le haut ne sait pas toujours se mêler de ce qui
arrive au bas. Sa manière d'interpréter les cadres affectifs et
émotionnels est souvent défectueuse, c'est la raison pour laquelle
le « ressenti » doit toujours revenir au centre de nos
préoccupations et se distinguer de l'interprétation qu'on lui
donne. Souffrir est un fait et non une malédiction dont le mental
peut s'emparer, comme jouir est un fait, relié à bien d 'autres
faits, et le mental ne peut pas réduire cette fonction organique à
une seule survivance animale, puisque cette sensation continue
d'évoluer dans des formes nouvelles dans l'ascèse. Refuser
d'écouter le corps revient au même que le gaver.
Les
bhaktas ont valorisé le yin supérieur, la contemplation
chez les mystiques chrétiens, les ascètes hindous, l'abandon
des responsabilités sociales pour de nombreux chercheurs, qui
sacrifient une brillante carrière pour pouvoir passer des heures à
se laisser absorber par des questions essentielles, sont les armes du
bras gauche comme la méditation dans le lâcher prise, la plus
connue de toutes. Certains ne font rien de la journée, plongés dans
le soi, rassemblés dans leur aspiration, toute action leur paraît
superficielle, et cela semble légitime pour quelques-uns, tant que
l'énergie divine n'est pas contactée. C'est comme les taoïstes qui
regardent couler l'eau en s'identifiant à la pureté du torrent: il
y a une utilité suprême dans l'inutilité, mais peu s'en rend
compte, — Tchouang Tseu n'a pas fait école. Tant que le singe
debout n'opère pas le renversement cosmique, il n'a pas assez de
confiance dans l'inconnu, l'imprévu, pour que la disponibilité (ne
pas diriger l'esprit) soit un principe équivalent à la
concentration — et il la méprise. L'abandon total est aussi
positif que la concentration, que la réflexion sur un objet. Mais
une des sources du mépris pour la disponibilité intégrale vient
également du fait que les résultats se font attendre, puisque les
buts sont plus lointains que ceux érigés par la raison. Etre
pleinement relié demande l'accord de l'univers, alors que tous les
projets personnels peuvent s'obtenir sans l'aval du Dao. A
gauche, il y a lâcher prise, l'intuition, les arts
divinatoires, l'idée de ressentir le Tout, le besoin de la
ramification exhaustive. A droite, nous vivons le besoin de prévoir
une démarche et de lui attribuer quelques règles, nous évaluons
des situations et des projets en lice, ou bien nous réunissons par
la logique des faits ou des arguments pour produire de petis taos, de
petits ensembles cohérents de représentations.
2 NAÏSHKARMA ET NON-AGIR, LE TRESOR ORIENTAL
La
Voie permet une telle connivence entre le fait d'inscrire ses
propres pas selon la volonté intérieure et celui de coïncider avec
ce que le Divin attend de nous, que les deux bras coopèrent et
apportent confiance et plénitude. Oui, il y a des coïncidences
entre ce qui arrive malgré nous et notre orientation volontaire. Ce
sont des moments précieux, indescriptibles, qui amènent à des
seuils plus limpides. Les deux voies se superposent alors, la nôtre
subjective, et ce qui arrive objectivement et qui confirme que notre
orientation avait été la bonne. D'ailleurs on peut déployer le
sens du terme Dao ainsi: méthode, chemin, principe. L'ordre
cosmique est éprouvé sur le chemin, et le chemin se suffit à
lui-même. il n'y a plus aucune distinction à faire entre
l'itinéraire et ce qui l'a produit et la destination où il mène.
C'est l'unité dans le trajet, son origine et son aboutissement. En
fait, Dao est absolument intraduisible, c'est un paradigme en
soi: Rien n'est en dehors de la conformité, rien n'est en dehors de
la réalité ultime dans laquelle les formes, les moyens et les buts
se correspondent exactement. C'est la science des repères. La forme
sert l'utilité, l'utilité provient de l'ordre, l'ordre provient des
cinq éléments, les cinq éléments sont chacun yin et yang par
rapport aux autres, ce qui dénote une subtilité à laquelle notre
esprit n'est pas rompu. L'Un ne peut se manifester qu'à travers le
Deux, qui implique le 3, la transformation qui découle du rapport
entre le yin et le yang. Au-delà, le Dao, l'Inconnaissable,
l'Ordonnancement suprême. Tout est utile dans ce modèle exhaustif.
Découvrir l'utilité constitue une démarche suffisante pour se
conformer au Tout, voilà l'essence de la pensée chinoise, qu'il
n'est plus alors nécessaire de mélanger à d'autres voies qui s'y
prennent autrement. Collaborer au fonctionnement suffit à
suivre le Dao,
un projet bien différent que le laisser mécaniquement agir en
formant des amalgames de pensées et de sensations, de doutes et de
certitudes. Ces mélanges pervertissent tout autant les saisies
abstraites que les perceptions naturelles, cisaillent et empêchent
la vision du présent vrai. L'unité du haut et du bas ne s'obtient
qu'après leur séparation symbolique, après avoir distingué les
besoins physiques des besoins émotionnels, et après avoir renoncé
au pouvoir protéiforme de la pensée, partout et nulle part à la
fois, —un courant d'air.
Cinq
subtilités doivent donc être expérimentées par tout évoluteur
cosmique, le désir, la peur, l'intelligence active, l'intelligence
passive et la volonté. Il n'est pas nécessaire d'ajouter davantage
de fondamentaux, mais il est vrai que chacun des cinq peut se
décliner sous des formes variées, et que chacun possède des faces
yin et yang. Le côté yin de la pensée active consiste à perdre de
vue l'objet de sa quête en cours de route, comme le côté yang de
la pensée passive consiste à formuler des attentes formelles pour
s'emparer de la réceptivité. Une fois que le moi s'embarque dans
cette aventure, il décide lui-même de l'usage de chaque membre, et
il assiste à la guerre des besoins, qui se battent pour obtenir la
meilleure place possible, puisque les cinq sens continuent
d'agir avec force pour attraper leurs objets de prédilection. La
sécurité de la jambe gauche se dispute avec l'intensité de la
jambe droite, tentation contre tentation (prendre c'est agréable
mais dangereux, renoncer c'est tranquille et sécurisant mais il ne
se passe pas grand chose). Il en est de même au-dessus, au début de
la voie, s'en remettre à Dieu est incompatible avec la raison parce
que le yin et le yang s'immobilisent, alors qu'il faut parvenir à
utiliser les deux distinctement pour ne pas plafonner. Des millions
de débutants ne parviennent pas à dépasser ce conflit, alors qu'il
n'existe pas. Mais par le fonctionnement de la nature, nous subissons
des poussées incoercibles dans des orientations différentes, et
elles semblent donc incompatibles parce qu'elles tracent des
itinéraires suffisamment larges pour donner le change. Ne
culpabilisez donc plus.
Nous
sommes des êtres centrifuges qui nous élançons vers de
nombreux objets des plus nécessaires comme l'argent, aux plus
inutiles en apparence comme le Divin, des plus concrets aux plus
immatériels. C'est le terrain de jeux de la Manifestation,
tout et n'importe quoi en abondance, ce que la jambe gauche évite de
voir en face en fuyant l'ombre et l'obscur. L'ordre entrelace le
chaos ou inversement. Pour trouver du sens, nous limitons l'espace,
nous le réduisons à une quête par l'intelligence active, qui
raisonne et bâtit, et qui propose un autre itinéraire que celui
qui s'effectue en quelque sorte de lui-même: Seigneur, fais ce
que tu voudras, même mon temps t'appartient, comment pourrai-je
tracer mes propres pas sans Toi ? C'est un conflit fondamental,
un écartèlement entre le temps maîtrisé et rentabilisé par
l'exercice de la raison et le temps passé à adhérer au Mystère,
au Tout, au Divin — dans une humilité telle que toutes les sources
d'action personnelle semblent indignes. C'est un peu comme la barre
des derniers rouleaux avant le large. Elle est si haute que l'on
n'est pas certain de pouvoir la traverser sans chavirer quand on
quitte l'île déserte sur un radeau. Il faudra passer la dernière
barre ou rester prisonnier de l'îlot. C'est le même symbole.
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La
nature dresse un mur infranchissable et prétend que c'est impossible
de le traverser. Elle demande qu'on choisisse le yin particulièrement
incertain, informel, plastique et adhésif à tout ce qui se
présente, bref une posture meuble et vulnérable mais ouverte dans
le sens absolu du terme, ou le yang qui va de l'avant, conquiert,
raisonne, aboutit, distingue, écarte, tranche, sépare, accumule des
résultats, et « règne » en prenant possession du temps.
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La
raison aime décortiquer les procédures et s'attache au
fonctionnement des choses, et elle donne vite l'impression d'un
accomplissement, alors que l'intuition veut juste goûter ou
profiter, ou encore s'étendre à l'infini, se ramifier au soleil par
exemple, à la vie une, au Divin. Evoluer en se moquant de son
propre fonctionnement s'avère impossible. Tout est fonctionnement,
tout est tao. Si vous regardez l'intérieur d'une cellule, il y a déjà un nombre conséquent de fonctionsNous posséderions environ soixante mille milliards de cellules, chacune d'elles composée d'une vingtaine d'acides aminés dépendant de près de deux mille enzymes.. Observez une fourmilière, un jardin, dès que la vie apparaît, le
fonctionnement triomphe. Si le fonctionnement ne vous intéressait
pas spécialement, vous voilà au fait d'y jeter un regard neuf parce
qu'ici sur Terre, — âmes de tout l'univers, il n'y a
que des engrenages et des vis sans fin qui s'emboîtent les uns
dans les autres pour permettre au temps de maintenir quelques
structures. Des cycles enferment dans des processus répétitifs
inexpugnables, manger, boire, dormir, veiller, chercher à se
reproduire, éviter la douleur, éprouver du plaisir. Naître,
grandir, vieillir, mourir. Vous pouvez recouvrir cela de toutes les
transcendances hégéliennes et des couinements aristocratiques des
anges qui vous approuvent, c'est notre base, cette force biologique
sous la pensée, qui se moque éperduement des pouvoirs de l'esprit.
Il
est nécessaire de comprendre et raisonner pour saisir l'ordre
phénoménal, comme il est indispensable de se donner à la Vie pour
recevoir du Dao les caresses du monde subtil, la grâce, et
plus loin l'énergie divine. Nous nous avancerons des états de
conscience qui ne dépendent pas du temps prédateur, Kâla,
ni du dieu de la mort Yama. Ici-bas, il n'y a que du
fonctionnement, que des appareils et des organes, que des corps —
et derrière des fonctions aux prises avec une gamme d'énergies. La
nature est le socle paradoxal de la conscience, et nous pouvons
l'offrir au Divin.
Le clin d'oeil du Tao:
commencer
à se transformer soi-même: c'est le seul remède, mais presque
personne ne veut le prendre.
3 INTEGRER LA COMPLEMENTARITE DE L'ACTIF ET DU PASSIF
Le
but est donc l'équilibre (droite) / (gauche). Néanmoins, c'est
possible de pouvoir développer un seul des bras dans une période
donnée, comme pendant une retraite pour améliorer la pensée
passive, ou comme en préparant un examen pour la pensée active.
Tandis que le retour vers le yang est conscient, parce que
nous sommes sollicités par une nouvelle action à faire, le
renversement vers la pensée passive se fait automatiquement, à
défaut d'avoir à faire quelque chose, et peu savent bénéficier de
l'arrivée de l'esprit dans ces zones yin absolument
indéterminées. La plupart des êtres humains en profitent pour
rêvasser, remuer quelques projets vagues ou pour dessiner de
nouveaux désirs affriolants, aussi faut-il éduquer le bras gauche,
et axer l'esprit sur un essentiel indéterminé pour ne pas se
laisser embarquer dans des enchaînements de pensées vaines et
chaotiques dès qu'on n'oriente plus la pensée vers un objet, une
action, un but à atteindre. S'ouvrir au vide ou se souvenir du
Divin, pour ne pas gaspiller les retours automatiques à la pensée
passive entre deux actions précises, constitue la procédure la plus
commune pour amorcer un travail plus performant de l'intuition. Dans
une seule journée, nous pouvons subir des centaines de
renversements. Certains moments sont voués à l'immédiat avec une
participation précise à une situation, mais d'autres permettent de
s'abstraire du monde contingent, et ils peuvent être utilisés de
différentes manières pour l'être et son aspiration, et nous avons
là la gamme des stratagèmes passifs. Non, ce n'est pas un oxymoron.
L'araignée tisse sa toile et puis elle attend. C'est le modèle le
plus parfait du stratagème passif. Cette possibilité de piéger le
sens des choses en ne faisant strictement rien est encore très peu
pratiquée, toujours pour la même raison. L'utilité du non
agir, ou en termes concrets l'utilité d'une méditation, passe
inaperçue. Les gains sont considérés comme si aléatoires que
cette durée-là, libre et gratuite, est ignorée et reléguée,
diabolisée par la culture comme une perte de temps.
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Il
existe néanmoins une complémentarité virtuelle entre les moments
dévolus à se concentrer, analyser, anticiper, et ceux pendant
lesquels synthétiser ses impressions sans effort et lâcher prise
augmentent le sentiment d'être relié. Mais tandis que la première
option est naturelle, ancrée par l'urgence de l'immédiat dans le
cerveau, la seconde nécessite un apprentissage, parfois long pour
les personnes nerveuses. Au début, l'ouverture à l'intuition prend
l'apparence du désœuvrement, de la paresse, de l'oisiveté, de
l'ennui ou de l'errance.
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La
stratégie s'affinera sur le chemin. Les éclaircissements et états
de reliance supérieurs produits par la pensée passive pourront
déboucher sur une pratique nouvelle de la pensée active, plus
dépouillée et essentielle. De même, les succès récoltés par la
Raison finissent par en montrer les limites, et engendrent le besoin
d'une pensée passive, prête à recevoir les signes du Dao,
en se contentant de reflèter le Mystère. En excès, la
pensée passive est catastrophique, l'attente magique tient lieu de
présence et l'on refuse de creuser le présent sous prétexte que
l'avenir sera meilleur. Tout ce qui est d'ordre décisionnel est
reporté. La dictature du bras gauche est une impasse, tandis que
savoir alterner les deux pôles permet au contraire de profiter en
quelque sorte d'une belle harmonie entre l'inspir (l'intuition) et
l'expir (la mise en œuvre par le mental actif). L'hypertrophie à
droite donne aussi de mauvais résultats. Le ressenti est réduit à
entrer de force dans des schémas comportemenatux, des procédures et
des calculs. Chaque être humain doit donc dépasser les croyances de
son clan, qui sont très structurées, et ne pardonnent pas les
écarts, pour sortir des ornières de la pensée qui chevauche le
vital, la louange du désir et la peur de la peur formatant de
nombreuses opinions obligatoires. Un enfermement triomphaliste est
souvent pris pour un contact avec des vérités supérieures, quand
les faits se réduisent à correspondre à ce que l'on en attend, par
une manipulation acharnée.
Chaque
pôle s'équilibre avec l'autre si nous voulons être certains de
marcher sur une voie conforme, quitte à développer le plus faible
et à le subordonner au plus fort jusqu'à ce qu'il atteigne sa
propre autonomie. Pour la plupart, le pôle prépondérant
est utilisé à tort et à travers, ne laisse pas assez de place à
son contraire, tandis que le pôle déficient se présente avec une
certaine réserve qui empêche de jouir de toutes ses capacités.
C'est un bel exercice pour les typés yin d'
améliorer leurs performances et leur confiance dans l'outil de
la pensée active et productive, comme c'est nécessaire aux typés
yang d'approfondir toujours plus les emplois du temps sans
rendement apparent ni concret, mais qui permettent au cerveau de
s'extraire du monde précipité de la vitesse psychologique. Il n'y a
aucun doute sur la complémentarité merveilleuse de la raison et de
l'intuition depuis la vision supramentale. Nous pouvons commencer à
le vérifier, et notre mode de perception et d'utilisation de la
durée changera. Elle sera moins utilitaire en apparence, mais des
moments de conscience plus profonds se produiront par l'abandon
momentané et régulier des préoccupations contingentes,
relationnelles, répétitives.
La
vraie stratégie est donc unique et possède deux aspects opposés,
qui sont néanmoins identiques d'un certain point de vue. En effet,
si chaque moment requiert du yin ou du yang, chacun des deux
principes remplit la durée comme son contraire, et ils participent
donc tous les deux du mystère essentiel du temps, scandé par le
jour et la nuit, la veille et le sommeil. Il n'est pas question, dans
une perspective supramentale, de développer quoi que ce soit au
détriment du reste, puisque c'est le propre de la vie de réunir des
matériaux multiples et de les assembler dans notre propre
incarnation pour nous mener à l'Unité. Il est donc présomptueux de
décréter ce qui est utile ou ne l'est pas, ce qui est nécessaire
ou non, dans notre économie générale. Les doctrines spirituelles
sont rarement comprises et des erreurs se produisent au départ,
parce que les accents particuliers jettent dans l'ombre
certains aspects de la voie en les relèguant à l'arrière-plan. Il
suffit de spécialiser le fonctionnement dans une ou plusieurs
orientations pour manquer l'essentiel, l'holistique, en attendant des
résultats qui ne peuvent pas se produire puisque,
soit
il manque de la disponibilité, du vide, de la gratuité, de la
liberté, du non-attachement,
soit
il n'y a pas assez de présence à soi,
soit
le corps est conçu comme une entrave grave, ou au contraire un
auxilaire magique capable d'apporter ce qui se trouve au-delà de sa
juridiction.
Il
s'agit là des trois écueils, et tous les éviter demande un
engagement profond. La disponibilité, une fractale yin
supérieure, rend la stratégie plus souple, c'est elle qui donne
les indices que l'on n'attend pas et qui permettent d'éviter la
ligne droite trompeuse voulue par la seule volonté, in abstracto.
Quand on attend les indices, les prises de conscience, dans le champ
visuel des œillères, tous les signes qui seront à côté passeront
inaperçus. La stratégie évolutive nous donne la capacité de
pouvoir changer de focale notre oeil intérieur comme un photographe
travaille de près comme de loinLes zooms 135, 200, 400 mm avec la raison, qui ne peut éviter les détails qui précisent la forme, mais avec la pensée passive, qui ne recherche rien et reflète le ciel, c'est le grand angle qui est à l'honneur, ou l'eye fish qui s'étale plus largement que notre champ de vision..
L'oeil du non agir ne voit pas bien de près et se libère de
toute urgence, mais l'arrière-plan apparaît en continu — d'un
seul tenant, et donne le sentiment de l'insécabilité du réel. Le
ressenti holistique augmentera une fois que nous serons entrés dans
le jeu de dédier notre existence à l'évolution. Sentir se dessiner
les jointures entre le Tout et notre propre existence, c'est
l'aventure de la conscience.
Vouloir
s'approprier la Voie, le Dao, tel est l'ultime risque quand la
polarité n'est pas intégrée. L'évolution nous prend en charge à
condition que la convoitise du « fruit de l'œuvre»
disparaisse, l'unique moyen pour que le yin ne soit pas débordé par
le yang avide de conquérir. Si nous appliquons l'équilibre,
l'évolution sera naturelle et spontanée, suivra l'âme du présent.
Trouver les moments propices à l'alternance ( raison/intuition et
volonté/lâcher prise) deviendra un art guidé par le chemin et ses
obstacles. Ainsi, la confiance accompagne-t-elle le ressenti
changeant. L'évoluteur avance comme une onde sinusoïdale, la droite
épaule la gauche et réciproquement. Il évite qu'il y ait trop de
« pensées constructives » responsables d'une crispation
chronique au service du mental, puisqu'elles manipulent des
enjeux aléatoires qui attachent à l'idée de réussir. Etant donné
que l'esprit et le système nerveux sont en profonde affinité
(Mercure est en analogie avec les nerfs), le recours au côté gauche
préviendra ou anéantira le stress. La concentration peut être
excessive, anticiper peut devenir une véritable pathologie soutenue
par le besoin de contrôle. Trop compter sur le bras droit
crispe. La pensée va trop vite et dévalorise le moment en le
considérant comme le marchepied d'un futur à s'approprier.
Nous
sommes pris dans un phénomène d'évolution accélérée, et
nous décidons de nous mettre en phase avec l'expansion de la
conscience dans l'univers. Nous sommes les dépositaires d'une vie
complexe qui ne cesse d'ascensionner « avec les moyens du
bord ». Pour collaborer, il suffira en premier lieu d'accepter
la transformation des moments subis , ce qui
s'effectue par l'observation sévère des émotions et de leurs
rôles, pour les alléger. Ensuite, la vigilance sur l'équilibre
entre les jambes droite et gauche s'instaure, puisqu'il s'agit d'
extirper les prérogatives de la souche de l'ego animal, en scrutant
les attirances et les aversions. Le sentiment d'être une victime
peut rôder quand la démarche cosmique s'affirme, parce que certains
nous en veulent d'abandonner les valeurs communes, et il s'agit de
laisser derrière soi la demande d'approbation, yang, et la peur du
regard de l'autre, yin. Côté droit, le modèle contraire donne le
chercheur arrogant et fanatique — qui ne se doute de rien — et
convoite la vérité par narcissime secondaire. Il agglomère son
énergie vitale à son calcul de contrôle sur le monde, ou sa
conquête martiale de l'illumination. L'ambition est cet amalgame
qui combine l'exercice de l'esprit avec le besoin de jouir de
l'énergie vitale. Des convoitises spirituelles inavouées
proviennent des guna grossièrement combinés, le désir
egoïste de jouir de la possession de la Vérité se déguisant en
amour pour le Divin.
QUATRIEME
AXIOME:
Les
attentes vont diminuer vis-à-vis du monde extérieur et des autres,
et augmenter vis-à-vis de soi-même.
Bien
sûr, si le but est la fusion sans confusion entre le mental
intemporel et l'immédiateté physique, chaque moment sera empreint
d'une certaine urgence, considéré comme un souverain bien à ne pas
gaspiller, et la difficulté se présente, puisque ce sentiment
d'urgence ne doit en aucun cas se présenter sous une forme
angoissante, alors que la jambe gauche ne demande qu'à contaminer un
présent devenu plus acéré par des craintes supérieures, comme la
jambe droite essaie de profiter de l'ouverture respirante pour
embellir le désir. C'est vrai qu'à partir du soi impersonnel, une
unité se constitue entre l'immédiateté et la structure intérieure,
et il commence à se produire une certaine complicité, parce que la
nature lâche une partie de ses prérogatives. Il demeure peut-être
encore quelques adversaires intérieurs mais ils ont beaucoup moins
de poids. Il faut comprendre les traditions de l'Orient et du soi
impersonnel comme étant une forme de réconciliation entre
l'organisme et le mental (qui se dissout presque) et d'ailleurs,
quand il y a la paix qui s'instaure entre les deux, il n'y a plus de
pensée active, c'est l'illumination. Si par le passé cet
état semblait conclure toute démarche, il ne devient aujourd'hui
que l'auxiliaire d'un projet plus profond qui retourne jusqu'à
l'énergie originelle pour la recevoir dans l'enveloppe charnelle.
Lorsque le mental est déchargé du fardeau du corps après avoir
réglé la question de ce qu'était l'organisme, se produit l'éveil,
et le recul des éveillés sur la peur, sur la maladie, sur le rôle
à jouer l'atteste. Seul le désir sexuel subsiste et la quête de
son objet est très ludique, presque oubliée, et s'associe également
à un besoin profond de partage de la beauté de la vie. C'est un
très long chemin parce qu'il s'impose de régler la relation entre
les deux instances fondamentales d'une manière entièrement
harmonieuse et consentie. Faut-il en déduire que la dualité
esprit/organisme est plus difficile à ramener à l'unité que la
dualité pensée active/pensée passive ? Faut-il commencer par
réconcilier le yin et le yang — ou le haut qui s'élève
avec le bas qui retient, par toutes sortes de racines, dont certaines
inconscientes, le moi vers le territoire ?
Pour
le moment, j'ai tendance à affirmer, comme Sri Aurobindo, qu'il vaut
mieux partir du haut, en profitant de l'ascension de l'atmosphère
qui monte en vibration, et développer une véritable alliance entre
les deux bras sous le commandement de la consécration, de la tête
couronnée, ce qui pourra engendrer une rectification naturelle de la
puissance des jambes. Nous sommes certains que cette formule convient
à ceux qui aiment l'usage de l'intelligence, et qui ont davantage de
peine à s'indentifier ou intégrer leur corps physique, et à
reconnaître le vital. Les prises de conscience effectuées dans les
trois branches supérieures descendront, peut-être lentement, mais
descendront dans les jambes. En revanche, les individus très
incarnés, très identifiés à leur corps physique ou à leurs
émotions devront, en priorité se persuader qu'ils doivent
modérer leurs appétits du côté yang, et réduire leurs attentes
du côté yin, puisqu'ils peuvent involontairement, par habitude ou
héritage, cultiver leur complaisance à poursuivre l'avenir selon
leurs fantasmes, selon l'embellisement qu'ils projettent sur le temps
devant soi qu'ils cherchent à rattraper.
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Si
vous êtes dans l'unité, profitez-en, si vous n'êtes plus dans
l'unité vous en profitez aussi — pour utiliser vos
adversaires intérieurs qui montreront le chemin (de dépassement) et
guideront vers un nouvel équilibre. Observez sans prétention, sans
malice ni méfiance, nos quatre moteurs perceptifs, le désir et la
la peur, la raison et l'intuition, sous la direction de la volonté
évolutive. Le funambule sur son fil, s'il tombe remonte, et il
apprend à chuter sans se faire mal !
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4 L'EVOLUTION ACCÉLÉRÉE.
Le
funambule, c'est ce que nous sommes à chaque instant dans
l'immédiateté parce que nous combinons l'être et l'animal. Nous
les tressons ensemble, c'est le mystère de l'incarnation, c'est le
mélange de purusha et de prakriti, c'est-à-dire que
nous n'avons pas le choix. Nous sommes obligés dans le présent de
concilier d'une manière automatique ou intelligemment consentie une
part de conscience immuable et une part de nature, tout bêtement
parce que nous sommes nés bébés et que nous avons grandi, et que
le corps suit de près le passage du temps, alors que le moi le
surplombe confusément. Ce mystère paraît simple mais en fin de
compte, il y a peu d'êtres humains qui se penchent sur le funambule
parce que cet équilibriste est créé automatiquement: nous
sommes en mesure de relier à chaque instant notre pensée à notre
corps par un principe qui nous est infiniment supérieur,
personnellement je ne saurais pas le nommer. Car quel nom
donner à ce processus qui nous permet d'allier en une seule
résultante la conscience physique, la conscience vitale et la
conscience mentale ? Et même si nous trouvons un nom approprié,
cela ne nous avance à rien parce que ce tridynamisme est en
perpétuel mouvement, dans lequel nous trouvons l'empreinte de la
réalité fondamentale: nous avançons et reculons, parce que
le monde extérieur résiste en partie à nos conquêtes et nous
pousse dans des retranchements imprévus. La vie nous aide ou nous
pénalise de manière inattendue, la durée ne cesse de nous
bousculer, aussi bien dans les événements par les chocs
hétérogènes, que dans nos convictions et nos valeurs quand elles
subissent un démenti. Nous touchons ici à l'échec de la
philosophie qui se bat autour de définitions qui n'ont aucun sens,
étant donné que les objets définis sont instables et changeants.
Nous ne pouvons pas nommer correctement ce qui ne cesse de changer de
forme, et si nous le faisons, cela nous fait oublier les changements,
les variations, les modifications, et nous voilà prisonniers d'
images mortes et de symboles friables, avec des concepts qui ne sont
que des cadavres. Héraclite n'a donc été qu'un des témoins
priviligiés du mystère, qui, après avoir cessé d'inventer le réel
par l'exercice mental, s'est rendu à l'évidence du perpétuel
changement, comme Tchouang Tseu, et Bouddha fondant l'impermanence du
samsâra pour nous
aider à nous libérer des pensées cristallisées sur des croyances.
Le flux rapide du présent étant riche à chaque instant
d'informations évolutives, les systèmes de croyances structurées
filtrent son passage, le rétrécissent, le ralentissent, jusqu'à le
vider de sa substance de vie. Le potentiel est écrasé par
l'interprétation préconçue des événements qui assurent la
répétiton du Même, et c'est ainsi que la nature, la prakriti,
triomphe de l'esprit.
Le
fait est que si nous entrons dans le jeu de la conscience, nous
devenons des funambules, sensibles au fait que chaque instant est
potentiellement assez fort pour nous faire modifier notre itinéraire.
Mais sans cette ouverture à l'absolu présent, il est assez courant
de voir des existences se dérouler dans lesquelles la vie organique
et le sens mental ne se contrarient pas beaucoup, tout en maintenant
la conscience dans des ornières naturelles. La combinaison être
- animal s'effectue alors dans un mélange uniquement répétitif
dans lequel finalement, c'est la nature animale qui récupère la
pensée en ne la laissant jamais briser les limites d'une perception
héréditaire, pour ainsi dire « sensuelle ». Peur, désir
et besoin de sécurité. Etre, dans la stratégie évolutive, c'est
être en rupture avec le monde de la nature, avec le monde de la
prakriti. Cette rupture n'est pas faite pour nous couper de la
vie, elle nous permet de tresser d'une manière plus consciente la
combinaison être/animal — sur le fil du présent. Le
purusha, l'être, la conscience, le divin, possèdent un
véritable pouvoir sur la nature, et plus nous avons une expérience
personnelle de ce principe, plus l'ascension s'accomplit dans de
bonnes conditions. On ne peut pas dépasser cette dualité/une.
Nous en voyons le caractère duel quand nous sommes en conflit —
avec le monde, avec l'autre, avec nous-mêmes —, et le caractère
d'unité quand nous sommes installés dans la plénitude.
Notre
mental n'est pas rivé au moment présent, et il tourbillone autour
avec les souvenirs et les anticipations, les souhaits et les critères
fixes des valeurs éthiques. Le mental n'a aucune raison particulière
de n'écouter que le présent — sinon nous ne sortirions pas
de la condition animale. Les éveillés affirment qu'il existe un
moyen de réunir dans une seule et même substance l'être et
l'organisme, mais tous auront démécanisé les pulsions négatives
de la nature, les survivances dynamiques, un
chantier auquel s'attellent peu d'êtres humains, à moins qu'ils ne
le fassent qu'en surface en évitant les symptômes sans déraciner
les pulsions. Dans le Soi, il n'y a plus aucune ligne de
démarcation entre le présent de l'immédiateté et le présent
intemporel du mental.
|
J'appelle
donc « le funambule » celui ou celle qui accepte la dualité
être/animal dans une perpétuelle recherche d'un équilibre
meilleur, dans lequel la conscience augmente. La confiance peut être
conservée en fonction du principe que la conscience est supérieure
à la nature et la précède dans l'ordre des principes.
|
C'est
à chaque instant que ce modèle avec cinq fonctions modulables
se transforme, et cela vaut mieux que de s'imaginer qu'en coupant une
ou deux branches de l'étoile, l'identité fonctionne. Même si le
mouvement d'ensemble est plus difficile à suivre, c'est de sa
globalité que proviendra un équilibre neuf et ouvert tout en étant
structuré. Autrement dit, le fanatisme réductionniste, se réaliser
par une seule orientation qui veut embrasser tout l'espace, est
devenu un procédé obsolète dans un monde aussi complexe que le
nôtre. Par le passé, dans notre Histoire, un grand mouvement émerge
et écrase tout le reste. Le dieu inventé par saint-Paul en
récupérant Jésus fait la loi, et voilà qu'on décrète que c'est
l'alpha et l'omega, jusqu'à massacrer les juifs et les philosophes à
Alexandrie, puis l'Inquisition décrète un dieu dont il faut avoir
peur, et enfin quand il y en a vraiment assez de cette perversion
gouvernée par la jambe gauche, retournement complet de la situation
avec Diderot et les encyclopédistes qui sacralisent le bras droit.
La Raison devient l'idole, et on commence à mépriser pendant cent
ans ce qui n'est pas prouvé par a+b. Mais comme cette mode va trop
loin, elle se retourne et le dix-neuvième siècle va mélanger une
pensée rationnelle avec le besoin du « sentiment océanique »,
refoulé depuis longtemps, et voilà les quatre branches
réhabilitées, mais ingouvernables. Utopies communautaires,
spiritisme, sacralisation du peuple avec Marx, ésotérismes
sulfureux, religion du progrès, hédonisme à la petite semaine,
féminisme embryonnaire et matriarcal, avec une élite masculine
prête à idolâtrer le féminin et s'y soumettre... Dans les grandes
lignes de l'Histoire, il n'y a pas d'équilibre. C'est un
balancement. C'est la superstition religieuse suivie par la
superstition de la science.
L'oeil
physique fonctionne bien avec la raison qui observe, mesure, évalue,
mais quand la Tradition évoque un oeil intérieur qui ne
s'intéresse qu'aux qualités, et qui n'a plus besoin de mesurer des
volumes, des surfaces, des distances, quand on évoque un outil de
perception qui est entièrement libéré des formes et qui voit
l'essentiel, la culture n'adhère pas, car il ne « tombe pas
sous la main ». Nous ne sommes séparés de rien, mais le
mental nous persuade qu'il y a entre nous et le monde extérieur un
mur infranchissable. C'est faux, c'est seulement le mur volatil de la
pensée qui s'interpose. Nous sommes un fragment d'une réalité
totale et insécable, et le moi est seulement un point donné dans
lequel le Tout se focalise d'une manière particulière. La
reliance s'effectue quand l'ego renonce à diriger, ce qui permet à
l'univers de nous inspirer. Voilà la vérité et elle est simple.
Plus le moi est ouvert, plus il cherche des motifs d'action élevés,
plus l'intelligence innove. Le lien avec le tout se renforce par la
connaissance, l'amour, l'action désintéressée dans l'hindouïsme.
Dans le taoïsme, la connaissance s'obtient par la vision directe de
l'équivalence des contraires, l'unité yin/yang, et le non
agir correspond à l'action désintéressée inspirée par le
Dao. L'amour consiste surtout dans cette voie à ne pas
interférer avec autrui, et lui laisser une liberté absolue.
Nous
continuons l'œuvre des âmes nobles, avec une perspective
magnifique, puisque le supramental est enfin disponible pour
transformer la substance de la vieSelon René Guénon, il a existé de véritables sociétés secrètes initiatiques en Europe, bien décidées à agir sur le monde contingent. Chez les juifs, l'initié « met en garde », chez les bouddhistes la connaissance mène à la vacuité, mais aussi à la compassion qui est opérative, puisque le boddhisatva peut faire le voeu de s'incarner autant de fois qu'il sera nécessaire à la libération de l'humanité. Le paradis sera-t-il un jour terrestre ?.
Le Tout insécable, le Dao qui se retrouve dans le moi se
propage par le témoignage. L'invasion de principes supérieurs dans
les animaux pensants, les singes verticaux harcelés par la lutte
immémoriale pour la seule survie — tel est l'objet de la
spiritualité, synomyme de l'évolution. Nous incarnons un
prototype universel: se laisser rejoindre par la conscience, ne
pas se l'approprier— puis la laisser agir en nous... Des
centaines de noms chantent cette victoire, mais c'est la même
émergence, Tchouang Tseu, Kabir, Ibn Arabi, Roumi, Chaïtana, maître
EckHart, Hallaj, Guru Nanak, Ramakrishna, les multiples fondateurs de
sectes très pures, Mahavira en Inde et sa lignée, les esséniens,
les premiers hassidim, quelques fondateurs d'ordre religieux, les
ascètes mendiants authentiques, les prêtres abandonnés à Dieu et
méprisant les sévères règles liturgiques pour aider les plus
pauvres. Tous les inconnus de tous continents — au profil bas,
encore cent fois plus nombreux, tous les grands maîtres qui agissent
dans l'ombre, tous ceux que j'oublie, avec quelques païens
remarquables en Grèce antique et en Egypte, sans oublier les chamans
guérisseurs qui ne développent pas d'ego dans leur société
cyclique, dans laquelle les adjectifs possessifs ont
si peu d'importance.
Quand
c'est le Dao qui s'empare du moi, il se manifeste sans faire
subir de pression, sans violence, à l'abri de tout intégrisme et
son soldat agit pour le bien de tous — à l'abri des paroles
fleuries crachées dans les temples du sommeil et les églises de la
mort. Les voies dans lesquelles il est suffisant de sauver « son »
âme, ou d'obtenir son « illumination » ne représentent
pas une spiritualité évolutive, mais des sortes d'issues
individuelles, un luxe. Ces chemins sont condamnés parce qu'ils ne
sont pas utiles à la vie. Plus loin encore, les possibilités
ineffables:
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Aboli
jusqu'à la moindre trace évanescente
Le
cercle du petit moi était parti;
L'être
séparé ne pouvait plus être perçu;
Il
avait disparu et ne se savait plus lui-même,
Perdu
dans l'immense identité de l'Esprit.
Sa
nature devenait un mouvement du Tout
S'explorant
lui-même pour trouver que tout était Lui;
Son
âme était un délégué du Tout
Qui
se quittait lui-même pour rejoindre l'un Suprême.
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Savitri,
Livre 3, Sri Aurobindo
L'évoluteur
se sent relié à la totalité dans toutes les situations, et
s'accroît le sentiment de participer. L'Ananda se manifeste
quand nous conservons simultanément le fil de l'incarnation et celui
de l'ascension — mais rester sur ce fil sans quelquefois
tomber relèverait de l'exploit inutile. La révolte gronde en
dessous, dans le monde de la nature, et quand une résistance
apparaît, le fait de buter est un signe du progrès accompli. Même
l'arrêt est parfois la preuve d'une avancée remarquable, le ressac
provisoire du progrès. Remuer l'inconscient provoque des forces qui
jouent au retour de l'élastique, et
reviennent d'autant plus fort qu'elle se seront assoupies longtemps.
Sri Aurobindo parle d'un sage qui aurait vécu trois cents ans,
colère contrôlée, et qui un jour se serait mis en colère, et
l'émotion l'aurait tué. Voilà le problème des survivances
dynamiques, transformer l'animalité est un projet qui va occuper
notre espèce pendant des millénaires, et grâce auquel une nouvelle
humanité verra le jour. J'affirme que nous pouvons quand même aimer
l'animal et ce n'est pas plus mal d'aimer le primate en nous. Le
deux-cent quarantième singe ne veut pas évoluer, mais il nous
supporte. Quant à notre corps, il est de la Vie et n'aspire qu'à la
Vie. L'esprit sert de pont entre l'âme et le corps. De ce point de
vue, Platon a raison, et il n'était pas besoin de recourir à des
artifices ridicules comme l'idée du cheval en soi, indépendante de
la créature, pour défendre l'âme immortelle. Ceux qui savent
qu'ils ont une âme, par expérience, peuvent accorder du crédit à
Platon et aux religions du Livre, mais ceux qui ne sentent pas cette
âme se gaussent et projettent des idées extraordinaires sur ceux
qui établissent l'âme. Par exemple, certains lettrés grecques
accusaient Pythagore d'avoir adoré les nombres. Mais ce monsieur se
souvenait de deux existences et il a simplement poursuivi son
travail.
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Plusieurs
visions spirituelles se disputent les chercheurs, avec ou sans âme,
avec ou sans soi impersonnel, ou comprenant les deux, comme celle de
Sri Aurobindo. Voilà ce qui est évolutif, reconnaître les deux
réalisations... pour se donner une chance de se rapprocher du
Supramental par un engagement exhaustif.
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Si
vous intégrez l'étoile à cinq branches, vous ne ferez pas
l'erreur de vous spécialiser, et menerez votre barque en respectant
tout autant la vie que le Divin, le concret que l'immatériel, tout
en vous laissant guider par vos aspirations sans accentuer la dualité
originelle corps/esprit. Chacun a des combats particuliers à mener,
à gauche, à droite, en haut ou en bas. Chacun a des combats sans
violence à vivre sur l'une des quatre branches et quand l'une est
gagnée, un chantier inédit surgit pour poursuivre l'expansion
holistique.
5 LA CONSECRATION SPIRITUELLE
Le
moi évolutif gouverne la sensibilité trop avide du non-Moi, et
l'intelligence trop avide de servir l'egoIl y a d'ailleurs une sorte de balance naturelle entre la force centrifuge du désir et la force centripète du moi, qui mériterait d'immenses développements, mais cela est suffisant pour comprendre que nous sommes écartelés entre l'adhésion-désir et la défense-pensée. .
Nous allons gérer la force centrifuge et la force centripète et
assister à leurs combats, leurs conflits, tandis que nous serons
soumis à ce qui se trouve entre le yin et le yang, l'atermoiement,
l'incertitude, l'hésitation, la tergiversation, la procrastination.
Si cette consécration n'est pas authentique, si elle est cultivée,
elle provoquera des retours en arrière. Ce sera le plus souvent la
vengeancce de la Nature qui nous envoie un choc en retour, car nous
venons de progresser dans la Vérité, et le sentiment de culpabilité
pour avoir fait une petite « machine arrière » se
bornera à une simple émotion rapide avant de se transformer en
prise de conscience. Sur le chemin infini, les résultats ne
tombent pas dans l'escarcelle rapidement. La raison essentielle de
l'échec des voies spirituelles, c'est qu'il y a des centaines de
milliers d'êtres libres qui l'empruntent et qui, pour la plupart,
l'abandonnent au bout de quelques mois, juste avant l'expérience
fondamentale qui aurait transformé leur vie et entériné l'avance
absolue. On ne peut traverser les abîmes, les enfers, qu'à
condition de décider d'en sortir et que cette décision soit
irrévocable. C'est à la consécration que vous devez faire
confiance et non pas au sentiment intellectuel que vous êtes dans
une voie. La consécration définit les priorités tandis que votre
volonté d'obtenir l'éveil spirituel peut encore relever de la
convoitise, du narcissime, du besoin de sécurité, ou d'un
opportunisme génial (il vaut mieux avoir affaire au bon dieu qu'à
ses saints).
Ce
qu'il y a de plus difficile dans la voie c'est de consentir au délai
imprévisible qui s'étendra entre le moment où la consécration
s'installe et ceux où l'on pourra vraiment se dire: « j'ai
changé, cette fois, j'ai vraiment accompli quelque chose, cette fois
je sais que je suis dans l'unité et que rien ne pourra m'en
distraire. ». D'énormes secrets nous attendent dans cette voie
et ils ne peuvent pas être forcés. C'est l'univers qui se révèle
à travers nous, qui peut se révéler à travers nous — mais le
prix de cette expérience est très élevé, et fait de nous des
« êtres à part », qui doivent néanmoins conserver une
vision homogène de la société, et se dégager de tout mépris,
ressentiment ou jugement vis-à-vis des autres. Nous devons nous
attendre à ce qu'il y ait des forces pour nous détourner, qu'il
faut reconnaître comme des entraîneurs. Rien ne peut entraver
l'évolution, si la décision ne bronche pas. L'art consiste à
monter puis à descendre.
C'est
cela qui transforme la substance émotionnelle.
Vous
acceptez de descendre dans des états de conscience lourds sans que
l'émotionnel ne s'empare du préjudice. C'est donc un véritable
apprentissage. Il n'est ni question de se laisser entraîner par des
variations d'humeur négatives, ni question de les refouler et faire
« comme si de rien n'était ». Vous restez centré dans
le projet Divin, consentir à la souffrance sans abandonner le Dao.
Etant donné tout ce qu'il y a résoudre en ce moment, ceux qui
veulent gagner les vraies hauteurs ne peuvent pas se dispenser de
traverser, et parfois nettoyer des zones obscures par la même
occasion. On peut profiter de « descentes » pour
apercevoir des obscurités enfouies, souvent transmises par les
ascendants, concerant de petits systèmes autonomes de peur ou de
déni de certaines choses. Quand on remonte la pente, on apprécie le
retour de la grande clarté, on s'élève et l'unité revient.
Comme
il faut transformer toute la partie intermédiaire, là où le mental
devient vital et là où le vital est récupéré par le mental,
monter et descendre constituent un seul principe. Ce serait
donc cultiver une attitude rhédibitoire de se glorifier des
mouvements ascendants pour mieux refuser les explorations dans les
résistances obscures. Les remontées du subconscient nous font
plonger, et si nous dramatisons nos blessures, nous somatisons. Les
événements pourront de moins en moins nous contraindre puisque l'on
peut toujours opposer à leur substance destructrice ce que l'on
appelle tout simplement la foi. Nous pouvons maîtriser en restant
souple, en sachant consentir à tout ce qui advient, même si nous ne
l'approuvons pas. La maîtrise n'est pas le contrôle. La
maîtrise vient d'une alliance de la fermeté et de la souplesse,
d'une magnifique communion entre ce que l'on veut, ce que l'on
réalise par la volonté — le bras droit —, et ce que l'on
reçoit dans l'humilité, dans l'abandon et dans la grâce —le bras
gauche. La maîtrise (éphémère et en mouvement) provient d'une
combinaison entre la volonté réalisatrice et notre capacité de
recevoir les influx supérieurs qui montrent les prochains pas.
6 VISUALISATION PRAGMATIQUE DE L'ETOILE A CINQ BRANCHES
Ce
serait l'expression même de la volonté du Divin de rejoindre le
plan le plus matériel, le plus obscur. L'ignorance serait donc au
pied de la lettre le Divin Lui-Même dans sa forme la plus brute. Le
contenu est simple: si l'ignorance est de même nature que le Divin,
— Son expression brute mais Son expression quand même, elle
ne peut pas être un obstacle bien conséquent. Si nous prenons le
système de la Création comme Sri Aurobindo l'a dessiné dans la
vie divine, notre corps physique avec sa morphologie
pentaorientée matérialise la descente du Divin dans la Matière. Le
potentiel de l'étoile à cinq branches précède la manifestation
concrète du corps physique, c'est le potentiel qui crée la forme
matérielle et son fonctionnement, son tao, son système à la
fois ouvert et fermé. Ce n'est pas évident au premier coup d'oeil,
mais cette lecture qui détermine les principes avant les formes a
été préparée par la tradition symbolique. Paracelse et Hildegarde
de Bingen par exemple, lisaient avec une facilité déconcertante
« les signatures », un art qui a fondé la médecine dans
de nombreuses régions du monde, aussi est-il possible d'exercer son
intelligence à trouver leurs principes dans les objets eux-mêmes.
Sri Aurobindo développe cette approche et présente l'ignorance
d'une manière très particulière dans le tome 2 de la vie
divine, une manière éblouissante, qui laisse pantois un bon
moment. Et lire quelques pages déculpabilise totalement l'évoluteur
perspicace, qui accepte enfin les limites de la nature et comprend
que son rôle est de le harceler s'il veut s'en libérer. Cet
« harcèlement » peut s'apprivoiser et transforme le
combat en jeu cosmique, avec les satisfactions agréables des
victoires qui accompagnent les progrès.
Je
fais la même chose avec l'étoile et son fonctionnement. Je ne tire
plus du corps une symbolique transcendante. Je pars des principes
supérieurs qui ont besoin d'une forme pour se combiner dans un
animal et la morphologie de cet animal « pensant » en
découlera. C'est une physionomie qui tient compte, naturellement,
des contraintes du temps et de l'espace. Ce n'est donc pas une simple
image quand je dis que nous ne sommes pas à la hauteur de la
verticalité. Nous devons la rejoindre, incarner son principe,
c'est-à-dire subordonner les bras et les jambes à la volonté
évolutive, qui accepte et reconnaît l'être psychique. Chaque tête
qui devient un chef commence à actualiser le projet divin dans la
Matière, et comme je l'ai déjà dit pour rassembler sous un seul
label les précurseurs, peu importe la personnalité propre de qui
franchit ce seuil pour l'espèce. Notre éveil est sans doute le
nôtre, mais vu de Sirius, il acquiert un caractère impersonnel et
universel. Les évoluteurs tentent d'incarner un potentiel qui existe
déjà dans le modèle, ce qui est suffisant pour mettre un terme à
l'ego spirituel. Tout ce que nous réalisons ne se produit que parce
que c'est déjà possible, et il reste à régler certains amalgames
entre la fierté et l'orgueil quand le chemin devient favorable, la
nature essayant de récupérer le plus longtemps possible les
royaumes qui lui échappent.
Notre réalisation est
aussi utile à l'évolution dans son ensemble qu'elle nous paraît
nécessaire à nous-mêmes. J'aimerais vous faire bénéficier de mon
avance, que vous puissiez voir votre itinéraire, votre dao,
aussi bien comme nécessaire à la Totalité qu'il l'est pour
vous-même. Cela fait sauter certaines dualités, et donne du courage
quand il fait défaut. Vous n'êtes pas seulement un guerrier de la
Vérité, mais un guerrier de la Terre. Vous confronter aux émotions
finira par créer un passage évolutif et énergétique entre les
branches inférieure et supérieure de l'étoile. Le haut et le bas
sont séparés comme l'Esprit et la Matière le sont dans
l'espace-temps, mais les réunir est prévu de toute éternité.
Le
yang du dessus peut maîtriser le yang du dessous,
comme le yin du dessus peut apprivoiser le yin du
dessous
Le
yin et le yang dans l'esprit correspondent à la Raison et à
l'Intuition, mais ces deux procédures essentielles contiennent
chacune plusieurs modalités ou degrès, que l'on pourrait faire
correspondre aux doigts de la main. Dans cette perspective, nous
pouvons nous amuser à concevoir que le passage de la tête au chef
est involué dans la main. Le pouce opposable permet de faire un bond
en avant dans la transformation matérielle et la création d'outils.
De la même manière, la Raison permet de « prendre en main »
certaines vérités, et l'intuition permet de recevoir dans la main
l'autorité souveraine du Tout. En pratiquant le langage des oiseaux,
nous pouvons affirmer qu'il faut plier le genou pour ne pas baisser
les bras. Reconnaître la souveraineté de la Vie, en s'inclinant,
peut conférer la force dans des moments de désespoir, c'est la vie
que nous protègerons en refusant de nous laisser abattre. L'être
humain subit la compilation de la matière pure, de la vitalité et
du mental, et toute souffrance un peu sérieuse brise la magie de la
résultante, et doit permettre une révision de l'image de soi.
C'est
un emboîtement dynamique et nous sommes soumis à une
rapidité tyrannique, dans la création de nos pensées autant
que dans notre réactivité émotionnelle. Le temps nous baratte et
ne nous laisse pas un instant « tel quel ». L'entropie
contrebalance presque à égalité la montée évolutive, mais la vie
« retombe » après une fulgurante montée exponentielle,
fait qui inspire tous les mythes et pratiques évoquant
l'immortalité. Au-dessus du passage biologique, le surmental et
surtout le Supramental nous attendent pour que la vie débouche enfin
sur quelque chose de légitime en soi, avec moins de souffrance,
moins d'entropie, moins de dualités — notre rôle est de régler
les antagonismes. Comme nous sommes la plus complexe des créatures,
les dysfonctionnements sont à l'affûtUn couteau ne se détraque pas, il rouille un peu à la rigueur, mais il est de notoriété publique que les revolvers s'enrayent. Les avions de chasse réclament des révisions nombreuses. Complexité et vulnérabilité sont proportionnels...
Suivez mon regard... L'être humain est compliqué et c'est un défi
pour lui de récupérer les dysfonctionnements — produits par les
chocs hétérogènes — pour retrouver l'homogénéité, soit la
concordance du yin et du yang.
L'hétérogène
et l'homogène sont tout le temps en train de se fracasser l'un
contre l'autre. Nous transformons sans cesse ce qui prend
l'apparence de l'hétérogène. L'hétérogène possède deux
qualités indissociables, primo il provoque la surprise,
l'étonnement, et deuxio, sa manifestation est imprévisible. L'autre
(individu) est hétérogène, dès qu'il révèle des aspects
auxquels nous ne nous attendons pas, et qui soulèvent nos
survivances dynamiquesL'accident est hétérogène, l'occasion est hétérogène, mais favorable — d'où la difficulté de la faire durer en récupérant son origine dans un ensemble cohérent..
J'aimerais vraiment vous donner le moyen de libérer le mental –
accueillir l'hétérogène au lieu de faire dans le déni. Pour
cela, observer les amorces des conflits,
la
droite contre la gauche,
le
haut contre le bas.
Plonger dans la
relation entre le moi permanent et l'événement de chaque instant.
7 DEVELOPPEMENT INTERACTIF DU PARADIGME
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Si
nous cessons de vouloir récolter les résultats là où nous
aimerions les trouver, la grande disponibilité attirera les indices
évolutifs... Ils n'apparaissent pas forcément dans notre propre
ligne de mire !
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Question:
Sri Aurobindo se montre très vigoureux dans certaines lettres à ses
disciples et l'exigence de maîtrise paraît la plus accentuée.
Le
désir doit être extrêmement modéré et pour moi c'est une formule
qui est plus satisfaisante que d'essayer de l'écraser, parce que
dans ce cas s'il se révolte, on perdra plus de temps dans une
rechute humiliante, que si on le modère. En l'écrasant, on a des
tortures mentales, surtout chez les hommes (je ne sais pas comment
les femmes vivent leur désir). Le problème de la spiritualité et
de la philosophie antique s'est toujours articulé autour de la
relation entre l'esprit et le désir. Certains ont dit: il faut
presque rien, d'autres ont dit: il faut beaucoup. Les hédonistes
épicuriens ont dit: il ne faut pas beaucoup mais de très haute
qualité, alors chacun se fait un système et des sectes se créent.
Pour moi le corps doit être transformé effectivement, mais les
moyens que nous inventons pour transformer les choses ne sont pas les
moyens du Divin lui-mêmePour en finir averc l'hypocrisie, autant parler de moi, j'ai pratiqué plusieurs fois l'abstinence pendant de très longues périodes, sept ans, puis six ans, comme j'ai vécu un grand amour aussi plusieurs années entre les deux. Et depuis douze ans, deux incartades très courtes que je ne regrette pas, bien que j'y ai laissé des plumes, et pour l'une des deux, Cupidon avait décroché une flèche que je ne pouvais pas prétendre arracher. Chacun sa voie....
Je ne vois pas comment « abstraire » ce problème et
cartographier l'abstinence ou l'amour, bien que ce soit sur cette
question qu'on me demande sans cesse de me prononcer. J'aimerais
quand même parler d'un paradoxe, les hommes très évolués qui ont
une sexualité n'y accordent pas forcément d'importance, tandis que
s'ils se retrouvent seuls et décidés à l'abstinence, ils vont
davantage y penser en essayant de l'éviter que s'ils pouvaient
encore s'y adonner, par exemple avec une femme elle aussi sur la
Voie. C'est la même chose avec les athées fanatiques. Ceux qui
passent leur temps à attaquer les croyants pour prouver
l'inexistence de Dieu sont obsédés par « Dieu », — ce
qu'ils nient farouchement, bien entendu.
Je
n'ai rien contre celui qui incarne le sommet de la théorie: «
moi je suis au-dessus de tout ça, je n'ai pas de problèmes de
sexualité, je n'en ai pas besoin. » Il peut essayer. Le jour où
il tombe, il aura l'impression d'avoir perdu son temps. La manière
dont je vois l'évolution, c'est vivre l'unité. L'unité, elle est
forcément détruite dans la sexualité, même dans l'amour, elle
est détruite à un moment donné, l'unité, parce que l'autre
demeure l'autre et nos plus belles identifications à l'autre
n'abolissent pas l'écart entre lui et nous. Si l'unité absolue en
couple existe de part et d'autre sans brider la sâdhanâ de
chacun, c'est un exploit possible, plus difficile à réaliser que
s'en remettre à son seul chemin face au Divin. La sexualité doit
être une petite chose dans l'évolution holistique, peut-être la
plus belle pourquoi pas, j'en ai fait l'expérience quelques années,
mais si elle usurpe la place du reste, elle devient un obstacle.
Quelles que soient les expériences d'unité que l'on fait en
utilisant les objets extérieurs, —même l'être aimé est un objet
par rapport à nous-même, une limite finit par se dessiner,
d'ailleurs Henri Michaux en a convenu après avoir absorbé les
meilleurs hallucinogènes. L'objet oui, mais il ne sera jamais le
sujet. On ne sait pas ce que va apporter un amour humain. Si je me
dis j'aime, mais de toute façon cet amour humain sera inférieur
à ce que m'apporte mon ascèse intégrale, il est bienvenu de
refuser cet amour, sinon en creux on culpabilisera de ne pas récolter
ce que l'autre chemin aurait apporté. Mais si l'évolution n'est
réservée qu'à ceux qui ne touchent pas à l'amour humain, il n'y a
plus personne ! Il y a des hommes et des femmes assez évolués pour
vivre une sexualité gratifiante, peu quantitative et qualitative. La
sexualité épanouie libère certaines forces inconscientes et
présente la vie comme légitime, ce qu'oublient souvent les reclus
qui, dans leur obsession verticale, finissent par se fâcher avec
leur corps. C'est comme les Balinais quand ils nourrissent les démons
pour qu'ils les laissent tranquilles. En caricaturant, il vaut mieux
rassasier le vital avec quelques miettes que subir ses assauts
d'affamé si l'on n'en peut plus. La sexualité est l'instinct
central qu'on peut respecter sans s'y soumettre, le temps de la
dépasser ou de pouvoir s'en passer des années. On sera ramené à
ce que l'on peut réellement faire et ne pas faire, la Nature n'obéit
pas aux ruses du mental, une fois de plus c'est l'expérience qui
départagera l'amour de l'abstinence !
Il
vaut mieux assumer le plaisir que de voir remonter le principe du
désir dans le mental. La frustration du plaisir qu'on n'a pas pu
éprouver sur le plan de la sensibilité et des sens, peut monter
dans la tête. La frustration sexuelle produit généralement un
désir d'appropriation du spirituel pour se venger de cette
frustration, pour la compenser avec des bénéfices secondaires
« transcendants ». Il y a une différence entre le désir
et le plaisir mais ce n'est que la distance entre les deux. Le désir
et le plaisir, c'est la même chose à des phases différentes de
manifestation. L'aspiration et le désir, c'est différent. Beaucoup
de personnes se trompent dans les ashrams, les monastères, dans le
clergé, et elles se mettent à convoiter Dieu avec le même
processus que la convoitise sexuelle, parce que le vital refoulé en
bas s'est réfugié en haut. C'est pour cela que la consécration est
difficile, aimer le Divin pour ce qu'Il est, et non pas pour l'usage
(rassurant, narcissique, valorisant) que je peux en faire.
Je
me sens obligé de raconter un souvenir important pour illustrer. Où
est passé l'eros ? Comme chez ce garçon en hypokhâgne qui
connaissait les différentes versions des textes d'Aristote à 19
ans. Il reprenait le prof en grec, « oui monsieur ça
veut dire ça si on traduit de telle manière et c'est la traduction
d'Untel, mais on peut traduire la même phrase de cette manière-là
comme l'a fait Tartempion, et à ce moment-là ça ne veut plus dire
la même chose ». Le prof ne savait plus où se mettre, un
silence de plomb s'abattait, et nous, on se disait qu'on avait
affaire à un extra-terrestre, d'autant que le type ne parlait à
personne. Mais il reprenait le professeur sans agressivité, on ne
savait pas d'où pouvait débarquer un type pareil, une énigme sur
pattes. Il avait transféré tous l'éros dans le mental, ses
yeux bleus luisaient de concupiscence quand il parlait des
philosophes. Il avait un physique ingrat, mou et adipeux, sans être
gros, avec un étrange regard vital qui ne se posait sur rien, et ne
regardait jamais personne en face. Un matin sans le moindre nuage, on
se met autour de lui à la sortie du cours, et on se moque en lui
faisant remarquer qu'il a pris son gros parapluie noir. A Nice, avec
ce ciel-là, c'est certain qu'il ne peut pas pleuvoir avant de
nombreuses heures, et comme il était externe, c'était absurde de
venir avec, il ne pouvait pas pleuvoir dans la matinée. Au lieu de
reconnaître que c'était par distraction qu'il l'avait emporté, il
a eu le culot de s'en sortir avec une formule incompréhensible sans
broncher, sans doute une citation grecque ou latine patinée par deux
mille ans de références. Aucun de nous n'a compris ce qu'il a dit
et on s'est tous regardé presque penauds avant de le voir partir,
certains avec pitié — d'autres avec mépris. Et il s'en est
allé comme si de rien n'était, mais mon cher Watson, en dépit de
son génie, ce type ne voulait pas perdre la face, il était comme le
dernier des derniers, il nous a menti et s'est peut-être menti à
lui-même pour se justifier d'avoir emmené son parapluie. Je ne sais
pas pourquoi ce souvenir est resté si vivace, peut-être bien que
c'est parce que la situation était parfaitement hétérogène,
monsieur je sais tout qui n'a pas le courage de reconnaître qu'il
est distrait ! Narcissime, vous avez dit narcissisme... ce type m'a
bouleversé, il jouissait comme une bête du savoir mais l'idée de
se donner totalement au mystère ne l'effleurait pas. Il savait tout
et n'en faisait rien. Il misait sa vie sur l'intelligence
rationnelle, rien d'autre n'existait — rien qu'un bras droit. Il
semblait hors de la vie, sans désir, sans émotion, presque sans
corps — un cas. En sens inverse, c'est dangereux également, j'ai
rencontré des médiums qui ont réponse à tout alors qu'ils ne
savent absolument pas où ils en sont dans leur propre vie parce
qu'il n'y a pas de structure à droite. J'en ai vu des dizaines à
Marseille au cours d'un énorme salon de voyance en 1986 pendant
trois jours. Ils conseillaient à tour de bras avec une forte
conviction, et eux étaient complètement à l'ouest, ils allaient se
parler d'un stand à l'autre, beaucoup de femmes d'ailleurs, et elles
se répandaient sur leurs propres malheurs, je me suis demandé ce
que je faisais là — rien que des bras gauches. C'est à ce
moment-là que j'ai commencé à travailler pour voir ce que je
pourrais apporter aux gens extrêmement yin, parce je suis
plutôt de leur bord, et j'ai foncé dans l'astrologie pour en tirer
le maximum.
Question
: Moi, j'ai un autre type d'élan sur des objets variés, une sorte
d'amour de l'action. Est-ce que c'est aussi dans le même champ du
désir ? J 'aurais tendance à le croire car c'est un mouvement
énergétique.
N.
: La question est de savoir à partir de quelle intention
l'évoluteur délègue l'action. C'est très beau d'avoir une
grande capacité énergétique. Dans le vrai vital, il n'y a pas de
mouvements d'appropriation, on fait les choses pour la beauté du
geste. Dans le karma yoga, les choses sont accomplies pour
leur utilité universelle. Ce qui est merveilleux dans la vision de
Sri Aurobindo, c'est qu'il n'y a aucun moment où il oublie quoi que
ce soit. C'est-à-dire que chaque fois qu'il développe une idée qui
pourrait faire croire que cet aspect va prévaloir sur le reste, il
amène autre chose. Moi, je fais la même chose avec d'autres termes,
parce que cette intelligence supramentale ne laisse rien dans
l'ombre, elle est infinie — c'est-à-dire qu' au moment où l'on
s'apprête à voir l'ombre d'une chose, on voit toutes ses
caractéristiques positives aussi. — Et réciproquement bien
entendu. C'est un « oeil intérieur » qui voit l'objet
sous tous les angles à la fois. Voilà pourquoi c'est si nuancé mon
jugement, l'amour oui et non, le yin oui et non, le yang oui et non,
tous les moments ne sont pas favorables, aussi bien dans une relation
que dans la solitude. Etablir des règles, oui, très élevées,
au-delà des formes, c'est tout ce que l'on peut faire. Je l'ai dit
sans plaisanter, mais on peut croire que c'est une boutade, pour moi
toutes les doctrines spirituelles ne sont que de l'écume sur les
vagues, il n'y en a qu'une de doctrine: faire de son mieux.
Il
se trouve que je travaille naturellement avec le samkhya, le
taoïsme, le bouddhisme tibétain, le tch'an et l'astrologie
transcendantale, car cela permet de faire des diagnostics, mais je ne
sors pas de cette unique vision: des centaines de témoignages
excellents ont été fournis, mais personne ou presque ne veut
suivre. Le mental peut faire passer de l'orgueil pour de l'humilité,
et du calcul de rentabilité pour du don de soi-même. Dès que
quelque chose devient trop affirmatif, le dogme se constitue. C'est
comme si le mental lui aussi pouvait pousser comme des semences. Vous
dites trois ou quatre choses fondamentales, et trois siècles plus
tard vous avez un monstre conceptuel qui a enfermé la vérité du
mouvement de la vie dans des cristallisations qui renforcent vos
propres cristallisations. La rigidité répond à la rigidité. C'est
terrible. Bref, c'est à toi de voir pourquoi tu éprouves des
satisfactions dans de petits mouvements qui peut-être n'en valent
pas la peine. Cela peut être une manifestation de l'Ascendant, ou
une tendance karmique, ou bien les deux se renforcent. Peut-être
dois-tu passer au crible toutes tes intentions, et voir quand des
actes se perpétuent sans qu'ils t'apportent quelque chose
d'essentiel, ou sans qu'ils soient nécessaires.
Question: La tentation
de bâtir un système est rassurante, comment ne pas y céder ?
|
N: intégrez
cet aphorisme: La seule tâche de la raison est d'arranger
et de critiquer les perceptions. En soi, elle n'a aucun moyen de
parvenir à une conclusion certaine ni aucun pouvoir de commander
l'action. Quand elle prétend prendre l'initiative ou mettre en
mouvement, elle masque d'autres agents.
|
Sri Aurobindo
J'ai
passé un an dans une conscience extraordinaire. C'est l'époque de
la poésie qui est sur mon site. J'étais dans une sorte
d'omniscience, le supramental travaillait dans la matière grise,
j'avais des sensations très fortes de pétillement en 1981. Il y
avait l'ancienne pensée qui était là pour trouver mauvaise telle
ou telle chose et spontanément la conscience divine me montrait
l'aspect positif de la chose négative. C'est pour cela que j'ai
tendance à valoriser l'évolution divine, c'est qu'en dehors de la
difficulté qu'il y a à subir l'énergie supramentale dans le corps,
sur le plan de la conscience et de l'intelligence il y a une
explosion de sens. C'est cette explosion de sens qui me permet de
tenir ce discours, qui ramène à l'essentiel sans réduire. Nous
sommes de la pensée rationnelle, nous sommes de l'attente intuitive.
C'est cela qui est très important. Parfois le travail que l'on fait
avec la pensée active, on va en récolter les résultats dans une
meilleure réceptivité, mais il faut le savoir pour ne pas être
avare de son temps, pour comprendre qu'on peut moins
l'instrumentaliser, ou le dédier au yin plus souvent. C'est
cela qui est extraordinaire. Une implication volontaire dans les
choses va donner des fruits dans la passivité, dans la
contemplation, dans le non agir. C'est cela qui est
merveilleux, une unité transformatrice mène l'univers, une unité
souveraine. Faire, s'impliquer, pratiquer, ce n'est pas le résultat
contingent qui importe, mais l'éveil de l'esprit. Un musicien ne
s'attache pas aux œuvres qu'il a composées, il passe à la
suivante, c'est cela qui anime l'évoluteur, quoi qu'il fasse, le
bénéfice est à l'intérieur. Tant mieux si la technique progresse,
mais ce n'est pas cela l'essentiel. Il y a donc une unité invisible
qui comprend le yin et le yang, et le positif yin peut rejoindre le
positif yang, comme le négatif yin peut rejoindre le négatif yang.
Des progrès conséquents dans l'ouverture donnent sur un engagement
plus puissant, et des performances dans l'action peuvent amener une
meilleure écoute, davantage de circonspection. Les dualités, c'est
le diable, l'illusion, le mensonge de l'apparence dans la
Manifestation.
Le
clin d'oeil du Tao:
être
capable de s'identifier sans être absorbé,
donne
sur tous les stratagèmes, une stratégie spontanée en découle.
Question:
N'y a-t-il pas au départ une difficulté à rester dans cette
position de témoin ?
N.
: Le témoin, il faut se rendre compte quand il s'en va. C'est
devenir sensible aux choses hétérogènes pour rétablir
l'équilibre. Ce n'est pas la ligne droite, c'est rectifier le tir en
permanence. Le témoin va venir quand la quête se précise, il va se
manifester plus souvent. Parfois il va être débordé et disparaîtra
quelques jours, c'est possible. Tout cela, c'est le jeu de
l'évolution, c'est le Purusha qui tombe dans la vie. Le Purusha,
d'un point de vue sémantique, c'est très important, le samkhya le
définit correctement et Sri Aurobindo n'a pas transformé cette
approche. Il représente le mental qui ne bouge pas et qui n'est
pas affecté par la récupération active de la pensée. Parce
que la pensée active, c'est quoi ? C'est la récupération par le
singe de l'esprit, mais une très belle récupération qui fournit
des explications à tout, invente des orientations fermées, tout en
décrétant des choses invérifiables. Pour le supramental, la Raison
n'est pas grand chose à moins qu'elle soit à chaque instant tournée
elle aussi vers le Divin, soutenue par le chef. La libération du
Soi, c'est le moment où le mental se déconnecte de la pression de
l'organisme et des jambes de l'étoile, qui fonctionnent « le
nez sur le guidon », véritablement obsédées toutes les deux
par l'immédiatetéJ'ai pensé à ce que j'étais quelques minutes avant, juste après que l'illumination s'est produite (le 4 janvier 1974 et oui c'est une date importante!) j'ai vu que je n'étais plus le même. La manière dont j'étais connecté à mon corps n'était plus du tout pareille. Le désir, ça me faisait sourire, ce n'était plus important. Satisfait ou pas satisfait, qu'est-ce que ça peut bien faire !.
Quand le Purusha se branche sur le mental universel, la
récrimination permanente qui vient de la naissance, —
récrimination que l'on pourrait dire « nerveuse »,
s'arrête soudain. Et voilà: la pensée n'est plus dynamique. C'est
la vie extérieure qui rebranchera quelques mois après l'éveil sur
la pensée active parce qu'il faut faire des choses, parler, etc,
mais pendant le premier trimestre qui suit l'illumination, ou
davantage pour certains, il faut faire un effort pour créer une
pensée. Les impressions arrivent toutes seules, sans jugement, sans
« interprétation », c'est merveilleux. Le combat
spirituel, c'est un affrontement entre la pensée active et le témoin
qui profite du mental universel — non assujetti au monde
contingent.
|
Nous avons dit
stratégie, voyons les stratagèmes. En Occident, les stratagèmes
passifs sont ignorés,
parce que l'on s'imagine que tous les stratagèmes sont
conquérants. C'est faux, il y a des stratagèmes entièrement
passifs. Exemple: la toile d'araignée. L'araignée tisse sa toile
et après elle attend, c'est une structure passive. Si je veux
pousser loin l'analogie et pratiquer la lecture des signatures,
j'irai même jusqu'à nous comparer à des araignées. Notre raison
peut fabriquer la toile, mais son rôle s'arrête là. La nourriture
spirituelle ne peut pas être créée par nos concepts, ni piégée
dans des présupposés meilleurs que d'autres. La nourriture divine
nous parvient quand on a reconnu que le rôle de la pensée active
était extrêmement limité, et que le défi était de pratiquer, de
s'engager, de prendre de bonnes décisions, de toujours progresser
vers un emploi du temps essentiel, peut-être diminuer l'action et
attendre, comme les araignées, que les indices divins tombent dans
la toile géométrique que nous aurons façonnée. Quand notre raison
et notre intuition se fondent ensemble, une autre perception se
produit, beaucoup plus profonde, nous comprenons ce que nous avons
reçu, nous intégrons quelque chose qui nous manquait. Les
stratagèmes passifs nous permettent de nous ouvrir à ce qui
descend. Dans les stratagèmes actifs, on essaie d'obtenir un pouvoir
positif à exercer dans la durée. Ils sont volontaires, précis — et
cela est très important. Dans cette stratégie globale de
l'évolution, nous collaborons à l'expansion de la conscience sans
nous l'approprier, et dans le déploiement de cette aspiration nous
avons besoin de poser des intentions, d'accorder à la durée
une valeur particulière, qu'elle finisse par nous donner ce dont on
a vraiment besoin, soit qu'on la manipule avec des stratagèmes
actifs, soit qu'on la laisse faire avec des stratagèmes passifs.
| |
Dans
la mesure où les stratagèmes sont des outils, la question de savoir
si l'outil est bien ou mal utilisé se pose sans cesse. Il faut
savoir qu'à partir du moment où l'on choisit un stratagème, il
reste la question de l'apprentissage pour en faire le meilleur usage
possible. L'emploi du stratagème actif doit toujours être ramené
au témoin intérieur, de telle façon que primo, le personnage de
celui qui pratique ne se confonde pas avec l'identité du témoin et
secundo, de manière à ce que le témoin immuable ne soit jamais
renié par le personnage de celui qui fait. Autrement dit, le yin
et le yang doivent s'épauler. S'il n'y a que le yang,
l'identification au « faire » est excessive et le témoin
recule, s'il n'y a que le yin, le témoin ne parvient pas à se
concentrer sur le mouvement en cours.
Question
: un stratagème peut donc berner l'évoluteur ?
N.
: oui, il peut être berné, c'est la leçon amère des prières qui
deviennent des fins, ou des méditations qui deviennent mécaniques,
ou des apprentissages philosophiques qui mènent à l'érudition et
non à la pratique des présupposés. Pour le supramental, c'est une
vision horrible qui balaie tout le champ humain, et que Sri Aurobindo
dépeint constamment dans Savitri. On retrouve cela absolument
partout, à toutes les échelles, — le moyen qui devient la
fin.
C'est
la stratégie de la mort.
La
sexualité devrait servir l'amour, elle peut devenir facilement une
fin en soi, l'argent devrait servir l'organisation matérielle, il
est devenu une fin en soi, la religion devrait permettre de
développer le bras gauche, elle est devenue un appareil, un système
qui tend au circuit fermé. La satisfaction vitale est
sécurisante et elle essaie toujours de récupérer des compétences,
des apprentissages, des techniques. Ici à droite, on sait à peu
près ce que l'on peut attendre (arts martiaux, Hatha yoga,
visualisation volontaire, tout ce qui est dirigé...) Mais les
pratiques qui « n'attendent rien » sont incomprises. Les
stratagèmes passifs sont sous-estimés. On ne sait jamais ce que
l'on va récolter avec, alors que toute cette humanité est avide de
résultats, et vendrait père et mère pour obtenir ce qu'elle veut,
beaucoup d'argent, beaucoup de sexe, beaucoup de pouvoir, ou encore
l'immortalité de l'âme. On se donne le change avec la posture du
disciple, du yogi, — alors qu'ils ont tous dit, surtout les
hindous, de ne pas s'attacher aux fruits de l'œuvre. Attendre le
résultat en se disant « Moi j'ai bien fait... , qu'est-ce que
Dieu attend pour me récompenser ! », c'est cela qui se produit
tant que le mental n'est pas terrassé. Il court après « ce
qui devrait être ». Les stratagèmes passifs sont plus
puissants que les stratagèmes actifs«La connaissance est supérieure aux œuvres », Guîtâ.,
mais ils requièrent à la fois abandon et confiance, et ce n'est pas
tout le monde qui possède assez de « foi » pour s'y
consacrer. Tandis qu'avec un stratagème actif, il est possible de se
faire une image de ce qu'il peut produire, et donc « rapporter ».
Beaucoup refusent les stratagèmes passifs sous prétexte qu'on ne
peut pas évaluer leur taux de « réussite ». La crainte
de miser sur un mauvais cheval retient l'abandon... Alors la
contemplation et la méditation sont considérées comme des danses
folkloriques. (On ne sait pas ce qui va se passer et nous on aimerait
bien déjà savoir où se rendre !)
La
méditation sans objet est à notre disposition. Sans objet aucun.
Cela devient s'adonner à l'inutile si l'on comprend de
travers, mais il s'agit de permettre au système nerveux de se
reposer, de se désengrammer de la vitesse incoercible de la durée.
Je ne fais rien et je ne cherche rien — même pas à obtenir le
silence mental (et je ne ritualise pas cela comme dans le zen, — qui
établit le fait de ne rien établir). Tu laisses ruminer, comme une
vache qui mange son herbe, c'est de la rumination, les grands
penseurs savaient cela, comme Nietszche, qui s'est égaré, mais
Krishnamurti ne faisait pas grand chose de ses journées et c'est
ainsi qu'il laissait passer ses pensées. Le cerveau est actif tout
le temps, il est nécessaire de ruminer pour contrebalancer, son
activité persiste mais sans être dirigée, et elle devient
respiration. Tant pis si les autres nous prennent pour des fous... Le
cerveau opère une nouvelle forme de travail et des ramifications
significatives se produisent parce qu'il n'est plus dirigé. Des
événements qui ont été enregistrés, sans qu'on s'en rende
compte, vont pouvoir revenir à la surface. Je conseille la
méditation sans objet à différents titres: repos, relaxation,
remettre le cerveau qui est très actif dans une position passive —
libérer les mémoires. Cela permet aussi une reconnaissance plus
profonde du bras droit, et une capacité plus habile de diriger
l'esprit — par contraste. La contemplation permet d'éprouver de
la gratitude que l'on savoure et n'a pas besoin de se poser sur les
objets non plus. C'est une sorte d'adhésion intérieure au mystère
de l'existence — avec en arrière-plan le Divin. On se sent
bien, on est plutôt dans la satisfaction, dans l'émerveillement,
dans le mystère, sans chercher à comprendre.
Question:
: Les chants dévotionnels appartiennent-ils au côté gauche?
N.
: Il faut garder le principe de ce qui est actif et passif. Si le
chant dévotionnel permet d'arriver au passif, c'est possible. Les
chants dévotionnels, dans la forme ils sont à droite, si dans le
principe ils sont à gauche, tant mieux. S'il y a des gens qui à
travers eux parviennent vraiment à recevoir du dessus, c'est
magnifique, mais pas évident, on peut se laisser berner par
l'esthétique, ou finir dans la posture travaillée « j'aime
Dieu » qui est narcissique. Je sais que ce n'est pas facile
pour tout le monde de comprendre que dans l'inaction absolue des
progrès considérables peuvent se mettre à jour, mais c'est quand
même comme ça que cela se produit la plupart du temps. Quand le
faire devient insuffisant pour piéger le mystère absolu, un lâcher
prise profond s'effectue, sans résignation, c'est une reconnaissance
de la souveraineté du Tout. C'est comme cela que j'ai avancé et je
ne suis pas le seul, Sri Aurobindo a renoncé à la politique, et
n'est plus sorti d'un minuscule périmètre jusqu'à la fin de sa
vie. Quand on regarde les enseignements, la justification des
stratagèmes passifs est emberlificotée, beaucoup trop précise. On
rétablit des buts alors que l'intérêt était de sortir de tous les
buts et de toutes les finalités — pour recevoir la grâce en
tant qu'être. On ne cherche même pas à s'améliorer à ce
moment-là puisqu'on souhaite recevoir quelque chose, et on peut
effectivement recevoir une intelligence nouvelle, alors qu'à droite,
ce que l'on connaît déjà se prolonge et s'améliore. On le met en
pratique pour en tirer avantage, mais rien de strictement imprévu ne
se produit dans la logique et le raisonnement, cela reste linéaire
par rapport aux qualités de l'intuition. Pour moi, la méditation
sur le Divin, c'est quand le Purusha, quand le témoin
souhaite vraiment se rapprocher du Divin. Il y a des moments dans la
vie pour méditer sur le troisième oeil, et si l'on se développe
correctement en méditant au-dessus de la tête, il est possible de
sentir de l'énergie au sommet du crâne. La méditation sur le Divin
est active dans la mesure où l'on choisit le champ infini, et
passive dans la mesure où le Divin est notre maître. Cela peut
être un mouvement de soumission au Divin. Par contre, je suis contre
le dialogue de complaisance. Des centaines de milliers de gens
s'imaginent qu'ils communiquent avec Dieu alors qu'ils entretiennent
avec lui un dialogue purement imaginaire, en fait ils communiquent
seulement avec leur propre Purusha et s'imaginent dans la
confidence de Dieu. Le singe debout a encore du travail pour mériter
sa verticalité. La méditation sur le Divin, ça ne se passe pas
dans la pensée dynamique, ce n'est pas possible, le mental doit être
immobile.
Nous
entrons dans la pratique. Alors actif, passif ? Beaucoup de personnes
ont des stratagèmes actifs: arts martiaux, yoga, tai-chi, Chi kong,
kung-fu, Aïkido... À chacun de se situer par rapport à
l'orientation actif /passif. L'art est à mettre au milieu avec la
possibilité de combiner le yin et le yang dans les chefs-d'œuvre.
L'on reçoit à la fois la signature de l'univers et l'on collabore
avec notre propre subjectivité. Cela en fait des champs
d'exploration... à condition que le mental lâche beaucoup, et que le
vital soit soumis, sinon... (Picasso écrasait ses proches). Vous vous
rendez compte du nombre de stratagèmes qui sont à notre disposition
? S'ils sont assignés à la stratégie évolutive, leur autonomie
souhaitée par l'ego échouera. Le reliquat d'ego veut récupérer la
sensibilité dans l'art, il veut récupérer l'énergie de la jambe
droite comme faire valoir, et le « lâcher prise intéressé »
veut récupérer la jambe gauche (attention au pragmatisme de
l'abandon, qui s'infiltre dans le zen et la mystique, et produit des
postures fausses, des moments contraints et forcés à ne rien
faire). Tamas veut récupérer à gauche, aussi bien en haut qu'en
bas. Rajas veut récupérer à droite, aussi bien la jambe que le
bras. Voilà: nous sommes des funambules, pas du tout des «
chercheurs spirituels » qui, comme Nasruddin chercheraient leurs
vérités dans la lumière — alors qu'ils savent que c'est
dans l'obscurité, l'ignorance, qu'il faut aller les déterrer.
Chercheur spirituel ? C'est un pléonasme, une posture, un
personnage. Bref, acceptons la fragilité rédemptrice de
l'équilibre. Il faut se méfier du piège du contrôle autant que de
celui du non contrôle. Dans le non contrôle, pour les personnes
très neptuniennes, très yin comme moi, il y a un écueil, — ne
jamais compter sur soi, je ne m'en suis sorti qu'à trente-trois ans
!
Question:
Moi je me suis rendu compte que mon bras droit était maladroit,
parce que je n'avais pas de bras gauche, dois-je insister pour
rétablir l'équilibre ?
N.
: Je mets des mots sur des processus qui sont naturels. Plus ils sont
naturels, mieux ils se portent. Peut-être faut-il donner une
impulsion pour rééquilibrer, et ensuite sentir les amorces
naturelles du côté qui vient d'être réhabilité. Dans le
déroulement de votre vie, vous allez vous y retrouver spontanément,
en vous fiant à votre ressenti. Trop de devoirs et trop de
contraintes, ça stresse, trop s'abandonner, on n'a plus le courage
d'affronter la vie matérielle. Ce sont des lois en quelque sorte.
L'équilibriste débutant ne va pas mettre son fil trop haut, il en
augmentera la hauteur au fur et à mesure.
Question
: On s'attache surtout à la forme alors qu'on pourrait être
complètement ordinaire dans la forme extérieure, et bénéficier d'
états contemplatifs... en lâchant un peu plus le décor, le
protocole, l'idée de bien faire ?
N.
: Mais bien sûr !
Question:
Comment faire la différence entre intuition et pure imagination ?
N.
: L'intuition est reliante, c'est une ramification. Au moment où
cela se fait, le champ de connaissance augmente parce que l'unité
est établie dans un espace plus large. Cela, c'est une véritable
intuition, par exemple se rendre compte que le moi serait soumis aux
mêmes contraintes essentielles, même si l'on était né ailleurs.
La Raison va mettre dix fois plus de temps à admettre cette vérité,
après avoir fait le tour des particularismes pour enfin admettre
l'équivalence des conditionnements. Dans l'intuition, on jouit d'
un bénéfice personnel qui augmente l'adhérence à la Totalité.
Avoir une véritable intuition c'est être à nouveau dans son
centre, dans son cœur, dans la présence, dans le témoin tout en
conservant les yeux ouverts sur le monde et la vie. Les fausses
intuitions sont livrées à domicile par des adversaires intérieurs
pour conforter le vital, c'est très courant, et une dimension
supérieure apparaît en trompe l'oeil. Essayez d'être attentifs à
la qualité de la réponse que donne l'intuition. Dans l'intuition,
il n'y a rien à gagner, c'est une vérité qui ramifie, une réponse
qui entre pour toujours dans le cerveau. Après, elle prend sa place
dans le logiciel de perception. C'est possible de souhaiter
qu'elles se ramifient entre elles. Des visions se produisent qui
donnent directement un sens à ce qui nous échappait, ce qui nous
manquait et dont on avait conscience du manque. L'intuition est de
l'ordre de la vision alors que la pensée active, c'est de l'ordre de
la construction. Enchaîner plusieurs procédures c'est ce que l'on
appelle une analyse. Mais les conclusions ne vaudront jamais un état
d'âme.
Question
: Les techniques respiratoires, est-ce situé à gauche ou à droite
?
N.
: C'est selon le contrôle, plus il y a de contrôle plus c'est à
droite... Si on respire en devenant conscient au fur et à mesure de
ce qui se passe, dans la mesure où l'exercice n'est pas programmé,
c'est à gauche, on peut alors conscientiser le rythme sans le
ralentir ni l'accélérer. Toujours savoir ce qui se passe, est-ce
que je contrôle ou est-ce que je reçois ? Est-ce que j'interviens
ou pas ? Ceux qui sont trop à droite ont de la peine à envisager
les aspects positifs à gauche et vice versa. Mais c'est entre
le haut et le bas qu'il y a le plus de mauvaises surprises. D'accord,
le déséquilibre yin / yang ne peut pas servir l'évolution,
mais ignorer les passerelles entre le haut et le bas, c'est la source
de la plupart des maux. Si l'on n'est pas assez conscient, on ignore
une chose fondamentale: le corps croit tout ce qu'on lui dit.
Je le tiens d'un grand hypnothérapeute qui a travaillé avec des
autorités comme Erikson... J'avais fait une journée avec lui.
Selon lui, le corps croit tout ce qu'on lui dit... pour nous
approuver, pour nous servir.
Le
clin d'oeil du Tao:
La
peur d'être malade ordonne à l'organisme de créer une maladie pour
nous satisfaire.
S
: Selon la Mère, le pouvoir de suggestion est très puissant. Si
l'on dit: « Ah ! Je suis en train de tomber malade », c'est déjà
trop tard.
N.
: C'est très préoccupant, la somatisation. C'est pour cela qu'il
faut faire attention avec les frustrations sexuelles et avec beaucoup
d'autres choses. Il y a une partie de l'étoile qui nous échappe.
D'une manière générale, s'il y a trop d'insatisfaction, — mais
il faut quand même pousser le bouchon très loin, le corps se plaint
en déclenchant une maladie, c'est sa manière de protester. Avec les
années, la fatigue, le surmenage, l'évitement du changement
évolutif, et bien sûr le stress, tous ces facteurs peuvent
créer des maladies. Peut-être découvrirons-nous bientôt que le
syndrome de « fatigue chronique », qui ressemble un peu à
la dépression, et qui est une pathologie récente, trouve son
origine dans une insatisfaction globale. Là, ce n'est pas une
histoire de frustrations sexuelles, mais de frustration
holistique. Des êtres humains qui refoulent totalement le besoin
de transcendance d'un côté, et qui ont perdu le contact avec la
nature de l'autre, tombent un jour sur le corps qui ne veut plus
avancer. Ni les pieds ni la tête ne reçoivent quoi que ce soit.
Leur vie est monotone et dévolue au travail, le bras gauche est
atrophié. Bien sûr, l'expression du « sacrifice divin »
dans la matière n'est pas quelque chose qui peut être compris
intellectuellement. Moi je le ressens profondément depuis le
supramental. Certaines existences semblent sabotées dès le départ,
la souffrance y règne, mais peut-être faut-il justement une douleur
intolérable pour réveiller l'individu, et il est à souhaiter qu'il
parte du bon côté. Trop de souffrance peut aussi bien pousser à
devenir une tête brûlée nocive pour les autres. Bouddha a buté
très longtemps sur ce problème, et moi je ressens la même chose.
On peut être envahi quelquefois par un sentiment d'injustice
tellement profond que l'envie de tout laisser tomber se manifeste
avec une pertinence presque absolue. Les phases de lucidité
« obscure » ne peuvent être rachetées que par des
progrès profonds dans la connaissance, qui elle aussi est très
lucide, mais davantage sur le plan du potentiel que celui de
l'actuel. Les bilans sont désastreux, le contentieux énorme, mais
la sâdhanâ permet d'être certain d'agir pour une véritable
transformation. Aujourd'hui, la connaissance s'amplifie dans de
nombreux domaines, la force de l'Inconscient a été investie de
mille manières différentes depuis 1907, qui avait vu se réunir
pour la première fois Freud et ses comparses les plus réputés à
Vienne. Cette fois, historiquement, l'intelligence plonge dans la
nature correctement, il aura fallu trois ou quatre générations
d'approximations « à la louche », mais nous touchons
enfin au but, voir les processus qui codent par en-dessous les
grandes déceptions, les grandes rebellions. C'est la même chose,
la déception intériorise, elle est yin, la rébellion extériorise,
elle est yang, mais à leur origine c'est la même source, fantasmée
ou légitime, du « ça devrait être autrement ». L'on
peut aussi se trouver décalé de la force de vie parce que d 'autres
nous mettent sur la touche.
C'est
une de mes dernières découvertes et, en-dehors de l'amertume que
cela produit, il devient plus compréhensible que le monde ne tourne
pas rond. J'ai vu plusieurs fois ce que j'appelle des « cloches
astrales » posées sur des individus pour les empêcher de
devenir ce qu'ils sont. Je trouve plus intéressant de travailler
dans cette direction, lever les obstacles karmiques, les mémoires,
les emprises — actuelles ou transgénérationnelles — que
célébrer une fois de plus la divinisation des cellules, qui se fait
toute seule. Pour le moment, la matière vivante est souillée et il
faut commencer à la nettoyer de pied ferme.
A
: On a observé l'apparition de tumeurs à l'endroit où la ceinture
de sécurité blesse et fait des bleus, la peur s'inscrit à cet
endroit-là. Donc, il faut prendre soin des blessures lors d'un
accident car c'est là que se cristallisent en même temps les chocs
émotionnels.
N.
: La nature se préserve et sacrifie un morceau pour l'ensemble.
C'est pareil avec les survivances dynamiques, c'est un morceau du moi
qui apparaît possédé par l'animal et qui se sacrifie pour
l'ensemble. Quelqu'un qui se met en colère, si c'est quelqu'un
d'ordinaire, il a besoin de cette colère, il ne peut pas la rentrer.
On peut dépasser la colère mais pas la rentrer. S'il la contre en
forçant, un jour il somatisera dans le yin avec une maladie, ou
l'extériorisera dans le yang au risque de tuer quelqu'un, après
l'avoir longtemps contrôlé. La sensibilité — ou le vital
qui en constitue la partie instinctive, c'est très, très puissant.
On a des centaines de milliers d'années d'expérience incrémentées
dans notre corps physique. Le corps physique est alimenté par
l'énergie vitale et l'énergie mentale n'a rien à voir avec
l'énergie vitale.
Le
clin d'oeil du tao:
Les
deux énergies se combattent depuis l'aube des temps humains, à nous
d'en faire des duels courtois et nobles, au lieu d'être leurs
victimes incapables de venir à bout de la dualité.
Question:
Si on se rend compte qu'il faut exprimer notre colère, ce serait
aussi pour maintenir en équilibre Rajas et Tamas ?
N.
: Oui, il n'y a pas de rupture dans la réalité. On croit que l'on
passe du vital au mental, ce n'est pas tout à fait vrai. Il y a des
intermédiaires, le vital cherche à monter dans le mental (dans la
culture du désir, la colère) et le mental peut descendre en dessous
aussi. Quand il descend, nos peurs, nos angoisses, sont d'ordre
mental parce que nous sommes des individus. Si nous étions des
animaux, la peur ne se produirait qu'au moment où il y a du danger,
bien qu'une certaine méfiance soit plus présente parfois, par
exemple quand des petits naissent, quand la vigilance se renforce
selon des cycles naturels. Mais notre espèce conceptualise les
instincts pour le meilleur et pour le pire, autant pour les
idôlatrer que pour les diaboliser. C'est cela le plus étonnant, que
toutes les positions les plus contradictoires puissent se prendre
vis-à-vis de la nature. De la haine pure et dure à la vénération
la plus bestiale, comme dans de nombreuses sectes gnostiques avec
lesquelles l'Eglise naissante n'a pas plaisanté. En chacun, tout ce
que le mental imagine de négatif s'enfonce dans le subconscient,
— ça devient autonome et indépendant, et une baisse de
vitalité suffit à produire une maladie. Le docteur Hamer aussi a
découvert que le cancer pouvait se déclarer longtemps après un
choc. Le problème de l'incarnation, c'est cette interpénétration
physique-vital-mental et l'homogénéité apparente de cette
triplicité qui est le mystère divin.
En
nous, tout est rassemblé à chaque instant. À chaque seconde, le
moi peut penser à son corps, à son énergie et à son propre
individu — l'être. Donc c'est homogène dans l'instant, — ce
qui est déjà extraordinaire. Est-ce que cette homogénéité —
soumise à l'événement — peut rester là sans évoluer ni
régresser ? Non, elle est très réactive. La vie est trop puissante
pour que l'on reste toujours dans l'homogénéité des trois plans
— nous recevons l'hétérogénéité de plein fouet,
et dès qu'on en souffre, les trois plans commencent à bouger, et il
faudra reconstituer l'unité. C'est un travail d'alchimiste. Les
chocs déplacent les corps subtils, certains thérapeutes le savent
bien. Ceux qui ont une carapace n'ont pas de problèmes avec cette
loi, parce qu'elle empêche l'intrusion de l'hétérogène. Si
l'étoile fonctionne en circuit fermé, il n'y a plus de
développement possible, c'est le système qui finit par ne vivre que
pour lui-même jusqu'à ce qu'il se grippe complètement. Et en
général, au bout, c'est la dépression, la folie douce, la solitude
absolue qui oblige quand même à parler tout haut, parce que la
nature n'est pas contente que le système ait été entièrement
fermé.
Le
clin d'oeil du Tao:
Le
malléable improvise, et tient compte de la richesse du présent,
il
consolide sans forcer.
Un
stratagème d'accord, une technique d'accord, mais qu'est-ce que l'on
est en droit d'en attendre ? Qu'est-ce que je peux vraiment attendre
de cela ? Parce qu'il y a un envoûtement du signifiant. Quand on
fait du yoga, du kung-fu, du Ki-cong, il est tentant ou facile de se
laisser envoûter — sans s'en rendre vraiment compte — dans
la représentation de la chose. Ainsi se crée le personnage qui se
donne l'illusion de progresser à travers cette activité, par le
fait même de pratiquer, indépendamment de son « habileté ».
Il faut savoir ce que l'on attend de cette activité. Tous les mots
que nous avons pour nous projeter dans l'avenir nous fascinent, mais
on ne sait pas vraiment ce qu'il y a derrière. Donc, en ce qui
concerne le signifiant et le signifié, c'est fondamental de
mesurer l'écart entre les deux. Le yoga oui, si cela permet de
découvrir le témoin et de transformer en même temps la
sensibilité. C'est vrai pour tous les autres stratagèmes actifs.
Contemplation, méditation, qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce
qu'il y a dans ces mots-là ? Ces mots-là sont juste des hameçons
pour se lancer dans ces expériences: c'est tout. Il n'y a pas de
contenu dans des signes aussi puissants que ça. En faire
l'expérience ou pas. Est-ce que je fais l'expérience du signifié
ou non ? L'utilisation des stratagèmes demeure une
improvisation.
|
Le
vital est extrêmement puissant dans l'animal et le mental est arrivé
à la dernière minute, si on prend l'évolution sur une heure...
Chacun est un laboratoire de la conscience dans l'univers. Que
faut-il prendre de la vie ? Que rejeter ? Dans la voie supramentale,
c'est un élargissement qui est demandé, un élargissement qui
intègre la vie.
|
Question:
Est-ce qu'à certaines périodes, il peut y avoir aussi des retraits
?
N
: Bien sûr, puisque l'on va toujours de droite à gauche. Cette
pauvre humanité n'est pas très intelligente, et elle se fie à des
lignes droites, de peur de « perdre du temps ». L'espèce
manque de confiance holistique. Quand on commence à faire confiance
à une recherche, c'est au détriment d'autre chose — ou
alors au contraire, on finit dans le n'importe quoi parce qu'on
aime toucher à tout sans rien approfondir. Mais le moyen de tout
aimer en évitant le chaos nous appelle, à condition
d'équilibrer le yin et le yang, ce qui vient du Dao et ce qui
provient de soi-même, par l'orientation de l'aspiration. Le
Supramental confirme cela parce qu'il y a de la vérité partout. L'
emboîtement des vérités entre elles, c'est le chemin, adorer ni
l'action rassurante, ni l'oisiveté hypnotique, mais savoir que
rajas est à l'affût de nous voler nos mouvements purs, et
que tamas est à l'affût de pervertir le non agir.
Trop se caler dans une voie particulière empêche d'emboîter
certaines vérités, il y a des côtés qu'on ne voit pas et qui
auraient été des maillons très intéressants, mais on prend
l'habitude de « miser toujours sur la même chose », ce
qui prouve qu'il y a encore des attentes subtiles qui se cachent, et
embellissent les procédures d'investigation. C'est pour cela que
peu d'êtres humains parviennent au Soi impersonnel: ils le
conçoivent de façon subjective et s'attachent à l'idée de
l'obtenir, alors qu'il est partout, et aussi glissant que le vent.
D'autre part, vouloir s'approprier la seule chose qui ne nous
appartiendra jamais, le Brahman, constitue un processus qui
manque de pertinence. J'insiste là-dessus, pas question de cibler
quoi que ce soit, les intuitions se présentent, c'est du yin très
léger, et les intentions, du yang très pur, nous fournissent des
approches.
|
C'est
déjà une aide précieuse de savoir que la jambe droite déborde de
rajas et la gauche de tamas, et qu'ils se regardent comme des chiens
de faïence. Si l'on refuse l'improvisation, c'est que l'on s'en
tient à s'acharner à instrumentaliser le temps, quitte à manquer
la sarabande des guna sous notre pensée. Oui à la discipline, mais
sans rétrécir la réceptivité.
|
C'est
nécessaire de comprendre l'élasticité des branches. Le mental
possède une élasticité absolument phénoménale, tout ce qui peut
se penser rationnellement, se ressentir intuitivement, tout ce qui
peut être imaginé par la volonté, cela fait trois univers qui
peuvent devenir un. La manière d'utiliser le vital est phénoménale
aussi. On en revient toujours à cette considération, pourquoi
quelque chose est-il suffisamment hétérogène pour
enclencher une réaction de violence, de défense, de déni... de
recul, étant donné que ma perception est élastique, et qu'elle
peut absorber toutes sortes de choses ? Qu'est-ce qui se passe quand
je ressens comme hétérogène une parole, une situation, un
événement, une proposition, une chose à faire ? Qu'est-ce que
l'hostile, une impression ou une attaque objective ? Que veut dire la
réaction psychologique ? Est-elle autonome ou relaie-t-elle un
réflexe ? En fait, nous ne sommes pas obligés de nous opposer pour
conserver notre intégrité mais dans le modèle simplement humain de
la nature, le système vital et animique croit que l'intégrité ne
peut être préservée que par la confrontation. Pas du tout, on peut
très bien préserver son intégrité sans s'opposer. Et ce n'est pas
un art facile parce qu'il y a beaucoup de choses qui nous atteignent.
Par exemple, quand l'autre ne saisit pas notre intention, cela peut
remuer beaucoup de choses et c'est très difficile de fournir des
réponses adéquates quand le sentiment d'intégrité personnelle est
mis à mal par une intervention. Quand on n'est pas d'accord avec
quelqu'un, on lui permet tout de suite de comprendre qu'une critique
n'est pas un reproche. Un reproche touche l'identité permanente,
la personne se sent attaquée, tandis que la critique ne concerne
qu'un comportement à un moment donné, une séquence. La
défense instinctive du territoire, lorsqu'on perd le
contrôle, est ancrée très profondément.
8 ESQUISSE D'UN MODE D'EMPLOI
|
Si
nous trouvons difficile de réaliser comment l'intelligence et la
volonté peuvent être des propriétés de l'Inconscient mécanique
et elles-mêmes mécaniques (djada), nous n'avons qu'à nous rappeler
que la science moderne a été amenée à une conclusion similaire.
|
Sri Aurobindo, Essai sur la
Guîtâ.
En
ce qui concerne les adversaires intérieurs qui proviennent du passé,
ce sont de vrais matériaux, tandis que les adversaires intérieurs
qui proviennent du futur, ce sont des adversaires imaginaires étant
donné que le futur n'a pas encore été vécu. Nous avons affaire à
une foule d'obstacles qui viennent du passé, et pour ceux qui
viennent de cette vie-ci, une grande trilogie s'impose: nostalgie,
regret, remords. On peut y ajouter les subpersonnalités karmiques.
L'ensemble de ces phénomènes perturbe à tour de rôle la saisie
immédiate du présent, c'est-à-dire qu'ils obscurcissent la qualité
de diamant du présent pur. On ne peut pas percevoir la nourriture
spirituelle du présent quand il y a trop de regrets, de remords et
de nostalgie. Avec les adversaires du passé, on voit qu'il y a un
acharnement de l'identité pour s'identifier à ce qui fut et qui
n'est plus. Cet acharnement vient du mauvais mélange de purusha
et de prakriti, la prakriti enrobant le moi qui célèbre le
regret, le remords et la nostalgie.
La
nature n'aime pas perdre, et il est envisageable que le souvenir
douloureux rappelle avec une insistance têtue une période perdue
comme un critérium, afin que l'individu se remobilise à
partir de cet aiguillon pour retrouver un bien-être équivalent.
C'est là qu'on voit l'emprise de l'animal sur l'identité qui
cherche son ascension: le passé laisse des traces qui nous gênent,
et sans une extrême vigilance, l'homme ordinaire s'imagine pouvoir
retrouver un bonheur perdu avec les mêmes moyens, alors qu'un
lâcher prise offre de nouvelles possibilités dans le présent,
qui abrègent la douleur éprouvée à regretter une période
achevée. C'est toujours en allant vers l'accueil inconditionnel du
présent et la confiance que l'on peut lâcher plus facilement
regret, remords et nostalgie. Un remords qui s'installe pourrit, et
déclenche un processus de culpabilité qui va être à l'affût des
moindres occasions de rappeler le traumatisme. Se libérer des
engrammes du passé — c'est extraordinaire et absolument
nécessaire. Ce n'est pas une petite affaire de dégager l'identité
supérieure de tous les accidents qui peuvent se produire dans la
collusion animal - identité.
Ce
que je veux surtout dire, c'est qu'il y a une part du passé qui
est stockée et qui a le pouvoir d'obscurcir le présent. On ne peut
pas l'écarter, elle revient toute seule, par contre nous pouvons
aspirer à la nettoyer et pour cela on peut prier, méditer, il y a
des choses pour nettoyer cela. La nostalgie est aussi un phénomène
pervers, puisque c'est s'interdire dans le présent d'être aussi
heureux que dans le passé, là c'est grave. La nostalgie pose le
problème que Bouddha a résolu, celui de l'attachement et de
l'identification. C'est-à-dire qu'une fois qu'une chose devient
inaccessible « dans l'immédiateté », l'identification
doit disparaître dans le mental, il ne doit rester que l'amour,
mais l'ego n'est pas d'accord, — il remue le couteau dans la plaie.
Si l'on est capable de consentir totalement à une rupture
sentimentale qu'on ne souhaitait pas, au lieu d'être détruit
pendant six ans, on va être détruit trois mois, on va s'en tirer,
tout simplement parce qu'on saura ramener le mental qui s'évade dans
le souvenir et la frustration à ce qui se passe dans le moment.
|
La
mémoire nous joue des tours et peut nous torturer, mais quand nous
savons vivre avec la souveraineté du présent, les souvenirs
traumatiques nous assaillent autant que chez n'importe qui, mais
petit à petit ils trouvent de moins en moins de choses auxquelles
s'accrocher. Les émotions qui font un retour en arrière sont
acceptées quand elles se présentent, les larmes, le chagrin peuvent
libérer le corps, et il s'agit d'empêcher le mental de récupérer
la situation avec le sentiment de l'humiliation, ou la résurrection
de la victime.
|
Cette
collusion être/animal permet de nous identifier avec une puissance
extraordinaire à l'objet, et quand l'objet est gratifiant, l'objet
amoureux fait partie de nous-mêmes. Nous sommes soumis à un pouvoir
d'identification extrêmement puissant, ce qui fait qu'il y a des
hommes qui tuent les femmes qu'ils aiment, (l'inverse est plus rare),
tellement l'appropriation de l'autre va loin, soi-disant par amour.
C'est la fameuse « introjection ». Comment filmons-nous
la réalité pour en faire une partie de nous-mêmes, c'est une
question essentielle, qui regroupe neurobiologie, psychologie,
phillosophie. Pourquoi, dans une certaine perspective, devenons-nous
ce que nous percevons ? Ce mystère est insondable, mais nous pouvons
déconstruire ce que nous avons construit, brûler des films qui ne
servent plus à rien s'ils nous embourbent dans un présent qu'ils
nous dérobent. Donc, nous ne possédons plus notre passé, ce n'est
pas notre intérêt de posséder le révolu. Les structures du passé
sur lesquelles nous pouvons encore nous appuyer sont extrêmement
profondes, elles sont légitimes et peuvent fonctionner toute seules
et c'est très bien comme cela, comme par exemple le souvenir de
l'amour reçu et partagé, avec les parents, un conjoint, mais il est
pernicieux de cultiver ces strates: ne reste naturellement que ce
qui est conforme à la Vie, et ce reliquat est indépendant de notre
volonté de le conserver. Il n'y a pas grand-chose à maintenir
volontairement du passé parce que la vraie structure
d'identité est quasiment indestructible, mais elle est si profonde
qu'elle est cachée par la Prakriti. J'oserais ajouter que
dans la nostalgie, une forme d'orgueil primaire se déploie: de
quel droit l'univers se permet-il de m'enlever quelque chose dont la
perte me lèse ? Laissez passer
les émotions négatives, et ne vous accrochez pas, c'est suffisant.
Comme
Sri Aurobindo, j'en reviens systématiquement à la souveraineté de
l'absolu, du Divin. Plus cette souveraineté est consentie, plus on
est humble par voie de conséquence, et c'est là que j'affirme que
la nature finit par se laisser apprivoiser par la Conscience,
avec ses modes opératoires les plus efficaces, la volonté,
l'aspiration, l'endurance, le courage, la détermination, l'humilité
qui recule les frontières de l'hétérogène. La réflexion, la
lecture, la musique, l'étude, le sport, le loisir intelligent, le
lâcher prise au plein air, et finalement tous les stratagèmes sont
des moments chargés de faciliter l'ascension en nous libérant de la
puissance inconsciente du désir.
Je
ne veux pas que vous imaginiez que les stratagèmes sont des objets.
Ce sont seulement des moments structurés pour ceux que j'attribue au
bras droit, et des moments déstructurants pour les stratagèmes
passifs. Ce que vous gagnez dans le vide à gauche, par l'abandon,
l'imprévu, ces moments de reliance qui s'opérent quand le mental
est absolument délivré de tout processus d'appropriation,
renforcera le plein, élèvera vos capacités à œuvrer dans un but
défini en vous améliorant du côté droit. On peut devenir un
artiste de l'ascèse ou de l'accomplissement spirituel, il n'y a
aucune limite, tandis que dans la peinture, la musique, cela reste
des œuvres humaines, il y a une manifestation de soi qui reste plus
ou moins agrégée à des besoins du vital. Dans l'accomplissement
spirituel pur, la passion est vraiment vécue d'une manière
ascensionnelle, ce qui ne fait que révéler toutes les limites de
l'animal. C'est très difficile pour l'homme, la jonction
désir / besoin. Il y a peut-être dans la prakriti, et c'est
l'avis de Bouddha, une avidité incoercible. La Prakriti fabrique de
la mémoire sans arrêt. Elle conserve des engrammations
subconscientes, inconscientes de souffrance, avec le remords, le
regret, la nostalgie, les traumatismes émotionnels, jusqu'aux
mémoires karmiques. Libérer les mémoires, c'est un point crucial
dans l'évolution et c'est merveilleux que la psychologie actuelle
parvienne à parler de cela et à trouver des moyens. Il faut
absolument extirper le passé de souffrance. Le ressentiment étant
ce qu'il y a de pire. Il y a beaucoup d'autres choses, mais le
ressentiment est un poison mortel, qui asphyxie le cerveau. En fait,
le ressentiment est le contraire de l'amour, dans l'amour il y a une
appropriation gratifiante de l'autre qui finit par vivre à
l'intérieur de soi. Tandis que le ressentiment c'est l'appropriation
de l'autre par le négatif, l'autre en tant qu'ombre, en tant
qu'ennemi. Le ressentiment se développe parce que l'être n'est pas
assez développé pour se rendre compte que rien ne peut l'humilier,
rien ne peut l'offenser, rien ne peut le blesser. C'est la Prakriti
qui crée le ressentiment: « quoi, on m'a fait ça à moi, à
moi qui suis vivant ! ». Oui, tu es peut-être vivant, mais
tu n'es pas conscient. Quand on respecte la conscience, on ne peut
pas éprouver de ressentiment, puisque même celui qui cherche à te
détruire, c'est toi. C'est ce qui est arrivé à Hallaj, à
Jésus. Il faut vraiment s'élargir pour admettre que cela fait
partie de la liberté de l'autre que d'essayer de nous nuire et de
nous empêcher. Si je commence à cultiver du ressentiment pour tel
ou tel, et que je me plains de ne pas avoir été assez reconnu
par Machin, je ne m'en sortirai jamais. Le mystère demeure la
liberté de chacun et comment nous parvenons tous à exprimer notre
liberté sans pour autant nous détruire réciproquement. La Prakriti
traite tous les déficits du monde contingent: je te hais !
—
Oui mais hier tu me
disais que j'étais ton seul amour !
—
Mais aujourd'hui je
te hais !
A
un moment donné, l'être est dégoûté par l'humain possédé par
la mémoire évolutive et ses vengeances toutes prêtes, ses
renversements binaires. Des processus du passé qui pervertissent le
présent, il y en a effectivement de nombreux. On se tourne alors
vers l'avenir, qui est vierge et investi de miracles, parce qu'avec
lui, on est sûr de ne pas avoir la vision obscurcie, comme dans le
présent au service du passé et contaminé par lui. L'attraction de
l'avenir vient toujours du même principe. Si l'animal est bien
installé dans le présent et l'immédiateté, se nourrir, dormir
etc, le mental est toujours en train de trafiquer le temps qui
s'avance pour en profiter au maximum. C'est la surenchère
permanente. L'espèce humaine subit des attractions de l'avenir qui
sont de pures fascinations. Elle est incapable de comprendre que le
futur qu'elle imagine n'est pas le futur qui se manifestera. Il n'y a
que les Chinois qui sentent que le vrai futur prévaudra sur tous les
plans, les combines, les projets, et ils sont quand même prévoyants.
Le vrai futur ne peut pas obéir à cela. Nous ne sommes pas sur
Terre pour que l'ici et maintenant nous apparaisse comme une menace.
Il n'y a qu'à voir les enfants, ils jouent... Ils sont contents...
Normalement il y a un Ananda dans la Prakriti, on peut
le dépasser, mais la jouissance existentielle existe. Pour nous ce
n'est pas suffisant, mais l'immense majorité des hommes s'en
contente, et il vaut mieux la conserver et s'appuyer dessus pendant
l'ascension que la faire disparaître, contrairement à ce que
préconisent bien des écoles spiritualistes, qui veulent nous faire
éprouver de la honte à posséder des corps, et qui enseignent la
peur bleue du désir.
Si
la perpétuation du présent est sombre, il faut aller chercher
pourquoi il semble ne pas assez donner. L'image de soi peut être en
cause, — je ne vais pas être à la hauteur de mon avenir.
C'est stupide, il suffit dêtre à la hauteur du présent ! Quelques
peurs ancestrales auront dû disparaître, comme décevoir les
autres, se tromper de chemin, ainsi que les clichés sur la réussite,
la richesse, le succès, le bonheur. Le présent pur, c'est le seul
lieu où tout est rassemblé C'est ce que j'explique dans les vidéos sur supramental.fr . mais, étant donné que le mental le surplombe un peu, il n'y est pas
accroché, et il préfère donc l'avenir qui ne lui oppose jamais
aucun démenti.
Si
ce qui se passe veut vous contrarier et même vous détruire, c'est
là et vous pouvez répliquer. Mais l'avenir ne vous contredira
jamais, il ne peut pas sonner à votre porte.
Vous
poursuivez un fantôme d'or qui aura toujours une longueur d'avance.
Quant
au présent absolu, il n'y a que l'illumination du Soi qui le donne
et même si l'on n'en est pas loin, il y a des petites scories, des
appropriations subjectives. Le Soi impersonnel finit par se
manifester à qui vit pour l'essentiel. C'est une homologation
cosmique, le Moi s'échappe en partie des lois gravitationnelles.
Vous pourrez percevoir correctement le présent avant, dans des
moments particuliers, des moments de grâce, de confiance, des
moments de yin pur, de yang pur, ou bien quand les deux principes
sont parfaitement équilibrés, c'est l'esprit de nature du
tch'an et du zen. Ou l'état de « bois brut » de Lao-tseu
: ni mouvement de capture dans le yang, ni attente dans le yin... On
peut être dans le vrai présent sans être capable de conserver
le fil en permanence, mais je vous promets que le développement
judicieux de la pensée passive y ramène et permet de le conserver
sur des périodes plus longues.
Question:
Et le désir d'unité spirituelle ? L'intensité de ce désir est
pure, comment voir où cela déborde en convoitise...
N.
: En Inde, la convoitise spirituelle est presque une donnée
génétique, et j'ai vu en ce qui te concerne que ton âme avait pris
l'habitude de vivre là-bas, aussi redoutes-tu peut-être cette
vie-ci de faire du zèle dans ton yoga, avec des fioritures
d'égocentrisme narcissique. Le mélange de Purusha et Prakriti est
particulier en Inde, ils s'aiment, ils vivent d'une grande passion
qui les dépasse, ils s'aiment et se haïssent, ils ont des ruptures,
après ils reviennent l'un vers l'autre, et ça recommence. C'est un
étrange pays qui nous demeure incompréhensible, et si l'on dit une
vérité quelconque, on en a honte, parce qu'elle cache toutes les
autres. Le résultat c'est un manque de simplicité à se flinguer —
absolument partout, ce qui fait que la plupart des vocations
spirituelles ne sont que des postures entretenues par la tradition et
la peur du regard de l'autre. Pour sortir de ce système, il n'y a
qu'une solution, aimer la vérité pour elle-même, et non pas parce
que c'est un must de faire semblant de s'en préoccuper, en
passant beaucoup de temps en préoccupations liturgiques. Sentir la
nécessité de la Vérité peut prendre plusieurs existences jusqu'à
ce qu'elle devienne un besoin comme boire et manger. On ne peut pas
confondre l'amour de la conscience, l'amour de la vérité avec une
passion personnelle pour le mystère des choses, ou alors c'est qu'il
manque des aspects essentiels, la profondeur, l'humilité,
l'intuition des principes auxquels il est absolument nécessaire de
se conformer. Beaucoup de gourous savent exploiter l'amalgame de la
convoitise et du besoin balbutiant et fragile de s'élever et de
comprendre le Tout. Ils vendent l'illumination. On produit même
aujourd'hui des certificats de libéré vivant, en Australie je
crois. Pour certains, l'ouverture à l'avenir est un problème
délicat parce qu'ils sont énormément dans le passé, davantage que
dans le présent, et imaginer ne les intéresse pas. Ils sont pris
dans la perpétuation. D'autres au contraire sont complètement
ouverts et toujours décalés vers l'avant. Intégrer le corps
demande un travail, et tant qu'il n'est pas fait, le Divin dans la
nature nous soumet irrémédiablement et régulièrement à des
émotions intempestives. C'est possible qu'il y ait un décalage de
cet ordre, parce que l'on vit dans un univers quantique. Je suis
persuadé que tout le monde vit dans deux présents légèrement
décalés. Le présent mental est légèrement en avant par rapport à
l'organique, c'est ce qui fonde la dualité corps/esprit qui vole en
éclats quand le Soi se manifeste. A ce moment-là, les deux présents
légèrement décalés se rejoignent. Il suffit qu'il y ait 1/10 de
seconde d'écart et nous ne sommes plus un. Rassembler vraiment au
même lieu le présent de l'identité et le présent de la
personnalité, c'est un gros travail.
Question
: c'est le silence mental absolu.
N.
: Oui, c'est ce dont j'ai souffert jusqu'à l'illumination. J'étais
trois pas devant mon corps.
Question:
Qu'est-ce que tu appelles les subpersonnalités karmiques ? c'est
quand les nostalgies sont tellement puissantes qu'elles créent une
sorte d'obsession ?
N.
: Oui, cela peut être lié à la nostalgie, mais il y a bien
d'autres formes. En consultation, j'ai des révélations karmiques,
comme pour cette personne qui au bout de sa dernière existence
passée ne voulait pas se réincarner parce qu'elle a eu une vie de
bouddhiste ou hindouïste pure et dure. Quand l'âme fait un vœu que
l'univers n'approuve pas, lorsqu'elle revient, elle porte cela, la
trace du voeu qui n'a pas été exaucé. Cette personne par exemple
était très évoluée spirituellement mais elle n'acceptait pas son
corps, sans doute parce qu'au moment de sa mort, elle ne voulait pas
se réincarner. Mais est karmique aussi une personnalité totalement
typée. Une âme qui a pris l'habitude pendant deux, six, dix vies
de ne respecter aucune autorité, quel que soit son thème natal pour
cette vie présente, dès qu'il y aura une autorité en face elle
va péter les plombs, et vivra
donc avec un Divin totalement fantasmé, une sorte de majordome à sa
disposition, jusqu'à s'égarer de la Voie tout en croyant occuper le
sommet. C'est ce genre de choses, les subpersonnalités
karmiques. Ce sont des habitudes qui ont été enracinées d'une
manière tellement profonde, qu'autour de l'être psychique il est
resté une empreinte qui perturbe la vie présente. Parfois cela va
plus loin, ce sont des gens responsables d'actes politiques très
graves, comme ceux qui ont signé l'inquisition par exemple. Cela je
l'ai vécu avec une personne, je suis rentré dans son karma.
Elle avait un thème étrange, avec trois planètes lourdes dans la
maison du destin. À un moment, nous sommes rentrés tous les deux
dans le passé, elle signait un décret d'inquisition et moi
j'étais pris dedans, j'allais être arrêté à cause d'elle... (
quelle belle expérience!) mais dans cette vie-ci elle est très
spiritualisée. Elle a fait une erreur dans sa vie passée. Comme la
plupart de nos mauvaises actions nous les avons commises non
intentionnellement, ou en subissant des pressions, il n'y a qu'une
petite pénalité. Les grosses pénalités sont pour ceux qui sont
allés vraiment contre l'œuvre divine, consciemment. J'en ai connu
un aussi, qui s'est converti cette existence-ci. Ayant exploré le
mal, plus rien ne le retient pour revenir dare dare vers le Divin, il
avait eu son compte de « liberté », mais si je n'avais
pas été guidé par le Divin, en voyant son karma et juste en
entrant en contact avec lui, j'aurais vraiement eu envie de le
supprimer une seconde, il avait une maladie très grave, très
handicapante, et il a bien compris qu'elle ne débarquait pas de
nulle part, ce qui ne veut pas dire que ce principe s'applique à
tous naturellement. Quand nos âmes font des erreurs de parcours, il
reste la trace de la perturbation que nous avons produite, et cette
trace nous revient dessus, mais elle est assez facile à dissoudre.
La subpersonnalité karmique, c'est une mémoire karmique qui donne
du fil à retordre, qui possède une autonomie, mais c'est rare...
C
: Peut-on faire la différence entre ce qui provient des vies passées
et ce qu'est le résultat des agissements de cette vie-ci ?
N
: Ce que je vois pour le moment, ce sont des sillons énergétiques.
Si je peux les couper, je les supprime. Ce que j'ai vu de plus
remarquable jusqu'à présent, ce sont des personnes prises sous une
cloche astrale d'influences négatives qui les empêchait d'être
ce qu'elles étaient. Je l'ai vu trois fois, et moi aussi je portais
cela. Un homme d'une trentaine d'années qui avait dû être prêtre
je ne sais combien de fois, qui était encore sous la coupe de sa
mère, il y avait sa mère sur lui. Ensuite sur d'autres personnes,
j'ai vu un grand sens interdit: tu ne seras jamais ce que tu veux
être je t'en empêche. Mais elles finissent par me rencontrer à
cinquante ans, et les voilà qui renaissent, elles savaient qu'elles
devaient venir me voir, et elles ont pris un nouveau départ. Mon
père et ma sœur étaient d'une jalousie féroce envers moi et une
fois je me suis retrouvé travaillé par la Shakti supramentale, je
ne savais pas ce que c'était, à un moment j'ai pensé à mon père
alors que je m'étais dit que j'aimais mon père. La pression de
l'énergie (mon corps était écrasé et le souvenir de mon père
s'imposait) m'a forcé à dire la parole « pauvre con ! » tout en
pleurant un peu. J'avais honte de le penser, et en même temps ça
résumait tout le mal qu'il m'a prodigué, les tours pendables qu'il
m'a joué jusqu'à mes vingt ans, et cet aveu a accompagné le
travail du supramental, très intense, plusieurs heures. Il a fallu
que ça sorte. Sur la fin de sa vie, j'aimais beaucoup mon père,
mais il m'a nui par jalousie. Il avait mis sur moi une cloche pour
que j'étouffe à moins que je ne devienne sa copie conforme. Par
ailleurs, il me prenait pour « un minable », incapable de
réussir et de fonder une famille.
La
Prakriti nous empêche d'avancer parce que son problème,
c'est la survie animale, l'action des sens, la sécurité. J'avais
refoulé tout sentiment négatif vis-à-vis de mon père, mais cette
chère prakrit avait stocké la mémoire dans un réservoir.
Pour les mémoires karmiques, les prises de conscience suffisent à
enrayer les répétitions. Bien sûr, il faut être convaincu qu'il y
a une évolution. En ce moment nous sommes simplement confrontés à
la possibilité d'une évolution individuelle qui, parce qu'elle est
rapide, va remuer tout le passé qui ne veut pas avancer aussi bien
chez soi que chez les autres.
9 VISION DE L'EQUILIBRE DIVIN
|
Pour
être capable de recevoir le Pouvoir divin et de le laisser agir à
travers vous sur la vie extérieure, trois conditions sont
nécessaires:
1. Le calme,
l'égalité: ne pas vous laisser troubler, quoiqu'il arrive, garder
un mental immobile et ferme qui observe le jeu des forces, mais
reste lui-même tranquille.
2. Une foi absolue:
la foi que c'est le meilleur qui arrivera, mais aussi que si vous
pouvez devenir un vrai instrument, le fruit sera celui que votre
volonté, guidée par la Lumière divine, voit comme la chose qui
doit être, kartavyam karma.
3. La réceptivité:
la capacité de recevoir la Force divine et de sentir sa présence
et la présence de la Mère en elle, et de la laisser faire son
œuvre en guidant votre vision, votre volonté et votre action. Si
ce pouvoir et cette présence peuvent être perçus et que cette
plasticité devienne l'habitude de la conscience en action — mais
une plasticité à la seule Force divine, sans admettre aucun
élément étranger — le résultat est sûr.
|
Sri Aurobindo
1 L'INTEGRITÉ, CLEF DE VOÛTE ENTRE LA CONNAISSANCE ET L'AMOUR
Si
nous éprouvons une passion pour ces trois développements, l'
évolution accélère. Ces trois expansions peuvent s'épauler.
Si nous ne sentons pas la nécessité des trois, davantage de risques
se présentent parce que les trois s'épaulent et rendent
l'évolution plus rapide. Ce n'est pas la peine de souhaiter se
faufiler dans la Voie en ne pratiquant qu'un seul de ses itinéraires,
et s'il y en a deux seulement, tôt au tard, il sera nécessaire
d'adjoindre l'implication dans la troisième. L'appel de la
connaissance est un instructeur qui va transformer l'utilisation de
la raison et favoriser l'intuition. L'appel de l'amour est bien sûr
une composante fondamentale parce que l'amour est un mystère,
on ne peut pas le qualifier. Ce n'est plus un sentiment. Il n'y a pas
de mot qui puisse définir cette réalité-là, mais on peut
l'approcher quand même. C'est une sorte de besoin imprescriptible de
participer à tout indistinctement avec en même temps la
reconnaissance de la légitimité de notre être et celle de tous les
êtres. Donc, c'est un pouvoir extrêmement puissant, mais ces deux
pouvoirs ensemble sont insuffisants parce qu'ils portent tellement en
avant que l'on peut être dépassé par ces deux appels.
Un
troisième principe va permettre de faire le point en permanence,
c'est l'intégrité. Pour s'approcher du supramental, il me semble
nécessaire d'établir que les trois expansions doivent collaborer.
Pourvu qu'il y ait les trois, peu importe la forme, parce que nous
sommes tous différents. Si l'amour et la connaissance sont très
développés il n'y aura pas de problème d'intégrité, elle sera
naturelle et rarement prise en défaut. D'autres personnes ont besoin
d'un très fort sentiment d'intégrité personnelle et, à partir de
là seulement, elles vont développer l'amour et la connaissance. Le
problème, c'est que si l'intégrité manque, les progrès cessent.
C'est cela l'échec de l'humanité: on aime la connaissance, on va
vers l'amour mais il n'y a pas l'intégrité suffisante pour ne pas
les corrompre. Et c'est toujours la dissolution de ce qui est acquis
qui l'emporte, — sauf chez les éveillés qui sont en quelque
sorte sortis de la vie par la grande porte, et qui laissent
faire le samsâra. Il faut des garde-fous, des barrières. il
faut savoir dire non si nous restons actifs dans la vie, mais
le non est le problème du yin, tout en menant une ascèse profonde,
dévolue au Divin. Autrement dit, c'est maintenant que nous
découvrons d'autres aspects fondamentaux du double tao, et plus nous
avançons, mieux nous savons — théoriquement — passer de l'un à
l'autre de manière opportune.
Quand
on ne sait pas dire non, des confusions se produisent dans l'amour,
faire des choses qui ne nous concernent pas par identification, ou
développer du mouvement fusionnel qui finit par nous soumettre à
l'autre. Quand on ne sait pas dire non, des confusions corrompent le
discernement, et l'on effectue certains trajets pour ne pas déplaire,
par peur, ou par fuite dans la facilité. Il faut donc renforcer le
côté droit. L'intégrité est très importante, elle renverse le
yin en yang quand c'est nécessaire. En ce moment, c'est un
processus qui se perd dans la société, c'est même un obstacle.
« Intégrité » dit honnêteté, droiture, authenticité,
refus de se laisser corrompre... Il y a un risque dans la
connaissance seule, c'est que cette disposition n'épouse pas
entièrement le champ du réel. On ne sait jamais jusqu'à quel point
la connaissance est vraiment reliée à l'être vivant, à notre
pratique. Elle donne le pouvoir de s'étaler dans le
non-moi tout en étant au fait de tous ses principes, l'assimilation
se fait dans les bras de l'étoile et commence par la droite, mais la
digestion complète s'effectue à gauche, ce qui permet
l'intégration. Jusqu'à quel point ma connaissance est-elle moi-même
? C'est la question que devraient se poser les philosophes, dont
l'immense majorité s'en tient au mental, sans creuser vers le socle,
la souche, le singe en-dessous du penser. Ils laissent les jambes de
l'étoile relativement autonomes car l'interdépendance des bras n'a
pas été poussée assez loin.
L'amour
comme voie unique est un danger s'il n'y a pas de purification
émotionnelle. On cautionne le fait d'être absorbé, et de vivre
dans la reconnaissance. Le cœur fonctionne, mais si l'oeil intérieur
manque de recul, le discernement est souvent pris en défaut,
phagocyté par des attentes ou des élans. Seule la distance prévient
et empêche certaines identifications superficielles ou délétères.
Donc... l'amour seul, c'est insuffisant pour se diriger vers la
nouvelle conscience terrestreMais son appel est nécessaire, ce qui distingue la vision supramentale de celle du Soi impersonnel, qui n'en mentionne pas la nécessité..
La connaissance et l'amour peuvent s'épauler parce que le
discernement (levier de la connaissance) donne la satisfaction de
pouvoir étendre le champ de sa perception. Et quand le champ de la
perception s'étend, l'amour devient nécessaire pour joindre tous
les aspects de la Manifestation, dont certains semblent contraires
alors qu'ils ne sont qu'opposés. L'Un s'aborde autant par l'Amour
que par la connaissance, et le supramental n'a même plus
besoin de les distinguer, il est en amont et les contient
indistinctement. L'amour et la connaissance vont très bien ensemble,
mais la plupart des maîtres du passé ne représentaient que l'un ou
l'autre. Si nous voulons incarner une nouvelle conscience terrestre,
les deux expansions sont indispensables, l'amour permet à la
connaissance d'avoir un champ opératoire infini.
Pour
chacun aujourd'hui, l'intégrité, la connaissance et l'amour se
présentent comme des expansions nécessaires et suffisantes sur la
voie du service divin. Une hiérarchie reste à trouver, et les
priorités de développement peuvent varier d'une période à
l'autre. L'un des trois taos — itinéraires fondamentaux —
est en général plus facile à suivre que les deux autres, et c'est
à chacun de comprendre que l'attention peut se porter sur les trois
en parallèle, avec une perception large et disponible, aussi faut-il
se méfier de la prédilection qui peut tirer à elle la couverture
en masquant le reste. Comme cela, nous faisons de l'évolution
accélérée, en distiguant ces trois orientations. L'appel de
chacune dépend de la configuration du présent. Si nous évoluons
avec les trois expansions qui travaillent de concert, c'est plus
habile que de pousser une seule en avant, et devoir repartir en
arrière combler soudain une lacune, pour aller chercher l'intégrité,
ou faire machine arrière pour s'ouvrir enfin à l'amour, ou revenir
sur ses pas pour aller chercher la connaissance que l'on avait
largement sous-estimée.
La
stratégie intégrale est plus complète et plus rapide.
L'intégrité
s'allie très bien avec la connaissance parce qu'il y a de la
rigueur dans les deux. C'est une affinité structurelle mais en
revanche, c'est faux de considérer que les deux fonctionnent
automatiquement ensemble. Absolument pas, beaucoup sont très
intéressés par la connaissance et s'imaginent s'approprier le monde
par la pensée, qu'ils poussent même jusqu'aux principes de
l'ésotérisme. La connaissance permet un discernement, mais ce
vivekâ n'est pas forcément relié au regard authentique
concernant sa propre personne (narcissime primaire) et le corps
animal (automatisme des désirs et des peurs, peu de résistance à
la manifestation des survivances dynamiques). Pour moi, l'intégrité
est une condition sine qua non de l'ascension. La rigueur
propre à la connaissance exige beaucoup moins de choses que la
rigueur nécessaire à l'intégrité, qui implique forcément des
efforts et des sacrifices, ce qui n'est pas la tasse de thé de la
prakriti. Si l'on étudie le déséquilibre entre les trois
expansions, la majeure partie des échecs spirituels des chercheurs
apparaît, toujours selon le principe d'une spécalisation
usurpatrice du yin ou du yang, ou d'un amalgame pervers entre les
deux.
L'intégrité
seule ferme au mystère. Etant donné qu'elle met en place un
mécanisme de défense pour conserver la conformité, l'excès
d'intégrité assure la préservation a priori de postures
indépendantes de toute expérience. La peur de l'amour, la peur de
la relation, la peur de l'inconnu, la peur de l'aléatoire, la peur
de perdre ses repères président à un excès d'intégrité,
symbolisé par une alliance de la jambe gauche et du bras droit
contre les autres branches. L'intégrité maintient la droiture, la
conformité du Même, et si l'on redoute par principe de la perdre,
tourner en rond dans un monde parfait de « valeurs », de
devoirs, de nécessités, sans contact avec la substance de la vie,
donne le change. Beaucoup sont trop intègres dans la mesure
où leur intégrité les prive de l'amour ou de la connaissance,
puisque ces expansions entraînent des risques, dont celui de se
retrouver confronté intensément, sans fuite possible, à la dualité
corps/esprit — et à l'incompatibilité générique de leurs
besoins. Autant l'intégrité constitue-t-elle l'arme absolue quand
l'amour et la connaissance se développent, autant seule et unique
constitue-t-elle un moyen de perdition orgueilleux, un mensonge dans
lequel le mal prend l'apparence du bien.
Dans
leur essence, ce ne sont pas trois expansions séparées. C'est
plutôt la descente du Dao que nous commençons à ressentir
avec ses nécessaires conditions d'expérimentation puisqu'il se
subdivise pour s'adapter à la Matière. Nous pouvons traduire Tao
par fonctionnement, itinéraire, méthode, principe d'action, ou
système. L'intégrité désigne un fonctionnement qui ne s'égare
point, la connaissance un fonctionnement qui rassemble, et l'Amour un
fonctionnement qui unit. En voie de conséquence, même si de petits
taos peuvent être connus, le Dao principe reste le but
unique, il embrasse tous les fonctionnements qui sont nécessaires à
maintenir l'ordre de l'univers. Il transcende le yin et le yang à
l'œuvre dans chacun des taos secondaires, dont l'alternance permet
des variations, des adaptations, et finalement des transformations.
La connaissance trop yin est filandreuse, trop yang dogmatique,
l'amour trop yin se dissout, trop yang il s'approprie. L'intégrité
ramène à la conformité les excès et les pénuries dans
l'expérience des deux autres expansions.
La
connaissance et l'intégrité sans amour donnent les chercheurs
ésotériques très secs: « tu en es encore là, tu n'as
rien compris, pour qui tu te prends, fais d'abord tes preuves... ».
C'est encore l'esprit « jésuistique », friand
d'identifier le négatif, sous la coupe de Saturne. Il est tentant de
se réfugier dans une maîtrise figée du yang de peur de s'ouvrir au
yin indéterminé. Le cœur est absent dans ce modèle, ou réservé
à l'inaccessible. « Comme la terre me paraît vile quand je
regarde le ciel ! », cette sentance attribuée à
saint-Ignace de Loyola est une phrase qui résume à elle toute seule
l'affrontement de l'esprit et de la matière, que nous allons enfin
régler en nous ouvrant aux énergies divines — au lieu de creuser
l'écart entre les deux. L'intégrité et l'amour vont bien ensemble
mais sans la connaissance, le développement durable s'arrête
puisque le yin et le yang se complètent mais cessent de se stimuler.
Voilà le tableau: nous sommes impliqués dans un projet immense
dans lequel la rigidité et la dissolution sont maintenus en
équilibre par des lois merveilleuses — au-dessus de la portée de
notre intelligence, mais nous pouvons découvrir cet équilibre et
l'incarner. La stratégie évolutive mène jusqu'au Supramental à
condition d'en appliquer les principes, comprendre les taos
soumis autant à la fluidité régénératrice qu'à la sclérose
mortifère dans leurs échanges instantanés. Ne rien laisser dans
l'ombre, donner de la conscience aux jambes de l'étoile, développer
l'habileté de la préhension par l'esprit en sachant utiliser la
pensée active autant que la pensée passive, tout en conservant une
volonté indéfectible, voilà le projet évolutif.
L'intégrité
est nécessaire en haut et en bas. Celle des jambes exige un rapport
conscient avec le corps, éviter les addictions, la culture du désir
sexuel, la complaisance avec les peurs contingentes ou
relationnelles. L'intégrité des bras permet de cesser de se
soumettre à l'influence du monde et à l'influence des autres, par
leur persuasion, leur séduction, leurs sentiments. La demande
d'approbation est l'adversaire inné de l'intégrité,— une
fractale du yin. Elle peut être d'origine karmique, ou bien elle
pose le problème du rapport à la mère et au père, et des affects
transférés sur les autres, à défaut d'avoir pu les vivre avec les
parents. Ecouter l'autre n'est pas se laisser influencer si le yin
comme le yang sont bien intégrés, tandis que subir le jugement
d'autrui pour se conduire, telle est la menace pour tous ceux chez
qui le côté gauche est largement plus développé que le droit.
L'intégrité mène à l'autonomie, sans intégrité pas d'autonomie.
Sans
intégrité, l'amour se perd dans des identifications relationnelles
ou intuitives tandis que la connaissance sans intégrité donne le
chercheur dépassé par le mental, qui tire des plans sur la comète,
et manque d'enracinement. Trop d'intégrité, c'est la phase, souvent
naturelle, du débutant zélé, car c'est parmi les trois expansions
complémentaires celle qui peut être obtenue par les moyens les
plus concrets, les plus mesurables, les plus maîtrisés. L'intégrité
est donc rassurante, et peut devenir un piège où s'embourber, sous
la férule de la volonté. C'est la qualité qui non seulement
n'exige pas d'abandon, mais en refuse toutes les manifestations
nocives et émollientes. Mais en excès, sa pratique bornera le
champ dès qu'il s'écartera des attentes et des convictions, et
des prescriptions doctrinaires. Si la conscience ne se distribue pas
correctement pour harmoniser les branches, l'une des trois expansions
sera poussée en avant au détriment des autres. L'intégrité, en
posant des limites, calme le jeu de la connaissance et de l'amour, en
établissant les distinctions nécessaires entre l'équilibre,
l'excès et le manque. La connaissance développe l'intellect en
direction de l'âme. Le Jnana-yoga intègre la réflexion pure
sans s'y complaire et, pratiqué avec une grande habileté, il permet
de distinguer dans le présent la conscience immobile des mouvements
incalculables de la prakriti, en détectant de manière
vivante l'action des guna dans l'exercice de la perception. Il
nous faut donc reconnaître l'urgence de la connaissance pour
embrasser une voie exhaustive, comme l'urgence d'incarner l'amour
universel, comme celle de porter sur soi-même un regard sans pitié
pour améliorer l'intégrité en se libérant des survivances
dynamiques.
Le
côté droit ne demande qu'à s'exercer dans une vaste implication
permanente dans l'intention de comprendre les relations entre les
choses, alors que le côté gauche fait ressentir les ramifications
par enchaînements significatifs spontanés, hors de tout effort
mental, dans une succession qui s'impose d'elle-même. Nous faisons
alors confiance au processus de réconciliation profonde du yin et du
yang, qui un jour cesseront de s'opposer pour être vécus à leur
racine, avant leur division. Cet état de conscience a été chanté
en particulier par Héraclite et Lao-Tseu, et se faufile dans la
perception du Soi. Il devient naturel dès le contact établi avec le
supramental.
Le
clin d'oeil du Tao:
L'intégrité
est le garde-fou de la cohérence entre la connaissance et l'amour.
Cela
m'émeut quand je rencontre des chercheurs sincères qui, même
authentiques ne se rendent pas compte qu'ils font toujours de la même
chose. Beaucoup d'individus remarquables continuent de s'attacher à
leur propre itinéraire, et seule alors la souffrance et la limite
leur permettront de découvrir une stratégie comprenant davantage de
tactiques, afin de toujours garder présent à l'esprit la formation
du triangle amour, connaissance, intégrité, qui synthétise les
conditions nécessaires pour pratiquer l'évolution infinie, quelle
que soit la forme de la figure, adaptée à chacun. J'insiste sur le
fait que si je veux mettre à votre disposition davantage de
perspectives évolutives, c'est parce que je suppose que vous
continuez à vivre en tant que système pentagramme ouvert
dans le système ouvert du monde socialSi vous choisissez une cellule d'ashram ou de monastère, si vous êtes reclus ou prêt à vivre en autarcie, la «synthèse des yogas», «la vie divine», et surtout les «lettres sur le yoga» sont des références suffisantes pour mener à bien la sâdhanâ, la voie, avec l'agenda de Mère..
Quand on continue à nager dans le samsâra, avec le but en
quelque sorte de le sauver car la vie est conçue comme l'embryon de
la manifestation divine, le regard doit être acéré, et la bataille
est quotidienne, et pas seulement intérieure comme le permet la
réclusion. Le présent présente une foule d'événements spontanés
auxquels nous pourrions échapper en partie dans un système fermé
comme une communauté, mais pour en revenir à notre paradigme, plus
un système est ouvert, plus il est vulnérable, plus l'hétérogène
le menace — mais sa capacité plastique doit lui permettre de
maintenir son ouverture, et d'améliorer ses échanges. Mon intention
dans ce livre est donc de vous donner confiance dans le yoga
urbain, qui doit faire face à
la décadence de notre société, et y résister.
Je
relève que ce monde est difficile et que la meilleure façon de
compenser la pénibilité extérieure est de s'adonner aux domaines
dans lesquels nous sommes déjà habiles, car cela nous donne la
force de contrebalancer les contraintes contingentes. Mais dans un
yoga exhaustif, les « compensations » doivent être
considérées comme des pis-aller, et les champs difficiles doivent
être abordés avec autant d'attention et de persévérance que ceux
dans lesquels nous sommes passés maîtres, ainsi l'étoile ne cesse
de se développer conformément. La formule magique que nous pouvons
adopter est enfantine: « nous sommes ignorants ! Cela va donc
être une aubaine d'apprendre, d'évoluer, d'avancer ».
2 ELOGE DE L'IGNORANCE
Obscurcir
l'obscurité mène à la porte de la subtile origine
Lao-Tseu
L'ignorance
n'est pas un obstacle mais une condition, la condition de
l'évolution, et l'ignorance comprend l'innocence, — seulement
le mental est toujours prêt à couper les cheveux en quatre, et il
sabote la réceptivité naturelle de l'esprit. L'orgueil et la peur
tentent de s'emparer de notre ignorance pour nous culpabiliser, mais
l'ignorance lâche prise chaque fois qu'il y a un petit insight, une
révélation, une prise de conscience, un progrès. Elle n'est pas
une identité, mais un état d'esprit vierge et l'obstacle évolutif
provient plutôt de la nature, qui exige du présent le gratifiant,
que de cette part du mental, encore vierge, et plein de bonne volonté
s'il se dégage de l'emprise totalitaire du monde émotionnel.
L'ignorance devrait nous porter vers la liberté, l'expérience, le
goût d'apprendre, comme l'écrivain est stimulé par la page
blanche... La pensée dynamique, c'est simplement l'utilisation du
mental par la personnalité animale. Le pouvoir, c'est quelque chose
qui dépend du temps, et quand il arrive qu'on sorte totalement du
temps, comme les premières années après l'éveil, l'idée d'avoir
un pouvoir sur les choses disparaît. Je ne veux pas dire que tous
les pouvoirs sont revenchards, qu'ils viennent tous d'un manque
quelconque qu'ils cherchent à combler, mais quand même, la
jouissance du pouvoir est rarement inncocente. C'est un concept
difficile à isoler des autres membres de sa famille, la
responsabilité, l'autorité, la compétence. Néanmoins, on peut
dire que l'ignorance (au sens des métaphysiques bouddhiste et
hindoue), c'est la remontée du pouvoir de la
Prakriti dans le mental: les deux se combinent pour
contrôler le temps universel à des fins particulières et
partisanes — à des fins de survie. L'évolution divine, en
revanche, amène le conflit entre la jouissance de la possession du
terriroire et la possession de la jouissance de l'Ananda divin.
Ce sont deux contraires absolus, mais la sâdhanâ permet de
faire coïncider la Prakriti et le Purusha — à
condition de démécaniser la nature. Mais c'est impossible si la
Prakriti ne se soumet pas au Purusha (remplacer
la tête par le chef, qui révèle le potentiel divin de l'étoile).
Question
: Dans la recherche de la connaissance, il y a certaines doctrines
qui ont tendance à évacuer certains types de connaissance, la
culture, le savoir en général, parce qu'elles pensent que cela
pervertit plus ou moins le mental. A quel moment peut-on déterminer
si cela devient un obstacle?
N.
: Cela devient un obstacle quand tu t'appuies sur le dessus des
concepts métaphysiques pour te raconter des histoires qui te
confortent. Un savoir qui n'est pas pratiqué, oui, c'est de
l'érotisme abstrait, une fuite dans une représentation homogène,
tamas finit par l'emporter. Tout le monde ne peut pas être
appelé comme nous à comprendre intensément la différence entre le
savoir, qui demeure d'ordre contingent, et la connaissance qui
permet d'adhérer à la Totalité insécable. La connaissance est le
processus par lequel le savoir est intégré dans une dynamique
d'ensemble, et il y a de nombreux savoirs qui peuvent se changer en
connaissance, il suffit de s'y donner complètement, et un rapport
s'établit entre la théorie et la pratique, — l'expérience
mène le bal dans la Manifestation. Il est nécessaire de posséder
le discernement, qui s'aiguise par la lecture, par l'intérêt que
l'on porte aux choses, par l'examen, par l'analyse, par l'analogie,
par toutes les manœuvres mentales actives ou passives, qui sont
menées avec l'aspiration ardente de découvrir la Vérité.
Le
clin d'oeil du Tao:
Dans
l'innocence, il y a de la gratitude et de la gratuité.
Vous
pouvez vous autoriser à suivre votre propre voie, et si vous avez
besoin de très peu de travaux abstraits, je n'ai rien à redire si
l'engagement est absolu. Il est vrai que beaucoup d'intellectuels
manquent la voie spirituelle car ils sont attachés au mental et
qu'ils s'imaginent qu'accumuler de nombreuses informations débouche
sur une véritable intelligence. C'est faux, la plupart du temps, se
cultiver sans cesse sert surtout à développer une esthétique de
l'existence individuelle, avec un arrangement bien équilibré de
plusieurs approches, et comme cela donne finalement trop de confort
intérieur, la sâdhanâ ne peut pas aller très loin. Il y a
un caractère insurrectionnel quand on se donne à l'Absolu, qui
empêche toute forme d'autosatisfaction, car l'urgence domine.
Quelques-uns peuvent vivre dans l'urgence dans une bibilothèque dont
ils ne sortent pas, comme d'autres vivent dans l'urgence évolutive
en ayant très peu de savoir, la question n'est pas là: il faut
trouver ce qui nous aide, au lieu de se repaître de notre propre
habileté dans tel ou tel domaine. Donc, il y a une très grande
possibilité d'évolution pour chacun à condition qu'il accepte
d'être ce qu'il est au lieu de suivre les prescriptions de son
gourou. Cela fait trois mille ans qu'il y a un déchet considérable
parmi les chercheurs parce que les maîtres ne disent pas aux
disciples qu'ils doivent avoir confiance en eux, et qu'ils ont droit
à l'expérience. « Ah oui ! mais attention vous allez rater
ceci, vous allez rater cela, ce qu'il faut c'est le Soi
impersonnel ». Et puis ils font peur, ils font peur avec la
Prakriti, « hou la la ! La sexualité hou la la ! Si
vous tombez là-dedans vous n'en sortirez jamais... » C'est
faux ! « La connaissance, hou la la ! Pourquoi lire, vous allez
gonfler votre mental, vous allez vous prendre pour votre savoir. »
Ce n'est pas vrai, le savoir peut-être transformé en connaissance
par le discernement. Et après, l'amour... « Ah ! L'amour,
Samsarâ, Samsarâ, piège, danger, ce qui compte c'est le Brahman ».
Tout le monde conseille à partir de sa petite expérience
spirituelle et à partir de son vécu, tout éveillé moyen enjoint
aux autres ce qu'ils doivent faire — la même chose que lui !
Le
supramental ne fonctionne absolument pas de cette manière.
|
Il veut libérer le
potentiel, et chaque être humain possède un potentiel qui lui
est propre, inimitable et inconcevable pour l'autre. Je ne
cherche pas à ordonner quoi que ce soit à qui que ce soit. Je
réhabilite la Matière, le socle, la vie, parce que le Divin
Lui-Même l'a décidé. Et je pose les conditions, qui ne sont pas
très nombreuses mais incontournables. Posséder une démarche
exhaustive, panoramique, et nettoyer, nettoyer, nettoyer. Libérer
les survivances dynamiques, libérer les empreintes parentales,
libérer les conditionnements astraux, libérer les karmas, libérer
les caractères héréditaires, libérer les non-dits
familiaux qui pourrissent dans le subconscient et empêchent la
claire saisie du moment. Et ensuite, c'est le supramental qui libère
des mémoires encore plus profondes.
| |
Question: Le
hara est-ce l'enracinement, la volonté de prolonger ses actes ?
N.
: Dans ce contexte, je le présente comme une conséquence et c'est
vrai que, par des techniques, on peut obtenir ces choses-là, mais
normalement c'est l'univers qui se charge de tout. On n'a pas une
illumination par hasard, on est prêt, l'univers le sent, elle
arrive, c'est régulé par un ordre qui est tellement merveilleux que
l'on peut difficilement trouver à redire quand on accepte la
synchronicité évolutive. Le Tout distribue exactement ce dont nous
avons besoin pour évoluer à travers les épreuves. D'un côté, il
y a les difficultés, mais de l'autre côté le vrai travail
spirituel qui a été accompli se traduit à l'intérieur — à
notre insu, comme pure conséquence, comme un fruit mûr qui tombe,
c'est du même ordre. L'enracinement par le hara est recommandé aux
guerriers, et l'ouverture du cœur, elle ne s'effectue pas par hasard
non plus. S'il n'y a pas eu un minimum d'harmonisation des quatre
branches, l'ouverture du cœur est retardée puisque le monde
extérieur demeure une menace, comment ouvrir son cœur si l'altérité
est une menace ? Il n'y a que le travail intérieur qui finit par
révéler qu'il n'y a pas de menace à l'extérieur. L'accident n'est
pas de l'ordre de la menace, mais du fait statistique et aléatoire.
Le mental intemporel, qui pourrait toujours être tourné vers
l'innovation et la découverte, cautionne, — tant que la seconde
naissance n'a pas lieu, tout ce qui vient du bas. Les hommes
justifient leur colère parce qu'ils ont un sentiment d'injustice,
les femmes justifient leurs plaintes parce qu'elles se sentent mal
aimées, abandonnées, et il n'y a jamais d'issue, il n'y a qu'une
répétition de ces systèmes-là. C'est cela qu'il faut se
représenter, d'ailleurs il y a des éthologues, ceux qui étudient
le comportement animal, qui le disent, nous ne sommes pas descendus
du singe,
nous
sommes des singes, nous sommes une autre espèce de singes.
Avec
une particularité qui est rarement intégrée, le mental. Si on
n'utilise pas le mental pour observer le vital, on ne peut aller
nulle part. Si les bras ne décident pas de la direction des jambes,
c'est l'aventure chaotique. Si nous n'utilisons pas le mental pour
comprendre l'animal et le « remettre à sa place », il ne
sert pratiquement à rien d'autre que d'inventer de faux territoires
personnels. Le chemin spirituel est pur quand le
yang est libéré de l'impulsion de capture et que le yin est libéré
du sentiment de subir. S'il reste quelques scories des membres
inférieurs qui remontent, ces faux mouvements dans lesquels la
conscience demeure convoitée, les progrès stagnent et cela peut
devenir un indice de l'imperfection qui reste à régler. Si l'on
convoite la conscience pour combler des peurs — ça ne marche
pas, il convient de revaloriser la jambe droite et de nettoyer la
gauche. Si l'on convoite la conscience parce que l'on a trop
d'énergie, trop d'impulsions, c'est intéressé, et il faut se
mettre immédiatement à développer le bras gauche. Beaucoup de
fausses justifications spirituelles ne mènent à rien, les
monastères et les ashrams sont truffés de personnes qui ne savent
pas s'y prendre. Dans la religion, par exemple, le mouvement vers
Dieu est dicté par un énorme besoin de sécurité qui vient de la
jambe gauche dans notre schéma. Je répète la formule de Sri
Aurobindo, afin qu'on en finisse définitivement avec l'illusion de la suprématie du bras droit:
|
La
seule tâche de la raison est d'arranger et de critiquer les
perceptions. En soi, elle n'a aucun moyen de parvenir à une
conclusion certaine ni aucun pouvoir de commander l'action. Quand
elle prétend prendre l'initiative ou mettre en mouvement, elle
masque d'autres agents.
|
En
ce moment, il y a beaucoup de conscience matérielle dans
l'atmosphère, un courant neuf veut changer les choses. L'Esprit
travaille en nous. Les adversaires intérieurs jouent à nous
faire passer des tests. En les diabolisant, on rentre dans leur jeu
parce qu'ils nous font très peur avec de petites menaces de rien de
tout.
Question
: Je ne vois pas comment on peut être attiré par la conscience si
l'on n'en a pas assez de souffrir...
N.
: Justement, la grande différence entre ceux qui ont une tête et
ceux qui ont un chef, c'est l'usage du négatif. Celui qui a une tête
souffre pour rien parce qu'il ne transformera jamais sa souffrance,
alors que celui qui a un chef accepte d'autant mieux la souffrance
qu'il lui trouve un sens qui indiquera l'issue. C'est la fondation du
bouddhisme, qui est encore assez pur au Tibet chez des rimpochés
inconnus. Le plus catastrophique dans l'humanité, c'est qu'elle
continue à ne pas trouver le sens de sa souffrance, c'est impensable
que les êtres humains dans leur ensemble soient si accrochés à la
matière qu'ils continuent à préférer souffrir. C'est ce que Sri
Aurobindo disait: que l'homme est attaché à sa souffrance.
Donc, cherchons les bénéfices secondaires de la souffrance dans la
sécurité de la répétition. Il vaut mieux répéter quelque chose
qui ne fonctionne pas que de se lancer dans un imprévu aléatoire,
c'est la loi de l'échec. Beaucoup de personnes sont dans ce schéma.
À partir du moment où l'être est prêt à s'observer lui-même
sans complaisance, c'est une consécration sans retour en arrière
possible. S'il faut passer par un trou de souris... on passe par le
trou de souris, si l'on ne veut pas passer par un trou de souris,
c'est que l'animal n'ose pas sortir des sentiers battus. Le
sadhak est celui qui accepte les épreuves. Le ressac fait partie
de la loi. Trois pas en avant, un ou deux en arrière...
Question:
Tu as parlé d'acharnement spirituel mais pas dans le bon sens du
terme. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
N.
: oui, l'acharnement c'est aller au-delà de ses forces dans
l'ascèse. L'ascèse exige beaucoup de rigueur et de discipline, mais
si la pression va au-delà de nos forces, peut-être est-il inutile
de surenchérir. Justement parce que le corps a besoin de récupérer.
Si l'animal n'en peut plus, il s'effondrera si on le pousse trop
loin. Par acharnement spirituel, je veux parler de ces sectes où
l'on s'imagine que plus on fait d'heures de méditation plus on
évolue, plus on a de nombreuses prières plus on évolue. Plus on se
prive, plus on se rapproche de Dieu... C'est-à-dire une confusion
entre qualitatif et quantitatif.
A
: Certains yogis prétendent évaluer le temps nécessaire à la
réalisation..
N
: C'est présomptueux. Un mythe en Inde fait des ravages. Après
douze ans de continence sexuelle, le samadhi
se produit. Si ça ne réussit pas, il est tentant de laisser
libre cours à la sexualité pour se venger d'avoir été berné, et
on peut retomber plus bas que si l'on avait eu une vie sexuelle. Les
anticipations concluantes, qui font abstraction de la durée
en temps réel, cela ne marche pas. Certains sont amoureux de la
voisine et ils ont gâché leur vie par convoitise du bien spirituel
tout en se laissant torturer par des regrets et des fantasmes... Je
ne suis pas contre le pragmatisme, mais le pragmatisme doit être
efficace, et pour l'être, comme le disent les chinois, il ne peut
jamais sortir du contexte de l'expérience. Le pragmatisme
théorique est une aberration qui veut incorporer le réel et ses
turbulences aléatoires dans une équation. Quand le pragmatisme
devient une perversion de l'esprit au service de l'orgueil, pour se
surentraîner, pour être certain de « réussir », il
reste attaché au fruit des œuvres, miné par l'ambition de réussir.
La conscience n'est pas une compétition, ce n'est pas un sport. On
peut se surentraîner en apnée ou dans de nombreux loisirs, mais le
problème de la conscience, c'est autre chose, nous sommes en
communion avec la conscience, et on ne la berne pas par les artifices
de la séduction. « Regarde tout ce que je fais pour
toi... » c'est puéril. Quoi que tu fasses, si Elle n'est
pas d'accord, si tu vas trop loin dans l'espoir d'un résultat, ton
esprit reste trop tendu pour recevoir beaucoup. L'acharnement, c'est
le mouvement excessif dans l'espoir de recueillir des résultats. Cet
espoir d'obtenir des résultats, il peut être fondé autant sur
l'ego (orgueil ou dépréciation de soi) que sur l'aspiration. L'idée
de mettre la main sur la vérité ou de mettre la main sur la
technique essentielle qui mène à la libération, ce sont des
systèmes généraux qui ont fait leurs preuves pour certains, les
plus purs, mais c'est périmé parce qu'il y a des énergies qui
descendent aujourd'hui dans notre atmosphère. Le processus possible
de différenciation individuelle va beaucoup plus loin aujourd'hui à
cause de différents facteurs, la démographie exponentielle, la
planétarisation des cultures, sans compter la descente du
supramental. La Terre commence à vivre dans une nouvelle dimension
qui tolère de moins en moins « l'à peu près. » Le
sentiment de l'utilité de notre tâche est plus pur que le besoin de
réussir l'ascèse, qui demeure un projet personnel. Développer la
réceptivité est une voie royale, et l'on peut très bien recevoir
du subtil sans s'en rendre compte intellectuellement, si cela se
passe progressivement. L'inverse, c'est l'acharnement dans la quête,
l'ascèse obsessionnelle — il y a un excès de volonté. Les
saturations se profilent aussi bien dans le yin que dans le yang,
trop courir entraîne le point de côté, s'éprendre de ne rien
faire se termine dans l'oisiveté et le rêve, ne pas agir ne peut
pas être une fin en soi. Même la personne la plus contemplative
peut en avoir soudain assez, et elle fait un pélérinage à pied de
mille kilomètres.
Le clin d'oeil
insistant du Tao:
La
stratégie la plus fine est de sentir les renversements.
Une
vraie stratégie ne comporte pas qu'une tactique mais plusieurs sinon
ce n'est pas une stratégie. On voit cela aux échecs, il n'y a pas
qu'une manière de jouer. Les tactiques sont des choses provisoires
que l'on peut choisir, décider, et quand une méthode est renversée
par un événement, on en change — mais la stratégie est
toujours la même, ne pas sous-estimer l'adversaire pour avoir une
chance de vaincre, tout en trouvant une sorte de joie dans le combat,
parce qu'il est absolument nécessaire. Si l'on perd le sentiment de
plénitude face aux obstacles, — la plénitude entre le moi et le
non-moi c'est très important, on peut essayer de le conserver par
une tactique qui fonctionne, mais même cela peut s'avérer
insuffisant. Le placebo ne remplace pas la foi qui vacille sous les
attaques, et quand on est au bout du rouleau, ce qui est loin d'être
rare dans l'ascèse intégrale, on peut rester démuni. Il peut y
avoir un blanc qui dure... trois minutes, trois jours, trois ans !
Mais cela n'est jamais du temps perdu, ce peut être une décantation,
une limite, quelque chose qui n'est pas prêt pour la soumission
absolue. Et il faudra reprendre le fil en se sentant dans une
conformité à la fois personnelle et cosmique. C'est le fil
du rasoir, le Dao. Si nous sommes trop dans notre propre
histoire, nous nous fermons aux possibilités et si nous adhérons
trop aux possibilités, on se laisse influencer, on se laisse
entraîner par des options qui ne nous concernent pas vraiment. Il
est possible de changer de tactique. Le problème n'est pas le
remplacement qui existe bel et bien quand une approche est périmée,
le problème n'est pas l'absence de solution, elle existe, mais le
problème c'est de vouloir en appliquer une — indépendante
du contexte. Or l'esprit se tend aux moindres contrariétés,
souvent la source de mauvaises décisions, alors qu'il doit devenir
éminément élastique. C'est merveilleux de pouvoir passer d'une
concentration intense à une disponibilité absolue, avec une
perception ouverte sur tout et rien, sans que la pensée
n'intervienne. C'est un des résultats de la consécration: l'être
nerveux commence à lâcher du lest, l'immédiat ne possède plus
aucun caractère d'urgence, et en même temps il est savouré en
lui-même.
Le
mental cristallise des principes qui ne sont vrais que dans
les représentations. Quand la vie exige autre chose, on peut nier sa
demande, et continuer sur un mode d'action qui échoue, mais qu'on
préfère, avec une tactique qui rate, mais que l'on connaît par
cœur. Essayer une stratégie qui pourrait réussir, s'il faut trop
changer de manœuvres, beaucoup d'êtres humains en sont incapables,
et ils préfèrent échouer à leur manière que lâcher du lest. A
certains moments, nous sommes côté droit, à d'autres moments
nous sommes côté gauche, à des moments nous sommes envahis jambe
droite, à d'autres nous sommes envahis jambe gauche, à des
moments... le chef peut en avoir tellement assez des résistances...
qu'il a envie de redevenir une tête ! Soyons sensibles à ce
mouvement des choses tout en gardant la stratégie essentielle:
épouser le temps sans refuser, sans dénier ce qu'il nous apporte
même de « mauvais », cela permet d'absorber les
obstacles en les accueillant comme des épreuves utiles, sans fuir,
et comme cela — traverser tous les imprévus d'apparence
négative.
Dans
la nature, il y a des garde-fous, mais ils ont été conceptualisés
pendant des millénaires, des siècles, ils ont été récupérés
par une culture dominante et dénaturés. On ne comprend plus le rôle
divin de la culpabilité qui doit être immédiate, spontanée et
très courte. Elle permet de rectifier le tir, c'est tout. Ce n'est
pas un principe, la culpabilité, c'est un moment où l'on se dit:
j'aurais mieux fait de faire autrement. Ce n'est pas la peine
d'en faire toute une histoire... On a donc des garde-fous qui
veillent, et la culpabilité en fait partie. Elle a été ensuite
établie par les religions qui en ont fait une valeur en soi. C'est
un simple garde-fou évolutif. La culpabilité empêche de tuer son
voisin, de violer sa voisine, de reproduire une expérience négative.
C'est le signe qu'on est libre de revoir son passé. Mais l'article
64 du code pénal reconnaît que certains actes sont contraints et
inévitables: Même s'il a perpétré un meurtre, un individu est
décrété innocent par la cour s'il est prouvé qu'il a fait cela
sous la contrainte d'une force extérieure. Donc, pour en
revenir à notre ascèse, si les adversaires intérieurs sont
suffisamment forts pour vous imposer une contrainte de passage à
l'acte sur des choses que vous ne voulez pas faire, ce n'est pas
catastrophique, la pulsion peut diminuer après qu'elle vous aura
fait prendre conscience de votre aliénation, du pouvoir patent de la
mémoire évolutive, comme un avertissement. Vous aurez repéré un
véritable adversaire, une force indésirable qui vous domine, et
vous posez l'intention de vous en libérer. Ensuite, vous écoutez
moins ses ordres et ses messages, et vous finirez bien par gagner.
La
culpabilité tournicote toujours un peu autour de la sexualité.
Celui qui en a peur, mais éprouve des désirs, est aussi mal loti
que celui qui a peur de ne pas pouvoir s'en passer. Certains arrivent
à se libérer de la sexualité par la sexualité. François d'Assise
avant de parler aux oiseaux, a eu une vie de patachon. Tout est à
double tranchant, nier les jambes c'est parfois un remède pire que
le mal. Une expérience assumée peut laisser le passage à autre
chose, alors que refuser à la nature ce qu'elle veut, par principe,
peut faire retomber d'une manière violente sur la force du désir.
La nature nous conditionne, si la fuir ne permet pas de la calmer,
pourquoi ne pas aller voir de plus près ce qu'est le désir ? Est-ce
désir de l'autre, est-ce désir d'unité, est-ce désir de
jouissance, est-ce désir de s'approprier les qualités de son propre
sexe ? Nous sommes complexes, ces éléments peuvent se mélanger et
pourquoi y aurait-il plus de risques à assumer cette nature
fondamentale du corps, ne serait-ce que provisoirement, qu'à essayer
de l'oublier alors que nous sommes traversés par des tentations
puissantes ? Nous avons une nature animale qui nous impose des
désirs, il est aussi absurde de les diaboliser que de les encenser.
Il peut même se produire des phases d'exaltation dans lesquelles la
sexualité vient comme un cadeau sacré, et cela fait craquer les
défenses de l'ego, et une communion cosmique s'opère ! Etablir des
règles, ce n'est pas conforme à la richesse du mouvement. Puisque
tout est yin ou yang, tout est par la même occasion à double
tranchant.
Si
l'on commence à surenchérir sur nos « péchés », « ah !
Je n'ai pas fait ce qu'il faut... » cela ne facilite pas, ça
engramme le sentiment d'échec. Il y a un placebo positif, mais le
placebo négatif est tout aussi puissant (c'est même comme cela
que l'Eglise a tenu ses ouailles pendant des siècles). Nous sommes
nés dans une civilisation qui a peur de Dieu, c'est le comble. Les
pervers narcissiques ont une image de soi qui est tellement
valorisante qu'ils n'ont plus accès à la culpabilité et ils
peuvent écraser la tête des autres, la conscience tranquille. La
culpabilité, c'est un sacré garde-fou. Si l'on redoute de
recommencer, on ne recommencera pas. Dans ce cas, la culpabilité
possède un véritable pouvoir alors que le mental peut la récupérer
comme dans la confession, comme il peut, c'est courant, manipuler
l'autre en jouant sur son sentiment de culpabilité.
C
: La vraie culpabilité, c'est simplement le sens de l'erreur, on
s'aperçoit qu'il y a quelque chose qui ne va pas et l'on corrige.
N.
: Oui c'est le sens de l'erreur, le problème chez ceux qui
s'acharnent dans les voies spirituelles c'est qu'ils ont peur de
l'erreur — et ils se sentent facilement coupables — et ils
comblent cette peur de l'erreur en se rassurant dans les pratiques et
les techniques par un zèle exagéré. Comme si le fait d'être
disponible était pénalisant. On ne fait rien et c'est très bien,
on se laisse aller à la disponibilité intégrale, qu'est-ce qu'on
va manquer ? On se dispose à recevoir — un jour ou l'autre — une
extase extraordinaire parce que l'on est dans un lâcher prise total.
Plus de peur, plus de besoin d'obtenir, plus de manque, la présence
gratuite appelle parfois le DaoCela m'est arrivé une quantité de fois dans le yoga supramental. Il se produisait des moments où j'ai essayé de tout faire comme il faut et la force ne travaillait pas, j'étais dans un système de frustration ou de contraintes trop poussées, et la force ne voulait pas travailler parce que mon organisme était fermé, je n'avais pas assez d'ânanda, pas assez de plénitude pour appeler la conscience divine. Si Sri Aurobindo dit ânanda, c'est ânanda. Il dit que le but suprême ce n'est pas l'intelligence, ce n'est pas la sagesse, c'est l'ânanda. A d'autres moments où je me sentais moins parfait et plus libre, j'étais dans un état relâché et la Force en profitait pour me tomber dessus. J'ai buté là-dessus quelques mois. Si l'on gagne en perfection ce que l'on perd en félicité, c'est comme remplir un seau percé, cela ne sert à rien et on plafonne. Le Divin m'a ordonné de faire passer la félicité avant la perfection, j'ai eu alors « carte blanche ».. En général, les spécialistes du spirituel sont si fiers de leurs
expériences qu'elles prennent, dans leur discours, l'apparence
d'avoir été produites par eux. C'est faux: quel que soit notre
mérite, c'est l'univers qui sanctionne, c'est lui qui donne de
nouvelles armes évolutives, de nouveaux moyens.
Le
clin d'oeil du Tao:
La
voie est cheminement.
Trouver
une belle ramification, perdre le fil merveilleux, accueillir les
adversaires intérieurs qui montrent le travail qui reste à faire,
traverser une nouvelle limite, et retrouver le fil, ça ne cesse pas
d'évoluer. C'est la transformation qui mène l'évolution, c'est une
courbe en dents de scie qui monte, et malgré les régressions qui
repartent vers le bas, le mouvement d'ensemble grimpe.
Question:
pourquoi les prophètes, les messies, ceux que l'on appelait comme
ça, n'ont pas transmis ce que tu dis ? Ou ça a été mal compris ?
N.
: Jésus n'a pas transmis quelque chose de très différent de ce que
je raconte. L'histoire du pardon, la femme adultère qu'est-ce que ça
peut vous faire, le péché, pourquoi ne pas vous préoccuper du
vôtre, d'abord !... Après, cela a été déformé. De toute
façon le christianisme (de l'Eglise) a été pratiquement inventé
par Saint-Paul qui n'est pas une référence... Il était misogyne !
Si l'on n'est pas auprès d'un maître, la doctrine spirituelle ne se
comprend pas, par ce que ce n'est pas une accumulation de concepts
qui sont figés dans l'intemporel qui donnent l'emploi de la chose à
faire dans l'immédiateté. La posture psychologique est
soumise à l'occasion et à l'accident, les deux extrêmes qui font
bifurquer notre comportement. Ce n'est pas possible de se fier à une
carte. Mille itinéraires peuvent relier deux points, et la ligne
droite est une vue de l'esprit. Quelle carte voulez-vous utiliser,
quelle doctrine va vous dire demain tu vas tomber amoureux et
culpabiliser, après-demain tu auras une extase telle que tu vas tout
laisser tomber, et tes parents vont te maudire. Les faits ne tiennent
pas sur les cartes, et les modes d'emploi des faits (le menu des
doctrines) ne tiennent pas compte du contexte.
C
: finalement les adversaires intérieurs sont aussi des amis dans la
mesure où ils permettent de prendre conscience !
N:
Les adversaires intérieures sont des coachs, des entraîneurs,
ils ne seraient pas là, on ne pourrait pas beaucoup progresser. Et
quelques initiés le disent depuis longtemps: le statut de l'ange
n'est pas privilégié, il n'y a pas la confrontation à la matière,
il n'y a pas la marge de manœuvre du libre arbitre, il n'y a pas la
torture du soi qui manque. Même si ce sont des énergies
formidables, les anges et les archanges sont sclérosés dans une
dimension. Ils n'ont pas la dimension de l'incarnation. L'expérience
supramentale permet d'affirmer qu'on peut faire confiance à
l'évolution en étant sincères et authentiques (conscients d'une
nécessaire intégrité) et nos « péchés » alors, ce
sont de simples faux pas. Sri Aurobindo dit que le seul péché c'est
la petitesse. Ce qui empêche vraiment l'évolution, c'est de ne
pas vouloir croître dans la conscience. Une fois que l'on veut
croître dans la conscience, que l'on soit confronté aux scories,
aux résidus et aux pulsions de l'animal, c'est normal et même
obligatoire. Seulement le système du mensonge, comme le dit Sri
Aurobindo dans Savitri, est tellement bien au point que chaque fois
que l'on va vers l'augmentation de conscience, si c'est trop
difficile on recule, si l'on est attaqué, on se sent victime et donc
on renonce, ou bien l'on traîne en chemin.
Ma
grande souffrance, c'est qu'il y a un décalage entre le monde
intemporel du mental et le monde organique de la matière qui rend
l'évolution extrêmement lente, parfois cela provoque de la douleur,
parce qu'on s'imagine l'évolution compromise tant le progrès est
infinitésimal. Entre le moment où l'on sème des graines
spirituelles et le moment où l'on fait la récolte, on a dix fois le
temps de chuter ou d'abandonner, ou de prendre une « vitesse de
croisière » qui noie l'essentiel dans le reste, sans
l'oublier, mais la priorité est perdue, et en voie de conséquence,
les décisions magistrales n'ont plus lieu. Il y a des moments
où ce n'est pas logique qu'on ne récolte pas quelque chose,
dit le bras droit, et il peut se produire aussi une révolte du côté
gauche, pas assez d'attentes comblées. On se dit: quoi ! Après
tout ce que j'ai fait, ça ne suffit toujours pas... Tout le
travail de purification émotionnelle est justement fait pour devenir
de moins en moins victime des humeurs négatives qui soutiennent les
survivances dynamiques. La colère, ce sont des changements chimiques
mécaniques qui la lancent, la concupiscence irrépressible aussi,
l'addiction au tabac, elle devient physique. Les endorphines sont
autant de drogues naturelles, ce que nous recevons du monde extérieur
fait réagir l'organisme à un point souvent paroxystique sur
lequel nous n'avons plus de prise. Si l'on oppose une force
ascensionnelle proportionnelle à la force descendante de l'entropie,
de la cristallisation, on peut s'en sortir, c'est la sâdhâna.
A
: tu disais que c'est à partir de 1930 que la conscience
supramentale a commencé à descendre sur la terre. Comment se
fait-il que tous les gens qui ont évolué un peu plus que les
autres, n'ont pas été touchés par çà ?
N.
: Au début, quand la mère de Pondichéry a fait des expériences,
sur la terre on ne savait pas que c'était ça. En Mai 68 il y avait
quelque chose de très spécial qui ne peut avoir qu'une origine
spirituelle, il n'y a pas d'autres explications, et le mouvement
avait commencé juste avant, aux Etats-Unis. Historiquement c'était
prêt, l'industrie et la bourgeoisie avaient créé un bon niveau
d'existence, toute la jeunesse née après la guerre s'est trouvée
bénéficier d'un contexte très favorable, la vie était « facile ».
Je venais d'avoir 18 ans, j'avais des camarades assez matérialistes
qui faisaient des poèmes absolument magnifiques. Il s'était passé
quelque chose, mais cela s'était préparé, moi j'avais senti sur
les rochers du port de Nice le Supramental au printemps de l'année
précédente. Bien sûr, je ne savais pas que cela s'appelait ainsi,
mais d'un seul coup j'ai senti que l'horizon portait plus loin, le
sentiment d'une immensité qui s'approchait, puis en décembre 67
j'ai passé une semaine sur un plan très élevé. Quelques mois plus
tard, tout le monde a été un peu touché parmi la jeunesse, car les
adolescents possèdent un cerveau moins structuré, encore ouvert,
tandis qu'après quarante ans, en général un pli est pris, qui
réduit la réceptivité. L'énergie a été absorbée, puis
récupérée. Après, ça se referme, parce que l'ivresse s'estompe
et qu'on ne sait pas comment la retouver.
|
L'adversaire
du stratège évolutif, c'est l'impatience, car souvent des moments
merveilleux sont suivis par de longues retombées qui semblent être
des retours en arrière alors que ça prépare de nouvelles
remontées.
|
Le
yin et le yang comme toujours. Les résultats se font attendre.
Chaque fois que l'on sent qu'on aime la Conscience, c'est très bon
signe, et d'ailleurs des événements viennent essayer d'estomper cet
amour, et nous remettent dans l'axe de choses plus formelles. Les
satisfactions holistiques se développent pour nous permettre de
sentir cet amour de la conscience qui s'étale en soi, qui augmente
et, plus la conscience se manifeste, plus c'est elle qui guide. Il
s'agit bien de remplacer l'acharnement spirituel (même avec des
techniques qui ont fait leurs preuves) par le fait de se sentir
accompagné par la conscience.
Sentir
le revirement des choses, c'est-à-dire savoir observer les
besoins des cinq branches. Chez les personnes trop yang
il n'y a pas la même ouverture sur le changement que chez les
personnes yin parce que comme les personnes yin ne cherchent
pas à faire grand-chose, elles ont une vision de l'attente qui est
positive. On a beau reprocher certaines choses aux personnes qui sont
trop yin sous prétexte qu' elles ne font pas assez de choses,
dans le fait de ne rien faire, elles baignent dans la totalité
maladroitement. Elles ont, par rapport à ce qui peut arriver, un a
priori vraiment favorable. Tandis qu'une personne très yang
qui sait ce qu'elle doit faire, quand elle perd le contrôle, elle
doute que la suite des événements soit meilleure que ce qu'elle
contrôle, recherche ou obtient. Les changements yang sont souvent de
même nature et faciles, réguliers, rapides, enthousiastes au début,
alors que les changements yin sont plus rares mais plus profonds,
moins adroits aussi, parce qu'ils s'imposent inconditionnellement,
sans que le moije se mêle de lancer une dynamique déjà
chargée d'un tas de choses à obtenir. Là dessus Lao-tseu est
catégorique, le yang vient loin derrière le yin.
Le
yang s'épuise, le yin ne s'épuise pas.
Dire
que le yin est supérieur peut induire en erreur, la vérité est
qu'il précède le yang, il est plus près de l'origine absolue des
choses et son rôle est d'absorber la puissance créatrice et de la
refléter, sans les distorsions de la volonté subjective. La phase
du mouvement possède un début et un terme, alors que l'immobilité
n'a pas besoin d'avoir ni commencement ni fin. Oui, vous pouvez
relire, ça paie pas de mine, mais ça résume la Manifestation cette
simple phrase. Autrement dit, vous pouvez tous développer votre bras
gauche sans aucune crainte, cela vous donnera du recul sur vos
actions, donc sur vos projets, donc sur vos motivations, parce que
ces trois choses ne sont pas séparées.
C
: finalement la meilleure façon, c'est d'identifier ses adversaires
intérieurs quand ça va mal, avec ce dont on dispose, l'astrologie,
les trois forces Tamas, Rajas, Sattva... On peut se servir de tout ça
pour identifier obstacles, limites, faiblesses.
N:
Oui, en fait je ne serais pas surpris d'avoir reçu l'étoile
à cinq branches en quelques minutes seulement parce que je me posais
depuis longtemps la question des éléments qui composent l'humain,
et qui finissent dans l'assemblage du moi — avec cette
resplendissante homogénéité du pouvoir de conjuguer quelques
centaines de verbes selon les circonstances.
Origine
de l'étoile.
J'avais
été découragé par les écoles hindouïstes qui poussent bien à
la recherche de l'unité en posant notre multiplicité, mais j'étais
tombé sur une somme de composants ahurissante, qui m'a donné envie
de vomir mentalement. J'étais vraiment dégoûté. Un système assez
connu parle de trente-six agrégats ! Vous vous imaginez faire
l'inventaire en vous des trente-six pièces qui vous composent et
jouer aux dés avec ? C'est fastidieux. Finalement, je reconnais que
ceux qui possèdent l'astrologie ont de la chance de pouvoir ramener
tous leurs mouvements à sept principes s'ils ont un bon
discernement, et c'est merveilleux. Rudhyar et Ruperti m'ont beaucoup
apporté, car leur système est très opératif, et je l'ai encore
simplifié. Savoir que je est un autre qui réunit sept
acteurs, c'est pratique si l'on comprend que six fonctions sont
subordonnées au soleil, qui lui est à la fois actuel et potentiel,
ce qui permet de le faire émerger. Mais je reconnais que le système
des gunas est très performant aussi, bien que moins nuancé.
L'étoile à cinq branches est un modèle très esthétique qui
regroupe tout ce que nous savons déjà et qui est aussi très
économique, d'ailleurs ce cinq primordial revient aussi bien
chez les chinois, avec leurs propres éléments, que chez les
hindous, avec l'ether et les quatre éléments traditionnels, comme
l'exploite Sri Aurobindo dans son magnifique « essai sur la
Guîtâ ».
Même
si nous dérivons différemment le 5, dans chaque système apparaît
le même miracle, les cinq constituants se complètent dans les
principes, mais dans la manifestation dynamique, ils ne convergent
pas, ils s'utilisent, s'affrontent, s'évitent, s'excluent, empiètent
les uns sur les autres — mais ils ne se combinent pas
facilement. Une simple réflexion permet de percevoir d'étranges
dysfonctionnements possibles entre le haut et le bas, la
gauche et la droite, et en transversale également. Hypertrophier un
des bras permet de renier ou presque la jambe en transversale.
Beaucoup de mystiques s'infligeaient des mortifications et même des
blessures, tandis que certains rationalistes hypercérébraux peuvent
se faire écraser dans la rue par un autobus tandis qu'ils résolvent
une équation, car ils n'ont pas conscience de leur corps ni de
l'environnement.
Utiliser
la scrutation systémique, toujours en vue de l'unité, me
paraît un bon principe. Cela « fonctionne » avec le
deux, le yin yang, avec le trois et les guna, avec le
quatre (les esprits des éléments ou la méditation quantique), avec
les cinq éléments chinois, avec l'étoile morphologique qui nous
occupe aujourd'hui, ou les agrégats du samkhya, ou encore
avec le septenaire astrologique, avec les huit trigrammes du
yi-King, jusqu'au dix séphiroth. Il reste à utiliser correctement
ces outils, ce qui n'est pas donné à tous, étant donné que le
mental adore se raconter des histoires.
Le
narcissisme spirituel, ce n'est pas si négatif que cela, parfois il
est même innocent. C'est la première prétention du mental à être
supérieur à l'animal, ce n'est pas catastrophique. Souvent, en ce
qui concerne des personnes qui viennent d'entrer dans la voie
spirituelle, ce qui émane d'elles, c'est une forme de nouvel orgueil
: « maintenant je sais de quoi il en retourne » et elles se
promènent avec une grosse dose de récupération vitale, mais
elles ne s'en rendent absolument pas compte. On revient toujours
aux guna. Le problème c'est de ne pas surenchérir sur les
épreuves en se prenant pour un héros. Dans le combat, on n'a pas le
temps de penser à l'issue, — la victoire ou la défaite, parce que
si l'on anticipe on le perd, c'est déjà trop tard.
Le
clin d'oeil du Tao:
à
un moment donné, le combat devient plus important que l'enjeu du
combat.
Pour
la conscience, ce sont les changements de seuil le plus important, et
la Bhagavad-Guîtâ laisse entendre qu'ils ne sont possibles qu'à
condition d'un engagement aussi crucial que celui du soldat sur le
champ de bataille. C'est vrai absolument partout, dans le mental,
dans le vital, dans le service, à un moment donné une bifurcation
se présente, un seuil amorce une nouvelle perception d'ensemble, à
condition qu'on ait cessé de « ronronner », de
s'approprier le temps pour en faire du semblable à ses préférences.
Le seuil est fondamental: l'étape franchie, ce ne sera plus jamais
comme avant. C'est pareil dans les épreuves, on peut très bien
venir à bout de petites épreuves et d'un seul coup trouver un champ
dans lequel les épreuves vont être largement plus puissantes et
supérieures ... mais l'on s'en moque dans la mesure où l'expérience
de ce qui s'est passé avant devient une arme. Nous progressons vers
de nouveaux seuils grâce aux victoires déjà accomplies. Ce
mouvement-là est toujours évolutif. Il sera nécessaire de
dédramatiser chacune des branches alors que les émotions
exigent que l'on se fasse du cinéma ! Le bras droit peut érotiser
la connaissance avec une jouissance trouble, l'ivresse de
l'élévation, et le bras gauche aussi peut facilement déraper dans
une expansion approximative, un investissement disproportionné dans
les arts divinatoires, ou l'occultisme, ou la recherche des plans
cosmiques ! On en revient donc au fonctionnement conforme:
se
libérer des survivances dynamiques pour les jambes,
se
détacher du résultat pour les bras.
Il
y a une chose inépuisable à accomplir: explorer le moi qui se
déroule, naître, grandir, mourir — que faisons-nous entre-temps ?
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J'avance
et je recule,
j'adhère
et je m'éloigne,
je
continue et je m'arrête,
je
commence et je m'abstiens,
je
prends et je laisse,
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le
tao, l'itinéraire, what else ?
A:
c'est l'histoire d'un petit être angélique qui s'appelle Véradata,
c'est un ménestrel divin, un jour il descend du paradis dans une
petite forêt et il croise un ascète qui médite depuis tellement
longtemps, il est tout couvert de poussière et de fourmis. L'ascète
voit Véradata et lui dit: « toi qui es cher à Vishnou,
demandes-lui un jour quand tu le verras, quand est-ce que j'irai au
paradis ». Véradata promet de faire ça pour lui et précise
que, quand il reviendra il le lui fera savoir. Il continue son chemin
et aperçoit une espèce de fou, un bhakti yogi qui saute de branche
en branche et qui crie, Dieu, Dieu, Dieu. Celui-ci demande à
Véradata « toi qui es cher à Vishnou, demande-lui quand je
pourrai entrer au paradis ». Véradata promet de faire ça pour
lui. Véradata retourne au paradis, demande tout cela à Vishnou,
redescendant dans la forêt quelques années plus tard et croise le
même ascète couvert de poussière qui lui demande la réponse. Oui,
répond Véradata, j'ai demandé et j'ai une bonne nouvelle pour toi,
tu vas atteindre le paradis dans trois vies. L'ascète répond:
trois vies ! Je ne pourrai jamais attendre aussi longtemps et là il
s'écroule désespéré. Véradata poursuit son chemin et croise le
bakhti yogi qui saute toujours de branche en branche en criant Dieu,
Dieu, Dieu. Il veut savoir la réponse de Vishnou. Véradata
répond: je n'ai pas beaucoup d'espoir pour toi, si tu peux compter
le nombre de feuilles de cet arbre, cela correspond au nombre de vies
avant que tu ailles au paradis. Et le bakhti répond: tu veux dire
que je vais aller au paradis ! Et subitement il connaît le Samadhi.
J
: il s'agit d'un personnage qui tient dans sa main une boule de
neige qui ne fond jamais. Un jour son frère, cordonnier de son
métier, lui dit: mais tu es devenu un sage mon frère, j'aimerais
bien te ressembler. Son frère répond: je vais venir voir à la
ville ce que tu fais, mon frère. Ce qu'il fait un jour, se mettant à
côté de lui pour l'observer. Arrive alors une superbe jeune femme,
une cliente du cordonnier dont ce dernier répare une chaussure. Le
frère du cordonnier est tellement fasciné par la beauté de cette
femme que la boule de neige qu'il tient depuis si longtemps dans ses
mains, fond. Le cordonnier, lui, reste extrêmement concentré sur
son travail sans être distrait d'aucune manière par la présence de
la jeune femme, à tel point que son frère lui fait cette remarque:
mais mon frère c'est toi le sage, regarde, moi ma boule de neige a
complètement fondu !
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