10 Janvier 2008
Me voilà obligé de tenir un double journal, un du jour, pour marquer les événements marquants, et l'autre rétrospectif, puisque pendant trois ans, j'ai cessé de consigner, et que d'autre part, avec le recul, certains événements prennent un sens plus profond, qui appelle de nouveaux commentaires. J'ai écrit pas mal de choses pendant cette période, dont quelques œuvres inachevées, mais je ne pouvais plus me pencher sur moi-même, et exécuter cette sorte d'examen de conscience destiné à laisser des traces de l'expérience supramentale qui continue son œuvre en moi. En ce moment même, j'hésite entre revenir en arrière, ou célébrer ce qui se passe depuis le 2 Janvier. Allons-y, c'est tout frais et merveilleux. Est-ce une loi de synchronicité, toujours est-il que je prends parfois de nouveaux départs dans le signe du Capricorne, puisque ma première big illumination a eu lieu le 27 décembre 67, l'obtention définitive du Soi le 4 janvier 74, la descente du supramental à partir du 10 janvier 1977. Or, c'est le 2 janvier 2001 qu'a commencé l'enfer de l'enfer, et pour être tout à fait franc, je ne m'en suis remis qu'en novembre 2006. (On trouvera plus tard le journal assez détaillé de cet enfer au carré (écrit à la main), et qui sera porté à la connaissance des zorrobindiens afin de dégoûter les nouvelles grenouilles de bénitier de sortir de leur mare).
Or voici que le 2 janvier 2008, je me réveille en Indonésie, dans mon nouveau pavillon, dans un état extraordinaire. J'étais arrivé la veille de France, fatigué il est vrai, et donc mon premier jour est merveilleux. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans le sommeil, mais je me lève avec le décalage horaire à 4 heures de l'après-midi, et j'ai l'impression d'avoir carrément de nouvelles perceptions physiques. Tout est clair, agréable, le corps est content, j'ai l'impression d'être un enfant, je perçois une force bienveillante dans l'existence, tout mon corps exulte. Le mental est calme, et l'ensemble de la personne est comme entrée dans un nouveau monde, que je croyais, naturellement, perdu. (Je vais avoir cinquante-huit ans, ce qui est une expression fausse, puisqu'ils sont derrière moi et donc concrètement perdus).
Et depuis, cela fait donc une semaine, je me réveille comme un bébé, sans tension, dans un état de plénitude physique incroyable. Je ne sais combien cela va durer, peut-être que les huit ans difficiles, (dont l'hiver 2001 où trois attaques consécutives de la mort, sous différentes formes, ont échoué), de 98 à 2006 ont enfin porté des fruits. Peut-être que mes trente ans de trituration permanente débouchent enfin sur quelque chose, peut-être que ce n'est qu'une étape avant de replonger dans des tempêtes. Pour le moment, je n'en sais rien. Mais le corps s'habitue vraiment au supramental, et le «mental physique», en tout cas le principe qui déclenche la dégradation physique et appelle la mort, ne profite plus de la nuit pour se «refaire». Depuis treize mois, cela allait mieux, mais depuis une semaine c'est carrément déconcertant: c'est comme si j'avais remonté le temps loin en arrière, sauf peut-être sur le plan sexuel, puisque ce que je sens comme une «régénération» n'a pas excité davantage mon désir. Mais je me sens comme quand j'avais 7 ou 8 ans, c'est comme l'état d'avant la chute. Je suis spontané, sans aucune crainte en arrière-plan, je bois littéralement chaque instant comme un nectar, dans l'innocence totale, sans rien en attendre de particulier et je reste intégralement moi-même. Je n'en reviens pas. Autant dire que les sanglots profonds de 2002 et 2003 où des voix intérieures me disaient «le corps n'est pas fait pour ça» en pleine descente de force supramentale, comme pour obstruer définitivement le chemin, sont loin. Je suis dans une phase où je crois que c'est possible de vivre avec le supramental en action permanente dans le corps, ce qui est maintenant le cas, avec des variations très conséquentes, sans être malheureux, sacrifié, sur des charbons ardents.
Peut-être faut-il trente ans de «débroussaillage» pour s'habituer, peut-être certains mettront-ils plus de temps, d'autres moins, en tout cas, si cela dure, je pourrai à nouveau présenter le yoga supramental comme j'aime le faire, non seulement un sacrifice et une nécessité évolutive, mais un prolongement paradoxal de la nature humaine entrant peu à peu dans autre chose, avec un corps qui s'habitue à brûler froidement, et une personnalité qui se délecte de ce qui arrive, comme si cela avait toujours été prévu pour qui supporterait le passage, c'est-à-dire, pour le moment, la torture. Non que je veuille donner raison à Satprem, avec lequel je ne partage aucunement la vision du monde, mais parce que lui et moi sommes passés par là. Lui en continuant de s'acharner contre l'humain, à monter en épingle son cri, sa révolte, moi en aimant tout inconditionnellement, convaincu que le Divin viendrait à bout de l'ignominie, sur laquelle je n'ai pas à renchérir, car ce serait du temps perdu pour le yoga. Mais nous avons bigrement souffert l'un et l'autre, moi je m'en vante beaucoup moins, car j'ai «résolu» en profondeur le principe de négation, grâce à des immersions longues et absolues dans des états de conscience que Satprem ne semble jamais avoir connus, premièrement parce qu'il ne les mentionne pas, et surtout parce que cela l'aurait définitivement libéré de son cri inutile, de sa révolte redondante et infantile, et de son manichéisme, qui saute à la gorge du lecteur à chaque feuille. Néanmoins, chacun fera le travail supramental avec les moyens du bord, et il n'y a rien à redire sur le cas Satprem, je voulais juste signaler pour ceux qui n'ont pas une grande dextérité intellectuelle, après tout chacun est ce qu'il est, qu'il n'y a pas lieu de considérer Satprem comme un modèle, et s'imaginer qu'il faut «voir les choses comme lui» pour être apte au yoga. C'est la culture du web qui m'a suggéré que certains ont pris le train en marche, en sautant dedans, et qu'ils se sont précipités sur une certaine image du supramental, incomplète.
Une fois de plus, j'ai l'impression que Lao-Tseu veut s'exprimer à travers moi, et qu'il insiste pour affirmer qu'on ne saute pas aux derniers barreaux de l'échelle sans se casser la figure. Il faut respecter les marches inférieures, et même si, par habileté, on parvient à monter en ne prenant le premier appui qu'au troisième ou quatrième barreau grâce à un bel élan, comme le ferait un alpiniste chevronné, le stratagème de sauter les marches pour monter plus vite possède néanmoins des limites sur tout escalier qui se respecte (c'est vrai que ça réussit avec les mini-escabeaux qu'on peut même vaincre à saute-montons). Mais le supramental est une nouvelle révélation: autant rester fidèle à l'adage fondateur de Sri Aurobindo: mon yoga commence là où s'arrêtent les autres. Ce qui veut probablement dire qu'il faut ratisser très large pour avoir une vision panoramique du Spirituel, ressentir ses aspects parfois différents, avant de croire que le supramental va remplacer tout ça. Se jeter dans l'aurobindisme comme s'il était sorti de rien, tout en s'entichant du premier témoin cautionné par la légende de Mère, autrement dit Satprem, me paraît être une voie de garage, et je ne vois guère que la lecture approfondie de Sri Aurobindo et de Mère pour compenser la dimension tragique dans laquelle Satprem a voulu embarquer tout le monde. Je m'en expliquerai encore quelques paragraphes plus loin, en ce moment, j'ai l'impression d'écoper sur le navire et de faire la course contre le naufrage. Ecopons, car une polémique entre les enfants de Mère me paraît indigne de ce que nous avons tous compris du vrai «nouveau monde», nous qui avons la chance d'être épargnés par notre aspiration lucide des contrefaçons mielleuses de l'avenir que le Nouvel-Age nous propose. Alors se jeter à la figure des appréciations sur Satprem, soit pour le défendre outre mesure (il n'a jamais prétendu être parfait), soit pour le remettre en question en «révélant des contradictions ou des décalages», sont deux attitudes qui, premièrement, n'entament en rien le vrai travail qu'il a accompli, et qui demeure un secret entre Mère et lui, prêt au martyre pour continuer son œuvre, et deuxièmement, parce que prétendre «cerner» Satprem n'amènera personne plus près du supramental.
Or l'ouverture au supramental doit être le seul but des aurobindiens, laissons les commentaires polémiques aux vendeurs de paroles fleuries, aux salons branchés, aux supporters déçus par leur club...
On peut faire ce yoga en accord avec toutes choses, et c'est même comme cela qu'il marche le mieux. Qu'on se souvienne de Sri Aurobindo voyant monter le nazisme dans ses poèmes de 1938, et continuant imperturbablement son travail, sans se laisser prendre dans des réactions ou jugements inutiles sur cette résistance. On sait que l'humanité ne vaut pas un clou, mais on l'accepte, et on ne prend pas prétexte de l'histoire mondiale ou de ses relations personnelles pour toujours «revenir» sur l'incurie humaine, ce qui, excusez-moi du peu, n'a vraiment rien à voir avec l'homme nouveau. Alors Satprem a-t-il manqué un épisode de son yoga, qui aurait fini par avoir raison de ses ambitions? Il est permis de s'interroger, non pas pour critiquer l'homme, je n'ai jamais vu personne se consacrer autant à faire de son mieux, mais pour expliquer son départ prématuré. Il n'y a pas d'autre mot, pour quelqu'un qui attaque la mort de front depuis 25 ans, et qui détaille son combat, et qui s'en va quand même à un âge «normal» pour notre époque. Puisque nous formons tous une bande de gens très perspicaces pour être parvenus jusqu'à Sri Aurobindo et Mère, indissociables, je vous imagine en train de vous demander pourquoi il n'a pas «tenu» plus longtemps. Il y a naturellement deux perspectives à cette question, qui se complètent, sans compter celles que vous pouvez inventer si ce «départ» vous affecte. La première est que la mort du corps physique, c'est quelque chose d'inéluctable, et que le travail du supramental ne cherche pas à créer un «corps de gloire», mais à le transformer de l'intérieur, atome par atome, ce qui est peut-être (mais je ne peux pas en apporter la preuve formelle) une autre entreprise que celle que nous avons vu réussir avec Ramalingam et Babaji, et le mythe des maîtres ascensionnés. Alors si Satprem et Mère ont vécu quelque chose de «différent», il n'y a pas de préalable, le but est connu, mais l'échec est inévitable. Il y a une telle distance entre l'intention et sa réalisation, une telle difficulté à vaincre l'obstacle, que le processus terrestre général commence, sans aboutir immédiatement au résultat escompté.
La deuxième perspective, qui complète la première, c'est que Satprem n'a peut-être pas vraiment su comment s'y prendre, dépassé par le travail et son enjeu, et qu'il a commis quelques erreurs. Je donne donc mon opinion là-dessus, car j'ai commencé le travail dans le corps sept ans avant lui, en janvier 1977, ce qui fait probablement de moi le plus ancien «yogi supramental» vivant sur la terre à l'heure actuelle, et comme seul le semblable connaît le semblable, mon opinion a forcement une certaine valeur. Dans les grandes lignes seulement, avec cette marge d'erreur qui provient du fait que je n'ai jamais pu serrer la main de Satprem puisqu'il ne me l'a jamais tendue. Il n'est pas question pour moi de prétendre donner un compte juste, avec les décimales en quelque sorte, car il m'appartient moins de parler de l'homme que de juger son attitude dans le cadre de la «descente du supramental», dont il a repris le flambeau après la disparition de Mère.
Satprem croyait encore diablement à la souffrance, il pensait encore que les choses eussent dû être autrement, ce qui est contraire aux premières grandes immersions dans le mélange de shakti et de conscience supramentales, qui me semblent guetter tout évoluteur faisant une expérience décisive pour la terre. Ces expériences d'immersion dans un absolu qui contient à la fois le Brahman et la Manifestation sur le même plan ondulatoire, constituent justement la preuve qu'il y a quelque chose au-delà du Soi et du Surmental, qui unit absolument tout dans la même dimension. Il y a même plusieurs couches dans cette révélation, mais elles se tiennent toutes. Le champ physique de cette dimension a été décrit par Mère dans un des premiers agendas, et je confirme que cette expérience existe, et peut durer plusieurs heures d'un véritable «voyage». L'ensemble de la vie, depuis des temps immémoriaux, est perçu comme un mouvement qui est à chaque instant au maximum de ses possibilités, mais il ne s'agit nullement d'une représentation mentale non-dualiste. C'est un fait qui est perçu par le moi comme une réalité allant de soi, imprescriptible, et sur laquelle il sera par la suite inutile de revenir. C'est donc une sensation de l'âme, qui traverse le mental, et perçoit par le corps physique l'essor de toute la Manifestation vers le Divin, d'autant que la shakti à ce moment-là en profite pour faire tournoyer les atomes des cellules, ou pour adombrer le cervelet ou descendre par le sommet du crâne. Nul être humain ne peut s'attendre à voir les choses comme cela, et l'expérience qui lui ressemble le plus, mais qui traîne quand même à une année-lumière derrière, c'est un trip de mescaline. (Je n'en ai pris qu'une fois, c'est ce qui se rapproche le plus.) Je compare avec la drogue, pour bien qu'on comprenne qu'on n'est pas là dans le domaine du mental, mais dans celui de la perception pure, qui comprend des procédures de conscience physique, et de nouvelles sensations corporelles, comme une extension du présent qui semble toucher le plus loin passé dans une harmonie parfaite. La seconde couche qui délivre du fardeau d'être humain, c'est Vasudeva, que Sri Aurobindo a expérimenté en prison à Alipore, et qui n'a pas cessé de me tomber dessus, pendant des heures, à peu près une fois par quinzaine ou par mois pendant mon passage à Auroville, la première moitié de 1978. Les deux derniers trimestres de cette même année, j'y étais encore, mais j'avais déjà buté sur des résistances maoussescostauds, et le travail se faisait uniquement dans le corps. Cette expérience est totalement intransmissible, puisqu'il n'existe plus que son propre moi, qui est donc devenu comme par enchantement le Moi de tous les êtres. Pour cette expérience, il n'y a pas de comparaison possible avec la drogue, ou quoi que ce soit d'autre, elle est absolument inimaginable, comme Satchitananda, ou le Purushottoma. Sri Aurobindo essaie bien de l'évoquer en disant «c'était Krishna, ou c'était Narayana,» mais cela ne fait que reculer pour mieux sauter. C'est évidemment la splendeur divine qui se dévoile dans la Manifestation elle-même, et il est bien évident qu'il est impossible d'approcher ces deux champs par le mental, ou de s'en faire la moindre idée par l'intelligence. Cela éclaire à un point inimaginable, et j'ose avancer que je n'ai jamais plus été le même après ces incursions. Le yoga en a d'ailleurs profité pour se développer à toute vitesse pendant sept ans, où mes corps subtils ont été inondés jusqu'à saturation de shakti supramentale, sans compter le début d'une trituration dans le physique. L'esprit manichéen, l'esprit générique ne peut pas résister à un tel traitement: le mal et le bien sont entièrement légitimés, comme les premières manifestations de la dualité entre l'Esprit et la matière. Il reste à combattre, certes, mais l'émotionnel n'en rajoute plus. Après avoir vu cela, on lutte contre le «cinéma» du samsara, mais il n'est plus révoltant, il est archaïque, un point c'est tout. Satprem n'a peut-être pas «fait» cette expérience, qui l'aurait libéré, définitivement, d'un vieux vague à l'âme, d'un désenchantement chronique qui cherchait à se projeter, comme un léger filtre, sur tout ce qu'il ressentait. Je n'ai jamais trouvé trace chez Satprem de grandes illuminations dans l'esprit, et il n'est pas insensé d'en revenir à la source, et de rappeler que le supramental n'est pas seulement l'énergie microscopique centrifuge de l'infra-atome, mais l'océan de la Conscience Suprême, dont les mystiques essaient de se rapprocher depuis toujours. Il semble que Satprem ait compensé ses lacunes d'expériences tout en haut, qui sont fort nourrissantes, par une puissante nostalgie de l'avenir divin, «un manque-à-gagner», qui pour moi ne possède aucune légitimité spirituelle. Que la Conscience soit liée à l'énergie divine originelle, c'est le mystère suprême, percé par Mère sur le plan occulte, et révélé à Sri Aurobindo.
Bien que Satprem ait prétendu chercher douze personnes, puis trois, pour continuer le chemin «ensemble» (carnets 1987), il a refusé de me rencontrer en 1978 (rien n'était plus facile, j'étais à Auroville), puis, malgré une cassette éloquente envoyée en 1981 à Micheline, on m'a laissé de côté, et en 1999, j'ai également été rembarré par le libraire de l'Institut, décrétant que je cherchais l'approbation des autres, en déclarant faire ce yoga, et souhaiter un contact. J'ai également mis au courant l'Institut de recherches évolutives, personnellement, de la création de mon premier site il y a plusieurs années (il portait un autre nom), sans que personne ne me réponde. Ne voulant contrarier personne, je leur expliquais que «j'hésitais» à évoquer Satprem sans leur accord. Je n'ai obtenu ni autorisation, ni interdiction, ni même «faites ce que vous voulez», on fait tout pour oublier que j'existe, ou alors cela n'a aucune importance que je fasse le yoga supramental. Seul celui de Satprem fait le poids. OK. Même si l'on me démolit de la part du supramental et en son nom (il resterait à voir lequel mais ce doit être possible, on s'y est déjà employé), je resterai amoureux fou de l'INTELLIGENCE, et je continuerai de faire des émules, parce qu'elle mène droit au Divin si on la respecte...
En fait, comme mes aficionados l'ont peut-être déjà compris (ne vous inquiétez pas, ils ne me cirent pas les pompes), j'ai fait tout ce travail sur le moi et le non-moi, car mon «moi» était déficient. Exalté, identifié, en osmose, ou indistinctement porté par le soi, j'ai mis longtemps à admettre que j'étais un individu, puisque je colle immédiatement à ce que je perçois. Le fait d'avoir été rejeté m'a permis de me fonder en moi-même, de moins attendre des autres, et d'acquérir de la force intérieure, de quoi mieux supporter l'état actuel de l'humanité. Tous ces gens qui prétendent s'attaquer aux murs, aux barrières, aux limites, aux prisons, et qui vous claquent la porte au nez, quand vous leur apportez sur un plateau ce à quoi ils prétendent aspirer, il y a, c'est vrai, matière à ronger son frein, éprouver du ressentiment, ou voir de la colère monter, ou même «péter les plombs» quand on a l'esprit rigoureux, et peut-être que Satprem s'en est moins bien tiré, dans un contexte très difficile où il se devait de «représenter» le prolongement de Mère, sans concessions. En fait, j'ai plutôt été dérangé par la tristesse à chaque rejet, et cela n'a pas laissé de traces, parce que j'ai su pleurer comme un gosse, au lieu d'en vouloir à tel ou tel. Et finalement, repoussé dans mes retranchements, j'ai pu me consacrer à l'essentiel, au détriment d'un certain «rayonnement», sur lequel d'ailleurs se sont appuyés certains pour me mettre de côté, vu qu'à mon âge, normalement, les êtres «réalisés» bénéficient de soutiens conséquents et de structures d'accueil importantes.
Je vois que le mot «supramental» fascine, envoûte, valorise, soutient, et que chacun tient à se l'approprier comme il l'entend... Pour s'imaginer qu'il joue dans la cour des grands, alors il ne faut surtout pas laisser entrer qui que ce soit qui pourrait briser ce rêve. On s'est barricadé dans Mère ou Satprem, on a investi là où il faut, et le reste semble suspect. Mais il n'y a pas de reste. Il n'y a que soi face à chaque moment, et tous les gris-gris sont abrogés. Et quand il s'agit de faire équipe, il n'y a plus personne, on craint la hiérarchie, on redoute des «postures», et chacun fait son petit ciel de son côté, suspicieux, ou à travers un clan minuscule, avec son petit code de «tenue recommandée» comme pour les soirées festives (on est foutu à la porte si l'on n'a pas respecté le dressing code). Sous prétexte que chacun est unique et doit tracer sa propre voie, on ne partage pas, c'est absolument incompréhensible (mais je l'accepte en fonction du principe de réalité), car tout aurobindien devrait se réjouir à la pensée qu'un nouveau candidat humain est manipulé par la shakti divine, cela va de soi, et bien non ! Qu'on trouve cela normal ou impossible, on rate le coche, car c'est vraiment très important pour tous que la chose continue au-delà de Mère et de Satprem. Devenir immortel dans un contexte aussi obscur, je crois que ce serait mettre la charrue avant les bœufs.
D'abord le Divin ne me demande pas de convaincre qui que ce soit que je fais ce fameux yoga, il me demande seulement de le faire, et c'est mon problème si, comme Satprem, j'ai tendance à voir pas mal de mauvaise volonté même chez ceux qui ont de belles bibliothèques ésotériques, et le jargon facile. La si belle théorie des guna a été récupérée et nivelée par les auroviliens, pour qui les choses sont simples. Si vous n'êtes pas de leur avis, et que vous contestez vivement, vous êtes rajasique, c'est-à-dire pestiféré, si vous n'êtes pas de leur avis, et que vous haussez les épaules, vous êtes tamasique, autrement dit pestiféré. Et si vous êtes de leur avis, vous êtes un mouton, et devenez corvéable. Quelle ambiance ! Même la fine fleur du langage des maîtres, des avatars, des travailleurs de la lumière, est devenu le code de référence des petits-bourgeois exotiques qui ne veulent pas se remettre en question, et qui jouent aux cow-boys et aux indiens en dénonçant les esprits libres, bienveillants, intérieurs et profonds, pour qui la réussite matérielle d'un village est moins importante que ce qui se passe dans les cœurs et les âmes. Il semblerait que vivre en état d'urgence, comme Satprem et moi le faisons, (et vous peut-être) soit une grâce particulière. Pour beaucoup d'aurobindiens et d'autres «chercheurs», le temps est encore quelque chose de sympa à dispo pour mener ses petites affaires... Avec cet état d'esprit, on voit les choses en trompe l'œil, sans aucune perspective, et on ne peut donc pas apprécier à sa juste valeur la nouvelle que le «yoga des cellules» continue. Cela s'aplatit sur la fresque et n'a guère plus de relief que le reste de l'actualité. Les notions de «priorité» diffèrent pour chacun, et je me suis même demandé parfois si je ne rêvais pas: les arguments que l'on m'a sorti pour éviter un week-end de mon témoignage étaient tellement faibles, de la part de ceux qui prétendaient y tenir, que peu à peu, comme Satprem, j'ai perdu confiance dans l'humain, parce que quelque chose s'érode à voir presque tout le monde s'engager, puis oublier. Et comme on peut d'autant mieux miser sur le Divin, sans baisser les bras, sans juger personne, on finit par établir que la meilleure spécialité humaine, là on bat tous les animaux même les plus rusées, c'est «faire semblant». Partout, on fait semblant, et plus on fait semblant en se persuadant du contraire, plus on est habile. On lit l'évangile de Thomas, mais on n'a jamais secouru personne, on apprend le pâli pour lire Bouddha dans le texte mais on refait trois fois l'addition au resto du coin pour apprendre le détachement, on lit Sri Aurobindo parce que c'est le meilleur, mais on ne fera jamais le moindre sacrifice perso pour venir à bout de son alcool, de son shit, de sa vie de patachon, ou de son ego manipulateur, etc... Alors oui, on démissionne dans les relations personnelles, on ne répond pas à des amis qui ne comprennent pas pourquoi vous les abandonnez, on ne cautionne pas tel ou tel éveillé spécialisé dans la louange de ses propres mérites, ils voulaient juste profiter de vous, mais ils appellent cela de l'amitié, et il faut le faire quand même, prendre de la distance, parce que c'est l'état d'urgence. On le sait, on le vit. C'est la guerre. Les gens parlent, et ne tiennent pas leurs engagements. On va enfin y aller, mais on traîne en route. On va enfin se donner, mais on attend un cycle planétaire qui va faire le boulot à notre place, puis on fait machine arrière dès que l'on ne se sait pas ce que l'on peut vraiment escompter... On aime la vérité, à condition qu'elle ne nous remette pas en question.
A la fin, il reste le Divin et soi, et quelques rescapés qui savent ce que vous représentez et vous apprécient pour de vrai.
Je regrette que Satprem ait conçu un monopole, qui lui a permis d'éviter tout dialogue ou remise en question personnelle qui aurait pu être suscitée par un «autre» faisant la même chose, n'empêche que sa vie c'est de l'exploit pur. N'ayant pas pu lui opposer de son vivant mon expérience, qui ne ressemble à la sienne que par certains aspects, il n'aura pu ni me démentir ni me cautionner, me laissant orphelin en quelque sorte, et obligé de «faire mes preuves». Et bien justement, je ne conteste pas les siennes, mais les miennes sont plutôt similaires qu'analogues.
Je démens formellement qu'il faille souffrir autant dans le yoga supramental, et c'est la raison pour laquelle je ne peux pas laisser à Satprem le monopole du témoignage sur la chose, ce qui me contraint, vu sa disparition prématurée, à numériser mes manuscrits pour les rendre accessibles à ceux qui «aiment» les témoignages directs, je dirais «saignants», sur cette action. Une partie de mon journal devrait donc pouvoir être accessible bientôt, et je signale aussi que je n'ai pas d'éditeur. Mais il devrait commencer à figurer sur le site.
J'attaque l'image réductrice du yoga que Satprem donne, c'est un point de vue technique, et non un jugement sur l'homme. Il a créé le monopole de la lignée de Mère, à travers une image sombre et tragique de sa lutte contre le Mensonge et la Mort, donnant de l'expérience supramentale une vision vraie, la sienne, mais qu'on ne peut généraliser. Ce monopole est historique, et il est fondé, puisque je suis parvenu au supramental sans l'aide de Mère, par mes propres moyens, ce dont j'aurai encore à me justifier par des écrits «personnels», que je trouve pour ma part moins intéressants que mes tableaux, tels que «les principes de la Manifestation» ou «cosmophilosophie». Pourtant, certains s'imaginent qu'à travers des comptes-rendus, dans le style Agenda ou Carnets, ils pourraient davantage se rapprocher du Divin.
Après tout, c'est possible, et je n'ai pas de raison de refuser l'accès à ces sources, sous prétexte que de mon point de vue, leur teneur manque d'intelligence, puisque les faits, pour aussi extraordinaires qu'ils soient, demeurent des informations quand ils sont fournis, alors que mes essais ouvrent des pistes. J'avoue aussi que je craignais dégoûter du yoga en révélant mes péripéties, mais après les carnets de l'Apocalypse, le journal de Natarajan sera comparativement du gâteau, bien que j'insiste quand même sur le fait que ce n'est vraiment pas de la tarte. Vu ma personnalité, il est pratiquement incompréhensible de ne pas avoir pu approcher Satprem, je ne découvre même pas par quelles structures mentales le scribe de Mère est passé pour s'interdire a priori de «reconnaître» une expérience analogue à la sienne. J'ai accepté la chose, c'est le cas Satprem, mystérieux, qui doit conserver une part de mystère sans que cela n'empêche qui que ce soit d'avancer, puisque le problème, c'est votre yoga à vous.
Je me sens à l'opposé de Satprem, puisque je baigne dans la reconnaissance absolue d'exister depuis mon enfance, et la souffrance inhérente à ce yoga, ne semble pas pouvoir entamer définitivement ce sentiment, bien que j'en ai été privé huit ans. (J'ai survécu à cette dépossession et j'ai même fait un boulot excellent pendant cette période 98-2006). Si vous voulez vraiment être découragé: n'hésitez pas, cantonnez-vous dans les livres bleus du marin breton, et cultivez la dualité du meilleur contre le pire, vous verrez bien où cela vous mènera. (Ou alors frimez, et dites que vous êtes prêts à souffrir autant que lui, mais si c'était vrai vous y seriez peut-être déjà !). Si, en revanche, vous pensez que l'expérience de Satprem est unique, infiniment respectable, mais qu'elle n'a pas lieu de servir de modèle, acceptez qu'un type comme moi parle autrement du projet divin, et le vive avec moins d'acharnement. Je me fends seulement de produire ces quelques allégations «pour ou contre Satprem», car je reprends mon journal, et que les deux événements importants récents dans notre cercle aurobindien de penseurs de luxe (les libérés y sont aussi rares qu'ailleurs) sont, d'une part, le décès de Satprem en avril 2007, et d'autre part le témoignage de Luc Venet, qui a écrit sincèrement semble-t-il «le guide du parfait petit saboteur à l'insu de son plein gré.» (44 pages quand même qui distillent un doute empoisonné, sous le titre enchanteur de la fin des illusions... Il se peut que Satprem se soit trompé, mon cher Luc, sur l'histoire des lettres, bref que tu aies «raison» sur des points particuliers. Les scories paranoïaques sont automatiquement délogées par la shakti, car le «mutant» vit en opposition radicale, et prend de plein fouet les incompréhensions. Dans mes premières années de transformation, j'ai prêté pas mal d'intentions fausses à mon entourage, je ne vois pas pourquoi Satprem en aurait été dispensé. Il faut passer par là, creuser toujours davantage, et ça n'a pas de fin: le subconscient remonte et s'appuie sur ce qui n'a pas été réglé chez le sujet pour contrefaire des impressions, et Satprem, pas plus que quiconque, n'avait tout réglé). Peut-on sortir de leur contexte les quelques erreurs de Satprem, pour en faire tout un fromage, vu l'odeur?
J'ai donc le droit de «faire dans la dentelle» en rendant hommage à cet homme absolument irréprochable, sans pour autant l'encenser, puisque le yoga de la matière contraint à des «erreurs obligées», c'est-à-dire en termes clairs, à des projections, même si elles s'amenuisent en force et quantité. Puisque je revendique d'en faire moi-même, j'aimerais qu'il soit admis que Satprem ait pu se tromper, et que même, il ne s'en soit pas toujours rendu compte, justement dans le champ relationnel, qui lui était particulièrement difficile. Qui n'a pas d'angles morts? Même Sri Aurobindo s'est débrouillé pour se casser le jambe sur un itinéraire qu'il connaissait par cœur... Cela n'enlève rien à la sincérité, j'oserais dire absolue, du sujet Satprem, car sinon je ne vois pas comment il aurait pu remonter jusqu'au Supramental. J'aurais pris également plus au sérieux le témoignage de Luc Venet si j'y avais senti le parfum d'une expérience directe du supramental, mais en-dehors d'une recommandation pour retourner à Sri Aurobindo, amputé de Mère, il se dégage une certaine souffrance de ce texte, celle d'un homme désabusé poursuivi par une mémoire quelque peu fétide dont il cherche à se libérer par le courage d'un aveu difficile à faire. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner le sous-entendu: il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu'à ses saints, en tant qu'autorité, Sri Aurobindo l'emporte. Je remercie Luc pour avoir osé «lâcher le morceau» quitte à s'attirer l'opprobre général, et je ne sens aucune forfanterie dans son texte. Je n'ai donc pas l'intention de l'accuser de quoi que ce soit, ni de prétendre qu'il s'est trompé sur tout, comme si Satprem était Dieu en personne. Perso, je suis au-dessus de tout ça. Le sauvetage de l'Agenda a été une entreprise divine, exemplaire, et a nécessité des frictions, je ne vais pas m'arrêter à des incompatibilités d'humeur dans l'équipage du navire, sur lequel nul n'a été engagé de force. Se plaindre de la traversée, il fallait y penser avant, avant d'embarquer.
Cela ouvre malheureusement la perspective que la sincérité elle-même est difficile à partager par les temps qui courent, et je l'admets. C'est la période où nous allons tous sur le front, pendant que les matérialistes perdent les pédales, et chacun dispose d'une telle intégrité à sauver que les équipes peinent à se mettre en place, et les anathèmes volent encore bas entre thuriféraires de la même espérance. Merci Luc pour ton intervention, j'espère qu'elle nous permettra à tous d'éviter de tomber dans le panneau du mythe d'un Satprem messianique, qui n'est plus d'aucun secours dans la voie qui nous incombe. Ce n'est pas le but du supramental de hisser un à un des héros exemplaires qu'on admire, qu'on croit sur parole: si but il y a, c'est que les êtres vraiment sincères qui vivent la durée comme une urgence, et non comme un faire valoir personnel, attirent par leur intensité la shakti divine, parce qu'ils sont prêts à tout pour la terre, c'est-à-dire à vivre le feu.
Qu'on puisse encore «faire des erreurs» dans le yoga supramental, cela va de soi, premièrement parce que la nature ancienne réagit mal aux chocs et aux déceptions et qu'elle est mise à nu, et deuxièmement, parce que ces chocs et déceptions pénètrent plus loin, puisque «notre» vulnérabilité est totale, et que le subconscient et le conscient se mélangent. (Ce point sera explicité plus tard avec des exemples, j'ai été «cassé» par trois fois rien pendant des années). Ce n'est pas moi qui vais jeter la pierre à Satprem, car je sais de l'intérieur que la moindre égratignure prend des proportions catastrophiques dans ce yoga, et que cela peut durer des années. Mes sources personnelles sur ce sujet vont suivre en partie.
Mais comme certains salivent et que je ne suis pas sadique, je vais quand même raconter un truc marrant: en 1978 donc, j'étais complètement exalté au fin fond d'Auroville, car le yoga supramental prenait forme. La shakti adombrait le bulbe rachidien, ça pétillait sec, les jambes flambaient agréablement, c'était merveilleux de chez inimaginable. L'autre livre rouge commençait à sortir, et le plus débrouillard de la communauté en obtenait un exemplaire dès parution. Il ne le gardait pas vraiment pour lui, et s'éclatait à citer des passages à table... Bref, je ne me souviens plus si je lui ai emprunté l'Agenda ou s'il a mentionné l'information, mais cela m'a fait vraiment très mal. J'apprends qu'il y a un faux Sri Aurobindo dans l'astral, pour détourner les badauds du vrai. L'estomac se contracte avec une sensation de vide, la nouvelle me porte un coup terrible. Moralité, plus de trace de la moindre action du supramental dans mon corps (qui en bénéficiait plusieurs heures par jour depuis des mois) pendant trois semaines...
Grâce à la controverse sur Satprem, chacun se trouve obligé maintenant de renoncer aux «représentations» du supramental, pour mieux s'en rapprocher dans la consécration concrète, car si le supramental constitue le chemin de la perfection, on peut néanmoins l'entreprendre sans y être parvenu, ce qui rend inévitable des erreurs de parcours, qui, rappelons-le simplement, remettront sur le tapis des positions karmiques, ou bien des attachements de la personnalité, ou bien encore des lacunes dans le processus de la consécration, ou même des tournures génétiques de perception, accidentelles, mais dont j'ai fait l'expérience et dont l'approche théorique existe déjà en partie en psycho-généalogie.
Pour en revenir aux différences d'avec Satprem, j'ai préféré le chemin de la réconciliation avec l'humanité, afin de découvrir l'amour, quitte «à perdre du temps», que de me prévaloir de mes talents spirituels pour pavoiser au sommet et nourrir l'idée d'une quelconque supériorité de ma personne. Je suis synchronisé avec des temps qui restent impossibles pour les autres, et je tâche d'éliminer les frictions, c'est une voie plus «humide» que celle de Satprem, mais la voie sèche m'enfermait dans des frictions et oppositions permanentes qui devenaient insoutenables, et j'y ai renoncé. Vu que le supramental, c'est l'Infini conscient, dès qu'il le touchera et s'y habituera, le sujet prendra position d'une manière très particulière, et s'imaginer donc qu'il puisse y avoir des «modèles» est absurde. Satprem n'aurait pas pu mener sa barque comme moi, ni moi comme lui. Un beau texte de Sri Aurobindo évoque différentes manières fondamentales de vivre le supramental, mais j'en ai perdu la référence.
Pour tout dire, il m'appartient seulement d'affirmer que le décès de Satprem était prévisible, même si je l'envisageais pour ma part, bien plus tard. Nous pouvons toujours nous demander pourquoi son chemin s'arrête aussi rapidement. Car s'il a fait son travail «dans le creuset» de manière impeccable, c'est que le supramental, contrairement à ce que Mère et lui prétendent, est loin de pouvoir attaquer la mort physique. Il est décédé à un âge relativement ordinaire, je le répète, et il faudrait être de mauvaise foi pour prétendre que son travail supramental a ajourné sa disparition. On reste donc fort dépité si l'on reste attaché à cette idée que le supramental doit se rendre à nos caprices idéalistes, et obtenir sur le champ que ses adeptes obtiennent l'immortalité physique. Sur le fond de la question, Sri Aurobindo et Mère ont raison, la mort physique est empreinte de fausseté, ce qui ne veut pas dire que cette fausseté puisse disparaître du jour au lendemain, puisque elle s'appuie sur des millions d'années d'expériences d'une part, et que la conscience divine, d'autre part, recherche avant tout l'état d'esprit de l'immortalité, qui est d'ordre supramental, et qui peut attaquer les modèles de la perception humaine habituels, même les plus inspirés. C'est à partir de la création de la nouvelle conscience que la mort finira par perdre du terrain, et il me paraît donc nécessaire d'affirmer avec toute mon autorité virtuelle et gratuite, et rassurez-vous contestable évidemment, qu'un équilibre doit être trouvé entre le travail de la shakti dans le corps, pas toujours agréable en effet, et les états de conscience supramentaux, qui n'ont pas à être menacés, en tant que facteurs d'ananda dans le sujet réceptif, par les difficultés que rencontre le corps physique. La «réussite» dans ce yoga, si l'on ose employer ce terme anthropomorphique (et duel avec son amant l'échec), reviendra au premier qui ne se perdra ni dans les méandres de la shakti divine aux prises avec la matière qui veut mourir - en sacrifiant sa félicité ontologique, ni dans la préservation des états de conscience gratifiants - qui réduiraient le travail pénible mais nécessaire dans les fondations du corps physique à leur plus simple expression. La shakti est tellement puissante qu'on peut tout perdre à s'acharner vouloir la garder, on peut perdre le soi, on peut perdre la plénitude, on peut perdre la communication: bref, on peut «se tromper». Bien sûr, on peut rectifier sans cesse, et utiliser les erreurs pour retrouver le cap, ce qui m'a bien été utile, des dizaines de fois. Les erreurs servent énormément, mais ce n'est pas une raison pour en abuser.
Je confirme, preuves à l'appui en ce qui me concerne, que la shakti entame bien le processus de la mort, mais qu'il est plus prudent de considérer que c'est un sacré morceau, et que le travail est donc interminable. (Huit ans de dépossession de soi-même pour parvenir à un certain résultat, c'est cher, ne l'oublions pas). Pour Mère, il est clair qu'elle a commencé le travail trop tard, en 1956, à un âge déjà respectable, et qu'un tel retour en arrière était impossible, la force d'inertie de la matière imposant son droit de veto, ou la terre n'étant pas prête, ce qui revient absolument au même car tout se tient. Pour Satprem, il est clair qu'il n'a pas commencé assez jeune non plus pour renverser le processus, et qu'il a conservé quelque affinité avec la souffrance qu'il voulait transcender, ce qui l'a peut-être retardé. Après tout, chacun est libre de comparer, de choisir, de se laver les mains, de ces mises au point pénibles entre les soi-disant «précurseurs de l'humanité nouvelle» que Mère, Satprem, et moi-même (plus d'autres, encore plus contestables peut-être) prétendons représenter. Et l'on peut aussi rejeter tout ça, en bloc, les polémiques, c'est une bonne solution, plutôt que se torturer à départager le vrai du faux. L'aspiration pure peut se passer de toute référence envoûtante, mais alors les préférences pour tel ou tel deviennent inutiles et n'ont plus à entretenir des réserves pour tel autre. Nous ne sommes pas des comédiens à qui décerner des prix.
Il faut naturellement réfléchir en profondeur pour comprendre le sens de mon intervention, et deviner toutes les perversions qui accompagnent la notion d'infaillibilité, si elle est attribuée à une personne. Satprem n'a pas à devenir le pape du mouvement supramental, mais j'accepterais volontiers d'être excommunié et traité d'hérétique par ceux qui s'emploieront à cette tâche. Je ne désespère pas assez de la bêtise humaine pour ne pas imaginer quelques intégristes satpremiens oubliant tout du yoga supramental pour se réunir en secret et comploter contre tous les esprits libres, que je représente d'ailleurs avec une éloquence qui poignarde les fanatiques de tout bord, ce que certains ne sont pas prêts à me pardonner. Je trouve qu'aimer Satprem est quelque chose de beaucoup plus pur que de lui décerner une infaillibilité à laquelle il n'a jamais prétendu, et qui nous ferait prendre les traces de son imperfection pour des empreintes elles aussi divines. Dans la foulée, je me permets aussi d'aimer Luc, si nous devions n'aimer que les êtres parfaits, à part le Christ, Mère et Sri Aurobindo, et une poignée d'autres, ce seraient toujours les mêmes qui recevraient notre amour, et ce sont sans doute ceux qui en ont le moins besoin.
J'en reviens donc à mon propre itinéraire, que je ne peux comparer ni à celui de Sri Aurobindo (depuis mon enfance, je n'aurais jamais pu miser un seul kopeck sur une action historique pour faire avancer les choses), ni à celui de Mère, inclassable, ni à celui de Satprem (je me suis très peu opposé, et en revanche j'ai beaucoup adhéré et absorbé, je n'ai cessé d'apprécier). J'affirme qu'il faut inconditionnellement tout accepter, - quitte à réveiller rejets, dénis, blessures, et les faire mûrir puis guérir -, pour entreprendre le yoga de la matière, et descendre dans les non-dits affronter les barrières, descendre dans les douleurs sombres briser les murs des maléfices.
J'affirme qu'il faut rouvrir les plaies mal fermées, pour éviter des abcès à retardement.
Accepter inconditionnellement le réel ne veut pas dire qu'on l'approuve. Mais qu'on cesse de dramatiser. Quoi que ce soit. Le supramental proprement dit ne peut rien dramatiser. Ou alors, ce n'est pas du supramental. Ou alors, il est employé mais tombe sur un os qui lui résiste, une subpersonnalité qui le détourne, et le récupère. J'ai mis longtemps à dissoudre toute dramatisation, peut-être reviendront-elles sournoisement, mais pour le moment je prétends que tout est dans le meilleur des mondes possibles quand on fait bien son boulot. Sri Aurobindo affirme que l'homme est amoureux de sa douleur, c'est-à-dire que l'on trouve des moyens pour ne pas en sortir, parce qu'on l'aime, ou qu'on la respecte... Qu'ai-je à perdre à dire moi aussi, sincèrement, ce que j'éprouve? Je me bats pour la Terre, je suis sur le front... Cela a failli casser plusieurs fois, et en 2004, une voix est montée en moi, très profonde, et sans faire aucun chantage s'est adressée au Divin: «A ce prix-là je ne peux pas continuer... Le jeu n'en vaut pas la chandelle». De la souffrance est remontée, s'est libérée, de gros paquets, par vagues, assez brèves mais puissantes. D'énormes sanglots d'enfant qui vient de perdre sa mère, une lassitude absolue. Mais c'est parti, et quand ça revient, le souvenir VIVANT de cette souffrance, les larmes me montent aux yeux, et ça libère, et oui, il faut, un jour ou l'autre libérer les mémoires trop noires. Il semble que Satprem n'arrivait jamais au bout de ce processus. Qu'il ne savait pas «craquer», ne serait-ce que pour s'accorder un peu de répit. Et tout cela est bien conforme à son thème natal, alors oui, Satprem est allé jusqu'au bout, et ça n'a pas suffi, parce que le supramental, c'est une nouvelle histoire pour l'humanité, un balbutiement encore, et qu'il faut changer d'échelle de valeurs pour le comprendre concrètement. L'hypothèse a bien avancé, déjà. Et c'est ce qui compte.
Il semble que finalement il ait trop enduré, et que la volonté seule ne suffisait plus à faire en sorte que le corps supporte davantage, et il a dû partir malgré lui: il était prêt à endurer plus, encore et encore, mais la «nature» a laché.
En-dehors de célébrer que la chose continue, que «ça» continue et que je le supporte, en-dehors de faire des mises au point harmonisantes dans une intention holistique, (et non pour rabaisser Satprem ou me valoriser à son détriment, ce que croiront les egos supérieurs qui abondent dans nos rangs), il me semble que ce que j'ai à dire devient facilement du bavardage. Restons-en à l'essentiel. C'est possible. L'aventure continue. Satprem s'y est donné à fond, sa vie a retrouvé un sens absolu qui manque encore à la plupart des zorrobindiens endimanchés, des chercheurs d'absolu en pantoufles, de tous ces tièdes et tiédasses pour qui s'impliquer se résume à faire semblant de se jeter à l'eau, tout en observant d'un œil méprisant les mouvements des nageurs, à l'affût d'un défaut de style.
Peut-être sommes-nous quelques-uns dans le vrai bain, qui surnageons puisque nous sommes capables de pardonner au réel d'être ce qu'il est, sans que cela nous empêche de le transformer par l'amour. Dans ce contexte, il est presque obscène que je sois obligé d'arbitrer une controverse sur un homme sans lequel l'expérience la plus fondamentale de l'humanité ne serait peut-être pas parvenue au public, ou bien entièrement édulcorée, trahie, vidée de sa moelle... Bref, chacun fait sa route de mythe fondateur en réalité crue, de cime en abîme, d'éblouissement en noirceur, puissiez-vous accueillir autant ma mise au point que celle de Luc en transformant le fiel en miel: rien n'empêche, le reste, quand ça tombe dans le quand dira-t-on, c'est des commérages de vieilles femmes qui s'ennuient. Lao-Tseu le confirme, quand il me chuchote des commentaires:
«L'hétérogène demeure proportionnel à l'homogène.»
Plus l'unité avance, plus la discorde triomphe. Je suis désolé, mais tout le monde a raison, Satprem, Luc, moi et les autres. La vraie chose ne se passe pas sur le plan des dissensions individuelles, libres à vous de croiser le fer pour des vétilles, le Divin apprécie beaucoup, mais l'immense terrain de jeux ne vous accueillera que quand vous accepterez que tous les autres joueurs puissent y entrer aussi, sans votre autorisation, sans que vous leur fournissiez le maillot estampillé conforme. Vous n'avez pas le monopole de la règle, et nul n'a à porter votre uniforme pour y entrer. Qui prétend encore faire la loi du spirituellement correct alors qu'elle a TOUJOURS échoué?
Sur la période de Mars 2001 - Journal rétrospectif
Je savais que je n'avais plus que quelques semaines pour me rétablir et ne pas devenir fou. Je passais depuis le 2 janvier une nuit sur trois, parfois sur quatre, à ne pas pouvoir dormir, tandis que les échanges chimiques de mon corps étaient devenus complètement chaotiques. Rien ne pouvait me permettre de dormir, je devais sans doute produire des quantités invraisemblables d'adrénaline, des filets électriques me déchiraient le dos, des énergies inconnues naviguaient de la tête aux parties génitales en créant toutes sortes de sensations désagréables, les organes internes faisaient un bruit de plomberie, du pancréas à l'intestin, mes poumons s'écrasaient, et si par chance je parvenais à m'endormir, je devais me réveiller immédiatement car les poumons, au bas de l'expiration, ne reprenaient pas leur course vers l'inspiration. J'étais réveillé par l'asphyxie. Des mémoires universelles de frayeur ont été libérées (dont la peur de ma mère pendant les rondes des allemands en 1942, puisqu'elle cachait des juifs), mais pour faire sortir tout cela, j'ai dû endurer bien mieux que l'enfer. Plus la nuit plongeait, plus toutes les terreurs accumulées par l'espèce envahissaient ma conscience, et grâce à un mantra très puissant, je parvenais quand même à tenir jusqu'à l'aube. Quand l'aube se levait, le maléfice parvenu à son paroxysme, s'arrêtait rapidement, et j'allais cueillir l'aurore comme la première fleur. (Je peux me vanter d'avoir compris la symbolique de la lumière directement dans mon corps au bout de ces supplices répétés). J'avais chaque fois une journée pleine d'énergie devant moi, où je montais dans des plans de conscience très élevés, et vers le crépuscule, l'envie de dormir arrivait, et comme la crise avait eu lieu, je savais que cela se passerait merveilleusement bien cette fois. Avant de dormir, mon corps était plein de reconnaissance, une sensation inconnue, la matière biologique rendait grâce à sa manière, c'était comme une prière du corps physique, rempli de gratitude, et je m'endormais.
Mais rien n'arrêtait le cycle....
Finalement (je le raconterai plus tard plus en détail), un jour j'ai su que j'allais m'en tirer. Ce devait être en avril, dans ma voiture sur un parking, la «sensation» que le cauchemar va se terminer s'impose. Naturellement j'ai pleuré un peu, j'étais en quelque sorte «content»... Car la peur qui se formait «de ne pas pouvoir en sortir» avait pris une force terrible quand elle se manifestait: elle s'appuyait sur toutes ces nuits blanches épouvantables, j'avais l'impression que c'est la mort elle-même qui parlait. Mais je ne retrouverai ma vibration, ma note perso, que fin 2006.... Toutes sortes de nouveaux adversaires se sont manifestés après le rétablissement, quand même, et j'ai en eu tellement marre que j'ai cessé le journal pendant trois ans. Pendant lesquelles d'immenses prises de conscience et d'immenses descentes.
Depuis peu, je me suis rendu compte que je ne suis parvenu jusqu'ici que pour une seule raison: j'aime. J'aime principalement trois énigmes qui me nourrissent, le Divin, l'intelligence, la vie (l'ordre de prédilection est soumis à des variations saisonnières). Je n'ai pas eu besoin de suivre une voie. J'avais oublié l'itinéraire, car trop de souffrance entame l'amour, et je n'ai pas été épargné.
15 Janvier 2008
Et cela n'était pas suffisant. Il faut encore, désormais, que je m'aime «moi-même». Tout ça pour dire que mon approche du moi et du non-moi repose sur ma seule expérience, puisque souvent, quand on tient l'un, l'autre s'évapore: le retour sur soi devient prison dans le déni, l'ouverture à l'altérité effiloche la volonté et l'intégrité dans l'osmose gratifiante et cultivée. D'où mon expression favorite: surfer. Se perdre dans l'objet, ce qui menace la mystique floue, ou se trouver en bâtissant les murs de sa propre prison, ce qui pend au nez des jnanins qui coupent les cheveux en quatre, sûrs de leur fait et qui restent «enbullés» dans leur cosmogonie, c'est la même chose: c'est l'histoire de l'humanité à laquelle j'échappe, grâce au grand soleil inconnu, si puissant, si divin, qu'il perçoit la mort comme «remplie de fausseté», c'est-à-dire qu'il s'y attaque vraiment, avec son ondulation supramentale. Mais pour cela, le moi et le non-moi doivent déjà et d'abord s'épauler, et c'est ce qu'on appelle la sâdhana ou la voie. Et elle est difficile, puisqu'on peut se perdre en trouvant la voie: on suit l'itinéraire parfaitement mais sans «âme», avec une obéissance mécanique... Et inversement, on peut perdre la voie en se trouvant soi-même... Finalement l'on prétend se connaître et avoir sorti son épingle du jeu, on s'arrête en chemin, mais le contact exhaustif avec le réel ne s'est pas produit: il aura trop été instrumentalisé (ce qui le réduit) pour laisser apparaître sa véritable nature... Les meilleurs chinois disent: un mouvement yin, un mouvement yang. S'ouvrir et intégrer, s'ouvrir et intégrer. C'est pratique, car cela ne peut pas avoir de terme. Quand on s'ouvre sans savoir intégrer, on plafonne, on imite, on donne des coups d'épée dans l'eau, on ne tire pas de leçons, on rectifie peu, on méprise les cartes, on se la pète en ne jurant que par le ressenti; quand on intègre à tire-larigot sans s'ouvrir, on plafonne aussi, dans un circuit fermé sur mesure, et l'on vit sa vie comme si elle n'était qu'un jeu numérique, un spectacle programmé sur cet écran de console auquel on est accro, «ma vie», et qui obéit inlassablement. On peut prétendre même savoir où l'on va, ce qui prouve définitivement qu'on n'y a rien compris, au barattage que le Divin exige. Le réel finit par s'aligner étroitement sur ce qu'on lui demande de représenter, et il n'existe plus hors du cadre de ce que l'on peut en tirer. On «intègre» avec dextérité tout ce qui va déjà dans son propre sens, et le reste n'a donc pas plus de valeur que des détritus, à moins qu'une ruse ne le récupère pour en absorber le caractère subversif.
Surfer m'a sauvé de l'incarcération et de la dispersion, les deux menaces qui fondent sur l'être qui cherche à se dégager de l'emprise du passé, et la pression supramentale m'a forcé à une navette impitoyable entre le sujet et l'objet, jusqu'à ce que je cesse de les confondre, accepte les pertes de l'objet, souvent considérées comme des défaites, tandis que de l'autre côté, j'acceptais aussi la solitude du sujet, imprescriptible et inaliénable, capable de faire face à toute situation. Je remercie le Divin pour cet entraînement hors pair, que je n'aurais pu trouver nulle part ailleurs, et surtout pas dans le Soi, et qui m'a permis d'inventer une sorte de psychologie transpersonnelle qu'on subodore dans certains de mes écrits. Chacun a tendance à fuir ce qui le gêne, soit en bâtissant des murs et des grilles qui rejettent les embarras dans un domaine étranger, soit en errant à l'improviste sans jamais rien établir, le regard toujours fixé sur l'horizon, avec une désinvolture forcée, afin d'éviter de se souvenir de toutes les casseroles qu'on traîne dans son sillage...
Il est donc nécessaire de se libérer de nombreuses mémoires qui empêchent une ouverture absolue, et concoctent des œillères. Et il ne faut pas en recréer de toutes pièces, en conservant des attachements, ce qui rend le travail presque impossible. Il n'est pas nécessaire d'être un insoumis, c'est encore le contraire de quelque chose, et ça aiguise des dualités, mais ce n'est pas non plus tout le monde qui peut tout accepter sans en être affecté d'une part, et sans sombrer dans l'indifférence d'autre part. Nous avons tous besoin de réagir pour évoluer, réagir au mal, à la souffrance, à l'ignominie, mais la paix supramentale peut s'installer et montrer ces réalités comme les survivances d'un décor à abattre, ce qui permet d'avancer vite, sans se décourager, en libérant l'émotionnel, en nettoyant les écuries d'Augias, en implantant une foi solaire sur des champs de bataille fumants, avec la désinvolture nécessaire pour continuer le chemin la tête haute, alors que la mort ricane de ne pas pouvoir nous contenir dans le spectacle qu'elle nous offre. L'intelligence voit sans recourir aux contraires, et cela doit descendre y compris dans l'état émotionnel pour en finir avec la boue des jugements fratricides et des vérités supérieures qui torturent les plus petites, à jamais. Les grandes vérités sont des inquisiteurs patentés, qui soupçonnent les petites vérités de ne pas être à leur service, et les oppriment: c'est excrémentiel, mais c'est cela qui tient les cultures.
La conscience supramentale ne peut pas «travailler» indéfiniment dans des êtres humains qui se considèrent encore, à un titre quelconque, comme des victimes, d'autant qu'elle est tout à fait capable de dissoudre ce type de compulsions si l'on ne s'y accroche pas. L'hypothèse que Satprem a trop basculé du côté shakti, ou énergie, au détriment du côté purusha, ou conscience, me paraît fondée, au bout de mes trente et un ans de contact avec le Divin, et je ne l'émets pas pour rabaisser Satprem, mais pour donner une explication à son départ «prématuré» par rapport à ses aspirations. C'était une nécessité historique, «creuser vers le bas», et sans doute prolonger une partie du travail que Mère n'avait pas pu faire. Il ne pouvait pas faire autrement. Il est inconcevable de lui reprocher sa démarche, même s'il apparaît moins parfait que Mère ou Sri Aurobindo. Et tout laisse entendre au contraire que chaque explorateur solaire sera aux prises lui-même avec ce curseur mouvant entre les nouvelles perceptions gratifiantes qui passent par l'esprit, et étoffent le moi (un peu comme chez les rishis védiques), et les perceptions inconnues, merveilleuses ou intolérables, qui proviennent du travail de la shakti dans les organes, les muscles, le cerveau, et qui changent la forme de l'incarnation et la manière d'appartenir à la terre. Rien dans le supramental n'est facile, et Luc Venet devrait se demander ce qu'il en aurait fait pour se mettre tant soit peu à la place de Satprem et s'approcher d'une compréhension de son attitude.
Les échecs face à la mort, y compris, peut-être le mien, (je me tamponne de cette question qui revient au Divin Lui-Même), devront servir à une typologie du changement d'espèce, et à éclairer les successeurs. On peut donc s'amuser à critiquer Satprem comme des champions d'échecs refont des parties entre eux, et perdre des heures à se demander si tel coup n'aurait pas été meilleur, (comme par exemple que nous nous rencontriions), mais en tout état de cause, la partie a été jouée. Et les appropriations que nous pouvons nous faire de Satprem, à travers l'intellect, l'admiration, la complicité, demeurent de petites ouvertures, des fenêtres, par rapport à la grande porte d'entrée que chacun peut ouvrir en soi au Divin, en comprenant les implications de l'engagement, dont beaucoup sont des contraintes et des sacrifices. Sur ce plan, Satprem demeure un exemple pour tous, et on ne peut donc l'égratigner que sur certains détails, de petites choses, qui s'emboîtent dans le pourtour d'ensemble: autant dire que les analyses négatives ne servent pratiquement à rien, sinon justement à prendre confiance, car si l'imperfection du «marin breton» est reconnue au lieu d'être dissimulée, c'est notre intelligence qui y gagne, et notre vanité qui y perd. Cela veut bien dire que le supramental n'est pas seulement accessible aux avatars et aux maîtres, mais aux hommes et femmes moins accomplies qui sont prêts à tout pour évoluer.
16 Janvier 2008
Libérer les mémoires... Quand on sait vraiment lâcher prise, le travail se fait inopinément, et d'un seul coup, on peut sentir des résistances qui lâchent. Le subconscient peut apprendre à vomir ses mémoires sales, et il faut l'y encourager. Mais certaines survivances dynamiques, comme le ressentiment, la haine, l'obsession critique, ou le culte mental de la peur (se trouver des raisons d'avoir peur et les justifier) peuvent au contraire poser des verrous supplémentaires.... Bref, à part aimer au-delà de l'objet, aimer indistinctement et inconditionnellement, comme Satprem aimait Mère, il n'y a rien, me semble-t-il, qui mène directement au supramental. Et même la mort, malgré son mensonge, ne me paraît pas haïssable. C'est peut-être la seule force de la nature qui ne s'est jamais trompée. Alors chapeau. On peut lui faire confiance pour ne pas laisser passer n'importe qui à travers ses mailles. Ce sera donc le premier homme ou la première femme divinement parfait(e) qui deviendra immortel(le) dans son corps physique le temps de passer à autre chose, (et non dans son corps éthérique ou astral), mais je doute que quiconque puisse émettre des pronostics fiables sur cet exploit.
Et franchement, cette hypothèse nous concerne-t-elle vraiment... C'est plutôt une pâtisserie fine pour notre ego de luxe. (Votez pour l'homme ou pour la femme)...
Pour le moment, la terre rencontre beaucoup de problèmes, et recrute des hommes et des femmes sincères, qui ne se la jouent pas «j'ai tout compris, c'est aux autres de faire mieux,» mais agissent pour la Conscience. Sans tambour ni trompette. Et sans demande d'approbation.
17 Janvier 2008
Il m'en a coûté de prendre position sur Satprem, mais le Divin en moi a dit d'un seul coup «j'en ai assez des petites phrases !» et il m'a en quelque sorte ordonné de défendre Satprem. Ces petits flashs sont amusants, et doivent constituer une sorte de nouveau pouvoir. La manière dont la phrase se forme est tellement impérieuse, et ce dans un état de clarté mentale absolue, qu'il est clair que la vraie vision pousse un pion sur l'échiquier. Puis «ça» se retire, mais je sais ce qu'il me reste à faire. J'ai l'habitude de ces irruptions, assez rares cependant, et elles mettent toujours un terme à des atermoiements. Alors maintenant je m'attends à tout, mais vu que la vraie guerre, je la mène sur un autre plan, largement en amont, pendant le sommeil, les incompréhensions que je peux susciter ici-bas ne sont pas catastrophiques, et je sais déjà d'où elles viendront, de tous ceux qui ne me pardonnent pas d'être sorti des dualités, et qui aiment pourfendre au nom de la Vérité. La perfidie est le serpent le plus habile que je connaisse, et il ne laisse personne tranquille. Même des êtres évolués, des maîtres, en font les frais, dès qu'un fait s'écarte vraiment de leurs attentes et de leurs conceptions, ils sont capables de sortir des horreurs, le jeu consistant naturellement à les enchaîner dans une telle rigueur que cela prend la forme d'un argumentaire. Alors peut-être va-t-on s'imaginer des tas de choses absurdes, juste parce que j'obéis au principe de réalité, et que je donne une explication (la mienne) à la fin prématurée de Satprem. Nul n'est obligé d'en tenir compte, naturellement, tout dépend à quel niveau on saisit mon discours, et si son intention n'est pas perçue, on passe à côté de la plaque. Or l'intention est claire, je me démarque et prétends que le yoga supramental, c'est AUSSI beaucoup d'autres choses possibles.
Satprem et son cri, c'est son histoire à lui, ce n'est pas la mienne, il y a longtemps que je ne crie plus, parce que personne ne m'entend et que personnellement, cela ne me sert à rien. Et ce qui ne me sert à rien m'encombre. Je dis non au cri de Satprem, pour moi cela n'ajoute rien à la démarche supramentale, et risque même de la pénaliser. Que certains croient au cri, en imitant Satprem, no problem. Qu'on se fasse du cinéma avec des ennemis extérieurs, comme la Mort ou le Mensonge, c'est ok. Pour moi, les seuls ennemis sont intérieurs, car dehors «rien n'empêche». C'est ce que certains ont senti en novembre 73, quand elle est partie, et c'est la seule chose que le Divin me demande de confirmer. Rien n'empêche. Prenez-en à vous-mêmes si le supramental ne vous a pas encore choisi. Le mensonge fait son boulot, la mort fait son boulot, ils ne vont pas commencer à vous cirer les pompes parce que vous avez feuilleté «la Vie divine». Accuser le mensonge, c'est faire son jeu, haïr la haine, c'est encore elle. Les seigneurs des survivances dynamiques ne vous en veulent pas personnellement, vous vous trompez d'adversaire. L'adversaire est en vous, et vous le savez très bien, le mettre à l'extérieur, c'est le meilleur moyen de ne jamais aborder ses démons.
Satprem a fait une avancée incroyable, que je respecte infiniment. N'empêche qu'il n'est pas nécessaire d'avoir le même fichu caractère pour en faire autant, c'est-à-dire s'exercer à l'impossible. Disons pour ne fâcher personne, il n'est pas nécessaire d'avoir le «même profil psychologique» pour en faire autant, c'est-à-dire s'exercer à l'impossible.
Je regrette que les esprits trop carrés ne puissent pas me suivre, puisque je rends un hommage fervent à Satprem d'un côté, tout en égratignant le mythe de l'autre, mais tout cela est fort cohérent, cela s'appelle même des nuances, et sans elles le jugement, c'est un redresseur de torts ou un thuriféraire. On sait que le terme de héros magnifie des hommes exceptionnels, et l'on sait aussi que si l'on creuse derrière leurs exploits, on trouve toujours quelques travers en cherchant bien. Si tel n'était pas le cas, le supramental ne serait pas nécessaire. Nos prouesses politiques, nos engagements sociaux, nos sacrifices auraient depuis longtemps changé la face du monde, toutes nos rues portent le nom de centaines de héros qui n'ont pratiquement servi à rien. Les meilleures révolutions foirent et les meilleures religions échouent parce que la base reste inchangée, c'est-à-dire que la personnalité humaine, en-dessous du mental et de l'idéal, est encore un fauve mâtiné de serpent. C'est cela que le supramental va changer. Et quand on attaque la mort, tous ses valets la défendent, dont l'esprit de démission, son émissaire favori, qui vous fait le tableau de la réalité et vous l'inflige. On continue quand même. J'ai passé plusieurs jours dans les mémoires de l'enfer, la guerre et l'Inquisition, en 1986, car mes «avancées» dérangeaient beaucoup, les «champs» s'acharnaient sur moi, mais finalement ce n'était que des fréquences, et j'ai traversé, mais c'est vrai l'adversaire envoie beaucoup de salves. Mais si l'intérieur ne répond pas, l'ennemi ne peut pas grand-chose. Faut-il donc s'étonner qu'il faille encore des défaites dans un combat pareil, c'est-à-dire des hommes qui meurent, alors qu'ils font tout pour y échapper en s'appuyant sur la shakti divine? N'exagérons rien. Le Divin cherche à se manifester, ça lui est difficile, et il s'agira de renverser le mouvement, compter plus de «mutants» sans doute pour parvenir à des résultats concrets contre la mort physique. Les Sri Aurobindo ne courent pas les rues. Ce qui est souhaitable, c'est une «contagion», et elle n'aura jamais lieu si nous passons notre temps à comparer les précurseurs et à cultiver notre esprit de chapelle dans des querelles de clocher.
J'en ai assez des petites phrases.
Il ne s'agit pas de choisir une pâtisserie, mais de se consacrer à la recherche de la Vérité, qui peut se permettre d'agir dans des individus différents, qui conservent chacun une subjectivité créatrice qui les différencie, et semble même parfois les opposer sur le plan des «formes». Le supramental ne fabrique pas de clones, il ne satpremise pas, il n'aurobindone pas, il ne natarajane pas non plus. En fait, il se moquera de vous tant que vous le prendrez pour un autre, et vous vous moquerez de vous-mêmes tant que vous vous prendrez pour un autre, fût-il meilleur parce que c'est un modèle.
18 Janvier 2008
On pensera aussi que je veux affirmer mon autorité, alors que c'est un concept vide de sens pour moi. Je sais que ça existe, j'ai même été brimé par un «préfet des études» chez qui le sadisme dédouanait les frustrations sexuelles, alors je me suis un peu frotté à cette imposture, et je n'aurai cesse de la combattre. Car tout s'enchaîne. Autorité dit moyen de la faire respecter, et moyen de la faire respecter dit intégrisme. Rien n'est plus facile que de créer des normes, pour inclure les conformes, et exclure les réfractaires. On gratifie l'acte conforme et on culpabilise sur l'acte hétérogène. C'est un système, et sans doute le système originel. C'est vrai qu'on aimerait que d'autres fassent le travail à notre place, et des esprits rusés ont remarqué les avantages extraordinaires qu'on pouvait tirer d'accepter de jouer au «petit remorqueur» avec les indécis. On les tire, ils avancent, et en échange ils se soumettent. Ce système peut à la rigueur marcher quand on tombe sur un Sri Aurobindo, ou sur Amma, car là il n'y a pas abus de pouvoir, ce que je juge exceptionnel. La question de savoir si un «mutant» peut transmettre la Force est très délicate, car cette énergie fait ressortir ce qui ne va pas, et ce qui peut tenir lieu de «darshan» est à double-tranchant. On peut recevoir quelque lumière, mais on peut aussi voir se projeter toutes sortes de compulsions contre le «maître» qui les débusque, si on résiste à sa parole. Voilà pourquoi je préconise autant le travail intérieur, puisque, mieux il sera mené, plus il permettra de jouir des contacts avec des êtres réalisés si on se donne la peine de les rencontrer, et plus il permettra bien sûr de capter physiquement les nouvelles fréquences qui soutiennent le projet divin sur la terre. Moins on a à «réagir», plus on profite des ondulations supérieures. Mais plus on a envie de se laver, plus on est capable de débusquer du savon, où qu'il se trouve, et c'est pourquoi il faut ressasser que c'est à l'intérieur que la chose se passe. Les nouvelles fréquences ne nettoieront personne de force, et il est absurde de les rechercher par principe, si la détermination intérieure n'est pas absolue.
Confondre aide et dépendance est un sérieux problème, et je suis intransigeant sur cette question. C'est prétentieux de faire cavalier seul, et de ne compter que sur soi, et c'est trop facile de se gaver de belles paroles, d'admirer plusieurs maîtres, et de vivre à moitié par procuration, tout en collectionnant des darshan, qui par le phénomène d'entropie deviennent des fétiches et perdent de leur pouvoir.
Je me sens obligé de répéter ce b.aba, car j'ai vu avec compassion se fourvoyer des êtres des deux côtés, ceux qui préfèrent crever que de reconnaître une vérité qu'ils n'ont pas découverte eux-mêmes alors qu'on leur transmet, et ceux qui, pour se dispenser d'être, sont les disciples de trente-six gourous. Il y en a toujours pour faire la fine bouche devant ce qui leur est supérieur (les vaniteux me prennent toujours de haut avec un regard vrillant), et d'autres, au contraire, qui en raffolent tant du supérieur... Qu'ils sont sûrs ainsi de rester tout en bas, pour ne jamais cesser d'aller butiner du plusmieux en levant la tête. C'est parce que je vois en eux le Divin qui prend le chemin des écoliers que je ne craque pas. Sans le supramental, cela me serait intolérable, je jugerais que c'est du temps perdu, ou comme Satprem, je voudrais donner des leçons, mais il s'avère que cette stratégie ne fonctionne pas pour moi. J'ai assez navigué dans la conscience supramentale, surtout de 1978 à 1982, pour flirter avec une intelligence absolue des choses, qui me permet de supporter l'intolérable. L'intolérable est différent pour chacun, et il sert d'aiguillon.
Satprem avait son intolérable particulier, le mien s'effiloche parce qu'il n'est plus nécessaire, et c'est à chacun de trouver son intolérable qui lui permettra d'agir divinement. Il n'est pas plus à éviter qu'à cultiver, c'est un point d'appui. Satprem avait son cri, Sri Aurobindo, ce fut longtemps la condition de l'Inde, Mère avait aussi sans doute son ou ses intolérables, comme Jésus en courroux dans le temple, comme Bouddha, comme Krishnamurti avec la «violence», et je ne partage pas l'idée des brahmanes que le Spirituel ne doit pas s'abaisser jusqu'au contingent. L'Inde s'est perdue dans le clivage transcendant/immanent, il n'y a aucun clivage, aucune séparation entre les deux, sinon sur le plan dialectique, qui est seulement un plan formel du mental. Le Divin est immanent et transcendant, mais Il se porte mieux sur le plan transcendant, et le supramental peut lui redonner la santé dans la Manifestation. C'est la plus grande nouvelle depuis plusieurs milliers d'années, et ceux qui prétendent le savoir, les aurobindiens, commentent la mort de Satprem en se tirant dans les pattes, les notes d'évaluation de sa perfection variant d'un adepte à l'autre. C'est un peu comme le parti socialiste français, finalement. On veut bien partager à condition de ne pas être d'accord. On est plein de belles idées, mais on préfère les hiérarchiser et se battre sur leur ordre, que toutes les accepter, les rassembler et les mettre en œuvre. Il n'y a pas que le vital qui tyrannise, le mental qui coupe les cheveux en quatre pour en....... les mouches a fort bonne réputation chez les français. Or, c'est l'adversaire par excellence, le maître de la précision factice qui empêche toute prise sur le réel. C'est lui qui souligne des oppositions entre deux formes qui participent du même principe, quoi le homard et la langouste la même chose, c'est sacrilège de confondre les deux !...Alors on ne remonte jamais au-dessus, là où les choses se passent, et on peut même s'imaginer, par exemple, que Natarajan dit du mal de Satprem, tout ça parce qu'il n'a pas le même intolérable, et qu'il dit que c'est à chacun de le choisir son intolérable, au lieu d'idolâtrer celui de l'autre. Les intolérables ne manquent pas, de la prostitution enfantine à la vivisection, des parachutes dorés pour saboteurs d'entreprise au budget des armées, chacun peut choisir son intolérable qui lui fera tenir le coup sous les assauts du Mensonge.
En France, on se croit profond dès qu'on propose un duel, dès qu'on soulève une polémique, dès qu'on sépare ce qui tient debout pour accéder à une meilleure performance: c'est le «karma français», qui compromet le gain obtenu par goût de la provocation. La révolution ne suffisait pas, il fallait la Terreur pour la ratifier. En football aussi, les français sont souvent très forts en première mi-temps, et ils croient que c'est gagné. Ils friment devant les adversaires, et leur jettent des œillades méprisantes. Mais ils perdent dans les dernières minutes de la seconde mi-temps, ou pendant les arrêts de jeu. C'est le «karma français». La vanité française diffère des autres, car elle a du caractère. A Auroville, en 1978, les français passaient leur temps à médire des autres communautés. Comme le dit Satprem: «j'aurais été déchiqueté». Moi aussi, je me suis barré, sinon mon yoga risquait de s'arrêter. Cela m'a valu l'opprobre de mon père, fier de vanter son fils aventurier, dans une sorte de kibboutz en Inde. A mon retour, ma légende personnelle ne rejaillissait plus sur lui comme un faire-valoir, et je redevenais un minable. L'échec, c'est l'obsession du bourgeois, et le moyen du Divin.
COMMENT LE YOGA A COMMENCE.
Bien sûr, le problème avec l'intolérable c'est qu'il peut pousser à devenir intolérant, à fonder un intégrisme, et tutti quanti. Pourtant, on peut l'utiliser divinement bien. Mon intolérable, c'était la perspective de l'Apocalypse nucléaire, à cause de la guerre froide. Je venais d'avoir 24 ans en mars 1974, et un peu plus de deux mois avant, le satori avait déchiré mon esprit. Passées les premières semaines d'émerveillement absolu (il n'y avait strictement plus rien à atteindre), je suis resté comme un rond de flanc. Mon illumination n'avait aucun impact franc et massif sur l'extérieur, et je me suis mis à chercher un nouveau moyen, plus efficace, de faire avancer les choses. Comme j'allais déjà depuis plus de deux ans sur des plans spéciaux, dans le sommeil, qui déterminent des événements ici-bas, j'avais l'intention de poursuivre de ce côté-là, mais en 1975, je tombais sur Sri Aurobindo, et après de vraies réticences dans le premier chapitre de la synthèse des yogas, je fus stupéfait. Ce fut une expérience extraordinaire. Je voyais quelque chose qui manquait dans son argumentation, et ça arrivait le paragraphe suivant. Je m'inclinais. Ma mère m'offrira plus tard «la manifestation supramentale» qu'elle avait dénichée miraculeusement. Je ne sentais pas que la chose pouvait m'arrêter aussi vite... C'est donc le Divin qui est responsable de mon statut, moi je cherchais désespérément la pierre philosophale en me levant la nuit et en travaillant mes textes, et je comptais sur mes pratiques du yoga tibétain dans le bardo pour avancer, mais je ne me voyais pas si près du supramental. Je ne me suis remis de l'illumination dans la Conscience suprême, du 10 au 14 janvier 1977, qu'en novembre 2006. Parce que Sri Aurobindo s'est débrouillé pour convertir la Conscience divine en énergie divine, une fois qu'on en est saturé. Pour ne pas reproduire l'expérience des rishis. Moralité, la conscience du dessus est sacrifiée, mais sa trace permet désormais de repartir du bas en aimantant la shakti, soit l'énergie microscopique. Je ne le savais pas, naturellement. J'ai passé quelques jours dans l'Omniscience, la fontanelle ouverte, avec la Mère des mondes qui ne cessait de dégouliner dans la tête, et puis tout est parti peu à peu. J'ai pris des dispositions radicales, comme arrêter la sexualité, cesser le café, et je m'y suis tenu. En février déjà, je n'étais plus que l'ombre de moi-même, tout foutait le camp, puis pendant quatre jours mes cellules ont carrément tournoyé dans un feu invraisemblable. Je ne pouvais plus manger, c'était déjà de la torture à la fin du premier jour, mais je parvenais à dormir quand même. De jour en jour ça augmentait. Je délirais et je me prenais pour l'Inde qu'on divise en deux, avec la création du Pakistan. Je restais presque tout le temps couché, torturé. Le cinquième jour au matin, j'ai dit, je n'en peux plus, il faudrait que ça s'arrête, et ça s'est arrêté instantanément, à la seconde. C'est une des expériences les plus extraordinaires que j'ai vécues. Non seulement le nettoyage intégral, mais la fin, l'arrêt instantané du processus sur ma demande. Incroyable. Et puis la descente vers l'enfer a continué. Des attaques dans le sommeil, réveil avant de casser le fil, in extremis, l'intelligence qui disparaît, plus moyen de lire un livre d'alchimie, plus d'effort intellectuel possible. Finalement je suis arrivé tellement bas que je me suis demandé ce qui m'arrivait. Je n'étais plus rien. Plus aucune force vitale, plus de mental, pas loin de la serpillière bien effilochée. Et là, une voix extérieure, comme celle d'un fantôme, mais à l'intérieur de moi quand même, enfin, j'ai entendu une voix sortie de nulle part, qui m'a dit «tu n'y arriveras pas, c'est impossible»... C'était comme un défi, une interdiction, une menace, et je suis resté pétrifié deux ou trois secondes. Puis je me suis demandé à quoi pouvait bien faire allusion cette voix, et là j'ai compris que tout ce qui m'arrivait voulait dire que je devais retrouver le chemin, c'est-à-dire faire le yoga supramental, et découvrir la shakti, maintenant que le Divin, Satchinananda et le Purushottama, s'étaient retirés. C'est cette connasse de voix malveillante qui m'a indiqué la voie, car à quoi d'autre je pouvais m'attaquer qui soit «impossible», sinon ce fameux yoga supramental que sri Aurobindo avait annoncé? J'avais donc un indice, mais pas moyen de remonter la pente. Impossible. Début août, viré immédiatement de chez un type qui devait me recevoir pendant l'été à la campagne (finalement je crois qu'il avait peur que je lui pique sa meuf) je ronge mon frein, et en retournant dans le midi, sans doute par faiblesse, je décide de me requinquer avec une bière brune, j'adorais la bière brune quand j'avais 18 ans, surtout après la chasse sous-marine. Je veux me payer une petite madeleine pour me remettre de ma déconvenue, sûr de déguster divinement le breuvage, mais il m'a complètement cassé, pratiquement à me traîner par terre, 24 heures hors-circuit. Pas de trace extérieure de la shakti, mais dedans, c'était autre chose, plus moyen de faire n'importe quoi. Quelques jours plus tard, en nageant dans la piscine d'un camping, je sens quelque chose descendre par la fontanelle, et je me dis ouf, quand même, mais ça ne dure pas. Puis les vendanges en septembre. J'étais crevé, totalement, mais j'en avais assez d'être désoeuvré, de dépendre de ma mère après une histoire qui avait mal tourné où j'avais une sorte de travail, et j'ai pu faire les vendanges. A quelques moments, pareil, un filet au-dessus du crâne, dans le style, tu vois on t'abandonne pas, et puis ça disparaît au bout de trois minutes, mais il y a quelque chose. A la fin, il y a une fête, et je refuse les avances d'une vendangeuse assez mignonne, qui ne comprend absolument pas pourquoi. Sa tronche, quand je lui dis «ça ne m'intéresse pas», elle m'a demandé alors ce qui m'intéressait, et je n'ai pas pu lui expliquer, je crois que je l'ai démolie en lui disant juste que Dieu me suffisait, un truc de ce genre, et elle m'a pris pour un malade et m'a laissé. Son désir m'avait quand même pénétré et je n'étais pas beau à voir, d'autant qu'une partie de moi voulait y répondre. Et puis ça se dégrade encore et encore. Me voilà obligé de prendre des bains de pieds en octobre, en novembre, dans une pseudo-communauté, le froid m'attaque et je vais traquer le moindre rayon de soleil vers treize heures. Je périclite. Je n'en peux vraiment plus, je redoute de descendre encore plus bas... Alors que j'ai perdu toute vitalité, toute intelligence, il y a un an ou presque, j'étais omniscient... C'est à ce moment-là que je reçois un remboursement miraculeux de l'équipe que j'avais quittée un an et demi auparavant, dans une drôle d'histoire, que je préfère garder secrète. Le chèque couvrait le billet aller-retour en Inde, et de quoi y survivre quelque peu en se serrant la ceinture.
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On comprendra que je me fends de raconter la genèse de mon histoire supramentale pour faire passer la pilule de mes réserves sur Satprem, et pour éviter de donner du grain à moudre à ceux qui seraient enchantés que je fusse un charlatan, un imposteur, ou un fou. A ce propos, ne vous donnez pas de mal pour accréditer cette hypothèse, elle a déjà été émise par un de mes amis, vous n'avez qu'à lui emprunter. Il se trouve que le Divin m'a révélé son karma à un moment où il m'a sévèrement attaqué, et qu'il s'agissait de Protagoras d'Abdère. (Juste après son attaque, j'ai lu une traduction dans la Pléïade, le tome sur les présocratiques, et j'ai VU que c'était lui). (Il se voyait lui-même, bien plus tard, en réincarnation d'Epicure, mais je ne sais pas si le même être psychique a pu endosser deux existences pareilles). J'avais beaucoup apprécié son intelligence, il avait quatre ans de plus que moi, et quand on a dix-neuf ans, c'est presque une éternité d'avance. Et il était très kool. Bref, nous avons été très proches longtemps, nous ne nous sommes jamais perdu de vue jusqu'en 1995. Le fait est qu'en 1977 j'eus le malheur de réunir mes amis pour évoquer l'expérience supramentale, d'ailleurs juste avant que je périclite, et naturellement C. était là. Il n'a pas pris très bien la chose, alors que je le serinais déjà depuis trois ans avec le Soi, mais nous avons continué à nous voir. Pendant des années, il a eu une position extravagante. Il restait calme, et partait dans sa tirade, si mon évolution venait sur le tapis, avec un léger accent du midi qu'il était le seul à posséder de cette manière-là, et il la peaufinait de temps en temps. Bref, il disait «ou bien, ok, d'accord tu as touché le supramental, mais je ne peux pas le voir, ou bien...» et là il développait que ça pouvait être autre chose, par exemple de la schizophrénie. Le manège a duré une dizaine d'années, «ou bien ou bien», mon évolution semblait toujours pouvoir confirmer aussi bien une hypothèse que l'autre. Un jour, je m'en souviens, c'était dans ma cuisine, je commençais à en avoir assez, et surtout je ne comprenais pas qu'il puisse tolérer ce doute permanent, qui était sincère. Je lui dis, «mais quand même C, c'est physique ce que je sens, je pourrais te décrire des centaines d'expériences, ça dure depuis dix ans, si ç'avait été bidon, je m'en serais aperçu, quand même !» Mais C est resté imperturbable, avec cet air narquois qu'il devait déjà maîtriser en Grèce pour clouer le bec à ses contradicteurs, et avec un petit air entendu, comme si c'était une évidence à laquelle je devais me résoudre, il m'a affirmé «mais ton esprit peut très bien inventer tous ces symptômes !». Là, j'ai compris qu'il n'y aurait plus rien à faire, et je l'ai accepté, je l'ai bouclé, ce type n'en avait rien à foutre de savoir qui j'étais, et c'était un «ami». J'ai tiré l'échelle, je n'ai plus insisté, et parfois c'était désarmant, il me lançait: «si tu es vraiment ce que tu prétends, transforme-moi !». Mais il ne voyait pas que cela ne pouvait dépendre que de la confiance qu'il m'accordait, et qui était absolument nulle. Pendant toute cette époque, me trouver en présence d'une personne qui doutait de mon expérience et qui en avait entendu parler, déclenchait automatiquement une sensation désagréable à l'estomac, et pouvait empêcher la digestion. Les intestins déconnaient vingt-quatre heures. La présence pas même hostile suffisait, il n'y avait même pas à débattre. Le rejet avait une incidence physique directe, on ne s'étonnera donc point que je n'aie pas insisté sur mon contact avec le supramental pendant de nombreuses années. Si c'était au risque de souffrir pour rien, il valait mieux se taire. Maintenant c'est différent.
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Donc, nous voilà fin 1977, et je m'achète un billet pour l'aéroport international le plus proche à l'époque de Pondicherry, soit Colombo. Je rencontre par hasard dans l'avion, ce 14 décembre, un ingénieur de mon âge, qui compte aller lui aussi à Auroville, et on fait un bout de chemin ensemble. Je devais continuer à plonger encore plus bas, mais cette fois avec d'autres moyens, car l'enfer n'est jamais à court de nouveaux supplices, ce qui fait, d'ailleurs, son charme. Le soleil me revigore avec la chaleur, et voilà que je me lâche... Je tire sur un joint d'herbe colossal dans la guest house de L'YMCA (tous les routards connaissent) tout en jouant sur la guitare du tentateur. Je ne tarde pas à sombrer après les quelques minutes de high, et vais m'étendre. Là, je suis absolument persuadé que je vais mourir. Convaincu. C'est fini. Il est temps de dégager la piste. Pas la peine d'insister. Je ne regrette rien. J'ai vu le grand soleil onze mois auparavant, il m'a laissé choir, ok, no problem, je l'ai vu quand même, je ferai mieux la prochaine fois. Ce n'est pas la peine d'insister. C'est bon, j'ai mon compte de toute façon. Me traîner comme une bête depuis dix mois après avoir passé plusieurs jours avec la mère des Mondes et le Purushottama, ok, ce n'est peut-être pas ici que ça se passe, allons voir ailleurs si j'y suis, j'ai dû me tromper d'adresse. Je me prépare à mourir en paix, assez content de mon parcours, je ne lutte plus. Mes parents sont passés à côté de moi sans me voir, ma sœur encore pire, je ne suis plus vraiment avec ma compagne depuis un an, on ne me regrettera pas tant que cela. Je me transforme en plomb, je m'abandonne, je ne veux plus rien, je ne m'en veux même pas d'avoir fumé, ça s'est presque toujours bien passé, donc, ce n'est pas de ma faute, c'est autre chose. La fin, ça s'appelle. Je m'assoupis, j'attends. Je me dis que c'est une parano, que ça va passer, mais le corps est las, vraiment las, peut-être que quelque chose a envie de partir?
Et voilà que mon plexus solaire s'ouvre démesurément et que tous les sons deviennent ensemble une symphonie polyphonique en stéréo. Les cris des gosses, les bruits des mobylettes, des cars, tout l'environnement devient une sorte de symphonie pastorale en vrai, mais j'apprécie les notes quand même, et ça monte et descend, et moi je deviens tout ça, je me répands, je me dilate, ça chauffe au milieu de la poitrine, c'est hors du commun, ce n'est pas la mort, mon neveu. Je reste. Mais comme cela faisait déjà longtemps que j'étais devenu un zombie, le fait de survivre à ma parano ne m'apporte même pas beaucoup de satisfactions. Enfin, je continue ma route, et là je dois bien reconnaître que je suis vivant. Je m'arrête à Hikkaduwa, qui sortait de terre, sur la plage, il y avait quelques routards, dont une sirène blonde à couper le souffle, qui se baladait les seins nus, avec une poitrine d'une rare beauté, et qui me demande de lui passer de la pommade dans le dos. Avec un grand sourire. Fidèle au poste, à mon engagement suprême, je crois que j'y suis parvenu en faisant la gueule et en pensant à autre chose, en oubliant ce que vivaient mes doigts, ce que je trouve aujourd'hui ridicule, car me rapprocher de cette beauté m'aurait sans doute ramené à l'existence, et bien remis sur pieds. Bon, j'ai toujours eu des principes stricts, et je parviens à reprendre la route en croyant que j'ai sublimé mon désir... Et nous voilà un soir sur la côte est, vers noël, c'était avant la guérilla des tigres tamouls, et là, c'est comme un complot cosmique en quelque sorte. Une nuit étrange tombe, avec une lune bizarre elle aussi, avec plein de petits nuages transparents et rapides qui l'escortent et la protègent. Des centaines de méduses blanchâtres, du diamètre d'un ballon de football, dévalent à la surface, opalescentes, sous un pont qui relie la mer à une sorte d'estuaire. Tout se noie dans une atmosphère glauque, pas du tout lugubre, mais moite, comme un sauna, et je ne sais pas trop ce qui se passe, toujours est-il que je regarde la lune quelques instants, peut-être que je repense à l'éclatante beauté de la scandinave, que sais-je, c'est comme si je me mettais à fondre. Je suis dans un cul-de-sac, j'ai trouvé au bout du monde ma sablière, le tunnel qui m'attendait depuis toujours pour m'engloutir, le terminus c'était là, le fond, plus bas ce n'est plus possible. C'était un rendez-vous prévu depuis des éternités, la drôle de lune, les méduses énormes, le vent comme une caresse érotique qu'on ne souhaite pas, et mon année à ramper comme un vers qui se conclut enfin par un truc logique: l'échec d'Icare. La vie est là, et elle ne demande qu'à me récupérer, tout peut rentrer dans l'ordre, no problem... Je ne comprends plus, je craque doucement, je n'aspire plus à rien, plus à rien sauf à du plaisir, de la femme, du shit peut-être, lézarder en sirotant de la bière et en souriant aux filles, l'idée prend forme et se développe, devient théorème, tend vers la praxis, un emploi du temps paisible, dormir, séduire, aimer... Ce n'est pas une sorte de vengeance d'avoir perdu le Divin, non, c'est qu'ici-bas tout se vaut, allez, tout se vaut, va, j'aurai une vie aussi bien remplie en me laissant définitivement aller, pourquoi lutter? Peut-être que personne n'est jamais monté si haut, en tout cas à cet âge, pour me retrouver un an plus tard à moitié-mort, vide, déshérité, abandonné de tous, écrasé, sans énergie... Pourquoi lutter dans des conditions pareilles, puisque la vie me tend les bras, la beauté des femmes, les crépuscules nacrés, pourquoi demander plus? La vie n'offre-t-elle pas tout ce qu'il faut, il suffit de penser à soi au lieu de penser au supramental, pense à toi, tu ne l'as jamais fait vraiment, tu ne sais pas ce que c'est, cette fois, vas-y, vis pour toi... Et je rumine cela pendant des heures, dehors, espérant même, et redoutant autant d'ailleurs, qu'une fille de joie se balade dans le coin et m'accoste. Je ne m'en veux même pas, j'en suis là... C'est tout. Je n'ai plus de béquilles pour me dire que demain ça ira mieux, cela a l'air de se jouer maintenant, la lune exige une réponse. Je n'ai plus de bouc émissaire pour mettre ça sur le dos de quelqu'un, d'une force, d'un coupable qui tomberait bien, et je n'ai même plus une once de honte à me mettre sous la dent, tout est clair, la lutte c'est terminé, c'était un truc d'ado, le chevalier est revenu des croisades et on lui a piqué son château, il n'a plus rien le bougre, on ne le reconnaît même pas. C'était à moi tout ça, la conscience suprême, les jours de pétillement intense dans la fontanelle, l'Omniscience, oui, c'était. Imparfait, on dit, dommage, parce que ce passé-là, il était justement parfait, alors il aurait dû durer davantage. Non, tout m'a échappé, tout m'a glissé entre les doigts, même ma propre vie, elle ne m'appartient plus. Je suis une sorte d'animal qui sait qu'il est là pour se reproduire, et ce n'est pas désagréable, ça, au moins, ça tient debout, on ne peut pas se tromper: c'est bon. Au bout du rouleau, à 26 ans. Avec un satori en bonne et due forme à 23 ans, j'ai dû aller trop vite sans doute, la vie me rattrape, elle me veut, elle veut m'enserrer, c'est le retour de l'élastique, c'est une femme adorable la vie quand on a 26 piges, jalouse parce que je la délaisse, je lui préfère Dieu, l'imbécile, elle m'aimera elle, l'autre il s'est barré. Elle ne me demandera pas d'exploits. La vie veut me prendre, me cajoler, mais je dois oublier TOUT LE RESTE... Même les nuages complotent en passant devant Séléné. Elle émet un rayon jaunâtre, elle joue avec moi comme un chat avec une souris................Renonce et je te donnerai tout... C'est doux, entêtant, et surtout, c'est là, pas comme le supramental qui est loin derrière et sans doute loin devant. C'est là, en rayons, je prends tout ce que je veux dans le magasin, et la caissière me laissera sortir sans payer, en prime.
On verra demain. Naturellement je n'ai rencontré personne, et le lendemain j'avais repris mes esprits, si l'on peut dire, en tout cas ce qu'il en restait. J'étais encore soutenu par le souvenir des jours divins, je n'étais ni triste ni gai, ni ici ni ailleurs. J'étais nulle part, mais je n'étais plus très loin du lieu où j'en aurais le cœur net. J'ai cherché la force qui s'était permise d'essayer de me séduire et de me pervertir, je crois qu'il y avait un rapport avec la lune, et puis il y avait surtout un type qui était saturé à ras bord d'expériences, de souffrances et d'extases. Le bas avait nivelé le haut, le vitalogramme atteignait le calme plat, je voulais vivre à l'horizontal, ça résolvait tous les problèmes. Un type qui n'avait tellement plus rien à perdre que n'importe quoi pouvait sembler un trésor, pourvu que ça existe.
Mon compagnon de voyage et moi nous nous sommes perdus dans Auroville la nuit du 30 décembre, peut-être même celle du 31, drôle de passage, et on a couché dehors, pas loin du Matrimandir, et on a eu froid. On a dormi sur une sorte de tertre. Puis je ne me souviens plus de rien jusqu'au miracle. Je vais à l'ashram, au samadhi, là où repose Sri Aurobindo, et je m'assois, assez ravi d'être arrivé à bon port. Je ne cherche rien, je ne me plains pas, j'écoute, je contemple. Nous sommes le 1er janvier 1978. La componction des indigènes qui se font tout un cinéma avec leurs simagrées autour de la tombe est à mourir de rire, la plupart prie avec la tête en oubliant tout le reste, leur identité, leur corps, leur cœur, ce qui donne l'impression d'un manque de sincérité général, partagé dans la ferveur superstitieuse, et je sens tout le poids de la religiosité indienne, mais je ne suis pas là pour faire de l'anthropologie. Et puis, cela arrive, en quelques secondes je suis comme regonflé. Je me compare à un pneu dégonflé qui vient de recevoir de la pression. Mon année de souffrance est balayée, et me voilà en pleine forme. Et dire que j'aurais pu sombrer moins d'une semaine avant, et finir comme Baudelaire, en tout cas m'enliser... In extremis, je sens que désormais je vais remonter la pente...
19 Janvier 2008
J'ai été marqué au fouet pendant un an à Auroville par les «gossips», et c'est peut-être à cause de cela que je ne veux pas que ça reparte avec la controverse dont je cause. C'est tellement idiot de ne pas faire ce que l'on a à faire, chacun, pour critiquer l'autre, qui, en général, ne demande rien à personne, que c'est décourageant d'avoir affaire aux êtres humains... Comme cela serait plusmieux que tous les aurobindiens soient d'accord sur tout, le 19 sur 2O à Satprem, le rôle de la prison dans la conversion de Sri Aurobindo, et la bonne idée que Mère a eu d'épouser Paul Richard, la «qualité de vie» à Auroville, hou la la, clonons-nous, pensons tous la même chose avec ce qui nous reste de mental... Et excommunions les non-conformes !Quoi... Tu oses penser que Satprem ne vaut pas mieux qu'un 15 sur 20, bourreau, les fers s'il vous plaît... Cet hérétique pense de travers, il menace notre communauté parfaite. (Je me lâche, c'est la culture web, droit au but et sans concessions, et je me sens tout jeune, autant en profiter, merci Satprem, merci Luc).
Je me trouve assez en forme d'avoir créé la formule
L'échec est l'amant de la réussite.
20 Janvier 2008
Il y a de drôles d'énergies autour de cette controverse, alors j'abandonne. Savoir ce que l'on a à faire. C'est déjà pas mal. J'ai rajouté mon petit grain de sel, et puis la vie continue, certains vont être soulagés, d'autres contrariés, that's life. Elle me comble, j'apprends, j'observe, j'apprécie. Why not? C'est vrai que c'est amusant de raconter par quoi l'on est passé, ça peut servir à certains.
Ce concept que l'on participe, sans savoir exactement à quoi d'ailleurs, c'est gentil. Chacun creuse sa taupinière avec ses obsessions, ses attachements, ses préjugés, ses trucs à régler, on absorbe le non-moi pour vite en faire du moi conforme à ce que l'on est soi, et on s'imagine «participer». C'est vite dit. Je participe à la quête de la lumière, et dès qu'elle est trop obscure pour moi, je le manifeste. «>La lumière doit être au moins à ma hauteur à moi. quand je pense à quel point la lumière des autres est obscure, je suis bien obligé de faire la loi que je sache.» Toute la french communauty faisait là-dedans ou presque en 1978, à Auroville, la cité de l'avenir fraternel universel. On jouait à la pétanque le soir à Aspiration après avoir démoli deux ou trois communautés de looses, culpabilisé un nouveau, et piqué du fric pour un projet à un visiteur, qu'on congédiait sèchement une fois qu'il avait raqué. Ah !mais Auroville, ça se mérite... On le sait, d'ailleurs, la vérité est française depuis 1789, on ne va pas revenir là-dessus. Envoûtés par l'arrogance, la présemption et l'orgueil, qui font un excellent ménage à trois, les français pétaient presque tous plus haut que leur cul, et faisaient des concours pour aiguiser une saine émulation. Ils venaient de créer leur club Méditerranée pour échapper à la vie sociale en France, mais ils avaient une charte sous le bras, un mot de passe, un laisser-passer: «Auroville n'appartient à personne». C'était vachement pris au pied de la lettre. On se ruinait pour faire une jolie petite maison, sans ostentation, juste bien quoi, et si l'on partait trop longtemps, elle avait un nouveau propriétaire quand on y venait s'installer définitivement. On ne pouvait pas y revenir. «Qui va à la chasse perd sa place» aurait dû faire partie des statuts, qu'on sache à quoi s'en tenir, mais non, c'était le secret des anciens, savoir qu'on pouvait piquer une installation dès que l'arrivant, fier de son œuvre, repartait trop vite se refaire un peu de blé. Les nouveaux n'entendaient jamais parler de cette magnifique tradition.
C'était intéressant, les allemands, ils faisaient, les bougres. Les anglo-saxons, c'était moins net, mais ils s'occupaient, eux aussi. Les français étaient les plus branleurs de tous, et pour tromper leur ennui, ils disaient du mal des autres, après avoir sillonné le territoire assez vaste. Le plus marrant, c'est qu'Auroville possède une énergie spéciale, alors les gossips étaient chargés eux aussi. Certaines phrases malveillantes, à force de passer de bouche en bouche, devenaient des munitions. Si on les recevait mal, si on y résistait, on était blessé, si on les approuvait, on se portait mieux, on entrait dans l'aura de la rumeur. C'était un monde occulte, avec de nouvelles formes de sortilèges. Et tout le monde ou presque s'enfonçait là-dedans la conscience tranquille, on se croyait dans la vérité à colporter de petites infamies sans fondement, et une bonne partie d'Aspiration, presque tous français, ressemblait à des magiciens noirs malgré eux. Ils ne savaient même pas toute la nocivité qu'ils véhiculaient, ils croyaient faire le monde, et attaquaient tous azimuths. Ils se renforçaient mutuellement. C'était une meute de bien-pensants solidaires, barbares, qui s'enivrait d'affirmations péremptoires, décochait des flèches empoisonnées en en tirant du plaisir, comme n'importe quel petit caporal borné qui se fait les dents sur les bleus. C'était infect. On adorait un nouveau veau d'or: l'action. Dès qu'on bougeait le petit doigt, soit surveiller quelques ouvriers indigènes, soit faire une petite démarche de rien du tout pour sa communauté ou Auroville, on «travaillait dans la matière». On s'en gargarisait, on se montait en épingle, on se branlait devant la glace avec ça: je travaille dans la matière. Cela résolvait tout, «nous, on travaille dans la matière» (une ou deux heures par jour?)... Sous-entendu, tu es un pauvre con, tu n'es par rentré dans le rang, tu n'es peut-être pas à ta place. Va donner des ordres aux tamouls, au moins, si tu veux faire partie de la bande.
Tout cela ne m'a pas empêché de commencer le yoga là-bas, je me prenais seulement leurs décharges de ressentiment, voire de haine, et j'avais des ruses pour que cela ne m'atteigne pas trop longtemps, comme nager par exemple, faire beaucoup de vélo, même dans le bout de chemin de sable avant chez moi, ça demandait un certain effort. Vu d'où je revenais, grosso-modo du néant, je n'allais pas faire la fine bouche, mais bon, l'entropie, elle est là aussi. Quand finalement ça devient usant de vivre au milieu d'un troupeau d'inadaptés sociaux qui se tirent entre les pattes, et se donnent le change avec trois fois rien, comme dans n'importe quelle secte, quand une menace pèse, il faut savoir battre en retraite. Je voulais vraiment faire ma vie à Auroville, not possible. Plus moyen de sortir un peu de ma communauté sans que j'apprenne qu'il y a une nouvelle tête de turc, un nouveau problème, un litige inédit, un conflit qui enfle, une rivalité pour obtenir des fonds, etc... Ce qui avait semblé quelques mois un paradis s'était progressivement transformé en enfer: j'étais initié, en quelque sorte. Peu me chaut qu'on trouve mon jugement sévère. On espérait le supramental depuis des milliers d'années, j'étais en droit d'attendre que le lieu qui célébrait officiellement son retour fût peuplé d'apprentis sages, de chercheurs d'intégrité, de mystiques. La quantité de ces personnes-là était très faible, et les jobards pullulaient. Auroville, tel que c'était à l'époque, correspondait à une utopie d'anarchistes récalcitrants, en aucun cas de soldats d'Agni. Il était même suspect de laisser entendre qu'on pouvait avoir une expérience spirituelle. Avant même de dire que cela vous enchantait, on aurait essayé de vous virer au motif que vous vouliez devenir gourou. L'autorité à Auroville, ça a toujours été l'ego: c'est le plus fort qui résiste. Pratiquement tous les meilleurs sont partis. C'est une affaire qui marche... Et beaucoup des leaders révolutionnaires se sont diablement enrichis, Balzac devrait y aller faire un tour, on rigolerait bien. Je n'en veux à personne, mon moi était trop plastique, adaptable, yin, protéiforme, scotché au moment. Dans toutes les adversités, j'ai appris la nécessité de la différenciation, du retrait, de la plongée dans l'ombre intérieure des déceptions, et j'ai la satisfaction, pour moi-même, d'être devenu un maître du Tao, dont le supramental est une manifestation inespérée. Sans lui, je risquais de plafonner. Je dois tout à Mère et à Sri Aurobindo, puis au combat et à la guerre. J'étais trop yin. Les femmes et les coups m'ont donné le yang, que soient bénis mes adversaires et mes amours.
Dans les grands moments de cette année magique, il y a eu des coups de frein proportionnels à la poussée, et pour confirmer Satprem sur ce point, je vais donc encore évoquer l'état de vulnérabilité absolue qui s'installe. J'ai déjà évoqué l'histoire du faux Sri Aurobindo. Dans le même stye, je vais une fois sur la plage de Pondi, à la jetée, et je ne sais pas pourquoi je m'identifie à une routarde, qui parlait avec sa copine, une fille vive, sans attrait, et qui ne semblait pas très intelligente à la vulgarité de ses mimiques, elle devait être à trente mètres, elle faisait tout pour ne pas regarder vers moi, et je ne sais pas pourquoi, d'un seul coup, je me mets à sa place, et je me suis dit «pour elle et des tas d'autres, ce que je vis ne peut pas exister, c'est tout bonnement impossible». Alors comme si j'étais entré en elle, je me suis nié moi-même, je me suis vu de l'extérieur, comme par ses yeux, et j'ai perdu plusieurs jours le contact avec la Force. Je ne suis pas un comptable, peut-être cinq jours ou une semaine, mais ça m'a marqué. Une autre fois, je tombe sur un article de Nolini, dans la librairie près du canal, qui stipule que puisque Mère n'est pas parvenue à survivre à son yoga contre la mort, cette entreprise est ajournée jusqu'à ce qu'elle revienne sur terre. Là, vraiment, j'ai été confronté à l'essence de la bêtise. La bêtise pure. Son âme en quelque sorte. Se prévaloir de connaître les choses suffisamment pour décréter une telle ineptie, il faut être idiot. Nolini était donc resté dans des coquetteries mentales. Sans doute un fond de mentalité indienne, qui ne peut vivre sans représentations, de peur de se perdre. Les hindous font dans leur culotte s'ils n'ont pas une armée de points de repère, c'est peut-être du mental génétique, c'est effarant. Du coup, les maîtres qui parviennent au Soi, quand ils abordent le sujet des périodes d'incertitude qu'ils ont dû traverser, je suppose que ça doit faire méchamment la gueule, ça fait désordre, l'incertitude, ou il faudrait qu'elle soit certifiée conforme. Ils doivent pouvoir s'en tirer en disant que l'incertitude fait partie de Dieu, et qu'elle n'entame pas la foi, et on rentre à la maison, et on ajoute sur l'autel où il y a déjà une bonne douzaine de divinités la poupée du petit dernier. Elle deviendra le seigneur de l'incertitude, on lui fera des petites prières pour apprendre à douter de son chemin, si cela doit le raccourcir et le favoriser. On veut bien la traverser, par politesse, l'incertitude, mais on doit savoir avant... combien de temps elle va durer.
Je ne sais pas ce que Nolini a voulu combler en prétendant une idiotie pareille, mais mon estomac s'est recroquevillé, j'ai reçu un énorme coup de bambou derrière la tête, je suis resté k.O deux ou trois jours. Mais le plus fort, c'est suite à ma déclaration. En fait, c'était quand même un peu difficile, parce que la nuit je me battais à tout bout de champ dans l'astral, on voulait d'autant plus que je crève que je m'étais installé sur un terrain paumé, où il n'y avait jamais eu personne, et qui avait été marabouté, il y en avait encore les traces de la pudja autour de quelques briques. Dès la première nuit, des combats terribles. J'en avais rien à foutre, mais pendant une bonne quinzaine je ne savais pas si je me réveillerais le lendemain. Ce qui fait que j'étais tout guilleret le matin, mais quand même. Bref, un jour je suis tarabusté par un membre de la communauté, qui me cherche des poux sur la tête, alors que je faisais déjà un max, tout mon fric partait déjà dans des projets, mais le type en question savait comment avoir toujours raison, il devait travailler ça depuis une centaine de vies. Bref, il dépasse les bornes, alors je prends le groupe à témoin, et je leur dis, «les gars, maintenant vous me foutez la paix, parce que j'ai passé la trame, c'est difficile, je fais le yoga de Mère.» J'ai dit avec une certaine conviction, et tout le monde ou presque s'est écrasé. Mais un des jours suivants, j'ai croisé X, qui n'y croyait pas, et qui a marmonné dans sa barbe en passant à côté de moi, sans doute en proférant des insultes. Là, ce que j'ai pris, ça m'a cassé pendant trois jours. A ramasser à la petite cuillère, moi j'étais, avec une brûlure au milieu de la poitrine, et des coups de poignards subtils dans le plexus, et j'ai pensé pour rigoler à St Barthélémy. Mais comme j'étais tout content d'être un jeddaï, et que le force travaillait comme une folle dans le cervelet et les jambes, je trouvais que ce genre de choses faisait partie du décor. Je suis resté sous une cloche de plomb pendant trois jours.
J'étais très heureux, mais c'était quand même difficile, le pire étant les arrivées inopinées de Shankar, un français vraiment adorable, qui suivait tout ce qui se passe, et qui parfois venait tailler une bavette avec l'autre zouave qui avait toujours raison. Et Shankar savait raconter tout ce qui se passait. Il arrivait parfois avec une telle colère contenue que je me prenais ça en pleine poire, et ma journée était foutue. Ça me prenait au ventre, ça y restait, mais je pensais à autre chose, je bougeais, et ça finissait par disparaître avant la nuit. Il rongeait son frein, Shankar, il n'en pouvait plus parfois, et il dégageait tout ça, parce qu'il avait un très beau vital, qui irradiait son mécontentement, et comme l'autre zouave adorait les commérages, si j'étais pris entre les deux feux, ce n'était pas triste. Le fait est quand même que Shankar avait raison sur bien des points, mais qu'est-ce qu'on pouvait faire? Je me souviens que c'était comme un kibboutz ma communauté, elle ne payait pas de mine, il y avait un immense hangar plein d'amiante dans le toit, quelques cases, une cuisine conséquente, et une grande table dehors. Mais à cette époque, il y avait plein de types qui étaient là sans argent personnel, dans cette communauté ou dans d'autres, et donc les groupes recevaient le fameux «panier» de Pour Tous, avec de la nourriture. Deux fois par semaine, je crois. Et des fois il y avait trois fois rien... Et Shankar n'en pouvait plus parce que Z se faisait ses œufs au bacon tous les matins, dans sa sorte de propriété, la conscience tranquille. (L'idée de Shankar c'était sans doute qu'il aurait dû refiler des œufs de son poulailler, mais l'autre il se les gardait pour lui, c'était ses poules). L'inégalité est le principe même d'Auroville. L'argent y règne, mais par toutes sortes de ruses, c'est dissimulé, tourné autrement, la variété est constructive, et donc c'était merveilleux, on pouvait tout se permettre à Auroville, no problem. Il fallait juste apprendre à être poignardé dans le dos, jugé et condamné, puis réhabilité, et trouver tout ça normal. C'était merveilleux si on avait assez de tripes, si on supportait un des climats les plus pourris de la planète, plus de deux mois de pluie non stop, avant noël, et un mois et demi de canicule, qui embrasait tout le mois de mai. Je me souviens de l'initiation à la chaleur, on s'imagine que l'air, par définition, ça rafraîchit. C'est faux, passé quarante-deux degrés, c'est pire avec le vent, et des fois il y avait des bourrasques, on se croyait dans une fournaise. Je me réfugiais dans mon réservoir de flotte, c'était amusant. Et puis l'été, on pourrait penser que c'est agréable, mais non, il pleut peu, la chaleur ça va, mais il y a plein de saloperies qui traînent, et on voit des angines, des furoncles, des tas de bactéries, et de petits virus. Il y a des dysenteries, des amibes quasi inexpugnables (j'ai déjà donné), les fruits et les salades, si on ne les lave pas avec une dilution de teinture d'iode, on prend des risques. Les jus de fruits donnent la diarrhée. Les auroviliens sont des héros aussi, mais pas dans le spirituel, dans leur manière de se battre pour avoir une autre vie, il n'y a rien à redire de ce côté-là, là où ça foire, c'est l'amalgame entre la vision de Mère et leur engagement terre-à-terre, ils se battent sur un front purement matériel, voient des adversaires partout, ce qui est loin d'être faux, mais le yoga intégral, avec la big ascèse intérieure, franchement ce n'est pas leur truc. Alors je crois qu'il y en a plein qui ont craqué, comme moi, car ils étaient venus pour un trip plus profond, plus inclusif, et ils n'ont pas pu partager grand-chose. Alors un jour, soit on pète les plombs, soit on dit merci pour tout, Auroville, j'ai compris que la vie était un combat, et on se casse, sans rancune normalement, et libéré d'un mythe irrespirable.
C'était à un moment où j'y croyais encore, le yoga était vraiment bien parti, alors je me fends d'écrire une lettre assez détaillée à Satprem, parce que ça se faisait, et que des billets de sa belle écriture calligraphiée arrivaient régulièrement à quelques-uns. Pas nombreux, mais ça pouvait se faire. Ma lettre lui est donc parvenue, et je lui donne des détails pour qu'il soit assez difficile d'échapper à l'impression que je fais vraiment des expériences supramentales. Loin de me vanter, j'explique les difficultés, mais que je tiens bon. Le fait est là, le cervelet est pris souvent plusieurs heures, je dois parfois impérativement dormir, les moindres manifestations du mensonge me terrassent des heures ou des jours, mais ça a lieu. J'ai trouvé la piste, cette connasse de voix qui m'avait susurré que c'était impossible, jusqu'à ce que j'identifie ce que ça pouvait être, cet impossible, m'a indiqué le chemin. Elle aurait mieux fait de se taire, peut-être que je me demanderais encore ce que j'ai à faire. J'attends quelques jours. On est à table, et le billet m'est remis, devant tous les gars, on devait être sept ou huit. Le grand zouave attendait goulûment que je lise ou je commente, pour faire la tournée des communautés avec la dernière de Satprem, mais j'ouvre le billet, et ferme ma gueule. Et je ne risquais pas de l'ouvrir, ma gueule. La moindre des choses à laquelle moijepersonnellement m'attendais, en m'adressant à l'expert, au spécialiste de la question, au confident de Mère, c'est qu'il se donnât la peine de me dire «ok, mon petit, viens boire le thé qu'on parle de tout ça.»
Que nenni, my god. Un quatrain laconique, un koan Zen de l'époque classique, un truc de 4 lignes qui pouvait tout dire et ne rien dire. Maintenant que j'ai vu le thème astrologique du breton, je comprends mieux, le Scorpion y est puissant, la lune noire est en 7, la relation à l'autre est donc difficile, auréolée de mystère, à double tranchant, ce n'est pas facile comme position. Bref, moijepersonnellement tombe des nues, le type, il aurait du bondir de joie dans ma petite tête, à l'idée que l'expérience de Mère continuait, et vérifier vite fait, m'encourager le cas échéant, mais non mon neveu. Les quatre petites lignes me ramenaient à la case départ, et il aurait pu les adresser à n'importe qui, c'était du pareil au même. Alors ça fait bigrement mal. Je me tuais à faire ce yoga et le seul type qui pouvait me donner un coup de main se tire les pieds. Bref, il était question d'un lac, agité à la surface, mais dont les eaux profondes restaient calmes. Sybillin de chez Harry Potter. Cela pouvait donc vouloir dire, au choix, que je fantasmais parce que je n'étais pas assez comme il faut à l'intérieur, calme, silencieux, and so on, autrement dit, passe ton bac d'abord, on verra plus tard, ça pouvait vouloir dire, mon petit tu as des progrès à faire, il faut que les choses t'atteignent moins, ça pouvait vouloir dire moi je sais de quoi il en retourne et pas toi, vu la froideur du billet. En tout état de cause, ça voulait dire, quelle que soit l'option: pas la peine de sonner à la maison, j'ai mieux à faire, et c'est là où je ne suis pas d'accord. Je respecte, mais pour moi, Satprem n'avait pas mieux à faire que m'accorder un entretien. A une époque où l'on ne sait même pas qui va pouvoir continuer le boulot de Mère, et qu'on est le plus concerné par la question, c'est fordekafé de balayer ça d'un revers de main, de s'en tirer avec quatre lignes passe-partout, cela aurait dû faire tilt. Mais non !C'est inadmissible, mais je l'ai vite accepté, naturellement, chaque journée était d'une telle richesse, que je n'ai pas insisté. J'ai dû rester k.o sur le ring, mais sans émotion. Le grand zouave n'a pas osé me demander ce que j'en pensais, du petit billet, ni personne d'autre. Une claque par-ci, une claque par-là, jusqu'à ce que je comprenne que je suis seul. Vu mes 3 planètes en Poissons (soleil, lune et Mercure) et l'ascendant taureau, un mars gouverné par Vénus, il fallait me sevrer, il n'y a pas d'autre hypothèse. Me sevrer. Le mec il était trop en osmose parfaite avec l'univers, c'est impardonnable, il faut lui apprendre à se désynchroniser, il faut qu'il morde la poussière, qu'il parvienne au concept de dualité, parce que son unité est inadmissible. Sinon, il va tous nous absorber.
A force, j'ai compris. J'ai trouvé le supramental, il m'a trouvé. Au-delà de cette affirmation réciproque, tout est possible, que je reste le seul à continuer, que je transmette, que d'autres trouvent, trouvent et continuent, trouvent et s'arrêtent, que d'autres s'imaginent que c'est ça, alors que c'est le diable ou seulement le bon dieu, peu me chaut, il ne manque pas de narcissiques, de mythomanes, d'affabulateurs, de mégalos, de manipulateurs, qui se ruent sur le concept supramental, parce que, effectivement, c'est ce qu'il y a de mieux, et c'est un produit de luxe qu'on peut s'acheter gratis avec l'imagination. Le mot est une bombe, de simples psychologues s'en emparent et forment un club pour promettre le supramental à leurs ouailles... Ceux qui s'entichent de Sri Aurobindo et Mère, souvent, se croient les seuls à tout avoir compris, et dignement, ils s'enferment dans leur supériorité, en ne s'ouvrant presque plus aux autres, censés forcement en être moins loin, et ils font la fine bouche sur Natarajan, ce qui les rassure sur leur propre sort, en guettant avec l'âme du redresseur de torts un passage de mes écrits qui pourrait leur permettre de m'abattre, au lieu de se laisser emporter, sans effort, à contempler mes peintures en phrases en se laissant faire. C'est tout ça qu'il faut avaler et vomir, régurgiter, en acceptant, disant oui, ok, ce n'est pas grave, je continue quand même. Il y en a plus de cinq cents qui ne me reconnaîtront jamais, parce que je ne leur ai pas demandé l'autorisation d'arriver là sans eux, parce que ça les emm.... que j'y parvienne avant et que je voie leurs failles, et qui finalement auraient préféré que le yoga finisse avec Satprem: ils auraient pu nourrir le mythe, se considérer dans le saint des saints, commémorer et tourner en rond... Alors que je continue, et que j'affirme que c'est possible, qu'il ne faut pas renoncer, ni passer sa vie au cimetière, ni refuser le réel.
Rien n'empêche...
Que c'est l'histoire de la terre, et non celle de notre réalisation perso, dont le Divin n'a strictement rien à faire, bien que ça aide naturellement.
Rien n'empêche.
C'est votre amour-propre qui est blessé par le départ de Satprem, on voulait y croire, on était dans le bon groove. Mais c'est vous qui comptez, et comme moi, vous recevrez des claques et des coups... Tant que la leçon ne sera pas apprise.
JOURNAL SPECIAL WEB. (Blog 2008)
Où l'auteur, lassé des nouvelles terrestres tristes, se fâche et se lâche.
(L'adaptation est la clé de la serrure quand la porte résiste aux coups de pieds, de hache, de massue, au feu du chalumeau et de l'incendie, et qu'il suffit de tourner le loquet pour l'ouvrir.)
Baraka (maître de Nasrudin)
Natarajan cesse de se montrer tiré à quatre épingles comme dans les principes de la Manifestation ou Cosmophilosophie, et, sans vergogne, il porte un nœud papillon sur son torse nu, des souliers vernis, et un bermuda à fleurs, pour se discréditer définitivement auprès des formalistes, des rationalistes, et des jaitoukompris, abondants dans les eaux cosmiques, qui ne lui pardonneront jamais un style aussi leste, vulgaire, direct et prétentieux, et surtout méprisant pour leur sainteté ésotérique.
23 Février 2008
Je n'en reviens pas d'avoir commencé un nouvel essai en Malaisie. Cela s'écrit tout seul, j'écris à la main, c'est plus naturel pour le premier jet. Ce sont dans des moments où je sens à quel point je suis en avance, et avec une clarté absolue, je me permets d'avancer que tout a préparé le supramental et c'est finalement cela qu'on cherchait à travers «Dieu», l'humanisme transformateur, tous les idéalismes. C'est tellement évident que c'est presque fastidieux d'écrire tout cela, alors j'en profite pour présenter le travail spirituel sous un jour assez complet. Cela ne peut s'écrire qu'au moment où le sentiment que la vie doit devenir divine est absolument intégré à ma perception de base, et j'ai l'impression que c'est ce qui m'arrive. Mon état est de plus en plus naturellement tourné vers le supramental car le corps physique sent et apprécie presque tout le temps son action, et une sorte de sensibilité qu'il rajoute, mais qui demeure indescriptible. J'ai une vision très claire du fonctionnement du cerveau, qui ramène l'intelligence à des positions contingentes, dès que la peur ou le désir se manifestent dans l'environnement. Je comprends l'avantage de vivre en circuit fermé, mais certaines compulsions peuvent rester au fond, sans être sollicitées, et l'aventure vers l'extérieur est donc plus intense, plus contrastée, plus enrichissante. Peut-être que je travaille spécialement pour les gens particulièrement ouverts et réceptifs, c'est possible, c'est ma structure, puisque finalement je suis plus mystique que sage, bien que les deux aspects collaborent maintenant. Je serai utile au moins à ceux qui ont le même profil psychologique, des yeux immenses, des oreilles fines, de grandes capacités de déplacement intérieur ou extérieur, de multiples intérêts dans l'altérité, et le besoin profond de changer la vie.
Je ne veux pas décréter que ce modèle de tempérament est meilleur qu'un autre, mais je rappelle que le supramental se perçoit sur le plan physique, et que la réceptivité est un excellent outil pour capter ce qui se passe sur terre au niveau énergétique. Ce n'est pas impossible que les quelques premiers mutants représentent des tempéraments archétypiques pour lesquels ils travaillent en priorité, en exposant ce qui va avec les qualités, les angles morts. Les personnes très centrées conservent longtemps des scories d'amour du pouvoir, et les personnes adhésives par excellence ont de la peine à découvrir l'indépendance d'esprit absolue. Il doit y avoir d'autres types de fonctionnement, d'autres modes de proportion, mais dans tous les cas de figure, l'enjeu demeure le même, que le moi serve le non-moi, dont le Divin est le sommet, et que le non-moi serve l'évolution de l'être psychique, qui est l'aboutissement de la Manifestation.
5 Mars 2008
J'ai été un peu fatigué par le retour de cette mini-bronchite à droite, et cela a suffi pour couper mon élan vers l'écriture du journal, tandis que le texte commencé en Malaisie s'est écrit presque sans moi. J'en ai profité pour faire du mantra plus souvent, et hier j'ai relu un morceau de Savitri. En fait, je vois à peu près la même chose, mais je l'expose de manière dialectique. Il est clair que si certains lecteurs peinent à comprendre le concept de «signifiants vides» que je viens de créer, ils seront aidés par la lecture de Savitri, où Sri Aurobindo revient inlassablement à la fois sur les limites du mental, et sur les imperfections de ses créations. Je crois que vers la fin du livre je brosse un tableau quasi exhaustif de ce que peut être une préparation au supramental. Je devais rectifier le tir, parce que le paradigme envoûte tout le monde, enfin, ceux qui ont une grande sensibilité (l'empathie leur permet de souhaiter ardemment une révolution terrestre) et ceux qui possèdent une grande intelligence, et qui savent par le perçu spontané, sans efforts, que le langage, et donc la pensée, masquent le réel au lieu de le découvrir. Or, beaucoup de ces personnes, qui ont de réelles capacités, peuvent avoir quand même tendance à oublier un aspect essentiel: la nécessité de servir le DIVIN, indépendamment de tout résultat, avant de prétendre le gagner. J'en reviens toujours au fait que la voie spirituelle est un alpinisme particulier. Dans une ascension concrète, la moindre erreur pénalise, et sans la vigilance et l'habileté vous êtes un homme mort. Dans la démarche spirituelle, le mental est si prégnant, qu'il se rassure sans cesse sur sa «consécration», alors qu'elle peut être relativement superficielle, et l'on peut se donner le change sans danger, en s'appuyant justement sur des échafaudages, des constructions intellectuelles, qui n'ont rien à voir avec la véritable qualité du perçu.
Or, je ne peux pas laisser dégénérer le mouvement sous prétexte que je n'ai pas d'autorité ou que chacun est libre. Je ne suis pas un camelot non plus, comme Lacan, qui pour créer son propre discours hermétique, a prétendu faire un retour à Freud, ruse d'un dominé qui va lécher les babines du dominant pour mieux lui piquer sa place par la suite. Non, ce n'est pas pour défendre le politiquement correct en imitant Sri Aurobindo. Il se trouve que le Divin dont il parle est réellement tellement au-dessus et tellement puissant à travers les quatre shakti, que le seul moyen d'approcher ce mystère, c'est de l'aimer et de le respecter, avant même de le connaître, à tel point qu'il n'est plus là pour seulement nous permettre, à nousjeperso, de nous réaliser. Il est peut-être nécessaire d'être possédé par un idéalisme brûlant pour s'offrir correctement au supramental, et saisir qu'il est une nécessité absolue pour l'espèce, pour ne plus l'assimiler à quoi que ce soit de religieux, ou d'égocentriquement spirituel. Le supramental n'est pas fabriqué pour l'humain, c'est peut-être l'inverse, en supposant qu'il y ait assez d'hommes pour se lasser de leur statut actuel, pour se lasser vraiment, ce qui permet d'entrevoir chaque instant différemment, comme une béance aléatoire vers d'autres absolus qui nous guettent. Le supramental laissera de côté ceux qui le veulent pour eux-mêmes, pour tirer leur épingle du jeu, et je crains fort qu'un développement mental soit nécessaire également, parce que la manière de saisir le réel par le développement du champ de l'intelligence libère de la conscience matérielle et spatio-temporelle. Une ouverture vers l'immensité passe par l'amour de toutes les informations qui nous cadrent dans notre époque, nous plantent dans une culture terrestre, nous enracinent dans une Apocalypse ou un âge d'or, en fonction du principe de synchronicité. Ressentir ce qui arrive à la terre, maintenant, deviner la transformation en cours, rapproche du possible, et, dans cette mesure, même les éléments pérennes de la Tradition sont dépassés, parce qu'il se passe quelque chose, qui est indépendant des itinéraires spirituels du passé.
Sri Aurobindo avait bigrement les yeux ouverts sur le monde, puisqu'il voulait même libérer l'Inde coloniale, il n'est donc pas tombé dans le panneau de l'Inde spirituelle bien pensante, pour laquelle la vie est trop proche de l'ordure pour que ce soit pertinent de vouloir la changer. Il ne faut pas oublier l'immense dette de ce pays vis-à-vis du Divin, puisqu'il est arrivé que des brahmanes, jusqu'au dix-huitième siècle, censés vivre dans la confidence de Dieu justement, punissent de mort des intouchables dont l'ombre avait croisé leur silhouette. Le mépris de l'autre y est institutionnel et toute forme de hiérarchie est sacrée, la femme est benoîtement mise sur le même pied que la vache sacrée, si l'on exagère tant soit peu pour faire rire d'une situation intolérable, à laquelle on ne peut rien changer rapidement. Aujourd'hui l'Inde tombe complètement aux mains du mensonge, ses dirigeants adorant le veau d'or et se partageant un immense butin entre quelques familles seulement, avec une nouvelle classe de nouveaux riches m'as-tu-vu particulièrement répugnants, (même vus comme déguisant le Moi universel plutôt qu'en tant qu'individus libres, on les croise dans les hôtels moyens et ils respirent la suffisance, leur regard vous annule s'il rencontre le vôtre), tandis que les intouchables croient encore beaucoup trop à leur statut pour le faire voler en éclats, bien que quelques femmes s'y mettent, parce qu'elles échappent aux abstractions sacrées. L'ashram de Pondichéry recelait aussi beaucoup de l'âme indienne, infiniment procédurière et tatillonne, qui ne se rassure qu'en interprétant les choses, alors qu'elle prétend aimer l'expérience, ce qui sonne assez faux. Elle est dépourvue de l'habile simplicité chinoise, qui aime ajuster ses actions à des fins, sans ostentation, elle manque de la confiance dans l'avenir, propre à l'âme occidentale, qui est certes un piège, mais également un moteur d'initiative, et elle est attachée à ce qui est supérieur, ce qui la prive du regard horizontal, et lui permet de trébucher en permanence sur les choses matérielles, pour mieux regarder le ciel, une fois qu'on est étalé par terre. Je ne sais même pas si Satprem a exagéré sur la fin tragique de Mère, mais l'effet que me faisaient les hindous de l'ashram, quand j'allais au Samadhi, c'est qu'ils étaient tous déguisés, et qu'ils essayaient d'épater la galerie. Les meilleurs devaient sans doute se planquer, et j'ai déjà évoqué le coup de poignard de Nolini pour reporter aux calendes grecques la transformation. Le mental hindou est si puissant dans certaines provinces que peu d'indigènes en disposent, comme s'ils étaient manipulés par leur histoire, l'incroyable diversité des cultes religieux, le véritable zoo de leur panthéon, les innombrables voies d'accès au transcendant banalisées dans des bandes dessinées, les grands saints devenant des batman et des superman dans l'imaginaire des enfants, qui disposent de centaines de légendes édifiantes à leur disposition. Distinguer le mythe de la réalité devient un exploit, parce qu'ils s'imbriquent l'un dans l'autre et se renforcent mutuellement, ce qui donne finalement l'impression que tout est boursouflé, prêt à éclater, saturé. La vie est foncièrement rigide, ce dont on se venge dans les temples où des statues bariolées et innombrables, de couleur vive, chantent une vie divine joyeuse.
Le besoin d'adorer Mère semblait tellement faire partie du décor qu'il est bien possible que certains souhaitaient sa mort, d'autant qu'elle n'en finissait pas de vivre, juste pour avoir le plaisir de lui rendre grâce, de la diviniser, ce qui restait impossible de son vivant, et annonçait une cérémonie sans précédent, un grand partage tribal de luxe. Sri Aurobindo semble avoir dû lutter jusqu'au bout pour faire reconnaître Mère comme son égal, elle avait eu le malheur de naître ailleurs, elle est restée une pèce rapportée pour beaucoup, ou une sorte d'intendante, et Satprem s'est trouvé être l'homme providentiel qui sauverait l'expérience nouvelle de Mère, et permettrait à l'Occident, aujourd'hui tourné correctement vers le Divin, de profiter d'un message que les hindous, généralement, déconsidèrent, car il n'a pas fait ses preuves. Si l'on ne me croit pas, qu'on s'intéresse de près à l'Inde, qu'on discute avec les indigènes. Ils vous diront tout le mal qu'ils ont eu à choisir leur Ishta devata, leur dieu sur mesure, parmi la bonne vingtaine à disposition si l'on ne garde que les meilleurs. Alors, comme chacune représente Dieu, et pas davantage le préféré, on l'entoure de tous les autres, de manière à ce qu'il devienne difficile de s'y reconnaître, et qu'on ne sache plus à quel saint se vouer. Au moment de mettre l'accent sur quelque chose, l'esprit hindou a peur de rater un autre point aussi important, ce qui fait qu'il se régale à pédaler dans la choucroute. Son grand rêve, c'est de tout préférer, et que le détail soit aussi décisif que l'essentiel, et il en rêve la nuit. Moralité, bien qu'il prétende à s'élever jusqu'à Dieu avec une panoplie d'échelles inépuisable, il passe son temps à astiquer les barreaux avec des liturgies malheureusement prises au sérieux, même chez des esprits supérieurs. L'idée que la forme est importante bouffe l'esprit hindou, à telle enseigne par exemple qu'il existe un rite où l'hôte qui reçoit prépare un fritchi conséquent pour le visiteur, alors qu'il est indispensable que l'invité n'y touche pas (une question, encore, de relations hiérarchiques sans doute). «Regarde, je me mets en quatre pour toi!»... «O merci, il ne fallait pas, et tu sais bien que je n'ai pas le droit de toucher à la nourriture». «C'est ton choix, moi je ne peux pas t'accueillir sans me donner l'impression que je vais bien te traiter!». «Et moi, je ne peux pas manger le plat que tu m'as préparé parce que cela voudrait dire que je suis ton égal». Je dois projeter, sans doute, je n'y ai rien compris, et d'ailleurs je ne suis ni sociologue ni anthropologue. Je ne me vois tout simplement pas préparer un plateau-repas pour quelqu'un qui n'aura pas le droit d'y toucher. «J'ai fait du homard, aujourd'hui, mon cher, et il va très bien avec ce brut millésimé, je vous en prie servez-vous». «Ce serait avec plaisir, mais nous avons parlé du problème, et il est temps que je vous quitte... sans façon».
Natarajan, tu manques de finesse...
On peut ainsi choisir Krishna, le seigneur de l'Amour dans la tradition populaire, mais où cas où les affaires tourneraient mal, ce serait dramatique car sa protection ne suffirait pas, et donc, sans aucun scrupule, on le flanque de Ganesh, le seigneur des obstacles, qui doit veiller au grain afin que la famille ne soit pas ruinée. Ce serait snob d'oublier Hanuman, qui a sauvé Rama, le grand ancêtre, et il y a au moins un poster où l'on voit sa poitrine ouverte comme pour une opération à cœur ouvert, ce qui ne le dérange pas le moins du monde, et choque pas trop parce qu'un singe divin peut tout se permettre. Il faut du féminin, et sont disponibles Kali, Durga, Parvati, Lakshmi, Saraswati, plus leurs dérivées locales, et ce n'est pas tout. Que penserait Shiva si on le tenait à l'écart? Alors, il faut qu'il soit là, à la rigueur sous la forme de Nataraja, moins sévère, ou de Nandi, son bœuf, qui peut ainsi tenir compagnie à Hanuman. Comme cela est quand même laconique, et un peu trop classique, l'autel digne de ce nom comporte plusieurs photos de saints contemporains, toujours selon le principe qu'il vaut mieux ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et on attend de leur regard lumineux quelque grâce particulière, comme si le fait de les «reconnaître» allait transférer jusqu'à la maison leur pouvoir spirituel, d'autant qu'on pense à toute la bande à des heures fixes, car il ne s'agit pas de déroger quand même. Le panthéon surmonte tout, et dès qu'on pense à un dieu, cela en amène un autre, automatiquement, parce qu'ils se serrent les coudes, ne cessent de se croiser dans le Mahabarata, et qu'il ne faut pas faire de jaloux. La sobriété, en matière religieuse, ne peut exister en Inde, et si un Dieu possède une bonne dizaine de noms selon les phases de son action, on a la chance de pouvoir le célébrer dix fois en changeant l'étiquette, ce qui n'est pas négligeable. Il faut en quelque sorte se noyer dans ce qui n'est pas là pour nager dans ce qui est. Il est probable que la mentalité hindoue et la mentalité chinoise représentent deux opposés, l'une économe, presque avare de représentations, toujours à l'affût du réel «qui se passe», l'autre pléthorique, dévorée par l'imagination et donc l'atermoiement, prête à tout pour trouver que l'abstrait est meilleur que le concret et que le haut l'emporte sur le bas, alors que pour que le jaune, ils sont complémentaires. Les faits n'intéressent pas l'hindou, et il ne peut donc les critiquer en les regardant tels quels. Ils s'inscrivent dans une logique culturelle ou psychologique, ils ne sont bons qu'à supporter des intentions, mélanger des buts, habiller des concepts, et on les soupçonne d'avoir toujours une part maudite cachée. Ce qui ne va pas concrètement ne touche pas l'hindou, et le renvoie à ses croyances.
Le chinois n'hésite pas à s'abaisser si cela peut lui être utile, l'hindou est fier par définition, convaincu de la supériorité de sa culture, et que Dieu est avec lui, il fait tout pour ça; et s'il a la chance d'appartenir à une des deux classes supérieures, il suppose que la vie lui a remis clés en mains la vérité pour son usage perso, à condition que sa liturgie soit impeccable... En fin de compte, on n'a plus rien à faire, puisque tout le travail spirituel est remis à ceux qu'on admire, vénère, adore, sous prétexte que soi-même on ne fait pas le poids. Cette forme de lâcheté institutionnelle est confondue avec l'humilité, ce qui fait que ce peuple qui pense à Dieu en permanence n'est pas capable de voir les choses en face, puisqu'elles se rapportent toujours à d'autres considérations... Leur conformité aux règles liturgiques, aux dogmes scabreux et contradictoires, aux interdits culturels qui foisonnent, à l'habitude, à la coutume, à un règlement parallèle qui peut saper celui en vigueur, de manière à ce que l'action soit toujours la plus douteuse possible, et que la considération, l'opinion, le jugement, soit le plus jouissif possible, et scabreux pour sembler profond, vu que tout va de travers et qu'il faut en débattre pour harmoniser les erreurs.
Véridique, et tant pis si vous croyez que j'en rajoute. 1983. Le trafic aérien était encore potable. Je me pointe avec mon billet retour Delhi, Bombay, Paris... à Bombay. Le jet est parti avant de Delhi où je ne l'ai pas pris, et je compte donc y monter à l'escale de Bombay. Impossible. J'argumente, «ok, je devrais déjà être dans l'avion, mais il s'arrête cet avion et je n'ai qu'à monter dedans, je ne demande pas le remboursement du trajet escamoté, je veux juste le prendre». Impossible. Il fallait le prendre à Delhi. Pont final. «Oui, mais il est là, l'avion, et je suis sur qu'il y a de la place.» Ok, monsieur, mais pourquoi vous n'êtes pas parti de Delhi? «Je n'allais pas repartir à Delhi alors que j'étais plus près de Bombay quand même, puisque l'avion je peux le prendre en chemin vu qu'il fait escale.» Oui, mais vous n'avez pas à le prendre ici votre avion. «Ok, mais moi je sais qu'il y a de la place et que je n'ai qu'à monter dedans et qu'il vous suffit de dire oui.» Non, monsieur, c'est un billet Delhi, Bombay, Paris, et non Bombay Paris... Je croyais être dans un cauchemar, parce que le cirque a duré un bon moment, alors j'ai fait un scandale, et j'ai obtenu de voir en personne le directeur de l'aéroport, après une demi-heure de pourparlers inutiles. Il avait l'air d'un petit rongeur pléthorique, heureux, jovial, bien en chair, petit de taille, style écureuil épanoui, et j'ai recommencé ma plaidoirie. «J'ai manqué le début du trajet, mais l'avion est là, je ne savais pas être dans mon tort, ce n'est qu'une fâcheuse erreur qui ne change rien au fait que mon siège m'attend pour le vrai parcours, et j'aimerais bien y monter, je suis sur qu'il y a de la place». Avec un grand sourire, comme s'il était certain que cela allait me faire plaisir, après avoir regardé le billet comme s'il était pestiféré, il me dit, désolé, non, vraiment désolé, vous auriez dû monter à Delhi, c'est impossible que vous embarquiez ici. «Mais enfin, je suis sur le passage, mon billet est valable sur cet avion-là, qu'est-ce que ça peut faire que je monte à Delhi ou à Bombay? Delhi, c'est trop tard, Bombay, c'est ici, et l'avion fait escale, et il y a des passagers qui montent, mon siège m'attend». Le sourire augmente, l'empathie tombe à zéro, ce n'est pas un problème pour lui que je doive racheter un billet, trouver un hôtel dans la nuit, le seul vrai problème c'est que je devrais être déjà dans l'avion, et que je n'y suis pas. Je me demande comment un truc pareil peut se passer, ça dépasse mes capacités de compréhension. «Ne me dites pas que c'est impossible, dites que vous ne voulez pas me laisser monter!»
C'était quand même le grand patron, et il ne comprenait pas que je refuse d'accepter de perdre mon billet, vu que l'autorité suprême de l'aéroport me disait que je le méritais bien, et que je devais me réjouir de me repentir de mon erreur, au lieu de regretter que l'avion parte sans moi à moitié vide, avec le billet correspondant pour les 9/10 du trajet. Pour lui, la bêtise était irréparable, j'avais k monter à Delhi, on n'allait pas rattraper ça en me laissant passer quand même, trop facile, trop clair, trop net, trop spontané, et les lois alors, hein, vous en faites quoi des lois, vous? T'aurais dû prendre ton avion à Delhi, et il n'y a pas à sortir de ça sous prétexte que tu peux y monter maintenant, que je sache! Et c'est pas parce que tu peux le prendre ici que ça change que tu aurais dû le prendre ailleurs, si tu veux le fond de ma pensée... Ah mais, où va-t-on si on se met à simplifier et résoudre les problèmes au lieu de respecter le règlement?
On a bien dû passer vingt-cinq minutes, et il ne cédait pas, toujours souriant aux nouveaux arguments que je pouvais lui soumettre. J'ai dit que je n'avais pas d'argent pour me payer un nouveau billet, sourire, il fallait monter à Delhi, j'en étais bien conscient, croyez bien que je regrette mon erreur, vous mettre dans un tel embarras, c'est de ma faute, sourire mais surenchère de sa part «Je suis désolé que vous ne soyez pas monté à Delhi, c'était une fausse bonne idée de prendre l'avion en route, ici, c'est pour les billets Bombay Paris, vous comprenez... , et vous en plus, il y a le trajet Delhi Bombay, qui exigeait l'embarquement à Delhi!» Finalement, je l'ai bien regardé dans les yeux, je lui ai dit, en montant le ton (j'étais jeune à l'époque et exaspéré): je monterai dans cet avion, en ambulance s'il le faut, mais je prendrai mon avion, et j'ai fait mine de partir furax, la tête baissée, comme si je ruminais une ruse pour être rapatrié tant j'avais l'air décidé. Je crois d'ailleurs que j'allais continuer à me battre jusqu'au bout, quitte à déplacer la police et faire une crise simulée de démence. Cela l'a un petit peu ramené à la réalité, zut alors, elle existe, pas moyen de s'en dépêtrer de la réalité, il va le faire ce petit enfoiré, il va feindre une embolie pour rentrer chez lui, ou déranger le consul... Alors il m'a dit: bon d'accord, si l'agence qui vous a émis le billet vous laisse passer, vous prenez votre avion, on envoie un fax à Paris. «Bien sûr, monsieur qu'ils vont me laisser passer, je l'ai payé ce billet, l'avion est là, et il est conforme le billet, sauf que je ne fais pas tout le trajet, c'est tout... Pourquoi voulez-vous qu'ils me renvoient prendre l'avion à Delhi alors que c'est trop tard, et en amont?» Il a envoyé un fax, et naturellement, l'agence, ouverte grâce au décalage horaire, ne s'est pas opposée à mon départ, ce qui fait que le petit rongeur est devenu tout vert et tout penaud, mais il a gardé le sourire du type qui ne se trompe jamais et qui reçoit un mauvais coup du sort en traître, comme si c'était surprenant, inédit, miraculeux et incompréhensible que ma place existe encore alors que je ne l'occupais pas depuis le début. Je l'ai remercié chaleureusement, avec une certaine condescendance quand même, qui lui a sans doute donné le sentiment d'être rétrogradé d'une ou deux castes et qu'il avait perdu la partie malgré son acharnement à me faire payer mon erreur de parcours. Plus d'une heure et demi de perdue, alors qu'il suffisait de me laisser passer et rattraper mon vol; de considérer que mon siège était mon siège, que je commence à l'occuper ici ou là, vu que l'avion était accessible. Il y avait de la place, les voyageurs de Bombay attendaient d'y monter, ma méprise ne changeait rien, ne compliquait rien, je m'étais juste trompé de gare en aval, et bien non, il fallait annuler le contexte réel, se moquer éperdument que je reste en rade et me ruine pour trouver un nouveau billet, un hôtel, un départ rapproché, un aller simple. Le fait essentiel était que je me permette, crise de lèse-majesté, de vouloir occuper mon siège plus tard que prévu! Bravo, l'Inde, tu ne déçois jamais, tu fais tout en grande largeur, la bêtise, la misère, le génie spirituel, la religion, l'hypocrisie et la superstition, l'égoïsme surtout, c'est tout démesuré. On apprend chez toi que tout est permis parce que tout est interdit, et qu'il suffit de choisir si l'on vénère le bien ou le mal, mais il faut vénérer. Le reste, c'est encombrant. N'empêche que j'ai vu l'Inde sous un autre jour, et que j'ai compris que, sans menace, on m'aurait empêché de partir. J'étais vraiment content dans le jet du retour, mais n'ai pas compris comment le petit rongeur pouvait faire pour manquer d'empathie au point de préférer me forcer à rester à Bombay et perdre mon billet, plutôt que me laisser le passage d'une facilité absolue. J'y ai pensé une bonne partie du trajet, et je me suis même dit que des types comme cela, il y en avait beaucoup beaucoup, et que c'était peut-être un des problèmes sur la terre: la schizophrénie certifiée conforme. En Inde, elle est plus vivace qu'ailleurs, puisque grâce à la dégradation de la religion, le réel et le religieux sont coupés l'un de l'autre. Le meilleur dévot ne peut rien éprouver au spectacle d'une rue où des milliers de femmes et d'enfants meurent de faim, c'est Dieu qui l'a voulu. On comprendra que, n'ayant pas la même opinion, je ne peux admirer les autels domestiques où les symboles des dieux sont entassés, choyés, adorés, alors que les hommes qui jouent à ça ont des relations fermées avec tout le monde. Invité chez des brahmanes (le chef de cabinet d'un ministre) j'ai vu ce dernier parler à sa femme comme à un chien, qui restait debout derrière lui pendant qu'il mangeait, tendue vers la moindre demande de sa part. Heureuse, paraît-il, de s'effacer pour son seigneur et maître, ce qui, avec un bon entraînement d'hypnose est sans doute possible. La religion tient sous cloche tout un peuple, et ce n'est pas si étonnant que pour en finir avec cela, certains tombent dans l'excès opposé, le modèle occidental, l'athéisme et l'alcoolisme, qui frappe de plein fouet les nouveaux riches depuis 1990, à peu près, où j'ai vu des débits de boisson s'ouvrir à Delhi, qui ne désemplissaient pas, les bourgeois actifs s'arrêtant en coup de vent, descendant de leur auto neuve, pour passer d'une hypnose à l'autre en achetant à la va vite une bouteille de whisky, pour laquelle ils éprouvaient la trace de la vénération ancestrale vouée aux dieux.
C'est un monde renversant, qui rend facilement fou le suisse ou le scandinave psychorigide qui débarque à brûle-pourpoint à Bombay ou Calcutta, et qui finit en psychiatrie, ce qui n'est pas vraiment rare. Car la réalité explose en contrastes insoutenables pour un blanc, dont le mental n'est pas habitué à de tels extrêmes. C'est vrai que pour couper court à la façon dont l'humain se manifeste en Inde, le mieux est de court-circuiter le problème et de s'abonner à la recherche de Dieu en fermant les yeux sur tout le reste, la moitié du reste étant en fait insoutenable, comme par exemple les bordels où des filles intouchables se vendent pour trois fois rien, embrigadées sous l'égide d'un temple, à des hommes de castes supérieures qui y viennent la nuit en catimini, le visage dissimulé, car ils sont censés naturellement éviter ce genre de choses, vu l'étanchéité des castes et le crime de l'adultère. L'Inde rivalise dans les faits avec les meilleurs scénarios de science-fiction d'un Jack Vance ou d'un K Dick, à l'imagination vraiment débridée, puisqu'en 1978 seulement, à Bombay, on pouvait croiser sur le trottoir le matin le cadavre d'un mendiant mort pendant la nuit, à quelques pas seulement du 5 étoiles le plus prestigieux. Beaucoup de petits maîtres tournent en rond dans leur cadre dit spirituel, à force de références, et ramènent sans cesse leurs préoccupations à leur désir de verticalité, chassent d'un revers de main toute allusion au déroulement pitoyable de la vie chez eux, et ils n'observent rien ou presque de ce qui se passe, à l'affût d'un meilleur qu'ils traquent. Ainsi Swami Prajnanpad, si content d'être parvenu là où il se trouve qu'il dit, «je ne glorifie pas la vie comme Sri Aurobindo», sous-entendu, le pauvre, il n'y a rien compris, il ne s'est pas détaché du samsara. Encore un fier d'être au sommet, fatigué par son ascension, et qui ne veut pas entendre parler d'un pic supérieur, le sien étant déjà parfait et certifié par trois mille ans de témoignages de précurseurs... Si l'on reste dans la perspective de Sankara, la vie est une illusion qui ne pose pas de problèmes particuliers, elle n'a pas à être bonne ou mauvaise, elle est à dépasser, et agir dessus constitue une perte de temps, un gaspillage de concentration yogique, et pour l'Inde presque entière, c'est le fin du fin de négliger les circonstances et les structures socio-culturelles, appelées apparences, pour mieux feindre de s'occuper du dessus. Quand ça l'arrange, l'hindou dit que la matière, la société, l'histoire, les phénomènes: c'est l'illusion. Cela n'empêche pas ce peuple d'être frappading de l'or, et de nombreuses bijouteries attirent les économies des pauvres. L'esprit est à géométrie variable, la même chose est fausse dans un contexte, vraie dans un autre, il faut savoir où l'on met les pieds.
Mais comme le Supramental révèle et rend accessible l'énergie qui traverse n'importe quel atome, qu'il constitue de la roche, de la cellule animale, de l'air ou de la substance nerveuse, il montre que la matière est aussi réelle que l'Esprit, et qu'elle en est même, en termes physiques, sa masse. C'est assez renversant, et tout devient réel, sans effort, et le soi n'est plus supérieur au samsara, à la manifestation, à la vie, ce qui fait qu'on trouve que les enseignements spirituels, c'est de la crotte. Et on n'y peut rien, c'est le supramental qui voit comme ça, à travers son instrument. Mère dit la même chose, dans le 1961. D'un seul coup, tout rétrécit, les sommets semblent de petits pics, les christ et les bouddha des types qui s'entraînaient en se faisant les dents, avant que les choses ne changent, et qui se la pétaient quand même un peu, car c'était le seul moyen de faire face à autant d'obscurité triomphaliste, entrer dans le jeu, et faire sa petite mise en scène.
Il ne peut rien exister de meilleur que le moment que nous traversons, à chaque seconde, car c'est le seul point d'appui réel à notre disposition. C'est là que tout se joue, et tous ceux qui souhaitent que le supramental prolonge leurs rêveries, dans l'axe de ce qu'ils croient être, se trompent d'adresse.
Le soi et le Divin ne prolongent rien du tout, car le Brahman est intemporel, et le supramental éternel.
Cessez d'exiger que la durée vous prolonge, qu'elle comble vos attentes et contourne vos angles morts, et le vrai Moi aura une chance de sortir de sa tanière mentale, où de nombreuses forces l'assiègent, si je peux me permettre, et oui, je me l'autorise. Ceux qui veulent monter avant de descendre ne sont pas sortis de l'auberge, et il n'y a pas de lumière nouvelle sans dissolution d'obscurité: on peut refuser cette règle car elle est désobligeante, mais on ne peut pas l'escamoter. On fait donc semblant de comprendre Bouddha en s'entichant de méditations parfaites et en mettant la poussière sous le tapis, comme tout le monde a appris à le faire, ou bien on s'imagine qu'on en termine avec l'ignorance avec quelques pirouettes et postures, toujours cette illusion de régler les problèmes en leur accordant une attention momentanée et régulière, un morceau de temps artificiel, chargé de laver tous les autres, ceux qui viendront derrière, par magie. Messes, méditations, et tutti quanti: l'intemporel qui libère se dérobe, puisque rien ne piège dans le temps ce qui lui échappe. Il faut donc trouver la voie, la seule.
Vouloir réussir Dieu est un mensonge, acheter son Amour en se croyant dans le cœur, alors qu'on ne pousse en avant que ses préférences sans s'attaquer à sa propre demande d'approbation, à son orgueil d'imaginer qu'on en est digne à peu de frais, à sa prétention d'aimer alors que les objets fascinent encore, c'est l'erreur la plus répandue de l'anthropomorphisme supérieur. La réalité n'a rien à vendre, parce qu'elle se tient d'un seul tenant. Voler à Dieu son amour fait remonter les démons intérieurs, car rien n'est plus jouissif, pour l'homme qui descend du serpent, que de faire le mal au nom du Bien. C'est presque à cela que se résume toute l'histoire humaine, hors inventions diverses, et le vingtième siècle ne s'est pas privé de le démontrer en long, en large et en travers. Dans Savitri, cette observation est largement développée, et seule la satisfaction de s'appuyer sur le Divin permet au roi de regarder tout cela sans broncher, car il sait que sa vision va permettre la lente rédemption de la vie:
Là, le bien, perfide jardinier de Dieu,
Arrosait de vertu l'arbre à poison du monde
Et, soigneux du mot et de l'acte extérieurs,
Greffait ses fleurs hypocrites sur un mal natif.
Livre 2, chant 8
L'œuvre de Sri Aurobindo dérange davantage les hindous que n'importe quel autre peuple, puisqu'il dément qu'il faille laisser la vie de côté pour atteindre Dieu, ce qui est quand même le leitmotiv de nombreux enseignements locaux, bien pratiques pour se laver les mains du relationnel frelaté et de l'égoïsme triomphal qui caractérise cette culture. Son témoignage ne peut forcer l'indou à s'empoigner avec la contingence qu'il déteste, qu'il contourne, qu'il abandonne sous prétexte d'aller prier Dieu, et sans doute donc que son message sera à nouveau contourné et récupéré, le plus simple étant de diviniser l'auteur de la vie divine comme Avatar (ça lui apprendra!), et lui faire de petites offrandes en se jugeant indigne d'embrasser son yoga, un bon investissement pour la prochaine vie, puisque c'est «the best» de tous les dieux. Du paresseux trop mou pour être yin et qui refuse l'implication par fausse modestie, mais qui déborde de bons sentiments, à l'arrogant trop dur pour être yang et qui s'imagine faire le yoga (alors qu'il s'emmure dans son orgueil car il est incapable de se soumettre à la Conscience de Vérité), toute la gamme des laissés pour compte transcendantaux se décline, mais tous partagent la même propriété: être incapable d'une remise en question exhaustive de leur perception, et biaiser pour faire comme si. Ceux qui adorent se dispensent de regarder vers le bas, leur vital, et ceux qui agissent et se différencient se dispensent d'adorer. Sans compter les aveugles: Ceux qui cherchent à condition d'être certains de trouver. Ce sont donc tous ces humains médiocres, incapables de prendre le moindre risque, qui n'aiment que les aventures balisées et les mariages arrangés, qui rêvent de faire certifier conforme leur démarche en cirant les pompes d'un maître millésimé, et qui ne donnent rien avant d'être certains de recevoir autant. Ils se persuadent que ce qu'ils envoient à Dieu c'est de l'amour, mais c'est autre chose, leur peur sublimée pour les uns, leur orgueil pour les autres. Ils n'ont pas saisi l'enjeu de la vie, ils sont victimes de leur besoin de sécurité, ils avalent le temps qui les mange sans rien en tirer, ils représentent l'humanité qui n'a pas besoin de feu, de Dieu, d'immensité. Ils quittent à regret la condition animale, la rumination tranquille de la vache, la sérénité détachée du félin au prisme étroit, ou l'ivresse commune du chien ensorcelé par l'extérieur, et le mental les pousse quand même à imaginer la totalité, qu'ils vont apprendre à courtiser sans renoncer à leur perception séparative. Ils passent maîtres dans l'art de donner des coups d'épée dans l'eau, ce qui leur donne le change, puisque les erreurs peuvent s'enchaîner logiquement dans une trame imparable, il suffit que les prédicats soient faux, mais qu'ils se développent avec cohérence. Nous ne pouvons pas grand-chose contre une telle force d'inertie, sauf trouver nous-mêmes la shakti divine qui nous propulsera dans la grandeur, la noblesse, la Vastitude. Ceux qui n'aiment pas l'Inconnaissable, et qui continuent à vivre pour eux, devraient oublier le paradigme supramental, et en revenir à des préoccupations plus à leur portée.
La difficulté est de voir cette horreur de la médiocrité humaine sans qu'elle réveille le justicier fou, prêt au terrorisme pour en finir (certains cèdent encore à cette illusion ravageuse parce qu'ils aiment un Dieu hors de la vie), sans qu'elle engloutisse dans son océan de fatalisme (la conclusion parfois d'un k.o debout de trop), sans qu'elle nous blesse ou nous encercle de si près qu'elle désenchanterait notre yoga, ou nous ferait douter du Divin. Cela arrive pourtant, comme dans la Gûitâ, que succèdent à de grandes envolées solaires la vision insupportable de la condition humaine, dans ses grandes lignes, et que ce retour à l'évidence désarçonne le guerrier le mieux intentionné. La Vérité et le mensonge restent proportionnels fort longtemps, et des horreurs de grande taille guettent l'aspirant divin qui récolte quelques résultats, et embrasse parfois Dieu ou la Mère des Mondes. Voilà pourquoi il est toujours plus simple et efficace, si l'on est terrassé, d'attendre le retour de la shakti pour se remettre en marche, puisque parfois nos propres forces sont insuffisantes. Nous triturons l'Inconscient de l'espèce, et il se venge à la moindre occasion. Aujourd'hui, nous sommes prisonniers de l'Histoire, on peut observer ses murs, et détecter les failles par lesquelles elle ne peut empêcher l'homme d'évoluer, quand bien même elle serait dirigée par les puissances du mensonge. Et le mensonge ne peut rien contre l'âme qui émerge, pacifie le vital, dédramatise l'émotionnel, et traverse le mental dont les représentations contradictoires torturent l'intelligence ordinaire. Travail que les yogis endimanchés, que les croyants mondains, que les chercheurs snobs, que les ésotéristes cérébraux entreprennent entre la poire et le fromage, quand cela leur chante, ou en s'infligeant un horaire minuscule, tandis que le reste du temps ils dévorent la durée avec l'avidité convenue de celui qui veut la soumettre à ses désirs et caprices. En finir avec cette gloutonnerie assez maligne pour mettre en scène son contraire, l'ascèse verticale, c'est le défi que le Divin pose à l'humanité. Le supramental montre en premier lieu les faux engagements (qui semblent trop nombreux si nous sommes pressés, mais dans l'ordre des choses si nous ne sommes pas impatients), et les limites des vrais engagements.
Soit cette vision m'appartient et je me tais, soit je mets en garde ceux qui pourraient se tromper, ou ceux qui pourraient s'arrêter en chemin. Et vu l'urgence, au lieu de me taire comme je l'aurais fait dans une époque moins troublée, je parle, annonce la couleur, pourfends les faux-semblants pour la simple joie d'apporter la lumière, puisque je ne combats pas le mal. (Il n'y a pas de pire ineptie que de combattre le mal, avec quoi s'il vous plaît, alors qu'il est facile de favoriser la lumière, Jésus et d'autres maîtres sont unanimes sur ce point, et tout combat contre le mal finit par le nourrir à la moindre erreur).
Ceux qui liraient ce texte en y voyant de l'amertume, ou des relents d'inquisition, ne feraient que projeter certaines choses non réglées. Je n'en veux à personne, mais ma vision est nouvelle et profonde, et ceux que cela intéresse de rejoindre le supramental peuvent toujours plus ou moins en tenir compte. Les autres ne peuvent pas comprendre une telle élévation de pensée, et je n'exige pas d'être compris. Je sais, d'une manière aujourd'hui exhaustive, pourquoi l'humanité foire en permanence, et c'est pour apporter un remède que je diagnostique. Je n'ai pas à me vanter de mon statut, mais le supramental n'allait quand même pas, sous prétexte que c'était le Divin, m'enlever ce qui est ma raison d'être: la connaissance. Elle s'est étoffée, elle n'a pas à rivaliser avec une autre, elle ne peut pas être déclassée par une comparaison, car c'est de la connaissance pure, qui ne m'appartient même pas, le fruit de ces milliers d'heures de travail du supramental dans le cerveau.
Je ne cherche pas de coupables, je ne chasse aucune sorcière, le mal est enfoui dans la perception même du réel qui est avalé et approprié par le moi au lieu d'être expérimenté comme une source permanente de leçons, de transformations et de progrès. Tant qu'on ne sait pas «s'effacer», je doute qu'on ait compris l'essence du spirituel, puisque toutes les programmations génériques, puis héréditaires, et enfin astrales, vont se combiner pour fournir des modes de perception et de pensées dynamiques, qui se suffisent à eux-mêmes pour créer le sentiment du moi. S'effacer veut dire cesser d'accorder autant d'importance à la manière naturelle dont on voit les choses et soi-même, et constater à chaque instant que des pistes s'ouvrent, hors du désir et de l'ambition, pour se relier d'une manière plus profonde à l'univers.
Le désir doit être relégué s'il n'est pas abandonné, et toute ambition doit être détruite, car elle n'est que de la faim existentielle, mécanique et sans lendemain. Il peut rester des mouvements, pragmatiques parfois, mais ce ne sont plus des ambitions qui engagent tout le moi comme si sa vie dépendait de ces réussites minuscules. Or, le moi s'identifie sans vergogne à de nombreuses poussées de la volonté et de la pensée qui l'empêchent de comprendre le réel, puisqu'il ne fait jamais qu'en poursuivre un petit morceau sans connaître l'ensemble, avec une complaisance certaine, et sans être jamais sorti du cadre arbitraire du départ. Moralité, l'indou est bouffé par l'image de Dieu, le chinois par celle du travail, l'occidental par celle de l'avenir, tandis que des peuples qui n'ont plus rien inventé depuis quatre mille ans ne peuvent pas produire d'individus et disparaissent pour une raison ou une autre, souvent aidés d'ailleurs par des singes debout d'autres provinces ou d'autres races. Or, la conscience peut se développer dans n'importe quel être humain, à condition qu'il sorte des envoûtements majeurs, c'est-à-dire du politiquement correct local. Le chemin est identique partout, on ne suit plus les panneaux du bas, on cherche des signes au-dessus, et tant pis s'ils sont rares, ils sont infiniment plus précieux.
L'éveil spirituel commence donc quand on se rend compte qu'on ne peut pas faire jeu égal avec l'univers, et que, sans profil bas, on ne fait que perpétuer la nature. Le profil bas va amener du respect et de l'amour pour la totalité, va pacifier le vital, réduire l'arrogance, fluidifier le mental, et on apprend à accepter de dépendre de tout ce qui nous dépasse. Mais ces prises de conscience-là, élémentaires dans tout engagement spirituel, n'ont pas été effectuées par de nombreux soi-disant «chercheurs» modernes, qui restent donc incapables de recevoir de la totalité ce qu'ils en attendent, car ils la sous-estiment, l'instrumentalisent, ou encore, imaginent qu'elle doit se soumettre parce qu'ils se la pètent avec quelques questions métaphysiques. Not enough, j'ai bien peur. Cela va jusqu'à la mode de pensée qu'une Terre nouvelle arrive, et qu'on profitera des hautes fréquences en restant le minuscule petit ego assoiffé d'affectivité et de sécurité qui se voit bien profiter d'un monde meilleur.
On ne peut souhaiter le supramental que pour des motifs absolument nobles, universels, imprescriptibles. Le besoin de se réaliser ne correspond pas à ces critères, s'il reste entaché d'un narcissisme primaire, d'une érotique du mouvement, d'une Idée triomphaliste de soi-même, ou encore d'une fuite de l'incarnation matérielle, ou d'un déni de ce qui est. C'est vrai qu'en trouvant le supramental, on prend sa revanche sur la médiocrité humaine, on s'en nettoie, on s'en libère, on participe à un projet enfin efficace pour sauver la Terre, encore faut-il faire le travail qui prouve à l'univers qu'on ne se fout pas de sa gueule en prétendant être à la hauteur de l'Eternel.
6 Mars 2008
Je me répète, mais c'est normal, je n'ai pas grand-chose à dire. Je cherche maintenant la cause qui maintient l'humanité dans une fausse conception du présent, puisque presque tout le monde le vit comme un simple prolongement de soi-même, mais je ne parviens quand même pas à comprendre comment cela est possible. Alors on a mis des mots là-dessus, l'Ignorance, les hindous et Bouddha sont d'accord, et même Gurdjieff: l'être humain dort les yeux ouverts. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il fait beaucoup de mal sans s'en rendre compte, comme le raconte aussi Sri Aurobindo dans Savitri. Le sommeil est si puissant que les massacres apparaissent en général comme justes à ceux qui les perpètrent, car on ne trouve pas toujours les forces du Mal, comme dans le nazisme, dans cette immense procession de l'histoire aussi grotesque que pathétique, où des guerres imbéciles ont lieu pratiquement partout. Le tribut à l'ignorance est énorme, la force séparative du mental, à l'état brut, c'est la bêtise: je suis moi, je suis diffèrent de toi, donc je suis meilleur. C'est la structure de base du clan, les nomades du désert se poursuivant dans le sable pour se châtrer au risque de se perdre dans les dunes analogues, les Romains soumettant par le viol et l'humiliation, la menace et la torture, des peuplades nombreuses, sans parler des guerres chez les Grecs distingués, d'une province à l'autre: et tout cela s'est passé tout à l'heure à l'échelle supramentale. Et on se gargarise du «droit romain», on invente de la civilisation en choisissant chez les barbares les quelques nouveautés où ils n'ont pas eu besoin de la violence pour créer. On s'imagine ainsi qu'il existe une «civilisation occidentale», ce qui est dur à avaler quand on additionne les Croisades et l'Inquisition, la colonisation éradiquant tout sur son passage, en particulier en Amérique du Nord, alors on préfère regarder du côté où c'est joli, Léonard de Vinci, Pic de la Mirandole, Botticelli, et on pourrait même se réjouir de cet îlot de mansuétude si Giordano Bruno n'avait pas été brûlé, pour faire bonne mesure, et rappeler quand même qu'on n'abolit pas le règne de l'étroitesse d'esprit par enchantement. Car le vrai problème est là, plus on est étroit d'esprit, plus on trouve justifié de recourir à la violence pour s'exprimer, se défendre, faire admettre son initiative, accéder à son désir, maintenir l'autorité. Qu'est-ce que ça pouvait bien leur faire, qu'elle tourne ou pas, la Terre? Non, il a dû se rétracter le génie qui avait trouvé ça, sous peine qu'on lui fasse des misères. Il y a combien de temps? Quelques secondes, à l'échelle de la Terre. Krishnamurti, le célèbre dandy, a passé sa vie là-dessus, et je le comprends. Lui aussi, d'ailleurs, se répétait énormément, au bout de dix lignes, le même thème revient toujours, et on peut croire qu'il radote...
Mais qui dit qu'il y ait tant de problèmes que cela dans l'humain, pourquoi n'y en aurait-il pas que quelques-uns, triés sur le volet, nécessaires et suffisants à empêcher toute transformation décisive? Deux ou trois verrouillages très profonds sont peut-être largement suffisants pour rendre compte, à eux seuls, de toute l'incurie de l'espèce. Le verrouillage le plus profond est sans doute celui qui fait que le semblable n'aime que le semblable, et se méfie du non-même, qu'il est déjà prêt à haïr. On aime reconnaître chez les autres les mêmes qualités que les nôtres, les mêmes valeurs, les mêmes goûts, et même les mêmes aversions, et c'est déjà tout un entraînement d'admettre la différence. Je me souviens, quand j'étais en Inde, si je trouvais qu'on m'importunait, quand on me demandait (en général au bout d'une minute) quelle était ma religion, je disais avec une conviction légère et profonde: «Je ne crois pas en Dieu», et j'ai vu des adolescents de bonne famille verdir, à partir d'une peau cuivrée, à cette seule déclaration.
J'ai donc une chance extraordinaire, comme Sri Aurobindo, de pouvoir m'identifier à tous les hommes, grâce à la conscience supramentale, je les comprends de l'intérieur (c'est une connaissance par identité et non pas une identification émotionnelle), mais le fait est qu'ils sont bigrement divisés et fiers de l'être, et que je ne peux rien faire. Divisés, passe encore, on peut mettre cela sur le compte de la variété, mais fiers de l'être, ça gâche tout, parce que chaque clan revendique sa propre suprématie. Le concept n'est donc pas, tu es différent, mais «tu es différent et c'est ton malheur, car tu devrais être comme moi...» Je ne vais pas citer le nombre de peuples qui se croient supérieurs aux autres par définition, parce qu'ils pourraient avoir le culot de le nier et de m'attaquer si je publie, mais ils sont assez nombreux, et ce, dans toutes les parties du monde. Ils prennent un air entendu quand on leur parle des étrangers, et ce genre de choses, c'est enraciné culturellement, et sans introspection, on reste là-dedans. Je ne peux pas réconcilier les croyants et les athées, et quand on pense qu'il y a encore de nos jours des colloques «inter religieux» parfaitement laborieux, pénibles et convenus, remplis de bonnes intentions qui débordent et finissent en reproches au second degré. Chacun essaie de séduire l'interlocuteur d'une autre confession (mais chaque représentant n'en pense pas moins qu'il tient le bon bout et que c'est finalement dommage que l'autre ne se rallie pas à son propre dogme), c'est affligeant... Comme s'il n'était pas encore définitivement établi que les exigences du judaïsme, de l'islam et du christianisme sont identiques! Il y a de quoi péter les plombs.
Heureusement, Vasudeva permet de tenir le coup. Quand le moi devient tous les moi, on embrasse l'humanité entière, comme un lot d'enfants turbulents, et on lui veut fondamentalement du bien, parce qu'on a des yeux, des oreilles, et tout le reste, et qu'on ne peut pas vraiment faire abstraction qu'on est logé à la même enseigne, même si on la chance de pouvoir pénétrer le Moi universel et d'être tous les autres hommes. Je ne m'attache pas, personnellement, au côté extatique de Vasudeva, bien que ce soit, naturellement, une consécration pleine de félicité. Mais son côté pratique est absolu. Chaque fois que le mental souffre de voir les hommes aussi stupides, parfois méchants, mais surtout lourds et endormis, la conscience supramentale passe là-dessus et rassemble les perceptions, puis les sublime dans la conscience une, celle que nous partageons tous, et qui n'est pas affectée par les changements de formes, les variations individuelles. Il y a une libération certaine, puisque on devient l'Un, et la trace de l'avenir divin semble se manifester dans le présent. J'ose m'ouvrir de cela, car j'aime le côté pratique de la spiritualité, celui qui change la vie, les simagrées pour se la jouer «j'aime Dieu», cela va un moment, comme la masturbation adolescente prépare la rencontre érotique, et puis il faut passer à des choses sérieuses, et là Dieu nous demande de changer le monde en commençant par nous-mêmes. Il n'en demande pas plus. Il n'en a rien à faire, en réalité, de nos petites mimiques de courtisanes de luxe, quand on s'approche de Lui, en se faisant tout un cinéma, avec des encens, des postures, de l'application travaillée, des sutras dédicacés de la main du maître, des résolutions numérotées et cette graine d'obséquiosité repentie de majordome, en guise de signe de soumission.
Il exige la sincérité absolue.
Il a un côté brigand, que personne ne comprend. Il veut tout. La question est de savoir s'Il peut vraiment Se Le permettre, et Sri Aurobindo et moi, nous disons: affirmatif, Il peut se Le permettre.
Puisqu'il donne, également.
Il est clair qu'en règle générale l'être humain marchande, ce qui fait que Dieu, qui n'est pas bête dans le fond, lui fourgue de la marchandise de mauvaise qualité, qui correspond à l'offre minable qui lui est faite, et, en fin de compte, la terre périclite à toute vitesse, parce que ce marchandage à grande échelle a perverti toutes les cultures. Tiens, qu'on se dit, Dieu n'a pas donné grand-chose finalement, et personne ne se souvient qu'on voulait L'acheter pour une bouchée de pain. Et comme Dieu est juste, Il a donné en échange de ce qu'il a reçu, c'est-à-dire des clopinettes, de la verroterie brisée, des règlements insanes, des certitudes fausses et des promesses fallacieuses, et des biscuits périmés déjà bouffés par les vers pour les enfants de chœur qui font ça pour se faire remarquer et anticiper leur vie de jeune premier. Dieu a fourni toutes les contrefaçons qu'on Lui a commandé, une à une, le long des siècles, sans faillir à la tâche, en s'adaptant à la couleur locale, puisque on a payé moitié roupie de sansonnet, moitié monnaie de singe, moitié chèques en bois. Moralité, il ne faut pas marchander avec Dieu, et contrairement à ce qu'on pense, Il ne fait pas crédit, bargaine et il te refile de la camelote, mais c'est trop tard, le mal est fait (sans te le dire évidemment, est-ce que toi tu lui as avoué que tu avais l'intention de l'entuber?).
Il exige tout, si on n'est pas prêt à tout donner, ce n'est pas la peine d'y aller, Il ne demande rien. Maître Eckaert a essayé de dire ça, Rumi aussi, Sri Ramakrishna, Vivek, Jesus, Ibn'Arabi, Hallaj, certains hassidim, même saint-Paul, le plus baratineur de tous, il l'a dit... Tout le monde l'a dit dans la profession, même saint-Augustin le coquet, et Bouddha, à sa manière contournée où la libération remplace Dieu, ce qui est loin d'être faux, il l'a affirmé, l'ignorance, c'est notre condition, pas un concept philosophique, c'est notre substance, on ne s'en libère pas les doigts dans le nez en se regardant le nombril.
Cette posture ne mène à rien, mais elle est très en vogue à toutes les époques, c'est le mensonge classique: je suis plus important que les autres, et mon importance doit se fonder sur un socle plus solide. Les maîtres l'ont dit: Dieu, c'est la question du sens de la vie, on ne triche pas avec ça. (D'autant que si on triche avec le sens de la vie, on risque de se méprendre sur le sens de la mort par la même occasion, ce qui constitue une méprise pleine de poil à gratter qui démange plus souvent qu'à son tour)
Ok, on a triché un max, et ça va très mal de chez casse-toi tu pues. Des filets dérivants de cent kilomètres, qui vident l'océan à toute allure en pleine expansion démographique de la planète bleue (on le voit, une procédure qui se préoccupe des générations futures), les abeilles qui crèvent partout, sans prévenir juste pour nous embêter, la couche d'ozone qui hésite entre l'expansion et la rétraction, méditative la couche d'ozone, les pauvres qui augmentent partout, surtout dans les pays riches, les très riches qui augmentent partout, surtout dans les pays pauvres, les glaciers qui fondent sans demander l'autorisation au Conservatoire du Littoral, qui leur refuserait, c'est d'ailleurs pour ça qu'il faut les traîner en cours de justice avant qu'ils ne soient de la flotte; le sperme qui perd vachement d'unités, sans qu'on sache même pourquoi, et pareil, à notre insu, sournoisement; les défenses immunitaires qui se cassent la gueule pendant l'hiver, les mutations virales qui n'attendent pas le feu vert des derniers Pasteur, les salopes, les maladies de civilisation nouvelles qui font un pied de nez à l'industrie chimique, la pornographie sur internet qui fait péter les plombs aux muslims carrés qui peuvent ainsi multiplier les grands Satan pour déifier Dieu davantage en sens contraire; c'est étrange, mais peu comprennent que cela arrive tout simplement parce que ça fait des millénaires qu'on triche, qu'on appelle vérité ce qui nous arrange, progrès n'importe quelle régression qui enrichit, et mensonge toute vérité qui dément le système de la connerie en circuit fermé qui fait foi sur le lopin de terre culturel.
On triche depuis le début, et comme le dépeint un éthologue français qui fait du Tao comme Jourdain de la prose, tricher est utile. La guenon, qui court moins vite que le mâle, feint de deviner un régime de bananes dans une certaine direction qu'elle indique avec des gestes, les mâles s'y précipitent, et la guenon parvient à courir pendant ce temps-là en sens inverse pour s'approprier le fruit: elle a berné le mâle, que je sache, en lui indiquant le mauvais chemin, sinon, la pauvre, la banane, elle n'en aurait jamais vu la couleur. Cela fait bien longtemps que le mensonge est à la portée de chaque individu pour écraser, exploiter, prendre le dessus sur son voisin, ça remonte au chimpanzé, un cousin assez proche, il ne savait pas parler le bougre: mais il savait déjà tromper.
Ajoutez le langage par-dessus, et vous avez la bête pensante qui ment avant même d'avoir ouvert la bouche (en ramenant tout à soi), et qui triche de bonne foi. Et, pour s'arranger avec soi-même aussi, c'est vachement pratique, le mensonge. «Je ne dis pas à ma femme que je la trompe, ça lui ferait de la peine, et je l'aime». Ben voyons, pourquoi se gêner, le mensonge, on finit par y croire, comme le reste il faut pratiquer, c'est tout, pour avoir des résultats et parvenir au mentir vrai, où l'on est plus sincère dans l'imposture que dans l'authenticité. (Comme pas mal de croyants qui, sortis du temple, redeviennent odieux. Ils se sont persuadés qu'ils étaient bons, et sont maintenant irrécupérables pour voir la réalité en face). Pratiquer. (Et comme dans tous les arts, il y a des échelons, quand on parvient à vendre la tour Eiffel, on peut se considérer au sommet, et on apprécie enfin les centaines d'heure de travail qui auront été nécessaires pour se mettre dans la peau du propriétaire de la colonne de fer qui se débarrasse de son bien, et il reste le plus difficile à accomplir, éviter d'éclater de rire au moment d'empocher son fric. Il y en a même qui vendent ce qu'il y a au-dessus, le ciel, agissant au nom de Dieu en personne, comme l'atteste leur bible volée au presbytère, et leur indignation sur la dégradation des moeurs. Le charlatanisme est un art qui, pratiqué avec assiduité et habileté, peut même mener à la direction de l'Etat, bien qu'il faille passer maître en démagogie, et que la concurrence est plus terrible qu'ailleurs dans ce domaine où les signifiants n'ont plus besoin de signifiés, les promesses tenant lieu à la fois de contenant et de contenu, ce qui n'engage à rien. Mais leur emballage est décisif, et les phrases bien trouvées, comme des emblèmes infaillibles, bernent l'électeur)
Sans blague, je me suis demandé tout petit si les adultes n'étaient pas débiles. Ils ont failli me faire peur dès le départ. Une fois, ils ont commencé à me parler d'un certain Père Noël qui déposerait des cadeaux dans mes souliers. Je n'avais qu'à faire la liste et la leur donner. Je prends des renseignements, et mes parents prétendent qu'il saura ce que je veux et qu'il passera par la cheminée. Là, c'est déjà supergros, vu que je sais que des cheminées il n'y en a pas partout, et qu'elles sont trop étroites pour supporter le vieux joufflu. Je trouve ça impossible et débile cette mise en scène, d'autant que le bonhomme en question était plus ou moins censé voler pour gagner du temps, et comme j'avais remarqué que c'était obligatoire d'avoir des ailes, qui manquaient au barbu en rouge, je n'étais pas partant. En plus, il était seul et devait passer partout, ce qui devenait absurde. Et pourquoi ces imbéciles ne m'avouent-ils pas qu'ils vont me faire des cadeaux parce que c'est l'époque? Je ne connaissais pas encore le premier commandement bourgeois par excellence: Tu prendras des vessies pour des lanternes et tu feras prendre aux autres des vessies pour des lanternes, car tous les hommes sont égaux, et l'illusion est plus belle que la réalité.
... On les initie vite fait au mensonge, les enfants, on leur dit tout petits qu'on est bien décidé à les prendre pour des abrutis ad vitam aeternam et qu'il faut bien les habituer dès le départ, bien les casser, qu'ils ne sachent plus différencier le vrai du faux, dès la maternelle, afin qu'ils puissent reproduire le schéma et raconter tous les bobards qui les arrangent quand ils sont pris la main dans le sac. Ils n'ont qu'à se souvenir des parents, le type dont ils entendent pis que pendre à table, qui un jour vient dîner, et papa lui cire les pompes, mais cher ami, par-ci, mais cher ami, par-là. Edifiant. Puis c'est une souris qui se débrouille pour déposer sous l'oreiller un cadeau sans se faire remarquer, au courant de tout la souris, pour fêter la perte d'une dent, et voilà que je me culpabilise de ne pas croire ma mère, comment «ma» mère pourrait-elle oser me mentir, ou se moquer de moi, ou trouver ça drôle de plaisanter avec le vrai et le faux? Avec les structures mentales propres à cet âge, l'esprit se fait des nœuds parce que l'affectif l'emporte, et comme je ne vois pas du tout la nécessité d'aller chercher une histoire aussi abstruse pour accepter que mes dents tombent, je me demande par quoi ils sont gouvernés, les adultes, pour recourir à des artifices aussi loin de la réalité? L'histoire de la souris, c'était tellement tiré par les cheveux, que je me torturais pour comprendre à quoi ça rimait. Est-ce vraiment l'humour qui dicte ces rituels, ou une vieille habitude mécanique qui fait que la mère bourgeoise des années cinquante joue avec son fils comme une petite fille avec sa poupée, pour qu'il ne la bassine pas avec ses souffrances dentaires grâce à la carotte du cadeau de la souris? C'est l'impression que j'avais, j'étais leur chose, et pas question de sortir du rôle. Mon père ne m'embrassait pas avant d'avoir vérifié que j'étais le premier de ma classe, et il venait me chercher le samedi, dans sa voiture dont il était fier, car ça ne courait pas les rues à l'époque, la 203, et je lui remettais le carnet de notes. Il faisait la gueule jusqu'à ce qu'il se félicite de mon rang. Il était fier alors de son bambin, dont l'excellence accompagnait bien sa réussite sociale, et j'avais droit à un baiser, mais après le carnet de notes, évidemment. (Cela l'agaçait de ne pas pouvoir user de son autorité parce que j'étais irréprochable, mais il s'est bien vengé à l'adolescence: son fils ne lui ressemblait pas, et avait le malheur de ressembler, de plus en plus «à sa mère», ce qui devenait une insulte, «mais enfin papa c'est toi qui l'as choisie la maman de ton fils que je sache!» C'est, comment dire, l'amour du donnant-donnant, le modèle de série sans options, le plus bas de gamme du marché, mais c'était de l'amour quand même, dans un certain sens, de l'amour projeté. «Je t'aime, mais fais bien attention à ne pas me décevoir, petit, je préfère aimer quelqu'un qui le mérite».
Ma grand-mère, croyant sans doute faire le bien, me persuade que les fellaghas sont des araignées géantes vachement gourmandes de chair humaine, comme si c'était moins pire que j'apprenne ça plutôt que la guerre en Algérie, et au même âge, six ans, elle me prometmenace que je deviendrais aveugle si je regardais une petite fille toute nue. (J'avais deviné tout seul comment on faisait des bébés, je lui ai dit, et elle m'a dit «tu es bête» parce qu'elle n'a pas supporté, et a enchaîné sur la promessemenace pour me clouer le bec). Eh oui, j'ai tendance à me souvenir de ce qui va «trop loin», parce qu'après je cherche à comprendre et la trace demeure.
Trahir le mensonge, c'est tout un programme, si c'est héréditaire depuis avant qu'on pense, et surtout s'il est censé présenter la vérité sous son meilleur jour.
7 Mars 2008
Tout cela sur les illuminations, pour dire quelque chose de très prosaïque en fait, j'avais du mal à m'habituer au bêlement ininterrompu et très puissant d'un mouton, sur le terrain non constructible, en face de chez moi, depuis quelques jours. Un bruit très désagréable, souvent avec des intervalles très brefs, chaque jour depuis quelques temps. Je butais un peu là-dessus. Et puis hier matin, c'est moi qui bêlais dans le mouton, et depuis, cela ne me dérange plus. J'ai le droit d'être ce mouton, n'en déplaise à Descartes, et c'est bien pratique, parce que son bruit absolument insupportable est devenu ma propre expression. Et maintenant c'est presque agréable. Oui, je sais, Vasudeva, ce n'est pas la porte à côté, et, malheureusement, je ne vends pas les billets. (C'est d' ailleurs peut-être une erreur parce que je ne roule pas sur l'or). Ce n'est pas un état qui est à ma disposition, d'autant que je ne le recherche pas, mais cela a vraiment été une bonne surprise que je devienne ce mouton, ça m'amuse presque maintenant de l'entendre, et c'était agaçant auparavant. Il y a comme ça plein de régions intéressantes, justement parce qu'elles sont quasi inaccessibles, et qu'elles ne sont pas encore infestées des vibrations humaines. Et plus on avancera, moins elles seront réservées aux champions. Acceptez qu'on trace la voie pour vous, même si on en profite en premier. Car la question est bien d'accéder à une autre vision des choses, et qu'elle soit d'un autre ordre, en prise directe, et ce sont justement les plans au-dessus du mental qui remplacent le jugement par la vision. Cela commence avec le Soi, et puis se développe avec le supramental, avec ce mystère effarant de la transmutation de la conscience en énergie, et réciproquement, selon les moments, les époques, le travail que le Divin choisit de faire, avec parfois des incursions dans le monde nouveau où, ensemble, la conscience et l'énergie s'épaulent simultanément. On passe ailleurs, dans un temps qui ne s'écoule plus, puis, en ce qui me concerne, je redescends automatiquement, car il semble que le corps ne puisse pas se maintenir plus de quelques jours dans le double état, mais c'est là où l'on se rend compte que l'échelle de mesure humaine est entièrement fausse. La durée d'une vie est une séquence minuscule, presque ridicule, le projet supramental prendra peut-être plusieurs siècles ou millénaires avant de s'implanter, c'est une révolution absolue, tout lui résiste. C'est peut-être ce passage qui justifie tout ce qui s'est passé avant, d'obscur, de ténébreux, dans un long apprentissage toujours remis en cause. Alors, ça vaut la peine.
De toute façon, on ne peut pas s'échapper de la loi du semblable. La seule solution, c'est que le différent soit aussi du semblable, tout embrasser et ne plus avoir besoin de réagir. Que le non-conforme soit aussi conforme, tant qu'on ne vous souffle pas dans les bronches, qu'on ne vous attaque pas, vous pouvez très bien accepter, sans tout approuver naturellement. Accepter, c'est un mouvement de fond, de tout l'être, et oui, finalement c'est comme cela que ça me plaise ou pas, c'est reconnaître le réel, ensuite, l'approuver ou non, c'est une prise de position, et ça peut être secondaire. Et le supramental, comme son nom l'indique, c'est au-dessus. Cela voit tout, spontanément, il n'y a plus rien à défendre, donc plus rien à interpréter... (Je ne vois pas quel moi j'aurais à défendre, je suis au-delà de toutes les valeurs, mais je ne me laisse pas forcément marcher sur les pieds quand même). On voit des hommes se battre pour rien, se haïr pour rien, se croire différents pour rien, on appelle cela le règne de la nature, on s'en est affranchi, et on indique le chemin. Les hommes vivent dans un immense décor auquel ils croient dur comme fer, car ils n'ont pas d'expérience transcendante à se mettre sous la dent, alors ils renchérissent sur tout, il faut tout gonfler d'importance rajoutée, car tout est vide de sens, mais en s'acharnant, ils parviennent à monter en épingle n'importe quoi. L'actualité, c'est le principe du soufflé, ça se ratatine dès que ça refroidit, et ça refroidit vite, mais il se passe toujours quelque chose d'insignifiant qui devient important justement parce que ça ne va pas durer... Mais que «ça arrive». Donc, notre culture croit à l'événement, c'est pourtant pas grand-chose, l'événement, par rapport au sujet, mais justement l'événement meuble la conscience du sujet, ça lui fournit un objet, pas besoin d'aller le chercher l'objet, quel effort, il se présente tout seul, tout affriolant, tu t'embêtes, hein sujet, et me voilà, je t'enchante, te scandalise, te dérange, t'énerve, je te permets de t'indigner, de monter sur tes grands chevaux, sans moi tu t'identifierais à quoi, sujet? Je suis l'événement, je viens à ta rencontre, je suis ton dieu, je le sais tu m'aimes. Bénis-moi, je suis ton aliment, ta friandise, et je te dispense par la même occase de te demander qui tu es, sujet: tu pourrais avoir de désagréables surprises, alors vénère-moi, et tout ira bien. Crois en moi, tu ne le regretteras pas, la seule réalité, c'est ce qui arrive. Ce que tu es, non seulement tout le monde s'en balance, mais tu n'y peux rien. Ne pars pas dans cette direction, crois-moi, ce qui arrive est fiable, c'est là, concret. Si tu te cherches, c'est l'aveu que tu es perdu, et ça, c'est très mauvais, tu es très bien tel quel, je te couvre. Et avant le règne du soufflé événementiel, existait la dictature de l'étiquette. Un anglais pouvait être viré de son club chic car il arrivait pour la troisième fois sans cravate, alors qu'habillé correctement, il était accepté même rond comme une bille. Avant que les dernières cours d'Europe s'effondrent, à l'époque de Beaumarchais, un homme pouvait voir sa réputation détruite par une seule phrase maladroite dont le roi se gaussait. Et aujourd'hui, il y a le dressing code, et l'on voit le bouddhiste branché se méfier du pratiquant du zen, et inversement, alors qu'ils poursuivent tous les deux le même but, le satori, la différence est de taille quand on y pense: le bouddhiste avoue que c'est son but, mais admet ne pas savoir s'il y parviendra, tandis que le zeniste se doit de dire qu'il médite pour méditer, et qu'il est au dessus de la convoitise de l'illumination, mais admet que ça peut lui arriver, par inadvertance. De quoi, on le voit, justifier une certaine condescendance d'un adepte à l'autre. Pareil, certains auroviliens, parce qu'ils sont «sur place» s'imaginent dans un yoga supérieur, ce qui confirme une millième fois le pouvoir exorbitant des représentations dans l'esprit humain, même celui qui se croit affranchi. Pour les croyants, c'est encore pire. Ce qui fait que quand on est dans l'état divin, qui comporte d'ailleurs plusieurs formes fondamentales, et qu'on voit ce que l'homme a fait dire à Dieu, c'est une expérience incroyable. Qui serait insoutenable si le Divin n'en profitait pas pour voir à quel point Il est capable de se moquer de Lui-même, et de se perdre dans la manifestation.
Si c'est Mahakali, c'est certain que cela ne peut plus durer, et elle brûle des survivances dynamiques dans l'inconscient individuel qui touche peut-être le collectif (Natarajan 1981), si c'est Vasudeva, l'homme apparaît comme ce singe menteur avide et cruel qui se libère, en traînant, de l'évolution inconsciente, et on le voit adorer l'illusion, car elle semble toujours plus agréable que la réalité, mais c'est supportable puisqu'on est soi-même cette multitude en apprentissage et qu'on y voit Dieu à ses débuts. Si c'est Ishwara, on sent qu'à travers ce chaos toute la ferveur et l'aspiration de l'univers sont offertes au Suprême, et ça rachète tout le reste, puisqu'à ce moment-là le moi devient Agni, et dans Mahasaraswati, toute l'humanité constitue l'organisme de Dieu qui dort dans la Matière et s'éveille par saccades, et à travers quelques individus. Toute notre histoire apparaît comme une colossale imposture, et non seulement à cause des forces vitales, finalement le désir fait partie de la nature, mais surtout à cause du Mental qui crée son propre monde entre le réel et le sujet, ce qui fait que chaque homme est enfermé dans les représentations de sa culture, son bocal, aux prises avec une image de Dieu tellement pervertie que le goût spirituel n'apparaît que chez certains, et encore, il devra se conformer au culte de la souffrance en Occident, avec la croix comme logo, au culte du Seigneur qui libère de l'incarnation, dans une bonne partie de l'Asie, et tous ces cadres préétablis orientent dans de fausses directions, c'est-à-dire, comme dirait Satprem, qu'on ne parvient pas à être «nu devant le Divin», car le travail psychologique s'arrête une fois qu'il épouse le cadre de la tradition à laquelle on appartient.
Sri aurobindo et Mère sont venus briser tout ça, c'est la raison pour laquelle un intégrisme supramental est particulièrement anticonstitutionnel.
L'homme semble effectivement quelque peu s'emparer de Dieu dans le paradigme visionnaire de la montée de l'évolution vers son sommet, mais cela n'est possible que parce que, d'abord, le Divin a choisi son instrument, et qu'Il y descend. On voit mal Sri Aurobindo se dire, tiens je vais faire semblant de faire la révolution le temps que le Supramental arrive, ou Natarajan se dire, tiens, je vais faire semblant de faire de l'alchimie le temps que je me «divinise», ça me fera patienter. C'est pour cela que s'imaginer qu'on va vers le supramental, c'est du concentré de mensonge. Ce qu'on peut faire, c'est servir la vérité, chercher la perfection, aimer le Divin, s'atteler à la connaissance la plus exhaustive, toutes ces choses-là sont vraies et profondes, et peuvent être personnelles. Mais vouloir atteindre le supramental, c'est s'approprier le paradigme avec son petit ego de luxe, se faire miroiter du sensationnel, convoiter le résultat au lieu de vivre le chemin, et c'est donc très dangereux de partir dans cette direction, alors que celle de l'effacement et du détachement du fruit des œuvres ne comporte aucun danger spirituel. Dieu n'a pas besoin qu'on Lui envoie notre carte de visite pour nous trouver. Ne vous inquiétez pas. Si vous êtes prêts, Il viendra jusqu'à vous, même si vous ignorez son existence. Laisser le Divin choisir prévient toutes les dérives dogmatiques où l'on ne conserverait que le côté gratifiant de l'histoire, c'est-à-dire «je deviens Dieu», en poursuivant une carotte narcissique. Non, le moi ne s'empare de rien du tout, c'est le principe du dessus qui cherche à l'amadouer, c'est encore très difficile (Il faut être plus qu'un héros pour faire ce yoga - Sri Aurobindo) et je laisse donc entendre à qui a des oreilles entende, que le web véhicule déjà des sites où l'on trouve du supramental contrefait, et qui transmettent le fantasme que le supramental est appropriable, ce qui est fondamentalement grotesque. Les termes mêmes qui sont employés pour parler de la procédure excluent toute expérience authentique de la chose.
Et heureusement, pour en revenir au troupeau, au bétail des dieux, il y a une chose qui les empêche de ronfler alors qu'ils dorment, c'est la souffrance, et parfois même, miracle, ça les réveille... Une bonne douleur qui s'invite. Le décor leur tombe sur la tête, ils s'affolent, «qui ose se permettre?», ils cherchent le metteur en scène qui a fait le coup, ne le trouvent pas, convoquent un avocat qui ne sait pas qui attaquer, mais les ruine quand même en prétendant pister le coupable, et enfin, Eureka, ils se rendent compte in extremis qu'ils sont responsables de leur malheur, par un petit basculement inopiné de leur intelligence, qui enfin rebrousse chemin vers le dedans. Ouf! Les voilà sauvés. Entre temps, ils auront peut être sacrifié quelques boucs émissaires au passage, papa, le conjoint, le patron, la fille ado qui fait le mur, ils auront épuisé un ou deux psy et auront consulté un medium en cachette, mais ils finissent par trouver la sortie: ma vie me concerne davantage que ce que je croyais et je peux sans doute peut-être m'y impliquer certainement d'une nouvelle manière. (Réflexion faite, c'est elle qui se déroule, et non pas moi qui dévide le temps, vu que ce salaud ne m'obéit plus et qu'il faut faire avec. On m'avait dit qu'il fallait le manipuler et qu'il se laisserait faire, j'ai été berné, on m'avait dit qu'il comblerait toutes mes attentes, et je me suis fait avoir).
Comme on dit au spectacle obligatoire (un peu démodé il est vrai) du dimanche: c'est de ma faute, c'est de ma faute, c'est de ma très grande faute (et je pourrai recommencer après la confession, vu que Dieu est assez stupide pour me pardonner à chaque fois).
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ll ne faut surtout pas essayer de les séparer, ceux qui aiment se battre. Mon premier très mauvais souvenir, je devais avoir six ans, c'était dans la cour de récré et je voulais empêcher deux groupes de se battre. A un moment donné, ils se sont concertés, et à plusieurs ils m'ont levé à bout de bras, afin que je craigne qu'ils ne me lâchent d'un seul coup, et que je m'écrase. Ils ont dû me porter ainsi trois ou quatre secondes, et m'ont laissé choir d'une hauteur raisonnable pour que je ne sois pas blessé. Je n'ai plus jamais interféré. Et quelque chose m'a stupéfié dans cette connivence spontanée, des deux côtés. A l'heure qu'il est, je ne comprends toujours pas l'intérêt de ce jeu, mais qu'ils fussent d'accord contre moi m'a quand même rassuré. Ils faisaient peut-être «semblant», mais les cris n'avaient pas l'air d'être simulés, et les coups non plus. Personnellement je préfère la guerre subtile, avec de vrais adversaires impersonnels, et là ce n'est plus vraiment un jeu. On passe à autre chose. Ce n'est plus une guerre idiote, avec des victimes innocentes, des mobiles creux, et des souffrances odieuses, et la commisération noble du rescapé indemne vis-à-vis de l'amputé moyen, à qui une décoration restitue, grâce à son symbole puissant, la jambe qu'il a perdue en se trompant de pas.
C'est une guerre éternelle. On ne cherche pas à avoir raison, à conquérir du territoire, à dominer. On cherche par où la lumière peut s'infiltrer. On creuse, ça marche un moment, on fait de nouvelles percées, et après, des salauds viennent reboucher derrière, et il faut tout recommencer. Mais, c'est comme les Echecs, à un certain niveau, on ne peut plus se lasser, car on est devenu le jeu, et jamais deux parties ne sont identiques. On ne joue même plus pour gagner, et parfois, libéré du fardeau de l'enjeu, on peut remporter des victoires remarquables.
8 Mars 2008
Ceci dit, la désinvolture, ou vigilance spontanée naturelle joyeuse, est plutôt un produit du taoïsme, car c'est cette culture qui, pour des raisons mystérieuses, possède les nomenclatures les plus précises des systèmes qui emboîtent le vital dans le physique, ou réciproquement. Ils savent depuis des milliers d'années, (à l'époque où les forêts européennes étaient peuplées de lourdeaux au sang chaud, probablement sans écriture) que le corps physique aime la paix, alors que le corps vital aime l'excitation. A partir de là, ils ont développé toutes sortes d'approches pour faire bénéficier l'ensemble du meilleur échange possible entre les deux, et inventé des «planches» de ramification énergie-matière qui laissent encore pantois les barbares de l'ordre des médecins. On peut chauffer les organes, faire descendre l'énergie au physique, par exemple le stimuler, mais on peut aussi travailler en bout de chaîne, développer une sensibilité physique conforme à ses exigences de paix, et qui remontera calmer le vital, qui a tendance à tendre excessivement vers le yang, et à parasiter ainsi, également, le sentiment du moi, dont l'exercice sera trop rapide. Il existe donc des invariants, dans la connaissance universelle, qui dénoncent les pentes «naturelles» des étages de la constitution humaine, et qui concordent. Le corps physique aime la paix, mais il peut sombrer dans l'apathie, enrayer les circuits énergétiques, par exemple par trop d'alimentation et l'abandon d'un minimum d'exercice physique. Le corps du milieu peut s'éprendre facilement du désir, et brûler trop vivement, ce qui se répercute sur l'esprit, infiniment trop rapide pour saisir des idées supérieures, les insights ne trouvant pas d'interstices suffisants entre les pensées pour se faufiler et transformer les modes d'associations d'idées. L'esprit est considéré comme pouvant faire facilement «cavalier seul», car il est plastique, et foncièrement autonome, et s'il oublie le vital ou le physique, et s'en détache trop, les représentations remplacent le perçu holistique (mentalvitalphysique) et enferment la personne dans son propre monde, qui ne perçoit alors dans le réel que le reflet de ses propres structures mentales, devenant aveugle au contexte. Un jeu trop important entre les trois enveloppes déclenche des maladies, et un équilibre parfait, obtenu par un travail de conscientisation sur les trois plans, peut mener au Tao. On remarquera l'analogie frappante avec les bases de l'hindouisme, où tamas préside au corps physique, rajas au vital, et sattva au mental, ce qui veut bien dire que les mêmes signifiés sont représentés par des signifiants différents, sujets à des variations bénignes, et que l'humanité travaille sur sa propre nature depuis la nuit des temps, et le consigne, alors que tout le monde s'en fout.
«Et pourquoi que tout le monde s'en fout, mètre?».
«Et bien mon cher Mily, tout le monde s'en moque parce que ces travaux initiatiques prouvent par a+b que si le moi ne se préoccupe pas d'aller voir de plus près l'équilibre des trois corps, il se soumet à la fatalité, qui infligera des accidents, propres à blesser le sujet; et procurera des satisfactions éphémères, des occasions, que le sujet ne saura malheureusement pas faire durer au-delà de leur occurrence hasardeuse, alors qu'il aimerait, of course, les conserver. Cette connaissance, mon cher Mily, que je peux qualifier d'universelle, met le nez de l'homme ordinaire dans son caca, pour le forcer à reconnaître que l'existence comporte des contraintes, et rien n'est plus cher à l'humain que de s'imaginer qu'il est dispensé de les respecter, donc il les nie, les contourne, ou par exemple les accommode dans la religion, où, mécaniquement, il prétendra célébrer son créateur, pour ne pas trop se sentir coupable de ne rien comprendre à ce qui lui arrive, et se dédouaner de ne pas chercher.»
L'accès à la connaissance est donc le passage obligé vers le supramental, puisque c'est elle qui fait exploser les cadres des représentations, élargit le champ visuel intérieur, qui peut devenir illimité, et prépare ainsi aux dimensions cosmiques. La connaissance est une expérience, accessible, et si elle ne se produit pas, elle ne peut pas accompagner l'intention suprême, l'aspiration divine, aussi loin que le sujet le souhaiterait, car il n'aura pas encore débouché sur le monde objectif pur, le réel qui existe bel et bien, hors projections subjectives. Ce travail vers la connaissance peut naturellement s'effectuer à partir des propriétés de chaque individu, et certains y parviennent avec peu de culture, et sans abuser de la réflexion abstraite, car leur attention est supérieure et leur permet de prendre des raccourcis, alors que d'autres ont besoin de sentir un vaste champ de perception à la disposition de l'esprit, mais les deux voies sont efficaces si elles sont bien menées, bien que leurs formes s'écartent l'une de l'autre.
Et ce qui en fait l'efficace, le te en chinois ancien, c'est la qualité de la présence au moment, qui doit éviter d'être filandreuse, trop yin, car le moi se noie dans l'identification, et éviter d'être trop sèche, trop yang, car le moi reste trop près de lui-même sans s'ouvrir au champ transformateur de la scansion de l'instant. Ce serait donc une erreur dramatique de s'imaginer que la voie puisse être décrite, puisque n'importe quel itinéraire peut être le bon si le moi se positionne correctement dans la durée. Mais comme c'est cela le plus difficile, on cherche l'efficace dans la forme du parcours, alors que seul le moi, selon la manière dont il se pose dans le moment, peut profiter de suivre une carte relativement plus exacte ou plus inspirée qu'une autre. A cela il faut ajouter, au risque de décourager les émotifs tout en faisant la courte échelle à ceux qui ont déjà élagué les scories conceptuelles, que se positionner dans l'instant correctement rencontre deux difficultés majeures, dont une qui possède deux aspects. La première, c'est d'être tendu vers l'attente de l'indice, (le Soi), ce qui fait qu'on finit par les inventer pour ne pas être trop frustré, et on termine dans le décor en pensant le calme, et la seconde, c'est de perdre de vue l'attention constante nécessaire, soit pour rêvasser en se diluant, soit pour se parler en circuit fermé en se rassemblant. D'un côté, l'acharnement à trouver des signes les fait fuir (tendre vers le repos est impossible); de l'autre, le relâchement de l'aspiration, du feu intérieur, donne libre cours au mental qui improvise dans l'oubli du perçu immédiat, à moins qu'il ne parvienne à se rassembler et à coller passivement au moi, mais en oubliant le passage de la durée dans cette opération.
Avec l'excès de yang, on veut s'emparer de l'indice et il s'échappe, alors que l'excès de yin est plus sournois, avec deux faces, du relâchement-dispersion, ou de la concentration, mais avec évaporation de la sensation chronologique dans les deux cas. D'ailleurs, chacun vient à bout plus facilement d'un empêchement ou d'un autre, mais éliminer les trois est une véritable performance, qui rend l'accès au satori exceptionnel. Comme tous les enseignements se dégradent, le zen propose parfois une contrefaçon du soi, en considérant qu'une concentration centripète du moi, sans pensée, équivaut au satori, alors même que le sentiment intime de la durée a disparu, ce qui est incorrect pour le taoïste qui cherche à se relier au champ Terre-Ciel à travers le tissu même de l'instant, et ce qui est également contraire à l'hindouisme, dans lequel le Brahman est réellement un champ extérieur et intérieur, et non pas seulement une dimension vide. L'arrêt de la pensée s'obtient parfois à force de procédures, mais si le moi perd le contact sensible et physique avec le moment présent dans cette expérience, la réalisation reste borgne et ne permet aucune percée définitive. Mais elle est déjà assez spectaculaire, et on peut l'amalgamer à du progrès spirituel, ce que certaines voies font, dans le bouddhisme, la psychologie humaniste, certains arts martiaux, la préparation sportive de compétition, dans le hatha-yoga également. Pouvoir se concentrer et faire cesser les pensées constitue une avancée non négligeable, et c'est relativement facile si l'on se ferme au monde extérieur en perdant le contact avec la durée et en fermant les portes des sens. Mais se positionner là et rester imperturbable en ayant les sens ouverts vers l'extérieur, c'est-à-dire en abandonnant la concentration qui arrête la pensée, c'est une autre paire de manches. Le présent est bien une matière, un champ, une réalité extérieure, et le percevoir intégralement hors de soi, sans la pensée qui le dissout en l'introjectant dans l'esprit, c'est ce qu'on appelle la délivrance ou la libération.
Le taoïsme secret stipule donc la même chose que les grands textes hindous ou bouddhiques ou ceux des quelques maîtres zen réalisés, à savoir que l'égalité est cause ou conséquence de la connaissance, mais qu'elle l'accompagne nécessairement. Il la définit en ses propres termes, descriptifs une fois de plus, soit l'accès au mystère au-delà du yin et du yang, avant leur différenciation, où il n'y a ni repos ni action, ni mouvement ni immobilité. Les signifiants renvoient au même signifié, mais l'esprit des races diffère tant soit peu. L'égalité convient pour décrire un état d'esprit qui absorbe les chocs sans bouger et manifeste joie ou sérénité sans excitation. C'est la condition supérieure de l'esprit qui n'attend rien, ne recherche rien, peut faire face à n'importe quel événement sans frémir, et demeure dans l'éveil pur, sensible à tout sans rien retenir. C'est alors le Tao lui-même qui enseigne car le sujet est libéré de la volonté personnelle, ce que décrète aussi la Gûitâ avec le terme correspondant «ne pas chercher le fruit de l'œuvre». Atteindre la passivité pure (sans formation de pensées) et rester uni au Tout, c'est le paradoxe, la torture de la voie spirituelle, mais l'Asie connaît la formule, et l'a déjà consignée aussi bien dans des idéogrammes (Lie-tseu,Tchouang-tseu, Lao-tseu) qu'en sanskrit, où les manuscrits abondent.
Le Tao, et plus loin encore le supramental (bien que rien n'empêche de les confondre), exigent que la pensée soit vaincue pour descendre correctement inonder le chakra coronal, et même Sri Aurobindo, qui était monté plus haut, passera par Lélé pour terrasser le mental. Il y parviendra en trois jours, selon la formule consacrée «qui peut le plus peut le moins», mais il n'escamotera pas le problème, pas plus que Mère, qui, à son seul contact, verra se suspendre son activité mentale.
Trouver la méditation parfaite, qui évite de dissocier le moi de l'ici et maintenant, sans le pousser en avant vers l'avenir et sans le perdre dans le passé qui se parle en boucle en sautant à pieds joints au-dessus de la seconde présente, sans former de pensées, c'est la clé universelle.
«L'action qui mène au Principe», tao-te-King en chinois archaïque, n'agit pas (wu wei).
Mais le vital semble s'enfuir vers l'avenir, le physique rumine le passé, et le mental s'abstrait de la perception. D'où la difficulté de trouver le vrai présent. Rajas voudrait déjà être plus loin, sattva se moque du moment, et tamas tire en arrière. C'est pour ces raisons que l'Orient a développé autant de formes de méditation: permettre de faire coïncider le moi avec le vrai flux du présent, hors des représentations mentales, hors des attachements vitaux, hors des habitudes physiques.
Il ne faut pas croire que c'est avec un plaisir sadique que j'évoque les contraintes de l'évolution spirituelle, c'est mon rôle de les rappeler, de les souligner, puisque, si on les néglige, on va droit dans le mur. L'esprit est assez malin pour ne retenir que ce qui l'arrange d'une lecture, et les passages qui laissent entendre qu'il faut vraiment descendre au charbon, un petit oui bien sûr du mental acquiesce, mais la prise de conscience de tout ce que cela implique ne se fait pas forcement. C'est ce que je suis obligé de dire puisqu'il m'est arrivé de rencontrer des personnes qui voulaient me prendre à témoin de l'oubli de Dieu à leur égard, et qui, semble-t-il, attendent que j'interfère en leur faveur, si je me fie à leurs yeux de merlan frit qui se noient dans le regret de n'être que ce qu'ils sont, alors qu'ils n'ont jamais rien entrepris pour «voir les choses autrement». Je m'entends aussi dire que «j'ai de la chance» comme si j'étais parvenu là par la grâce de Dieu, sans accompagner le mouvement, entièrement piloté, et ce jugement vient toujours de personnes qui stagnent parce qu'elles ne veulent rien sacrifier, attendant que le Divin se penche jusqu'à elles, alors qu'elles n'ont même pas réalisé qu'elles n'en ont rien foutre, du Divin, mais le mot sonne bien, et on aimerait déjà être plus loin. «Je veux traîner mes casseroles et courir plus vite, que peux-tu faire pour moi, Natarajan?»
«Je veux me réaliser, mais malgré ma cure de desintox, car j'étais devenu alcoolique, je sens que je peux recommencer».
«J'aimerais bien aller plus loin, mais la sexualité me rattrape toujours, malgré mon age quasi avancé».
J'ai renoncé à faire comprendre à ces personnes que si leur intérêt pour le Divin était réel, elles pourraient en finir avec leur manie, et, d'un autre côté, elles se croient vraiment impliquées dans une démarche, ce qui fait qu'en fin de compte, elles ont deux démarches, une qui va de l'avant et l'autre qui va à reculons. Pour parcourir n'importe quelle distance, si après avoir fait dix pas en avant, vous en faites neuf en arrière, le chemin sera long, très long. Il y a des êtres sans prétention, qui ne prétendent pas se réaliser, qui n'ont pas de vice, et qui tous les jours font un pas en avant, sans être obligés de revenir en arrière. Ils se fatiguent beaucoup moins que les athlètes qui font dix pas en avant, et qui, forcés par la nature non transformée, refont neuf pas en arrière, mais tous les goûts sont dans la nature. Okay les gars, contents de vous avoir connus. Vous avez raison, j'ai de la chance, je suis arrivé au supramental très facilement, je n'ai jamais souffert, jamais rencontré d'obstacles, jamais douté, jamais flippé, tout le monde m'a toujours approuvé, j'ai été secondé vous pouvez pas savoir, j'ai jamais fait le moindre sacrifice non plus, voyons, je ne suis pas maso. J'ai de la chance et vous, vous êtes maudits, ce n'est pas de votre faute si vous baisez à tire-larigot, si vous êtes alcoolique, si vous ne pouvez pas passer un soir sans votre joint, vous n'avez vraiment pas de bol, parce que votre situation serait parfaitement confortable si vous n'étiez pas tombés sur des exemples de types qui ont vu la réalité en face, et qui vous ont donné envie de faire pareil. Vivez divisés, puisque l'unité vous intéresse tellement que, dès qu'il s'agit d'avoir une démarche cohérente pour l'attirer, vous prenez la mauvaise décision. Ouate can I do for you, c'est pas coton de se farcir des victimes d'eux-mêmes qui s'imaginent harcelés par de vrais adversaires, qui sont en fait imaginaires.
Donc, l'humanité rêve de s'impliquer dans la voie spirituelle dans tous les secteurs où cet engagement est facile, gratifiant, agréable, soit la flânerie du samedi dans la librairie ésotérique, les discussions avec les copains, les nouvelles du web, les petites annonces tantriques, les exaltations impromptues grappillées au coucher de soleil, les mini prises de conscience psy, tandis que toute l'implication difficile, qui va forcement de pair autant que le yin sans le yang ne veut rien dire, celle-là, elle attendra. «Je veux être libre de mon chemin». Ok, les mecs, vous êtes libres, et c'est justement ce qui vous freine, parce que vous appelez liberté la pente fatale qui vous fait toujours décider du choix pourri, la preuve: vous n'en sortez pas. Moi je n'appelle pas cela la liberté, mais l'esclavage du sexe, de l'alcool, de la fumette. Si vous êtes libres, vous n'avez plus qu'une façon de vous le prouver, changer vos choix. Vous cassez la bouteille de bordeaux au moment de la boire, vous pétez votre ordi au moment où vous vous connectez sur un site de rencontres, vous ne sortez plus risquer votre peau dans les mauvais quartiers la nuit quand votre shit est à zéro, à la place, vous sifflez quatre canettes de bière, et on n'en parle plus. Demain est un autre jour.
Les gens qui prétendent être libres font souvent toujours de la même chose, comme si leur liberté consistait à toujours reproduire les mêmes schémas, schémas privilégiés il est vrai, puisque ils ont choisi leur vice. L'alcoolo mépriserait presque l'obsédé sexuel, qui lui, prend pour une tapette l'accro à la fumette, qui lui, se juge supérieur aux deux autres. J'exagère, c'est exprès, j'en ai ras le bol du gâchis terrestre, des mecs qui ont tout compris et qui restent aussi ordinaires que n'importe quel pekin qui n'est jamais entré dans une librairie ésotérique. Le mental vous a bel et bien envoûté comme une méchante sorcière, il vous a fait miroiter le spirituel, mais ça n'a rien traversé du tout, parce que changer votre personnalité, vous n'y parvenez pas. Alors à qui voulez-vous faire croire que la connaissance vous branche, que le Divin vous attire? Les seules choses que vous faites dans ce sens, ce sont les choses faciles... A vous-mêmes, vous voulez le faire croire, et vous cherchez des complices, et si Natarajan pouvait vous couvrir, ça serait encore mieux. Non, je vous aide en vous disant vous pouvez le faire, arrêter vos zadictions. Mais ce Natarajan-là, ce n'est pas celui que vous préférez, comme d'ailleurs toutes les réalités qui vous rappellent que vous êtes perdant, un looser, malgré les Aurobindo sur l'étagère, le zafu et l'encens, votre yi-king ou votre tarot, la panoplie quoi!
Je me fais une opinion plus haute de la liberté, essayer, changer, s'aventurer, varier les itinéraires pour aller au même endroit, ne jamais s'arrêter, et rester fidèle à l'essentiel. Et accepter de souffrir! Alors tout est permis. Et surtout changer de stratégie. Tourner le dos à la femme, se sevrer, quand on n'y est jamais parvenu, quitte à a avoir envie parfois de se la couper. Se défoncer en ne prenant plus rien, quand on n'a pas cessé de se charger, et s'enivrer avec trois ou quatre eaux minérales différentes, oui, ça peut-être très jouissif et ça leurre le cerveau si ça pétille, il croira que c'est du champ et il aura sa dose, pour oublier un peu l'alcool.
Si la liberté ne permet pas de changer l'alternative, où qu'elle se trouve dis-moi... On a quand même le choix, j'insiste en soulignant, entre la pizza et le hamburger, le monde et Libé, le thé ou le café, le football et le rugby, la télé ou le cinoche, Mère ou Sri Aurobindo, alors pourquoi prendre toujours la même chose, si ce n'est pour oublier qu'on a le choix et se complaire dans le rôle d'une victime, d'un esclave, d'un type, qui, lui, n'a pas eu de bol, ça baise en lui, ça boit en lui, ça fume en lui. Et pour un peu, ils n'y sont pour rien, ça me renverse, ils se cautionnent avec Freud, les manques affectifs même passés cinquante balais, comme si le diagnostic, au lieu de seulement justifier le passé, devait en prime les dédouaner pour qu'ils s'autorisent à rester au fond du trou, avec le plus vieux mantra du monde: c'est pas d'ma faute.
Comme par hasard, la notion de «mérite» n'a pas beaucoup de résonance chez ces êtres supérieurs, ces aristocrates du sens des choses, toujours dotés d'une finesse surprenante, et qui ressemblent à des chats par l'esprit, dans des vies qui les gênent aux entournures, parce qu'il faut qu'ils se gavent. Ils ont réponse à tout, ce qui les empêche de voir en face leur lâcheté, et ils se félicitent d'adhérer à la vision des maîtres. Ils sont incapables de soupçonner toutes les qualités qui ont été nécessaires à l'obtention de la connaissance, et aimeraient être dispensés de l'effort, du courage et de l'endurance, comme si leur «démarche» était un privilège de rois, et que la réalité devait changer ses lois pour leur permettre de devenir des anges, des saints, des sages, vu qu'ils ont choisi l'option existentielle supérieure, et demandent une dérogation de corvée. «Je me sens officier de la lumière, et il n'est pas question que je nettoie les latrines».
Ils n'ont pas encore vraiment plié le genou devant Dieu, de peur de Lui faire des courbettes, ce qui prouve qu'ils n'en ont pas besoin. Ils sont incapables de voir l'orgueil qui les habite, monumental mais discret, transparent oserais-je dire; ils ont la dent dure pour les autres, mais s'autorisent n'importe quoi, et leur conversation est très agréable. C'est vrai qu'ils ont déjà fait pas mal de chemin, qu'ils sont ouverts, mais leur personnalité, avouent-ils presque à demi-mot et sans frimer, cherche à les détruire. Ils ont essayé différentes manières de lutter, de s'en sortir: insuffisant!
Alors je ne leur jette pas la pierre, je décline ma responsabilité, je suis incompétent, et ne croyez surtout pas que je vous juge, je vous dis juste qu'il est temps d'en sortir, que c'est possible. Je vous ai expliqué à tous par a+b que le thème natal était une nasse, et vous avez pris l'air décidé du type qui va sortir de sa nasse, et tordre le coup à un Uranus, à un Neptune, ou à un Pluton qui fait cavalier seul, se terre et surgit pour vous soumettre, et vous continuez de vous laisser faire, alors que vous êtes prévenus. Moi, j'ai toujours su que si je prenais deux chemins à la fois, je serais écartelé au sommet des cuisses, et ça fait vraiment mal. J'ai la chance d'être doué pour l'unité, et je ne peux la transmettre qu'à ceux qui en ont vraiment assez de se raconter des histoires, et qui donnent un coup de pied au fond de la piscine, où ils avaient plongé, poumons vides, pour se noyer. Il faut se prendre au sérieux pour se détruire, car l'existence peut être aussi très légère, à condition de s'enivrer de l'immensité plutôt que d'alcool, à condition de se droguer avec l'inconnu plutôt qu'avec du shit, à condition de faire l'amour avec le temps, au lieu d'être obligé de piéger des partenaires. C'est très facile, si l'on évite de rester au centre du monde, mais il paraît que c'est cela le plus difficile: ne pas tirer la couverture à soi. Et oui, les gars, je sais, plus on souffre, plus on est obligé de se pencher sur soi-même, et un jour c'est irréversible, le cercle vicieux en boucle, plus on veut s'en sortir, plus on s'enfonce, car le moi de la souffrance vous a complètement bouffé: alors je crois que vous n'avez plus beaucoup de temps pour vous alléger.
Peut-être devez-vous attendre de vous attacher à la cheville trois ou quatre casseroles supplémentaires et un ou deux boulets, et quand vous ne pourrez vraiment plus faire un seul pas de plus en avant, je vous fais confiance pour vous débrouiller à couper toutes vos entraves, et à remonter le curseur de vos planètes bidon, parce que la fin de l'alcoolisme c'est le mysticisme soufi, la fin de la fumette, le discernement joyeux, et la fin de la tyrannie sexuelle, l'harmonie du couple intérieur. Vous n'avez peut-être pas encore été assez humilié pour cesser votre petite comédie, mais ça va venir, ne me dites pas que vous avez lu Sri Aurobindo et Krishnamurti pour rien, vous êtes presque arrivés. Vous portez un lourd handicap parce que vous êtes un bon cheval, et vous apprenez un maximum en étant forcé de lutter sans combattre, c'est Dieu qui s'entraîne, même si vous ne le savez pas encore, puisque vous rechignez à lui donner un coup de main.
9 Mars 2008
La situation est catastrophique. Je m'en réjouis quand même, sans aucune malice, sur l'ordre du Divin, car il y a plusieurs raisons à cela, qui se tiennent bougrement. D'abord, l'idée que nous ne sommes pas responsables ne tient pas la route, l'humanité se suicide, c'est son droit, il n'y a rien à dire contre cela, elle y est encouragée et subit des influences. Ensuite, on s'en fout royalement, car le Divin est capable de récupérer ce mouvement, c'est-à-dire qu'il y a réellement un «deux ex machina» qui peut racheter l'Histoire au moment où elle part en vrille, et enfin le non-moi, sous son aspect extérieur, le contexte, le milieu, n'est pas ce qu'il y a de plus important. L'essentiel est la position que nous prenons par rapport au mystère absolu de l'existence, et cette position est indépendante du cadre. On peut se trouver dans un milieu favorable et en profiter pour se la couler douce, ou en prison ou sur un navire qui chavire, et en profiter pour se demander ce qu'on fout de sa vie et de sa mort. On peut ajouter que l'aspirant spirituel d'aujourd'hui n'est pas perso responsable du désastre, ce qui lui permet d'investir son énergie sans culpabilité dans tous les secteurs sensibles, sa transformation intérieure, la sauvegarde de l'environnement, où la manière de s'en foutre royalement consiste à agir sans émotions négatives en s'impliquant pour lutter contre l'ignominie, la gamme assez conséquente d'intolérables qui éradiquent la dignité humaine, avec la complicité du politiquement correct, qui a créé la mentalité actuelle au 18ème siècle.
La réalité, c'est un gâteau à se partager, et plus on élimine les concurrents, plus on obtient un gros morceau. A telle enseigne que le renversement diabolique a triomphé sur la terre, ce n'est pas nous qui appartenons à la réalité, et qui avons des comptes à lui rendre, c'est elle qui est à notre entière disposition, et qui doit se soumettre. Ce qui fait qu'on sculpte le non-moi depuis une douzaine de générations pour qu'il ne soit rien d'autre qu'un bien, un objet, un serviteur, et pour les plus puissants, un esclave. Les masses ne peuvent plus avoir le courage de se révolter, elles sont tenues par la menace de tomber plus bas encore, et on améliore leur opium chaque jour, les tombolas se diversifient, qui sont une soupape de sécurité providentielle, car on pense en jouant au loto que ça peut arriver, les hommes sont maintenus dans l'hypnose par les compétitions de football, auxquelles ils s'identifient outre mesure sans même s'en rendre compte, et les femmes sont aliénées aux realityshows, à la presse people, où elles vivent par procuration l'existence dorée des stars, en devenant de petites souris pratiquant le voyeurisme. Les plus mous ont encore à leur disposition la pornographie pour s'inventer de l'intensité, et les femmes écrasées par leur statut peuvent aussi téléphoner des heures à leurs relations pour s'accrocher à de l'espoir et tenir le coup.
Comme l'imaginaire n'est pas séparé du fonctionnement mental, qui lie tout ensemble, le fantasme, l'observation, l'idée, le souhait et l'analyse rationnelle (Natarajan, Méditation quantique 2006), les dérivatifs susceptibles de combler ou masquer les frustrations existentielles font leur office sans coup férir, puisque ils sont de plus en plus adaptés aux besoins de chacun, et diversifiés. L'esprit humain, disponible à chaque instant autant pour rêver qu'analyser, vagabonder ou discerner, tombe tout le temps sur quelque chose à se mettre sous la dent, pour se distraire, atténuer ses tensions, accepter sa situation insatisfaisante, car elle sera rachetée par de «bons moments» hypnotiques. Ces bons moments hypnotiques ne fonctionneraient pas s'ils étaient imposés, impersonnels et généraux, mais comme ils font du sur-mesure, la recette fonctionne admirablement bien: entre les milliers de sites internet, et la possibilité de zapper au milieu de dizaines de chaînes de télévision, on est sûr de choisir agréablement la manière dont on va être envahi par le non-moi, d'une manière gratifiante. Cela contrebalance la vie réelle d'une part, et ne la fait pas disparaître d'autre part, car les identifications imaginaires se produisent sur un tissu authentique, ce qui est le fin du fin. On commence à se désintéresser de la fiction, du film, une resucée du conte de fées puéril, et on croit donc s'impliquer dans quelque chose de plus «réel», quand on suit un groupe de jeunes réunis sur une île ou dans une propriété, qui font le scénario en live. Le spectacle est plus authentique, mais l'identification plus grave encore, car elle finit d'ancrer le moi, d'une manière imprescriptible, dans la société qui l'exploite, et qui sait lui donner les illusions nécessaires à étouffer sa révolte. Le tri des nouvelles du 20 heures, sans doute dans toute l'Europe et l'Amérique, va toujours dans le même sens de l'aliénation, et distille sournoisement le paradigme que le chaos et l'accident règnent sur la terre, puisque toutes les catastrophes sont montées en épingle, et les guerres vénérées comme le triomphe de l'irréparable. La mort accidentelle y trouve une place de choix, comme si c'était un scandale qu'un être humain meure sans qu'il en soit directement responsable, et on déplore en chœur la disparition des héros qui vont tirer la barbichette de la camarde. On est plus touché par le décès d'un pilote de formule 1 en compétition que par celui d'une enfant écrasé par un chauffard, on regrette l'alpiniste qui laisse sa peau dans une ascension face nord en hiver, ce qui est parfaitement prévisible, mais on ne verse pas une larme sur le S.D.F emporté par le froid, on s'offusque du navigateur perdu en mer, qui l'a peut-être un peu cherché, mais on passe à coté du noyé de la plage, qui n'a pas eu de chance, comme s'il méritait son sort. La perversité s'est introduite jusqu'à la moelle de l'esprit: les hommes célèbres sont plus importants que les autres, même le danger devrait respecter leurs lubies, le réel devrait leur cirer les pompes, tandis que les gens ordinaires ne sont rien, et c'est normal qu'ils soient des victimes.
Les nouvelles agréables à entendre sont toutes d'un ordre superficiel, et se rattachent plus au spectacle (passif) qu'au loisir (actif), tandis que les émissions qui relèvent d'une certaine profondeur sont depuis vingt ans reléguées de plus en plus tard. C'est parfait, les êtres aliénés ne peuvent pas s'en abreuver car ils doivent dormir pour récupérer, et seuls les nantis, les oisifs, qui peuvent beaucoup déléguer, ou choisir leurs horaires de travail, tiennent jusqu'à 23 heures, voire 23 heures 30, pour un vrai débat, ou une présentation de livres, ou une émission de vulgarisation scientifique. Tous les moyens sont bons pour renforcer l'identité culturelle, par le bas, de la médiocratie télévisuelle à l'assistanat, et comme c'est déjà la pente naturelle du moi de se contenter de son appartenance à son champ écologique, les moyens de sortir de cet envoûtement collectif sont faibles. Il reste la force qui vient du dedans, mais qui devra alors s'opposer à une quantité conséquente de facteurs, de préjugés et d'habitudes, et qui tombe souvent sur une dépression comme test de sincérité, et la faillite de la société, qui voit ses modèles s'effondrer dans le mécontentement général. (Je ne fais que confirmer ce que d'autres ont vu sans que cela serve à grand-chose, Mac Luhan, Debord, Baudrillard, Morin dans les faits, Orwell et Huxley dans la fiction).
La manière dont l'homme se détruit, d'un déluge à l'autre, peut naturellement changer, mais le principe est le même: il oublie qu'il appartient au réel et qu'il doit se soumettre à ses lois, et la classe des dominants va trop loin. C'est une vieille histoire, malheureusement bien concrète quand on est doué pour l'occultisme. La vie peut retourner au Divin, mais elle peut aussi être utilisée et manipulée par toutes sortes de forces qui trouvent que la conscience sur terre est une aubaine pour y développer des formes régressives, vouées à la satisfaction permanente, par le pouvoir, le vice, la manipulation. Les hindous parlaient déjà, il y a longtemps, du «bétail des dieux» en évoquant l'humanité, et il est certain que les avatars veulent libérer le cheptel, car ils ne sont pas assimilables à ces dieux là, mais le travail est harassant: va voir en toi, c'est là. Et l'humanité moyenne n'en éprouve pas le besoin, elle croit à l'identification, et se laisse manipuler par les carottes qu'on lui propose. Elle préfère le perçu au percevant, et le percevant s'attache de plus en plus au perçu qui le flatte et rejette de plus en plus le perçu qui le dérange: le réel est devenu une simple nourriture subjective, et il finit par devenir totalement illusoire.
Mais les illusions partagées par le plus grand nombre ont force de loi, et possèdent ainsi une telle puissance qu'il est impossible de les attaquer de front. Elles doivent donc s'écrouler par elles-mêmes, puisque elles savent résister aux adversaires extérieurs. Il faut attendre que la manipulation du Réel se retourne contre les manipulateurs, et c'est long. Les avertissements ne suffisent pas, les signaux d'alarme non plus. C'est le propre de l'esprit de s'attacher à l'illusion jusqu'à ce que celle-ci lui explose à la figure, car la vérité est toujours, par définition, moins gratifiante. Pour la considérer comme «meilleure», il est donc nécessaire d'opérer un changement de conscience, dont les aspects sont rébarbatifs au début, et enchanteurs par la suite. Les gardiens du seuil empêchent que l'on s'empare de la Vérité pour des motifs personnels, ce qui l'assimilerait à la recherche du gratifiant, et c'est sous ce jour qu'il faut comprendre les caractéristiques de l'identité supérieure. Impersonnelle, elle garantit que la gangue de la subjectivité générique a été nettoyée, cosmique, elle garantit que l'enracinement se soit fait vers le ciel, tandis que les branches s'enfoncent dans la terre pour la ramifier aux ordres célestes, divine, elle garantit que le moi a reçu l'investiture de l'univers pour travailler pour lui, et non pas pour la seule identité contingente qui rêve de la lumière.
10 Mars 2008
On peut s'arracher les cheveux un par un en grande cérémonie, cela ne changera pas la loi. Le singe ne s'est pas dit, «tiens je manque d'habileté, je vais inventer la pensée». Non, le primate possède une morphologie qui attire le mental, mais ce n'est pas la créature elle-même qui a décidé de se l'approprier, cela lui est tombé dessus. Certains disent que c'est Dieu qui l'a fourni, d'autres que c'est la nature qui «monte», mais cela ne change rien, il est là. Si c'est Dieu, il nous a fait un cadeau empoisonné, sans se gêner, si c'est la nature qui monte, elle doit continuer son ascension jusqu'au supramental. Tandis que la sexualité nous a été fournie comme une contrainte, personne ne s'en plaint, puisque, contrairement à ce que prétend une certaine culture locale qui finit en peau de chagrin aujourd'hui, c'est la contrainte la plus agréable. Ceux qui souffrent en faisant l'amour sont malades, car cela est censé donner du plaisir, un plaisir plus fort que celui que le moi peut trouver dans d'autres circonstances, ce qui l'oblige à l'accouplement, et préserve ainsi le prolongement de l'espèce. Il y a donc des contraintes agréables, qui servent directement l'espèce, qui elle, ne se préoccupe pas de nos postures mentales. La vie ne prend pas en considération le scrupule du prêtre qui voudrait dépasser la chair, et il bande la nuit comme tous les autres, et peut tomber amoureux d'une femme adultère au confessionnal, jusqu'à subir une torture chaque fois qu'elle vient se soulager tout en le tentant avec ses frasques. (Il y a des risques professionnels dans tous les corps de métier). On prend position vis-à-vis de la sexualité car la contrainte est claire, le désir puissant, et il faut bien savoir à quoi s'en tenir. Mais le mental est quelque chose de totalement sinueux, qui glisse quand on veut l'attraper, comme une anguille qui nagerait dans un bain d'huile, ce qui fait qu'il y a moins d'un individu sur cent qui se poste en face de cette contrainte pour voir ce qu'il peut vraiment en faire.
L'outil est à disposition, mais comme il semble fonctionner tout seul, personne ou presque ne cherche à le prendre en main. Les dieux (et non les avatars) en profitent pour manipuler l'espèce comme une bande de singes idiote, et se font servir par l'intimidation. Ce que raconte Eliade, la Bible, Frazer, est vrai: si l'homme n'obéit pas à ses dieux, il est puni. Certains demandent des bricoles, d'autres de magnifiques bains de sang, ce qui me désespère chaque fois que j'entends parler des civilisations de l'Amérique centrale comme détentrices d'une «connaissance» quelconque. Bon, n'est pas occultiste qui veut, mais le fait est que le mental gobe n'importe quoi, dès qu'il est correctement manipulé, car il suffit de lui faire créer des représentations données, et à partir de ce moment-là, elles commandent aux actes. Tous ceux qui ne savent pas penser par eux-mêmes gobent n'importe quoi, et agissent en conséquence. Cela va se loger même dans la «démarche spirituelle» où de pauvres âmes, convaincues de leur salut, décrètent que le seul chemin est le christ, rendant ainsi obligatoire l'itinéraire de la Vérité, tandis qu'ils cultivent sournoisement, au fond d'eux-mêmes, la haine ou le mépris, ou encore la pitié condescendante pour tout amateur de vérité passant par une autre voie. Je n'ai rien contre le Christ, ni contre le Madhi, ni contre Maitreya, ni contre les maîtres ascensionnés, ni contre Kalki. L'idée qu'un seul peut faire le travail de tous les autres, parce qu'il est plusmieux, ne peut envoûter qu'un chercheur qui refuse de grandir, qui a besoin de grandes phrases pour se poster à l'affût de la vérité, en étant certain d'être au bon endroit, comme n'importe quel pêcheur choisit de préférence un site poissonneux. Mais la connaissance ne dépend pas de l'Instructeur, mais de celui qui prétend s'y ouvrir, et se jeter dans les bras du christ n'est pas un raccourci. Si c'est le bon, espérons-le, car c'est le seul personnage de l'histoire qui est vraiment parvenu à se faire imiter par toutes sortes d'entités qui prétendent être lui, prendre cette voie est la bonne, avec sincérité, amour, discernement. Mais c'est par un phénomène pervers qu'on déclare qu'elle est la seule vraie, parce qu'il ne s'agit là que d'une ruse du mental pour prétendre qu'il ne peut plus se tromper, et c'est naturellement la porte ouverte à une fausse voie. Un individu qui croit ne plus pouvoir se tromper parce qu'il a trouvé LA VOIE est foutu pour l'expérience de la vérité.
Il n'y a pas de voie, autre que soi-même par rapport à soi-même, et tous les mensonges qu'on se raconte pour se persuader qu'on va dans la bonne direction, alors qu'il n'y en pas, de direction, maintiennent dans l'ignorance. On peut atteindre des réalisations en passant par des intermédiaires, on peut même se la jouer «mon intermédiaire est meilleur que le tien, moi je ne fais pas dans le prêt-à-porter», toutes ces insinuations sont de l'ordre du mental, de petits points de repère, espérons-le, pour tenir le coup face à la difficulté de l'ascèse. Si Jésus, le Christ, Krishna, le Madhi, ou Lao-Tseu vous prend sous son aile, vous risquez de surestimer ce qu'ils peuvent vous apporter, parce que le but n'est pas que vous restiez sous leur protection, mais que, comme eux, vous deveniez des êtres de connaissance, pour faire basculer les statistiques du bon côté. Plus d'humains sur le chemin du retour. C'est le seul moyen, hormis les catastrophes naturelles, pour sauver l'espèce, et retrouver la dignité terrestre.
Quand on est assez fort pour voir certaines réalités en face, ce qui m'a demandé perso trente ans de yoga supramental, on sait que notre survie tient à presque rien. Une fois de plus, la vie a récupéré le mental, l'a absorbé, l'a réintégré dans son cercle, et l'humanité peut disparaître. On s'est encore trompé de voie, il paraît que c'est la septième fois qu'on essaie de s'en sortir. Alors que le vital devrait être transformé par le mental, qui lui est supérieur (ce qui est finalement l'essence de la voie spirituelle), l'espèce a refusé d'utiliser le mental aux fins de l'âme, et il a donc été récupéré par les petites forces de l'évolution, l'intelligence du territoire, qui préserve avec violence et obtient avec violence, la gratification du moi, soit l'utilisation automatique de la pensée aux seules fins de la puissance individuelle, et nous ne savons plus comment retourner le processus. C'est le naufrage du Titanic. Exactement. Le commandant voulait frimer en arrivant vite de l'autre côté, et il n'a pas écouté les conseils du pilote qui l'avait prévenu du brouillard. «Ces gens ont payé leur traversée une fortune, pas question de ralentir, et même, pour vous apprendre à contester les ordres, vous allez mettre les bouchées doubles, Dieu est avec nous et avec la prospérité, ainsi soit-il». Bravo la connerie. Il est certain que le mental est un très bon pilote employé correctement, il est prudent, dépasse l'évaluation à court terme, triture les possibles, et enfin, un jour, il jouit de lui-même. Ce moment-là est le plus important de tous dans une vie, parce que cela veut dire que le mental a bien fini par être accepté, totalement, et qu'il est enfin ressenti qu'il va fournir de nouvelles satisfactions, plus profondes, plus holistiques.
La contrainte a été transformée en liberté, ce qui, excusez-moi du peu, montre que l'homme a vraiment un potentiel divin, dans la mesure où il devient maître de ce qui le rend esclave.
Parvenir à l'amour de la saisie du réel par l'esprit n'est donné qu'à un très petit nombre d'individus, puisque, même ceux qui aiment l'intelligence, qui parviennent à réfléchir avec plaisir, circonscrivent le champ de leur investigation. Zatiz ze Kestion, comme le dit la fameuse formule secrète dans cette langue moitié araméenne, moitié grecque, que j'ai l'honneur de vous révéler, et dont la traduction la plus appropriée est «Ferme la porte, j'ai horreur des courants d'air». Le mental s'obnubile sur des préoccupations pratiques, parvient presque difficilement aux préoccupations morales, et ne s'autorise que peu d'errances. Il ne devient pas assez partie intégrante du moi pour servir fidèlement l'individu, car il demeure une canne à pêche alors que son rôle est de devenir l'art de pêcher. Il trouve des signifiants supérieurs, certes, mais s'en contente. La distance du mot amour à la réalité de l'amour ne l'effraie pas, puisque il ne fait pas le chemin, ce qui lui permet de vivre dans un amour aux trois quarts imaginaire, décoré de sollicitude, d'admiration pour le Christ ou Krishna, d'un manque à gagner idéaliste, et d'une espérance au goût de crème Chantilly, qui s'accompagne, au retour de bâton, de déceptions aussi naïves que méritées, amères. Même chose avec la connaissance. Le mot enfin trouvé comme un joyau entre une légende sur Socrate et une rencontre d'un bouddhiste invétéré, va produire un certain mouvement vers la connaissance, car la question de l'identité commence à sourdre. Mais les signifiés se dérobent, et il faut avoir un courage herculéen pour le reconnaître. Tiens, c'est vrai la claire lumière je n'y suis pas encore, tiens c'est vrai le non agir je n'y suis pas parvenu, et pourtant je sais que c'est la voie.
Il faut donc trouver le moyen de rattacher le signifiant au signifié, le mot à l'expérience, l'itinéraire à la destination. Le mental peut accomplir ce travail, car il s'épure, comprend même qu'il pourra s'annihiler un jour dans une paix absolue qui lui procurera un sentiment direct de la réalité, mais s'il cesse d'investir le positionnement du moi vis-à-vis du non-moi et de lui-même, il n'y a plus de tourbillon en spirale pour déclencher des prises de conscience. Or chaque instant livre une information sur sa propre ignorance, sur ce qui résiste à l'élan solaire, encore faut-il aimer cette capacité d'investir les choses dans un cadre plus large que celui qu'on veut lui conférer. Sans aventure hors des sentiers battus, comme n'importe quelle machine, le mental fonctionne en routine. Il suffit de le pousser vers le moi pour qu'il devienne vivant, mais cela suppose que la question qui suis-je va se poser avec une intensité qu'il faut bien appeler obsédante au début. Et c'est là où il n'y a plus personne ou presque. On veut bien être obsédé par le sexe, la carrière, les jeux video, le ski ou la plongée, et même la littérature ou la philosophie, mais accepter cette obsession de se rattacher à l'univers, directement du producteur au consommateur, même quand on en comprend la nécessité, c'est difficile de chez pas de la tarte. Alors on conserve des certitudes, et on marche vers l'avenir à reculons.
Et pourtant, je ne vois pas comment la connaissance peut s'obtenir si l'on n'accepte pas, intégralement, d'être au pied du mur. Elle n'est pas là, je la souhaite, je dois trouver le chemin. Il est beaucoup plus facile d'éviter la confrontation au mur, et dire le Christ va m'en sortir, Mère fait le yoga à ma place (ce que j'ai entendu à Auroville) que se poser la question du qui suis-je. Je connais même des tricheurs très proches qui ne se posent pas la question, mais qui, imbus d'eux-mêmes à un point inimaginable, sautent directement à la case «je vais m'améliorer spirituellement» en construisant sur leur ego des architectures kabalistiques et des arabesques en trompe l'œil si perfectionnées qu'ils mourront sans doute convaincus d'aller direct à la droite de Dieu, alors que le bardo leur posera à nouveau la question qu'ils n'ont pas résolue dans d'autres passages, vu qu'ils cultivent leur ego dominateur et supérieur dans l'érotisme du culte du moi depuis plusieurs existences.
Je défie qui que ce soit de trouver un initié qui n'ait pas été torturé tant soit peu par le qui suis-je, le temps de mordre la poussière et de se mettre en marche. C'est vrai qu'il y a des illuminations spontanées et profondes, et justement, rien ne prouve qu'on puisse les intégrer correctement si la question de leur utilité ne s'est jamais posée, mais c'est un problème très délicat, que je ne peux pas développer sans mettre en cause certaines personnes. En-dehors d'exceptions, le cheminement vers la libération passe par une reconnaissance exhaustive et douloureuse de son propre état, qui se transforme ensuite en son contraire, la joie d'être dans le noir parce qu'on recherche la lumière. Une joie réelle, sans fioritures, l'aveu qu'on est paumé dans le labyrinthe mais que c'est passionnant de chercher la sortie, la constatation qu'on est dans la caverne, bien sombre, et qu'on peut se tromper sur l'orientation de l'issue, si on commence à frimer. Peu parviennent jusque-là, parce qu'ils se sentiraient humiliés devant le sentiment de leur nudité absolue, de leur impuissance suprême, ce qui fait que la porte est étroite, l'orgueil devant être terrassé pour ouvrir la voie, ce que trop peu d'êtres humains acceptent pour que la contagion de la Vérité se développe dans des proportions satisfaisantes. Je me souviens sans effort de ce petit air entendu de la plupart des prêtres que j'ai rencontrés, et qui vous font bien comprendre par leur ton, leur attitude, qu'eux, ils ne sont pas n'importe qui, qu'ils bénéficient du privilège de la vérité, ils attendent de vous une sorte d'écoute spéciale comme s'ils parlaient le Verbe, et ils ne se rendent même pas compte qu'ils pataugent dans une telle condescendance qu'ils sont désormais privés pour toujours du contact avec leur «prochain». Le prochain, c'est ce petit être informe et méprisable, ou à côté de ses pompes à la rigueur, qu'il faut ramener au troupeau, qu'on fait semblant d'aimer puisque c'est un ordre, mais il sert surtout à se convaincre soi-même qu'on est dans le vrai. D'ailleurs, tout prochain capable de vous mettre le nez dans votre caca est un hérétique. Le mental produit autant de schizophrènes qu'il y a d'individus, car les représentations s'interposent à chaque instant entre l'esprit et le contexte. J'ai eu la chance de comprendre cela à quatre ans, et j'affirme, quitte à faire des jaloux et passer pour un jobard, que je n'ai jamais cru à rien.
Il n'y a pas d'autre voie que celle de l'expérience pure. Je n'ai jamais cru au supramental, j'étais content de savoir que Sri Aurobindo était monté aussi haut, je n'ai pas senti la suite du programme, et j'ai mis 350 jours à comprendre vraiment ce qui m'arrivait.
La vérité, d'accord, clament les chercheurs maladroits, à condition qu'elle prolonge mes mensonges préférés, et en particulier que je suis déjà ce que je suis, ce qui fait que les associations d'idées se passent toujours à partir du même centre, et que l'intuition pure ne peut pas sourdre, puisqu'elle vient de plus loin que la mécanique habituelle qui conjugue. Dieu, pas de problème, s'il reste dans le profil de mes idoles, rassurant, compatissant, maternel, doux, sucré, généreux, et surtout pas susceptible, et qu'il me donne du chocolat, de bonnes petites extases qui me rassurent définitivement sur la qualité de mon être. Erreur, puisque chacun sait que le Divin est tout, mais à des niveaux différents de conscience, ce qui fait qu'il n'y a pas de séparation entre l'immanent et le transcendant, mais des liaisons, des passerelles et des cloisons psychologiques, qui maintiennent la cohérence de l'ensemble, vu que le Divin n'a pas à être immanent tant qu'on ne l'a pas découvert dans le transcendant. (Toujours pareil, pour que la Vérité reste incorruptible).
J'ai la flemme de développer, mais ça mérite réflexion, et ça ne veut pas dire non plus que Spinoza ait raison. Il faut monter très haut pour avoir ensuite le regard naturel qui voit le Divin dans la feuille qui tombe, le bourgeon, l'assassin, et même l'adversaire, sur le même terrain de jeu de la Manifestation. Et encore, ce n'est pas toujours agréable, si on met trop son nez dehors. Il m'est arrivé à Mayotte, pendant la journée, de monter extrêmement haut pour faire face aux nuits où je croyais pouvoir mourir, et, à une certaine sortie, j'étais deux canards vivants tenus la tête en bas, sans ménagement, par un motard, et comme j'étais à leur place, ce n'était pas agréable du tout. Les hauts états de conscience montrent le travail qu'il reste à faire, et c'est simplement parce que nous vivons dans un monde gouverné par la vanité qu'on s'imagine que les états divins sont le nec plus ultra de la perception, le plus grand luxe que la conscience puisse se permettre, la Rolls Royce de la star libérée. Ce n'est pas vraiment cela, mais c'est indescriptible, et c'est utile. Ce n'est pas une friandise, ou la preuve qu'on est devant, c'est le Divin qui voit et Il n'est pas forcement satisfait tout le temps de ce qu'Il contemple, vu que l'immensité du chantier apparaît parfois avec une acuité décourageante dans ce qui reste de l'instrument. Voir, c'est servir, et c'est la tradition des boddhisattva autant que celle des vrais chrétiens, voir, c'est mettre en garde, pour les vrais juifs. Voir, c'est être, pour les hindous, et ceux qui maintiennent le cap de l'évolution, et guident vers la vérité. Voir, c'est lier le ciel et la terre pour le taoïste, et s'imbriquer dans une conscience exhaustive, où le corps physique, bien que périssable, peut subir l'équilibre de l'univers et le manifester.
La complaisance du prédicat panthéiste, où c'est la croyance qui établit cela, «Tout est Dieu», ne donne malheureusement pas sur la véritable Conscience du Divin immanent, que Sri Ramakrishna, par exemple, a souvent éprouvée, puisque le mental ne peut pas voir Dieu, et qui a soulevé Sri Aurobindo en lui ouvrant les portes de son avenir: toucher le supramental, enfin de retour. Cette vision est possible, elle ouvre sur l'infini terrestre, car les hommes pourront bénéficier d'une perception unitaire des choses, une fois l'âme mise devant. La schizophrénie mentale, issue de la souveraineté tyrannique des représentations, ne sera plus le fonctionnement ordinaire de l'esprit. Les représentations subsisteront comme de simples structures organisatrices de la perception, elles seront provisoires et en perpétuel mouvement, elles s'adapteront au vécu, et ce ne seront plus des obstructions à la vision directe du champ. On le voit, pour les intimes, j'ai beau avoir peu de sympathie pour le dandy célèbre, je confirme quand même ce qu'il s'est ingénié à montrer, que les croyances structurent la perception immédiate, et que donc les dés sont pipés au départ. (D'où l'imbécillité de troquer des croyances prêt-à-porter contre des croyances sur mesure puisque ce sont toujours des croyances. Vos propres croyances ne sont pas meilleures que celles des autres, sous prétexte que vous les avez CHOISIES). L'aspiration peut vous faire reconnaître la suprématie d'un Christ, d'un Krishna, d'un Sri Aurobindo, et la seule chose réelle que cela peut engendrer, c'est une vérification des vérités qu'ils vous proposent d'expérimenter dans votre vécu. Le reste est superflu.
Et vite gênant, et puis cela devient catastrophique: on se trouve enfermé dans un système de représentations supérieures, et on a de moins en moins envie de se confronter au réel. C'est comme ça que tous les hindous scrupuleux, à la retraite, finissent confits dans des ashrams où ils font tout bien comme il faut, prisonniers du cadre des présupposés liés à des pratiques contingentes journalières. On dort en se croyant éveillé, puisqu'on peut se donner le change à chaque instant, la mise en scène étant parfaite, du lever du soleil à la fin de la journée. On meurt confit dans la bien pensance, et les maîtres en ont sans doute assez, ou acceptent ce déchet, pour la petite minorité qui fait vraiment le boulot, et qui doivent être là pour se réaliser.
Arrêtez de cultiver les salades dans le potager fertile de la suffisance cosmique,
les vers de la séparitivité s'en gavent avant vous.
L'expérience et rien d'autre.
Les témoignages des grandes saintes chrétiennes sont éloquents, les pauvres se culpabilisent au moindre désir, à la moindre faiblesse; tout leur être est arc-bouté vers la perfection, et quoi qu'en dise pas mal de porcs freudiens, leurs extases ne sont pas seulement des bourgeons de leur frustrations sexuelles. Ramana a un flash par rapport à la mort qui (le) foudroie, et le qui suis-je devient le je suis. Mère fait des expériences déroutantes petite, et se dit que son existence n'a aucun sens sans le Divin. Mon dandy préféré est conditionné pour se prendre pour le Messie, il se dit «qu'est-ce que c'est tout ce cinéma», et il restitue sans le faire exprès la doctrine originelle du Bouddha, puisqu'il n'y a effectivement que le retour sur soi et donc l'investigation des contenus psychologiques qui nettoie le désir et corrode la peur, les deux sources de la violence, et il prêche l'expérience pure contre les Ecritures. Sri Aurobindo est prêt à encourir la prison et plus, quand il joue à libérer l'Inde, ce qui prouve qu'il se connaissait assez pour accepter les risques qui vont avec un tel engagement. J'ai trouvé stupide de mourir quand j'avais sept ans et qu'une petite fille plus âgée m'a fait comprendre que c'était inévitable, je ne l'ai pas vraiment crue, et depuis je cherche qui je suis, pour accepter la chose, ou la transformer, ce que j'ai d'ailleurs tenté en étudiant l'alchimie avant que le supramental débarque sans prévenir. Je sais distinguer une personne engagée et une qui ne l'est pas, et se le fait croire. Il n'y a pas que de la mauvaise foi.
Le new edge qui comme son nom l'indique, est le nouveau bord de la limite du mur, est resté dans l'envoûtement général issu du siècle des lumières, qui veut que la réalité soit à notre service. L'imprégnation dans le mental occidental est si profonde depuis douze générations qu'on en hérite dans n'importe quel milieu, et qu'on va donc s'imaginer dans la foulée que Dieu va se soumettre si on a besoin de Lui, que la Vérité va conforter nos espérances, elles-mêmes fondées sur des illusions en béton armé, que la connaissance s'obtient parce qu'on a décidé de s'y mettre, et qu'elle finira bien par admettre qu'elle nous doit bien ça, puisque on est moins médiocre que n'importe qui, et qu'on investit dans le plusmieux cosmique et le salut de la terre. La manière dont les «chercheurs» prétendent s'engager, alors qu'il n'y a dans leur démarche qu'une amélioration de l'ordinaire, mais avec en fin de compte, toujours l'idée de sortir son épingle du jeu, en substituant des ambitions spirituelles aux ambitions matérielles, possède quelque chose de révoltant pour l'esprit s'il décroche du supramental: il est à nouveau happé dans les performances du mensonge, de plus en plus fines et subtiles, de plus en plus géniales. Heureusement, tous les chercheurs ne sont pas dupes, bien qu'i y en ait moult qui se contentent de changer de carotte s'ils ne parviennent pas à la rattraper assez vite pour s'en repaître, ce qui est à mourir de rire, ou à pleurer toutes les larmes de son corps, selon la disposition du jour. Peut-être faut-il épuiser toutes les carottes pour parvenir à la révélation suprême: pour le moment chaque moment, chaque seconde, chaque instant est un obstacle entre le Divin et moi, alors je vais me mettre à ausculter ce mur de l'ici et maintenant, jusqu'à traverser le miroir parfait qu'il constitue. Tant que je ne me regarderai pas dans la glace exhaustive du présent, je ne saurai pas qui je suis, et le passage me sera refusé: je n'aurai que le retour de mes projections.
Le temps est le tamis, rien ne m'obéit. Les dieux se gaussent, et je suis seul face à tout. J'ai épuisé les pochettes surprises et je ne parviens plus à ravauder mon nounours ou ma poupée. Je me suis raccroché le plus longtemps possible à des illusions, et vers la fin, c'était vraiment des illusions de grand luxe, pas à la portée de n'importe qui je te le jure. J'avais trouvé la bonne carte au trésor, mais je n'avais pas compris qu'il serait aussi bien protégé. Je sais où il est, mais il demeure aussi inaccessible qu'avant. Zut alors, il n'y a pas de room service pour les signifiés, et si tu veux Dieu, la connaissance, le Tao, la libération, l'harmonie suprême, l'Amour, la terre nouvelle, ils demeurent toujours à égale distance si tu ne traverses pas le mur. Comme une carotte que le cavalier tend à son âne pour le faire avancer. Le signifiant lézarde dans la durée, pavoise et roule des épaules et fait des défilés de haute couture avec des logo qui le mettent en valeur; le signifié, lui, est de l'autre côté de l'ignorance, du mur, du présent - imperturbable dans la paix intemporelle, dans l'incorruptibilité du feu... Bref, le trésor, une fois localisé, est aussi difficile à obtenir qu'avant. C'est même pour ça que certains maîtres jettent le mental à la poubelle: il prend la carte pour le territoire, ce qui rend toutes les topographies inutiles. Tu ne sais pas qui tu es. Point final. Le dandy a raison, la gûitâ te servira à rien, si tu ne la pratiques pas, et comme tu crois que c'est un livre, abruti, tu ne réalises pas que c'est un mode d'emploi du perçu, alors autant l'offrir à ton pire ennemi pour qu'il se la pète.
Tu cherches la sortie et tu fais une lamentable erreur
car c'est l'entrée qu'il faut trouver.
Dur dur d'être une âme.
Mais je n'ai plus le choix!
Et si ta sincérité est absolue, le Divin t'enverra, depuis l'autre côté, ce qu'il faut. Mais sincérité n'équivaut pas à acharnement, conviction, détermination, volonté, idéalisme, vénération formelle, discipline, intégrisme pour ego supérieurs, comme à Auroville. C'est un autre petit gadget évolutif qui n'a l'air de rien pour certains, mais sans, ce n'est pas possible. C'est comme une bagnole, sans la tête du delco, ça démarre pas. Même une Ferrari. Alors ça sert à rien de vider la batterie. Ta belle bagnole, elle ne fera pas un seul rond de pneu tant que tu n'iras pas voir sous le capot. Te voilà prévenu. Sous-estime pas l'esprit, mon pote, il t'emmène où il veut, même à croire à ta rédemption, ton salut, ton progrès, ta «préparation»... Alors qu'il te fout des œillères maousses costauds en te montrant le chemin. C'est pas un chemin, c'est un leurre, pour que tu passes à côté de l'itinéraire véritable, possible seulement sans ton petit autel de poupées que tu prends pour des dieux bienveillants, sans tes bouées de sauvetage, comme l'amour que tu inspires à Dieu du haut de tes remords rances et de ses remontrances, sans la caution d'un maître certifiée conforme chez le notaire, qui t'a mangé la tête, comme cette fille qui à l'époque t'as laissé sur le carreau. Le mental, tu ne fais pas le poids. C'est lui qui te mène en bateau en t'indiquant la marche à suivre. Seule ta faim du feu, seul ton besoin incandescent de te ramifier à l'Immense ouvrira les arches secrètes. Tes prédicats, tes finesses, tes commentaires zéclairées sur Patanjali, sauf à draguer les dévotes du yoga, inutile. Ta bibliothèque ésotérique, c'est une armure (on ne dénonce pas son petit camarade). Ta foi, c'est une épée pour transpercer les vérités qui te blessent, ta «voie», c'est ce qui te permet de t'enfermer dans ta bienpensance puante (Inutile de vous sentir visé puisque ça vous fait justement penser à d'autres... )
La seule voie, c'est le creuset de l'instant, et nul n'en est le propriétaire. Tu peux collectionner les Rolex Vintage et les horloges bressanes, et te ruiner en chronomètres au millième de seconde pour mesurer un quanta... Mais acheter le temps qui passe avec TA vérité, tu t'es trompé de planète. Vos œillères commencent à faire désordre, centaures de l'absolu, chercheurs patentés d'impasses aux noms ronflants, inquisiteurs de la pureté qui vous vous recommandez de faux soleils pour briguer des vérités nouvelles, celles qui donnent le Divin à l'homme comme on jette en pâture quelques os à des chiens. Ce n'est pas en raccourcissant l'échelle de Jacob que vous vous en tirerez, le Divin restera nickel, hors de portée de la plupart de ceux qui s'en réclament, et rêvent seulement de se séduire en jouant dans le miroir à se regarder sous le meilleur jour. Trois mille ans que ça dure, et c'est peut-être fini: la Terre va droit dans le mur, et ne sous-estimez pas la force de ce grand animal blessé.
Le moi qui Voit n'est pas celui qui pense, mais Il commence comme ça, c'est la loi de l'espèce, et puis il se débarrasse du superflu: c'est-à-dire tout, sauf le présent et le feu qui te brûle.
Grâce au site,
certaines personnes ont pu me retrouver et elles m'ont fourni des fragments de
cours ou de conférences que je n'avais pas conservé moi-même. J'ai donc la
chance de restituer une conférence, qui date d'il y a 15 ans, où je caractérise
le propre de la conscience supramentale d'une manière très claire et très
précise. Avant de s'avancer sur les possibilités ultimes de la transformation
du corps physique, contentons-nous déjà d'apprécier l'incroyable transformation
psychologique qu'apporte l'énergie supramentale dans l'individu qui s'habitue à son pouvoir permanent. La devise qui était la mienne à l'époque n'a pas changé
et elle résume en une formule lapidaire ce qu'apporte vraiment le supramental: Le
supramental montre spontanément le côté positif de tout événement négatif.
Je n'ai fait,
finalement, que développer cette sentence dans l'ouvrage nommé « les
principes de la manifestation », création que je distribuais dans une
forme inachevée à l'époque, à quelques personnes qui suivaient une formation en
astrologie avec moi.
Il y a une
différence entre se persuader que tout événement négatif recèle une issue
positive, et le fait de le vivre spontanément avec une autre conscience, dont on est dépositaire, et qui ne peut fonctionner que dans un état de
disponibilité absolue au Divin, qui aura déjà aboli dans le moi les systèmes de
défense générique, et qui empêchent de percevoir la positivité absolue de toute
chose. Quand on est possédé par cet état, il est évident qu'on peut à nouveau
avoir confiance en l'espèce humaine, quelle que soit son ignorance, car on aura
vécu avec l'état psychologique qui, un jour, la sauvera d'elle-même.
Dans cette mesure,
le paradigme supramental dépasse les considérations habituelles que l'esprit
humain bâtit sur la nature du spirituel, et ce fameux spirituel n'apparaît donc
plus comme l'opposé du matériel et du profane, mais simplement comme le moyen
dont l'humanité dispose pour se dépasser elle-même. Il n'est même pas
impossible que le spirituel n'ait servi qu'à une seule chose : grimper
vers la conscience qui nous permettra enfin de vivre sur la terre sans être
manipulé par les pouvoirs obscurs de la vie. Le Divin fournira une autre
mentalité aux terriens, et cela permettra de changer aussi bien les relations à
l'autre, comme le Christ le souhaitait, et les relations à soi-même, comme le
Bouddha le préconisait. Il reste à dépouiller le spirituel de toutes ses
fausses caractéristiques qui permettent à des individus mal informés de
s'imaginer que c'est un bien personnel supérieur. Non, c'est simplement le
moyen de trouver l'utilité absolue de l'existence, en permettant à la vie
d'incarner tout ce à quoi l'homme aspire depuis toujours, et qu'il est
incapable d'accomplir, parce qu'il ne fait toujours que la moitié du chemin.
L'histoire risque de nous obliger à toujours aller plus loin, à toujours
accepter plus de choses sans jamais nous soumettre, et c'est dans la découverte
de cette envergure cosmique que les moules obscurs de notre personnalité seront
brisés sous la nécessité du changement qui s'impose.
Je vous livre donc
en toute liberté ce texte qui évoque la révolution de la conscience qui est
possible avec le Divin, si nous parvenons à Le contacter. Vu que la
manifestation supramentale est destinée aux terriens, je m'oppose au culte des
personnes qui seront les premières à manifester l'énergie supramentale, et mon
témoignage continue à s'établir sur des bases extrêmement simples, le besoin
d'exprimer ce qui m'arrive, en laissant à chacun le loisir de réfléchir sur mes
déclarations. Je répète donc que mon but n'est pas de convertir qui que ce soit
au supramental, mais de dire à ceux que cela concerne que l'expérience
commencée par Mère et Sri Aurobindo peut continuer. À une époque où il est de
bon ton de s'inquiéter pour l'avenir proche, je m'acharne presque à affirmer
qu'un individu qui sait se consacrer à la connaissance peut faire face à
n'importe quel type d'obstacles, et peut même aider les autres à les utiliser,
dans la perspective d'un progrès de la conscience universelle. Car la
conscience n'appartient à personne, et elle demande seulement à ceux qui la
connaissent mieux qu'ils lui permettent de s'établir d'avantage sur la terre
par-dessus les races et les personnalités, chez ceux qui en ont vraiment
besoin.
Méta thérapie
Séminaire de Genève - 28 novembre 1993
Présentation du
livre « L'intelligence de l'évolution »
( précurseur
« Des Principes de la Manifestation » )
Je pense que si on
est dans un état d'esprit entièrement passif, ce doit être possible de se
laisser entraîner par ce qu'il y a dans le livre et finalement de le comprendre
et pratiquement de l'intégrer. Si on est dans une vibration où il faut faire
des efforts pour comprendre, pour suivre, il vaut peut-être mieux ne pas
insister. Par contre, on peut le lire dans n'importe quel sens, on peut
commencer par n'importe quel chapitre, il y a un ordre qui est chronologique
parce qu'il faut bien un certain sens.
Donc, je pense que
j'ai pu écrire ce livre - au Sri Lanka - parce que j'étais dans un état
effectivement de passivité totale où je n'avais plus de résistances à instaurer
vis-à-vis de personne, vis-à-vis d'aucune énergie, d'aucune vibration, dans un
état d'innocence totale où donc il n'y a pas d'adversaire, où il n'y a pas à se
méfier de quiconque. Alors naturellement, je souhaite que cet état d'esprit se
développe parce qu'il y a toute une part du mental critique qui est associé à
l'identité et qui croit qu'il voit mieux que les autres, et en profite pour
couper au couteau les choses légères, au niveau de la communication, qui
peuvent se passer, pour empêcher une vraie relation.
C'est une vision
pratiquement exhaustive de la complémentarité des choses adverses et des choses
qui ne le sont pas. Donc ça va vous bouger parce qu'il n'y a pas un seul aspect
de la réalité dont le mental peut dire « c'est mauvais, c'est
négatif », qui ne soit à la lumière de la conscience supramentale quelque
chose de positif, ne serait-ce que par l'information qui est fournie.
C'est-à-dire, telle chose qui nous paraît négative, elle l'est ou elle ne l'est
pas, mais elle nous paraît négative. Pour la conscience future de l'humanité - si elle survit, ce que je souhaite, ce dont je ne suis pas sûr - ces choses-là
seront absolument balayées. Il ne peut pas y avoir quoi que ce soit qui ne soit
un obstacle fondamental à la manifestation de la conscience, cette chose-là est
fausse, il faut qu'on le sache une bonne fois pour toutes, c'est faux !
Alors dans ce
livre, j'ai baptisé d'une manière générique - c'est-à-dire tout ce qui peut se
passer sur la terre concernant les choses que nous jugeons négatives à un titre
quelconque, ces choses-là je les nomme dans ce livre : les survivances
dynamiques, et nous avons affaire à elles en permanence, au niveau
individuel, processus que nous avons à dépasser et que nous pouvons dépasser,
mais elles reviennent et c'est un combat difficile.
Il y a des
survivances dynamiques dans toutes les classes de la réalité, familiales,
politiques, etc. Il n'y a pratiquement que des survivances dynamiques dans tout
ce qui est établi. Mais parce que l'évolution est un processus de
transformation permanente, à chaque instant, on peut à travers des choses très
subtiles, changer son regard.
Prendre conscience
que l'on peut, par exemple, être très copain avec une personne et être à
couteaux tirés cinq minutes après, et parfois on ne sait même pas pourquoi...
Donc on doit vraiment se rendre compte de cela, l'énorme manipulation. Alors
dans ce livre, il y a effectivement quelque chose qui, sur le plan mental,
apparaît comme une manipulation terrible, et lorsqu'on est dans la conscience
supramentale et que l'on voit cette manipulation de la vie sur l'être humain,
il faut aimer suffisamment le Divin pour lui pardonner de nous avoir mis dans
une situation aussi terrible où les dés sont pipés comme je le répète souvent...
Personnellement, il
y a des moments où je ne peux pas me maintenir dans l'ampleur propre à la
conscience supramentale qui doit me permettre à la fois d'accepter cette
ignorance et cette souffrance énorme en la justifiant, donc il n'y a que le
Divin qui peut commencer à tout chambouler... Il peut descendre, ça se fera, mais
il ne faut pas lui mettre tout le temps des bâtons dans les roues, ce qu'on
fait en général.
Dans cette conscience-là — supramentale — que je ne peux pas décrire, le mal, l'ignorance, tout ce qu'on
peut imaginer de négatif, est justifié parce que ces choses-là ne constituent
plus des obstacles fondamentaux à la réalisation et à la descente de cette
conscience. Si j'arrive à faire ce travail, et si je deviens particulièrement
lumineux, peut-être qu'à mon contact, il pourra y avoir quelques bribes de
quelque chose plus tard, mais pour l'instant je n'en suis pas là, donc je ne
suis pas un maître, je ne suis pas un gourou, mais je me bats en quelque sorte
pour essayer de m'ouvrir à ce travail de la Force qui est colossale, néanmoins,
il reste quelque chose de ce travail, c'est-à-dire que, ne pouvant transmettre
directement ce qui est possible sur ce plan-là, il reste néanmoins un travail
que le mental humain peut percevoir et qui est en quelque sorte la
justification totale, exhaustive de ce qu'on appelle le mal, l'horreur,
l'ignorance, parce que ces choses-là n'existent pas. Pourquoi nous les faisons
exister ? Voilà l'intérêt du livre...
Alors bien sûr, ces
choses-là n'existent pas en un sens, mais ce qu'il y a d'absolument génial dans
l'évolution, et que je me tue à rendre compte dans ce livre, c'est qu'à
n'importe quel moment où l'on tombe sur de l'obscurité, sur quelque chose à
dépasser, sur des obstacles, des adversaires, des ennemis, c'est le signe d'une
transformation à effectuer, c'est le signe d'une nouvelle lumière à accepter,
et non pas le signe de quelque chose qui empêche d'avancer, au contraire c'est
ce qui nous permet d'avancer l'adversité, il n'y a rien d'autre qui nous
permette d'avancer, sinon on s'endort ! Alors bien sûr cela va très loin,
il faut se préparer à cet état de conscience où l'on est capable sans
rechercher la souffrance, de souffrir dans la joie... Parce que dans la
souffrance, il ne peut y avoir que le signe d'une nouvelle prise de conscience
plus universelle.
Donc, première
utilité de ce livre, c'est de nous apprendre à accepter n'importe quelle
situation qui se présente, il n'y a pas d'autre issue que cela. Alors c'est
très subtil parce qu'accepter ne veut pas dire se soumettre, accepter c'est se
dire tiens, telle chose, tel événement qui me paraît indésirable, dans un
premier temps, je l'accepte, et ne serait-ce que pour en éviter tous les préjudices
futurs, il faut en passer par l'acceptation. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de
stratégie évolutive digne de ce nom, soit de processus de conscience digne de
ce nom, qui escamote les choses sous prétexte d'en prévenir la nocivité. Il n'y
a rien à escamoter, on prend une douleur de face, ce n'est pas la peine de se
rétrécir en croyant qu'on va souffrir moins. La douleur se représentera jusqu'à
ce qu'elle soit acceptée.
Alors je défends
une idée qui est complètement folle, qui est que la véritable possibilité
d'évolution c'est d'abolir nos défenses, et plus elles sont abolies, plus
l'identité est souple. Moins on a de choses à défendre, moins on est déçu, offensé, humilié, parce qu'on n'a rien d'autre à défendre que notre présence.
La présence est quelque
chose de pur, elle n'est pas contingente. Il n'y a pas dans la présence aucune
forme de contingence. Vous pouvez croire que je suis là à travers une fonction.
Quelle fonction ? Je n'ai pas encore une multinationale de Salut, je suis
là, vous n'êtes pas obligé d'acheter mes livres non plus, mais simplement il y
a quelque chose qui tient à la présence. Pourquoi l'emberlificotons-nous cette
présence, dans des cadres, des fonctions, des rôles ? Je l'explique aussi,
dans la troisième partie de ce livre, qui est d'une telle simplicité que sans
le regard d'un enfant, effectivement, on ne comprend pas. C'est-à-dire que
l'Esprit, qui n'est rien d'autre que le Divin et qui est la seule chose qui
nous anime, même s'Il tombe dans l'inconscient de l'espèce, le procédé total de
notre présence au monde, il n'y a que le Divin là-dedans ! Qu'il soit
obscurci ou qu'il soit lumineux, comme chez Sri Aurobindo, pour qui la Lumière
est devenue un canal extraordinaire et extrêmement puissant, c'est le Divin de
A à Z.
Alors comment
voulez-vous imaginer le Divin, pour lui le big bang et quinze milliards
d'années, c'est rien ! Ce sont des minutes, des secondes, l'Univers n'a
pas de limite dans l'espace, le Divin a une échelle de temps pour laquelle des
milliers d'années correspondent à nos secondes à nous, que voulez-vous donc que
cela fasse au Divin que l'espèce humaine réussisse cette fois-ci l'émergence
supramentale ou que ce soit dans une autre évolution ou sur une autre planète
qui aura mis trente milliards d'années à naître ? Le temps n'existe pas
sur le plan du Divin. Quinze milliards d'années n'ont pas plus de valeur que
quinze ans. Donc, à quoi nous oblige-t-elle cette conscience
supramentale ? A nous rendre compte que nous sommes des créatures
infiniment minuscules...
Cette réalité-là, on la fuit en mettant des loupes sur nos yeux, parce que lorsque nous mettons
des loupes, on prend de l'importance « Moi-Je, moi j'ai un éveil
spirituel, moi je sais, moi ceci, moi cela ». Et on retrouve cette
prostitution de l'esprit à toutes les échelles, aussi bien chez les gens
primaires que chez les gens plus évolués qui ne veulent pas être remis en
question, chez les gourous aussi. Tant que cette fonction-là restera dans
l'humanité, aussi respectée par tout le monde à cause des contingences, des
fonctions, des rôles, parce que nous avons à nous défendre, on ne peut pas
rester dans cette présence d'enfant, parce que le Divin tombe dans la matière
et que dans la matière le Divin est soumis à des contraintes, et je travaille
sur les représentations très précises des contraintes — vous les trouverez dans
ce livre aussi — pour atteindre à la souplesse mentale, et ce livre, en parti
inspiré par le Divin à travers un canal, peut avoir un puissant impact pour
vous dispenser d'établir des différenciations trop nombreuses dans votre
perception de la réalité. Il y a plein de processus analytiques, et l'on doit
différencier les choses. Mais je vous promets qu'il y a une conscience qui
existe et qui veut être accessible à l'humanité, où toutes les perceptions sont
unies. Donc, les perceptions adverses, elles sont magnifiques dans cet état-là, on vit dans l'harmonie, on vit dans une forme de synthèse, on oublie les
contraintes, les différenciations, quand un événement surgit qui ne nous plaît
pas, ne nous agrée pas, nous blesse, dans cette nouvelle conscience on salue
cet événement, c'est-à-dire qu'on ne renforce pas son caractère négatif
parce qu'on n'a strictement rien à défendre. Si l'humanité découvre cela, elle
est sauvée. Si au contraire, chaque fois qu'il y a un petit quelque chose qui
nous dérange, parce que les choses ne se déroulent pas conformément à ce qu'on
aurait souhaité, eu égard à ceci ou cela, non seulement nous souffrons mais
nous cultivons l'idée de la souffrance, parce que l'on ne supporte rien. Alors
que le Divin supporte de s'incarner, nous êtres humains nous ne supportons
rien. Cela dit, il faut le reconnaître... Le Divin, pour tout supporter.
L'intérêt de ce
livre, aussi, c'est le mystère du nombre. Chacun de nous passe par des phases
où nous sentons l'unité. Ce qu'il convient de comprendre - de mon point de vue
de « yogi » qui prétend être en contact avec une nouvelle énergie, ce
qui n'est pas tellement observable ni démontrable, et qui d'ailleurs me permet
d'avoir une relation ouverte avec tout le monde puisque je ne demande pas
d'être considéré - c'est que toutes formes d'unité, d'harmonie perdue n'est que
le signe d'une harmonie nouvelle à créer, plus profonde, il n'y a normalement
aucun type d'expérience psychologique susceptible de nous priver de l'évolution
divine, aussi, voilà la question que je pose : est-ce que vous pensez
qu'il peut encore vous arriver quelque chose, c'est de l'algèbre, par exemple
rupture sentimentale, maladie grave, décès du papa, de l'enfant, perte de la
profession, est-ce que vous pensez donc qu'il y ait un type d'événement
quelconque susceptible d'affecter suffisamment votre conscience pour ne plus
jamais remettre en marche votre identité vers la grâce d'être présent au monde,
telle est la question fondamentale.
Et dans ce livre,
je dis, pour une conscience nouvelle — qui est une conscience universelle — c'est-à-dire que je ne l'ai pas tellement « trafiquée », elle est
peut-être colorée par ce que je suis en tant qu'âme et en tant que
personnalité, légèrement, mais je maintiens qu'il y a quelque chose d'universel
dans cette conscience-là, de la même manière que je maintiens que quand le
singe s'est mis à penser et que le mental est apparu, tous les êtres humains
qui ont commencé à naître avec le mental, ils ont tous eu un mental à leur
disposition, ce qu'ils en ont fait, on n'en sait rien, le mental, on peut
l'utiliser en étant conditionné ou pas. Mais on est à la fin du vingtième
siècle et il y a une nouvelle conscience qui descend sur la terre et qui dit
« moi, il n'y a pas de problème ! », il n'y a rien qu'on puisse
faire contre moi ! Alors vous vous rendez compte de l'enjeu que cela
suppose ? Qu'une espèce terrestre, biologique, sorte difficilement de
l'animal (puisque nous allons trouver dans les survivances dynamiques tout
l'héritage de l'évolution, c'est-à-dire les esprits animaux) pour parvenir
ailleurs ?
Alors ce livre est
basé sur une vision qui n'a duré que quelques secondes mais qui était une
vision d'une puissance extraordinaire... C'est-à-dire, à n'importe quel moment on
veut résoudre les choses avec le conscient. Dès que notre registre conscient
est insuffisant par rapport à la situation - le temps ne se suspend pas - une
réponse est fournie, et cette réponse est une survivance dynamique et c'est
vrai partout. On allait signer des accords commerciaux avec la Chine, et ils
font sauter une bombe atomique dans leur coin sans le dire à personne, une
survivance dynamique qui surgit... On veut se rafistoler avec quelqu'un, au
dernier moment il se fâche et toc... Punition... Nouvelle séparation. On vit dans un
monde de survivances dynamiques. Elles sont tout ce qui passe à travers nous
comme étant des réponses dans les situations où nous ne pouvons pas faire face
avec notre identité spirituelle.
Donc, ce n'est pas
la peine d'essayer d'échapper aux survivances dynamiques, cela voudrait dire
qu'on est parfait. Moi j'en rencontre à mon niveau, mais elles sont génériques,
c'est-à-dire qu'elles appartiennent à l'espèce entière, comme par exemple la
possibilité de se soumettre à une autorité supérieure, pourtant en ce qui me
concerne c'est l'autorité du Divin, mais il y a des jours ce n'est pas possible
car il y a les survivances dynamiques de la liberté humaine qui sont trop
fortes.
Donc la réalité c'est un mille-feuille. À tous les étages de la réalité, on rencontre cela. Des
processus d'innovation - tout ce que vous trouvez de beau dans l'innovation,
créativité, différenciation uranienne, établissement d'un ordre meilleur par la
transformation des informations du passé, découverte d'un nouveau champ
d'investigation, toutes ces choses de « l'innovation » vont susciter
l'apparition de survivances dynamiques quelque part. Alors bien sûr, on ne peut
pas en sortir, vous voulez par exemple faire quelque chose de neuf, de beau, et
il y a tout le monde qui pense que vous allez là où il ne faut pas aller, que
rien ne vous autorise à faire ce que vous faites, que ceci que cela... Bon, ce
livre vous invite à une représentation mentale assez large des processus
qu'emploie l'évolution pour se manifester. Pourquoi j'insiste ? Parce que
l'esprit humain, qui est friand de gratifications, regarde dans l'évolution ce
qui l'arrange, tout ce qui va dans notre sens, ah là c'est beau, c'est
merveilleux ! Mais la reconnaissance des survivances dynamiques ne se fait
pas, voilà le gros problème. C'est-à-dire qu'on ne cherche pas à accepter tout
ce qui est gênant, tout ce qui nous empêche d'avancer.
Donc, maintenant
que ce décor est posé, nous, on a un manuel de « survie évolutive » à
notre disposition, « l'intelligence de l'évolution », qu'on peut lire
dans n'importe quel sens, on n'est pas obligé de tout comprendre. Nous, on a en
quelque sorte l'intuition ou la certitude que rien ne peut nous empêcher
d'évoluer. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'obstacle, cela ouvre donc
une porte sur le discours que l'on peut tenir vis-à-vis de tous ceux qui nous
entourent et qui prétendent en permanence qu'il y a des obstacles, pour ceci
pour cela. Alors si on va loin, je peux pratiquement affirmer qu'une
connaissance, qu'une compréhension profonde de ce livre, peut aiguiser la
différence qu'il y a entre la mentalité de l'évolution qui fait face à
n'importe quoi — d'ailleurs quand je peux, je rends hommage à ceux qui ont
travaillé dans ce sens, Jung l'a très bien fait, par exemple — donc, il n'y a
pratiquement plus rien qui va nous faire peur, mais si nous continuons à vivre
dans le monde, j'aimerais que ce livre permette cette compréhension profonde
(et non pas de faire du messianisme où on dit « ouais, tu t'inventes des
obstacles en permanence) pour que nous puissions préserver notre intégrité dans
notre conscience et sachions parler de ce que nous vivons. Peut-être par une
forme de discours approprié, soit dialectique, soit du cœur, soit des
« insights » qu'on peut produire chez les autres, pourrons-nous aider
d'autres personnes à comprendre qu'ils en « rajoutent » quand même.
On en rajoute sur la souffrance, sur les difficultés, et nous ne faisons pas ce
qui est nécessaire pour les abandonner.
Donc, ce livre a
une importance pour le lecteur qui me paraît indubitable. Mais pour le lecteur
en milieu ouvert seulement, celui qui comprend ce livre, il va démasquer en
permanence les personnes qui résistent à l'évolution. Mais je ne dis pas qu'il
faut arracher les masques, je demande : est-ce que ce n'est pas le
moment de préserver notre intégrité dans un monde où les survivances dynamiques
sont tellement fortes que les gens qui sont un petit peu clairs intérieurement
peuvent se sentir isolés, rejetés ou blessés ? Parce qu'il y a une lutte
terrible, une lutte de forces extraordinaires pour empêcher cette conscience de
passer et puis pour maintenir des choses complètement périmées — il y a un
combat.
Quelqu'un de très
branché sur l'énergie supramentale, s'il fait très bien son travail les gens ne
peuvent parfois même plus supporter sa présence physique parfois, tellement
c'est fort, c'est arrivé à Mère. Donc, il y a un «truc » pour faire
passer quelque chose qu'on appelle la lumière, la beauté, la conscience, peu
importe, mais c'est quand même une puissance d'harmonie sur la terre. C'est
quelque chose qui dit 'oui jusqu'à présent ça n'allait pas sur la terre,
mais les raisons, on s'en fiche, vous vous ouvrez comme ça et ça disparaît,
alors c'est merveilleux !' C'est-à-dire que l'évolution ne va pas
aussi lentement parce que c'est la nature de l'évolution d'aller aussi
lentement, elle va ainsi parce que l'homme, espèce mentale, crée une
différenciation subjective qui est tellement forte que l'espèce ensuite ne retrouve
plus sa propre finalité.
Donc, combien de
siècles encore on va mettre à expérimenter ce libre arbitre triomphal, mais le
supramental s'en fout, il voit le Divin dans tous les êtres, dans les
assassins, dans les gourous, les saints, les prostituées, les savants, il voit
le Divin à la recherche de lui-même dans tous les êtres, Il LE VOIT ! Ce
n'est pas mental, moi je sanglotais dans la vision de Vasudeva en 81, j'allais
à Madras, il y avait des groupes de touristes français, et moi je mangeais tout
seul dans un grand restaurant, et je manquais de me cacher pour pleurer tant
« tout cela c'était moi », c'est-à-dire il n'y a qu'une chose qui
prend tellement soit de plaisir, soit de perversion, soit d'intérêt à se
différencier, que cette chose unique, elle se perd dans la différenciation
individuelle. Si on continue à aller trop loin, l'espèce y passe, c'est
terminé, le Divin passera à travers d'autres espèces, il peut inventer le
mental peut être chez les dauphins, mais, si nous on continue à faire les imbéciles,
c'est-à-dire à pousser le processus de différenciation individuelle où
« moi je, je ne suis pas comme toi et je suis bien content d'être
différent de toi », c'est terminé ; c'est un processus qui à un
moment doit se retourner vers le Divin et vers le non agir et si ce
retournement n'a pas lieu c'est la catastrophe... Donc qu'est ce qui se passe, à
l'heure actuelle il y a des gens comme nous qui vont au bout d'une
différenciation, c'est-à-dire, on n'est pas anonyme, je ne vais pas confondre
les gens qui sont ici, il y a une structure personnelle qui est forte. Quand
cette structure personnelle est cohérente, établie, et qu'elle se tourne vers
le Divin, la différenciation continue sous des auspices nouveaux, et les
survivances dynamiques peuvent diminuer beaucoup, les défenses aussi, on peut
faire face à beaucoup plus de problèmes, de soucis, il y a une réactivité
beaucoup moins forte, je ne dis pas qu'elle disparaît puisqu'on est incarné
mais elle diminue.
Par ailleurs, les
gens qui vont dans une structure individuelle et qui y restent, vont tomber
dans le pouvoir. Il y aura donc une sorte de lutte cosmique entre les individus
structurés qui ne se retournent pas dans la conscience divine de l'évolution,
c'est-à-dire vers le processus de reconnaissance de l'identité divine dans le
monde, donc ceux qui vont se bétonner à travers les rôles, les fonctions etc.
On peut tout avoir à travers ça, à partir du moment où l'on s'identifie un
petit trop à ces rôles et ces fonctions, le pouvoir augmente, chez un gourou
aussi.
Plus on s'identifie
aux rôles et fonctions, plus on est parti prenante du contingent, du décor.
Plus on se réfère à la présence pure de l'identité, plus cette présence pure
est capable de transformations permanentes puisqu'elle n'est pas bloquée par
l'identification à machin, par l'attachement à un tel, par l'appellation du
patron, etc. Vous vous rendez compte déjà de tout le travail que l'humanité a à
faire pour nettoyer les rôles et les fonctions et par ce nettoyage remonter à
une conception de l'identité légère. Soyons légers ! Mais si on retrouve
cette conception de l'identité qui est une ouverture permanente à la
transformation des contenus intérieurs, on est moins attaché à ses rôles et ses
fonctions, et donc plus ouverts à la transformation par le vertical.
Mais je ne suis pas comme ces gourous indiens qui disent qu'il faut oublier ce qu'il y a en bas, ce
n'est pas du tout cela. Le problème c'est de comprendre qu'à l'heure actuelle,
il y a une catégorie d'individus qui se structurent et qui, après, s'ouvrent à
l'univers et donc, qui renoncent à une structuration permanente de l'ego
central. Pourquoi renoncent-ils ? Parce qu'ils sont humbles, s'ils ne
l'étaient pas ils ne pourraient pas y renoncer. Mais ceux qui ne renoncent pas
à cela, quand il va y avoir confrontation, cela va donner pratiquement deux
espèces d'êtres humains si je me projette dans trente ou cinquante ans, il y
aura la guerre ! Il y aura les dépositaires des survivances dynamiques,
les ayatollahs, les fascistes, le conservateur du musée, le conservateur du
folklore, tous les gens qui fondent une identité personnelle sur une identité
culturelle étroite ou sur une identité ethnique, tous ces gens-là ne vont pas
du tout admettre que l'espèce humaine passe à une conscience nouvelle, divine,
où l'on se reconnaît dans tous les individus. Parce que la différence crée un
malaise chez les autres, donc je ne sais pas si vous vous rendez compte de
l'enjeu qu'il y a sur la terre, à produire de la conscience ouverte !
C'est un enjeu pour la terre, après... Qu'on soit attaché à la survie de
l'espèce, c'est autre chose, moi j'ai changé, avant j'y étais attaché jusqu'à 35 ans, maintenant si elle ne survit pas, ce n'est pas une catastrophe... Mais je
suis encore dans ce mouvement où je pense que l'incarnation terrestre peut
aller très loin, bon, on n'est pas beaucoup à dire que cela peut aller aussi
loin, et on est tout à fait conscient du fait qu'en établissant le début, la
base de cette descente de la lumière, il y a toutes les survivances dynamiques
qui sortent pour l'empêcher.
Question d'un
participant sur la notion de « cobaye » :
« J'ai de la
peine à imaginer que le Divin, sous quelque forme qu'on se le représente,
nous prenne pour des cobayes, et lui dirigerait ce grand jeu alors qu'il y a eu
dans l'histoire tellement de maîtres, d'initiés qui disaient plus ou moins la
même chose, selon les époques avec un vocabulaire différent, alors est-ce qu'on
ne pourrait pas s'imaginer que cela crée une sorte de chaîne de solidarité
positive qui contrecarre et s'oppose à ces forces « maléfiques »
générales ? Moi j'ai de la peine à imaginer que le Divin qui a accordé sa
confiance, depuis des temps immémoriaux il y a eu des êtres illuminés, des gens
qui savaient, et pourquoi donc il aurait encore besoin de nous comme
cobayes ? Est-ce qu'on peut imaginer le Divin qui s'abaisse à nous prendre
pour des cobayes, les messages sont déjà là... »
Natarajan :
Alors cela, c'est
un point très intéressant que j'aborde un petit peu, c'est tout ce que nous
appelons le spirituel depuis plus de trois mille ans, qui n'apparaît dans la
conscience supramentale que comme le point de départ des choses. Et quand
l'énergie supramentale touche le corps avec sa puissance inimaginable, et ça
fait 15 ans que cela m'arrive, on est obligé d'avoir cette image qu'on est un
cobaye. Parce que les expériences physiques sont tellement intenses, j'ai été
dans le Soi Impersonnel pendant trois ans où il ne se passe plus rien, et après
cela j'ai donc été confronté à la transformation physique. Et là, la notion de
cobaye arrive nécessairement, la puissance des expériences physiques est telle
qu'il n'y a pas d'autres mots, il n'y a plus de contrôle. Dans le Soi, on peut
dire qu'on contrôle sa vie. Je suis en train de me rendre compte que la possibilité
d'incarnation physique de l'esprit change intégralement les règles du jeu sur
la terre. C'est-à-dire que le contact physique avec l'énergie supramentale
montre que l'univers n'est pas conforme à ce qu'ont dit aussi bien les
matérialistes que les spiritualistes, et si on se laisse entraîner dans le
mouvement de la transformation physique, je dis que c'est difficile, j'ai eu
des hauts, des bas, cela remonte de temps en temps, mais quand on est
là-dedans, la puissance de l'évolution apparaît avec une telle force que, même
si on a une identité propre, même si l'âme est passée devant, même si lorsqu'on
se réfère à soi-même on ne se réfère à personne d'autre, même si du point de
vue de la personnalité, il y a eu un travail colossal de fait, on tombe dans
une sensibilité à l'ordre universel des choses qui est inimaginable - du jour
au lendemain... Les états d'âme par lesquels on peut être traversé...
Mais si on refuse
effectivement de se soumettre au Divin, dans le processus de transformation
physique, on n'est pas sûr que la vision de Sri Aurobindo se manifeste sur la
terre. Et ce qu'il y a de plus difficile, c'est effectivement la soumission
totale au Divin. Est-ce que des êtres humains vont être capables de faire la
même chose que Sri Aurobindo, moi je n'en sais rien. Si on mélange la
conscience nouvelle avec les résidus de la personnalité, sans parvenir à une
transformation définitive du corps, il peut y avoir des types de réalisations
nouvelles comme par exemple pour moi où je ne suis pas dans le Soi, pas intégralement
dans la transformation physique, où je suis dans une plénitude qui me plaît
bien et où je ne me sens pas séparé des autres. Donc, là il y a une grande
palette possible. Le problème, c'est de savoir comment on aborde le spirituel,
moi je l'aborde d'un seul point de vue, qui est karmique, c'est-à-dire quelle
est l'utilité du spirituel ? Moi le spirituel en tant que tel je m'en
tamponne complètement, pour moi le spirituel cela n'a aucun intérêt par
principe puisque je suis incarné et que j'aime la matière et l'existence. Donc
le spirituel, de mon point de vue, c'est la seule chose qui permette de
transformer les conditions de l'existence terrestre, c'est la seule chose
vraiment utile pour transformer la matière. Mais le spirituel, par exemple du
point de vue du Salut Chrétien, moi cela ne m'a jamais parlé, je ne vois pas
l'intérêt de sauver son âme, parce que pour moi mon âme n'étant pas en
perdition, je ne vois pas l'utilité de faire des choses pour Dieu afin d'en
être digne, ça, terminé. Le spirituel bouddhiste je n'y crois pas, j'ai la
preuve physique que le Divin existe, donc je ne peux pas être non plus dans un
spiritualisme athée comme les bouddhistes, mais le bouddhisme est par ailleurs
un enseignement merveilleux, ce qui permet toutes les desidentifications
émotionnelles, des croyances, etc.
Donc, moi je dis le
spirituel ça sert à quoi ? Le spirituel est une chose foncièrement utile à
la transformation de la terre, mais autrement je ne vois pas l'intérêt d'être
spiritualiste plutôt que matérialiste, il n'y a pas d'éthique du spirituel par
le spirituel. Le spirituel n'est que ce qui permet de comprendre ce qui est
matériel parce qu'il s'y oppose. On ne peut pas comprendre la matière à
partir des systèmes de la matière, donc on est obligé de se spiritualiser
énormément pour surplomber cette matière et puis après, voir que cette matière
demande à être transformée. Donc le spirituel est une nécessité, mais dès qu'on
fabrique du spirituel pour le spirituel... C'est la mort, c'est la
complaisance !
Commentaire du
participant :
« En prenant
la précaution de m'excuser parce que je ne vous ai jamais rencontré ni lu, donc
je n'ai rien à remettre en cause, je voudrais juste expliquer ma propre
démarche : j'ai fait des expériences physiques, longues, certaines
risquées et puis je me souviens qu'il y a 24 ans, premier contact avec Sri
Aurobindo dont je me suis détaché car je le trouvais trop
« intello », trop cérébral, je me disais qu'il avait pris ses
contacts avec l'Angleterre, l'Occident à l'époque, différent de Ramakrisna pour
qui c'était surtout la Bakti, la dévotion, et puis Satprem et d'autres que je
trouvais un peu intellectuels. Là je vous entends, j'ai lu des citations, je
suis touché par ce qu'a dit Brigitte, moi je n'ai pas compris de la même manière,
tant mieux si cela lui parle, il y a un fond, mais moi je voudrais aller
au-delà, mais je cherche un peu derrière, c'est pour cela que je parle de cette
notion de « cobaye », du spirituel qui existe, et puis je dois faire
attention à ma propre tendance à intellectualiser, mais il s'agit pour moi de
décoder. »
Natarajan :
Moi cela ne me gêne
pas du tout. D'autre part, ce que tu dis est parfaitement fondé. Par exemple,
il y a de nombreuses œuvres de Sri Aurobindo qui possèdent un caractère de
représentation philosophique. Mais ce n'est que la surface. Lorsqu'on tombe sur
les textes écrits par le très grand yogi, sur la sadhana, on sent que c'est
quelqu'un de la dimension de Sri Ramakrishna, la seule différence, c'est que
quand lui est arrivé il y avait besoin d'un canal pour cette énergie
supramentale et elle est entrée en lui, c'est la voix qu'il a entendu «
Va à Chandernagor », il a tout laissé et il a suivi. Mais d'un point de
vue intime, si je ne parle pas de l'ensemble de la perspective historique de la
descente du Supramental, personnellement, je ne fais pas une grande différence
entre Sri Ramakrishna et Sri Aurobindo, pour moi ce sont deux très grands
Bakta. Sri Aurobindo, lorsqu'il est arrivé, il fallait un homme qui reçoive.
Question de
Natarajan :
« Est-ce que
vous pensez que vous pouvez faire face à n'importe quel événement ? »
« Vous là (à une participante), je parle à toi parce qu'au début c'était difficile de te
détendre... »
Réponse de la
personne :
« Faire face...
à quel niveau ? »
N. « D'imaginer
par exemple s'il y a un événement tellement douloureux que tu penses qu'il
pourrait détruire ta démarche »
P. « Mais il
faut savoir si j'ai une recherche spirituelle... »
N. « Oui,
mais cela, ce n'est pas mon problème à moi, c'est le tien »
P. « Oui,
c'est une question, un problème. Détruire une démarche spirituelle, qu'est ce
que cela veut dire ? »
N. « ça veut
dire que, normalement, tu es dans une ouverture à quelque chose, puisque tu es
là, tu te poses des questions. »
P. « Et tu
crois qu'un événement douloureux pourrait détruire cette ouverture ? C'est
cela la question ? »
N. « Je ne le
crois pas, je te le demande, moi je n'en sais rien... »
P. « Moi non
plus... »
N. « C'est une
réponse ! »
Confronté à des
vraies urgences, on peut peut-être trouver la sortie... Je tends à développer
cette idée, normalement, même si les choses se cassent la figure, comme dans
notre système économique, politique et historique, si on est ouvert ce n'est
pas tragique pour tout le monde et il y a des solutions.
(Le mot
« détachement » fuse dans la salle)
Oui, mais le
détachement ce n'est vraiment pas quelque chose qu'on peut s'approprier par une
ruse quelconque du mental.
Vous ne vous rendez
pas compte de ce qui se passe ici. Nous sommes des gens qui sont capables
d'affirmer que nous utilisons la souffrance pour évoluer. Est-ce que vous vous
sentez de dire cela dans un cocktail, est-ce que vous vous rendez compte de ce
que cela représente ?
Moi j'essaie de
voir si, sans être dans une fonction de prêtre, de médecin, de
psychothérapeute, d'astrologue, on peut facilement parler de cette autre
réalité, voilà c'est cela qui m'intéresse. Est-ce qu'on « ferme sa
gueule », ou est-ce qu'on parle ouvertement d'un état de conscience ouvert
quand on est confronté à des gens qui ne partagent pas nos opinions ? Cela
me tarabuste un tout petit peu en ce moment. Voilà, c'est une question que je
me pose, parce qu'on peut bousculer quelqu'un dans une consultation
d'astrologie, en le confrontant à ses survivances dynamiques qui parasitent,
mais dans un premier temps qu'il doit voir et qu'il doit comprendre.
L'état d'urgence
serait favorable à la sincérité...
Je pense qu'on peut observer toutes les manifestations des contenus intérieurs, c'est même sain de
se laisser aller assez loin dans le sentiment : moi j'ai été délivré du
suicide quand j'étais sur le point de sauter, à 19 ans, du septième étage,
parce que j'étais traversée par l'idé de suicide et je pense que si j'avais
refoulé ça, cela aurait été absolument terrible. Et puis en m'avançant, j'ai eu
une révélation, j'ai trouvé ridicule de sauter à 19 ans, en trouvant que cela
ne valait pas la peine. Mais je suis absolument partisan d'être manipulé par
les survivances dynamiques, et qu'il faut être manipulé si on veut s'en affranchir...
Mais c'est ce que refuse l'humanité, parce qu'on colmate. Et en fin de compte
c'est pour cela que j'en reviens à l'idée de cobaye. Pourquoi est-on un cobaye
de l'évolution ? Je l'explique dans le livre, et cela revient un petit peu
dans tous les chapitres sous différentes formes.
Nous, on est
dedans, alors on ne s'en rend pas compte. Dans l'incarnation, chez les animaux — j'insiste là-dessus — toutes les fonctions sont automatisées. Nous, d'un seul
coup, il y a l'apparition du mental et de l'identité subjective — le logos
involué, c'est-à-dire : je m'identifie à ma pensée. Pensée qui elle-même
amalgame les émotions, tout, j'en parle. Donc l'apparition soudaine de la
conscience subjective individuelle fait oublier tout ce qu'il y a avant, des milliards
d'années d'automatismes, branchés sur les animaux car nous sommes des animaux,
nous ne sommes pas des anges, des esprits, des elfes, nous sommes incarnés sur
la terre. Donc c'est quoi le problème de l'incarnation terrestre ? C'est
la naissance dans des véhicules biologiques d'un esprit divin sans limites. Si je me réfère à Sri Aurobindo et ce que j'ai ressenti de lui, il n'y a pas de
limites... Donc pourquoi je dis qu'on est un cobaye ? Pourquoi j'insiste à l'envers en affirmant cela ? Parce que non seulement il y a tous les
automatismes des espèces antérieures qu'on a oubliés, colmaté, structuré avec
la culpabilité etc. . , donc toute la stratification des espèces animales
débouche sur la confrontation de l'identité individuelle, alors je ne vois pas
comment on peut être autre chose que des cobayes puisqu'il y a des conflits
permanents entre l'aspiration spirituelle et l'ensemble de survivances
dynamiques issues de l'héritage de l'évolution. Donc, je veux bien admettre
qu'on puisse échapper à la condition de cobaye quand une réconciliation totale
a eu lieu... Entre soi/le monde, soi/le Divin. Mais avant, tant qu'il y a de la
manip, je dis que nous sommes des cobayes.
Le Divin n'a pas
d'intention autre que de retrouver sa plénitude essentielle. Mais c'est dans
cette mesure-là où nous sommes des cobayes, parce que pour retrouver cela, je
regrette, mais ce n'est pas de la tarte... Après, que l'on souffre que ce ne soit
pas de la tarte ou qu'on reste dans l'exaltation comme j'ai tendance à le faire
parce que c'est ma nature et ça m'éclate bien, c'est différent, mais moi je dis
que les choses sont difficiles. Le fait que ce soit ainsi ne m'atteint pas,
mais je ne peux pas dire que c'est aisé, c'est-à-dire que les procédés de
discrimination entre ce que l'on est et comment on se relie au monde, si ce
n'est pas très très affûté on n'est jamais à sa place.
Donc, quand je dis
que nous sommes des cobayes, j'aurais dû dire que le gros problème, c'est
lorsque nous refusons d'être des cobayes qui est pire ! Il faut savoir que
nous sommes des cobayes en apprentissage du potentiel divin mais, de toute
façon, je maintiens que nous sommes des cobayes, il n'y a aucun être humain qui
peut s'affranchir de son incarnation, ça existe dans les systèmes bouddhistes — je ne reconnais pas ce système dans mon expérience personnelle, je ne nie pas
son existence, mais je dis que, pour moi, le Divin cherche à s'incarner sur la
terre dans des véhicules biologiques, et que ce projet est aussi intéressant
qu'échapper à la réincarnation par l'ascèse bouddhiste ou par la purification
exhaustive, ou par l'immersion dans le Para brahman qui succède au Brahman — expérience aussi où j'ai failli rester quand j'en avais ras le bol du
supramental...
Mais il y a
« quelque chose » qui essaye de passer : quand on est là-dedans, on ne voit rien d'autres que des cobayes... Bon, effectivement, nous avons notre
liberté de cobaye, notre liberté d'apprentissage, on n'est pas obligé de
répondre de la même manière aux mêmes stimulis, je ne dis pas qu'on est des
rats de laboratoires, mais je dis que nous sommes une espèce dans un
laboratoire qui est la Vie ! Et il n'y a pas d'affinité fondamentale
entre les processus de la vie et les processus de la conscience. Donc,
cette affinité il faut la redécouvrir par ce que les maîtres appellent
l'ascèse, mais si on explore les antagonismes entre la puissance de la vie et
l'aspiration de l'âme, et bien avant d'équilibrer et d'organiser tout cela... Il y a un travail énorme...
Maintenant, je
maintiens que le conflit originel entre l'identité biologique, de par les
contraintes que rencontre l'esprit dans la matière, l'identité biologique,
c'est-à-dire physique et émotionnelle, cette identité a, de par sa nature, un
droit de regard très profond sur le monde contingent, parce que la peau, c'est
la périphérie, l'œil c'est l'immersion dans la contingence. Donc, tout ce que
cette identité de la contingence perçoit — c'est donc permanent, c'est le monde
du temps et de l'espace — est ensuite confronté au sentiment plus ou moins flou
et plus ou moins structuré de l'identité individuelle, qui, elle, recherche la
Présence, quelque chose d'entièrement pur et non contingent.
Cela fait des
milliers d'années qu'on est là-dedans et qu'on tâtonne pour essayer de
comprendre la relation qu'il y a entre la présence pure, le logos, qui
centralise toutes les informations, de l'émotionnel, de l'affectif, du mental,
il centralise, s'ouvre et avance, et tous les procédés de perceptions
biologiques qui sont extrêmement habiles pour percevoir le monde contingent à travers la souffrance, le désir, le plaisir et la peur, ce travail n'a pas de
fin, c'est le monde des contingences qui fait surgir les limites de notre
identité.
C'est pour cela
qu'il y a dans les grottes de l'Himalaya, des gens qui se croient très évolués
et qui ne le sont pas ! Ils ont aboli le monde des contingences, leur
esprit peut planer dans une fausse dimension spirituelle. Le monde des
contingences est relié à notre corps physique et à notre perception
astrale-vitale, ce qui me plaît ou ne me plaît pas, ce que je ressens pour un
tel, ou dans le moment, les coups que je prends ou que je donne. Imaginez cette
périphérie, qu'est ce qui se passe ? C'est que l'être humain non rectifié par l'aspiration de l'âme, cobaye inconscient de l'évolution, passe sa vie à essayer de régenter la périphérie de la membrane, c'est une cellule, sur chaque
cellule il y a une membrane, la peau, les yeux, les sens. Il essaye donc de
régenter cela, et il croit qu'en le faisant, c'est-à-dire en chassant
l'indésirable de la périphérie de l'émotionnel, il croit que son identité va se
développer et s'enraciner là-dedans. C'est une erreur tragique parce que, dès
que l'on décide de chasser l'indésirable, on établit des procédures
d'inquisition. Alors l'indésirable cela peut être quoi ?
Une réflexion acide
d'un membre de la famille, le point de vue critique du patron, etc.
Alors ceci est un
point de vue purement évolutif, c'est là où l'esprit humain qui est
relativement pur, quand il est encore dans le mental universel, quand il est
encore dans l'esprit d'innocence, devient quelque chose de complètement opaque
à partir du moment où l'on passe son temps à déterminer les procédures
d'évitement : je veux éviter ça donc... , machin il ne faut pas le voir, il
faut le condamner parce que j'ai ça à éviter, etc. C'est pour cela que les
êtres de lumière ne sont pas tellement reconnus, puisqu'en permanence ils
montrent cela ! Et là je prétends que Natarajan et d'autres font le même
travail. On montre que c'est une mauvaise stratégie de chasser l'indésirable,
parce que cela permet au cerveau d'édifier des procédures d'inquisitions,
d'évitements, des structures de jugements sur ce qui doit être et ce qui ne
doit pas être, et donc on se ferme.
Donc les gens très ouverts, je pense en faire partie, qui n'ont jamais rien refoulé de ce qui se
présentait, ne sont pas rentrés dans ce processus de fermeture de l'esprit pour
édifier les méthodes de refoulement de l'indésirable. Alors bien sûr, ils se
retrouvent en permanence devant des gens qui sont là-dedans, cela, c'est
indésirable, et je ne veux pas que tu me le dises...
Mais tout ce
procédé de fuite de l'indésirable, on peut le mettre en place, on peut
l'établir un certain temps. Quand l'indésirable se montre avec une puissance
telle qu'on ne peut plus le refouler, nous avons la chance de pouvoir devenir
des cobayes conscients de l'évolution. Avant on était des cobayes inconscients
(je ne veux pas aller là ni là !). À un moment, on se rend compte que
toutes ces procédures d'évitement couplées à des procédures d'appropriations
des gratifications - car c'est la même chose dans un monde de polarité — ça ne
fonctionne plus, parce qu'à un moment il se passe quelque chose, un grand choc,
une illumination, un grand amour, un renoncement à soi, etc. où la structure s'effondre.
Alors là on peut devenir des cobayes conscients, c'est-à-dire que dans la
mesure où il n'y a que de la conscience, nous sommes des fragments de
conscience susceptibles de découvrir une conscience plus universelle par
l'ouverture perpétuelle. Donc le terme de cobaye me paraît justifié dans la
mesure où on reconnaît que chaque cobaye humain possède une subjectivité qui
lui est propre, c'est-à-dire que nous avons différentes manières de passer les
tests - test de la souffrance. Mais je maintiens que, quelle que soit notre
liberté, notre faculté d'adaptation, on demeure les cobayes de l'évolution.
Maintenant, on peut l'être aussi sans se sentir écrasé par l'apprentissage,
c'est possible, mais à nouveau ces notions-là ne sont pas antagonistes sur le
plan supramental, on est à la fois et à chaque moment sur la trace d'un
apprentissage universel et on est, à la fois libre de reconnaître ou non qu'il
y a des tests à passer, ce n'est absolument pas antagoniste.
D'autre part, c'est
vrai qu'il est très dangereux de s'imaginer qu'il y a un mentor qui nous fait
passer des tests et qu'il faut s'y conformer, car là, cela recrée de la
soumission factice qui n'est pas une soumission d'amour, mais d'ordre vénal, et
qui recrée un sentiment de culpabilité dès qu'on n'est pas capable de passer
correctement les tests. Effectivement, dans cette ligne-là, le terme de cobaye
est inadéquat, dans la ligne où l'on s'imagine qu'il faut réussir, c'est faux,
c'est nocif d'employer le terme de cobaye. Ce n'est correct que dans la mesure où l'on suppose que ces cobayes sont libres, donc ils font leurs expériences,
mais ce n'est pas mieux d'aller vers le Supramental que d'aller vers le crime,
du point de vue de l'évolution ce n'est pas mieux, ce sont des choses qui se
passent, en fonction de la réaction et de l'identité de l'individu, donc je ne
suis pas là pour à nouveau hiérarchiser des principes auxquels après il
faudrait se conformer, en recréant des principes d'autorité, ça, j'abolis
complètement. Et c'est vrai que le terme de cobaye prête à confusion si c'est
pour préfabriquer cela derrière : en fait, on n'a de compte à rendre à personne.
L'identification
émotionnelle est d'abord un moyen de reconnaissance de l'autre, par
considération de l'autre, à travers le plaisir ou la souffrance. Cela
appartient à la mémoire de l'évolution, c'est-à-dire que même une mauvaise mère
peut ressentir la souffrance de ses enfants, c'est dans la mémoire de
l'évolution ce genre de choses. Ensuite, le problème, c'est que si on cultive
la mémoire de l'évolution, il y a des risques effectivement, mais cela ne veut
pas dire qu'on doit s'opposer systématiquement à tout ce qu'on semble haïr des
puissances archaïques de la constitution biologique. Le processus
d'identification à l'autre est absolument nécessaire. Pourquoi ? Parce
que, quand on naît, nous n'avons pas de dispositif mental autonome. L'identification à la mère, on ne peut pas y couper. Le père à la limite,
encore c'est plus difficile pour les filles, mais l'identification à la mère on
ne peut pas y couper, ça apporte quoi ? Elle apporte la recherche,
ensuite, de l'identification au sentiment, sentiment sexuel. Quand ces
choses-là sont épuisées, il y a des maîtres qui disent « ne dépendez plus
de rien et vous êtes libre, autonome, réalisé etc. ». Moi, je dis ce n'est
pas vrai. Je dis : Une fois qu'on a dépassé le sentiment maternel, humain,
du partenaire, etc. , si jamais le Divin arrive, même après le Soi, on dépend
intégralement de la Mère Divine, Sri Aurobindo l'a dit aussi, c'est-à-dire de
la Shakti Divine. C'est par là aussi que l'on retrouve ces notions de cobaye. C'est-à-dire quand on est dans la dépendance émotionnelle pure, ce qui arrivera
à n'importe quel mutant supramental pendant au moins cinq, six ou sept ans, on
est entièrement dépendant ! Mais au lieu d'être dépendant des forces
involuées, on est dépendant des plans supérieurs.
Concernant les
« sentiments mystiques » exaltés dans la mystique chrétienne par
exemple, quand on reconnaît les systèmes traditionnels asiatiques, ils ont
énormément de recul sur le lyrisme mystique occidental... Cela tient beaucoup à la
personnification de Dieu, dans le judéo-christianisme particulièrement.
Avec mon livre, si on parvient à le comprendre, on peut échapper justement à tous les systèmes
comparatifs. Parce que l'idée que j'ai personnellement, d'ailleurs, c'était
l'intention de Sri Aurobindo et c'est peut-être aussi la cause de mon
incarnation, c'est de faire en sorte que les êtres humains soient vraiment
capables de découvrir par eux-mêmes les structures évolutives qui leur sont
propres pour découvrir l'âme et la conscience. Et ce livre est fait pour
cela. Et je ne tiens absolument pas à avoir aucune forme de disciple, je me
discréditerais si j'étais reconnu. Et on en revient à la question du romantisme (abordée
par un participant), il y a tellement de choses sécurisantes dans le fait de
pouvoir transférer sur un maître, mais cela, c'est terminé, c'est le Kali-Yuga,
là il y a la base d'un truc où j'explique la stratification des couches
évolutives, je maintiens qu'il faut être ouvert à une confrontation permanente
avec cela, mais après il n'y a plus besoin de maître, de gourou, de rien,
ponctuellement, je suis bien content que d'autres profitent de ce que je fais, où que je profite moi-même de ce qu'un autre fait, je suis bien content, mais
il n'y a pas de personnification du Logos. C'est-à-dire que quand toi tu me dis
un truc qui ouvre, c'est aussi important que cela vienne de toi ou de Sri
Aurobindo. Quand il y a un insight transformateur qui vient de l'observation de
mon chien ou de Sri Aurobindo, pour moi cela ne fait aucune différence. Donc,
je récuse aussi pas mal les choses, les discours qui commencent par ouvrir et
qu'est ce qu'on voit ? C'est que, dès que l'ouverture est acquise, il y a
à nouveau un enfermement doctrinaire sur les principes, ça, je le brise !
Alors effectivement, je n'ai pas beaucoup de gens pour me suivre puisqu'avec
moi on ne sait jamais à quoi s'en tenir.
Question concernant
l'Islam : serait-elle la dernière religion révélée ?
Oui c'est une
vérité traditionnelle, certains initiés relativement universels, comme Guénon
par exemple, l'ont dit, et intuitivement je sais que c'est vrai, c'est-à-dire
que là, même si on attend des avatars, ils ne vont pas former de religion.
C'est une erreur de croire qu'un Kalki ou un Maitraya, par exemple,
s'incarneront pour former une nouvelle religion. Normalement, il n'y a plus de
dogme à créer. Alors le problème de la religion, je l'explique dans ce livre,
c'est que dès qu'on appartient à un dogme, ceux qui ne sont pas dans le dogme on les fusille... On ne s'en sortira jamais de cette histoire. Le dernier dogme
religieux, d'une manière traditionnelle, on considère que c'est l'Islam, ce qui
devrait donc justement permettre une très grande méfiance, par rapport à des
gens qui prétendraient créer une nouvelle religion. On doit passer à autre
chose.
Il serait mieux de
collaborer en trouvant de nouveaux principes mutuels que confronter, par
exemple, un gourou védantiste avec un maître zen pour voir qu'au bout d'une
demi-heure, ils vont encore trouver de quoi se diviser, se séparer, c'est ce
qu'on fait depuis des milliers d'années.
L'aide que les
personnes éveillées sont susceptibles d'apporter aux autres, est-ce vraiment
une aide ou est-ce encore une manipulation pour faire correspondre l'autre à soi-même ? Ce qui me paraît être une excellente question.
Je vois que, quand
les gens commencent à partager une nouvelle conscience, ils font très vite des
nouvelles chapelles — ce qui m'embête copieusement — et que plus vite la
chapelle est créée, la doctrine établie et l'obédience fixée, plus vite aussi
la relation spontanée à l'être éveillé est difficile, parce qu'on préserve son
itinéraire spirituel, et la question que je me pose c'est : est-ce qu'on
peut rester intégralement dans la voie de la déprogrammation qui toujours mène
à un Tao plus profond, donc, d'une part, est-ce qu'on peut rester là-dedans
sans se compromettre et, d'autre part, sans se fermer à l'autre ? Et oui,
moi, ce que je vois, c'est qu'il y a des chapelles, et ce qui
m'intéresse et le travail que je veux faire, c'est voir si des êtres peuvent
devenir conscients en se déprogrammant tellement qu'ils n'ont plus besoin
tellement de se référer à quelque chose qu'ils mettent mentalement au dessus. Est-ce
qu'on peut communiquer sans passer par le « papa »...
Passage du
livre :
« L'humain
est affecté généralement par une des deux formes de souffrance originelle, soit
celle qui provient d'un enfermement dans une permanence fausse du moi qui
exclut alors de ses perceptions toutes les menaces vis-à-vis de cette solide et
étroite stabilité, soit celle qui provient d'une disponibilité de principe trop
prononcée au non-moi — à l'autre, à l'univers — qui soumet le moi de l'identité personnelle à une impermanence telle qu'il évitera de chercher son centre
individuel et les indices d'une identité authentique et donc moins
versatile. »
Il y a des gens
trop ouverts, d'autres trop fermés. Et si on n'est déjà pas capables de
différencier cela, on ne peut pas aider grand monde. Le trop fermé est trop
dans le système de sa propre représentation de l'univers et le trop ouvert est
dans une boulimie d'événements, d'émotions, dans une telle fringale de manger
le temps, qu'il passe d'un stimulus à d'autres et qu'il fuit l'idée de trouver
son centre.
Le Soi, dans toutes
les traditions, bouddhistes, taoïstes, etc. , c'est le moment où l'esprit n'est
plus pris dans un processus de programmations finales, de motivations
existentielles, et si l'expérience est totale et radicale, il y a un truc qui
casse dans le cerveau et tout à coup on se rend compte que l'esprit ne poursuit
plus rien. Cette expérience a été nommée Satori dans le Zen, Brahman dans
l'Hindouisme, Samadhi dans le Bouddhisme, elle porte des noms différents dans
les différentes traditions, cette chose-là est un passage nécessaire pour
ensuite éventuellement dans l'avenir, toucher ce que j'appelle moi, le
Supramental. Et pour cette phase-là, il y a des gens qui disent : Pour
atteindre le Soi il faut faire ceci et cela, moi je suis contre ce principe et
dans cette mesure-là je respecte effectivement ce qu'à dit Krishnamurti, il
n'y a pas de programmation pour la déprogrammation.
Donc, n'importe
quoi peut mener au Soi. Maintenant, il est vrai qu'il est tout à fait possible,
sans avoir une réalisation radicale du Soi, de l'Impersonnel, qui libère
complètement l'esprit de toute finalité, il est possible de s'y plonger
ponctuellement, et il est aussi possible, par un autre moyen, de sentir que la
formation de l'identité est guidée par l'âme, le Jiva qui se réincarne (c'est
ce qui utilise la vie d'incarnation en incarnation).
On dit
« Je » par rapport à quantité de réactions, par rapport au milieu, à
maints conditionnements, etc. L'âme est toujours là, au-delà des lunettes teintées
du je, et les gens dont tout le discours est très animé par l'âme sont très
exceptionnels et très rares, c'est-à-dire que tout ce qu'ils perçoivent, disent
et font, est directement le produit de leur âme. Après, la manière dont l'âme
guide l'ensemble de la personnalité est plus ou moins prononcée selon les
individus, c'est pour cela qu'il y a une évolution.
Question : « Pour toi l'âme est quelque chose de personnel ? »
Réponse N.
Dans la mesure où je me souviens de mes réincarnations, que je continue à témoigner de ce que je
pense être le Divin, j'ai une âme qui est en partie personnelle, et en laquelle
j'identifie de la mémoire d'autres vies, cette mémoire étant confrontée à de
nouvelles possibilités terrestres, comme la manifestation supramentale, mais en
ce qui me concerne, il y a une différenciation du Divin dans l'être, dans
l'âme, et je ne peux naturellement ni le démontrer ni le prouver, mais j'en
fais l'expérience depuis plusieurs vies.
C'est délicat,
cette représentation de l'âme, parce que toutes les formes d'enseignement
récupèrent l'image de l'âme au profit de ce qu'ils veulent enseigner, donc il y
a des gens qui disent « oui tu as une âme, mais ce n'est pas toi »,
alors pourquoi s'en occuper ?
L'âme est ce qu'il
y a de plus profond dans l'identité, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus profond
en chacun de nous c'est l'âme, même pas le Soi qui est quelque chose de
complètement vide et impersonnel. Maintenant, il y a des gens qui veulent
éteindre cette âme dans le Nirvana et renoncer à leur propre âme, et d'autres
qui au contraire disent — et moi j'appartiens à cette école-là — non pas du
tout, l'âme est une parcelle du Divin et, en s'incarnant, elle continue
d'apprendre, et cela ce sont les boddhisatvas, les jivamuktas, ce sont des gens
qui choisissent l'incarnation comme étant une école d'apprentissage de l'âme.
Quand cette âme est en conformité avec les principes divins, elle est
personnelle en tant qu'âme, subjective.
Je ne suis pas là pour créer une nouvelle doctrine ou un nouveau système, je me réfère à une
expérience que je juge nouvelle dans l'humanité, qui est celle de Sri
Aurobindo, qui a les mêmes opinions que moi concernant l'âme. On pense que dans
l'évolution terrestre, biologique, c'est-à-dire pour nous le fait d'être des
humains, il y a le germe d'une identité entre l'homme et le Divin. Cette
chose-là peut croître à un tel point que cela n'a même plus d'importance pour
moi de savoir si je me réincarnerai ou pas, parce que je suis dans une telle
identité avec l'existence, que je n'ai pas besoin de savoir si je me
réincarnerai ou pas, si je réussirai la transformation supramentale ou pas. Toutes ces choses-là sont énormément en aval de ce que l'on vit. Ce que l'on
vit, c'est une identité qui est tellement reliée à l'ensemble des forces
universelles qu'on est obligé de témoigner que si cela arrive à moi pourquoi
cela n'arriverait pas à d'autres ? Maintenant toutes les personnes qui,
pour une raison ou pour une autre, n'ont pas besoin de s'ouvrir à la
possibilité ultime qui est la connaissance du Divin dans la matière (c'est le
message de Sri Aurobindo, avec la transformation physique, le fait d'être
branché sur une nouvelle énergie ), ces personnes peuvent très bien mener une
vie spirituelle, elles peuvent avoir une âme sans savoir qu'elles en ont une,
il y a des gens comme cela, qui sont pourtant très spiritualisés, tandis qu'il
y en a d'autres qui essaient d'abreuver leur âme tous les matins et qui sont
des teignes !
La représentation
mentale de la réalité n'a d'intérêt que dans un monde « fini ». D'un
point de vue intellectuel, la notion de fini qui s'oppose à celle de l'infini
(sens d'un commentaire d'une participante) est le propre d'une notion fausse
qui est émise par le mental. Parce que tout ce qui est fini fait partie de
l'infini, et donc le fini n'est pas du tout l'adversaire ou le contraire de
l'infini, le Fini est une parcelle de l'infini, mais il n'est pas contre !
Il n'est pas en dehors de l'infini. Donc pour savoir si tu te réincarneras ou
pas, je n'ai pas la compétence pour le savoir, et toi-même selon la manière
dont tu vis ta propre existence, il te sera peut-être donné de te réincarner
d'une manière ou d'une autre, ou de ne pas le faire, et je n'ai pas autorité pour décider de ce qui va t'arriver ! Il se trouve que je suis obligé,
puisque je défends une nouvelle vision terrestre, de défendre un certain point
de vue, les écoles spiritualistes n'ayant pas toutes le même point de vue sur
le Jiva. Il y aura toujours des écoles qui en ont tellement ras-le-bol de la
souffrance qu'elles prétendront que la voie du Salut, c'est de se débarrasser
de son incarnation et même de son Jiva personnel, c'est-à-dire de son âme
individuelle, pour retourner à l'inexistence, ce que je trouve grotesque et
stupide, et il y aura toujours des gens dont je fais parti qui disent que nous
nous réincarnons, nous sommes des Jivamuktas, nous avons accès à la Présence,
et, en ayant accès à la Présence du Divin, nous devenons des individus divins,
nous n'avons rien à fuir, le Divin fait de nous ce qu'il veut... Il nous envoie en
Enfer s'Il en a envie, il nous fait réincarner s'Il en a envie, Il nous envoie
sur une autre planète, Il fait ce qu'Il veut, parce que le Divin est
Maître, et nous n'avons pas la prétention de décider nous-mêmes ce qui nous arrivera
après notre propre mort, voilà quelle est ma conception. On peut avoir toutes
formes de conceptions différentes de la mienne.
Le temps c'est une
périphérie, il est bien évident que cette dimension périphérique du temps — d'ailleurs le temps n'est pas au centre du réel, ce n'est que l'épiderme du
Divin ou de la réalité pure — il n'est pas question que le temps nous aide à évoluer, il ne nous aide à évoluer que si nous transformons le temps,
c'est-à-dire que si toutes les structures qui sont inféodées au temps, tels que
les cycles biologiques, les cycles de perpétuation, si ces choses là sont
transformées par la conscience qui, elle, n'est pas inféodée au temps, on peut
utiliser le temps. Mais se fier aveuglement aux forces chronologiques pour
évoluer ce n'est pas possible. La conscience pure a le pouvoir de se
désidentifier du temps et des contingences, tout cela ce sont des poupées
russes en gigogne, si tu es identifié aux contingences, tu es identifié au
temps, si tu es identifié aux émotions, tu es identifié aux contingences,
chaque fois que tu déprogrammes un système d'identification en partant de la
périphérie, tu découvres que la conscience pure a un pouvoir énorme de ne pas
se confondre avec les choses du temps, donc cela devient secondaire d'être ou non
dans le temps.
Il est secondaire
de dire si c'est l'identité, le Soi ou l'âme qui évoluent.
Question d'une
participante : « Mais quelle est l'entité qui utilise le
Temps ? »
R. : Mais je
ne peux pas me définir, aucun être ne peut se définir. C'est là où sous
prétexte d'être plus fin et intelligent que les autres, on devient stupide avec
le mental. Ce que tu es, tu l'es ! Tu es ce que tu es. Je suis ce que je
suis, je passerais un an pour essayer de me définir dans un livre, je n'y
arriverais pas. La réduction de l'identité à la question du « qui
suis-je », je suis bien content que cela se produise, puisque j'en parle
dans ce livre, et c'est vrai qu'on est tarabusté par cette question, et l'on
peut même, cela m'est arrivé, passer plusieurs années sur ce « qui-là ».
Et quand il y a des réponses, s'il y en a, ce qui prouve que ces réponses sont
authentiques, c'est justement que ce n'est pas nous-mêmes en tant qu'ego qui
nous les fournissons. Mais chacun a une qualité d'être qui lui est propre et
qui pour moi est une émanation du Divin. Et voir cela, ça permet quand même
d'aimer. On demande souvent aux gens de se définir, et si ils ne sont pas
conformes à ce qu'on attend d'eux, on les sabre, c'est un monde qui est
fini... Quand on est, on est, quand on est dans l'être, on est dans l'être. Cela
n'a aucune forme d'intérêt de mettre un cadre autour de sa propre identité. Maintenant, que l'on soit indéfiniment renvoyé aux cadres limités parce que
nous ne sommes pas dans la synchronicité pure avec le Tao, c'est assez vrai. Mais ce qu'il faut quand même bien imaginer, c'est que tous les gens qui
prétendent (que ce soit par humilité et service, ou que ce soit par orgueil) à être devant les autres, c'est parce qu'ils font, s'ils sont authentiques, l'expérience
non séparative.
Quand l'expérience
non séparative est là, tellement présente, tellement contingente, qu'il n'y a
plus moyen de faire les choses autrement, elle est là, on n'y peut rien. Savoir
« qui » est dans l'expérience non séparative, cela n'a aucun intérêt
puisqu'on est fondu, soit dans le Soi, soit au-dessus. Et on en arrive à cette
conclusion, en ce qui me concerne, je suis totalement détaché de la
représentation de moi-même, cela ne m'intéresse pas de savoir ce qu'il
m'arrivera à ma mort parce que j'aime le Divin, d'amour, et il se charge de
faire pour moi ce qu'Il a envie, et c'est beaucoup plus intéressant pour moi
d'être ouvert à ce que le Divin veut faire de moi plutôt qu'à passer mon temps
à me redéfinir. Par rapport à quoi se redéfinit-on ? Cela c'est intéressant,
de savoir si toi tu te redéfinis par rapport à toi-même ou par rapport à un
enseignement spirituel, ou encore si tu attends de moi une conformité à des
formes subtiles de croyances, qui seraient des anti-croyances par rapport à d'autres croyances comme le statut de l'âme.
Je ne suis pas
d'accord avec les systèmes qui disent qu'on peut régresser (se réincarner dans
un animal par exemple), sauf grosse erreur de l'appréciation de l'identité humaine, mais cela doit rester un cas tout à fait exceptionnel. Je ne prétends
pas du tout avoir de grandes lumières universelles là-dessus, mais je suis
quand même sur le processus de l'évolution, à comprendre d'une manière de plus
en plus rigoureuse, profonde et large, le processus de l'évolution, de l'incarnation
et du temps. Moi, ce que je sais, c'est que tous les individus sont égaux, mais
certains sont plus égaux que d'autres, comme on dit en Droit, pour montrer
que les lois ne s'appliquent pas à la réalité ; ensuite, il y a une forme
de la vie qui fait que les âmes se dirigent vers l'origine divine, que d'autres
se dirigent nulle part, et que d'autres se dirigent vers la négation du Divin,
à travers la culture du mal, je ne le sais pas intellectuellement, je le sais
parce que j'ai été confronté à ces trois catégories d'individus. Et ne voyant
pas les choses d'un point de vue personnel, j'ai tendance à considérer, dans le
cadre de mon expérience subjective, que la terre est un espace qui est encore
un enjeu entres différentes forces. En fin de compte, avant d'écrire des livres
et de témoigner, j'étais un occultiste, très rigoureux, et je pense que je
travaille pour essayer de collaborer à la maintenance du statut, du potentiel
divin dans l'homme, parce qu'il y a beaucoup de forces, sur la terre.
26 Juin
Bali
Difficile d'exprimer
rationnellement les flashs supramentaux, instantanés, qui déblaient et
résolvent définitivement un problème récurrent. Par exemple, je lis un vieux
hebdo sur de Gaulle, et soudain toutes ces approches de la même question,
encore «intellectuelles», semblent flamber dans mon esprit qui «voit» et règle
cette vieille préoccupation. Cela m'a toujours prodigieusement énervé qu'on
s'attache aux êtres plus qu'à ce qu'ils représentent, et c'est même ainsi que
l'appropriation émotionnelle et affective fait oublier le sens de leurs paroles
et de leurs actes.
Cette belle américaine de trente
ans, qui se couchait sur la tombe de Sri Aurobindo, à l'époque (1979) c'était
encore possible, a-t-elle pour autant compris l'œuvre, et est-elle devenue
aujourd'hui, comme moi, de la pâte à modeler dans la main de la Mère des
mondes? Je me permets d'en douter, mon cher Watson. Le mythe du Christ amalgamé
à celui de Jésus fait-il de bons chrétiens qui vivent l'Evangile, chaque jour
en se levant? Que nenni. Ils célèbrent un hologramme intérieur qui répète de
belles paroles dans leurs têtes et leur promet de l'amour, mais ils ont oublié
depuis longtemps les implications des Béatitudes, c'est-à-dire laisser de côté
l'épicier de service dans le cerveau, qui calcule tout, soit disant pour éviter
le pire et gagner le meilleur, tandis que l'instant pur est passé à la
moulinette pour en extraire de la cacabouillasse enfin conforme aux attentes de
l'ego. Plusieurs photos de de Gaulle, son incroyable absolution collective sur
l'Algérie, avec cette guerre qu'il a fait durer outre mesure, sa monarchie
exemplaire puisqu'il avait sauvé la France, mais, bref, peu importe la question
de son ultime identité, le fait est que l'immense cadavre a été récupéré par plusieurs
familles politiques, avides d'en arracher les meilleurs morceaux devenus des
faire valoir, jusqu'à ce que tout un chacun puisse se réclamer d'être gaulliste
autant que son adversaire. Résultat des courses, autant de gaullismes que de
factions, et quid ce qu'est le gaullisme, personne ne le sait. Du nationalisme
républicain, de la démocratie constitutionnelle, une prémonition constante,
quasi militaire, des ouvertures à cultiver avec d'autres nations libérales,
dont la France serait le centre, la référence, le modèle, bref, même en n'y
connaissant rien, on sent l'arnaque. Etre gaulliste, c'est le minimum demandé
quand on entre en politique, étant donné que même à gauche, on peut encenser le
modèle, avec par exemple, la «participation», qui, si elle avait été suivie,
aurait sans doute pu infléchir l'économie. De gaulle, Sri Aurobindo dans le
domaine spirituel, même combat: l'aura est si flagrante qu'il faut être
gaulliste, ou aurobindien si on prétend s'interesser au cosmos spirituel.
Personnellement, je ne récupère rien, je n'ai pas besoin de me fantasmer une
filiation, mais cela se produit, des êtres de pouvoir font croire à des faibles
qu'ils «sont dans la confidence» de Mère et Sri Aurobindo, et les manipulent.
A part quelques sommités,
historiens et juristes, le gaullisme est hors de portée de ceux qui s'en
réclament, et qui l'accomodent avec des ingrédients hétérogènes, personnels à
fond la caisse. En cuisine, ce n'est pas grave. On sait qu'à partir d'Avignon,
quand on commande une salade niçoise, on risque d'y trouver des pommes de
terre, ce qui ne porte pas à un réel préjudice, mais la vraie recette ne les
comporte pas, et exige même quelques rondelles de radis, ce qu'on ne trouve que
sur place chez les puristes.
Quand il s'agit de pensées entrelacées
en paradigmes emboîtés en stratégies qui finissent par donner sur des visions
du monde, c'est plus grave my dear de voir de l'hétérogène venir corrompre
l'original, la source, l'authentique.
Or, c'est ce que nous faisons en
permanence. On se prétend chrétien à peu de frais, ensorcelé par l'image
lumineuse du meilleur des hommes, et on infléchit son ego, de fermé il devient
ouvert, comme ces avions à géométrie variable, mais l'ego demeure, puisque il
est enfermé dans le cadre chrétien, comme il peut être enfermé dans le cadre
bouddhiste ou hindouïste, ce ne sont que ses limites qui sont repoussées, et on
ajoute à la doctrine, déjà difficile à saisir, des coquetteries rassurantes. Un
ego qui se dilue dans un univers plus vaste semble effectivement plus souple,
mais tant qu'il possède un socle idéologique, soit l'appartenance à ceci ou
cela, une éthique, une religion, une «spiritualité», il ramène le vécu à des
principes mentaux censés lui donner sa valeur. On tombe toujours sur la femelle
de l'éthique: l'étiquette; le bien, le mal, le conforme et le non-conforme.
Et pareil pour les aurobindiens,
certains s'imaginent que ceux qui n'attendent pas le supramental sont de
pauvres ploucs, alors que parmi eux, il y a déjà des éveillés, qui savent que
le Supramental, s'il existe, ne s'appâte pas. Alors ils continuent à vivre le
Soi sans se faire tout un cinéma avec «la transformation de la vie» ou «la
transformation du corps», et je les crois bien plus honnêtes que les
trois-quarts des aurobindiens, fascinés, envoûtés, ensorcelés par un mythe qui
leur donne de l'importance, avec ce supramental dont ils ont le culot de parler
sans le connaître, à moins qu'ils s'imaginent, à très peu de frais, sentir la
vibration, ce qui peut demeurer de l'ordre du fantasme, ou correspondre à une
autre énergie. Mais les clans et leurs procédures de conformité continuent de
s'épanouir, et cela a toujours été la plaie d'Auroville, comme d'ailleurs, à
une autre échelle, de la gauche française. Et puis toutes les valeurs ont bien
le droit de manipuler les humains comme des marionnettes, que je sache. Tant
qu'on ne plonge pas en soi, on se rassure avec de la gauche solidaire ou du
supramental divin, on se donne bonne conscience, et je n'ai rien à redire à
cela, je mets en garde, comme si j'étais un hassidim, c'est leur boulot. Ne
faites pas confiance à qui se réclamme de Mère ou Sri Aurobindo, c'est trop
facile. Passez au crible leur vie, leurs relations, traquez le décalage. Sinon
Natarajan va avoir son mail inondé bientôt de personnes sincères qui passent
par de drôles de mains. Satprem l'a déjà dit, je le confirme. Faites gaffe.
Mais que toutes les valeurs
soient représentées, c'est génial, ça fait coraux tropicaux, et on ne peut pas
demander à toute l'humanité de s'aligner, et de ne vivre que sincèrement, elle
se fait les dents en surface, sur des valeurs purement extérieures auxquelles
elle croit. Il faut attendre que quelque chose les brise ou qu'une ouverture se
produise. Dans la normalité, le champ perceptif est quasi automatiquement
gouverné par les guna. Il faut un grand chagrin ou un grand amour, une vraie
réussite ou un échec retentissant, ou alors être envahi par l'inanité des
sociétés humaines, pour réagir et aller dedans, ou une grave maladie aussi,
naturellement, qui brise l'amalgame moi-non-moi et la dévoration réciproque des
deux. Tout est infiniement large, bariolé, et ça fait des cercles. C'est
étrange, car la culpabilité peut changer de forme et en épouser des contraires.
Un hédoniste de base peut avoir honte de ne plus savoir jouir assez, quand il
se fatigue de ses excès sensuels, et un ascète peut faire une dépression
d'avoir osé, une seule seconde, désirer la jeune fille qui se lave à la
rivière. C'est merveilleux, l'interprétation du vécu, et nous l'avons vu, nous
ne pouvons pas la faire entrer dans des pochoirs collectifs. Le communisme a
échoué, et avant lui, les Eglises n'ont pas rendu l'homme meilleur,
c'est-à-dire capable de douter de lui-même jusqu'à la racine de ses
perceptions, ce qui est le seul chemin du Soi.
Il faut, expression de plus en
plus usitée par Bernard Henri qui prend de l'âge, et qui devient dépositaire du
devoir citoyen propre sur lui, il faut (pardonnez-moi le ridicule de
l'expression, mais c'est encore en usage), il faut, donc, d'abord reconnaître
que l'interprétation du vécu est codée au départ, par la peur et le désir, puis
par les croyances qui s'appuient dessus, et que ce codage ne va pas sauter d'un
coup de baguette magique. Pour débouter le codage naturel qui met SON signifié
à lui sur le signifiant qui se présente, il faut (redondance impardonnable)
imaginer qu'il y a d'autres possibilités. Mais, si l'on ne recherche pas un
sens exhaustif à ce qui nous arrive, le codage naturel l'emporte et l'on reste
un animal pensant, sans aucune possibilité d'accèder à l'individu, qui lui, se
pose des questions, même s'il n'est pas certain de pouvoir répondre. Or, le
problème de l'humanité, c'est que presque tous les êtres humains éliminent les
questions dont les réponses n'apparaissent pas dans le prolongement du codage
naturel (Mon père prenait ainsi pour une débile toute personne qui se penchait
tant soit peu sur l'existence, ce qui lui permettait d'entretenir une image de
soi très positive, et de se sentir au-dessus du lot). Sa catégorie n'accède
donc pas à l'ouverture cosmique, qui seule, pose le probème de l'identité
individuelle, hors du cadre contingent, cette nasse du paradigme des croyances
locales. On leur a mâché le travail, et ils «croient», mais comme c'est
l'interrogation qui fait la valeur de la réponse... Comme le dit Satprem, ils
vivent tous ou presque, dans leur «bocal», et il peut même y avoir un bocal
aurobindien, comme c'était le cas à Auroville, un dogme basique ficelé à la va
vite, où il fallait se reconnaître sous peine d'être un étranger.
D'où mes précautions multiples
pour qu'il ne puisse pas exister de bocal natarajanien, d'où ma louange de la
complexité, issue du simple corps humain observé. Sans compter tout ce qui
bouge, la structure est faite de 206 os, avec cet incroyable paradoxe que le
solide provient du mou, le sperme et l'ovule, ce qui faisait dire à Lao-Tseu
que, finalement, le yin était supérieur au yang, ne serait-ce que parce qu'il
le précédait, ce qui obligeait ce pauvre yang à lutter de toutes ses forces
pour être à la hauteur. (Même chose dans la sexualité, sans pratique tantrique,
le plaisir masculin est pauvre par rapport à celui de la femme, et le fait que
celle-ci domine l'homme sexuellement est à la base de son infériorisation
sociale). Oui, la complexité va se fixer en amont de notre logiciel à penser, véritable
moulinette biologique à ramener à soi le vécu.
Et plus nous avançons dans la
complexité, plus les mots d'ordre nous torturent, plus les injonctions nous
paraissent limitées, plus l'autorité apparaît comme une grosse manœuvre sans
âme pour légitimer la puissance et la force, comme si elle n'était que le
dernier avatar de la ruse animale, extrapolée dans le génie humain, pour
quadriller le réel en donnant
au chaos un aspect respectable.
car la complexité, révélant
l'entrelacement unique que chaque chose entretient avec l'univers, dément que
les lois générales s'appliquent en série. Le contexte les modifie, comme les
mêmes espèces animales diffèrent d'une latitude à l'autre... Ce qui revient à dire
qu'aucun «isme» ne s'applique à l'être humain, que Dieu y soit embobiné ou non,
et c'est de cette découverte amère, qui date de l'effondrement du mur de
Berlin, dont nos intellectuels ne se sont pas remis. Ils n'ont pas encore fait
le pas vers ce qu'ils pressentent, soit la liberté inouïe que chaque
individu doit affronter, en créant ses valeurs au lieu de les suivre. Pire,
certaines personnes se posent des questions dans le seul but d'y répondre, ce
qui est absurde. A partir d'une certaine ascèse confirmée, on sait qu'on ne
définira jamais Dieu, et même que son existence n'a aucune importance car elle
ne change rien au réel de notre condition, on admet qu'on ne mettra jamais
la main sur l'Amour, mais qu'on peut l'esquisser parfois ou le recevoir,
on avoue que notre connaissance ne sera jamais exhaustive, no problem, c'est le
pas qui compte, on découvre que l'intégrité peut toujours s'améliorer, en
particulier dans l'économie du corps physique, donc, on se retrouve en marche
vers des absolus qui sont reconnus, mais informels, et dont on s'avance, tout
en sachant qu'on n'a pas de prise sur eux, mais qu'ils légitiment le mouvement
de la conscience vers Elle-même.
On n'a de prise que sur sa propre
position.
Le Divin demeure identique à
Lui-Même, quel que soit le nom qu'on Lui donne, la connaissance mène au Soi,
qu'on le baptise satori, sunyata, samadhi, et ce qui finit vraiment par
compter, ce ne sont pas les règles du jeu, mais la manière de jouer. La
connaissance stipule que l'absolu peut être découvert, la règle du jeu est la
doctrine traditionnelle, et il reste à jouer, coudre le moi au non-moi et
réciproquement, sans coutures. L'humanité s'est toujours enferré dans la règle
du jeu, et le fil à employer. Faire ceci pour gagner, pour obtenir cela, mais
il n'y a pas de méthode. La seule, c'est indiquer la nécessité (il faut) de
décoder, de court-circuiter en permanence l'interprétation automatique des
événements. C'est le seul moyen de déraciner les survivances dynamiques, le
seul obstacle à la divinisation de l'espèce. La haine est naturelle, elle ne
s'apprend pas, et elle n'est consécutive qu'à une reconnaissance de l'objet,
qui tourne mal. Difficile de haïr les choses, les systèmes, et les êtres qui
nous sont indifférents. La haine et la cruauté sont la même chose, le principe
et la forme. S'intéresser à veut dire qu'un jour cet objet peut être
rejeté et haï, et pourtant toute notre existence nous porte à nous intéresser
à. Ce sont des hommes qui s'intéressent particulièrement à l'humanité, et à son
devenir, qui deviennent des terroristes, et font sauter des empires avec des
projectiles d'un nouveau type, des avions de ligne. Ils haïssent l'humanité
réelle, qu'ils se permettent de punir, au nom d'une humanité virtuelle,
meilleure.
J'ai personnellement rejeté avec
une véhémence extrême l'existentialisme de Sartre (j'ai pleuré plus d'une
heure à grands sanglots, défoncé au meilleur haschisch quand j'avais dix-neuf
ans, en lisant la nausée) et j'ai perdu le contrôle de mon esprit, en
Hypokhâgne, à la fin d'une dissertaion sur Nitch, qui continue pour moi d'être
l'horreur personnifiée, du mensonge à l'état pur, et j'ai fini à l'infirmerie,
me demandant si je retrouverais ou non la raison. Ouailles?
Parce que j'ai toujours pensé à
l'espèce humaine et à ses valeurs dans son ensemble, depuis ma tendre enfance,
en m'évitant presque moi-même, puisque tout baignait. Je me suis toujours pensé
humain et cosmique, sans aucune affinité particulière avec ma culture, ma
famille, mon pays. Rien de tout ça. J'ai donc été deux fois profondément
bouleversé par des écrits très puissants qui véhiculaient, de manière fractale,
une vision du monde qui m'était parfaitement étrangère, mais dans laquelle je
reconnaissais le même principe que celui qui m'animait: conceptualiser la relation
au réel. Comme je n'ai jamais pu vivre sans vision du monde, et que j'ai
commencé à me la fabriquer vers l'âge de six ans (entrer en contact avec le
fabricant du soleil, en laissant de côté l'ignominie humaine, insoluble), j'ai
réagi à d'autres humains du même type que moi, parfaitement individualisés et
créateurs de leur propre vision de de la réalité. Et quand on est capable de
produire cela, on le transmet, par magie (affinités d'ondes) à travers ses
écrits. Si je n'avais pas été moi-même, sans le savoir, un philosophe depuis
l'enfance, je n'aurais pas pu être touché aussi profondément par le batracien
et le branleur (Dieu hait leur âne). Il fallait une identité entre eux et moi,
et elle était là, tous les trois nous étions capables de concevoir un modèle
qui prétendait donner un sens exhaustif à la vie humaine. Je me souviens de mes
premières erreurs. Devant toute la classe, j'attaque le prof de philo en
terminale pour l'accuser de m'avoir mal noté. J'ai traité le sujet, que je
m'exclamme, et je ne comprends pas comment vous pouvez me mettre seulement 8
sur 20. C'était un homme pas très intelligent, ancien militaire même je crois,
qui avait tout bien fait comme il faut, pour parvenir jusqu'ici, et il était
très calme, il n'était donc pas dans le rôle par hasard, il avait dû tirer
parti de sa formation. Il m'a expliqué qu'il m'avait noté en fonction des
critères du bac. Moi, pauvre idiot, je vivais mes dissertations comme un
surfeur son tube, et je croyais vraiment qu'il fallait traiter le sujet, alors
qu'il s'agissait seulement de comparer des références, et de touiller une
synthèse qui n'effraierait personne, tout en rendant hommage à chacun des
protagonistes, il faut de tout pour faire un monde. Je me souviens même de
son appréciation, il n'était pas question qu'il perde la face, conclusion qui
ne manque pas d'humour divin, quarante ans plus tard, quand je vais me
rasseoir: vous êtes un illusionniste... je récidive en hypokhâgne. Le
pauvre petit intellectuel, gratifié d'un air simiesque, sans doute jaloux de
mes facilités en la matière, a le culot de me dire qu'il m'aurait mis 17 sur 20
si l'introduction avait été plus courte, à un exercice où je n'atteignais pas
la moyenne. J'avais «trop» traité le sujet, en quelque sorte. Mon besoin de
vérité était déjà excessif, aller au fond des choses, ce n'est pas recommandé,
il faut réussir ses examens. J'ai d'ailleurs vu une pointe de sadisme, quand il
s'en est tiré de cette manière-là, il ne me reprochait plus le contenu, c'était
je crois diffcile, mais il aurait dû être moindre... Il avait le pouvoir de la
note, et il m'appelait à me soumettre, en lui donnant moins de stuff, étant
donné, il est vrai, que mes dissertations faisaient partie des plus longues. A
l'idée de manquer un aspect de la chose, je m'amusais à me faire peur, comme si je
craiganais de mutiler l'intelligence elle-même, si mon devoir n'était pas
archi-complet, mais ça allait au-delà de ce qui m'était demandé, et ça, je ne
le saisissais pas. Il a un jour, ce brave garçon, très jeune d'ailleurs pour
enseigner à ce niveau, en dehors du cours, au bistro peut-être, a refusé de me
dire la différence entre les noumènes et les monades, et il m'en a voulu, je
crois, de lui poser cette question, car il a eu une réaction violente avec un
rire étouffé, dans le style: pour qui il se prend celui-là? Je vivais les
choses intellectuelles avec une intensité quasi physique qui dérangeait tout le
monde, comme si j'avais toujours su que les idées menaient le monde, les mâles
se contentant de faire la guerre, et de construire des représentations pour
fuir la réalité.
J'ai donc quasiment cherché
depuis l'adolescence si mon goût de la réflexion provenait d'un exercice
antérieur, mais je n'ai aucune révélation karmique dans ce domaine, bien, que
depuis 1990, suite à une nuit mémorable, j'ai pénétré l'essence du monde
chinois, en écrivant dans la veine du Tao te king, tout en me trouvant
transporté dans l'atmosphère ancestrale du pays. J'ai par la suite assimilé en
moi une sorte d'identité qui avait été voilée, et s'est manifestée avec une
connaissance intérieure incroyable. J'ai publié un livre où je me présente
comme l'auteur du Tao te King, qui a été assez vite épuisé, vu son tirage
limité, en 1991. Et un autre, mal distribué, sept ans plus tard, dont je vends
à la sauvette les exemplaires qui restent.
Vu mon itinéraire, je suis obligé
de défendre la réflexion totalement ouverte, c'est-à-dire celle qui ne part pas
de prédicats ou présupposés établis, et qui ne cherche pas non plus, à en
établir. Mais je ne peux plus agir ainsi, puisque l'expérience du Divin me fait
poser son existence comme prédicat, avec la douloureuse perspective qu'on
s'imagine que ma vision du monde provient d'une croyance, et non d'une
expérience. D'autres ont supporté la chose, Hallaj, Sri Ramajrishna, Sri Aurobindo,
le christ. La vision, la connaissance de Dieu doit remplacer la croyance en
Lui, autant dire que le procès (processus au sens large comprenant plusieurs
systèmes convergents) peut prendre beaucoup de temps à l'échelle humaine, soit
des secondes à celle du Divin.
La réflexion holistique ne doit
pas seulement porter sur l'objet, c'est-à-dire sur le non-moi, ce que les
philosophes savent faire sans remettre en question, en profondeur, leur
identité. Cette réflexion doit porter également sur le «qui suis-je» et déceler
un immense manque à gagner. Sans la prémonition d'un potentiel immense qui fait
encore défaut, l'introspection s'asphyxie elle-même, ou ne va guère plus loin
que ce que l'on trouve chez Montaigne. Il faut prévoir que l'on n'est pas
encore ce que l'on est vraiment, et que l'expansion authentique va autant venir
de la nourriture, le moment, le non-moi, et finalement le Divin, que de la
manière de manger, de mâcher, d'avaler. Or, je me tue à le répéter, mais la
bêtise domine. Il y a plein de gens qui savent choisir les bons aliments, mais
qui ne savent pas les ingurgiter, et plein d'autres qui savent mâcher,
suspendre l'esprit pendant qu'ils mastiquent, mais qui ne sont pas assez
regardants sur leur alimentation. Les paris sont ouverts. Vaut-il mieux manger
bio avec avidité, rajas s'en mettant plein la panse pour célébrer Mère Nature,
ou manger n'importe quoi, même du pâté de porc industriel (n'oubliez pas
d'imaginer que c'est du foie gras artisanal pour le trouver meilleur, ça fait
faire des économies) mais avec conscience?
De mon côté, je crois que je
pense qu'il vaut mieux être conscient de ce qu'on mange, même pas terrible,
tels les sannyasin de l'Inde pour qui un repas «normal» est un festin et
une bénédiction, qu'avaler de la première qualité en pensant à autre chose, en
louchant déjà sur la suite, car la question qui demeure essentielle, c'est qu'est-ce
que le moi fait du non-moi, je suis ce que je suis, et personne d'autre ne
peut l'être à ma place. C'est moi qui mange, et non l'aliment qui est
mangé, c'est le sujet qui est, et non le décor qui l'entoure. La gourmandise
pervertit le mouvement et l'objet devient plus important que le sujet, c'est la
même chose avec la luxure, l'avarice, chaque fois que le moi devient dépendant
du non-moi, au-delà du besoin qu'il en a, chaque fois qu'il s'engloutit dans
l'objet outre mesure, la dictature de la vie renforce son pouvoir, mais c'est
vrai, modération et détachement sont diffciles, vu que le désir est l'âme de la
vie. Si je mastique correctement du riz blanc, je me nourris autant qu'en
engloutissant un plat riche, car la salive va ajouter son grain de sel à la
digestion. Vérité bonne a rappeler à l'époque où l'obésité constitue une menace
dans les pays riches, qui compense admirablement la famine de l'Afrique,
puisque, ne l'oublions jamais, la symétrie est un principe, par définition, à
double-tranchant.
Plus il y aura de gros qui
s'empiffrent sans s'en apercevoir et sans discontinuer, plus il y aura de
maigres qui mourront de faim en s'en apercevant. Ou alors, il faudrait que
quelque chose change vraiment, mais quoi? Et c'est là qu'on se dit, un peu de
conscience en plus, et ça pourrait marcher. Or la conscience, c'est aussi de
l'empathie, car la conscience, c'est de l'identité. Si je suis mon esclave, je
ne peux plus lui infliger de sévices corporels, je le renvoie ou le gendarme.
Si je suis l'étranger, plus besoin de surveiller les frontières et de préparer
une guerre punitive contre ceux qui tardent à nous envahir. Si je suis toi, je
ne peux que t'aimer. Merci Jésus. Oui, je suis d'accord avec lui, bien que le
personnage dégage un fumet pestilenciel à cause du christianisme, des Croisades
et de l'Inquisition, sans compter les papes qui ferment les yeux quand on
extermine autre chose que du chrétien. Yes, Bob, vu que seul le semblable
reconnaît le semblable, quand tu n'es pas tout, du ver de terre à Dieu le Père,
tu entres en conflit, tu passes à côté, tu projettes ta représentation qui te
cache l'objet, et tu sépares l'indivisible... Et tu laisses crever de faim les
petits negros, puisqu'ils ne sont pas toi et que donc, tu t'en fous.
Et puis le Soi arrive, et tu es
content que les autres s'imaginent que tu as pété les plombs, tu t'en moques,
tout se tient. Tu es ce que tu vois, ça commence à être pratique, sauf que le
moi lui-même a tendance à s'effilocher un max. Tu penses à toi, tu ne trouves
personne. Bien sûr, l'animal continue d'être là, tu manges, tu dors, tu peux
bander pour une fille, mais qui met en scène ces scénarios? Personne, et tu t'en
tamponnes, à vrai dire. Tu te sens rapetissé dans le regard de l'autre, pour
lequel tu n'existes pas, mais tu représentes plein de trucs pour lui quand
même. Mon père qui m'accueille en me disant «mon fils» sur un ton emphatique
et sans appel: je ne suis que ça, son fils, le reste, cela ne l'intéresse pas.
Etrange de chez ralbol. C'est ça, la vie, toi, tu es tout, et tu t'en
tamponnes, à part quelques amerlocks, il y a peu de «maîtres» qui se la pètent,
et les autres, les gens ordinaires, ne veulent pas de ton paradigme. Il faut
donc voir Bouchard d'Orval planer complètement avant sa conférence en traînant
devant la bibliothèque du centre où il anime, anonyme dans sa tenue presque
fripée de hippie, pour saisir que le jeune éveillé n'en a rien à foutre d'être
un éveillé, puisqu'il n'y a plus personne pour s'en gargariser ou fêter la
victoire.
- Alors pourquoi, cher mètre,
qu'ils continuent à parler de l'éveil, les éveillés, si cela n'a pas
d'importance?
- Eh bien mon cher Mily, ils
n'ont plus rien d'autre à faire, ça découle d'eux, c'est tout, ça se déverse
sans but, il n'y a pas toutes les conneries mentales, faire son devoir, sauver
le peuple de l'ignorance, apporter la vérité, tout ça, c'est derrière, c'est de
l'expresison pure: voilà ce que m'a amené l'éveil, si ça vous intéresse, prenez
le chemin, c'est toujours ça de gagné en conscience, mais rien ne vous y
oblige. Même Sri Aurobindo, qui a beaucoup écrit, disait que ce qui comptait,
c'était son travail, et que ses livres étaient secondaires. Les Zordinaires, la
catégorie la plus nombreuse, ne veulent pas devenir tout à la fois sans être
personne pour équilibrer, ils veulent être eux, avec une focale de zoom, et le
rejet pur et simple du grand angle, qui éloigne de l'objet à s'approprier, tout
en donnant un champ plus vaste, où les contours s'estompent, pour le malheur de
la raison, débordée par la fantaisie panoramique du mille-feuilles de la
réalité, incontrôlable dans son ensemble. Zut alors, l'infini m'échappe, le
petit salaud. Point final.
Va donc leur expliquer que tant
que tu n'as pas atteint «l'impersonnalité», chère à Guénon, Lao-tseu, Gautama,
et la clique des sankariens (voir la racine de l'éveil), tu pédales dans la
choucroute, ils s'en foutent. Ils aiment pédaler dans la choucroute, ils ont
l'impression de faire quelque chose, au moins, pas comme toi, pauvre naze, qui
peut passer une journée sans rien faire, dans le silence, avec ton père qui a
envie de te botter le derrière, car il s'imagine que tu paresses, le zouave,
alors que tu remontes la pente de la pensée, pour voir d'où elle découle, la
garce. Les zordinaires se prennent pour les auteurs de leurs œuvres, et lire
la guîtâ ne les intéresse pas, vu que sa vue est bouchée par le kama
sutra, mais quand ils peuvent mettre sur le dos de leur inconscient leur
turpitude, ils ne s'en privent pas. Freud dédouane beaucoup, quand on sait le
récupérer. Ne t'acharne pas à leur livrer le sens exhaustif, ils n'en veulent
pas. Une question qui n'a pas de réponse immédiate, il ne faut pas se la poser,
tu perds le contrôle, tu comprends, et tu as l'air d'un con, dans
l'expectative. Vaut mieux nier le problème qu'avouer que tu ne sais pas le
résoudre, nom de diou. Tu perds le contrôle que tu avais sur les choses depuis
le big-bang par ta faculté de dire moijepersonnellement, et ça, c'est
dur: l'univers qui part en miettes alors qu'il venait te manger dans la main,
dur dur quand la question sans réponse te frappe de plein fouet, oublie-là,
elle t'humilie. Laissons les questions insolubles, ou qui résistent, à ceux qui
ont du temps à perdre. Inventons le sens de la vie, puisque nous sommes
incapables de le découvrir. Tout est permis tant qu'on ne se fait pas prendre.
J'ai repris le journal en
plaisantant, mais ça fait une semaine que je traverse des trucs incroyables. Je
m'étais remis au café pour finir «feuille de route», écrit à la main, puis
rédigé, et j'ai abandonné il y a trois semaines, et c'est chaque fois la même
chose, le mental diminue encore son emprise, la sensation physique s'amplifie,
mais longtemps j'ai l'impression de me perdre moi-même tant je suis dans le
moment pur, le sujet étant très large, très vaste, et s'oubliant dans le vécu.
Puis il y a eu une très belle fièvre globale, comme il y a presque deux mois,
mais cette fois cela a duré plus, et le troisième jour, j'étais dans un état
incroyable. Une sorte de force astringente me comprimait, sans être
désagréable, j'étais plein de vie et absolument sans désir, autre part, en
quelque sorte. J'ai bien apprécié, mais le lendemain, j'étais cassé. Gros mal
au dos, tristesse diffuse, étrange mal être avec raccornissement de la
sensation. Rien à faire, une bonne idée, enfin. Un massage pro au centre le
plus réputé de Kuta, avec une toute petite femme que je connais, plus intuitive
que les autres, mais c'est comme la veille: Hier, j'étais dans un ailleurs
magnifique, bien qu'un peu écrasant pour le corps, aujourd'hui je suis dans un
ailleurs également, maussade, sans origine, sur lequel je n'ai pas de prise. Et
à un moment, le cerveau fait enfin sa bulle. Il y avait un air de piano en
fond, et d'un seul coup, je me souviens d'une phrase de J.M, avec toute son
attitude désinvolte, et qui me dit que le piano est le plus bel
instrument. Et cette seule seconde restitue tout ce que j'éprouvais pour lui,
et c'était encore là, enterré, enfoui. Il avait été mon ami, et puis un jour,
en une seconde également, je tombe amoureux, sans échappatoire possible,
j'avais vingt ou vingt et un ans. Il y avait de nombreuses raisons quasi
objectives, que je n'ai pas envie de détailler, mais à partir de là, cela a été
un peu spécial, car j'ai eu envie de le toucher, et cela n'a jamais pu se
produire, ce que je ne regrette pas spécialement. La foudre est tombée en trois
secondes, je m'en souviendrai toujours, vu qu'elle m'a fait le coup trois fois.
Cela dure, pour moi, trois secondes, et plus rien n'est pareil. Cette fois,
c'était la première fois. Les deux autres fois, avec des femmes. Toujours
est-il que ce sentiment d'amour s'est reformé en moi, très puissant, tandis que
l'image du garçon disparaissait, mais l'amour est resté, posé sur ma poitrine,
et j'ai vu que cette chose-là n'avait strictement aucune origine, ce n'était
pas mental, pas vital, ça existait en soi-même, c'était au-delà de tout ce qui
est représentable, et naturellement quelques larmes se sont formées, puis une
ribambelle d'êtres pour qui j'ai éprouvé aussi de l'amour, d'une autre manière,
se sont mis à défiler, c'était vraiment étrange. Un état indescriptible, je
venais de sentir la suprématie de l'amour, et en même temps les «objets» où il
s'était posé n'avaient plus aucune importance. Ils n'existaient pas seulement
pour moi, mais ils étaient moi en quelque sorte, avec en même temps ce qui fait
qu'ils ne sont pas moi, et c'était assez émouvant. J'étais un peu surpris par
l'expérience, vachement abrupte, l'amour, toujours lui, sans cause, pas moyen
de l'attribuer particulièrement à ceci ou cela, l'amour d'où ça peut bien
sortir, et même, on ne peut pas parler de traces, le cerveau venait de
regurgiter tous ces êtres, non pour me les redonner ou les éliminer, mais juste
pour que je comprenne que l'amour était autre chose, et que les «objets aimés»
avaient juste servi de prétexte à le faire émerger là en moi, pour que je
tienne à la vie avec une racine en plus, plus forte que celle du désir, comme
étrangère à celle de l'intelligence, mais avec une autonomie royale qui venait
flirter avec le reste, stimuler le bonhomme, presque à son insu, tout en
donnant au désir un autre statut, qui devient conséquence et abandonne son
statut de cause... Puis je suis sorti à la fin du massage dans un drôle d'état
encore, et j'ai dû pleurer sur mon scooter, car JM a été pas mal esquinté par
la vie, qu'il l'ait cherché ou non là n'est pas la question. J'ai perdu le
contact avec lui un ou deux ans avant la descente du supramental, et quand je
l'ai revu à l'occasion, dans les années 80, le désir avait été flingué, et nos
voies divergeaient sans retour de convergence possible. J'ai même refusé de
renouer il y a cinq ans, après un mail plaintif, car il m'avait retrouvé par un
ami commun. J'ai eu l'impression, sur mon scoot, que ses souffrances étaient
les miennes, en pleurant quelques secondes, mais j'étais dans un bel état, sans
complaisance ni pitié, et cela n'a pas duré. Sans doute ce qu'on appelle de la
compassion, qui supporte parfois une manifestation émotionnelle.
A partir de là, j'ai récupéré, et
la nuit j'ai fait un acte causal compliqué, je les reconnais car la manière
dont les espaces s'ouvrent les uns sur les autres est différente du rêve, et
tout est très précis et conscient. Après avoir flirté avec une inconnue,
quelques baisers, je la laisse et passe à des choses plus sérieuses, j'entre
dans une université, et une vieille femme autoritaire m'accuse d'y venir pour
chercher des filles, alors que je viens juste d'en voir une, effectivement,
descendre une échelle, et elle est assez sexy. Mais non, je ne suis pas là pour
ça, et je lui dis, et après je rencontre toutes sortes d'étudiants des deux
sexes, tout le monde a l'air assez conscient, et je repère aussi, va
savoir pourquoi, des individus qui ne sont pas eux-mêmes parce qu'ils sont sous
la coupe d'un «gourou», et ils ont quelque chose de spécial, une
assurance-condescendance un peu mièvre, qui me désole, car je vois derrière
leur vraie nature, mais tout le monde me sourit comme si on me connaissait
déjà.
J'ai donc retrouvé le matin
suivant un bel état, grâce au mantra et à l'acte causal, mais me voilà
complètement neptunien, pas capable de faire grand chose, et envahi par l'espace,
avec un corps moelleux, de la sérénité plus que de la joie, content d'être
sorti du trou noir de la veille. La chose remarquable, c'est que le cerveau
fait son travail, et il mélange différentes eaux. Donc, quand je ne suis plus
vraiment «moi-même» et que je me sens parasité, le discours qui se forme est
une résultante de mélanges d'énergies, et je sens qu'il y a une chose qui ne va
pas. L'amalgame doit se concentrer, la combinaison délétère persister, jusqu'à
l'explosion de la bulle, qui provoque une émotion, et là, les choses rentrent
dans l'ordre. Le soir, pas entièrement remis, je parvenais à me distinguer
moi-même de l'état de tristesse sans fond qui se manifestait, sans m'y
mélanger, ce qui avait été impossible dans la journée, jusqu'au souvenir qui a
fait surgir la nature de l'amour, sans cause, souverain, incrustant dans le moi
des représentations de l'autre, aimé et désiré, ou seulement aimé, d'une nature
absolument particulière. Il va de soi qu'étant descendu jusqu'au génétique, mon
cerveau vit des trucs étranges, et qu'aussi bien la tristesse et mon problème
au poumon droit, que les carences affectives, dépassent la zone de ma seule
personnalité, et mettent en jeu des mémoires ancestrales, car l'amour n'a pas
été le fort de ma famille, ni d'un côté ni de l'autre. Une mère
hypernarcissique, absolument sans cœur, en admiration devant son père et qui
n'a jamais parlé de sa mère, un père dont je doute qu'il ait vraiment reconnu
qui que ce soit comme ayant la même valeur que lui-même, tant il se trouvait
impeccable, incapable de voir le moindre de ses défauts et se vantant de ses
qualités avec un aplomb remarquable, et serinant même des sommités avec des
commérages, quand l'occasion se présentait, comme par exemple pour le doctorat
d'état de ma sœur, où ce bourgeois gentilhomme croyait intéresser de grands
juristes parisiens et internationaux, avec des considérations plus
terre-à-terre tu meurs, comme si lui-même jouait dans la cour des grands,
s'écoutant parler afin que personne ne s'exprime à sa place, c'était un tyran
du bavardage.
Mon père représente aussi un
archétype, celui de tous les hommes ou femmes, qui ont une telle horreur de ce
qui leur est supérieur, qu'ils l'ignorent totalement ou le dévalorisent, plutôt
que mesurer la distance, humblement, et chercher à s'élever. Ces gens-là
décapitent à tour de bras, pour que tout le monde soit à leur propre
hauteur: ils encensent des abrutis qui réussissent et méprisent
profondément tout être capable d'une initiative profonde, discrète, sans blingbling,
qui pourrait les remettre à leur place et les mettre face à leur
superficialité. La subpersonnalité «personne au-dessus de moi», doit
disparaître de la terre, elle casse le mouvement ascendant, car elle s'exprime
à travers des êtres qui, sans le savoir, font beaucoup de mal aux autres dès
que ces derniers expriment une profondeur non convenue. Le terme d'orgueil ne
balaie pas tout le champ de cette survivance dynamique, assez courante, qui
donne beaucoup d'assurance, et qu'on retrouve même extrapolée chez des
gens cultivés et intelligents, mais incapables de reconnaître la valeur d'un
système qui n'est pas le leur...(Pauvre Benoît 16, qui réaffirme par un document
du Vatican, le 10 juillet 2007 que l'Eglise catholique est et reste la seule
véritable Eglise du Christ...) Selon Courrier International.
Et la génération d'au-dessus,
c'est pire, car ma grand mère paternelle était profondément masochiste, et je
sais que je porte encore sa trace. J'ai hâte que les gènes se transforment et
que le supramental vienne à bout de tout ça, mais malgré le pilonnage, ça prend
du temps. J'ai aussi réduit la quantité de mon alimentation, sans effort, et
répété le mantra beaucoup plus longuement. Je ne sais pas où je m'avance, le
corps est parfois débordé d'être trop conscient, trop présent. J'ai des
sensations partout, de petits courants d'énergie, de la chaleur, la nuque est
parfois prise, ou le cerveau autour de la fontanelle, mais j'apprécie le
moment, et je fais face aux embardées. Parfois quand la force travaille d'une
certaine façon, comme hier, on frise la paranoïa et on n'y peut rien, je l'ai
déjà dit pour dédouaner Satprem, mais hier, moi-même, j'ai vraiment cru que mes
gardiens allaient revenir sans mon laptop de chez le réparateur, puisque ils
semblaient ne pas rentrer, ajourner indéfiniment le retour... Tout ça parce que
ma confiance en eux a quelque peu baissé, suite à des bricoles, et un scénario
se formait donc tout seul, dans lequel ils avaient le culot de vendre l'ordi,
et de me présenter sa perte avec une version géniale d'un vol ou d'un oubli du
sac, (d'autant que, dans l'après-midi, trois individus étaient passés, de la
même compagnie, pour se plaindre d'un crédit non payé depuis deux mois par ce
couple, après un autre événement similaire la semaine passée).
Intuition ou parano, ça a fait
du yoyo tout l'après-midi, et le cirque a duré cinq heures, le plus amusant
était que j'étais obligé de me dire «ton apple volé, pas grave mon chéri,
regarde la force comme elle travaille bien aujourd'hui, c'est l'essentiel».
Elle descend bas, je vous l'assure, et la chimie de la boîte à synapses, c'est
quelque chose. Des dizaines de substances qui se balladent dans les galaxies
des neurones, et le je qui conjugue en fonction. Juger Satprem dur, ou
Natarajan faible, car le désir est toujours là, c'est facile. Le boulot,
allez-y, le Divin ne demande que ça. La centrifugeuse subatomique, vous m'en
direz des nouvelles. Mais ne nous plaignons pas. J'apprends de plus en plus à
avoir mal sans souffrir, mais ma vraie nature, c'est la joie d'exister, de
vivre, de baigner dans le mystère absolu de la transformation permanente
des choses, avec l'arrière-plan immuable du Divin, qui attend son heure...
28 Juin 2008
Encore une journée difficile,
avec un petit manque à gagner, davantage de mucosités dans les poumons, tout en
haut, à la gorge, et constipation. C'est ça le pire, ma mère encore, qui
voulait tout garder, constipation chronique et complètement cyclothimique, une
vraie maniaco-dépressive, et dès que je ne vais plus à la selle, le mental est
contaminé, la joie de vivre fout le camp. Il est bien possible que pour se
débarrasser de nous, la vie qui retombe utilise de plus en plus les caractères
héréditaires pathologiques, pour être certaine d'y arriver plus vite. Quand
l'homme n'est plus un reproducteur utile, la vie le lâche, moi ça s'est passé à
cinquante ans, les gènes ont explosé en 2001 et je ne m'en suis remis
définitivement qu'en novembre 2006 à Shanghaï. Je me sens beaucoup plus fort si
des descentes douloureuses devaient reprendre maintenant dans l'inconscient,
puisque c'est de plus en plus difficile de m'abattre, mais il y a des jours
sans joie qui reviennent. Je ne peux pas faire grand chose, sinon plus de
mantra, et on dirait que le combat devient enragé entre le truc des poumons et
la Force. Mais je ne peux plus perdre de vue que le Divin est derrière tout ça.
Ce matin, assez terrible, pas très bien, et le cerveau m'envoie le souvenir
global de ma vie à Boulouris, complètement épanoui, et la chimie voulait
peut-être en faire de la nostalgie, mais au lieu de cela j'ai sangloté en
remerciant le Seigneur d'avoir pu être aussi heureux. Longtemps j'ai pensé
qu'il était impossible d'être plus heureux que moi, ce n'était pas un défi,
mais tout m'agréait, ma vie était facile, et comme Lévy-Strauss et quelques
autres, j'appartiens à une catégorie spéciale, celle des «exaltés abstraits».
Nous ne sommes pas des intellectuels, parce que les formes ne nous intéressent
pas, on n'aime pas commenter les choses, les écrits ou les auteurs, on ne veut
pas bâtir sur des sépultures, mais découvrir, car le réel se suffit à
lui-même, commençons par le déchiffer, avant de l'infléchir avec des
théories perso. On cherche toujours la pertinence des idées dans leur
application, et non dans leur «marquetterie» logique, ou leur esthétique, comme
pourrait dire Gurdjieff, le fieffé. D'où ma souffrance d'être français: une
idée belle y est vraie, avec un déchet plus que considérable, mais il est vrai
une certaine «avance» parfois. La beauté est loin d'être le seul critère pour
juger de l'idée, mais la France s'y adonne, et on y reviendra pour le meilleur
et pour le rire.
On jubile de voir ce qu'il y a
derrière les formes, pour un peu ça suffirait à notre bonheur, le dépeçage du
samsara. Il n'y a là-dedans nulle vanité, car c'est l'observation qui nous
intéresse, nous possède comme une maîtresse, et non pas de dire moije perso
ceci je crée ou moije perso cela. Bergson était forcément comme ça également,
j'ai presque l'impression de me lire quand je parcours «l'élan vital», on sent
que son intelligence s'étale dans le temps et l'espace, et qu'il en ramène
quelques visions rafraîchissantes, où nous n'avons pas le beau rôle, nous les
êtres humains, on n'y comprend goutte, à notre hsitoire, et les clés de
l'évolution, elles nous échappent. Faut-il pour autant nier l'ascension? On le
pourra encore pas mal de temps, le temps qu'il y ait vraiment quelques pekins
qui se laissent transformer par le supramental, et qu'on puisse voir qu'ils
sont différents (ou elles bien entendu). Là, ce qui restera de l'espèce devrait
en finir avec les «signifiants vides», et se mettre à s'ouvrir à la
reconnaissance du Divin, first, parce que sans lui je ne pourrais même pas dire
je, deuxio, parce que ça m'occupe, troisièmement parce que mon intérêt perso se
confond avec celui de tous les autres.
Il n'y a que ces auteurs là de
profonds, désolé: ceux qui parlent des forces de la nature, ou de Dieu, ou des
relations qui régissent l'espace-temps, ont de l'envergure et évitent leur
nombril. Tous ceux qui glosent sur l'aventure de leur propre moi le font parce
qu'ils sont incapables de s'intéresser au réel du réel, à la racine ou le carré
de 1, soit les grands principes. Ils ont la trouille de se réfléchir là-dedans,
le projet divin ou la force immémoriale de la nature, alors ils se plaignent de l'Histoire, ça les justifie, ou font de la politique.
Moi-même, je ne parle de moi que pour une seule raison: ce qui m'arrive est
hors du commun, et d'autres se préparent à cette exception. Mais mon itinéraire
n'est pas obligatoire.
Je ne peux pas affirmer qu'il
faut un mental supérieur pour gagner le supramental, car il est au centre de
tout, et il peut donc descendre sur des instruments prêts, pourvu qu'ils
excellent quelque part.
J'ai tendance maintenant à
ramener à trois principes, connaissance, amour, intégrité, car le reste,
tout le reste peut se subordonner à un de ces troncs. Et il n'y a pas de raison
d'être aussi touché par les trois, pour le moment nous ne sommes pas des dieux,
et c'est déjà rare de rencontrer un véritable adepte de la connaissance, qui
s'appuie sur la décantation de son expérience sans pour autant se fermer... Un
adepte de l'amour véritable, j'imagine que c'est merveilleux, je n'y suis pas
encore, mais je crois que je saurais les reconnaître si j'en rencontrais, et à
part Amma... Un adepte de l'intégrité? Je crois que c'est une spécialité
chinoise, on ne va pas chercher midi à quatorze heures, on met Dieu de côté,
mais on travaille sur l'union du corps et de l'esprit avec volonté, persévérance,
discipline, et grâce au lâcher prise, tout ce qui pourrait enfermer le sujet
dans ses propres prérogatives, au contraire, l'ouvre à recevoir de l'énergie,
et on pourrait dire de cette voie que c'est vraiment celle du corps physique.
Elle peut convenir à ceux qui n'aiment pas extrapoler, qui s'en tiennent aux
faits et à leur ressenti, et que l'abstraction embrouille. Maintenant que nous
allons vers l'homme universel, les doctrines des races s'épaulent, et c'est une
satisfaction pour moi, d'ailleurs, de décloisonner l'approche supramentale,
tant pis si les sectaires me jettent l'anathème, c'est prévu, et je ne fais pas
mieux de toute façon, que Sri Aurobindo.
Je ne représente pas le
Supramental, c'est Mère et Sri Aurobindo qui le représentent, moi j'exprime le
fruit de mon expérience avec la chose, mais comme je suis là pour abattre
l'autorité, puisque c'est un échange à sens unique l'autorité, je ne peux pas
prendre le moindre plaisir à représenter le supramental, ce qui me donnerait
une posture, d'autant que ce serait assez prétentieux pour le moment: les
résultats se font bigrement attendre. Le départ de Satprem a quand même été dur
à avaler, aussi, détachement ou pas.
J'ai le droit de m'attaquer à
l'autorité si ça m'amuse, comme Krishnamurti s'attaquait à la violence.
L'autorité humaine s'entend (et il y a une part d'autorité légitime, mais
faible, dans l'éducation, que je ne dénonce pas). L'autorité divine, pour
sentir ce que c'est, il faut aller au-delà du Soi, alors en parler, c'est
perdre du temps, et Sri Aurobindo a tout dit là-dessus. Mais oui, c'est
certain, il faut exceller quelque part, soit que la consécration soit
parfaite, soit que l'Intellect soit parfait, comme chez Guénon et peut-être
Mezig, sans fausse modestie, soit que le travail sur soi, sans tambour ni
trompette, soit parfait, et l'ego anéanti. Et naturellement, les trois
principes se combinent et s'épaulent. Ce que je veux dire, c'est que même si on
ne le sait pas, ou qu'on le dise autrement, le Supramental repère, en quelque
sorte, l'excellence. Il reste à ne pas se culpabiliser de ne pas recevoir le
supramental, parce que, et oui, s'Il ne se manifeste pas, c'est que
l'excellence fait défaut. C'est déjà comme cela avec le Brahman, dont on
n'hérite pas n'importe comment, je vous prie de le croire, alors avec le
supramental, c'est un mauvais plan de s'imaginer qu'on est à la hauteur, sous
différents prétextes, comme sa descente dans l'atmosphère qui va tous nous
emmener au-delà du delà (vieux mythe aurovilien exécrable et mis en place par
des êtres de pouvoir dont certains peuvent être aujourd'hui récupérés, à leur
insu même, par de drôles de forces).
C'est déjà fait.
Il est arrivé, le Divin.
Moi je l'ai senti en mars, avril,
mai 1967, j'avais dix-sept ans, et ça m'a retourné. En quelques jours, tout
avait changé, je sentais un truc sans limites partout, derrière le ciel,
derrière la vie, et j'ai commencé à fonctionner autrement, jusqu'à une big
illumination fin décembre 67. Je n'ai jamais voulu me réaliser, j'ai souhaité
comprendre et agir pour un monde meilleur. Entre parenthèses, c'est le même
itinéraire que Sri Aurobindo. Lui, ça passait par l'action, tandis que moi je
me voyais remuer les foules, jusqu'à vingt-cinq ans, par la chanson, la
littérature ou la philosophie.... Mais j'étais engagé à fond la caisse. Je pensais
en permanence à trouver le chemin, avec une intensité incroyable, mais j'étais
en même temps comblé par la vie. 68-69, mon année d'hypokhâgne, interne à Nice,
j'ai décollé intellectuellement, tout s'ouvrait, je n'ai plus douté une seconde
de percer tous les secrets de l'univers, et c'est ce qui s'est passé, dans le
fond, quarante ans après je suis souvent H.S, mais soutenu par le Suprême.
Peut-être la plus belle année de ma vie, et ça n'a rien à voir avec la
découverte du sexe ou de l'amour, non (j'avais déjà ma première petite amie),
j'étais à pied d'œuvre pour récapituler la vie, car je croyais vraiment le
niveau de réflexion plus élevé dans les classes prépa. Je fus assez vite déçu,
sauf que, enfin, je trouvais un autre exalté abstrait, mon professeur
d'Histoire, qui n'avait pas le physique de l'emploi, plutôt carré, taille
moyenne, type entrepreneur méditerranéen, mais sans accent, et que je considère
encore comme un génie, puisqu'il faisait tout comprendre par des litotes et de
l'humour, avec une concision merveilleuse, et l'Histoire apparaissait comme une
grande farce jouée par des imbéciles, immémorial spectacle qu'il fallait quand
même aborder sérieusement pour en comprendre les rouages, et parce qu'on en
sortait aussi, évidemment. Je buvais ses paroles, mais il me laissait dormir
souvent sur la table, les cours de début d'après-midi, car les déjêuners
étaient trop lourds pour moi, régulièrement. Je sus vraiment, grâce à lui, que
je n'étais pas seul à voir l'intelligence comme un mode d'emploi du réel, sans
limites, une arme absolue, et non pas comme une technique à établir des
certitudes, des croyances, enliser des mouvements, nouer des vérités qui
deviendraient totalitaires, émettre de l'autorité, ou décréter des conneries
bien présentées et se faire servir.
«Les principes de la
Manifestation», je le dois au supramental, et je crois qu'au travers de ce livre,
j'ai rejoint mon modèle, mon maître, et je me sens quitte avec le monde
intellectuel, je me suis aussi racheté d'avoir pris l'itinéraire abrupt, hors
cadre social, et je rejoins ainsi ma culture, car ce livre finira bien par être
publié, quelles que soient les humiliations qu'il inspire au lecteur,
privé de mise en scène perso, et confronté au grand jeu de la vie et du Divin,
qui le jettent dans la Manifestation, sans égards pour lui... Je n'aurais jamais
pu écrire un truc pareil, sans le long barratage du cerveau qui m'a amené un
matin à Sri lanka, à me réveiller avec un autre mental, du jour au lendemain,
mental qui est resté ainsi, uni au Tout. L'action est donc bien physique, le
cerveau devient quantique, de nouvelles connexions apparaissent, et il ne peut
plus apparaître de contradictions dans le réel, des antagonismes de forces et
de valeurs, ok, mais des «contradictions», cela n'est plus possible, car tout
se tient et tend vers l'unité. Le cerveau qui a «pétillé» pendant des années
vit dans cette dimension-là: «l'ignorance» étant à la fois légitime, le statut
de l'âme embrouillée par la vie, et illégitime, puisqu'une interface apparaît,
le potentiel individuel de la connaissance. Le but semble que l'être psychique
ait enfin un moyen d'expression direct, mais nous sommes encore les cousins du
singe, voilà pourquoi il faut bien comprendre que le mystère 3 de méditation
quantique, ce n'est pas de la théorie, pas plus que les survivances dynamiques.
On souffre de l'incarnation, c'est vrai, et surtout parce que nous attendons
trop des autres. Cela peut être offert au Divin, qui, loin de s'en repaître,
recueille la consécration que cette douleur fait suinter, et Il prépare ainsi
les bouleversements divins.
13 Juillet 2008
Hello, voilà, j'ai été attaqué par l'hiver et
le vent, et le problème au poumon, au larynx ou aux bronches, est revenu. Mais
j'ai de la chance. Sur mon itinéraire principal, j'avais repéré dernièrement
une affiche intéressante, et quand je me suis senti mal, même dans la tête, je
me suis arrêté. Zai eu bokou de sance, car je suis tombé sur un indonésien
d'origine chinoise, qui pratique la médecine taoïste, et qui parle français. L'affiche
comportait reflexology, acupressure, nathuropathy, et le lieu ne payait pas de
mine. Et le type correspond exactement à ce dont j'avais besoin. J'y vais un
jour sur deux, il me parle, me montre des dizaines d'exercices pour rester en
forme. Sa femme ou bien sa fille me fait un massage extra, les points des organes
sont pressés, le pied est ausculté et pétri longuement, au millimètre près, et
puis lui, il vient aussi ajouter son grain de sel, ou faire brûler des
bâtonnets de moxibustion. Le travail n'est pas baclé, après quoi tisane et
fumigations pour les pieds, et petit sachet à emporter avec des herbes, des gélules
pour les bronches, et des comprimés minéralisés. C'est toujours à mourir de
rire avec la tradition chinoise, pour un cartésien. Vous avez mal à gauche,
alors c'est à droite que ça ne va pas, ou bien « la poitrine, c'est
peut-être la conséquence seulement, il faut voir le foie et les reins ».
Bref, je suis passé au scanner, et vu l'âge qui avance, il y a du boulot, dont
un truc à faire pour que le dos ne s'affaisse pas, et j'y travaille vraiment
depuis un an, mais les mucosités qui durent depuis février, rien à faire, on ne
voit pas d'où ça vient.
Naturellement, la chose est si profonde qu'il
y a peu de résultats, et j'ai même choppé un rhume de cerveau hier, ou un petit
virus. Eternuements et fièvre. Mais je vais continuer, en dépit du climat pourri
en ce moment, du vent fort sans discontinuer toute la journée depuis plus de
quinze jours maintenant. J'ai envie de me barrer ailleurs, mais le docteur
m'intéresse et ce serait bien que je fasse un peu de ki-cong le matin,
comme il me saoule avec la description d'exercices, je suis bien obligé de me
rappeler de quelques-uns, et j'en fais quelques minutes deux fois par jour.
Oui, j'avais senti l'âme de l'hiver me tomber dessus en fin d'après-midi, dès
mon retour il y a juste un mois, telle une présence, mais cela avait été
provisoirement chassé par ce que j'ai reçu à la dernière pleine lune, un peu
plus tard en juin, où j'ai ressenti l'energie plutonienne « de base »
à fond la caisse, ce qui donne envie de s'investir avec intensité dans le
moment, toutes formes confondues, désir, besoin, reconnaissance du champ, élan
souverain, attraction subie pour le moment et ses mirages. C'est vraiment
une énergie bizarre, on se sent appartenir au réel de manière absolue, et on a
envie d'en tâter n'importe comment aussi, tout ce qui rentre fait ventre. On se
lancerait dans n'importe quoi la conscience tranquille, l'orgie, la
manipulation, car le champ vibre autrement : il s'offre au moi,
sournoisement, passivement, lascivement. Etrangement, cette énergie semble
posséder une interface avec le supramental, mais dans sa manifestation brute,
elle en est vraiment une contrefaçon. On sent quelque chose d'indéfinissable en
commun. Une présence inconditionnelle, mais là c'est de l'involution pure,
pourtant ce n'est pas l'âme de la vie, que j'avais ressentie en 2005, et qui
avait essayé de me soudoyer. Je regrette que les mots ne suffisent pas à
caractériser, définir ces grandes énergies qui traversent parfois le champ,
puisque toutes les fréquences sont compatibles dans l'atmosphère, mais avec des
variations d'intensité. Bref, cette pleine Lune de juin bénéficiait d'un
caractère infiniment concret, l'atmosphère était dense, quasi liquide pour moi,
et scandait à chaque seconde « tout est possible », c'était un
rayonnement incroyable qui plantait le moi dans le non-moi, dans une sorte
d'identité réciproque factice, quasi rougeâtre, c'était comme les coulisses de
ce qui pourrait devenir de l'énergie diabolique plus tard, une récupération de
l'extase existentielle dans les vibrations les plus basses. C'était comme une
drogue finalement, qui dispensait le sentiment d'être là, tel quel, en toute
légitimité cosmique, quoi qu'on fasse, quoi qu'il advienne. Certains ont dû
employer correctement le carburant, d'autres ont dû se planter, ça poussait
méchamment à l'expérience, et à la (con)fusion du moi et du non-moi.
Pluton représente aussi quelque chose de
supérieur, à condition d'avoir tout traversé, purifié Saturne, Uranus et
Neptune, ce qui n'est pas encore à la portée de tous. En astrologie, son
spectre est extrêmement large, c'est lui qui scelle l'identité entre le moi et
le non-moi, et qui oblige le sujet à la reconnaissance exhaustive de la
totalité, à travers le sentiment de toutes les limites individuelles. Mort
perso, survivances dynamiques profondes, aliénation sexuelle, avidité d'être ce
que l'on n'est pas encore, par n'importe quels moyens d'apparence gratifiante.
Donc, à cause du retour du vent, et de
l'obstrcution pulmonaire, j'ai perdu un peu la joie, mais le Divin n'est pas
idiot, avec plus de mantra, la sérénité remplace, peut-être pas
avantageusement, mais c'est pas mal non plus. Je suis moins ensorcelé par le
non-moi et la béance délicieuse de l'instant informel, mais je m'enracine
davantage, joue aux échecs contre l'ordi, et lis énormément. Hier, bokou de
sance également, quatre livres chez le même bouquiniste. La mamy était si
étonnée qu'elle a cru deux fois que sur les quatre j'en ramenais certains.
Souvent, je passe et repars bredouille, alors là, elle ne comprenait plus. La
loi des séries s'applique à tout. Je ne peux que vous recommander l'admirable
« la secte des egoïstes » de Schmitt, où l'on voit un homme d'un
excellent karma se prendre pour Dieu. La manière dont il utilise la révélation
que tout est projection est assez désopilante, je l'avoue, je me suis vraiment
régalé en le lisant d'une traite. Et puis, n'oubliez pas l'un des auteurs
fétiches des voyageurs branchés avec Nicolas Bouvier, Nigel Barley chez Payot,
dont j'ai été heureux de trouver « l'anthropologie n'est pas un sport
dangereux » qui m'attendait aussi, avec un Michel Tournier, et un petit Philippe
Claudel, où les bons sentiments, parce qu'ils sont décrits avec art, semblent
posséder de la noblesse, avec un style plus gras, on reniflerait la
complaisance, mais là, ça passe pas mal. Parfois je me force à lire, car je
n'en ai pas fini avec la littérature. Je pense sérieusement à proposer contre
petites finances deux ou trois romans à envoyer en pdf, prêts à imprimer. D'une
part, j'en ai assez de me faire rembarrer chez les éditeurs, d'autre part
gagner un peu d'argent avec quelques ventes me paraît astucieux. Je ne forcerai
personne à les acheter, ce sera pour les aficionados en quelque sorte. Des
romans « plutoniens », qui vont trop loin pour que le lecteur moyen
se sente à l'aise, vu que j'écris avec un aiguillon plutôt qu'avec un stylo, et
que, sans une certaine consécration, on trouve que j'en fais trop.
Les quatre titres à Kuta le même jour et au
même endroit. Cela me rappelle la chasse sous-marine que j'ai finalement
abandonnée il y a près de trois ans, l'irrégularité des prises sur le même
spot, l'indécidable imprévu. Seuls les pêcheurs et les amateurs
invétérés de Yi-king savent que le moment est capable de tout réceler, pour le
meilleur et le pire, et que c'est idiot de faire la fine bouche, ce qui arrive
arrive, nom d'un petit bonhomme, alors il n'y a que deux solutions, accepter,
ou remonter en arrière et empêcher ce qui cloche de se produire, mais même
Harry Potter n'y parvient pas forcément. Donc, il n'y a qu'une solution,
désolé, de vous l'apprendre : le constat. Après, la conscience se
demmerde en lâchant prise. Mais attention, les petits nains du dedans fêtent la
souffrance, la perte, le choc, la désillusion en s'acharnant à se plaindre, les
petits morveux.(Toujours les mêmes souches planétaires obscures du subconscient
qui remontent, culpabilité saturnienne ou sentiment d'injustice, blessures
narcissiques qui révèlent le soleil naturel, arrogant et prétentieux, sentiment
d'abandon vénusien, ou de dépréciation extérieure jupitérien, sourde violence
ou vengeance martienne, et Séléné qui abreuve de ses larmes fécondes les
monstres psychologiques assoiffés que le désarroi appelle dans le cerveau immémorial).
Les zotres (sauf peut-être aussi les
chercheurs lucides) s'imaginent que le temps doit leur obéir, être favorable
par principe, et qu'il manque son exercice quand il vous envoie en pleine
tronche l'adversité, sans se donner même la peine de prévenir, ce qui est
inadmissible. Pourtant, c'est exactement la même chose. Les occasions sont des
accidents favorables, et les accidents des occasions d'apprendre du réel ce que
l'on ne veut pas savoir. Je suis heureux d'avoir réintroduit de la pensée
chinoise dans mes œuvres, car l'ensemble de l'esprit occidental joue au plus
malin, en philosophie et en sciences humaines, en oubliant de mentionner
l'immense latitude d'action de l'imprévu, de l'imprévisible, du pur inédit,
dans le déroulement des choses. Ou bien, la seule manière de reconnaître cela,
c'est de parsemer de fatum les circonstances, puis de noyer le poisson,
nous sommes libres, on escamote la menace perpétuelle de l'échec qui vient du
changement spontané des circonstances, on croit encore que le réel obéit à des
structures aussi lentes que les codes cristallisés de pensée, ce qui fait que
tout le monde est dépassé en permanence, parce que personne n'est au courant
qu'il est normal qu'il puisse arriver n'importe quoi, même du grave de chez
mortel en barre, n'importe quand, surtout si la vigilance fait défaut. L'attachement
à la théorie constitue le plus grave défaut de la pensée française, qui peine
toujours à la confronter à ses deux partenaires immémoriaux, l'empirisme d'un
côté, et le pragmatisme de l'autre, ce qui fait que les théories françaises
sont en général embourbées dans l'idéalisme, et ne tiennent pas la route, ce
qui va finir par poser de vrais problèmes politiques. J'ai toujours
l'impression que le français croit qu'il va s'en sortir par une embrouille
quelconque, en chantant «tout va très bien madame la marquise», en
l'emmenant à l'échaffaud pour qu'elle proteste moins. Il suffisait pendant la guerre
qu'on annonçat que l'eau risquait de manquer et qu'il fallait l'économiser,
pour que chacun se précipite pour faire couler un bain, par solidarité
individualiste. Ce n'est pas un peuple sérieux, il est même assez superficiel,
sa générosité est d'autant plus profonde qu'il ne la met pas en pratique, comme
l'atteste le nombre incalculable de gens de gauche dont les valeurs sont
identiques à celles de la haute bourgeoisie capitaliste, hormis leur discours
égalitaire. La grande richesse se portait allégrement du temps des affidés de
Mitterand, jusqu'à ce que ce groupe de nantis finisse par se renvoyer l'image
qu'ils cherchaient à obtenir d'eux-mêmes, à savoir qu'ils souffraient perso des
inégalités, alors qu'ils contribuaient à les accroître. La théorie est si
sacrée en France, qu'elle n'est même plus obligée d'être mise en pratique pour
être validée, c'est l'exception française, avec son communiste
milliardaire, ses intellectuels de gauche qui roulent sur l'or, la conscience
parfaitement tranquille et qui méprisent les aussi riches de l'autre bord, ah
mais !... Et ses vrais pauvres d'extrême-droite.
Nous atteignons enfin la société du spectacle
que Debord avait flairé aux moindres indices. L'hebdomadaire attitré de la
gauche fait un numéro sur «dépenser moins», et, juste à côté d'un
article sur la future voiture la moins chère donnée, une page entière nous
montre la Jaguar dernier cri, sans préciser son prix, of course, pour qu'on
puisse saliver dessus en toute bonne conscience citoyenne, à moins qu'on se
côtise, sur le web, pour en offrir une à Besancenot, pour qu'il fasse sa
tournée avec, à Neuilly, afin de lui permettre d'augmenter son score, et de
moins terroriser les retraités. Je fais encore partie de ses retardataires qui
croient qu'il devrait y avoir une certaine logique entre les idées et les
actes, et que le « décalage » n'est pas un vain mot. Je suis
archaïque. On peut très bien être très à gauche, et viser l'enrichissement
personnel no limits. Le cumul des mandats, contrairement à une opinion
vulgaire, n'est fait que pour favoriser l'implication morale du responsable
politique, qui, au four et au moulin, devient incompétent partout à la fois. Il
gagnerait le quart en faisant la même chose, il y serait quand même, par
devoir. Les émoluments des parlementaires n'ont rien à voir avec leur vocation.
S'ils deviennent riches, c'est à l'insu de leur plein gré, ce sont avant tout
des hommes de foi, qui se dévouent à la cause du peuple. Rien à voir avec
l'abbé Pierre et son successeur géant, qui font semblant de défendre les
pauvres pour se donner en spectacle. D'ailleurs c'est un comédien.
Au contact du toubib d'origine chinoise, la
naïveté triomphaliste de l'esprit européen me saute par contraste à la figure.
Je crois vraiment que les blancs ne sont pas très intelligents, sauf
exceptions, puisque la science de la durée leur fait défaut, et qu'ils
n'intégrent jamais la résistance naturelle du milieu à leurs idées, ce que le
chinois fait naturellement, car pratique et théorie sont confondues au départ
dans un système cohérent. Cela ne viendrait pas à l'esprit d'un chinois de
délabrer un organe pour en soigner un autre, par exemple, sous prétexte qu'il
est diplômé en médecine.
Comme des enfants gâtés, les lois du réel n'intéressent
pas les blancs, qui soumettent. A moins qu'ils ne les combinent eux-mêmes, les
appliquent, et se retrouvent dans la merde, avec le rare privilège d'en être
responsables, au lieu de subir passivement leur destin. Ils veulent s'exprimer,
s'épanouir, les blancs, en méprisant tant faire se peut l'imprescriptible droit
de regard du non-moi sur le sujet. On se booste en se faufilant entre les
gouttes, jusqu'au terrible rappel à l'ordre, perso ou collectif(suivez mon
regard). L'avenir a été trop courtisé au détriment du présent, depuis l'arrivée
de Pizarre de l'autre côté (1512), par l'Europe, pour que la durée demeure
cohérente. Elle a beau être élastique, nous sommes en même temps trop devant et
trop derrière, trop en avance et trop rétrogrades, pour qu'on puisse s'y
reconnaître longtemps. On paie des avances remarquables par des retards
proportionnels ailleurs... Attali ne dit pas le contraire, sous une autre
forme, « sherpa » dont l'intelligence supérieure me paraît
incontestable, mais les vrais humanistes comme lui, qui ne se soumettent ni à
l'establishment ni à la mondialisation sauvage, ne font pas le poids. Aussi les
scéanrios d'Apocalypse pour «en sortir», sont-ils à la fois une
fuite, si l'on s'y accroche, et une solution, bien sûr. L'élasticité a des
limites. Un fauteuil de 1992, en métal et forme de guillemets, atteint les 300.000 euros... Dans un monde meilleur, où personne ne manquerait de rien, je pourrais éventuellement admettre la chose. Là, je l'accepte, elle existe, mais
je me demande ce que je vivrais en face de son acheteur, préférant balancer son
fric là-dedans que de soutenir n'importe quelle association humanitaire. Un peu
de haine sans doute, je ne suis pas encore entièrement transformé, un petit
zeste au fond, prenant appui sur des images, des souvenirs, toute cette misère
du monde endémique, que ni la N.A.S.A ni les budgets de guerre n'entament, et
que la gauche met en scène pour nourrir ses prévaricateurs. Ce qui traîne,
traîne trop. Ou alors, il faut avancer moins.
Il y a peu de réflexions profondes sur l'inflexibilité
de l'avenir, qui possède ses propres lois, et n'est jamais conforme à ce
qu'on en attend. C'est pourtant la seule leçon de l'Histoire. On enterre les
erreurs en s'imaginant que cela va empêcher leurs conséquences néfastes de se
produire, ce qui est de la magie primitive de chez papou bas de gamme. Le
mental du blanc a horreur d'être confronté à ses propres limites, qu'il conjure
en les mettant de côté... Et il y a un véritable tabou sur l'imprévisibilité de
l'avenir. «Il finira bien par nous obéir». Ne parlons pas de ça, ça
nous fout le nez dans notre caca, ou bien, à l'extrême inverse, on se gargarise
de l'effet papillon, en évitant de voir les conséquences que ça
implique, plus tu prévois loin, plus tu passes à côté de ce qu'il adviendra, tu
n'as que trois jours devant toi, mais si tu étais intelligent, tu comprendrais
qu'ils sont toujours devant toi, ces trois jours-là, et que c'est peut-être
suffisant comme marge de prévisibilité. Au-delà, sache que la traçabilité de
tes rêves, de tes ambitions, de tes sentiments et de tes désirs, se perd au fur
et à mesure dans ce qui sera l'épreuve concrète du temps, le partenaire de ta
volonté et de ton imagination. D'ailleurs, si tu n'attends plus de la durée de
mirobolantes approbations de tes fantasmes, mais plutôt des «prises de
conscience», tu verras que tu planifies avec un certain détachement, et
sans flipper à l'idée de manquer ton coup... Ce que les sages de chez les trente
trois millions de dieux appelaient, avant que la mondialisation n'installe du
coca-cola dans les ashrams, « être détaché du fruit des œuvres ». Si
tu t'acharnes à te détacher du fruit de tes œuvres, c'est peut-être que tu n'as
pas vraiment compris de quoi il s'agit. En diluant vers la caricature
illuminatrice, une spécialité maison, c'est comme se forcer à s'en foutre, si
tu veux. Tu vois le genre. Ou serrer les dents pour mieux lâcher prise, ce
genre de choses. Ou s'entraîner à la spontanéité, encore que les chinois y
parviennent, mais ils ne sont pas fabriqués comme nous. Ou prendre l'air
naturel sur la photo, ma mère, elle me bassinait avec ça. Comme elle était
toujours en représentation, elle avait des mimiques de naturel vachement
travaillées.
L'avenir, ils y croient dur comme fer. Ils
pensent pouvoir le fabriquer comme un objet industriel, avec ses cotes
précises, son ergonomie et son rendement. Ils sont incapables d'estimer les
troupeaux d'interférences diverses qui sapent à chaque instant les projets trop
fermés, toutes ces jungles quantiques de facteurs tranversaux, imprévisibles,
qui naissent du choc évident entre le projet et le milieu qu'il modifie, comme
une goutte qui tombe dans l'eau rebondit et s'éparpille en gouttelettes
multiples. On ne veut pas entendre parler du champ hors contrôle, on le
sous-estime par principe, on veut créer de l'ordre sans tenir compte des
sous-bassements concrets qui reçoivent les innovations, on évalue mal les
résistances afin de ne pas se sentir découragé. On plastronne. On contourne
donc la science des correspondances, on méprise toute prévision (hors des
calculs de rentabilité, ça va de soi). S'ils sont mauvais, on crie au scandale,
on s'étonne. Même quand le marché est saturé, on continue de produire, ils
n'ont qu'à changer de voiture tous les deux ans, et on ne « comprend pas
la baisse des ventes ». Véridique.
On prend pour des charlatans tous les
astrologues, ce qui est assez cocasse quand on a lu du Rudhyar, on ne comprend
pas la synchronicité du yi-king, mais on se ruine en « prospective »
qui ne repose sur rien de sérieux, sinon l'avidité élevée en devoir moral pour
garantir la hausse de la croissance. Toujours revue à la baisse, si on noircissait
le tableau dès le départ, on nous prendrait pour des lâches, des pessimistes,
on penserait que nous baissons les bras pour nous tirer les pieds.
Prospective ? Un avatar de la même pensée unique : un bas calcul
d'épicier visant le contrôle de gré ou de force, ce qui n'a rien à voir avec la
possibilité de tenir compte ouvertement, humblement et consciemment, des fluctuations
du favorable et du défavorable (acceptés comme tels), reconnues comme
structures de la réalité, et qui sont contenues dans les hexagrammes du
Yi-king.
Bref, le paradigme triomphaliste s'épuise,
mais l'optimisme est de rigueur, c'est le sésame de la modernité qui conjure
les mauvais bilans. Il se survit benoîtement, c'est le fétiche universel du
battant aux dents qui rayent le parquet, de Trifoully-les-oies aux nouvelles
cités mondialisées, où les vendeurs porte-à-porte, avides de grimper l'échelle
de la compagnie, commencent à sévir en légions, sourire aux lèvres et bons de
commande à la boutonière, dès le soleil levant. Il y a un siècle, les mêmes
vous vendaient une bible en Amérique, assortie d'une croix repentante ou d'une
vierge bleu fabriquée en série, somptueusement modeste, avec tarif dégressif
pour les trois articles... Aujourd'hui, c'est un téléviseur à crédit, jusqu'au fin
fond de la brousse. Longue vie à toi, ô grand prêtre de la consommmation !
Ne te détrompe point... Le produit va résoudre la peine ancestrale de l'homme, son
manque à gagner indéfinissable, cette dette qu'il refuse de payer à son créateur,
en échange de son moi, en prétextant qu'il n'a pas assez de temps pour lui
être reconnaissant de ce que les étoiles lui ont avancé, rubis sur l'ongle. Oui,
exorcisons-là, la peine enfouie au cœur du consommateur innocent, cerné par
l'Infini qui le snobe et dont il se venge dans ses neuvaines, et qu'il ne sait
pas par quel bout prendre! On croit que tout est possible et la vie vous
broie dans la routine, et c'est la faute à qui ?
Objet électrique, qui porte les péchés du
monde,
Prends pitié de nous...
Jusqu'où tout cela sera-il possible ? Il
y a tant de poussière sous le tapis que c'en est devenu un matelas. Le premier
qui le soulève risque de mourir asphyxié par la poussière, et d'une certaine
manière, c'est ce qui m'arrive. Mais ça fait partie du kit. Expériences supérieures
et divines, assorties d'enfers impromptus et inconnus, dans l'ensemble un bel
échiquier, et le coup de bol, c'est que j'ai l'esprit joueur. Sinon, j'aurais
rendu mon tablier. La fois où je l'ai fait, ça n'a pas marché. (Tant pis pour
l'éventuelle redite). Le supramental, je l'ai laissé tomber, mais Lui, ne m'a
pas laissé me débiner. C'était en 83, après un an de démission, et la force a
agi toute seule, sans me demander mon avis, dans les jambes. J'écoutais Diana
Ross dans ma bagnole, le thème Mahogany, ti la la, ti la la, ti lala lala lala... Quand
je ne suis pas en forme et que ce tube passe, ce qui arrive encore dans le
supermarché japonais par exemple, ici même, j'éclate en sanglots trois
secondes. Ma vie s'est joué au mois de mai, car la chose ne voulait pas me
quitter, et si je tombe au fond du trou, je peux toujours essayer d'en sortir
en écoutant ce morceau. Depuis mon retour, Je l'ai entendu deux fois dans la
même journée, à deux endroits différents, ce qui est plus qu'improbable, vu la
vétusté du tube, vu le peu de temps que je traîne dans les shops ou les restos,
c'était un jour sans... A nouveau dans le marasme... Difficile de ne pas y voir un
suivi symbolique. On ne me laisse pas tomber sans doute. Je suis synchro avec
le présent pur, ce qui énervait prodigieusement mon ami philosophe. Il trouvait
suspect que je fasse des expériences « qui étaient dans l'air »,
comme si je les inventais. On avait pioché le satori dans le zen peu avant mon
illumination, et j'avais branché le même petit groupe sur Sri Aurobindo peu
avant 1977. Mes expériences arrivaient pile, en quelque sorte, pour confirmer
ce qu'on venait de découvrir, de là à penser que j'étais schizo, il n'y avait
qu'un pas pour lui. C'est peut-être une forme de « pouvoir », mais
étrangement, c'est un « pouvoir passif », ce que le mental blanc a de
la peine à imaginer. Le pouvoir passif existe bel et bien, et il vaut son
contraire. Le pouvoir passif ne fait rien, mais il attire les événements. J'ai
dû naître avec cela, et c'est une des causes essentielles qui expliquent ma
précocité spirituelle. Je pourrais en dire plus, mais une phase de ma vie ne
peut pas être dévoilée, cela comporterait un risque pour moi. Ce que j'ai pu
attirer comme événements extraordinaires qui m'ont permis d'avancer à grands pas,
c'est quasi incroyable. Pour plus tard, les gourmands.
Le pouvoir passif,
finalement, subit ce qu'il attire, même si cela lui correspond. Il ne cherche
pas à contrôler ni dominer, mais à comprendre l'énergie ou la conscience qui
vient à sa rencontre. Bien sûr, cette capacité possède des inconvénients, comme
par exemple tomber follement amoureux, c'est le prix à payer, et cela a été
très difficile pour moi la première fois, puisque ça tombait sur un garçon. Vu
la force de la chose, la sexualité partagée jusqu'à un certain point aurait dû
en découler, ça ne s'est pas produit, mais comme cela ne m'est arrivé qu'une
fois et qu'aucun autre mâle ne m'a attiré, je crois qu'il y a quelque chose
au-dessus de la sexualité, qui éventuellement l'emploie de manière symbolique
en quelque sorte, et cela a fait couler beaucoup d'encre. Et ce truc, je me
répète à loisir, est indéfinissable dans son origine. Son effet, on le connaît,
l'autre prend toute la place, et son corps y contribue, mais le début du
commencement, ou que ça se trouve ? Mystère et boule de gomme pour moi,
voilà pourquoi je suis assez de l'avis de Brassens : « Parlez-moi
d'amour et je vous fous mon poing sur la gueule, sauf votre respect bien
entendu ». Le désir, le besoin, et plus x facteurs se mélangent, tout ça
devient un, et quand ça se barre,( c'est-à-dire que l'autre se tire),tout
s'écroule, et la présence de l'absence peut s'emparer du cerveau. Qu'on ne me
dise pas qu'on « connaît » l'homme, ou que la psychologie existe. On
n'y voit goutte. On peut brosser des cartes, avec des ça, du moi et du surmoi,
ou équilibrer la néguentropie de la matière grise du cortex avec l'entropie des
cerveaux limbiques et reptilien, le fait est que le sujet perçoit et qu'à la
moindre erreur, son appropriation du perçu part en brioche. Que l'erreur tire
vers la faute ou pas, que les choses néfastes semblent accidentelles ou qu'on
les ait quelque peu attirées par un manque de vraie responsabilité, peu
importe. Le gratifiant a la fâcheuse habitude de se débiner, avant qu'on ait
compris pourquoi. Puis le subconscient traite la chose, et on souffre.
« Les deuils »...
Les vrais muslims ont tout résumé, tout
compris, et leur mot de passe est souverain : Inch'Allah (plus une autre
expression qui revient au même). La formule dit tout, absolument tout. En fait,
il n'y a rien à rajouter, et je vous le dis, mes bien chers frères, car nous
sommes tous unis au-delà des images de Dieu dans sa souveraine exhaustivité. Inch'Allah
veut dire,
quoi qu'il arrive, on s'en branle, si tu
aimes Dieu, tu récupères tout, absolument tout. Tu perds ce que tu as de plus
cher au monde, vise la chance que tu as, cela te masquait Dieu. Laisse ton
cerveau se faire son cinéma, pleure, fais ton deuil en te roulant par terre le
temps nécessaire, terrassé par la douleur. Au bout de tout ça, tu verras que
Dieu t'a fait un immense cadeau.
En-dehors des cas extrêmes comme les
génocides, que les fous de Dieu n'avaient pas prévu au programme, la formule
fonctionne. Le problème, c'est que le muslim moyen qui se voudrait supérieur et
bénificier d'une appellation contrôlée, prend au pied de la lettre la sentence,
s'arroge l'autorité divine, et envoie des avions de ligne se balader dans des
tours, qui n'y résistent pas, car elles n'arrivent pas à échapper aux lois physiques,
ce que n'avaient pas prévu les amerlocks qui croient pouvoir tout tourner à
leur avantage, puisque Dieu apparaît même sur leur monnaie. Non, les bœings ne
sont pas ressortis de l'autre côté comme si de rien n'était, en esquintant
juste un ou deux étages vides au passage, dans un numéro spectaculaire de
voltige aérienne destiné à rapprocher les peuples. « Cela s'est effondré,
zut alors, les prochains trade center, on les construira pour résister à
l'impact des avions, ca coûtera un maximum de pognon, mais ça créera des
emplois, et on va se faire un paquet de fric avec cette nouvelle architecture,
dans la foulée, on cherchera à faire anti-tremblements de terre, pour
l'exportation et la Californie. On a besoin de ben Laden, finalement. Depuis le
temps qu'on récupère le subversif, on va pas se laisser impressionner par deux
malheureux bœings qui se trompent de trajectoire, on a déjà un alibi pour
l'Irak en noyant le poisson, mais l'amortissement est encore trop faible. On
fera front, nananère, Dieu est avec nous, avec nous d'abord, encore qu'en ce
moment il se relâche, vu le taux du dollar, comment le rappeler à
l'ordre ? Nous sommes les gendarmes de Dieu, peut-être qu'il faut faire
mieux notre boulot pour remonter dans son estime. »
Cela a le mérite de piquer au vif la
flagornerie américaine, le 11 septembre, mais au prix de centaines de morts, qui
ne rachètent même pas l'éradication distraite des peaux-rouges, car il ne
s'agit pas d'une bataille navale, l'Histoire. Si toutes les vengeances étaient
accomplies, il ne resterait plus personne debout. § Je me régale enfin avec un
B.H.L, american vertigo, qui dispense d'un voyage aux states. Belle
économie, sans dec.§
«Tout est la volonté de Dieu » peut
être compris à contre-sens, tellement de travers qu'elle détruit tout sur son
passage, cette «volonté», les actes terroristes en constituant
l'illustration. Tout est la volonté de Dieu, okay, je peux donc y ajouter la
mienne pour me mélanger à celle d'Allah.... Cela revient au même, pensera le mytho,
aux antipodes de l'exalté du cœur. Of course, ce n'est plus du tout le même
business. La volonté de Dieu, plus ta griffe perso qui renchérit, et qui en
fait trop, comme d'hab, ce n'est plus la volonté de Dieu, mais ça t'arrange
bien de le croire, puisque tout lui revient, autant y ajouter ton grain de
folie. L'Inquisition est tombée dans le même panneau, les Croisades, c'était du
pareil au même. Les hindous trichent aussi avec ça, de mille manières
différentes selon ce qui est en cause, du droit sacerdotal conféré par les
dieux supérieurs à la caste des brahmanes, puante de suffisance, jusqu'aux
adorations étranges et perverses de divinités noires, qui ont soi-disant un
rôle à jouer. Sans compter les pénalités karmiques ridicules que des
astrologues chevronnés vous enfoncent dans la tête, sur simple lecture de votre
horoscope, et en se moquant éperduement de ce que vous êtes : ils
prétendent déceler la volonté de Dieu Lui-même dans les boulets de Saturne et
les maisons exigeantes des nœuds lunaires (qui doivent bien tomber quelque part),
comme si vous n'étiez rien d'autre qu'un pion sur un échiquier cosmique où tout
serait joué d'avance : vous n'êtes qu'un robot biologique programmé pour
obéir à des manœuvres imprescriptibles, et en plus vous payez pour vous entendre
dire que vous êtes enchaîné, et que le mieux est de jeter les outils pour vous
libérer, afin de rester fidèle au destinchaos qui vous plante dans la vie.
Lamentable !
Pour un peu, on devient fou avec cette
histoire de volonté de Dieu, exhaustive, puisqu'elle justifie les pires
égarements, et qu'on ne peut pas en faire l'impasse non plus. Il faudrait donc,
par exemple pour venir à bout du terrorisme sacré, s'acharner à démontrer à
toutes les recrues qu'il est question d'une volonté «passive», et
que la volonté «active» de Dieu ne se manifeste que sur le plan
direct, c'est-à-dire transcendant, (soit donc purement énergétique ou
surmental), mais que, dans tous les autres cas, c'est une volonté indirecte,
parasitée par des forces en aval, qui la corrompent, comme la nature, qui, pour
aussi fantastique qu'elle soit, n'est pas une émanation divine. Elle peut
éventuellement rattraper l'Esprit par l'augmentation de la conscience dans des
espèces intelligentes, dans une galaxie ou une autre, c'est notre projet, mais
la nature ne procède pas de Dieu, sinon elle serait meilleure of course, et Sri
Aurobindo dans Savitri et mezig avec ma théorie des survivances dynamiques, on
serait à côté de la plaque.(Et les créationnistes auraient raison !).
S'imaginer que « Tout est la volonté de
Dieu » dans le sens qu'Il a mis de l'intention partout, Son
intention... Aussi bien dans les moustiques que dans les avatars,
c'est naturellement une absurdité. Cette absurdité a frappé au dix-huitième
siècle les esprits intelligents d'Europe, et une nouvelle culture a vu le jour.
Jusqu'à cette époque, Dieu ressemblait à big Brother car le christianisme, vu
qu'il avait été récupéré par des barbares d'exception, les romains, ne pouvait
que contaminer leur propre esprit dans l'Eglise, qui n'a donc pas pu être
sauvée par les hommes de bien qui la gagnaient. C'est presque une constante
dans les religions de soumettre les peuples par la crainte, qui finissent par
croire au bien et au mal, qui, comme par hasard, sont beaucoup moins prégnants
dans des cultures où la vie se développe sans que personne, caché au fond du
ciel, ne la juge. (Une des grandes forces du bouddhisme est d'avoir réduit le
manichéisme à sa plus simple expression). Malgré la formule, « ne jugez
pas et vous ne serez pas jugé, » ancêtre conceptuel de la psychologie
transpersonnelle, qui guérit par le pardon, la crainte du jugement de Dieu
anime encore le christianisme, et surout l'islam, dont les paroles les plus
hermétiques, que seuls les consacrés comprennent, servent de prétexte à des
malversations.
On ne récupère pas la volonté de Dieu.
Pourtant, aujourd'hui, certains dirigeants et terroristes se la disputent comme
deux chiens affamés un os encore saignant. Il n'est pas déplacé de douter de
leur santé mentale, ni d'évaluer combien de victimes, pour la énième fois, vont
faire les frais de cette mégalomanie partagée des hommes au sommet.
La formule ne peut pas être appréhendée par le
mental, sans une réflexion ni de nombreuses prises de conscience sur certaines
différences, qui fondent l'existence elle-même, immanence/transcendance,
actif/passif. « Le Divin est dans tout » n'a de sens que pour celui
qui perçoit les choses ainsi, et c'est le fruit d'une extraordinaire ascèse,
qui projette hors de l'humanité. Pour le moment, peu y parviennent. Ce n'est
pas conceptuel, c'est un plan de conscience, et, de là-haut, révéler que
Tout est le Divin n'a pas d'autre but que de préparer le terrain pour obtenir
cette vision exhaustive, que seule une sadhana absolue peut fournir, ou un amour
de feu pour Dieu, peu commun. La représentation intellectuelle de la chose n'a
aucune portée pratique, puisqu'elle amalgame toutes les couches, compresse tous
les systèmes dans un totalitarisme sacré absurde ; alors que la formule,
parce qu'elle a été expérimentée, permet au mystique de justifier l'ensemble de
la Manifestation comme étant une œuvre de la Conscience, jouissant d'elle-même,
au-delà de son statut contingent, limité par la nature, et devenant capable de
l'améliorer, par l'amour et sa contagion difficile, dans des délais à l'échelle
divine, qui mettent à l'épreuve la foi des humains.
« Tout est le Divin » ok, c'est
toujours très mal interprété, et seule l'expérience montre ce que cela veut
dire, vous n'êtes pas passé par là, contentez-vous de souhaiter cette unité qui
vous manque, et différenciez vos actions, les inspirées, les normales, les
mécaniques et les régressives, voir que tout est le Divin, dans l'état
correspondant, c'est possible, mais c'est une perception très rare, qui n'a
aucune chance de se manifester avant une reddition au Réel, qui est aussi le
Divin. C'est le chemin du nombre à démystifier, la voie... l'unité n'est pas
donnée : elle est au bout du chemin, quand se brise le mental. D'ici là,
plus il prend les choses pour ce qu'elles sont, mieux il se situe, plus
l'articulation moi-non-moi s'approche de la justesse. Souvent, comprendre de
travers est pire que ne rien comprendre du tout, puisqu'on s'appuie sur quelque
chose pour se tromper. Comme à Auroville, où quelques pédants
« savaient » que le Divin est en toute chose, mais sans le voir à
partir de la vision divine elle-même, Vasudeva, et qui pervertissaient
totalement leur perception en pérorant avec une suffisance qui me faisait physiquement
mal. Avec cet argument récupéré par leur mental générique, révisé 68, certains s'autorisaient
ainsi à tolérer pour eux-mêmes la culture de survivances dynamiques éhontées,
au motif que « tout est le Divin ». Il y a peut-être encore un
pédophile haut placé à Auroville, des fumeurs invétérés au profil bas, sans
doute quelques faux tantriques, des fortunes faites sur le dos des indigènes, et
beaucoup de personnes assez convaincues de la qualité de leur être pour
utiliser des pouvoirs et parvenir à leurs fins. On y plume le passant depuis la
disparition de Mère, la seule institution finalement. La plupart s'imagine
qu'Elle les soutient quand même, ça ne mange pas de pain. Les vrais yogis
d'Auroville ont d'autant plus de mérite à avancer dans cette mer de mensonges,
et je pense qu'il y en a quelques-uns malgré tout. En faisant de l'expression
« tout est le Divin » le dogme de cette société, le fanatisme
frappait à la porte qui lui était grande ouverte, et où il s'invitait avec les
honneurs. Par une cascade d'extrapolations infinitésimales, mais permanentes,
tout est le Divin a glissé dans l'immanence la plus triviale, et se
transformait finalement en « tout est permis », ce qui est devenu la
règle, contraignant même Satprem à déménager une équipe de travail.
Le spectacle continue, au demeurant fort
sympathique, puisque chacun vit sa vie, au sens fort du terme. Uranus s'y fait
les dents sur tout le monde, autant dire qu'Auroville est invivable, mais cette
« cité » usurpe ses prérogatives si elle laisse entendre qu'elle
représente « le yoga de Sri Aurobindo »... Je ne juge personne, mais je
ne peux pas laisser dire que la réponse administrative sur le formulaire
d'inscription à Auroville : je viens pour faire le yoga de Sri
Aurobindo soit autre chose qu'un vœu pieux, loin d'être nécessaire et réel,
vu que l' anarchie et le système D (on y voit l'empreinte de la grande
communauté française) gouvernent. Sans retourner le couteau dans la plaie, on
peut aussi envisager que ceux qui sont vraiment venus pour cela, non seulement
se sentent indésirables, mais finissent pour la plupart par s'en aller. Le
Divin ne semble pas faire grand cas de ceux qui lui mentent pour L'obtenir,
contrairement à certaines femmes, flattées qu'on invente pis que pendre pour
les avoir, ou bien qu'on aille jusqu'au duel, ce meurtre mise en scène par
l'honneur. Il faut dire que le Divin est purement immatériel, et que les
techniques de séduction les plus raffinées n'ont aucune prise sur Lui.
Et on retrouve cette folie partout, c'est une
contagion universelle, la récup du Ciel à des fins délétères, à partir d'un
topo sur la volonté de Dieu, que le mental imagine bientôt omnipotent, ce qui
ne veut rien dire du tout, puisqu'on ne peut connaître que par identité. Seule
une personne omnipotente pourrait juger de cet attribut de Dieu, et comme nul
ne l'a jamais été, cette « omnipotence » n'est qu'une projection
pathologique, un amalgame qui combine plusieurs intuitions en les dénaturant
toutes dans un seul signifiant qui en fait une bouillie. Non, Dieu ne s'immisce
pas partout, Il ne peut pas grand-chose dans les juridictions qui ne sont pas
les siennes, Il ne se mêle de presque rien, mais le mensonge des religions
consiste à faire croire que si, pour vous mettre dans la confidence de la
totalité et vous sentir moins écrasé par le ciel. Même ce pauvre Blaise a
pédalé dans la choucroute, pourtant ce n'était pas la moitié d'un imbécile,
avec le jansénisme. Comme quoi, le mental méfie-toi, il est là pour t'embobiner
dans des représentations en abîmes, mais les miroirs face à face n'ouvrent sur
rien, mon chéri, pure illusion d'optique, constructions en abîme telles des contrefaçons
minables de la sensation de l'Infini... Sensation par ailleurs disponible partout
pour un cœur pur, un esprit vulnérable, une âme fine, dans la méditation,
l'amour indistinct, bien sûr, la contemplation sans objet (le grand angle
eye-fish à trois-cents soixante degrés)... Mais sensation dispo y compris dans un
excellent carré de chocolat noir, (je revendique perso), si la synchronicité
s'y prête, et d'autres circonstances que je préfère éviter de nommer de peur
d'y encourager certains.
L'espèce humaine s'entraîne à se délecter des
représentations qui la dispensent de toucher les choses dont il est question,
et comme cela je l'ai vu plutôt que pensé, je vous en ai infligé le spectacle
dans feuille de route. For exampeul, la prière n'est qu'un appel
fragile et humble qui contrefait la connaissance de Dieu, mais, en remplaçant
la quantité par la qualité, on croit parvenir au même résultat, et certains forcent
donc les litanies jusqu'à péter les plombs, ou bien, les rites prennent de
l'importance, et le moment s'enferme dans ce qu'il doit être, ce qui
m'horripile depuis plusieurs existences. On ne remplace pas davantage la voie
spirituelle « pour de vrai » par la mise en pratique, même
minutieuse, rationnelle et sérieuse, des recettes qui la représentent, comme en
témoignent des centaines de professeurs de yoga dans le monde, pas plus
consacrés à la vérité que quiconque d'ordinaire, mais qui améliorent leur
médiocrité intérieure en la dorant sur tranche. Avec eux, on a l'iimpression
d'avoir des enfants qui jouent « pour de faux », mais qui ne
l'admettront pas pour jouir au max du personnage tourné « connaissance
cosmique ». La « consécration », hélas, trois fois zélas, ne se
simule pas. Elle est très certainement un acte intérieur, de soumission au
réel, qui arrive ou n'arrive point, mais c'est beaucoup plus profond qu'une simple
implication volontaire, ou le vague sentiment, encore opportuniste, d'une
nécessité supérieure, dans laquelle c'est encore le moi qui cherche à tirer son
épingle du jeu. Il m'arrive donc de rencontrer sur le web des individus qui
s'imaginent être dans une voie spirituelle, alors que c'est faux, vu qu'ils
n'ont pas encore intégré la radicalité du mouvement. Et, naturellement, selon
le syndrôme de l'expert dont je causerai juste après, plus ils ont
d'arguments pour se donner le change, plus ils font fausse route, plus ils y
croient à leur voie.
Ce qu'ils y ont engagé n'est que le
prolongement supérieur de leurs illusions, soumettre l'invisible après avoir
soumis le contingent, mais le grand pas, le vrai, l'arche n'a pas été trouvée, le
seuil n'a pas été franchi, celui où l'on ne peut pas revenir en arrière, quoi
qu'il advienne. Il faut une cassure, une brisure, un passage d'une
profondeur que peu soupçonnent, et une énorme disponibilité à tout ce qui va
démentir ce que l'on croit être... En tout cas, si l'on s'intéresse au
supramental. Certes, des voies moins exigeantes visent simultanément un bonheur
assez convenu et quelques lumières dociles pour l'accompagner, mais le projet
divin exige plus.
Ouate canaille doux ? La spiritualité
lénifiante ne mène pas loin, elle constitue un romantisme de luxe, un rêve
éveillé à vivre avec le cosmos. La vraie, elle torture un bon moment, elle fait
exploser le moi en plusieurs moi qui tendent vers des objets incompatibles, et,
si on ne va pas jusque-là, on se raconte des histoires en restant dans
l'homogénéité naturelle du caractère, réhaussé d'idéalisme, et jamais la
proportion des guna ne changera assez pour ouvrir des perspectives
transcendantales. Sri Aurobindo est formel là-dessus, dans lettres sur le yoga,
la sadhana, ce n'est pas de la philosophie endimanchée ni de la religion
supérieure. C'est un combat. Il faut manquer de Dieu (soit de la Conscience) pour
avoir une chance de l'approcher, et encore faut-il que cette lacune soit
sincère, car rien n'est plus à la mode, en Inde par exemple, que de manquer de
Dieu : ça vous pose un homme à soixante ans. C'est plus distingué que de
manquer d'argent. Le Nouvel Age aussi, préfère la réussite spirituelle à la
réussite matérielle.(Réussite spirituelle est un oxymoron, ce qui pourrait
faire l'objet d'un nouveau dossier, car l'éveillé n'a rien réussi du tout, son
statut est hors de la dualité échec/réussite, et il ne s'attribue pas sa
condition, puisqu'elle est donnée par l'univers).
LES
POTENTIELS ITINERAIRES.
Dieu, plus on Le connaît, moins on en parle, mais
il est impossible de passer sous silence les potentiels itinéraires qui
aboutissent à Son Mystère, puisque tous ceux qui les ont empruntés les ont
rendu au Seigneur, pour effacer leurs traces et laisser libre chacun de les
écouter ou non.
Ils fondent l'hypothèse d'un homme-être, délivré
du péché de l'homme-paraître abonné au mensonge, privé de la souffrance de
l'homme-avoir, toujours frustré de son prochain achat, et libéré des limites de
l'homme-animal, toujours nuisible à l'autre par l'intimidation et l'abus de
pouvoir, et nuisible à lui-même par la crainte de la mort. Le chemin libérateur
doit être inconnu pour ne pas être formel ni mécanique, ni avalé par le désir,
ni suivi en somnolant. Aussi la seule caractéristique de l'itinéraire suprême
est-elle qu'il s'agit d'une confrontation entre le moi et le non-moi au sein d'incertitudes
flambant neuf, d'interrogations cardinales, de choix ternaires, de moments
parfaits et ronds, ou pentagonaux et créatifs, mais aussi de phases plus que douteuses,
avec des séries d'atermoiements... Quelques rares privilégiés peuvent se dispenser
peut-être de souffrir, encore que ce soit une erreur de manquer, le cas
échéant, les rendez-vous avec la douleur, quand ils se présentent,
puisqu'immanquablement, elle soulève un voile, découvre une limite, pointe
une imperfection.
Les réalités quelque peu profondes s'échappent
de leurs signifiants, et c'est pour combler leur débandade hors de leurs
représentations que la poésie existe. Elle veut emprisonner le contenu dans le
contenant, et quelquefois, ça marche. Certaines phrases dégagent plus que du
sens, et restituent davantage, l'aura de la chose évoquée. Elles campent les
Idées de telle manière qu'elles deviennent visions. Mais même cela n'est pas
une panacée. Arthur en a fait les frais, comme Artaud. Il ne suffit pas de
trouver le signifiant adéquat au signifié, il faut encore goûter le signifié
lui-même, remonter du mot à sa source, du sens à l'expérience. Les signifiants
ne sont que des carcasses, « Dieu, liberté, amour »... De simples
coquilles vides, des squelettes qui ne renvoient à rien d'autre qu'au manque
d'expérience que l'on a de leur objet, mais qu'on simule par le discours, ou
l'élan vers, encore bourbeux.
Tout est la volonté de Dieu à condition d'en
sortir, et de faire du peu de liberté qui te reste le moyen de Le rejoindre.
On en vient à se branler en se répétant du
matin au soir que tout est la volonté de Dieu, ou que tout est le Divin, et on
finit par faire n'importe quoi. Le sens exact est au contraire très discret, et
d'une exigence poignante. Il pose la suprématie du Tout insécable (Tao) comme
acteur essentiel, et cela exige du sujet, de l'homme, de l'évoluteur, qu'il
accepte cette souveraineté, en dépit des apparences trompeuses, où elle semble
parfois adverse, ce qui dissimule sa légitimité si l'on n'y prend garde. « Dieu
ne peut pas être contre l'homme, donc, accepte tout ce qui t'arrive et Dieu
sera avec toi. » Voilà où se rejoignent islam secret, taoïsme,
certaines branches mystiques de l'hindouïsme, témoignages de saints chrétiens, et
alchimie supérieure. Tout arrive par la volonté d'Un Seul, et c'est en
comprenant l'intention transcendante de la Manifestation qu'on en découvre l'aspect
divin, sans s'épuiser à aller contre l'ordre apparent des choses, figé dans des
structures et des mémoires. L'immanence masque le projet conscient de
l'évolution. Dans l'ordre apparent, régi par l'humanité obscurcie par la nature
matérielle, le Sens n'apparaît pas et la vraie justice fait défaut, comme
l'atteste la huitième carte du tarot (ce qui fait que tout s'écroule à la
seizième, l'illumination arrivant à point en dix-septième place, récupérée par
le monde contingent en dix-huitième, jusqu'à l'équilibre en dix-neuvième, qui
prépare la nouvelle naissance du vingtième stade, qui donne sur la sycnhronicité
pure du vingt-et un et l'Inconnaissable du stade zéro ou vingt-deux).
Ce qui est vraiment juste n'a jamais été de
l'ordre social, culturel ou religieux, puisque les règles tuent l'esprit, grégarisent
le peu d'élan créatif de l'esprit individuel pour que tout le monde entre dans
le rang du système il faut, il faut pas. Accepter l'imposture collective, qui
nivelle et décapite ce qui est supérieur, et chercher la justesse en soi,
d'autant que nous ne sommes pas entièrement maîtres des conséquences de nos actes
qui se diluent dans l'altérité, qui en reconnaîtra peu ou prou la valeur. C'est
finalement la seule voie pérenne qui réunit le sage dévoué à la connaissance et
le saint dévoué à l'Esprit, la voie intérieure, aussi bien du kabbaliste
délivré de l'envie de pouvoir, que du mystique, de l'alchimiste ou du jnanin.
Ils se rejoignent dans l'au-delà du discours, après avoir brisé tous les codes
d'interprétation du réel inculqués par leur histoire et leur mémoire. Ils ne
font pas semblant de plonger dans une autre vision, ils n'apprennent pas une
nouvelle langue toute faite, ils sont obligés de la créer à leur mesure, pour
leur propre entendement, sans modèles, sans figures, car le travail de fond
remonte toujours plus haut que là où la pensée se forme, et c'est dans cette
seule concrétude d'un changement de perception que le vrai Moi se révèle,
indépendemment de toute érudition, de toute culture sacrée, de toute
application formelle d'une méthode ou d'une pratique. Ils vivent leur exploration contre vents et marées, maudits ou accusés, rejetés ou seuls. Cette
imposture collective n'empêche aucune percée transcendantale, elle est seulement
ce qu'elle est, un système hypnotique, et il n'y a rien à redire, sinon s'y
dérober si possible, ou y jouer son rôle sans s'identifier outre mesure, ou
intervenir pour l'améliorer par n'importe quelle action humanitaire au sens
large. Le temple est à l'intérieur, et plus il est connu, plus il supporte les
tremblements de terre, car ses fondations ne cessent de s'enfoncer davantage
dans le réel immuable.
Il vaut mieux supporter les tremblements de
terre
que se mettre en quête de trouver le moyen
de les empêcher,
mon cher Mily. Puisque vous vouliez une parole
d'un mètre.
14 Juillet 2008
Une des choses les plus remarquables qui se
confirme, et qui je l'avoue, parvient encore à m'égratigner, c'est que la
connaissance existe bel et bien, presque partout, encore vivante. C'est le
manque d'intérêt pour elle qui me surprend, son désaveu, et cela s'applique
aussi à ma personne. N'étant pas introduit, on ne se donne même pas la peine de
me répondre. X, qui avait publié un livre sur Satprem, ne me répond pas plus
que le troisième millénaire, « guérir par l'éveil » n'est pas
assez construit pour qu'on le publie chez différents éditeurs, et on me
reproche même de faire ni de la psycho, ni de l'astro, les étiquettes devant
bien rester étanches, afin que les œillères nous indiquent le chemin.
M'acharner a répéter qu'il n'y a qu'une chose
d'essentiel, l'articulation du moi sur le non-moi et réciproquement, qui
constitue le modèle le plus épuré de la nature humaine, renvoie sans doute
trop directement le lecteur à la faiblesse ou à la mécanique de sa propre
articulation.
Il y a des résistances naturelles pour éviter
de voir ce que ça implique, et mes détracteurs, chez les éditeurs, utilisent
leur érudition comme un bouclier. En premier lieu, oui, reconnaître que le moi
est infiniment si petit par rapport au non-moi qu'il gamberge sans arrêt s'il
ne prend pas acte de la supériorité du Tout sur lui-même. D'autre part, je ne
découpe pas le non-moi en morceaux, ce qui nous rappelle notre réalité
essentielle, et empêche de se réfugier dans un segment, « Dieu »,
« ma liberté », MA voie...(Elle me coûte assez cher comme ça, c'est
pas toi qui va me dérouter, Nat, ou alors tu dois donner +).
Nous sommes encerclés par le temps et
l'espace, c'est largement suffisant comme observation fondatrice d'une bestandwrong
(néologisme pour parler d'une vision du monde référentielle). N'ayant ni
l'un ni l'autre de limites, ils nous assiègent par leurs propres modes, et nous
pénètrent malgré nous. Avant de nous imaginer être confrontés à Dieu, qui
traîne toujours dans un coin où qu'on naisse, confrontés à la famille,
confrontés à la culture, nous sommes d'abors traversés par le temps, qui, selon
comment qu'on causera avec lui, ouvrira ou fermera la porte du dialogue avec
papa-maman, l'ogre, le père noël et le dieu créateur. (Pauvre Natarajan,
pensera l'imbécile moyen, il divinise le temps! Après Sri qui glorifie la
vie, c'en est vraiment trop !)
Si nous ne voulons pas fabriquer n'importe
quelles mémoires, d'autant qu'elles s'incrustent, notre rapport au présent
devient plus vigilant, si nous ne voulons pas rêver un avenir qui se dérobe,
son point d'appui devrait se trouver dans un présent quasi parfait, qui
supportera (éventuellement) d'être prolongé. Mais comme l'être humain constitue
une vieille créature qui se survit à elle-même, à travers la génération, elle a
pris l'habitude de ne pas se laisser démonter ni intimider par le champ, auquel
elle ne demande finalement qu'une chose, qu'il comble ses attentes. La réalité,
pour chacun, n'est que le segment de ce qui l'arrange, mais le supramental ne
voit pas les choses ainsi.
Au sommet du non-moi, « Dieu » est
récupéré à toutes fins utiles, et doit fournir ses faveurs au dévôt, au milieu
du non-moi, l'autre doit procurer de l'amour, et dès qu'il cesse de le faire,
il est attaqué, comme s'il devait obéir à sa première impulsion ad vitam
aeternam. L'homme moyen s'attache aussi à son espace propre et peine à
s'imaginer que l'étranger vit à peu près la même chose que lui, sous un autre
climat, avec seulement une élasticité certaine mais limitée, dans les formes de
la morale et du politiquement correct. § « Le fait que tout le monde
déteste le peuple "d'à côté" tient presque de la donnée universelle en
anthropologie». Nigel Barley.§ On peut passer du patriarcat au
matriarcat, comme dans une région de Sumatra, mais c'est finalement le pôle
seulement qui change, le principe d'autorité demeure. On peut passer de la
religion au communisme, mais dans les deux cas, au nom des règles elles-mêmes,
le principe lui-même est bafoué. Comme a commencé à l'établir Lévy-Strauss (dont
je me félicite d'avoir acheté les œuvres dans un nouveau la Pléïade la veille
de mon départ), des structures analogues sous-tendent les sociétés humaines, et
pratiquement, sur bien des points, seuls les accents diffèrent. Les
particularismes existent, soit, en affinité avec le mental en question, mais,
même eux peuvent révéler de profondes convergences.
Le non agir de Lao-Tseu rejoint la table
d'Emeraude et les prescriptions soufies, et enfin l'injonction aurobindienne,
pratiquement impossible à suivre à la perfection : seul le Divin doit
décider en nous. C'est bien que le moi s'oppose, par définition, à l'action
divine directe en lui, par son comportement naturel, une force de résistance
dont il n'est pas directement responsable, mais qu'il peut contrer par amour de
l'Esprit. C'est bien que le Divin doit être conçu comme extérieur à la nature,
dans un premier temps, et supérieur au mental, pour permettre au sujet de
trouver un autre levier décisionnel. Il s'agit donc de traverser des
déterminations d'une part, et de développer des intentions d'un nouvel ordre,
qui seules peuvent transformer le mental, par un long apprentissage qui
consiste à orienter l'activité de l'esprit vers des objets inhabituels,
informels, longtemps insaisissables, hors de portée des opérations rationnelles
et imaginatives, et hors de portée des sens. Par ce travail, le cerveau change
ses modes de combinaison d'associations d'idées, les hiérarchies de ses
priorités, et il devient donc un instrument souple, que se partagent la nature
et l'intention transcendantale, qui en soulève le fonctionnement générique. Des
soubresauts se produisent, des combinaisons hybrides apparaissent, puisque la
nature ne veut pas « rendre » à l'intention divine son vieil
instrument de prédilection, le cerveau qui synthétise tout, à savoir
« quid entre le moi et le non-moi ».
Il est vrai que le reliquat d'ego peut
profiter, au début du mélange nature-intention divine, pour chercher à séduire
« Dieu », et c'est ce qui arrive généralement, aux saintes
chrétiennes. Leur amour étant mélangé au départ d'un désir personnel
d'appropriation du Seigneur, il leur faudra des années pour comprendre qu'Il
refuse leurs avances, et ne se donne qu'à partir d'une reconnaissance de son
être à Lui... Plus forte que la reconnaissance que l'on éprouve vis-à-vis de
soi-même. Certaines y parviennent.
Je présente le don de soi dans mes œuvres
comme une nécessité, pour qui lorgne le supramental, et je le dis sans
fioritures émotionnelles, ni même sentimentales. Ce qui désoriente, car le don
de soi est attribué à la mystique, et semble parfois absent des procédures
d'éveil qui visent la connaissance. Mais il s'agit encore là de
différenciations anciennes, qui ne résistent pas à l'action supramentale. Ramakrishna,
lui aussi, était un précurseur, et se disait bakta à l'extérieur et jnanin à
l'intérieur, ce qui est à peu près l'inverse de ma propre condition.
L'évolution peut aujourd'hui mêler des mouvements vrais pour le Divin, aux
caractéristiques différentes, dans n'importe quel individu, mais comme
l'élan « panoramique » est plus complexe en ce cas, davantage d'intelligence
est nécessaire pour ne pas tout mélanger, ce qui réhabilite et fonde la
réflexion comme condition sine qua non, comme stratégie.
Quand des tendances centrifuges et centripètes
apparaissent, aux formes parfois contraires. Le don de soi est très projeté en
avant dans la vulnérabilité, voire l'abandon, tandis que l'ascèse de la
connaissance requiert recul et distance, concentration, souvent solitude, et
parfois rejet même des satisafactions des sens. Ces mouvements n'ont pas à s'exclure
l'un de l'autre ni à rivaliser, chacun possède un caractère évolutif
particulier, un horaire sans doute, une meilleure adéquation au non-moi par le
mouvement du don de soi, une meilleure saisie de soi-même par l'ascèse de la
connaissance, qui fonde le mental dans le vrai Moi.
On peut donc apprendre à varier l'ouverture
et la fermeture selon les circonstances, et puis le
faire automatiquement, comme un photographe habile sait quand il doit changer
de focale. Le zoom et le grand angle ne sont pas compatibles en même temps, et
leur moyenne est l'objectif normal, qui ne voit ni de près ni de loin,
n'embrasse ni peu avec les détails, ni beaucoup avec un large arrière-plan, et
ne sait donc pas jouer avec l'espace et les mesures qu'on peut en prendre. C'est
rassurant de croire que l'objectif standard peut faire face à tout, mais c'est
faux. Le mental doit pouvoir pinailler et isoler, tout autant qu'il peut
s'effilocher et procurer des « visions d'ensemble » de problèmes, qui
sont révélatrices et non analytiques. Intégrer ce que le mental montre
constitue tout un art, d'autant que certains aspects de la personnalité,
parfois, refusent les vérités qui apparaissent.
Si le don de soi désincarne, ce qui est
incontestable, car le contact avec Dieu devient plus important que tout le
reste, c'est une vérité traditionnelle hors du cadre supramental. Car le
supramental, au contraire, cherche à incarner l'individu sans pour autant qu'il
renonce au don de soi au Divin, ce qui est absolument quantique, une fois de plus,
et même inédit, sauf peut-être dans de rares exemples de karma-yoga, et
d'authentique tantrisme, quasi introuvable. Par le passé, on perdait d'un côté
ce qu'on gagnait de l'autre. Les meilleurs des êtres se sentaient en-dehors de
l'existence, ou ne donnaient que quelques discours, comme les cailloux du petit
Poucet, pour établir qu'ils n'étaient pas parvenus par hasard là où les autres
n'arrivent point. Mais justement, parce que les meilleurs des hommes sont hors
de la vie, et que les pires gouvernent, la situation terrestre ne peut perdurer
dans un tel état. Le supramental constitue donc l'opportunité de développer la
conscience du Divin tout en restant parfaitement incarnés, c'est-à-dire
pleinement solidaires de la vie (vers une efficace divine plus convaincante que
celle des éveillés). C'est la vision même de Sri Aurobindo et la mienne. Notre
yoga change la vie, puisque elle est notre base, et nous ne prêtons pas aux
« problèmes karmiques » une importance délirante, tandis que le Soi
se subordonne à la Mère des Mondes.
Pour certains êtres, et c'est dangereux de
faire semblant, je ne le conseille pas, la différence entre immanent et transcendant
s'estompe, puis disparaît, encore plus exceptionnellement, et l'on peut
alors parler d'incarnation totale, où le haut n'aura pas servi à fuir le bas,
où le bas n'aura pas servi à renoncer au haut. C'est sans doute dans cette
navigation que peuvent apparaître les secrets de l'âme et que se joue le
pilotage décisonnel. Les guna travaillent alors, presque automatiquelment,
avec des tensions qui seraient intolérables sans un véritable amour du Divin.
Il faut pouvoir faire apparaître d'autres satisfactions dans le moule
biologique que celles qui ont été répertoriées et expérimentées, et elles
existent. Elles peuvent posséder un aspect fondateur, et enclencher des
processus irréversibles de reconnaissance absolue du réel. Les états de
conscience ainsi fournis sont d'une ampleur incroyable et d'une neutralité
parfaites. Voir sert à dépasser, avancer, progresser, dans un sentiment
indescriptible de participation absolue. La question de l'identité personnelle
ne peut plus se poser d'une manière lourde, et il y a même des moments où cela
n'a plus d'importance d'être un moi. Enseveli dans la perception pure, le sujet
est plus que lui-même sans même à avoir à se demander qui perçoit. C'est donc
bien que la conscience peut augmenter, et que le mental peut s'amenuiser, et ne
devenir qu'un simple traducteur de la perception, si besoin est. Il est inutile
de se libérer de la pensée, puisque c'est l'accroissement de la conscience qui
la libère, et cela ne provient pas d'une lutte contre elle. Il y a énormément
de laissés pour compte chez les krishnamurtiens, qui, n'aimant pas la
Conscience, mais amoureux d'eux-mêmes au point de rêver d'être meilleurs par
pur narcissisme, ou se demandant au contraire par simple devoir ét(h)ique
d'évoluer, se divisent maladroitement entre leur pensée et le reste, et se
perdent dans leurs propres labyrinthes, ou mieux, comme mentionné plus haut,
dans leurs constructions en abîme. Là où leur pensée renvoie au besoin de
non-penser dans une ronde infernale, leur nombril et leur cerveau se regardant
en chiens de faïence tout en asséchant le plexus solaire.
Aimez plutôt, c'est amplement suffisant. Le
dandy aimait la conscience, mais il ne l'a pas crié sur les toits, c'est tout,
pour court-circuiter les bénéfices secondaires émotionnels, plaie de sa patrie,
et ne pas finir récupéré avec son effigie prise en sandwich entre un Krishna
dégoulinant de bonheur et un Shiva avec la tronche de Rambo. Il voulait une
démystification absolue du non-moi par le moi, c'est un peu trop sec, peut-être.
Lao-Tseu, Sri Aurobindo et moi (entre autres) voulons l'inverse, une
démystification absolue du moi par le non-moi, l'ouverture inconditionnelle
dans laquelle le sujet s'oublie, offert aux étoiles, à l'idéalisme parfait, en
ne se préoccupant pas plus de son ego que d'une guigne. L'Histoire jugera la
meilleure stratégie, venir à bout du non-moi par le moi (Bouddha, le zen,
Krishnamurti, Gurdjieff for exampeul) ou venir à bout du moi par le non-moi (Hallaj, Jésus, Sri Aurobindo, Maître Eckaert, Ramakrishna). Qu'on absorbe
correctement le non-moi sans se (con)fondre, ou qu'il nous absorbe properly,
dans les deux cas, au terme du processus : moi=non moi, que je sache. Que
tu ailles radicalement au tout, ou que tu attires radicalement ce
dernier jusqu'à ce qu'il t'absorbe en conscience, c'est du pareil au même,
grosso-modo. (Mais ce n'est pas en restant le cul entre deux choses que tu vas
épuiser l'itinéraire, donc choisis quel est ton sens, de toute façon des
rencontres se produisent entre le Tout et le moi).
La participation exhaustive pèche par un
présupposé que Krishnamurti évite, puisque nous établissons, sans preuves,
l'existence du Divin. Personne n'est obligé d'admettre ce présupposé, mais le
Divin finira bien par vous avoir, Il ne tient absolument pas compte du fait
qu'on croie en Lui pour Se manifester. Et ses critères sont parfaits. Don't
worry.
***
L'autre argument de taille contre le paradigme
supramental, c'est la réhabilitation du devenir. Tous ceux qui ont fréquenté de
près l'hindouïsme, croisé le sillage de quelques maîtres, savent que le
« devenir », c'est de la roupie de sansonnet, dans la mesure où il
n'est que la perpétuation d'un présent vécu hors de la conscience du Soi. C'est
un point didactique très important, puisque si votre gourou vous persuade que
votre avenir n'a aucune valeur, vous vous attachez moins à vos projets et
conquêtes, vous prenez du recul sur les petits buts de l'homme ordinaire, et
vous avez davantage de chance de vous livrer au Présent sans arrière-pensée de
l'utiliser comme un faire valoir. Cet argument est doublé par une sentence
fatale, à savoir que tant que le moi fait des « expériences », c'est
le faux moi. Le Soi serait censé posséder l'individu à tel point qu'il ne
s'identifie plus à ce qui lui arrive, bien qu'il reconnaisse traverser
certaines situations, le moment extérieur étant, par définition, différent à
chaque instant, même si le moment intérieur, lui, demeure identique à lui-même.
Le problème ne se pose même plus de discuter la légitimité de cette vision, puisque
c'est le Divin lui-même qui réhabilite le devenir. Dans la mesure où le
corps charnel, périssable, bénéficie lui aussi, à son échelle, de l'infusion
de la vitesse atomique, c'est bien que le plan le plus matériel de
l'incarnation de l'Esprit, le purusha, l'homme, peut transformer le
temps lui-même, et la manière dont les cellules le vivent. C'est naturellement
le point le plus sensible de la révolution supramentale, car, à lui seul, il
renverse tellement de certitudes spirituelles, qu'on ne voit pas forcément le
yoga supramental dans le prolongement des autres réalisations, où le devenir
est méprisé. Satprem a développé cette branche du paradigme à fond, et c'est
vrai que c'est peut-être par cet aspect que le yoga supramental semble se
distinguer le plus de tous les autres. En ce qui me concerne, je confirme que
mon corps est passé par des milliers d'expériences inouïes depuis 1977, dont
certaines sont consignées dans un journal antérieur bientôt disponible, mais si
je n'insiste pas sur cet aspect, c'est pour les raisons suivantes : en
premier lieu, bien que certaines expériences soient absolument magnifiques,
gratifiantes et lumineuses, une bonne partie du travail consiste à encaisser
les résistances de l'animal à l'impact de la vitesse atomique, et ce segment
est parfois extrêmement pénible, c'est donc un secret entre le Divin et
l'instrument, qui ne peut en rendre compte en langage mental. Bien qu'il
souffre, il sent dans cette souffrance quelque chose d'un autre caractère, qui
lui fait « tenir le coup », sans même savoir pourquoi, et il atteint
donc des zones de conscience, parfois de survie, qui sont indescriptibles,
c'est-à-dire incommunicables. La souffrance est présente, et en même temps
transcendée, ce qu'ont dû vivre quelques déportés, mais est-il enrichissant de
se délecter de ces sortes de victoires sur le Mal, ou l'inertie fondamentale ?
Sri Aurobindo a également peu parlé de ce
qu'il vivait charnellement, tant cela nous semble (je crois pouvoir affirmer
une convergence sans le consulter) découler d'autre chose, notre besoin de
connaître le Divin. En second lieu, ce qui m'intéresse, c'est l'accès au
supramental, et donc de baliser le chemin, car il faut (des gens très propres
sur eux emploient cette expression trompeuse, mais elle a le mérite de ne pas
tourner autour du pot), puisqu'il faut quand même poser les conditions de cette
ascension, et j'ai le droit de dire comment on peut éviter de toucher le
supramental. En disant tout ce qu'il ne faut pas faire, je n'enjoins à personne
de faire ce qui est nécessaire, parce que cela, nul ne le sait, dans le fond,
ça reste théorique. Je connais tout ce qui empêche d'accéder au supramental,
mais cela ne me viendrait pas à l'idée d'indiquer le chemin qui y mène, premièrement,
parce qu'il serait suivi comme une simple carte routière, sans y mettre assez
du sien, et deuxièmement, parce que Sri Aurobindo a déjà tout dit
là-dessus. Lui, il a établi comment y parvenir, moi j'indique les fausses
pistes. De quoi vous plaignez-vous ?
15 Juillet 2008
Dans la rubrique Natarajan se lâche, ce
n'est pas un type sérieux, ses démêlés avec le syndrôme de l'expert
(développement impromptu d'une affirmation gratuite dans « feuille de
route ».)
J'ai souventes fois remarqué que, plus on
croit connaître une chose, plus on est affirmatif à son sujet, et moins on est
disposé à admettre qu'il puisse en être autrement. Plus on est pointu dans un
domaine, plus on risque de se l'approprier en déclarant ce qui est conforme et
en décrétant ce qui ne l'est pas. C'est assez renversant, mais c'est la loi du
mental. Tandis qu'un esprit intuitif peut assez facilement imaginer la validité
d'une astrologie transcendantale, surtout après simple lecture des référents
adéquats, ce sont souvent des astrologues purs et durs qui méprisent
l'astrologie que je pratique. J'ai ainsi une sorte d'ami qui excelle en
astrologie horaire, et qui utilise une gamme de critères adaptés à sa cause sur
les planètes, et qui s'appuie sur sa propre compétence pour dénier celle des
astrologues humanistes. On ne ressort pas indemne d'un contact avec lui,
puisqu'il transmet automatiquement l'écrasante vérité qu'il existe bien des
déterminismes à l'œuvre dans le champ du temps, au travers de structures
géométriques. Mais sa pratique, justement parce qu'elle est exemplaire dans son
propre cadre, le dispense de reconnaître d'autres validités, qui reposent
pourtant sur le même principe. Effarant. Pas davantage que l'attitude de ce
multiple médecin identique fabriqué en série par l'Université, qui croit que
l'homéoptahie ne fonctionne pas, ou qu'elle repose sur l'effet placebo. Une
personne qui n'a jamais touché à la médecine remarquera que ça marche, en dépit
du fait que la cause de l'efficace soit cachée, et s'en tiendra là. Tandis que
si l'on peut se prévaloir d'un conditionnement d'expert, on a des arguments
pour nier la vérité et l'évidence, d'autant que, en s'y prenant autrement, on
rivalise avec ce que l'on nie, et on le met de côté. Et ça ne s'arrête pas là,
quand on n'est pas un exégète des sutras ou des Ecritures, on peut assez
facilement laisser passer le message supramental, mais si l'on a le malheur de
connaître Patanjali par cœur, de réciter des haïkus en se levant, ou de
correspondre avec un maître traditionnel indien, « croire » au
supramental fait désordre, et toute la mémoire de la représentation de la
« Vérité », s'oppose au nouveau paradigme. Prajnanpad représentant le
sommet de la bêtise en la matière, puisque son autorité sape celle de Sri
Aurobindo. Il y a donc encore, même assez haut placés, des types qui sont
convaincus de représenter la Vérité, et qu'elle leur appartient. Par une grâce
particulière, je n'en ai rien à branler de ma réalisation, et je vois la vérité
où qu'elle se trouve, ma chienne Alizé, un York absolument fabuleux, a
d'ailleurs été le seul maître dont j'ai vraiment appris, in vivo, puisque je
n'avais pas rencontré d'éveillé humain jusqu'au soi, ni même après d'assez
convaincant.
Sur un certain plan, ce que dit Prajnanpad est
vrai, faut-il pour autant qu'il morde aux basques notre maître en
déclarant : « je ne glorifie pas la vie comme Sri
Aurobindo » ? Où est-il allé pêché que Sri Aurobindo glorifiait la
vie ? Savitri explique justement le contraire, que la vie ne s'en sort
pas, qu'elle tombe toujours aux mains de forces ténébreuses. Mais qu'elle a une
chance de s'en sortir...
Confronté à un problème d'indivision lors
d'une succession qui traîne en longueur, je consulte pour la seconde fois le
même expert agréé auprès du tribunal sur la valeur d'un bien, en l'occurrence
la villa de mon père, dont ma sœur aînée possédait par def la moitié. Il se
trouve que l'immobilier venait de faire un boom prodigieux, auquel le brave
homme ne savait pas faire face, avec ses prorpes critères. Trouvant sans doute
obscène de devoir augmenter la valeur du bien qui avait presque doublé en si
peu de temps, il n'a pas vraiment pu abandonner sa première impression, et le
chiffre qu'il a donné était si faible qu'il a été démenti par tous les agents
immobiliers, dont même le plus sévère rajoutait près d'un quart... Le mental est
donc magique. Il n'y a pas de valeur objective, et c'est donc à nous d'évaluer
à leur juste mesure les choses, tout en sachant que les critères des
spécialistes les enferment dans leur propre champ, qu'ils ne regardent jamais
qu'au zoom, puisque c'est leur truc.
Le principe continue de s'appliquer dans
d'autres domaines, les critiques s'éreintant à démolir des auteurs qui
n'entrent pas dans leurs normes du politiquement littéraire, comme ce pauvre
Bernard, qui d'ailleurs s'en fout, car il vend dans le monde entier des fourmis
qui pensent, ce qui en bouche un coin aux gens de lettres qui ont la trouille
des cafards depuis, étant donné qu'ils pourraient venir pondre dans leur
nombril en leur racontant un conte de fées. On passe sur le scandale des
avocats aux States, qui sont sur le point de devenir les vrais dirigeants du
pays, et dont la seule déontologie (mais c'est l'apothéose de la mise en scène,
en fin de compte, et tout finit en spectacle aux States) est la victoire. Ils
éprouvent plus de satisfaction à voir un assassin acquitté que de remords à
voir un innocent condamné. Dans l'art de noyer le poisson, les maîtres sont des
maîtres incontestables, et là aussi, on se demande de quoi les avocats sont-ils
des experts, dans certainses dérives culturelles, sinon de faire prendre des
vessies pour des lanternes ? Des proportions criminelles sont appliquées
à de simples bévues accidentelles dont il faudra rendre responsable le
malheureux auteur tandis qu'en sens inverse, les crimes de sang finissent dans
la rubrique des incidents techniques, comme s'il s'agissait d'une panne
d'ascenseur ou d'un pneu crevé. Un minuscule vice de forme dans la procédure
peut remettre en question le délit lui-même, il s'agit de monter en épingle
n'importe quel point de la forme pour intervenir sur le fond lui-même, et le
transformer, ce qui révèle plus de l'escroquerie que de la logique, mais à moins
que les romans policiers et les films fantasment, il y a du vrai là-dedans. Il y
a donc des experts qui se spécialisent dans la manipulation des formes pour
atteindre les principes eux-mêmes et les fracasser, les avocats yankees par
exemple, peut-être même les conseils juridiques, allez savoir quels articles
ils vont choisir pour vous cautionner ou vous débouter, et c'est encore la même
chose, avec les théologiens, experts en la matière immatérielle, les
« directeurs de conscience », des confesseurs dociles aux redresseurs
de torts de génie, avec encore toute la gamme des réformateurs, politiques,
religieux, bref, les experts nous embobinent, les exégètes nous prennent la
tête, en s'appuyant sur quoi, finalement ?
« Nous avons les moyens de penser à votre
place », moi je veux bien, mais qui vais-je choisir, vous n'êtes pas
d'accord entre vous, les gars ? Même en psychanalyse, tu as différents
courants, tu es obligé de te taper un freudien pur et dur, qui va trifouiller
ton œdipe et battre comme du plâtre ta mémoire, un lacanien radical qui te
montre le bout du tunnel à condition que tu veuilles bien y entrer, un jungien
qui t'approuve inconditionnellement, tu engages donc un psychiatre pour t'aider
à départager et t'appuyer sur du solide, tu guéris avec la synthèse des quatre,
au bout de trois ans seulement, disons, bravo, ça le fait, c'est un temps
record, mais l'addition te rend malade pour de bon, mon vieux, tu as dix ans de
crédit sur le dos pour payer tes frasques psychologiques. Et c'est là que tu te
rends compte que t'avais rien du tout, en plus. Maintenant que tu es malade
pour de vrai, avec ton ulcère, tu réalises que ta dépression était une manière
de t'accorder de l'importance malgré toi, car tu n'étais qu'un personnage qui
jouait à être heureux, sans connaître les tenants et les aboutissants de ton
identité, et ça devenait fatigant de frimer sans le savoir. Fais gaffe. Pareil
avec les gourous. Y en a qui te disent que plus tu fais d'expériences plus tu
te perds, d'autres disent exactement l'inverse. Tiens, trois ou quatre disent
qu'il faut aspirer à l'éveil, une floppée dit exactement le contraire.
Certains, le Divin, ça les fait rigoler, d'autres ne jurent que par lui. Moi,
les experts, je m'en passe, tu vois. Je préfère mes projections aux leurs,
elles sont plus adaptées, finalement.
Et ça continue. Chaque fois que je pense à
lui, j'ai envie de pleurer. Il avait soixante ans, était assez malade
physiquement, diablement seul pour un maître, et il me reçoit à Hardwar, à la
fin de mon année de probation manquée à Auroville. (Je suis parti de mon plein
gré, mais je fais de l'humour ce matin). Je ne me souviens pas de ce qui a
provoqué la rencontre avec Hashisananda. On se voit plusieurs fois, il
m'accueille avec condescendance et respect, ce que seuls les hindous savent
faire, entre parenthèses, les autres peuples choisissant une option au départ,
et voilà-t-y pas que tout y passe, nos itinéraires respectifs, la voie, le
chemin, la quête, l'itinéraire pour ceux qui ne s'engluent pas dans les
formes, et qui savent que tous les chemins mènent à Rome. Bref, une fois qu'il
a compris que moi aussi j'ai le Soi dans ma poche, puisque, en le regardant
bien dans les yeux je lui dis qu'il n'y a rien à atteindre, le respect
l'emporte d'une courte tête sur la condescendance, et on passe aux choses
sérieuses, bien qu'il en soit resté comme deux ronds de flanc. Je lui fais
comprendre que toutes les sensations que j'éprouve depuis près de deux ans sont
nécessairement dûes au supramental, mais il me trouve trop identifié à
Auroville (ce en quoi il avait parfaitement raison !) et puis il revient
sur le fait que, s'il y a bien quelqu'un qui sait ce qu'est le supramental,
c'est lui, il a donné plein de conférences dessus quand il était plus jeune, il
a voyagé dans son pays pour en parler. Seulement, voilà, il avoue, sans
modestie, ne pas l'avoir trouvé. Pas moyen de savoir si c'est du lard ou du
cochon. Cela veut-il dire que Sri Aurobindo est seulement un prophète et que le
Divin reste inaccessible, ou même, que Ghose se soit laissé emporté par son
imagination ? Pas moyen de savoir, finalement, mais une certaine
désillusion l'anime, et peut-être se demande-t-il vraiment si le supramental
existe, vu qu'un homme tel que lui ne l'a pas atteint... Il s'est rabattu sur
d'autres énergies spirituelles, qu'il me transmettra par le regard, mais je
n'ai pas trouvé ça top, vu qu'en arrière-plan j'avais le supramental à ma
dispo. Bref, on se voit quelques jours à l'heure du thé, et le voilà qu'en une
seule phrase, il fout tout en l'air et que ça s'écroule comme un château de
cartes. Ce moment demeure même un souvenir spécial, la preuve que l'homogène et
l'hétérogène sont épris l'un de l'autre comme deux succubes lesbiennes en
chaleur. Dans un geste quasi théatral, avec du mépris dans le bras qui se lève
comme pour chasser un lépreux, une façade qui ne lui ressemblait pas d'ailleurs,
il me sort : « go beyond supramind », va au-delà du supramental,
comme si j'étais débile, un sale petit galopin qui voulait faire bande à part. Au-delà
du supramental, franchement, je ne voyais pas où ça pouvait se trouver, avec
déjà l'option de luxe d'avoir trois cents ans à vivre avant d'arriver
réellement à un résultat digne de ce nom, je ne voyais pas d'au-delà plus
conséquent que mon aventure absolue, et surtout pas ce monde argenté, presque
tristounet, serein et hors de l'existence, qui se matérialisait quand il se
concentrait en me fixant. Finalement, cette injonction ridicule s'accordait
avec cet instant magique, où, n'en pouvant plus d'être chez lui sans entendre
parler de vraies pointures, je lui lance : y a-t-il encore de grands yogis
en Inde ?
Là, il fait un petit numéro, ferme les yeux
quelques secondes, feint de les passer en revue dans ses souvenirs, et sur un
ton mesuré, juste murmuré, il dit « oui », en hochant la tête en
grande cérémonie, se dénonçant lui-même avec une discrétion telle qu'elle
devenait un modèle d'ostentation (Ne crois surtout pas que je parle pour moi,
mais tu devrais t'intéresser davantage à moi, quand même, au cas où j'en ferais
partie, sans le chercher bien sûr, je te laisse seul juge de t'en apercevoir,
je suis trop zumble pour te mettre les points sur les i, de là à me cacher...).
Mon rire intérieur a éclaté sans faire le moindre bruit, pour ne pas gâcher
l'emphase miraculeuse qui m'avait terrassé. Ok, man, j'attendais plutôt un ou
deux noms, voire une adresse. C'est toi le chef, mais moi je suis au-dessus des
chefs et en-dessous des employés, je connais le cercle par cœur, ça ne marche
pas. Je ne suis pas venu m'entendre dire que je devais dépasser le supramental,
ni que tu étais le meilleur... Le pauvre, il était englué dans sa réalisation
comme un insecte volant tombé dans une fleur carnivore, elle l'avait séparé du
reste. Mais c'était le meilleur des hommes, il ne frimait pas, et ça, en Inde,
c'est quasi miraculeux, vu que la tendance spirituelle est mentalisée, cultivée
comme un faire-valoir social, d'où l'abondance des charlatans qui connaissent
la théorie par cœur, sans l'appliquer.... Un peu comme partout ailleurs.
Sincères comme les people de la gauche
caviar,
nouvelobs sous le coude et qui roulent en
jaguar,
qui se plaignent des pauvres quand ils
votent à droite
et cherchent dans le champagne des
promesses adroites
Si je peux me permettre de lévistrausser. Oui,
je le peux, d'ailleurs il y a des passages remarquables dans Tristes Tropiques,
et une certaine prémonition des vices cachés dans de grandes institutions... Mais
le sujet est tabou, on n'a plus le droit de dire qu'une religion est suspecte, en
France.... Au nom de la liberté d'expression qu'il ne faut pas empêcher par une
autre liberté d'expression. Elle a le droit d'être suspecte, c'est inutile
de l'accuser.... et il faut fermer sa gueule au nom de la liberté d'expression.
(Ou passer pour un dangereux terroriste culturel comme Houellebecq ou M Le
Dantec, si vous dites que l'islam n'est pas votre tasse de thé ! Et ça
peut mener au tribunal). Est-il permis de dire que je préfère l'islam de René
Guénon et de Rumi à celui de Ben Laden, sans que l'on me traite
d'islamophobe ? J'en doute. Les nouveaux redresseurs de tort guettent les
« néoréactionnaires », soit les types assez lucides pour préférer
dénoncer ce qui cloche, au lieu de s'enferrer dans l'idéalisme démagogique, là
où la France n'a pas de problème avec les immigrés, for exampeul, tandis
qu'elle va tout régler avec de belles paroles généreuses. Une certaine France
veut rester bête et s'en glorifie. Il faut être de droite ou de gauche, bien
qu'on sache depuis la moitié du premier septennat de Mitterand que cela ne veut
rien dire, et l'on na pas le droit de trahir son drapeau débile. Kouchner,
Gluskman diabolisés... Le virulent sectarisme français est dissimulé sous un
fatras de mythes pompeux depuis la prise de la Bastille. Il n'est pas si vrai
que cela que l'on puisse penser ce qu'on veut, sans s'attirer les foudres de
l'ordre moral en vigueur. Les « culpabilisateurs » sont toujours là,
et à moins de mordre, on se demande vraiment ce qu'ils font. On continue de les
voir rarement descendre au charbon et se salir les mains, ce qui les dispense
d'avoir à se les laver. Ils sont donc si propres sur eux que vous ne pouvez
plus ouvrir la bouche sans être accusé d'un crime quelconque, il ne faut pas
mettre les problèmes sur le tapis, c'est de la non-assistance à personne en
danger, car ça va forcement soulever quelques questions,
qui « portent atteinte » à quelques individus auxquels il
faudrait sacrifier les lois et les réformes. La France s'est installée dans une
telle complaisance, qu'il est probable que tout son héritage s'envole en fumée
pour la maintenir, et que les idéalistes continuent de nier l'urgence, pour
conserver la bonne conscience de celui qui défend la veuve et l'orphelin. Nous
allons tellement vivre au-dessus de nos moyens, que cela va finir par se
savoir.
Le regard lucide ne peut rien sur l'histoire,
ce n'est pas celui que l'on retient, vu que ce n'est pas celui qu'on attend.
On refuse d'écouter ceux qui s'inquiètent, qui ont toujours proposé les
solutions pour rectifier le tir, aussi bien en économie qu'en politique, mais
sa divinité Laviditéperso en prenant pour son grade, on classe les
dossiers. On attend que ça casse pour réparer. Pourtant, les menaces et les
dangers qui aujourd'hui nous bouffent la vie ont été pointés, définis, par
nombre de « cassandre » lucides, depuis la fin de la guerre. Cela
n'intéresse personne, c'est beaucoup plus saignant de poursuivre un écrivain,
qui a émis son opinion sur une religion. Il paraît que
« l'intellectuel » est un produit français, qui n'a pas d'équivalent
ailleurs, où ils ne pourraient pas survivre. Normal, la France est le seul pays
où l'on encourage la médiocrité à sévir, à penser, à proclamer et à juger, pour
peu que cette médiocrité feigne d'apporter du nouveau. Le talon d'Achille
français est le verbiage, l'argument gratuit, la théorie sans pratique, le
fumeux vernis qui d'abord est fameux, le neuf périmé demain, et l'on peut y
vivre de répandre des insanités et de défendre l'indéfendable. C'est peut-être
la seule culture où le superficiel se voit attribuer une valeur de principe,
une valeur de fond. L'idôlatrie de la gastronomie et de la Haute-couture le démontrent
amplement, ainsi que certains intellectuels de gauche, dépourvus de la moindre
générosité, secs comme des coups de trique, ces nouveaux inquisiteurs qui préfèrent
penser que « voir », décréter qu'observer, réagir que réfléchir,
comme si la réalité n'était qu'un prétexte à illustrer des positionnements en
quelque sorte religieux. Les mêmes refusent de perdre leurs illusions de luxe en
descendant sur le terrain, là où leurs belles certitudes démagogiques voleraient
en éclats, entre une ambulance et une raffale, entre un viol et une expulsion
méritée. Rectifier le mental français moyen, où les bons sentiments gratuits finissent
de tenir lieu de lois dans l'imaginaire du peuple, c'est un gros travail.
« S'ils
n'ont pas de pain, qu'on leur donne de la brioche ».
Finalement,
c'était la malédiction d'une reine décapitée injustement,
et elle
est plus que jamais en orbite, la malédiction.
L'idéalisme français refuse le réel, Raymond
Aron s'en plaignait déjà. Le « bien » n'est pas forcément à portée
d'une boutade ou d'un conseil, et quand il faut aller trouver la solution au-delà
du bidouillage, au-delà du bricolage, il n'y a plus personne (on a peut-être
besoin de plombiers polonais finalement, pour que les soudures tiennent plus
longtemps). Voir que les problèmes comme leurs solutions sont enracinés plus
loin que dans notre vélléité de les combattre, c'est trop demander à un
français, le « réalisme » le tue. Tant que les problèmes sont des
réponses à l'ego qui furète, ça marche, mais le problème objectif, celui qui
persiste quelle que soit la position qu'on prenne par rapport à lui,
c'est-à-dire celui dont on n'arrive pas à se débarrasser, for exampeul tout
de suite, celui-là fait désordre: c'est trop humiliant pour la french
désinvolture.
N'oublions pas, concernant le syndrôme de
l'expert, que certains physiciens prétendaient que le plus lourd que l'air ne
volerait jamais, pour empêcher l'invention de l'avion, et ils se cautionnaient
avec des calculs, ces grands génies. Si vous aimez donc la torture mentale,
rassemblez des experts, vous ne serez pas déçu en collectionnant leurs réponses
sur la même question, et ils en viendront bientôt aux mains. Même au sommet de la
science du feng shui, réputée objective et ultracodée rigoureux, ils se
tirent dans les pattes pour la même interprétation, entre « grands
maîtres », selon le même que j'ai cité au début, l'astrologue qui touche
sa bille là-dedans aussi. Une fois qu'on a compris que les experts n'y
connaissent rien, on a fait un pas de géant pour se libérer de l'autorité
d'autrui, et ça aide. J'exagère, ils s'y connaissent un petit mieux que ceux
qui n'y connaissent rien et qui ont donc la chance de n'avoir pas de préjugés
sur la question. Un de mes potes disait d'ailleurs que si l'on perdait l'esprit
du débutant, c'était pas la peine d'apprendre. Mais il fut incompris. Il y en a
même qui apprennent en sachant déjà de quoi il en retourne : si on les
interroge sur ce qu'ils ont compris, ils ne pigent pas de quoi on cause. Ils
régurgitent ce qu'ils ont mémorisé, à la virgule près, et répètent « what
else ? », comme s'ils avaient fait le tour de la question. On ne peut
pas en tirer des merveilles, mais eux, font grand cas des textes qu'ils peuvent
vous réciter, dans le style « nul n'est censé ignorer la loi », ou
« Jésus te sauvera malgré toi », ou « je ne fais que mon
devoir » ou « sans dérogation spéciale, pas d'autorisation » ou
encore, lyriques, « si tout le monde était comme moi, on ne serait pas
obligé de faire la loi et de rendre la justice soi-même ». Le comble
étant : « Pourvu qu'on pense la même chose que moi, et je reste
très ouvert d'esprit », mais ça, ce n'est pas possible, je viens juste de
l'inventer par vengeance. Bref, ils sont très doués dans les tâches
répétitives, à condition que ce soient toujours les mêmes et qu'elles
n'excèdent pas l'unité. Le modèle existe encore chez les militaires de
carrière, dans la police, dans les Ordres, dans l'administration et toute forme
de bureaucratie, partout où l'intransigeance est indispensable au bon
fonctionnement du laxisme.
D'un point de vue évolutif, il faut miser sur la
disparition de cette espèce archaïque d'ici les cent mille ans qui viennent, on
ne va quand même pas les pousser vers la sortie. Le Divin n'est pas pressé,
semble-t-il, de se réveiller en chaque être humain, où pourtant Il réside déjà,
voilé, et parfois, complètement insensible, ce qui ravive des pulsions de
meurtre, vu qu'on pourrait, avec un peu de mauvaise foi, prétendre tuer un
animal ou arracher une mauvaise herbe en étranglant ce préposé qui vous demande
les papiers un à un, au lieu de fournir la liste exhaustive la première fois.
La sixième fois..... Non, rien n'est jamais assez grave pour qu'on pète les
plombs contre l'autre, mais il faut plus de courage pour les péter contre
soi-même, étant donné que nous sommes chacun la septième merveille du monde,
que je sache, et sans concurrence, bien entendu.
C'est l'énigme la plus poignante de la
Manifestation, puisque, aujourd'hui, ce sommeil collectif compromet même la
survie de l'espèce. L'espèce est-elle assez élastique pour supporter les deux
extrêmes, des mutants divins d'un côté et d'autre part, pis que les archaïsants
qui ne font pas de mal à une mouche, les régressifs, absorbés dans le
matérialisme le plus vil, dont la gamme va du pédophile moyen à l'esclave de
l'argent, tout en haut de l'échelle, en passant par les petits ou grands
manipulateurs qui vampirisent les esprits? Vous le saurez au prochain épisode,
en 2012 peut-être, si la rumeur est fondée.(1512-2012, ci-gît l'Empire
européen).
La plupart des êtres humains écoutent ce que
vous leur dites comme s'ils le savaient déjà, vu que vous faites tapisserie. Le
seul moyen pour qu'ils prêtent attention, c'est de se faire payer, là, ils
commencent à tendre l'oreille pour en avoir pour leur argent, c'est d'ailleurs
pour ça qu'on facture la psychanalyse, sinon tout le monde sait que Lacan
aurait consulté gratuitement, que je sache. Mais non, il faisait même payer les
rendez-vous manqués, on ne plaisante pas avec sa guérison, et en payant
l'absence, on profitait quand même de la séance ratée, comme si elle avait eu
lieu... Elémentaire mon cher Watson, pognon= service. Enseigner ce que l'on
connaît pas, afin d'avoir l'impression de savoir. C'est la maladie du mental,
comme l'avidité est celle du vital. Le mental aimerait tellement être le
supramental qu'il est prêt à tout pour se surestimer. A tchao, bonsoir.... J'en
ai déjà trop dit, bientôt je vais vous la fournir la pierre philosophale,
gratos, et c'est contraire au règlement, j'en ai déjà trop dit. Il suffit de
cuire la matière sans péter le vaisseau, et l'or philosophal est à vous, une
simple question de température, comme tout le reste, de la glace à la vapeur,
de la passion à l'émeute raciale. Ne compliquez pas les choses. Il n'y a que le
feu à doser. Ce qui comprend quelques extinctions pantelantes et honteuses et
des retours de flamme qui crament la prétention en brûlant les cils et les
ailes. Providentiel.
Bref, pour en revenir à la gravité du problème
des experts, la ponctuation c'est essentiel, oui, tout est dans l'accent.
Amusez-vous à écouter la même symphonie dirigée par de nombreux chefs
d'orchestre réputés, vous serez édifiés. Jamais personne n'appliquera de la
même manière que son alter ego les mêmes critères, ce qui fait en fin de compte
qu'on tombe toujours sur des préférences. Point barre. Bienvenu à
l'indécidable, traqué par les physiciens quantiques dans le subatomique. Quand
j'étais jeune et que je donnais des cours d'astro, je me souviens d'une fois où
j'ai répété la même phrase sur des tons différents, correspondant à chacune des
planètes. On était obligé de comprendre que le signifié n'était pas dans le
signifiant, considération qui dérive sur les fluctuations des expertises, et
rend compte de leurs différences notoires.
Etant donné que les mêmes phrases peuvent être
lues dans des intentions différentes, qui en font donc varier le sens, il
serait temps de renoncer à l'objectivité, et admettre que chacun voit midi à
sa porte alors qu'il va le chercher à quatorze heures.
MERCI
MARCEL.
Je disais « Va, je ne te hais
point !? ».
Avec Vénus, ça voulait dire.... Reviens,
avec Mars, « va te faire foutre »,
avec soleil, finalement tu n'es pas digne de
moi,
avec la lune, je regrette de t'avoir connu(e)
tu me fais trop souffrir,
avec Mercure, je pense déjà à te remplacer,
avec Jupiter, chacun sa route, bonne chance et
merci,
et avec Saturne, je te maudis d'être né.
Il suffisait de travailler le ton. C'était il
y a vingt ans, my God, le signifiant et le signifié, ça me turlupinait déjà.
Bel aboutissement, avec la fin de « feuille de route », désolé
pour son avance, je ne suis pas démago, tout le monde ne va pas tout comprendre
d'un coup, mais je ne vais pour autant pondre du Andrew ou du Prajnanpad pour
entrer dans le spirituellement correct, qui rassure, car il rapetisse le but,
ce qui rapproche la cible. Non, le but n'est pas perso, la
« réalisation », c'est le dernier luxe de l'ego qui veut atteindre le
sommet. C'est d'autre chose dont il est question maintenant, car les
réalisations et les illuminations n'ont fait qu'enfermer une minuscule élite
dans un mythe stupide, où le désir du supérieur est vanté et annobli, alors
que, comme tout désir, il n'appartient qu'à la nature ou s'y mélange avec
complaisance, de telle manière que l'objet demeure convoité. Il n'a jamais été
question de « se réaliser », mais c'est la formule qu'on a trouvée
pour caractériser l'éclatement de la boursouflure du moi, qui enfin accepte et
consent de ne dépendre que de la Conscience, cet inestimable fluide
mystérieusement répandu de l'algue à l'ange, dans toute créature, et qui donne
à chacune le sentiment d'être, pour aussi limité qu'il soit. Ce sentiment
d'être peut grandir au prix de morts et de renaissances, et devenir une
présence d'un ordre inconnu, qui laisse loin derrière le je que l'on croyait
être, au sein des cœrcitions premières. Et cela n'appartient à personne, aussi
le terme de réalisation personnelle est-il impropre, puisque, d'une part, on
abandonne la coquille naturelle, et que, d'autre part, on débouche sur des
océans de conscience, sur de multiples états d'âme qui nous nourrissent, sans
qu'on ait besoin de se les attribuer.
Un spectateur vivant remplace un acteur
mort, cet ego de revendications minuscules qui faisait
tourner autour de lui l'univers entier, même la vérité, sommée de se soumettre.
Il n'y a rien à ramener à soi-même, car le centre s'est perdu en se trouvant
partout.
Le maître avouait que Savitri ne pourrait pas
se comprendre avant trois cents ans, il l'a écrit quand même. Nous ne sommes
pas devant pour vous reprocher d'être à la traîne, et nous sommes désolés si
vous ne comprenez pas tout, ce n'est fait ni pour vous rapetisser ni pour nous
grandir. Nous n'y pouvons rien, et nous vous encourageons. Lucidement. Elaguez.
Ne prenez pas exemple sur nous, ce serait formel, mais vous pouvez comprendre
qu'un individu libre se forge son propre itinéraire pour parvenir là où lui
seul peut aller. Cela vous revient. Si le temps est illusion autant que
réalité, qu'est-ce que ça peut bien vous faire de ne pas être chef de cordée,
de ne pas être déjà « parfait », de ne pas être vraiment prêt ?
Vous le serez à votre tour, votre feu doit grandir. Pour le moment, les
surplombs en varappe, ce n'est pas intégré, et c'était une figure demandée en
quelque sorte. L'abandon total à la verticalité, sans filets. C'était la porte
d'entrée au supramental.
Ce ne sera plus la peine d'être aussi
radicalement absolu que les premiers, dans l'avenir, et, avec moins d'exploits,
la satisfaction de toucher la Conscience sera possible... La lumière n'a pas à rester
le monopole confidentiel des plus habiles, par principe, mais le soulèvement
vers Elle n'est pas assez collectif pour en faciliter l'accès. C'est
souhaitable, possible, pratiquement prévu (si ça passe au lieu de casser) que
les énergies divines soient quand même un petit plus accessibles. Pour le
moment, la situation est périlleuse. Le temps béni où l'on pouvait se surestimer
sans en pâtir est terminé. Qu'on se le dise. Aujourd'hui, toute prétention est
passée au crible de la vérification, c'est nouveau, ça vient de sortir.
L'aspiration véritable ne peut que s'épurer, et l'ambition ne peut qu'être
démasquée plus facilement ou au contraire amener des retours de manivelle.
Avec Pluton en Capricorne,
Les boucs émissaires vont donner de la corne.
23 juillet
Obligé de booster depuis près d'un mois, mais ça marche. Plus de repos,
davantage de mantra, et concentration matin et soir, avant de dormir et au
réveil, pour placer la force sur le corps. Un peu d'exercices le matin, depuis
peu, avec les bras projetés en arrière de différentes manières, vu que j'ai le
dos faible, et que j'ai passé trop de temps sur différents claviers, synthé et
ordi. Je n'aspire qu'a récupérer les poumons et nager comme un dingue, mais
d'ici là, un minimum d'exercice physique est nécessaire. J'achète des magazines
français périmés pour une bouchée de pain à Legian, sur la plage la plus
connue, et mange aussi dans le coin. C'est à vingt-cinq minutes en scooter de
chez moi, et le trajet n'est pas désagréable.
Je me délecte de la synchronicité. Je viens juste de récriminer contre
les experts que je tombe sur l'éditorial de l'express, où l'homme à l'écharpe
rouge, indépendant d'esprit me semble-t-il, écrit carrément : « le
crépuscule des experts ». Amusant, nous ne nous sommes pas copiés que je
sache, mais l'idée est dans l'air, ce journaliste tire cette vision vers la
politique, et nous annonce que «le Prince s'avancera bientôt, tel
Œdipe aux yeux crevés, sans personne pour le guider, mais avec toujours, sur
ses pas, un peuple pour le blâmer ». Voilà, autrement dit, c'est la
faute à qui, à celui qui exerce le pouvoir, et qui ne peut plus avoir confiance
en qui que ce soit, tout le monde se trompe. Il est certain qu'abandonner le
clivage droite-gauche pour former une équipe de réalistes-pragmatiques voués à
résoudre les problèmes au lieu de discuter de la manière dont cela devrait
être fait, constitue un véritable progrès. Mais est-ce suffisant ?
Oui, il y a un sursaut d'intelligence en France, mais qui s'accompagne
de la fin des illusions de la gauche, la pauvre. C'est à commenter, parce que
j'ai eu dix-huit ans cinq jours avant la fondation de mai 68, le 22 mars, et
que je suis toujours resté imprégné de cette atmosphère ouverte, aujourd'hui asphyxiée,
que nul n'est capable de ressusciter.
Donc, pour les plus jeunes, il faut rappeler qu'à l'époque, nous
débordions de contenus politiques. Ce n'était pas un maigre menu comme
aujourd'hui. La carte était très alléchante, et tous les caractères pouvaient
trouver leur bonheur dans un engagement quelconque. Les plus sûrs de leur fait
étaient sans doute les marxistes-léninistes, convaincus encore davantage que
les autres d'être dans le vrai. Il y avait aussi les trotskystes, pinailleurs, à
ne pas mélanger avec les précédents... Beaucoup avaient conservé du bon sens, et
étaient bêtement communistes, mais ils infiltraient le parti d'une manière
radicale et secrète, puisque le parti était puissant à l'époque, et dirigé par
un tribun magnifique, Georges Marchais, devenu légendaire, et qui n'a jamais
été vraiment « remplacé ». Toute cette faune se tirait déjà pas mal
dans les pattes, jusqu'à des rixes à la fac, mais faisait front contre les
fachos, vu qu'il y avait encore des « ratonnades » le samedi soir... Les
plus exaltés étaient sans doute les maoïstes, à qui l'on pardonnera leur
engouement, il ne filtrait pas grand-chose à l'époque des malversations du
pouvoir chinois, absous, au motif « qu'on ne fait pas d'omelettes sans
casser des œufs ». Mais toute cette efferverscence ne donnant sur aucune
praxis unie, il ne manquait pas d'esprits forts qui jouaient la double
casquette, prétendaient pour ouvrir leur gueule appartenir à tel mouvement
révolutionnaire, auquel ils ne croyaient manifestement pas, mais avouaient, un
pétard au bec, qu'ils étaient situationnistes. « Tout sera de toute façon
récupéré par le pouvoir... ». Ils ne se faisaient pas d'illusions, et
étrangement, leur comportement cynique-lucide allié à un hédonisme affiché les
mettait dans la même catégorie qu'une petite tribu, au-dessus de l'histoire,
qui se la jouait « nitchéenne ». On s'envoyait des cartes de visite à
la figure, c'était désopilant, les insultes n'ont jamais été aussi distinguées.
« Pourquoi tu ne nous réjoins pas, tu n'as rien d'un bourgeois, le grand
soir arrive... ».
- « Désolé, les gars, je suis nitchéen ».
- « tu craches sur les prolos, qu'est-ce qu'ils ont de moins que
toi, à part d'être exploités ? »
- « je suis libre et vous aussi, je respecte votre démarche, moi,
mais la mienne n'est pas identique... ».
Je me souviens d'avoir été manipulé en Khâgne par mon prof de philo,
une femme battante, la maîtresse d'un grand ponte marxiste, qui profitait de
faire ses cours pour recruter. Pour elle, tout avait été créé par l'idéologie
bourgeoise, à supprimer illico presto, sans doute depuis plusieurs siècles. Le
mal était là, et nulle part ailleurs. Elle avait une force de conviction
énorme, mais je résistais comme un beau diable. « Mais madame, les
équations d'Einstein sont exactes sous n'importe quel régime
politique ! ». Non, elle ne se démonte pas, elle va bientôt me tancer
du haut de son savoir objectif, elle me vrille un regard noir, et prétend que
la science bourgeoise contient un contenu politique implicite, comme si
Einstein était personnellement responsable du prolétariat et de sa condition...
Amusant, de résister. Ceci dit, je me sentais bien seul. C'était très bonne
conscience de haïr le flic, et moi je faisais désordre. « Mais enfin,
imaginez, c'est un homme comme les autres, qui travaille pour nourrir sa
famille... ». Pouah, j'étais ringard, il fallait haïr au nom de la
libération du prolétariat, tous Ces pauvres pions d'une « idéologie
bourgeoise », qui elle-même s'était faite de bric et de broc pour moi, et
avec beaucoup moins de malveillance que ce que l'on supposait à l'époque, où
l'on voyait des diables partout.
A Nice, un jeune en mobylette, qui interpelle un type en mercedes
en le traitant de sale bourgeois. Le type, self-made man, avait sa mère dans la
voiture, donc, il défend son honneur, s'arrête et descend de la bagnole pour se
rapprocher du morveux et lui régler son compte, morveux qui, voyant le type
débouler, part en mettant les gaz à fond sans demander son reste. Pire et
véridique. Quatre malheureux fachos guidés par un corse minuscule pénètrent
dans le bar des gauchistes, la vingtaine d'abonnés se rue sur l'autre sortie,
en abandonnant son concours de flipper. C'était aussi l'époque des
bandes dessinées géniales américaines, qui campaient les déboires des marginaux
aux prises avec l'establishment, Robert Crumb, si ma mémoire est bonne, on n'a
jamais rien fait de mieux. Oui, cela débordait de contenu, et quarante ans plus
tard, plus rien. La gauche ne parvient pas à articuler le moindre programme
fédérateur, parce que tout le monde s'en fout parmi les jeunes, contrairement à
l'époque bénie de 68 où ne pas avoir d'engagement politique, à gauche bien
entendu, était carrément criminel, en fac en tout cas. Non, tout le monde ne
s'en fout pas aujourd'hui, la gauche fait vivre ses représentants sur des idées
moisies, et comment donc, et ce sont eux qui se battent pour le pouvoir, les
éléphants et les éléphanteaux. Tandis que la base est dépassée par un problème
plus important que les « valeurs de gauche » assassinées par le réel,
qui est celui de la dégradation du pouvoir d'achat. Entre la faillite des
banques, qui ont trop prêté aux pauvres, les gourmandes, ça se retourne contre
elles, c'est bien fait, nananère, et l'explosion du baril de brut, oui,
l'avenir n'a plus aucune traçabilité, alors qu'en 68, il en avait des
dizaines de traçabilités, l'avenir, mais celui qui s'est réalisé n'était pas
prévu.
Tout le monde le voyait autrement, et avec une meilleure résistance du
politique à l'économique, sauf les situationnistes, qui avaient déjà compris
que tout serait récupéré. Tout le monde s'est planté, le pognon a gagné
tellement haut la main qu'on ne s'en est pas vraiment remis, et on lui cire les
bottes en grande pompe. Qu'attend le nouvel obs pour ouvrir ses pages à
Ferrari, Lamborghini, Rolls Royce, Aston Martin ? Ils n'attendent rien,
les quatre plus grandes marques n'ont pas besoin d'autant de publicité. Et
finalement qui récupère qui ? N'est-ce pas Jaguar qui est récupéré et
recyclé dans un journal généreux ? Il faut bien prendre le nerf de la
guerre là où il se trouve, et cela peut faire partie des lois du marché. Le
problème, c'est que ça prête à confusion, et tandis qu'on se persuade que c'est
bien d'avoir une attitude citoyenne, en prise directe avec les problèmes de
société, on nous fait loucher sur nos survivances dynamiques de mâle générique,
la super bagnole, aux trois quarts somptuaire. Peut-on réellement s'intéresser
aux mal logés, aux problèmes de banlieue, à la crise mondiale, au manque de
conscience politique (et spirituelle) du citoyen lambda, dénoncer
antisémitisme et racisme, prétendre être ultra-responsable et donc solidaire, et
passer chez le concessionaire Jaguar signer un bon de commande? Si un
tel animal de compagnie existe, qu'on me le signale, j'aimerais bien en faire
mon bouffon, et ses conseils d'expert en ouverture d'esprit pourraient m'être
précieux. Je suis trop radical...
L'Esprit et la Matière, vieux débat. On ne sert pas deux maîtres à la
fois, et tutti quanti... Il faudrait peut-être revenir à des évidences premières,
comme le fait que s'occuper des autres avec ostentation n'est rien d'autre
qu'un luxe de privilégié. Or, c'est cela la leçon de Mai 68. Les zouvriers aux
mains sales et aux fins de mois difficiles n'ont pas cru une seconde que les
étudiants de mai leur tendaient vraiment la main. Comme les dames
patronesses donnaient des vêtements de couleur aux pauvres pour les reconnaître
à la messe, les fils de bourgeois révoltés, bientôt notaires comme l'avait
prédit Léautaud je crois, avaient besoin du prolétariat exploité par papa, pour
tuer le père, et accéder à une certaine indépendance d'esprit, décorée de
liberté sexuelle et de revendications à « sentir ». Les ouvriers
n'ont pas accepté d'être victimisés par ces fils de riche, et je les
comprends. Quand la consdescendance se maquille en pitié, ça ne marche pas très
longtemps.
Bref, un hiatus, un clivage... Ce qui donnera finalement la magnifique
culture « Actuel », magazine lancé par jean-François Bizot, qui
reçoit, à dix-huit ans, huit millions de francs de l'époque, et qui, au lieu de
s'acheter une collection de Ferrari vintage, trouve mieux à faire, on se
demande bien pourquoi, et crée enfin une revue qui ne tourne pas en rond, avec
des articles géniaux, synchronisés au mouvement du monde, souvent signés
Patrice Van Eersel. Les ouvriers sont grosso-modo restés dans leur caste, et
les soixantuitards ont trouvé bon de rentrer dans le rang, tout en
créant une nouvelle consommation, symbolisée par la F.N.A.C. On n'achète plus
pour frimer ni « posséder », mais pour s'éclater et s'épanouir, s'intéresser
à, mais (I am very sorry), dans le fond, il y a toujours autant besoin
de pognon, qui passe en disques et en concerts, en voyages lointains non
touristiques, en afghan estampillé, ou en bouquins neufs, ou en vacances pas
débiles pour les enfants. La génération précédente était méprisée sous le label
de « classe possédante », et elle se la pétait avec l'achat
immobilier et les grandes réceptions hypocrites. Une nouvelle classe était née,
la « classe jouissante », qui ne cherchait pas à consommer ni à
acheter par principe, mais qui s'offrait de nombreux biens de jouissance
personnelle, qui amenaient le monde entier à domicile, par la musique, la littérature,
l'artisanant kitch... Et on dépensait sans mettre dans l'argent la valeur
symbolique qu'y fourguaient les générations précédentes, réussite, reconnaissance
sociale et tutti quanti... N'empêche que les besoins ne risquaient pas de
diminuer avec le formidable essor technologique, et tous les nouveaux matériels
qui permettaient de personnaliser sa vie, d'entrer dans le loisir sur mesure,
en inondant son living de musiques du monde entier, en doublant sa mémoire de
photos, jamais assez nombreuses, et qui coûtaient pas mal d'argent. Oui, ma
génération était très ouverte sur le monde, s'intéressait à tout, étant donné
que l'inquiétude de l'avenir, avec le sida et le chômage, n'avait pas encore
ratiboisé l'idéalisme du chevalier, aujourd'hui fourni concrètement, avec
mode d'emploi non subversif, dans les jeux vidéo ... et qui remplace le vrai,
le nôtre, celui des anciens combattants de Mai 68, en France. Non, nous n'avons
pas à rougir d'une certaine naïveté, elle allait avec l'innocence, et le besoin
de croire en l'homme, préoccupation surannée aujourd'hui, ou carrément
« ringarde », puisque seuls les chiffres font la loi.
Mai ? Sans oublier la vengeance de l'hétérogène nivelé dans le
consensus bidon, et qui se rebiffe un peu partout, en 66 à Chicago, en 67 en Italie
et à Prague, en 68 au Mexique, avec une vraie répression
« sanglante ». Peut-être finalement que les résultats maigres et
tardifs de mai 68 sont dans l'écologie et l'humanitaire, plutôt qu'ailleurs, la
société a fait avec la loi du marché, et Mitterand en est resté comme deux
ronds flancs en 83: le temps des illusions était fini, le politique, même
au sommet, ne pouvait déjà plus infléchir l'économique, dans des proprotions
autres qu'infimes, insuffisantes à changer la donne de la distribution des
revenus. J'en retiens, de mai 68, la générosité, qui a toujours été, par
déf de chez déf, au-dessus ou à côté de la politique. (Sinon christianisme et
communisme auraient amené l'âge d'or).
Moralité, qui que tu sois, tes besoins ne feront qu'augmenter, alors ne
fais pas semblant de t'intéresser aux pauvres, mon cher éléphanteau, avoue que
tu veux faire carrière. S'ils l'étaient moins, pauvre, les pauvres, ton pouvoir
d'achat serait inférieur, car tout ce que tu achètes serait infiniement plus
cher si les ouvriers étaient payés davantage. Qu'es-tu prêt à sacrifier
pour partager pour de vrai, ô démagogue au cœur pur ? T'étonnes-tu
vraiment que ta fausse sollicitude ne séduise plus personne ? Serais-tu
prêt à payer plus cher tout ce dont tu as besoin pour qu'il y ait plus de
justice sociale ? Je t'autorise à voir la question de plus près et à aller
te confesser chez le psychanalyste, ou monsieur le curé si tu préfères, c'est
moins cher.
Oui, la foi politique, qui a flambé magistralement en mai 68, n'a pas trouvé de praxis digne de ce nom, et la consommation a tout
récupéré, parce que les castes sont restées hermétiques. Certains déplorent
encore le grand ratage de mai 68, que l'union réelle du prolétariat et des intellectuels
ne se soit pas produite. Même Sartre aurait voulu y croire, ça l'aurait racheté
de fermer les yeux sur les goulags. De toute façon, honnêtement, comme on dit à
la télé pour prévenir que la langue de bois se pointe, on avait tous
sous-estimé le pouvoir de séduction de la nouvelle économie industrielle
sophistiquée, on ne se doutait pas que le F.N.A.C allait devenir une caverne
d'Ali baba susceptible à chaque visite de ressusciter un rêve d'enfant,
d'encourager un achat de loisir intelligent, non, on a été pris par surprise
par les merveilles techno, et ça ne s'arrête toujours pas... On ne préméditait pas
qu'on aimerait à ce point s'encombrer de chaînes hi-fi, puis de télé et
d'appareils photo, de voitures qui tiennent bien la route, oui, on a bien
sous-estimé à quel point on aurait toujours besoin de plus d'argent pour faire
face aux gadgets électroniques, de plus en plus incontournables. Bref, sans le
vouloir, cela nous pousserait à gagner toujours plus en oubliant les pauvres,
quel vilain nom, sous le terme de « prolétaires », ils nous
appartenaient, et les mêmes jouissaient de la dignité qu'on leur octroyait...
Oui, et puis l'ordi nous a carrément envoûtés, ses traitements de texte
esthétisants, ses logiciels variés, qui nous ont conduit tout droit, vingt ans
après, à draguer sur Internet : sur le web, tu peux te rajeunir de vingt
ans, no problem. La boucle est bouclée.
Oui, les soixante-huitards, en réaction contre le monde bourgeois
artificiel, ne se doutaient pas qu'à leur tour ils aimeraient autant l'argent
que leurs propres parents. Ils n'avaient pas vraiment vu venir l'impact aux
mille formes de l'objet électrique et ses merveilleuses diversifications, et
en-dehors de la petite diaspora du Larzac, reconvertie au fromage de chèvre, le
reste du mouvement a donné d'honnêtes citoyens consommateurs, de plus en plus
consommateurs individuellement, chacun pouvant choisir la manière de se ruiner,
qu'il s'agisse de changer de planche à voile en suivant les progrès en la
matière, ou d'avoir le meilleur son possible pour écouter de l'opéra, comme au
concert. L'argent s'est mis à nous aimer diablement, en nous montrant tout ce
qu'il pourrait nous procurer, et en retour, nous nous sommes mis à l'aimer
aussi. On a substitué quelques notions, et le tour était joué. On avait horreur
du « mérite », qui permettait à ceux qui en avaient de mépriser les
jeunes idéalistes, mais par un tour de passe-passe, on a reconnu la valeur de
la compétence et du professionalisme, susceptibles d'attirer plus de pognon. On
a mis en veilleuse « le jugement de valeur », très prisé par la
génération de ceux qui quittent la terre en fin de course aujourd'hui, et on a
consommé heureux, souvent d'ailleurs, on a consommé intelligent, contrairement
aux deux ou trois générations précédentes, qui thésaurisaient ou dépensaient
bêtement, sans se cultiver.
Now,
le triomphe de la machine peut détruire l'humanité. Elle est neutre,
mais fait miroir impitoyablement, et on commence à le payer très cher :
elle souligne nos faiblesses et nos mensonges, et elle les met en scène. L'information
s'empare peu à peu du pouvoir, et voici que le décisionnel est muselé par le quand
dira-t-on, les chefs d'Etat sont traqués par les sondages, hués en direct
parfois, encensés tout autant. La médiocrité des masses fait pression, prévient
la presse, menace, elle obtient un droit de regard aujourd'hui terroriste, et
renforce la bonne conscience de tout un chacun voulant jouer à la victime, mais
là encore, il faudrait développer en croisant Baudrillard, Mac Luhan, et même
le B.H.L d'american vertigo, alors, j'abrège.
Le pouvoir de l'information pose de nouveaux problèmes à la démocratie,
d'énormes problèmes, insolubles demain, puisque toute forme de démagogie est
encouragée par le goût du scandale, l'onction pontificale de la rumeur, la
désinformation partisane, le chantage et le lynchage médiatiques. L'opinion
publique musèle, et finira par faire la loi. Ni Big Brother, ni le meilleur des
mondes, non, un monde totalement vain et englué dans une conscience grégaire
aux pieds des idoles de la mode et du sport, et un monde au-dessus,
intouchable, où l'argent va à l'argent, en circuit fermé. A moins
que... l'imprévisible rôde, que l'hétérogène, à nouveau, se distingue du magma homogène
qui cherche à l'engloutir, à moins, donc, que des révolutions, de tous ordres,
politiques, écologiques et spirituelles ne fassent bouger les plaques
tectoniques de cette société globale, mue par la production concrète d'un côté,
et les valeurs tribales de l'autre, dans sa psychologie.
Ce qui ressort de plus en plus, aujourd'hui, c'est que chacun ignore
son prochain, même s'il prétend le contraire, et qu'il défend exclusivement ses
propres intérêts s'il est un individu parachevé, ou bien ceux de son
clan, si son identité est encore assez grégaire pour se reposer sur la force de
la meute, de sa meute, vu qu'il n'y a pas d'autre mot pour évoquer la
revendication minoritaire, la haine à portée de protestation et de demande de
reconnaissance, ce que Freud avait déjà pointé, dans malaise de la
civilisation, référence finalement sociologique, et qui dépasse infiniement
le discours sur l'Inconscient. Et donc les exceptions, ces hommes et femmes qui
pensent déjà « espèce humaine » sont montrés du doigt et diabolisés,
car il faut penser défense de sa propre minorité, défense de sa religion, de sa
caste, et tant pis si cette défense-là croise le fer, par définition, avec
d'autres défenses similaires. Restons fidèles au contingent, au passé, à
l'appris par cœur, au suranné, que l'ostracisme nous préserve de découvrir du
même dans une altérité qui n'est pas copie conforme.
Quand on agit pour l'humanité elle-même et toute entière, sans
pinailler sur les mérites de ses échantillons... On trahit forcément sa propre
faction, sa caste, son appartenance, son église, sa culture, son obédience.
Quand l'enracinement se fait dans la terre elle-même, et non pas dans le sol
contingent d'une province, d'un pays, le Moi appartient au ciel. Il aura dû
sacrifier de nombreux cercles pour y parvenir, et n'aura, pratiquement jamais,
pu compter sur qui que ce soit, sauf sur ses adversaires. On peut même le
condamner pour se donner au Divin sans l'artifice d'une religion, pour se donner
à l'Histoire en faisant l'économie d'une idéologie, pour se donner à l'Acte
pur, connaître, sans s'enferrer dans une marche à suivre, ou se
barricader dans une « tradition ».
L'individualisme étant en fait le vrai mouvement de l'Histoire (ce que
personne ne tient à reconnaître, de crainte d'accélerer encore les rivalités
personnelles pour le pouvoir, le sexe et l'argent), ce sont les individus qui
pensent, soit ceux qui se détachent de la pure conformité aux règles pour
tricher un peu avec, et affirmer autre chose que le pion, que le clône, que la
personne « remplaçable », qui réussissent. La loi est toute simple,
et elle est déguisée avec de grands mots, soit pour faire du sentiment, soit
pour noyer le poisson dans un panier de crabes. Plus on devient irremplaçable,
plus on monte en grade, c'est la loi. On changera facilement de femme de ménage
et de manœuvres, ça se complique avec l'ouvrier qualifié, dès le contremaître
ou le chef de cuisine, la question de la compétence perso se pose, et on
ne change plus de personnel haut de gamme comme de chemise. Plus on monte, plus
l'argent arrive, et une concurrence sourde pour se faire reconnaître, établir
sa réputation, anime les corps de métier « supérieurs ». Peut-être
Marx n'avait-il pas intégré le neo-darwinisme, et croyait-il sincèrement que
les citoyens cesseraient de se déchirer pour le pouvoir, qui donne, par
définition, privilèges et avantages, même dans une cité égalitaire ?
Peut-être Karl a-t-il souffert de ne pas pouvoir intégrer Freud dans sa bestandwrong,
puisqu'il idéalise encore assez l'humanité pour s'imaginer q'une égalité
obligatoire allait la mettre à l'abri des convoitises individuelles ?
Peu importe, déroulons la loi si simple que nul ne veut voir. Si la
différence entre une bonne femme de ménage et une mauvaise est faible et
n'engage à presque rien, en revanche, entre un bon et un mauvais médecin, entre
un bon et mauvais avocat, entre un bon et mauvais président, il n'y a pas photo,
c'est loin d'être du pareil au même. Il s'agit donc bien de se
« distinguer » dans la société moderne, et c'est l'individu qui doit
se distinguer, ce n'est pas son rôle. Le rôle peut être bien ou mal joué, et
c'est inutile de sortir de cela. Le « travailleur » peut se cacher
derrière des diplômes, ou le logo de son entreprise, mais s'il n'est pas assez
vigilant, pas assez dans le bain, c'est-à-dire, en fin de compte pas assez ouvert
aux mutations permanentes de la société et de sa « science », il
finit par être largué, dépassé, puis rétrogradé. Cette vérité est désobligeante,
premièrement parce qu'elle condamne la médiocrité, laissant la porte ouverte à
l'exploitation du sans grade, sans formation, du tâcheron relégué aux emplois
les plus vils, et, franchement, c'est quand même un peu ce qui se passe
partout... Deuxièmement, parce qu'elle encourage chacun à devenir un
« individu » dans le sens seulement de la compétence sociale, qui
ouvre la porte à la richesse, en laissant de côté la différenciation suprême de
l'individu, chantée par Socrate. Mai 68, c'était l'illusion que l'individualisme
pouvait être collectif : les étudiants rêvaient de
« prolétaires » amoureux de la culture, qui deviendraient leurs amis,
culture dont ils n'avaient jamais saisi qu'il s'agissait, comme du
reste, d'un privilège de caste qui ne s'apprend pas, ou dans de rares cas
seulement.
L'individu commence avec cet être qui se représente sa propre
existence en étant capable de lui-donner un sens par lui-même. Jung a essayé de
l'établir, dans le sillage des maîtres, d'une manière laïque, pour équilibrer
le terrorisme sexuel de Freud, insistant sur un homme générique, semblable dans
chaque échantillon, par la tyrannie qu'il subit, déchiré entre le ça et le
surmoi. Jung a prévu l'essor de l'individualisme, et a voulu le guider au-delà
de la personne sociale, adaptée et responsable, en tout cas, il a montré un
potentiel, et, comme par hasard, c'est l'Orient qui l'a convaincu que cette
voie était la bonne.
L'individu s'arrête presque toujours, en chemin, ce qui permet aux
éveillés de longues heures de méditation, puisqu'ils s'acharnent tous à trouver
les moyens qui pourraient permettre qu'on ne s'arrête pas en chemin. Laisse-toi
absorber, dit Lao-Tseu, ne revendique rien. Aime, dit Jésus, et ne te laisse
pas détourner par l'opprobre. Libère-toi de l'avidité, dit Bouddha, ne crois
pas ta pensée, dit Kridhnamurti, « Sers le Divin », disent en chœur
Ramakrishna, Sri Aurobindo, Vivek... Les moyens de ne pas s'arrêter en route ne
manquent pas, encore faut-il des candidats qui ne prennent pas les étapes pour
l'ultime destination.
Aller vers l'individu inflige à l'impétrant un travail intellectuel sur
les représentations, florilège de la cité. Ce « travail » n'a jamais
été favorisé par la vie à la campagne, qui s'est donc laissé envoûter par les
croyances immondes de l'Eglise en Europe, ou bien les superstitions partout
ailleurs, pendant des siècles. L'idéologie bourgeoise, ce n'est pas seulement
la question des « moyens de production » chère à Marx, grand prophète
s'il en fût, c'est l'urbanisation, l'exode rural, le métissage, le risque, le
transport, l'emprunt bancaire, le multilinguisme, la création d'une foule de
nouveaux métiers que l'ancien monde, arsitocratique, ignorait. L'idéologie
bourgeoise, c'est tout ce qu'a permis la colonisation pour l'Europe, l'initiative
perso et la folie des grandeurs, la grande surface et le petit commerce, l'esclavage
puis les droits de l'homme (même combat envers et endroit)... C'est aussi la mise
en route d'un énorme brassage de valeurs et d'habitudes de pensée qui ne
pouvait aboutir, d'un côté, qu'à un degré zéro de la métaphysique, la
bouillie idéologique de la zone industrielle, ce no man's land urbain, ce
mercantilisme triomphal des multinationales et de la Bourse, soit le vrai
patron mondial ; et qu'à la consécration, de l'autre, des
minorités résistantes à la mondialisation : ces cellules enfermées dans
leurs propres dogmes, et prêtes à haïr en leurs noms, souvent loin de chez
elles, apatrides d'un côté, et trop fidèles au passé de l'autre, préférant des
racines parfois pourries, mais conséquentes, à de jeunes pousses hésitantes et
fragiles, qui se fraieraient un chemin vers le sol universel.
Le puzzle manque de concordance, non seulement économique, on s'en
doute, mais psychologique... De grandes lignes de complicité convergent partout vers
la religion du produit et du spectacle de masse, où les fidèles partagent un
égoïsme collectif décomplexé, tandis que de multiples poches de résistance,
ethniques, religieuses, parfois idéologiques, qui refusent de sombrer dans le
pur matérialisme, cultivent des survivances dynamiques diverses et
contraires, de ressentiment, de violence, de démission existentielle et de pur
laisser-aller... agrémentées de prétention morale, de rigorisme, de haine donc,
une haine propre sur elle, pour ce qui n'est pas conforme... L'inconscient
collectif est remué dans ses profondeurs, et même s'il ne s'agit pas de
défendre le terrorisme islamique, plus d'un chercheur patenté sait, même s'il
n'ose pas le dire, qu'une partie du Jihad réagit très violemment à l'inondation
pornographique, à ce tsunami sur le web : il suffit que vous ouvriez la
boite de vos spam pour être édifié. L'information est devenue un cancer
généralisé, chacun y réagit, les objets voyeurs se multiplient, l'œil de
l'autre est à vos trousses, à la télé, sur le web, partout on vous assassine de
tentations, ou bien de menaces... Pluton s'en donne à cœur joie, s'insinue
partout, invente pour chacun l'objet si désirable que, pour l'obtenir, il
sacrifiera un peu d'intégrité, d'altruisme, de générosité.
Peut-on homogénéiser la terre avec la nouvelle messe du produit
électrique, basique dans les pays pauvres, sophistiqué dans les pays
riches ? Y a-t-il une culture de l'objet, qui rendrait intelligent
l'utilisateur de l'ordinateur, d'internet, de la télévision ? Une fois de plus,
toutes ces généralisations tombent à l'eau, et seule, la qualité de l'individu
détermine la qualité de l'utilisation de l'objet : les paris sont
ouverts. L'objet a gagné, l'humanisme a perdu, ses derniers râles donnent
quelques indignations humanitaires, mais même ce dernier bastion de solidarité
vraie pactise avec le diable, trop souvent, par des campagnes publicitaires qui
absorbent une grande partie des dons, ou un recyclage de la misère dans de bons
sentiments, avec des pratiques douteuses sur l'adoption... Un vent global semble
favoriser la bêtise et le loisir penaud, pour endormir les masses
exploitées : réjouis-toi du match avec ta bière. Un autre courant,
au-dessus du panier, encourage la métaphysique du superficiel, l'identité par
les marques, on n'est rien sans sa jaguar ou sa 4 quatre moins de deux ans, sans
sa rolex et son bagage Vuitton, sans un portable dernier cri, même si l'on part,
par snobisme lévystraussien, faire de la photo en Papouasie...(où, dans les
tribus bas de gamme, l'initiation serait à base de double inceste... (d'où
l'appellation bas de gamme)... Mais je n'ai pas pu vérifier la rumeur...)
Je me souviens très bien de ma grand-mère paternelle, qui m'a même
élevé quand j'avais six ans pour une période d'une année, ce n'était pas un
individu au sens où Jung l'entend. L'individu commence avec la remise en
question. La ville, depuis cinq cents ans, permet de rassembler dans le
même lieu toutes sortes de choses, d'activités, de personnes, de bestandwrong,
et c'est cette concentration extrême de facteurs hétérogènes qui pousse le
mental à s'éveiller. La première génération de citadins est encore assise le cul
entre deux chaises, mais dès la troisième, on trouve du répondant, un bon petit
ego personnel, et à la cinquième ça peut être l'horreur, comme ces gosses de
sept ans des très beaux quartiers qui refusent d'aller à l'école s'ils n'ont pas
des vêtements de marque... Faisons l'éloge de la cité, de la capitale, de ce qui
part en avant avec le moins de réserve, le plus de folie et d'assurance, et
sans vergogne.
Les choix pleuvent dans la grande ville, contrairement au code pastoral
qui régit l'activité mentale du paysan, avec ses rythmes, ses cycles, ses
contraintes identiques. Il y donc bien une culture, respectable, historiquement
légitime, et foncièrement citadine, soit une manière d'utiliser le mental
au-dessus des contingences. Cette activité subjective est entièrement libre de
droits et devient forcément délectable à toute personne qui refuse de recevoir
le présent à l'état brut, comme allant de soi, dans le prolongement de
son éducation. La vraie culture reconnaît l'aléatoire, l'évasion, le voyage, la
rupture, le seuil, elle importe l'exotique, sourit à l'hétérogène, elle permet
à l'esprit de sortir du code binaire, moi meilleur que l'étranger, si tu me
trompes je te tue parce que je t'aime, oui, la culture, avec l'art, son digne
représentant, bafoue l'alternative binaire du oui et du non, et permet, comme
le laisse entendre Woody, de choisir la troisième solution quand il n'y en a
que deux qui se présentent, en concurrence. Elle commence le barattage le
mental, qui peut mener au qui suis-je, à l'identité personnelle, qui n'est pas
fondue dans le paysage local et ses coutumes.
Pourquoi défendre la culture ? Parce que la culture n'est jamais
codée, cadenassée ni fermée comme un dogme. Elle rapporte les excentricités,
loue les innovations, suit le mouvement des métamorphoses avec la question du
progrès, qui ramifie davantage, et de la régression, qui coupe, isole, éloigne.
Elle rassemble dans un moule mouvant des valeurs et des opinions différentes,
et surtout, elle collectionne des témoignages, qui, grâce à elle,
deviennent accessibles. Elle peut devenir une science du temps, car elle
emporte toujours avec elle un peu d'Histoire, dont elle est une forme de
quintessence. Aujourd'hui, le mode d'emploi de la culture est en quelque sorte
perdu. Oui, elle a été assassinée par le reality-show. Oui, la littérature
décline, à telle enseigne même, que certains écrivains réussissent (depuis peu
mais c'est un signe), parce qu'ils n'ont rien à dire, et deviennent ainsi les
complices de la médiocratie ambiante qu'ils encouragent, du consumérisme béat,
du salut par l'objet. Oui, la philosophie n'a plus rien à se mettre sous la
dent, sinon l'abîme, que nul ne peut représenter. Elle est devenue, la culture,
comme le reste, prétexte à marchandiser, elle est devenue le valet de
l'impérialisme nouveau, le loisir penaud, paresseux, sans aspiration
autre qu'un laisser-aller minuté et rituel. Ou bien, à bout de ressources, elle
fait dans la magie noire, comme ce chien qui mourra de faim dans une
exposition, tel un objet, pour prouver quoi ? Là où l'on voit que
l'ignominie se débrouille toujours pour redorer son blason, innover, créer...
Si l'on ne cesse d'évoluer, au contraire, on découvre la vraie culture,
celle qui est le sparring-partner de l'expérience, celle qui vous agite
en profondeur, et elle est d'une extrême exigence. On peut lire dans une autre
optique que celle d'y prendre du plaisir, on peut voyager partout dans le monde
sans jamais n'être qu'un voyageur égaré, et prendre, à la place des photos que
les touristes japonais vénèrent comme de nouvelles déités domestiques, des
photos intérieures, soit des « prises de conscience » sur l'altérité.
Oui, l'individu réel commence par se forger ses propres représentations,
Socrate et Krishnamurti sont d'accord sur ce point, mais nous devons faire
attention, nous savons aujourd'hui que ces représentations peuvent être
truquées par l'inconscient, et que notre travail ne consiste pas à décréter
comment les choses devraient se passer, rien n'est plus facile, mais pourquoi,
une fois la carte établie, l'itinéraire demeure aussi aléatoire... L'hypothèse
que j'avance, c'est qu'il peut y avoir saturation, dans le moi, des
représentations personnelles, pour aussi adéquates qu'elles soient. Une fois
que l'on croit savoir qui l'on est, et ce que la vie peut apporter, le mystère
demeure entier de cette béance absolue du moment, de cette matière première
indélébile du temps qui passe. Oui, l'on peut toujours dénouer les nœuds de la
pensée, et remonter vers l'origine silencieuse, la présence du Soi. Oui, l'on
peut toujours se donner davantage au Divin, à condition de ne pas le déguiser
avec nos minables appropriations mentales qu'on se fabrique, et qui lui font
faire les grimaces de notre ego. Oui, un idéalisme absolu existe, en amont de
toutes les philosophies, et il fait vivre pour la Terre, pour l'espèce, pour le
Divin, sans s'attacher aux particularismes, par l'instrument de la
connaissance. La force de gravité, le poids des choses, doit être compensé
par une verticalité exemplaire, un feu dans le mental qui accepte ce qui est,
et brûle aussi pour autre chose, à attirer par la perfection ou presque. Dans
cette perspective, Bouddha et Jésus sont presque des jumeaux, encore-faut-il,
au-delà des formes, découvrir l'efficace de l'humilité.(Et si on la cherche, on
la perd).
Voilà pourquoi le travail intérieur est, finalement, confortable par
certains côtés. L'action universelle n'a pas à être démontrée, et elle est un
baume pour le guerrier, qui se met à dos tous les politiquement correct de la
planète, des must de la gauche caviar aux canons des gourous officiels, des
bonnes consciences irisées du Nouvel-Age, beurre et argent du beurre, aux
jugements parfaitement cohérents, mais insipides, des détracteurs de l'Esprit,
assis sur leur certitudes philosophiques, cyniques ou conquérantes. La débacle
de notre société, justement parce que l'esprit de 68 n'a pas survécu, (étant
donné qu'il était l'anticipation fulgurante d'un individualisme spirituel que
peu de personnes ont pu conserver et mettre en pratique), peut, avec bokou de
sance, amener enfin le citoyen urbain, au mental aiguisé, à pousser plus en
avant son chemin, à faire confiance à son « sens abstrait », non
seulement pour établir des stratégies contingentes, mais découvrir des espaces
de lumière, sans finalité apparente, comme désincarnés dans un premier temps,
et manquant d'utilité immédiate, mais qui annoncent cependant des prises de
conscience cosmiques.
Arracher au dévidement de la pensée constructive, aux aguêts, inquiète,
des prises qui l'immobilisent, et fournissent l'éclatante beauté du
jour, à laquelle on ne demande rien.
24 Juillet
En fait, le but de cette commémoration de mai 68 est de montrer l'énorme
distance entre ce que l'esprit perçoit, et ce que le moi intègre. L'avenir
« meilleur » était vu à cette époque, sans fioritures, il était même
là, déjà présent, dans un certain air ludique, pétillant, enjoué, détaché, cet
air nouveau qui avait inscrit, pas loin des barricades, la plus belle formule
révolutionnaire jamais inventée : soyez réalistes, demandez
l'impossible.
Mais de la coupe aux lèvres, que de chemin. Du pressentiment de la
justice sociale à sa mise en œuvre, que d'obstacles, de l'individu harponné
par l'exigence de la liberté au moi qui « pense par lui-même », que
de détours, d'atermoiements et de faux semblants. La chose est vue d'abord,
c'est normal, le mental est hors du temps, et il peut donner la vision de
l'avenir, pour peu qu'on aspire à changer le monde et soi, mais ensuite,
réaliser, intégrer, voilà la difficulté. Autant dans l'Histoire que dans le
yoga. En mai 68, la société regorgeait de solutions pour s'en sortir et il
s'est passé si peu de choses... Aujourd'hui que les solutions font défaut, comme
de simples mirages, que nulle prévision n'est fiable, que le chacun pour soi
devient la règle de la survie économique, que notre société va nulle part,
peut-être trouverons-nous, dans l'improvisation, dans l'urgence, des ressources
insoupçonnées. Celles sur lesquelles on comptait n'ont pas fonctionné. Est-ce
qu'il faut être au pied du mur, pour le traverser, dans un sursaut
impensable de survie ?
Peut-être faut-il se retrouver sans armes
pour apprendre à combattre ?
Voilà, je me suis répandu, j'ai vidé mon cœur, nous étions des
centaines de milliers à croire que les choses allaient tourner autrement, mais
cela n'a été qu'un feu de paille. Il fallait le dire. J'ai ressenti, hier, que
mon inquiétude pour l'espéce humaine m'avait permis d'avancer vite, très vite,
désormais, elle est incompatible avec l'ananda supramental, et je dois en venir
à bout. Cela me dispense de « m'en faire » davantage pour l'avenir de
l'animal debout. J'ai donné ce que j'ai pu, et n'impose rien. Voir sans émotion
les conséquences des actes de l'espèce, il faut s'y préparer, si l'on est
prévoyant, pour ne pas être entraîné dans d'innombrables petites débacles,
susceptibles de faire boule de neige. Certains retours de manivelle sont
probables, pour purger l'esprit humain de sa flagornerie, de son arrogance, de
sa cruauté.
Quoi qu'il arrive, c'est le Divin qui peine à ouvrir ses propres yeux,
c'est le Divin qui se réveille dans la matière, à travers nous. Nous supportons
sa longue ascension, Il nous a enrôlés. Il faut lui pardonner, en quelque
sorte, de nous avoir impliqués dans Son histoire sans nous prévenir, et alors,
tout s'éclaire, mais comme chacun sait, pour pardonner, il est nécessaire d'aimer. Le mental est ce que Lui permet de se promener dans le temps, en
s'effilochant, et le fil qui nous échoit Lui appartient autant qu'à nous. Le
Divin et le moi se partagent la pensée, notre pensée, qui, amoureuse des deux,
va de l'un à l'autre en trompant chacun de ses amants. Oui, l'idéalisme divin
agit, contre vents et marées, il porte en lui une révolution qui ne peut
échouer, puisqu'elle ne s'oppose à rien. La contagion des éveillés est en
marche, ils font leur boulot intérieur, qui tient la route n'importe où, ils
n'attisent pas les frictions avec l'establishment, ils vivent « dans le
secret du cœur », ni blasés ni indifférents au scandale du monde, mais
prêts à un autre combat, celui de la Conscience, qui veut briser la coquille de
l'Histoire, pour naître.
La suprématie du regard l'emportera sur le pouvoir des circonstances, petites
ou mondiales, les mutants solaires, prisonniers d'un Divin sans limites,
accepteront d'explorer l'animal incarné, programmé pour mourir, qu'une
vibration inconnue voudra déprogrammer. Ce sera le dévoilement. D'ici là, le
mensonge en rajoute, of course, tel un animal blessé.
4 Août 2008
SUR LE YOGA URBAIN...
Le site devient un véritable miroir pour l'internaute. Il rappelle les
vieux dictons alchimiques, que sans un effort soutenu, aucune approche de la
Pierre n'est possible, et qu'elle peut se cacher n'importe où. Le
« journal » sert en quelque sorte de repoussoir, et élimine les
personnes qui ne sont pas directement concernées par mon témoignage supramental
parce qu'il ne correspond pas à leurs attentes. Bien qu'il soit clair que cette
expérience est entièrement nouvelle, certains veulent la faire cadrer avec
leurs représentations obsolètes, et voudraient donc que je fusse différent, ou
que je dise autre chose qui leur convienne. On ne peut pas se faire d'image de
moi, et c'est bien embêtant pour certains. J'écris des textes plus sérieux tu
meurs, et de l'autre côté, dans le journal, je m'en donne à cœur joie et fais
des numéros de cirque. J'étais déjà comme cela avant l'adolescence et je
faisais plier de rire mes camarades en classe en faisant n'importe quoi,
accroupi devant le bureau du maître, où chaque élève était censé pouvoir venir
chercher un livre dans son casier.
J'accepte d'être dénigré et de ne servir qu'à quelques-uns pour le
moment, ceux de ma catégorie en quelque sorte, très ouverts, avec un ego
friable, des capacités faibles dans le domaine social, qu'ils considèrent comme
décevant et injuste. Mais doués d'une possibilité de lecture impitoyable du
moment, et d'une réceptivité supérieure, qui leur permet justement de
reconnaître en moi quelqu'un, car ils auront abandonné leurs propres filtres
pour saisir par identité des bribes de mes ouvrages. Les autres, et cela
me fend parfois le cœur, passent à côté de choses qui pourraient leur être
utiles, car ils ne voient pas de quoi il s'agit, chez Natarajan, alors que je
suis un des seuls à toujours ramener la quête à la difficulté radicale, soit le
moi, et le non-moi, et le lien permanent entre les deux. J'élimine tous les
échappatoires. (Je n'ai pas grand mérite, le supramental m'y a forcé, et
c'est à trente-trois ans seulement que j'ai réalisé que j'avais un
« moi », que j'étais réellement distinct de ma perception, et
m'assumer m'a demandé des efforts et des sacrifices zénormes). Par la suite,
j'ai peaufiné cette navette, ce que je reçois, et ce que j'envoie, et la
réflexion entre les deux. C'est une sorte d'anabolisme/catabolisme, si je me
souviens bien, en fait, tout cela me paraît aujourd'hui naturel, d'être absorbé
et d'absorber. Je fournis un système qui permet d'équilibrer, car en général,
soit on est trop absorbé et on noie le témoin (ce que je reproche à une voie du
cœur trop émotionnelle), soit on absorbe obsessionnellement dans un cadre trop
fermé, et on ne se nourrit que de mets prédigérés, ceux qui entrent dans le
système de conformité utilisé, et l'on ratemanque la dimension exhaustive du
réel, interdit de séjour quand il déroge aux règles qu'on lui attribue...
On préfère rêver un supramental à portée d'acharnement uranien, ou bien
l'on se poste toujours de la même manière, rassurante, dans un cœur ouvert à
Mère, ou un intellect ouvert à Sri Aurobindo, avec le danger que la
quasi-vénération d'un seul des deux, prive de ce que l'on pourrait découvrir en
les reconnaissant dans leur complémentarité. Et en oubliant au passage, of
course, que les conditions terrestres ont bien changé depuis leur disparition,
ce qui rend compte en partie de la différence d'approche entre eux et
moi de la même chose. Le travail de consécration demeure exactement le même,
soit, mais le harcèlement social dont nous sommes aujourd'hui l'objet a bien
empiré depuis la fin de la seconde guerre mondiale, voilà pourquoi, en
réhabilitant le non agir, et en le mettant à la disposition de la quête
supramentale, j'indique le chemin pour mieux supporter les pressions
extérieures. Il n'est plus possible de les éliminer à moins de fuir, ou de se
retirer très loin. Il faut faire donc avec, et je propose en quelque sorte un
yoga urbain à travers mes œuvres, qui pousse à une reconnaissance plus
profonde du milieu, qu'il s'agit de gérer, une reconnaissance plus profonde du
relationnel, dans la double mesure où les comportements des autres soulèvent
notre subconscient facilement dans les désaccords, et où nos propres postures
suscitent des réactions. J'ai donc intégré la psychologie dans la voie
spirituelle, en achevant ainsi un travail entrepris par quelques autres, mais
mon cadre est le plus large de tous, comme devrait s'en apercevoir toute
personne se plongeant dans les « principes de la Manifestation ».
Vu la portée de cette œuvre, je peux faire le malin dans mon journal et
m'y défouler en m'amusant à donner une image fantaisiste, d'ailleurs souvent je
pense à Nasruddin, et à sa joie inconditionnelle, quelles que soient les
bêtises qu'il fasse. J'aimerais prolonger ses facéties, le voir prier Allah à
la synagogue et Yavhe à la mosquée pour rétablir l'équilibre, il se mettrait à
dos les croyants des deux religions, serait battu comme plâtre, et irait se
confesser à l'église, où il demanderait innocemment qui d'Allah ou de Yahve est
le père de Jésus, ce qui lui vaudrait d'être jeté dehors, une troisième fois...
Il penserait alors battre la campagne pour trouver un commerçant indou auquel
il se plaindrait de son aventure, et c'est là qu'il inventerait la fameuse
canne à carottes, qu'il tiendrait religieusement devant le nez de son âne pour
le faire trottiner plus vite.
Seuls les sots se laisseront berner par ma spontanéité parfois
vulgaire, les autres prendront acte qu'un type rattrapé par le supramental, et
qui a toujours aimé réfléchir, a livré le mode de fonctionnement de la vie qui
remonte vers la Conscience. Oui, je m'amuse dans le journal librement, pour
compenser l'impersonnalité majestueuse que le Divin a mis à ma disposition pour
me permettre d'écrire le livre en question. D'ailleurs, l'idée de mourir subitement
ne me gêne plus, justement parce que l'ai laissé la trace de l'itinéraire
suprême pour ceux que cela intéresse, et vu la fréquentation du site, je crois
bien que le texte serait sauvé trois ou quatre fois, même en cas de troupeau de
tsunamis. Alors je fête ça dans mon journal en me laissant aller.
Mon style, présentement, permet à certains de m'éliminer la conscience
tranquille, avant de s'attaquer à mes écrits, en m'attribuant un ego
surdimensioné, mais... Selon le principe du semblable qui vote pour le semblable
à toutes les élections, dans la majeure partie des cas où l'on m'attribue
un ego surdimensionné, cela vient de personnes qui ne saisissent pas mon
intention, la même depuis mon enfance, améliorer l'ordinaire, et qui projettent
leur propre soif de pouvoir ou de reconnaissance dans mon discours, dont
l'assurance lyrique et ironique devient tout à coup suspecte, alors qu'il
s'agit seulement de jubilation enfantine et en aucun cas de démonstration de
force. Je subis quelque chose de très intéressant pour l'espèce entière,
et ce serait plutôt de la lâcheté de me taire, d'autant que j'ai les preuves
d'avoir déjà été utile à quelques-uns, ce que je paie en étant discrédité par
d'autres.
Mais plus on avance en connaissance, plus on découvre que c'est la loi, celle de la symétrie proportionnelle.
Qui se fait des amis se fait des ennemis, ou bien il faut rester au
fond du trou. Je répète qu'on ne peut plus «agir » sans être
poursuivi par une foule de gens médiocres qui vous prêtent des intentions
délétères, et la culture du web va dans ce sens-là, donc bienvenue aux
petites cabales dont je pourrais être l'objet... Monsieur jaitoutcompris
donne son point de vue ordinaire dans des journaux en ligne, avec hargne, haine
et incompétence, sur ce que font les actifs. Bernard-Henri Lévy, par exemple,
est accusé et condamné, quoiqu'il fasse ou dise, par des milliers de français,
toujours les mêmes, ceux qui ne lèveront jamais le petit doigt contre ceci ou
cela dans les faits, mais jugent scandaleux qu'on s'appelle B.H.L, qu'on
se mette en scène, etcetera, et qui trouvent une satisfaction quelconque, je me
demande bien laquelle, à vilipender ce chroniqueur, cet électron libre,
comme si c'était un mauvais bougre, ce que je ne parviens pas à m'imaginer, ne
serait-ce que parce qu'il va sur le terrain, et brave parfois le danger, ce qui
le change des cinq étoiles, où il travaille également. (Je ne vais pas calculer
la proportion de ceux qui le dénigrent par simple jalousie, pourcentage énorme
de toute façon, puisque cet homme s'autorise vraiment à vivre sa propre vie
avec une désinvolture qui est une injure à toute forme de bien-pensance, et ce
n'est pas parce qu'il agace qu'il mérite une aussi mauvaise image : il y a
vraiment des problèmes cent fois plus importants que le cas B.H.L, mais
c'est moins gratifiant de s'en occuper). Qu'est-ce que cela peut bien leur
faire qu'un intellectuel vive sa propre liberté, ne suive aucun courant,
et tire des sonnettes d'alarme ? N'ont-ils pas un combat à mener, qui les
dispenserait de démolir d'autres combats, empreints, par la force des choses,
des dernières scories subjectives des combattants ?
De la même manière, à une échelle bien moindre bien entendu, de
nombreuses personnes qui n'osent pas m'écrire pour en avoir le cœur net et qui
consultent mon site néant moins, parlent de moi comme s'ils s'y connaissaient
assez pour juger de ma personne, alors qu'ils ne m'ont même jamais
rencontré... Ils peuvent ainsi jouer avec un Natarajan virtuel sur mesure, à
leur propre image, qu'ils ne soumettent pas à l'épreuve du contact réel,
comme s'ils créaient un jeu vidéo dans les forums... , avec ce personnage auquel
ils font dire ce qu'ils veulent s'entendre dire, le pompon de l'exégèse ratée
revenant à ceux qui s'imaginent que j'ai « jugé » Satprem dans ce
premier journal où j'ai tenté de donner une explication de son échec relatif.
Personne n'attendait son décès, et cela veut dire que le yoga est sans doute
encore plus difficile que ce que l'on s'imagine, ce que je me tue à répéter,
non pour décourager qui que ce soit, mais pour mettre les points sur les i, cesser
de dévaluer le supramental, et préparer les guerriers à aimer leurs
épreuves.
D'où mes défenseurs contre mes détracteurs, des gamins qu'il faut bien
laisser jouer avec les cubes de leurs « représentations », le temps
qu'ils se fassent les dents sur des « personnes », avant qu'ils
passent à des choses sérieuses, comme s'impliquer dans leur propre voie sans
la comparer à d'autres qui leur échappent, au lieu de jouer à la philo du
café du commerce, et prendre le témoignage des éveillés pour une sorte de
défilé de mode abstrait et spectaculaire, à noter, qui leur permet de jouer aux
cow-boys et aux Indiens en se rangeant derrière leurs totems préférés. Le plus
drôle, c'est quand on se cache derrière une autorité pour me démolir,
autorité morte et enterrée, qui ne peut donc ni prendre ma défense ni
m'incriminer, mais qui est sensée néant plus cautionner mon exécution. C'est
d'autant plus lamentable que,
Primo, je ne force personne à suivre mon
propre itinéraire,
Secundo, qu'il est inimitable,
Tertio, que seul le vôtre peut vous mener au
supramental.
J'ai le droit en revanche d'affirmer que les choses se passent d'une
certaine façon, le droit de témoigner pour une évolution divine, le droit
d'être ce que je suis, et le droit de le dire. J'ai le droit de me tromper, et
le droit également d'être quasiment le seul à voir de quoi il en retourne,
grâce au supramental. Mais si ce que je dis n'est pas compris,
alors oui, of course, on peut s'imaginer que je veux être un chef de file, ou
vizir à la place du vizir, ou que je veux assumer une autorité quelconque, ce
qui est ridicule de chez Zabsurd, puisque je suis parvenu moi-même au
supramental sans jamais me plier à aucune autorité extérieure, d'une part, et
que, d'autre part, toute mon intelligence me prouve que la cœrcition ne
mène à rien, que le christianisme est un leurre, car l'amour ne peut pas être
rendu obligatoire sans devenir son propre contraire (sauf chez les mystiques),
et que les autres religions, également, sont trompeuses, parce qu'elles
ordonnent à l'homme de devenir meilleur, et ne fabriquent que des robots
moraux. (L'Inde possède un statut à part où les religions ont pu donner du
fruit, tout en n'échappant pas à certaines perversions).
Tant que le spirituel n'est pas naturel, il mène à des cultures
intolérantes, où la culpabilité et la culpabilisation font régner la terreur.
Ceux qui obéissent à la loi se sentent supérieurs, et condamnent ou
asservissent les autres. § (À ce propos, chef d'œuvre en vue, chez
Buchet-Chastel, Bombay maximum city... ) §. On peut d'autre part faire semblant
d'obéir à Dieu, et servir le diable, spécialité maison des grandes institutions
religieuses, gangrenées par des intelligences supérieures et fausses à leur sommet,
des « êtres de mensonge » comme diraient certains... Bref, je n'incite
personne à suivre la voie du tao, je ne donne d'ordre à personne, mais je dois
bien avouer que certains me consultent, qu'en m'aime, et que nous partageons
l'énigme du ciel tout en nous remettant à lui, parce qu'il nous intéresse au
moins autant que notre propre « moi ».
J'ai apprécié Vivekananda, qui m'a littéralement soulevé, puis Sri
Ramakrishna, Guénon a été limpide après l'éveil, et enfin Sri Aurobindo, lu
parcimonieusement, m'a conforté dans le sentiment que la spiritualité pourrait
changer la terre. Ils m'ont tous nourri, un point c'est tout, avec un détour
par la Bible, L'Apocalypse de Jean en particulier, et une lecture ésotérique
qui surgissait toute seule, avec cette assertion que jésus était prêtre selon
l'ordre de Melchissedek, ce qui me ravissait sans que je puisse vraiment
l'expliquer, sauf que je sentais des ramifications. Je n'ai jamais suivi de
route le nez sur le guidon, car je ne pensais pas qu'il existait de voie « à
suivre », et quand j'étais découragé, je me répétais la phrase de la
guîtâ, « Prends refuge en Moi seul », qui me permettait de tenir le
coup. Le travail a été fait par mon intelligence d'un côté, et mon aspiration
de l'autre. J'ai suivi la piste de mes incertitudes, qui se sont emboîté les
unes dans les autres, jusqu'à ce que la Manifestation me paraisse une mascarade
enchantée, vu l'échec des avatars d'un côté et mon amour inconditionnel de la
vie de l'autre, et j'ai voulu savoir pourquoi : pourquoi la conscience
n'était pas capable de quelque chose de meilleur... ( Mon père m'avait abreuvé des
excès de la Libération j'avais pas six ans, avec moult détails de tortures, je
ne pouvais donc pas passer à côté du problème du Mal).
Et cela a suffi, parce que je suis resté rivé à l'essentiel, n'ayant
pour moi-même que peu d'intérêt. J'ai pris du plaisir en passant, dix fois
moins obsédé que tous mes camarades de l'époque, je n'ai jamais voulu jouer un
rôle avant d'être allé au bout du sens absolu des choses, contrairement à toute
cette élite intellectuelle qui partageait mon dortoir en Hypokhâgne et qui se
voyait déjà aux commandes, ou bien en train de me sacrifier le jour du grand
soir... Comme symbole de l'idéologie bourgeoise plus tenace tu meurs, certains
rêvaient de me saigner. J'avoue nonne obstant quand même que le mot qui sonnait
le plus à mes oreilles était celui de « métaphysique », de l'âge de 18 ans à l'éveil, à vingt-trois ans, mot qui me plongeait dans une douce euphorie feutrée, car j'y sentais la piste de Dieu, et c'était délectable,
puisque je comptais remonter du parfum à Celui qui le porte, sans jamais perdre
la trace. Ce n'était pas un amour sentimental, mais un respect immense et
absolu pour ce que j'appelais l'Esprit, que je voulais servir, et qui,
finalement, correspondra à l'expérience que je ferai plus tard en
janvier 1977. (Perso, je ne regrette pas l'époque des années 75 où la
psychanalyse était si triomphale qu'avouer des tendances mystiques indiquait of
course qu'on était refoulé sexuel, ou à la rigueur en manque d'approbation. Le
couple Marx-Freud avait envoûté les meilleurs esprits, qui croyaient pouvoir
tout démystifier avec la seule lutte des classes, la trilogie du moiçasurmoi,
et la libération sexuelle. J'arrivais comme un cheveu sur la soupe,
et devais presque cacher mon éveil comme une maladie honteuse, tant l'air du
temps était à la fois goguenard et prétentieux... C pas une vengeance, mais je
crois bien qu'on va déchanter).
Quand on se sent vraiment impliqué dans une voie, les rumeurs, les
ragots, les jugements sont des pets, et on refuse de participer au concours,
quitte à être obligé de quitter Auroville, par exemple, où les gossips
faisaient la loi, où la malveillance régnait en odeur de sainteté... Où les
exécutions sommaires passaient pour du yoga... Où les plus culottés, comme d'hab,
parvenaient à devenir des chefs de bande et à entraîner derrière eux un petit
troupeau contestataire...
C'est tout ce mental-là qui est inutile (et dont la France raffole),
celui de la récrimination gratuite contre l'autre, et la vérité, c'est que les
gens qui changent vraiment le monde cessent de récriminer à tout bout de champ
contre les autres: ils agissent d'une part, et s'attaquent à des
structures d'autre part, ce qui ne leur laisse pas le temps de geindre parce
que tout le monde n'est pas d'accord avec eux, ou d'accuser par principe qui
n'est pas conforme. Les attaques personnelles n'ont jamais servi aucune cause, mais
elles font la loi en politique, et encore plus à gauche qu'à droite, ce qui est
renversant. C'est ça l'esprit français, on parle de ce que l'on ne connaît pas,
comme si ça allait de soi de porter des jugements sur tout, sans expérience
perso de la chose, c'est le mal français, mais en même temps, c'est
magnifique. En étant toujours au courant de tout sans jamais rien
approfondir, l'esprit français tolère mieux que n'importe quel autre mental
planétaire les excentricités hétérogènes.
L'esprit français est une centrifugeuse qui dissémine partout des
idées, souvent nouvelles, et il y a boire et à manger dedans. Ce qui fait qu'il
se mêle de tout, surtout quand ce n'est pas chez lui et hors de sa juridiction,
et qu'il se fait ainsi haïr. Pour un esprit chinois, le français est un
menteur: il prêche les droits de l'homme dans le monde entier, alors que
les prisons de son pays sont encombrées et minables, et qu'on ne s'y vante
point de la condition des femmes battues, et de celle des hommes qui subissent
des violences conjugales (130.000 cas déclarés). La France aime bien enterrer
ses propres travers en dénonçant ceux des étrangers, elle fait ainsi diversion,
et on pourrait croire que c'est une démocratie exemplaire, mais sur bien des
points, certains pays scandinaves lui dament le pion. Le français
« citoyen » devrait commencer par améliorer sa propre démocratie, au
lieu de donner des leçons à tort et à travers à ceux qui sont soumis à d'autres
cultures. Le mal français, c'est donc aussi le génie français: donner
l'exemple au niveau des idées, pour se dispenser de les appliquer, et culpabiliser
à tour de bras.
Si le supramental ne m'avait pas capturé, il n'y a pas d'autre terme,
puisqu'après m'être échappé en 1983, il m'a retrouvé, je ne risquerais pas de
parler de moi. Le plus probable, c'est que je me serais enfoncé dans
l'alchimie, et que la providence aurait peut-être mis sur ma route un
instructeur, mais je ferais dans le secret. Comme Sri Aurobindo a renoncé à
libérer l'Inde politiquement, après Chandernagor, je ne pouvais pas décemment
rester sur la même trajectoire après janvier 1977, et c'est donc le Tao
qui m'a poussé dans l'exploration de ce qu'il y avait plus loin que le Soi,
dont je me contentais, à vrai dire, puisque je m'étais mis dans la tête de
devenir alchimiste, et immortel physiquement. Il faut dire aussi, qu'à la suite
d'une histoire assez sombre, que je livrerai plus tard, je me suis cru menacé
en 1976, et après avoir relu Stanislas de Gaïta, au lieu de penser à me
protéger par une quelconque forme de magie, je l'ai fait d'une autre manière,
en empruntant à Gurdjieff un concept que j'ai extrapolé. Bref, j'ai décidé de
cesser de dormir, et cela a marché près de trois semaines, j'avais des
phosphènes avant l'aube, et le cerveau devait peut-être récupérer quelques
secondes, mais ma volonté était telle que je repartais, je buvais aussi un peu
plus de café, mais c'était de l'arabica, et il n'a donc pas épuisé le système
nerveux. Quand j'ai craqué, je suis tombé dans un sommeil d'une qualité
extraordinaire, et suis monté sur différents plans « causaux », dont
l'un était d'ordre supramental, mais l'illumination n'est venue que quatre mois
plus tard, et c'est donc bien après que j'ai fait un rapprochement entre le
scénario causal, dans lequel, sans aucune haine ni mépris, comme si cela allait
de soi, je faisais tournoyer au-dessus de ma tête mes parents.
Naturellement, pour qui n'est pas versé dans ce genre de choses,
l'image peut frapper et paraître négative, mais c'est un monde qu'on pourrait
qualifier de symbolique, purement abstrait et vivant à la fois. J'ai
littéralement adoré ma mère pendant très longtemps, ce qui me valait l'opprobre
de tous, et quoi que je dise sur mon père, je n'ai pu ni l'aimer ni m'en
rapprocher, il est resté un étranger ou presque, et les « reproches »
que je semble lui faire ne sont que la couche superficielle d'autre chose, une
analyse psychologique d'une part, et le souvenir du petit combat que j'ai dû
mener pour ne pas être infériorisé systématiquement, et même y laisser des
plumes. Quant à ses « travers », ils ne lui appartiennent pas en propre,
je ne lui en ai jamais voulu, bien que j'aie eu à en souffrir. C'était un homme
droit et intolérant, émotif et actif. Il portait des défauts génériques, était
extrêmement colérique par exemple, et vers le tard, après ses nombreux échecs
dans le domaine sentimental en particulier, il s'est légèrement ouvert et a
commencé à accepter ma différence, que je mettais un point d'honneur,
cependant, à escamoter en sa présence, dans un sentiment inaliénable de
filiation, au-dessus des controverses. Contrairement à ma mère que j'ai cru en
vain pouvoir changer, j'ai toujours senti que mon père était inexpugnable, et
je l'ai accepté tel quel, tout en me préservant.
Donc, je suis bien obligé de faire avec ces « pouvoirs
spéciaux », ces incursions « autre part », qui déterminent des
choses ici-bas, depuis à peu près 1972. De 68 à 72, pour m'ouvrir à ces plans,
j'ai été littéralement torturé chaque fois, puisqu'il semble qu'il faille
traverser des mondes symboliques infernaux, inlassablement, qui procurent une
vraie terreur, le sentiment d'une mort imminente, et l'impossibilité de se
réveiller, alors que le « moi » qui joue à ce moment-là, le décide.
Le corps est paralysé également. Cette voie m'a paru beaucoup trop dangereuse
pour que j'en parle beaucoup, ou me risque à essayer de l'enseigner, et je n'en
veux pour preuve que ce terrible moment, à l'automne 73, quelques mois avant le
satori, où je crains vraiment de mourir pendant la prochaine excursion de ce
type, et où je cherche, sans y parvenir, à me percer la fontanelle avec une
sorte d'aiguille. Finalement, je renonce, car je ne trouve pas l'emplacement
exact. Il faut dire, naturellement, que ces événements se passent quand ils ont
envie de le faire, et qu'ils demeurent imprévisibles sur le calendrier, mais
ils avaient été attirés par une sadhana totale et permanente, qui passait
inaperçue tant je semblais adhérer aux événements.
Un esprit formel pourrait donc s'imaginer qu' en accomplissant
l'exploit de reculer les limites du sommeil le plus longtemps possible, il a
des chances de parvenir au supramental. À voir. J'ai simplement voulu me
protéger, et j'ai été propulsé ailleurs. Je suis donc un peu darwinien, et,
sans tomber dans la vénération de l'obstacle, je lui accorde des qualités au
moins aussi puissantes que celles fournies par les alliés. Je pense qu'à
l'époque, j'avais dû lire Ouspensky, et que j'étais tombé sur la notion de
« sureffort » donnée par le fieffé. (Quoi qu'on pense de lui, s'il
n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer. Je suis incapable de porter le
moindre jugement sur lui, je ne le nomme pas, les initiés comprendront, mais je
suis certain qu'il avait pressenti des choses.)
Comme je relis en ce moment le matin des magiciens, trouvé dans
un état lamentable dans un bookshop de Legian il y a quelques jours, je retombe
sur le fieffé, puisque Pauwels se répand sur le travail entrepris avec lui. Et
de fil en aiguille, on parvient enfin au cœur du sujet. En relisant « le
matin des magiciens », qui ose enfin présenter l'Histoire de la seconde
guerre mondiale sous un jour pertinent, je reste tétanisé trois secondes,
suspendu, et la conviction se forme en moi que, sans le supramental, le nazisme
aurait pu triompher. Je me suis même dit en riant de moi-même que si tout le
scénario de la transformation physique c'était du flan, et qu'on n'y arriverait
jamais, Sri Aurobindo et Mère avaient servi à éviter que l'Histoire ne sombre
dans un plan régressif, ce qui est déjà pas mal de chez supérieur top niveau.
Cela m'a réjoui pendant quarante-huit heures, puisque, vu comment je suis
fabriqué, c'est la terre qui m'intéresse, et non pas le salut individuel, la
réalisation perso, et tout le tremblement de la différenciation individuelle,
dont les hindous font grand cas, puisqu'ils jugent la vie inférieure et
indécrottable, ce que le Divin vient de décider de changer.
La différenciation individuelle est une nécessité, mais, mon cher
Watson, si tout reste uni, c'est l'ensemble des percées particulières qui
assume la cohésion de l'ensemble, et l'évolution peut en augmenter le nombre.
C.Q.F.D, pour en finir avec les chercheurs schizophrènes, pour qui le non-moi
est l'adversaire de « leur réalisation ». Commencez par vous
soumettre au non-moi, car vous continuerez d'y appartenir, même super réalisés
comme Nisagardata le laisse entendre, dans son emphase irrespirable pour
un mutant. Dégager le Soi, ok, il reste le subconscient de l'espèce à
transformer, pour que les forces noires ne puissent plus s'appuyer dessus pour
refaire du nazisme, quand l'occasion se présentera.
Finalement j'en reviens toujours à la voie qui peut-être
tracée ne représente pas le chemin éternel, qui, lu autrement, veut dire
aussi plein d'autres choses, vu que des « emboîtements de sens » sont
possibles pour le même signifiant, en chinois. Ne comptez pas sur moi pour vous
dire comment parvenir où que ce soit, sauf dans le présent, puisque c'est lui
qui, de toute façon, recèle toutes les couches vibratoires de la Manifestation.
C'est lui, et non pas l'avenir, qui est, finalement, une manière imaginaire de
s'approprier le présent perso, car cela n'est pas encore démenti par les faits,
donc on se gargarise de ce bien, ô combien virtuel, mais imprenable (Vénus a
ses limites)... Comment indiquer le chemin ?
J'ai pratiqué, en quelque sorte, des trucs aussi contradictoires que le
lâcher prise intégral, advienne que pourra, tant pis pour mon avenir (abandon
de la fac en maîtrise), et le sureffort du fieffé, donc, me parler d'une voie,
ou d'un enseignement, oui, si vous voulez vraiment que j'éclate de rire. Oui,
il y en a une, ça s'appelle le discernement, et encore, seul, il ne mène pas
forcément loin. Il faut qu'il s'accompagne d'une reconnaissance pour le réel,
ou pour le Divin, assez puissante, pour qu'il ne se la pète pas, le
discernement.
C'était une commémoration solennelle, mes bien chers frères, car c'est le
matin des magiciens qui m'a ouvert la voie, j'avais seize ou dix-sept ans,
et je me suis dit, tiens, je ne suis pas le seul à penser que l'étrangeté n'est
pas un concept, mais le mot qu'on plaque, le voile épais pour se débarrasser
des choses gênantes (inconnues, incomprises, réfractaires aux explications
rationnelles). Quelque chose d'étrange, pour le commun des mortels, ça
veut dire que ça le concerne sans le concerner. Et puis pour les autres...Ça commande l'exploration du réel. Sacré réel, difficile de ne pas l'idolâtrer
à sa manière, dans l'érotisme, la liturgie, l'action, l'art, l'entreprise ou... La
collection de timbres-poste, le match en direct, le repas dominical.
Idolâtrer, c'est séparer, et prendre ce qui nous arrange.
Nobles buts : le dandy voulait libérer l'homme de la violence,
le fieffé « l'éveiller », Natarajan, le nombriliste autoproclamé,
lui, pour ne pas faire comme les autres, décide de libérer l'homme de
l'idolâtrie... Compte tenu du fait qu'après avoir idolâtré le Principe sans
succès, on risque d'idolâtrer l'argent et la liberté, sans succès également, il
faudra bien se rendre compte un jour ou l'autre, au niveau collectif si tu
veux, que l'idolâtrie ne mène nulle part, sauf à se faire vampiriser par
l'idole en question, insubmersible. (Non, je ne m'en veux pas d'avoir écrit
cette lettre, l'idolâtrie des marques a vraiment commencé, signe de
dégénérescence absolu, ce qui renverra le lecteur exigeant à la lecture de René
(Le règne de la quantité) qui me semble une excellente préparation à la vision
supramentale, trop abrupte sans intermédiaires « traditionnels ».
No problem de se libérer de l'idolâtrie, pour le Divin, mille ans c'est
une de nos secondes, à vos athanors, et silence dans les rangs, s'il vous
plaît. On y parviendra, lassés de se faire entuber. Que celui qui n'a jamais
pêché apprenne à le faire. La pêche aux coïncidences, ça existe, le non-moi
vous fait un gros clin d'œil, et le prochain pas se dessine tout seul, quitte à
sacrifier cette chose à laquelle vous teniez tant, à accomplir dans cent mille
ans, et cette synchronicité délivre de l'idolâtrie de l'avenir, une
pathologie de l'esprit moderne qui nous mène droit dans le mur.
Sans forcer, le présent devient du passé tout seul, et devient de
l'avenir tout seul également, ce salaud se déplace donc dans les deux sens à
la fois, alors que toi, de toute façon, tu périclites. Tout ça n'a pas de
sens, en tout cas, aucun sens obligatoire, aucun sens interdit non plus, mais
fais attention aux sangsues, quand même. (Aux sens sus, c'est le langage des
oiseaux, on donne un sens ésotérique mine de rien à des signifiants ordinaires,
en l'occurrence, méfie-toi des sangsues, ou « sens sus »,
c'est-à-dire méfie-toi de ne pas donner un sens passé (su) à des choses qui
arrivent maintenant, et qui n'ont pas, par def de chez catégorique, à s'aligner
sur ton old-fashion savoir, tes cartes au trésor périmées, et tes
convictions inoxydables, des fois que le réel serait plus fort que toi, par
simple provoc, et susceptible de briser ta bestandwrong sans ton
autorisation. Car les croyances, ça suce le sang, si tu veux, comme les petites
limaces sanguinaires que j'ai une fois rencontrées au Sri Lanka ...En nombre,
c'est assez désagréable, et tu ne les vois pas venir. Elles attaquent par
surprise et te voilà avec les mollets dévastés.
Donc voilà, débarrasse-toi, c'est un ordre facultatif à te donner
toi-même en oubliant que c'est moi qui le préconise, oui, chasse tes parasites
intérieurs, ces programmes de décodage du réel enracinés dans de vieilles
histoires, et qui font rétrécir l'ouverture au moment, sauf quand ça t'arrange,
bien entendu. Quand ça grippe, tu es sur quelque chose d'intéressant, keskyresyst ?
Toi, ou le réel ? (J'en ai déjà trop dit !).
Tu peux toujours essayer de fourguer tes formulaires au Seigneur de la
concrétude matérielle pour qu'il t'obéisse et signe, mais sache, primo, qu'il
n'est pas pressé du tout et qu'il adore poser des lapins, et que, septièmement,
il ne répond qu'à l'aspiration la plus profonde, ce que Jésus a laissé
entendre, avec une notion de la foi, qui n'a rien à voir avec une
« croyance en Dieu », mais qui désigne une persévérance dans la
ferveur, qui seule donne la force d'accepter ce qui est, contre vents et
marées, vu que le chercheur de vérité devient sensible aux « péchés contre
l'Esprit », et doit continuer de se démarquer du magma ambiant, sans
renoncer en cours de route, pour découvrir les états transcendantaux. (Même
Sri Aurobindo est resté six mois le bec dans l'eau, et mezig me suis pris une
année sabbatique, la transcendance sans grosses zépreuves, désolé, mais je ne
l'ai jamais vue de mes yeux vue, sauf si l'on croit transcender dès qu'une
meurtrière se produit dans le ciel mental pour éclairer la cave).
Oui, l'avenir peut correspondre, mais non pas à ce que nous voulons, la
volonté étant trop subjective et constellée de rajas, mais à ce que nous
souhaitons, pour le bien de tous. Je ne te conseille pas d'obtenir ce
que tu veux, même si tu le peux, après avoir lu le livre à la mode qui te
donnera l'illusion de soumettre le réel, de l'apprivoiser à ta convenance en
tout cas. Une fois rassasié, tu risques de cesser ta quête, ne réussis pas trop
vite, n'obtiens pas tout ce que tu veux. Tu finirais dans un bocal sur mesure, et
dans un drôle d'égrégore ...
À la nuance près, que, sans le discernement, on peut peu et on
ratemanque beaucoup, à moins qu'on échoue systématiquement, pour se prouver
qu'on a du caractère. Et l'on finit aux pieds d'une idole, avec l'immense mérite
d'avoir l'impression de l'avoir choisie soi-même. Cela revient souvent chez ce
Natarajan en question, brillant mais plus que douteux, que choisir son
aliénation ne correspond pas à être libre... (Être l'esclave du Divin, c'est
une autre paire de manches, naturellement, et une forme de liberté de toute
façon insaisissable pour qui n'expérimente pas le Divin ou qui n'y est pas
entièrement consacré, d'ici là, être libre signifie s'affranchir des
survivances dynamiques, et de tout ce que l'espèce nous force à porter, et qui
voile l'être psychique).
Je sais, c'est beaucoup vous demander et ce n'est pas mon intention,
mais souvenez-vous : le fieffé et le dandy aussi étaient exigeants, que je
sache. Si vous voulez savoir ce qu'est un maître, c'est celui qui ne s'arrête
jamais. Alors arrête de prétendre que tu vas explorer la Papouasie, si tu
n'abandonnes pas ton camion à pharmacie, okay, que tu foutais dans le convoi
avec le trente-trois tonnes de ta boussole plus précise tu meurs pour assurer
tes arrières ? De toute façon, tant que tu croiras pouvoir apprendre à
nager hors de l'eau, avec un manuel, tu te noieras dans un verre d'eau. Plonge,
mon chéri, ou tu coules ou tu nages, mais au moins tu es fixé. Terrasser la
médiocrité des valeurs, des comportements, des ambitions, débusquer le
subconscient, c'est possible, mais il faut accompagner le mouvement, bosser, tu
comprends... Le surf, toujours le surf. Tu ne soumettras jamais la vague, mais
tu pourras être, elle, un jour, et faire le tube, c'est promis. Le satori guette
ceux que l'identité interpelle vraiment, jusqu'à se lancer à corps perdu
dans ce mystère... Feindre l'abandon, comme les commerciales du désir qui
espèrent une petite prime en rab, ça ne marche pas, avec l'univers, parce qu'il
répond du tac au tac. Tu le nies, il te nie, tu le reconnais, il te reconnaît,
c'est la loi de la liberté, exprimée dans le passage cinquième du Tao-te-King.
Dieu ne se donne pas à qui ne veut pas de Lui ; Il te respecte si
tu peux T'en passer, et se planquera un max... Puis, si tu commences à L'aimer, Il
t'en fera baver longtemps avant de Se donner, ce en quoi Dieu est fait à
l'image de la femme fatale, irrésistible, sauf que normalement, Il ne te
laissera plus tomber après. Il attend d'être sûr que tu sois crédible pour
montrer le bout de son est, et les tests s'accumulent de telle façon que, si tu
te racontes des histoires sur ce prétendu amour, l'objet de ton amour te pose
lapin sur lapin, jusqu'à ce que tu le maudisses, ce qui prouve bien que tu ne
L'aimais pas vraiment, dans le fond...
Davantage d'individus libres, au sens où nous l'entendons, c'est
peut-être le prix de la libération terrestre, car les forces hostiles n'ont
pas dit leur dernier mot, et elles demeurent des entraîneurs vers la
perfection. Inutile de les haïr, c'est par là qu'elles nous récupèrent, inutile
de les aimer, c'est par là qu'elles nous corrompent. Inutile de les contourner,
elles se présentent, inutile de les appeler, elles ne se manifestent qu'au
moment opportun. L'adversité fait partie du non-moi, bienvenue à
l'adversité ! Bienvenue à l'adversaire !
6 Août
Il est plus que probable que je sois parvenu au supramental par cette
ascension dans les plans causaux, qui, je le répète, est un processus
qui m'échappe en partie, mais qui a toujours dégagé la route un max. Il doit y
avoir d'autres moyens d'accès, naturlish, donc, je conclus, oui, les parents
qui tournoient au-dessus de ma tête, à toute vitesse, comme s'ils ne pesaient
rien entre parenthèses, cela veut dire of course que mon être « véritable »
s'était dégagé de toutes les manigances de la vie, de la naissance, et devait
donc être prêt pour autre chose, comme le supramental, par exemple. Ceux qui ne
comprennent pas que le Divin dont il est question est en dehors de la
Manifestation elle-même, à moins qu'Il n'en soit son origine la plus reculée,
se font une idée fausse du Divin, contaminée par celle du Dieu créateur, qui
n'a strictement rien à voir, et qui constitue un particularisme judéo-chrétien.
Le supramental existe par lui-même en dehors de la manifestation
terrestre, à laquelle il n'a strictement aucun compte à rendre, et à l'homme
encore moins. C'est donc aux singes debout, lassés de leurs grimaces et de
leurs ruses, de leurs mots creux, de monter vers lui, et c'est possible d'y
accéder. L'image est assez simple, la conscience se manifeste dans la vie dans
un ordre ascendant, et n'a pas lieu d'arrêter son ascension pour faire plaisir
aux communistes, aux athées, et aux libertins, for exampeul. La conscience
utilise l'homme, comme en dessous elle utilise les animaux, et je ne vois pas
pourquoi au-dessus de nous, elle n'utiliserait pas d'autres créatures, plus
évoluées, qui seraient simultanément plus libres et plus conformes à son
pouvoir suprême. Dans cette perspective, ramener à soi sa propre existence est
bien entendu une entreprise grotesque, puisque ce qui nous anime nous dépasse
infiniment. Les mystiques l'ont compris avant les autres, et c pour ça, of
course, que la Conscience les contacte avant les autres, puisqu'ils n'opposent
plus leur propre projet existentiel au flux éternel des choses. Ils consentent
à autre chose, et se noient dans le mystère, car c'est ainsi que périt le vieil
homme.
La profondeur des motivations requise est telle que, pour le moment, le
supramental semble réservé à ceux et celles qui ne s'intéressent à rien d'autre
qu'au Divin, et qui agissent en conséquence. Beaucoup prétendent ne
s'intéresser qu'à Lui, mais n'agissent pas en conséquence, donc, malgré la
cohérence de leur bestandwrong, la carte l'emporte sur le territoire, le
mental sur l'exploration du réel, et la complaisance sur la consécration. Ils
ratemanquent donc leur but, car il n'est pas présent à chaque instant, et il
n'est donc qu'une représentation mentale pas tout à fait en prise avec le réel,
ou de façon discontinue, ce qui empêche de rattraper l'immobilité primordiale.
Tout ça, parce que, malheureusement, nos actes et nos vraies intentions
ont plus de conséquences que notre pensée, qui soudoie le réel avec
l'imaginaire gratifiant. Elle aime faire des vœux pieux, et adore l'impossible
à condition qu'il se soumette, ce qui, je m'excuse de vous l'avouer, ne peut
pas se produire. Demander à l'impossible qu'il vienne nous manger dans la main,
il y a longtemps que l'espèce s'y emploie, pour se faire mousser, mais ça finit
par tourner court ou mal, Dieu devient le diable, et la liberté l'esclavage,
les vices de formes s'en donnent à cœur joie, et se reproduisent comme des
lapins, car cet abruti de mental prend l'image de la chose pour la chose
elle-même, et on finit enfermé dans un univers de représentations, fantômes du
monde réel.
Il s'agit de comprendre ce qu'il exige, l'impossible, de l'assumer, de
fortifier nos intentions transcendantales, ouvertes, et alors, oui, on sort des
sentiers battus, qui ont trop souffert les pauvres d'être autant battus, et on
tombe sur des sentiers qui n'ont pas encore eu à se plaindre d'avoir subi de
mauvais traitements, et qui enchantent, bien que la solitude y soit plus
fréquente, et qu'il faille apprendre à se supporter tout seul et à dormir seul
et longtemps dans un lit. Certes, ils sont parfois bordés de précipices,
justement pour que l'enchantement ne finisse pas en ivresse transcendantale, en
hystérie mystique, mais en true power de reconnaissance absolue d'être
là.
Où ça ? Cher mètre ?
D'être né. C'est déjà exceptionnel, mon cher Mily.
Je crois que ça énervait Jésus de voir que les juifs et les romains se
la jouaient comme si ça allait de soi qu'ils étaient là, identifiés à leurs
petites affaires minuscules, au lieu d'interroger, à l'intérieur d'eux, le
témoin virtuel, qui veut monter vers le Moi, s'élargir, respirer, recevoir et
donner. La banalisation de l'existence prend des proportions monstrueuses,
toujours et partout, alors que chaque instant est un maître. Gurdjieff aussi,
il n'en pouvait plus, et c'est bien pour cela qu'il a employé le terme de sommeil,
pour l'homme générique, encore plus concret et parlant que le terme d'ignorance,
qu'on trouve dans le bouddhisme et l'hindouisme. Oui, c'est du sommeil, l'homme
ordinaire, et pourtant, on ne peut pas le forcer à se « réveiller ».
Cela ne marche pas. Aimer, c'est aussi aimer ses ennemis, et non pas seulement
aimer le semblable. Le semblable n'a aucun « mérite » à s'aimer
lui-même, et il ne peut même pas faire autrement. En revanche, grâce à
l'intelligence, qui comprend, on peut aimer le différent, et là, c'est une
grande victoire. On laisse les autres respirer, et en ce qui concerne ceux qui
sont tellement différents qu'ils pourraient être nocifs, on leur rend hommage
en se protégeant. L'amour sans intelligence, je n'y crois pas plus qu'au père
noël, c'est un amour qui fait dans le semblable, et bute vite, trop vite sur le
non-conforme.
Tout ce que nous pouvons développer et qui nous permet de dépasser
l'amour du semblable pour lui-même, qui tourne en rond, tout ce qui nous
fournit l'intérêt pour l'altérité et la différence, nous permet de nous
élargir.
C'est le seuil de Saturne, que certains ne
parviennent pas à franchir. Personnellement je me retrouve dans Tout, et dans
n'importe quoi, mais je n'adhère pas de la même façon à toute chose. Comme
Hallaj, qui disait connaître Satan, alors qu'il pouvait décréter aussi qu'il
était la « vérité créatrice », Jésus se reconnaissait dans les
pauvres, les faibles, les mécréants, ceux qui sont par def marqués de
l'opprobre dans toute société. On n'insiste pas assez sur l'analogie entre
Jésus et Hallaj, c'est dommage, parce qu'on finirait par comprendre que les
individus ont beau être différents, ils passent par les mêmes épreuves, les
mêmes portiques, et franchissent les mêmes seuils. Lanza del Vasto était revenu
enchanté des Indes, car il avait compris que Jésus n'était pas un cas unique,
et cela l'avait libéré. L'Histoire officielle sacrée, si on ne la limite pas à
notre lopin judéo-chrétien censé être plus mieux que les autres lopins, compte
une bonne trentaine de cas d'hommes qui dépassent tous les cadres, depuis trois
mille ans, et vivent pour autre chose, une marche encore au-dessus du Soi où
tant de maîtres s'éteignent. Et comme il est probable que parmi ceux qui
montent aussi haut, la plupart restent ignorés, il me paraît intéressant d'en
finir avec le mythe des quelques superdieux mandatés pour éclairer l'humanité,
qu'on peut tout juste compter sur les doigts d'une main. Au passage, on
comprendra que « Jésus fils unique de Dieu » constitue la plus belle
supercherie de l'histoire du Kali-Yuga, le mensonge politique le plus pervers
qui fut, mais, dès qu'on découvre l'esprit romain, qui a contaminé toute
l'Europe, on ne s'étonne guère quand même. On s'étonne au contraire que
l'empire romain soit en odeur de sainteté, alors qu'il fut pendant des siècles
et des siècles un monde barbare parfaitement policé, ce qui est loin d'être
incompatible quand on réfléchit en profondeur sur l'homogène et l'hétérogène,
et qu'on ne se laisse plus berner par les représentations, tandis que des
centaines de carnages défilent sans discontinuer, des carnages civilisateurs,
en quelque sorte, comme on nous apprend à l'école, quand on nous vante les mérites
de la colonisation en Afrique.
Changeons de sujet, ça fait trop mâle.
Mettre l'étiquette « divine » sur Sri Aurobindo ne sert à
rien, sinon à creuser la distance, le mystifier, et faire un yoga inférieur,
sous prétexte que nous ne sommes pas « divins », contrairement à lui.
Je suis convaincu que Sri Aurobindo ne s'est jamais pensé divin, ni même
différent des autres, et le début de son parcours, à la che Guevara, le
démontre amplement. À partir de 1926, c'est une autre paire de manches. Le supramental
n'est pas réservé aux « dieux », il sera à la portée de toute entité
s'incarnant, quel que soit son plan d'origine, et qui voudra vivre pour le
Divin plutôt que pour elle-même. Une « portée » de principe, puisque
c'est la qualité de la sadhana qui déterminera le succès ou l'échec, comme dans
n'importe quel type d'entreprise... D'accord, on ne peut pas expliquer pourquoi
une petite minorité sacrifie tout à la connaissance ou à la mystique, tandis
que le reste veut vivre pour sa propre vie, en réduisant le Réel à un cercle
minuscule. Le fait est là, et on peut très bien vivre avec, sans mépriser
personne, sans jalouser ceux qui sont devant, et, dans l'ensemble, on peut
reconnaître aujourd'hui un frémissement collectif pour la Vérité,
produit davantage par l'échec renouvelé de la société que par attirance directe
pour le Divin, mais ce qui compte, c'est l'orientation du mental. Qu'il
s'intéresse au Vrai par amour, ou bien parce que c'est la seule chose qui reste
à découvrir, il peut rejoindre le cœur, et il faut en quelque sorte parier sur
le désarroi de la société actuelle pour qu'il en sorte un nouvel esprit
holistique. Tant que cette jonction ne sera pas établie, les intelligents
manqueront de bonté au nom du réalisme, et les « aimants » manqueront
d'intelligence dans une systématique projection de soi en avant, idéalisante,
et qui se satisfait d'engloutir le non-moi sans vrai discernement, dans une
ouverture qui finit par être opportuniste et répétitive.
La vison supramentale réussira, si elle s'implante, car elle est
complète. Dès maintenant, il s'agit d'estomper les différences entre les voies,
afin de ne pas exiger du Moment qu'il se conforme à notre propre chemin, mais
on peut cependant conserver les caractéristiques de chacune. Sri Aurobindo l'a
vu à partir du supramental et l'a consigné dans la synthèse des yogas,
moi je le sens à partir du long barattage de la shakti dans le corps, et je
vois bien que je subis différents mouvements qui ne se contrarient plus, ce
sont des types différents de la même reconnaissance, absolue, de la réalité,
qui s'expriment dans plusieurs directions. Notre « balayage » du
champ peut toujours s'élargir, et c'est ainsi qu'on finit par vivre l'instant
« sans attentes ». C'est là qu'il révèle les signes de piste
authentiques. Ce qui entre dans ce que nous connaissons déjà n'est qu'une
confirmation du passé. La difficulté, c'est donc de profiter de ce qui ne
correspond pas encore à du représentable et du récupérable dans notre
système, mais je me tue à affirmer que, justement, l'intelligence sait
« agir » comme cela, mais nous devons nous autoriser à absorber
les chocs, d'un côté, et à examiner n'importe quoi, de l'autre. En dehors de
notre propre référentiel.
Le problème, c'est que nous croyons à notre propre intelligence, et vu
que c'est « la nôtre », elle est forcément débile, puisqu'elle
arraisonne et condamne ce qui ne lui convient pas. Le dandy lui aussi a dit
quelque chose du même genre, en dénonçant l'appropriation subjective du réel
par la croyance, aussi subtile fût-elle (comme cultiver l'idée de se
débarrasser de la pensée, qui est une croyance, c'est trouver la pratique
non-mentale qui compte, mon cher Watson !)
Je ne dis pas tout cela pour ramener à « ma cause » les
adeptes du fieffé et du dandy, mais seulement parce que je les ai à l'esprit en
ce moment et qu'ils concordent : le sommeil provient de deux choses
qui s'épaulent, s'approprier le mental et s'approprier sa propre existence, ce
qui la met en sommeil, ce qui la coupe de la totalité. Peut-être que « la
nature » nous moule ainsi, dans la prééminence du moi pour le moi par le
moi grâce au moi et avec lui... Mais, justement... Quand on part sur les traces de
la transcendance, où qu'on la débusque, elle ne se contente jamais de la
nature, y compris dans le tantrisme, où elle est réintégrée après avoir été
longtemps conçue et vécue autrement. Et, où que ce soit, la notion d'identité
n'est plus conforme à l'image générique, d'où les termes techniques qui
précisent le travail à effectuer : ego, personnalité, caractère, personna,
vieil homme, dormeur, ignorant, etc...
Le travail de reconnaissance du non-moi, puis de l'altérité, puis du
Divin, pour retrouver par où l'on appartient à l'univers, ou au Tao, c'est ce
qui nous reste à faire, et ce n'est pas parce qu'il existe des centaines de
voies qu'il faut en profiter pour se fourvoyer. Il y a un circuit fermé à
briser, et le maître choisit sa propre manière de transmettre comment y
parvenir...(Ceci dit, rien ne t' empêche de porter des œillères, c'est
mieux qu'avoir les yeux bandés, et tu peux répéter fièrement : au royaume
des aveugles les borgnes sont rois, pour te sentir à la hauteur). Inutile de me
discréditer au nom de Gurdjieff ou de Krishnamurti, je ne cherche pas à
dérouter leurs soi-disant « disciples » ou « antidisciples »... Mais
il se trouve que l'évolution ira encore plus loin, et ce n'est pas de ma faute.
Je ne contredis personne au nom de la supériorité du supramental, les éveillés
ont raison jusqu'à ce qu'au-dessus les choses apparaissent encore différemment,
et cela n'a pas lieu de cesser, jamais.
Dans le yoga supramental lui-même, des progrès s'effectueront de
génération en génération, probablement parce que la résistance diminuera,
et l'idée même de parvenir est ridicule. Profitons des étapes franchies pour
mieux supporter les suivantes, qui sont parfois encore plus difficiles.
Chaque « éveillé » prépare le terrain pour encore plus de
transcendance, chaque maître a son ipséité propre, même dans
l'impersonnel, et, vu d'en haut, nous faisons le même travail. Se détacher de
la suprématie d'un gourou particulier peut être fort utile. Si, d'un point de
vue technique, et donc pragmatique, on les considère comme des stratèges,
chacun a sa façon de jouer, et de transmettre son art de la guerre contre le
sommeil. Les éveillés voient bien entre eux qu'ils font la même chose, mais
les dormeurs se disputent à noter et à classer les maîtres en fonction de leurs
propres préférences sur la sonnerie du réveil... Ce qui les dispense de sortir du
sommeil en rêvant de marqueterie transcendantale, où Jésus vaut 17, Bouddha 14,
etc.
« Je veux bien être réveillé, mais pas par n'importe qui, sinon
je préfère continuer à dormir... »
Lamentable !
Les fausses voies séparent, voilà pourquoi les meilleures doctrines
sont pleines de failles et de trous : afin qu'on ne puisse jamais les
suivre les yeux fermés, afin que soit vérifié chaque postulat, par
l'expérience. Toute recette tue l'Esprit, mais rien ne peut détruire
l'aspiration à Être. Reste à voir en quoi c'est différent de
« vivre », et là, les inégalités sont géantes.
Nous avançons quand même.
Pas besoin de propagande à diffuser, pas besoin de dogmes à dénoncer.
Ceux qui veulent convaincre et ramener à eux risquent de tomber sur plus fort
qu'eux et d'être appâtés hors de leur dharma. C'est assez mode en fin de
cycle... Tu prêches pour ta paroisse, et tu te retrouves dans une autre église, on
t'a retourné le compliment... Ça t'apprendra à recruter...
Ne séduis pas et tu ne seras pas séduit, en quelque sorte... S'il ne
s'agissait là d'un clin d'œil, bien entendu...
Personnellement, je n'imagine pas Sri Aurobindo m'interdire de faire
mon propre yoga « éclectique », comme si je le trahissais, parce que
je puise partout ma nourriture. Il est tout à fait possible de se dédier, en
quelque sorte, à un maître particulier, tout en continuant à apprendre des
autres. Seules les vérités formelles peuvent se contredire. À partir d'un
certain niveau, la vérité est conforme à elle-même dans n'importe quel
enseignement, ou voie. C'est cette vérité-là la plus intéressante, celle qui
résiste partout, au cœur de chaque tradition. C'est inutile de l'enrubanner
dans du « supramentalisme » supérieur, ou du christianisme originel,
ou du zen au carré, ou de l'hindouisme pur, ou du taoïsme ésotérique... Elle
n'est pas dans l'objet , mais dans le sujet.
1er Septembre 2008
Je reviens enchanté d'un voyage à Bornéo, où j'ai fait les deux
districts malaisiens, Sarawak et Sabah. L'empreinte chinoise y est forte, et
cela m'a requinqué. La Malaisie partage avec la France le génie de la cuisine,
c'est aussi un pays très actif, avec des chinois et des musulmans, à l'opposé
presque de Bali, où le « travail » n'est pas encore vraiment devenu
une valeur sociale, mais où la pression pour qu'il le devienne se fait désormais
sentir, à cause de l'augmentation brutale de l'essence et de l'électricité. Je
me vois bien déménager bientôt vers la Malaisie, ou peut-être la partie
indonésienne de Bornéo, si je veux vraiment continuer la chasse sous-marine,
interdite en Malaisie. Bornéo comporte des villes très modernes, inattendues,
comme Kuching ou KotaKinabalu, le poids du passé ne s'y fait pas sentir, les
racines religieuses semblent présentes et assez légères, la vie se vit sans
encombres, les egos ne sont pas encore formés à se défendre contre tout un tas
de trucs comme en Occident. La nature y est extraordinaire, la mer très chaude,
la vie bon marché. C'est le pied. Ceci dit, je me vois partout ailleurs
également, car je laisse l'altérité jouer un grand rôle dans mon existence, et
des événements extérieurs peuvent donc décider du lieu de mon avenir. Je me
suis libéré de toute crainte et de tout espoir concernant 2012, pour certains
c'est une carotte, et je n'ai rien à redire là-dessus, mais ce n'est pas ma
tasse de taie, je dors sur mes deux oreilles de toute façon. Cependant, si la
big Histoire nous refait le coup de nous mettre le nez dans notre KK, je
conçois tout à fait de jolis scénarios, dans lesquels je deviens nomade, à
moins que je sois enlevé par les extraterrestres, ou que je me réfugie avec une
petite bande, sur une île inconnue...
J'ai relu mon journal, et je n'ai plus envie de commenter la société.
Il me fallait dénoncer l'esprit français, que j'ai subi en hypokhâgne et en
khâgne, puis à Auroville, et maintenant un peu sur le web, ce petit mental
critique minable qui trouve toujours à redire, qui aime aboyer par principe,
qui se délecte à accuser, qui confond réquisitoire et dialectique, et qui ne
fait jamais rien de concret, ou si peu, qu'il se réduit à une sorte de vapeur, de
brume, qui noie dans un flou artistique tout ce qui se démarque.
De toute façon, abasourdi quelques jours par l'éditorial de jean
Daniel, où mezig a perdu ses dernières illusions zumanistes... Je n'ai plus qu'à
« fermer ma gueule ». Vu qu'il aurait toujours existé, selon lui, plus
ou moins larvé, un antisémitisme de gauche, je rends mon tablier...
Pour moi l'idéalisme, c'est ce qui peut changer le monde, mais non pas
n'importe comment. S'il s'accompagne d'un droit à la haine proportionnel à la
hauteur de ses ambitions, il faut le jeter à la poubelle, tout de suite.
Nouvelle ou analyse d'autant plus consternante que ce n'est un secret pour
personne que beaucoup de juifs sont de gauche, ce qui revient à dire, en
prenant des raccourcis, que la gauche n'a pas réellement d'identité, et qu'elle
n'en a jamais possédé peut-être, car on ne peut pas fonder une identité sur une
simple opposition à son contraire.
Il faut qu'elle ait des fondements.
La gauche est toujours contre, contaminée par les principes de l'anarchie,
et elle s'imagine que ce contre tient lieu de pour, comme un ado s'imagine
libre parce qu'il dit merde à son père, avant de soutirer du fric à sa mère. Ce
n'est pas sérieux. Alors j'abandonne. Je pense au frère de Sri Aurobindo, qui
est resté dans l'activisme, et qui n'a pas « fini » de la même façon
que notre maître ... Chacun sa voie. Je travaille moi aussi en amont des secteurs
social et politique, et ce n'est même plus la peine de les accuser de quoi que
ce soit. La France souffre, s'essouffle, veut continuer à jouer dans la cour
des grands, ce que Giscard, dont tout le monde aura remarqué la physionomie
chinoise, ne préconise pas. Je suis d'accord avec lui. La France a toujours
pété plus haut que son Q.I, et elle tient à persévérer. Lui enseigner « le
profil bas » me paraît voué à l'échec... La réalité finira par la remettre à
sa vraie place, qui est juste en dessous de là qu'elle s'imagine... La pauvre.
Elle qui aime tant donner des leçons... Il y a même une prophétie de Sri
Aurobindo sur la « destruction » de l'Europe... Je ne suis pas
millénariste, ni enclin au catastrophisme, mais comme les plus perspicaces
l'auront remarqué, je précise qu'en dessous du règne mental, qui interprète les
choses, existe le réel lui-même, indépendant, dont nul ne contrôle le développement.
L'Histoire ne sera jamais conforme à ce que l'on en attend, qu'on se le dise,
pour absorber les chocs, prendre du recul, vivre pour l'Esprit. Faut-il se
préparer ? Oui et non. Notre évolution spirituelle n'a pas lieu de
dépendre de « ce qui arrive », mais « ce qui arrive »
possède un impact sur notre psychologie, et c'est là qu'il faut travailler.
Quoi qu'il arrive, cela ne doit pas nous détourner de l'Esprit. Les plus
experts peuvent même profiter de l'état d'urgence, et ceux-là méritent le terme
de guerriers. Les autres peuvent réfléchir et méditer sur le détachement, leur
capacité réelle d'accepter ce qui est, sans rechigner, ou de changer
brutalement de cap existentiel. Oui, il y a une accélération plutonienne. Tout
le monde veut plus.
Plus de quoi ?
Cela dépend du niveau psychologique. Mais tout le monde veut plus, et
ça mène à la foire d'empoigne, merci Pluton. Les psychorigides vont devenir
carrément méchants, la conscience tranquille, car ils veulent plus de
certitudes sécuritaires, les pervers commencent à revendiquer sur le web leurs
déviations, et demain, plus personne n'aura le sentiment d'avoir une identité
s'il n'est pas un people...(et roule en Jaguar). Moi, je trouve que Maya
a beaucoup d'imagination, et je ne lui en veux pas. Et tant pis si personne ne
se rend compte que l'Histoire n'est qu'un immense feu d'artifices, avec des
gerbes de valeurs qui éclatent dans le ciel sombre, de toutes les couleurs, et
qui retombent aussi vite. Les religions et les ... ismes se sont partagés le ciel
obscur du temps jusqu'à mettre l'homme à nu : plus il revendique son
indépendance, plus le cosmos le rappelle à l'ordre. Normal, le centrifuge et le
centripète sont proportionnels, sinon tout se casserait la gueule. Alors
l'avenir, tu m'en diras des nouvelles... D'ici là, don't hoiries, il te reste le
présent, et c'est déjà pas si mal tout bien considéré, vu qu'hier n'est plus,
mort et enterré, et que demain est déjà en retard de la plupart de tes
attentes, mon chéri... D'accord il ne te reste pas grand-chose si on y va par
là... Si je t'enlève tes illusions : alors tu peux les chérir si tu les
crois utiles.
Mais si tu les perds, ce n'est pas si grave : ta vision du réel
s'élargit, et cela te contente assez pour que tu n'exiges plus de lui qu'il
soit conforme à tes attentes puériles, donc, tu gagnes énormément en largeur,
et tu autorises enfin le réel à être ce qu'il est, hors de ton
consentement !
C'est gagné, ou presque.
C'est comme ça, comme disent les pandits pédants de Bénarès, qu'on se
rend compte finalement que cet horrible samsara n'est rien d'autre que Lila,
le jeu du Divin. Encore faut-il transmuter ton regard, et voir dans le mal un
bien qui se cherche. Alors tu ne haïras plus personne, et d'autres clés te
seront données...
5 Septembre 2008
J'ai réalisé hier que toute l'humanité ou presque vivait
superficiellement. C'était une vision. Assez amère, je surestimais l'espèce.
Cela ne peut plus durer.
6 Septembre 2008
Le constat d'hier n'a pas laissé de traces obscures. Il y a encore des
âmes qui débarquent sur terre pour « vivre leur vie », et qui seront
à jamais incapables d'œuvrer pour une amélioration sociale ou psychologique. Le
problème, c'est que la vie sur terre est compromise, et que les êtres humains
responsables, ceux qui aspirent à s'améliorer, doivent augmenter en nombre. Le
déferlement d'énergies spirituelles doit créer une aspiration collective à un
monde meilleur, plus informel. Les intégrismes vont donc se renforcer
puisqu'ils veulent faire entrer l'avenir de force dans des lois obscures
et minuscules, qui nient la diversité des êtres, des cultures, des valeurs.
Certains enseignements du surmental vont enfin être compris et suivis, par des
êtres sincères, et la reconnaissance de l'amour universel peut s'amplifier.
Comme je reste fondamentalement un terrien, je ne peux pas réduire la recherche
de la vérité à la seule quête spirituelle. Il y a des humains qui changent de
trottoir plutôt que de passer devant une librairie ésotérique, à cause de la
tentation d'y pénétrer of course, et qui sont bien décidés à agir concrètement
pour améliorer les choses. Il existe une spiritualité qui ne se considère pas
comme telle, et j'ai eu la chance une fois de rencontrer un homme qui la
représentait. C'était un expatrié, avec un accent slave, assez âgé, très tonique,
qui semblait carrément agité de l'intérieur par la bonté, et qui venait
témoigner de je ne sais quelle action humanitaire. Je me souviens encore de sa
remarque qui m'a stupéfié : « pour un éveillé, vous êtes vraiment
sympathique. » Il avait dû être pris de haut par des imitateurs de Sankara
ou des perroquets transcendantaux, qui méprisaient sa philanthropie. Cette âme
finira par se réaliser sans le faire exprès, car son combat est juste.
C'est ce genre d'expériences qui me pousse à remettre à leur place les
commentateurs de Sri Aurobindo vernissés, qui font dans l'egocentrisme
transcendantal, la condamnation de principe du non-conforme à leur bestandwrong
caricaturale, parce qu'ils ont pénétré intellectuellement le système le plus
parfait de la planète, et qu'ils s'y enferment en se prenant pour Dieu.
Courant, en Inde... Étrangement, il y a plein de types incapables de donner quoi
que ce soit à qui que ce soit qui passent maîtres en commentaires sublimes. Il
semble que l'incapacité à s'impliquer « pour de vrai » produise
systématiquement de beaux parleurs, et c'est dans cette direction qu'il faut
chercher les racines du mensonge.
Dans le discours qui dispense d'être confronté au réel,
Puisque le discours lui-même devient le réel.
Et finit par le remplacer... Et n'oubliez pas cherzamis, que
l'interprétation pour elle-même détruit son pratiquant. Cioran y a laissé sa
santé, Shopenhauer le pauvre, laissons-le où il se trouve, et Derrida est mort,
il y a peu, dans la souffrance morale, lui qui a été adulé en Amérique... Quand on
élimine le Divin pour une raison ou pour une autre, et qu'on est intelligent,
on flippe forcément sur l'impuissance humaine. Koudbol, Le Divin existe,
et les exaltés l'emportent d'une courte tête sur les cyniques objectifs qui ont
tout compris, et vivent dans des jardins à la française. Merci Péguy, Claudel,
Teilhard, Bergson, mais on ne s'étonnera pas que ceux qui ont prêché par
l'exemple la « différenciation » individuelle qui ne se sépare pas du
Tout, aient été moins appréciés que les clowns tristes qui ont loué la
différenciation contre le Tout, comme Nietszche, puis Camus et Sartre,
en grande odeur de sainteté pendant longtemps, différenciation systématique,
qui est beaucoup plus facile, puisque l'opposition capricieuse, à tout et à rien,
suffit... Jung avait compris le principe d'une différenciation/réintégration,
qui lui est venu de l'Orient, et il n'a pas agité le drapeau d'une liberté
souveraine appropriable par une pensée culturelle, ce qui le met dans la
catégorie des auteurs profonds, ceux qui demandent trop à l'esprit avide d'une
recette de bonheur... Mais il a fait exploser le cadre de la pensée occidentale,
qui se prévalait of course d'être la plus mieux de toutes, en s'économisant
l'humiliation de se comparer à l'hindouisme et au taoïsme. Il a aussi attaqué
la notion de moi autonome en laissant entendre que chacun pouvait colporter des
scories de ses ascendants, et même si la notion d'inconscient collectif demeure
difficile à expliciter ou à justifier, c'était un raccourci pour nous faire
comprendre que nous sommes manipulés par des instances qui nous échappent, et
pas seulement sexuelles, comme Freud voulait l'établir. C'est idiot d'empêcher
l'univers d'entrer en nous, par le doute sur ce que nous sommes, puisque c'est
lui qui nous compose de toute façon. Reconnaître son action en nous, ouvre
toutes les portes, mais il faut, eh oui, avoir l'âme noble, sinon on ne
s'attribue plus ce qui se passe en nous, et le danger de s'autoriser n'importe
quoi se manifeste. L'ego a aussi un sens transcendant, et permet une
différenciation. Il devient inutile à un moment donné, mais persiste quand
même. Zatis ze kestion, ici encore la fameuse formule grecque nous
renseigne, allons prendre l'air, parce que c'est désespérant de voir
l'ego survivre à la volonté de l'anéantir... Mais c'est un acte libérateur
intemporel et informel de se consacrer, et l'attachement au résultat est donc
encore une survivance de l'ego qui veut obtenir, parvenir, réussir, verbes qui
pour l'Etre sont assez inconséquents, sauf dans de petits domaines contingents.
Marx, avec son « je produis donc je suis », avait
provisoirement détrôné Descartes au palmarès de la konnerie universelle
bien-pensante, cogito ergo sum, « je pense donc je suis », qui ouvre
à la pensée en vrac un statut « ontologique », c'est-à-dire
l'inverse exactement de ce que disent les maîtres du Soi. Pour lesquels la
pensée empêche l'être, et ils ont raison les bougres, ce qui fait que la barre
de la réalisation est très élevée, car la pensée nous colle à la peau, au
cerveau, et même au pénis (pardon mesdames, au phallus), vu tous les fantasmes
et scénarios que le principe de la sexualité peut éveiller... sans demander
l'avis, souvent, de celui qui part dans ce genre de vidéo virtuelle...
Sans le présupposé de Dieu, la pensée tombe facilement sur l'absurde et
doute de sa propre légitimité. Camus a même fondé un humanisme sur l'Absurde,
ce qui est un nouvel oxymoron fort intéressant : « ça ne sert à rien,
mais faisons-le quand même... » Résultat des courses, après l'échec des
idéologies, cela vaut mieux de « penser » avec Dieu, cosmicisé en
quelque sorte, mais il faut se farcir toutes les superstitions qui vont avec,
et Dieu ressemble alors à un diamant caché dans une décharge qui pue sous le
soleil, mais c'est quand même mieux que l'Absurde avec un grand A, un véritable
désert d'ossements entouré de ruines, un présupposé qui mène au cynisme, et
surtout à la vénération de la nature, de la force, de la ruse, puisque les
valeurs morales perdent toute consistance quand la société ne renvoie plus
qu'au triomphe de l'argent, de l'opportunisme, de l'exploitation... (Hic et
nunc ?) le problème c'est que ce présupposé peut de plus en plus se fonder
sur l'observation elle-même, et contamine ainsi de nombreux cerveaux, privés
d'espérance... D'un certain point de vue, le Nouvel Âge est la juste compensation
au Marxisme. Comme le marxisme faisait croire à un bonheur collectif, le nouvel
Âge veut faire croire à un bonheur « cosmique » partagé, et il est
tout à fait conforme au renversement du yin et du yang de voir succéder une
mythologie cosmique à un mythe historique défunt,
cétadir de voir une illusion horizontale
remplacée par une illusion verticale.
Dans les deux cas, l'avenir est vendu sur bon de commande, ce qui est
contraire à la Tradition, à l'ascèse, au yoga, à l'ouverture au Tao, et le
problème donc, est toujours le même, c'est Ouroboros. On veut changer le
présent au nom de l'avenir, on anticipe sur ses propriétés, et le vrai moment
est déguisé par des habits tout neufs, on s'appuie sur des leviers imaginaires,
mais parfaits, au lieu d'admettre son impuissance, sa petitesse, l'hypnose
mentale que l'on subit, et au lieu de transformer, on poursuit un
conditionnement supérieur. Les principes qui doivent enjoindre la transformation
du moi ne peuvent être d'ordre contingent, notre être n'est pas là seulement
pour mieux s'adapter à un nouveau décor, une nouvelle Histoire, à l'Apocalypse.
Mais tant que le sentiment grégaire est prégnant, on ne comprend pas jusqu'où
peut aller le moi dans la Conscience, et on rêve seulement de vivre mieux.
Ramener le Nouvel Âge à la pure quête est d'autant plus difficile qu'il peut
prétendre représenter une tradition de l'avenir, et fournir des
« moyens » d'évolution qui ne figurent pas dans les doctrines du
passé. Tout cela est à passer au crible le plus fin, mais la devise « je
suis heureux parce que je suis un être cosmique » est fausse. On devient
d'abord cosmique, et je vous prie de croire que c'est autrement plus difficile
et astreignant que ce que le Nouvel Âge laisse entendre, et si on a encore la
force d'être heureux quand on n'existe plus, et bien tant mieux. Mais il ne
s'agit plus du même moi... Et c'est cela qui est intransmissible, le changement de
perception qu'induit la réalisation. Il y a un mur, une barrière, et ceux qui
l'estompent pour vous booster, soit en veulent à votre argent, soit à autre
chose, mais ils ne sont pas sérieux. Il fo traverser l'abîme.
Utopie sociale, puis utopie cosmique...
C'est la loi du balancier.
Maintenir le Nouvel Âge dans un cadre réellement spirituel, comme une
sorte de campagne de marketing pour ramener à des choses plus
essentielles, me paraît presque faisable si la vibration électromagnétique
augmente encore, et comme je n'ai pas l'habitude de jeter le bébé avec l'eau du
bain, nous devons faire dans la dentelle pour évaluer la portée et la qualité
du mouvement... Mais comment apprendre à lâcher le New edge pour la voie
proprement dite, sans attaquer, de front, la complaisance du système et ses
amalgames meurtriers entre la prospérité et le développement de l'être par
exemple ? Ou entre l'amour charnel et l'amour universel ? Et bien
d'autres sucreries ? Oui, les choses peuvent changer, jusqu'où, cela
dépend de vous, et de la culture de vos illusions. Oui, il y a du bon partout,
jusqu'à ce que ce bon-là s'imagine être davantage que ce qu'il est, et qu'il
empiète sur d'autres merveilles, d'autres possibles, d'autres vérités.
S'attacher à un monde nouveau qui débarquerait subitement ne sert pas à
grand-chose, ceci dit, il est possible que certaines interventions supérieures
préparent le terrain, mais la voie individuelle demeure souveraine, et il est
parfois gênant de se sentir recruté pour remplir les rangs d'une humanité
rachetée, et ça arrive, avec cette mode du channelling... Que le miroitement de
l'avenir soit autorisé ou non, c'est un miroitement fallacieux. Le don
spirituel s'effectue par principe, et non pas parce que nous changeons d'ère,
ceci dit, je ne peux nier qu'il y ait en ce moment des sortes de « cours
de rattrapage » bien intentionnés, pour faire faire des pas décisifs à
toutes sortes de profils psychologiques. Mais si l'on ne parle que d'énergie et
de vibrations, et de pensée supérieure, c'est insuffisant.
Se délivrer du mental demeure le passage souverain, et pour cela, il
est nécessaire de voir toujours davantage à quel point l'univers est délégué en
nous, et à quel point nous ne sommes, pratiquement, rien. Ceux qui ne
cisaillent pas la conscience de l'ego, et qui veulent se prolonger dans des états
supérieurs n'ont pas compris le principe. C'est difficile à admettre pour
certains qu'ils sont pensés plutôt qu'ils ne pensent, et pourtant c'est
la stricte vérité. La pensée meuble et comble chaque instant, et nous n'avons
aucun mérite là-dedans, à moins d'avoir renversé le principe très longtemps, en
se demandant qui est ce je, qui est un nous. Le Nouvel Âge doit pouvoir ajouter
quelques considérations prioritaires dans le paradigme de l'éveil, mais il ne
peut ni le remplacer ni lui être supérieur, sous prétexte d'un changement
historique. Oui, nous pourrons devenir sans doute plus aimants, plus
intelligents, plus conscients, si la terre change, mais les conditions
demeurent identiques pour y parvenir. Les résultats seront plus probants à
effort égal, mais la direction devra quand même être la bonne, et ce, il faut
l'avoir à l'esprit à chaque instant, de peur d'être avalé par un nouveau mythe,
et de sacrifier à une nouvelle idole.
Amusant quand même que l'esprit humain puisse être aussi différent
d'une culture à l'autre, d'un homme à un autre, funny que les croyances
puissent être aussi variées, et leur dépassement aussi suspect, mais pas
amusant du tout quand des monstres décident d'imposer leur bestandwrong
coûte que coûte, avec ou non la complicité de Dieu, c'est selon... Mais dans tous
les cas de figure, ça foire.
Il n'y a pas d'autre salut pour la terre que de voir les êtres humains
se libérer des inféodations abstraites, qui les emprisonnent, et si
Krishnamurti a jeté cette semence, c'est déjà pas mal, sauf si elle devient
elle aussi un paradigme totalitaire et empêche la reconnaissance du Divin, qui
peut sembler dogmatique, si l'on ne fait qu'effleurer Sri Aurobindo. Le
problème, par quoi les remplacer, les idoles mentales, si l'on ne
s'intéresse pas au réel proprement dit ? Passer de l'amour de « mon
réel à moi » à l'amour du réel, même celui qui ne m'appartient pas, voilà
le défi mon chéri. Désolé que tu t'aperçoives qu'il y a plus de pain sur la
planche que ce que tu prévoyais, mais moi je tiens ça du supramental, et je ne
peux pas me taire. C'est encore plus pire que tu crois, au moins tu comprends
pourquoi tu vas si lentement. Les forces d'inertie te retiennent, et tu n'as
pas à culpabiliser outre mesure. Quand ton élan (immobile peut-être, là n'est
pas la question), quand ton élan sera inversement proportionnel au tamas
collectif, tu parviendras là où Il t'attend.
Pas science ( Patience !) § pas science en langage des oiseaux,
car cette patience ne s'appuie sur rien de su, elle doit exister par elle-même,
sans preuve de son bien-fondé, sans légitimité rationnelle, sinon on
l'abandonne, elle n'a aucune raison d'être, il faut tenir le coût, exorbitant.
Mère disait la même chose, endurance...§
Le travail est si colossal qu'on peut s'imaginer, effectivement, que,
sans grands bouleversements, il demeure impossible.
Avant hier, l'expression de bétail des dieux, pour qualifier
l'humanité, me dérangeait quelque peu, mais je n'avais pas encore vu à quel
point l'espèce est dans son ensemble, sauf exceptions donc, superficielle.
On peut lui vendre le diable pour le bon dieu, et l'aliénation pour de la
liberté. Et elle en redemande, il suffit de changer l'emballage. Et pour
ça, il y a les modes d'un côté, en ce moment un retour à l'individualisme, et
la contrefaçon de l'autre, le New Age sirupeux par exemple. De quoi se
plaint-on ?
Chacun sera berné de la manière qui lui correspond le mieux...
C'est dans ce sens-là que l'idée de transformer des catastrophes en leviers
spirituels possède une valeur certaine, la sincérité se retrouvant dans
l'urgence, mais, pour que ça marche, il faudrait vraiment que l'atmosphère
terrestre, après ces catastrophes, soit assez lumineuse pour qu'on ne reparte
pas dans le même sens qu'après les guerres du vingtième siècle. C'est la
question du millénarisme, le miroitement de l'Apocalypse, et tutti quanti.
Je répète en ce qui me concerne que la descente du supramental peut
être synchronisée avec un autre cycle, par exemple d'actualisation
christique, mais qu'il ne s'agit pas de la même chose. Le supramental va
chercher le Divin au fond de la matière, tandis que les plans surmentaux font
descendre de l'énergie de lumière du dessus, et en aucun cas il ne s'agit de la
même chose, ni de la même révélation. Ni des mêmes fréquences. En revanche, le
surmental et le supramental ont des chances de pouvoir s'harmoniser, et ce
serait une erreur de mépriser le mouvement christique au nom du
supramentalisme, et réciproquement. Il s'agit de changer le statut cosmique
de la Terre, et les plus intelligents comprendront sans coup férir que cela
ne peut pas se faire à partir d'une compétition entre les particularismes.
C'est pour cela que je prêche l'ouverture totale, car rien n'est plus
néfaste que des oppositions au sein des forces de lumière, encore faut-il
savoir les distinguer, puisque de fausses forces lumineuses existent aussi.
Comme quoi, on en revient toujours au point de départ, le discernement.
« What else ? ». Tiens, je m'autorise un café, j'en ai déjà trop
dit. A tchao bonsoir !
8 Septembre 2008
Je sais que ce journal est décousu, il ressemble à la réalité,
hétérogène. Je l'ai repris au décès de Satprem, j'ai parlé de tout et de rien,
et quelques personnes l'apprécient. Bientôt, je reviendrai au yoga proprement
dit, les expériences, puisque cela est intéressant aussi, même si je regrette
de ne pouvoir les mettre à la portée de tous, par leur simple description. Je
me suis en quelque sorte « situé » par rapport au monde de ma
naissance, cette France que j'aime, ce peuple que j'aime, sans doute l'un des
moins cruels de la terre, et c'est déjà pas mal. Sa
« superficialité » a le mérite d'être assez panoramique, c'est donc
un peuple curieux, et cela, je l'apprécie beaucoup. Je trouve aussi la langue
très belle, ses nuances sur le temps prouvent à quel point l'avenir prend de la
place dans le cœur des Français, avec ce futur antérieur par exemple. Mais le
yoga permet de dépasser l'appartenance culturelle, et je connais beaucoup plus
de choses sur l'hindouisme et le taoïsme que sur la culture française, où seuls
quelques grands noms émergent.
Je me sens un homme universel, et je peux affirmer que c'est la
direction de l'évolution. On peut se libérer des particularismes tout en les
appréciant, et trouver dans chaque culture, chaque époque des moments de
vérité, des percées lumineuses, des chef-d'œuvre. C'est la même aventure
partout, celle de l'homme, déguisé par son héritage, et qui hésite à être
lui-même. Il s'imagine avoir des parents, ce qui n'est pas entièrement faux,
bien sûr, mais il accorde à son passé une telle importance que jamais le jour
même ne lui apporte suffisamment de démentis pour rendre obsolète dans son
esprit ce qui l'est déjà dans les faits. La mémoire colore le présent à un tel
point que c'est un exploit de s'affranchir de son éducation, un défi de
transformer les valeurs tribales, et une véritable ascension de partir à la
recherche de soi-même, d'un soi-même qui n'est pas celui que l'on connaît déjà,
enseveli dans les histoires familiales, les croyances du cru, les mythes culturels
qui rendent un certain futur obligatoire.
Mais c'est possible, et quand le possible devient de l'acte, il y a
évolution. J'assiste et contribue à cette manifestation du supramental, il
n'est pas moi, je le reçois, mais il transforme ma perception. Je ne me
confonds pas avec lui, bien que, à certains moments, sous son action directe,
je puisse affirmer voir différemment, être différent. Il reste à égaliser les
montées et les descentes, car il est inconcevable, vu ce que le corps subit, de
rester sur les sommets, comme il est inconcevable d'être toujours
« écrasé » par la force. Le mouvement est donc assez semblable à
celui des marées. Il y a des moments d'ouverture totale, suivis de
« saturation », puis de récupération. Au cœur de cela, le témoin reste
égal à lui-même, mais de petits changements d'humeur apparaissent, car la
machine est soumise à lourde épreuve, et elle vieillit. Le corps physique
s'adapte tant bien que mal à de hautes pressions, la nuit dernière les jambes
étaient comme de la pierre, et j'ai été réveillé par la douleur, et à des
sortes de « relâchement » étranges, comme si la force se retirait
quelques heures, pour voir ce que cela suscite... Et en général, un appel se
fait, comme s'il y avait un manque à combler. Moi qui suis très neptunien, et
qui aurais pu me détruire avec des addictions si j'y avais vraiment tenu, le
côté « drogue » du supramental me convient bien. Sauf qu'il veut
produire un ananda à sa manière à lui, ce qui fait que des
bouleversements sont constants, je peux me sentir très bien, puis attaqué par
quelque chose, vu qu'il y a des résistances partout. Et comme je deviens d'une
sensibilité incroyable, le moi reste exposé dans le moment à ce qui se passe,
ce qui m'oblige souvent à prendre du recul si la situation me déstabilise.
L'attaque de l'esprit de l'hiver n'est pas nouvelle. Dès les premières années
de transformation, je la subissais fin décembre, en France, comme si je
devenais tous les vieillards sur leur fin à la fois, mais vu la centrifugeuse
qu'est le supramental, ces attaques ne pouvaient pas durer, elles étaient en
revanche régulières. Mais je ne les subissais plus ces dernières années, et là,
c'est revenu en force, à Bali, associé à un vent qui semblait avoir l'intention
de nuire. J'ai rencontré récemment un camarade de chasse sous-marine italien,
qui s'est plaint de cette période, et mon médecin chinois me l'a confirmé. Un
vent vraiment nocif.
Pourquoi le supramental veut-il changer le corps physique ? Eh
bien je n'en sais rien. Ce n'est peut-être même pas une « volonté »,
mais un automatisme : l'objet du corps, constitué d'atomes revus et
corrigés par la nature, est reconnecté sur une fréquence qu'il avait perdue au
cours de son évolution, perdue, à moins qu'elle ne se soit isolée et qu'elle
retrouve un contact avec la réalité exterieure... Ce qui créérait un nouveau
champ... Une fréquence originelle, indescriptible, d'une puissance incroyable, et
qui agit dans l'inframicroscopique. Une cellule est donc déjà un espace
d'une superficie considérable pour l'énergie supramentale, qui peut donc y
faire ce qu'elle veut, la ranimer, la booster, la nettoyer, on verra bien quand
des individus parviendront à vivre très longtemps en étant transformés. Il
faudrait être un as de la mécanique quantique pour comprendre ce qui peut se
passer, définir les « réactions » qu'une vitesse infinie peut
engendrer dans de la matière vivante habituée à être ce qu'elle est, depuis des
millions d'années, sans sortir d'un millimètre de son programme. Et là, le
programme est soumis à d'autres lois, et il faut accepter. Tout accepter,
perdre du temps, ne rien pouvoir faire, passer de l'extase à la torture,
parfois plusieurs fois dans la même journée, accepter d'avancer, on comprendra
plus tard. Et quand on ajoute à cela qu'on ne peut pratiquement pas parler de
cette expérience, que toute l'humanité ignore ou presque, ou que même des
maîtres déclarent impossible, il faut être vachement large d'esprit pour
trouver ça normal. Koudbol, et oui, cela me concerne sans concerner
beaucoup de monde, et bien tant pis, je continue, pendant qu'on me jette des
pierres, qu'on m'accuse, qu'on ne me croie pas, et je suis finalement bien
content de quitter le troupeau de macaques qui croit que l'univers doit se
conformer à ses ambitions minuscules.
J'ai une avance considérable, et je n'y peux rien. Je suis allé perdre au
jeu d'échecs sur la place où les mordus du jeu se réunissent, de belles
petites tables en bois sous les arbres, et j'ai été écrasé par un jeune homme.
Je me suis demandé en combien de temps je pourrais gagner son niveau, en
envisageant que les progrès soient exponentiels, ce dont je suis certain. Plus
on avance, plus on progresse vite, puis il y a des seuils où l'on stagne... Je me
suis excusé de ne pas être meilleur en disant que je ne jouais pas beaucoup, ce
qui est vrai dans le fond, et mon adversaire a avoué qu'il avait commencé à
jouer à l'âge de cinq ans! De retour sur mon scoot, la route est longue,
j'ai eu un flash, cinq ans, je crois que c'est l'âge où je me suis
réveillé... Je partais le soir dans le ciel à toute vitesse, par l'imagination,
et décidai de ne pas m'arrêter avant de trouver les limites de l'univers... Et il
n'y en avait pas, pas de dernier « mur », ou alors il y aurait
quelque chose derrière encore... C'est là que l'amour de la connaissance a
commencé à poindre en moi, et à sept ans, quand j'ai compris que je devrais
mourir, ce que j'ai trouvé inadmissible, j'ai carrément été ensorcelé par la
volonté de comprendre... Bref, mon adversaire aux échecs était content de me
reprendre sur quelques coups quand je jouais avec un autre joueur, moins
habile, et je peux me comparer à lui : je suis tellement imprégné de connaissance
que j'en transmets forcément à celui qui l'aime et la respecte, mais qui
n'a pas encore atteint mon « niveau » en quelque sorte. Et je suis
content de le faire...
Mais aux échecs comme dans le yoga,
ceux qui ont compris qu'il fallait perdre
pour progresser sont rares.
Aimer la défaîte c'est la voie de la perfection
Et les victoires sont de plus en plus profondes.
Tandis que je suis ravi d'être écrasé par un champion car j'apprends en
une seule partie ce que dix victoires ne m'auraient jamais montré, beaucoup de
joueurs d'échecs, ou d'apprentis transcendantaux, préfèrent jouer avec
des partenaires moins bons qu'eux, pour jouir de leurs victoires et
s'illusionner sur leur compétence, et ils évitent donc les maîtres, qui
pourraient les remettre à leur place... Et ça pérore un max dans les chaumières...
Et il est vrai que je ne trouve pas tant de monde que cela heureux que je les recadre,
en leur montrant leurs faiblesses psychologiques, le défaut de leur cuirasse,
ou la survivance de quelques préjugés... Mon « avance » ne profite donc
pas à grand monde pour le moment, il y a trop d'orgueil dans l'homme à moins
que ce ne soit de la lâcheté, mais au moins, je peux faire mon yoga tranquille,
et aller jouer aux échecs avec des fanatiques du jeu, sur la petite
place de Puputan, à une demi-heure de scoot ; là, je suis le seul
« boulé »Terme indonésien pour désigner les étrangers de race banche, naturellement, à venir m'exercer... C'est un lieu historique,
avec une grande esplanade, des statues, et un temple... Érigé sur le lieu où les
hollandais ont massacré les indigènes, en arrivant ou presque, comme d'hab,... Ce
que m'a appris rapidement le guide. A signaler que les balinais vont souvent
prier Barouna sur la plage, le dieu de la mer, et que c'est à cela qu'ils
attribuent le fait d'être épargnés par les tsunamis. La bombe des muslims
terroristes aurait fait plus de trois cents morts à Bali en octobre 2OO2, et le
guide a laissé entendre que la destruction d'Aceh, où l'intégrisme musulman est
très enraciné, par le grand tsunami, est un juste retour des choses... Mais
je ne l'ai pas suivi sur cette piste. Ce qui est certain, c'est que c'est
particulièrement injustifié de s'en prendre aux Balinais, le peuple sans doute
le plus bienveillant de la terre à l'heure actuelle. La bombe dans une boîte de
nuit visait peut-être des occidentaux, des Australiens, mais la déflagration a
été telle que de nombreux indigènes sont morts alentour. Moi, je me suis
retrouvé dans l'astral au moment où elle a explosé, comme attaqué. Il y avait
juste une semaine que j'étais arrivé à Bali, et j'étais à trente kilomètres,
mais je l'ai vachement ressenti, l'impact.
Il y a toujours un coin qui me rappelle mon espèce, et quand ce n'est
pas la visite d'un temple qui commémore un massacre, c'est un bouquin, qui me
caractérise une forme d'ignominie quelconque. Pourtant, la Manifestation n'est
pas nulle. C'est donc l'espèce humaine qui l'est, alors si l'humanité vous
dégoûte, il y a tout le reste, l'univers, le Divin, les Éléments, ce qui n'a
pas encore été atteint par la corruption de la convoitise. Le yoga n'a jamais
préconisé de donner trop d'importance à l'humain, les jugements des autres sur
nous-mêmes n'ont strictement aucune importance et ont rarement de la valeur, et
nous-mêmes nous projetons notre bestandwrong sur les autres, qui
obéissent à d'autres systèmes, alors l'autre, ok,
que peut-il pour ou contre nous ?
Pas autant que ce que vous croyez, foi d'animal. Creusez vers le moi,
et vous supporterez attaques, cabales, jugements et condamnations. Les chiens
aboient facilement l'étranger, et si vous devenez vraiment un adepte, on ne
sait plus où vous caser... Et les reproches pleuvent sur vous. C'est justement ça
le chemin. Si tout le monde vous approuve autour de vous, c'est que vous êtes
un mondain, ou bien que vous avez la chance de vivre parmi des initiés.
Normalement, plus on s'enfonce dans le mystère, plus les singes debout
vous en veulent de trahir leur code comportemental. Hallaj, Jésus, et bien
d'autres... L'amour de la Vérité, comprenez que c'est vraiment mal vu, une bonne
fois pour toutes, et acceptez-le. Ou restez dans le troupeau pour ne pas subir
d'offenses.
27 Novembre 2008
La lutte contre le
problème au poumon, engagé depuis février, entre dans une phase très dense. Je
me repose, suis depuis peu un traitement homéo très puissant. Hier, je me suis
senti cerné par de multiples limites, j'aurais pu mal réagir, mais comme j'ai
l'habitude, j'ai accepté cette impuissance radicale. Trois jours avant,
réveillé vers trois heures du matin. Je me suis senti suspendu, j'ai
compris que tout ce que j'étais depuis le début de cette incarnation était
transformé par un principe qui venait du dessus. C'était très agréable, la
force travaillait de manière homogène, mais il n'y avait là-dedans aucun
caractère «mystique». C'était palpable, j'oserais presque dire «darwinien»,
cela correspond à l'idée que je me suis toujours faite que la transcendance
était naturelle, c'est-à-dire concrète, ce qu'on trouve en cherchant comme on
cherche une aiguille dans une botte de foin, dans quelques sutras taoïstes, et
deux ou trois sous-entendus tantriques. Tout le travail préalable de
reconnaissance du Divin débouche donc sur quelque chose d'étrange: toute la
«créature» est retravaillée par quelque chose qui n'appartient pas à la Terre, et
pénètre tout. Et la créature se demande donc où elle va, face à un tel
changement.
Côté bronches, je
ne m'en sors pas vraiment, mais je continue d'œuvrer. Toutes sortes
d'hypothèses sont possibles, je «guéris» un poumon brûlé, à l'âge de vingt-deux
ans par du haschich, au Maroc pendant trois semaines ; ou bien,
culpabilité somatisée de ne pas pouvoir aimer mon père, gros conflits de douze
à quinze ans avec lui. Ou encore, une petite malformation de naissance, qui
ressort, j'avais de l'asthme petit. Ou bien, comme en 2001, les gènes subissent
quelque chose, en l'occurrence dans la partie sans doute la plus faible de mon
corps, ce qui d'ailleurs astrologiquement tient bien la route avec l'opposition
presque exacte de Saturne et Mercure. Mercure reçoit aussi deux quinconces, de
Pluton et Neptune, que j'ai pu utiliser sur des plans supérieurs, mais sur le
plan physique, l'ensemble de la configuration semble aujourd'hui poser un
problème, d'autant que Saturne repasse sur sa position natale. Il se peut aussi
que j'ai un peu trop forcé et dépassé mes capacités physiques. J'ai dû arrêter
le mantra il y a peu, mais le corps doit le dire à sa manière. Je me sentais
oppressé par l'image de l'avenir, quelque chose dans le corps m'imposait une
sorte de minuscule vertige, comme si le mental physique était à nouveau prêt à
rejeter la transformation. Il faut dire que je n'ai pas cessé de faire des
expériences intéressantes en septembre, à mon retour en France. Trois fois de
suite, avec des intervalles de moins d'une semaine, j'ai eu l'impression que la
Force enveloppait les os, et cela durait trois jours environ. C'était une drôle
de sensation, d'abord comme si les os étaient humides, et au bout d'une ou deux
heures, des microsensations à l'intérieur, des courants infinitésimaux, secs.
Puis, comme le
problème au poumon persistait, j'ai plongé dans une période repos et mantra à
fond deux fois par jour, plus de deux heures chaque fois, près d'un mois. Maintenant,
je dois m'arrêter et me reposer, car le moi physique sature, et le poumon agité
essaie de contaminer le mental en me privant de la joie de vivre. J'ai eu
l'intuition un moment qu'il y avait des rémanences de la psychologie de ma
mère, maniaco-dépressive, dans la mesure où il lui arrivait de fuir la vie dans
la négligence et la nonchalance, un laisser-aller qui l'envahissait. Or, cela
se passe un peu si je pense trop longtemps à ce problème, je ne peux plus rien
faire. Il y a donc des amalgames possibles entre les différents déficits,
physique, héréditaire, et sans doute génétique. La proportion n'est pas
possible à établir, mais mon ressenti parfois change suffisamment pour que les
teintes du léger mal-être m'apparaissent distinctement. Étant donné que le
traitement homéopathique est puissant (16 composants), j'ai régressé deux fois,
avec des larmes, jusqu'à ce moment incroyable où j'ai reconnu mon père à trois
cents mètres, qui venait à la pension où il m'avait confié, en frôlant
d'ailleurs le sacrifice matériel, car cette institution coûtait très cher, et
j'étais entouré de compagnons qui pour la plupart provenaient de milieux très
aisés. Je me trouvais si bien dans ce cadre privilégié, plusieurs chalets
dispersés dans un parc, toutes sortes de loisirs, que la vie me semblait
absolument merveilleuse. Tout m'agréait, la vie était magique, sans aucune
ombre au tableau.
Je n'avais pas vu
mon père depuis plus de deux mois, et quand je l'ai reconnu à distance, je l'ai
senti arriver avec son sérieux, sa tristesse, son sens exacerbé du devoir, sa
colère tonitruante à fleur de peau, j'ai compris aussi qu'il venait se
renseigner sur moi avant de venir me chercher, c'était sans doute un vendredi,
et je n'ai pas eu envie de le voir. Or, cet instant où il arrive dans son
pardessus beige en poil de chameau, son chapeau, non pour me voir mais pour
fureter sur mon comportement, est resté gravé profondément: un de mes premiers
souvenirs vraiment inexpugnables. J'avais douze ans. Cela me dérangeait
de voir mon père, peut-être que cela a aussi dérangé mon «inconscient» que je
sois troublé par la venue de mon père. Ce qui est clair, c'est
que je ne ressentais pas d'amour, pas le moindre amour de mon père à mon égard,
ce qui était en plus était entériné par le fait qu'il se disputait sans cesse
avec ma mère, que j'adorais. D'ailleurs, à cette époque-là, je me souviens de
nouveaux mini-traumatismes: mes parents venaient ensemble jusqu'à ce collège en
Haute-Savoie, d'autant que ma sœur était placée chez un professeur de
philosophie, dans le même village. Et chaque fois, mes parents gâchaient le
week-end. Ils semblaient se rabibocher, et puis avant de me ramener à
l'institution le dimanche en fin d'après-midi, il y avait à nouveau une scène
abominable, mon père entrant dans une colère qui le faisait quasi hurler, ce
qu'il assumait la conscience tranquille, convaincu qu'il faisait son devoir, et
que tous ses reproches étaient justifiés.
Vu mon thème natal,
qui accentue une répulsion naturelle pour toute forme de violence (Mars en
Balance, pas de feu sauf Pluton en lion, je ne me suis jamais battu
physiquement), les désaccords entre mes parents me troublaient profondément. Bref,
le manque d'amour ressenti dans mon enfance m'a poussé à ne compter que sur moi
(ma mère par ailleurs mentant comme elle respirait sur la durée de ses absences
quand j'étais tout petit, et qu'elle désertait le domicile conjugal pour
plusieurs semaines, alors qu'elle me disait revenir un ou deux jours plus tard...
C'est peut-être aussi pour cela que je suis capable d'une endurance qui va
parfois trop loin, mes attentes affectives étant largement déçues, je ne compte
que sur moi et cherche à me dépasser, par principe. Elle vient d'en haut, cette
endurance, de mes résolutions, de mon aspiration, mais le corps obéit à
d'autres lois. Le yoga n'est donc pas facile puisque ce n'est pas tout qui est
régi par la volonté et la détermination, et il est facile de forcer, sans
malice, sans doute comme Satprem, pour ne pas perdre une miette de
consécration, mais dans l'obscurité de la matière à transformer, cette
politique peut être insuffisante ou inappropriée.
Dans les couches
obscures de la nature, d'autres lois président, et faire descendre le supramental
dans les premières instances de l'évolution, pose donc des problèmes
techniques. Je suis soulagé pour le moment d'être moins pris par la Force dans
le physique, ce que je compense par de la sérénité. Sérénité sans joie, avec
cette question du poumon qui réclame de l'amour sans doute, quelque chose qui a manqué au début de
l'incarnation, et dont le vide demande à être comblé.
De toute façon, la
prise de conscience qui s'est effectuée à ce moment-là n'est pas d'ordre
mental, j'étais avec la vie contre mon père, et donc l'homme au loin qui
conservait quelque chose d'étranger en dépit de toute son attention responsable
à mon égard, n'a fait que rehausser tout le reste, comme une tache sur une
chemise peut soudain en rappeler la blancheur. J'ai donc su à ce moment-là que
la vie conserverait pour moi son essence merveilleuse, à jamais extatique et
pleine de promesses, par contraste absolu. Mon père ne pourrait jamais changer
cette donne (bien qu'il s'y soit employé par la suite avec un certain succès). C'était
donc un moment «immortel», aussi unique que chacune des minutes qui m'ont rendu
instantanément amoureux, trois fois dans ma vie. Pour rester amoureux de
l'existence, je n'avais pas le choix, je devais sacrifier mon père que je
redoutais obscurément, possédé par la colère, et en reconnaissant que je
n'avais pas envie de le voir, j'accédais à ma propre liberté, tout en restant
stupéfié quelques minutes que ce fût là le seul itinéraire possible. En
revanche, une partie de moi-même a dû culpabiliser dans les souterrains du
subconscient: c'était mon père, et j'aurais dû l'aimer... Dans les faits,
docilement je l'accompagnais quand il nous rendait visite, mais c'était ma mère
qui comptait pour moi, et je ne comprenais pas que mon père se disputât sans
cesse avec elle. Chaque fois il me décevait, chaque fois je le croyais capable
de dépasser la violence, mais pendant ces deux ans de pensionnat, quand mes
parents se rejoignaient à St-Gervais, je ne les voyais pas accordés, ils se
supportaient pour donner le change à leurs enfants, mais même cela, ils n'y
parvenaient pas vraiment, la colère l'emportait d'un côté, le dédain, le
haussement d'épaules meurtrier, le mépris, de l'autre.
Je reprends le
journal pour noter un fait important: hier, avant de m'endormir, j'entends
qu'on m'attaque à Bombay. Une voix en moi qui me dit «je suis attaqué à
Bombay,» et c'était moi sans être moi, mais ça, je renonce à faire piger à qui
que ce soit. Je ne sais pas d'où est venue l'information. Ce matin, j'apprends
que des attentats ont eu lieu. Comment ai-je pu sentir cela? Et qui est ce
«je» qui se sent attaqué, le peuple de l'Inde peut-être, auquel je suis très
identifié, ou au contraire qui lui est très identifié à ce que je
représente ?
Je me demande à
quoi cela sert de sentir à distance ces événements, je mets cette anecdote sur
le compte du supramental. Une connaissance par identité qui n'obéit plus à
aucune loi du mental. Peut-être que cela se développera tout seul chez les
mutants, encore faut-il sentir l'utilité de la chose, qui m'échappe pour le
moment.
7 Décembre 2008
Très étrange. Tombé
par hasard sur un petit Krishnamurti, et enfin j'apprécie (voir courriel). Dès
qu'il abandonne sa hantise de ramener ses propos à la violence ou à son
éradication, ce qui revient au même vu comment il en parle, il peut vraiment
aider à plonger à l'intérieur celui qui l'écoute. Dans le même ouvrage, «à
propos de Dieu», on trouve des évocations de la méditation qui correspondent
exactement à ce que moi aussi, j'entends par là. Sauf que la convention des
quatre mystères, issue d'une extrapolation du feng-shui, lui donne un caractère
pratique, mais le but est le même, c'est-à-dire de n'arriver à rien, et de
laisser dégorger le cerveau de son action incessante. Finalement, le plus
difficile pour nous, qui sommes vraiment passés de «l'autre côté», c'est de
transmettre que les manifestations supérieures de la Conscience n'ont pas
besoin d'appartenir au sujet. C'est flagrant chez Krishnamurti, il ne parle pas
de lui, mais de ce qui s'opère en lui, à partir d'un renoncement absolu à
répondre aux mouvements archaïques d'appropriation du champ par la pensée. Moi,
j'insiste sur le fait que je suis «l'objet de l'univers», et que c'est souvent
quand je ne pense pas à «moi» que la Force en profite pour travailler un
maximum. Un certain oubli de soi mène à l'éveil si cet oubli est réellement
généreux et non un calcul, car cet oubli finira par ne renvoyer au moi que ce
qui le concerne vraiment, et le rappellera à l'incarnation. Le risque est de se
créer un ego passif, aussi, seule l'aspiration est-elle la garantie que l'oubli
de soi constitue un itinéraire privilégié. Encore faut-il qu'il reste la
discrimination, et de ce point de vue-là, Krishnamurti apparaît vraiment comme
un maître du viveka.
J'ai toujours
regretté qu'il ne se soumette pas à Sri Aurobindo, mais il m'apparaît
aujourd'hui que le supramental est vraiment quelque chose d'exceptionnel, qui
n'a pas lieu de séduire toutes les âmes, même particulièrement éclairées. Pour
moi, le terme de violence est inadéquat car il ne représente que la surface des
choses, et je n'ai jamais senti en profondeur que le combat acharné de
Krishnamurti contre elle possédait une valeur quelconque. La violence est en
aval, et moi je préfère évoquer l'amont, la haine, et sa constellation de survivances
dynamiques qui caractérisent encore l'ego générique, le moi de tout être
humain qui ne s'est pas lancé dans l'exploration intérieure.
À d'autres moments,
Krishnamurti restitue presque exactement la doctrine originelle du Bouddha,
évoque la peur et le désir, et je me suis laissé dire que quelques aficionados
avaient décrété entre eux qu'il était Maitreya. À d'autres moments encore, le
même homme me paraît être complètement à côté de la plaque, car il ramène
toujours tout à la même chose, le mauvais usage de l'esprit. Il ne se prononce
pas sur le plan divin, et c'est vraiment, de mon point de vue, une lacune, et
un rétrécissement, ce qui me permet d'affirmer qu'il ne représente pas le
sommet de ce qu'un homme peut découvrir. D'ailleurs, beaucoup de ses fans sont
des «uraniens» très affirmés, insoumis, et qui tremblent à l'idée de se
soumettre à une autorité supérieure, ce qui est pourtant indispensable à un
certain niveau du yoga de Sri Aurobindo. Il faut bien conclure à une énorme
diversité des âmes et de leurs moyens de locomotion sur terre, et se garder de
tout jugement, malgré la tentation de le faire.
À chaque niveau, il
est tentant d'inférioriser l'inférieur, et d'escamoter le supérieur, mais en ce
qui me concerne, je préfère parler de l'utilité de chacune des voies dans son
propre cadre. Si l'on se moque du Supramental, on n'a pas besoin de Sri
Aurobindo et Krishnamurti peut très bien faire l'affaire, presque d'une manière
exhaustive. La question est toujours la même: vaut-il mieux tenter une
ascension abrupte, ou passer par des marches, et mener l'ascension en changeant
de système et de maître après avoir intégré un développement ? C'est
difficile à trancher, car on peut s'attacher à une voie ou à un maître, et par
la suite ne pas sentir leurs limites. Avec la voie supramentale, on a tout de
suite la vision la plus complète et la plus sublime, la plus profonde, mais
rien ne dit qu'on sache réellement l'actualiser sans passer par des étapes
intermédiaires.
En ce moment, l'inanité
de l'esprit générique me saute à la figure. La capacité avec laquelle le mental
nivelle tout constitue une offense permanente et toujours renouvelée vis-à-vis
de l'Esprit. On traite à la télévision, sur le même plan, les attentats de
Bombay et les résultats des matchs de foot, même plan, même ton, même curiosité
débile, et cela se manifeste comme une provocation de l'adversaire, le mental
grégaire. C'est comme s'il me disait, «toi tu veux changer le monde, alors que
la plupart en sont à se délecter du nombre de morts par attentats et du nombre
de buts infligés par leur club de ballon. Pauvre idiot, tu n'as pas pris acte
de l'ampleur de la manipulation que j'exerce sur l'âme humaine.»
On monte en épingle
une procédure foireuse lors d'un mandat d'amener, un type qui se dérobait aux
convocations du juge, et qui a été pris de haut par la police,
proportionnellement à sa propre résistance. On dirait que c'est un crime, on
met ça presque sur le même plan que des choses infiniment plus graves, d'autant
que l'offensé est un journaliste.
L'esprit bourgeois
survit, il n'y a pas à dire, il survit, les petites choses déplaisantes qui se
passent chez les nantis continuent de masquer les vrais scandales, les vraies
questions... Les problèmes des sans-abri, à qui l'on promet des logements en
majeure partie indisponibles, la surpopulation carcérale qui fait vraiment
désordre au pays des «droits de l'homme», passent au second plan quand un
people bas de gamme mais déjà people quand même, dénonce sa fouille au corps en
oubliant de préciser de quel mépris il a fait montre envers la magistrature de
son pays en se dérobant par trois fois à des convocations. Comme dirait
l'inimitable pape du développement personnel, il serait temps que chacun
renonce à tirer «la couverture à soi» (l'écharpe a deux bouts) en reconnaissant
que dans tout litige, tout conflit, il y a forcement une part de responsabilité
des deux côtés. Mais non, les victimes qui veulent être propres sur elles, se
débrouillent pour escamoter la question de leur propre responsabilité dès
qu'elles subissent un quelconque outrage. Cette attitude avait déjà
profondément irrité et inspiré Jésus, et les choses ne changent toujours pas. Chacun
est à l'affût d'une offense quelque peu exagérée qui lui tombe dessus, pour se
dédouaner de l'attitude qui l'a provoquée. Bref, plus personne ne reconnaît ses
torts quand ils sont pénalisés par une sanction qui semble exagérée. Le singe
est bien là, vigilant, opportuniste, coriace, vaniteux. «Puisque je trouve la
punition exagérée, je nie que je la mérite à quelque degré que ce soit». «La
sanction excessive me lave de ma propre responsabilité... C'est l'autre qui a
commencé».
Cerise sur le
gâteau, les riches essaient de se refaire, avec un amendement qui permettrait
de déduire des impôts les pertes en Bourse, jusqu'à 10 700 euros. Quelle
excellente idée, pauvres riches qui perdent leurs actions, ils veulent bien
prendre des risques à condition qu'ils n'existent pas, comme d'hab. Heureusement,
cette proposition obscène dans une crise de paupérisation mondiale ne plaît
qu'à très peu de gens, et elle est abandonnée. Je sens malgré tout un essor de
l'intelligence holistique dans les médias, oui le monde devient intelligent,
c'était vraiment temps.
Le clivage continue
entre les patinscouffinscoucoucouchepanierspapattesenrond, et les êtres,
hommes ou femmes, libres, et assez intègres pour penser que la générosité n'est
pas une tare, quitte à se priver d'un nouveau modèle de Jaguar au risque de
cesser d'épater la galerie.
C'est harassant.
Plus personne ne sait hiérarchiser les événements, mais il y a quelques têtes
qui ont compris que tout le monde fait semblant de chercher l'unité, de trouver
des solutions générales. Non, partout, on défend son petit bout de territoire,
comme le P.S qui défend son appareil, d'où une virulente attaque du lieutenant
de Royal, agrégé de philosophie, qui m'a réellement laissé pantois, par sa
virulence académique. Aubry laisse complètement à l'écart la moitié du
mouvement après avoir prétendu ouvrir la porte. «Ouvrir la porte» signifie
désormais: je t'ouvre la porte si tu te soumets, j'ai horreur des courants
d'air, n'oublie pas de la refermer si tu ne veux pas me cirer les pompes. (Zatiz
zeu kuestyon en grec archaïque, beaucoup plus concis).
Jamais le terme de
«guerres intestines» n'a eu plus de sens pour moi. Et si cela se passe partout,
tel que l'avait prédit un très distingué sociologue, on va régresser au niveau
des tribus. Comme disent les gens distingués figés dans le Rotary, le Lion's,
ou la Franc-maçonnerie: «le communautarisme devient un danger» (surtout si ce
n'est pas le nôtre). Cela va loin, des revendications pleuvent de partout, les
groupuscules ont soif de reconnaissance, vu que le moi ne parvient pas à
pousser dans certaines cultures, et que les sujets ne se définissent donc qu'à
travers des emblèmes et des rituels, des marques obligatoires qu'il faut
arborer, et des ressentiments institutionnels.
Ok, l'hétérogène
est amoureux de l'homogène, je me tue à le confirmer pour tenter d'achever
le manichéisme, et le livre «Les principes de la Manifestation» n'est qu'un
développement de la complémentarité absolue de l'homogène et de l'hétérogène,
sur le plan physique, dans l'ordre divin, partout, quoi, mais cet imbécile
d'esprit grégaire est incapable de voir surgir l'hétérogène de l'homogène, ce
qui est absolument normal au bout d'un certain temps, pas plus qu'il ne
comprend l'inverse, que des éléments hétérogènes finissent par se relier en un
ensemble homogène (la symbiose dans la nature, ou plus abruptement, l'autocréation
d'un code de dominance au sein d'un groupe de survivants). Il faut ouvrir le
mental à la largeur intuitive pour comprendre tout ce qui se passe, mais
parfois, c'est limite de chez feu Murdeberlin. Tout élastique finit par se
rompre, et c'est amusant de voir jusqu'où on peut le distendre. Jacques Attali
prévenait depuis plus de deux ans ce qu'on risquait, nobody pour l'écouter. Il
vient de dire à la télé qu'un an auparavant, on pouvait encore prévenir
l'avalanche, mais que maintenant c'est trop tard, elle déferle. On a trouvé
plus drôle de tirer sur l'élastique jusqu'à ce qu'il pète, et c'est fait. Voilà,
cela va faire mal, très mal, mais c'est l'injustice sociale qui vient
d'exploser, et qui revendique à visage ouvert, quelles que soient les conséquences.
C'est un aspect de la crise qu'il faut montrer, ou, comme j'aime à le dire, «on
a mis la poussière sous le tapis», mais cette fois... Tout le monde réalise que ça
ne tourne pas rond, avec le scandale des parachutes dorés contre des salaires
qui n'augmentent plus en dépit de l'augmentation de la vie... L'ensemble apparaît
malhonnête, le fruit du travail profitant de plus en plus aux actionnaires et
non aux producteurs de la richesse, donc, retour de manivelle, mon cher Watson,
c'est le moment de tout reprendre à zéro.
C'est donc l'architecture de l'économie entière qui doit être révisée, de A à
Z, et les élites, de droite ou de gauche, sont d'accord là-dessus, et même en
conviennent entre eux, la crise menaçante provoquant une solidarité nouvelle, et
une baisse flagrante de la mauvaise foi partisane. Tout repenser ? À
gauche, par conviction, à droite, parce que la crise boursière, puis ce qu'elle
a engendré, a mis le nez dans leur caca à tous les politiciens qui découvrent
mais un peu tard qu'ils ont toujours été inféodés, dominés et soumis aux
maîtres de l'économie. Tant que cela marchait, cette soumission allait de soi
au nom du libéralisme, de la croissance, de sainte Prospérité. Cela ne marche
plus, et le monde politique veut monter au créneau et contrôler la finance,
courage les mecs, rien n'est impossible si l'on y croit. On ne va pas vous dire
que cela va être facile, ni que c'est possible sans un effondrement préalable,
mais l'intention est bonne, juste, vraie.
Rendre le pouvoir
au politique, c'est-à-dire le soustraire au pouvoir de l'argent, voilà le mot
d'ordre pour sauver notre monde (civilisé), un mot d'ordre qui fait boule de
neige, mais la vengeance du fric est impitoyable, mon neveu, il faudra peut-être
saigner les nations... Avant que le pouvoir ne change de main. Cela risque d'être
catastrophique, une course au pognon pour sauver les emplois, avec les états
qui pètent les plombs, et les peuples qui se demandent comment remonter la
pente. Sans compter des erreurs obligées, s'acharner à maintenir des emplois et
subventionner des industries qui doivent ralentir leur production. L'acharnement
à produire des bagnoles, par exemple, est pathologique en Europe et aux
États-Unis. Tout le monde en fait en quantité industrielle, comme si le marché
ne pouvait pas saturer. C'est affligeant, d'autant que de nouvelles marques
asiatiques envahissent tous les continents. Il y a là-dedans de la stupidité à
l'état pur, comme si nul ne pouvait prévoir que la demande finirait par
baisser, c'est lamentable d'être aussi convaincu que l'avenir doive obéir à des
lois commerciales et industrielles qui datent du dix-neuvième siècle. C'est
peut-être un cercle vicieux, mon cher Einstein. Pour vendre les voitures à un
bon prix, il faut en faire trop. Plus importante est la série, plus le prix de
revient est bas. Pour vendre une bagnole à un prix compétitif, il faut donc en
produire une autre qui restera en rade, et qui aura permis de diminuer le prix
de revient de la première (Comment Fiat peut-il être certain d'écouler ses six
millions d'exemplaires qui rendent l'entreprise viable?). D'autre part, les
revendeurs d'occasion regorgent de modèles parfois récents, en excellent état
de marche, moins cher, et ils n'écoulent pas non plus leurs produits. La
bagnole a réellement envoûté le citoyen, qu'il ne sait plus quel modèle
choisir. C'était un must pour se prouver qu'on était quelqu'un d'en changer
tous les deux, ou trois ans à la rigueur, et de chaque fois rouler en mieux
qu'avant, même si les performances étaient inutiles. On commence à
déchanter.
C'est un véritable
envoûtement culturel, il n'y a pas d'autre mot. Les voitures courantes dans les
Yvelines sont la plupart assez récentes, chères, et leurs performances sont
bien au-delà des besoins. Il s'est créé une nouvelle forme de magie au
vingtième siècle, en Occident. La portée symbolique de l'automobile l'emporte
sur son usage réel, c'est une maladie. Le besoin de posséder une voiture
finalement au-dessus de ses moyens caractérise la mentalité grégaire de notre
société mercantile, dépourvue de valeurs spirituelles. Qu'on me pardonne
d'insister, mais il y a trois jours le matin, j'ai eu l'impression que les
voitures étaient conscientes. (La chose est arrivée à Mère avec un flacon,
je crois, et son contenu). Alors, j'ai failli refouler la vision, c'était trop
inattendu, mais elles avaient vraiment l'air conscientes, cela a bien duré plus
de deux minutes. Peut-être ai-je senti simultanément la conscience involuée
dans le métal, le plan d'architecture mental, et même la trace du soin qui leur
a été dévolu par les constructeurs, les dessinateurs, les fournisseurs et les
ouvriers. Bref, l'expérience m'a propulsé je ne sais où mais elle n'a pas pu
durer, c'était trop contre ce à quoi je pouvais m'attendre, et il y a eu une
petite réaction, mais c'est certainement une expérience du supramental
dans le physique, qui a flairé la conscience suprême, ou la Shakti, assoupie,
dans ces boîtes métalliques sophistiquées. C'est indescriptible, inattendu, et
parfaitement authentique. Mais c'est tellement incroyable, que la cause
m'échappe, peut-être ai-je senti tout simplement la personnification
dont ces objets sont les bénéficiaires, une sorte d'aura qui provient de ce
qu'elles représentent pour l'humain, et comme parfois je me sens relié à toute
l'espèce...? Mystère et boule de gomme, c'était renversant.
Le pouvoir de
vision du supramental est tellement absolu, que parfois on voit d'abord, et
quand le nouveau regard s'estompe, puisqu'il y a des «expériences ponctuelles»,
on a beau lui courir après avec des explications ou des zypothez, c'est trop
tard, on est revenu dans le monde de la perception organique. Elles étaient
vraiment belles les bagnoles, incroyablement sûres d'elles, d'ailleurs c'était
à St-Germain en Laye, où le parc contient un max de beaux modèles. Non, je ne
sais pas ce qui s'est passé, mais la présence des autos était impériale, elles
semblaient penser, tant mieux si vous doutez de ma santé mentale, ça vous
permet de vous débarrasser du reste... Dans le cas contraire, je vous avoue que je
ressens les minéraux très profondément, avec leur pouvoir, quand je les tiens
dans la main, et cette expérience avec les bagnoles semble du même type, sauf
que le seul regard a suffi.
Ah, s'il n'y avait
pas cette satanée crise, on aurait pu en changer chaque année, d'automobile
sacrée, donner du travail à plein de gens, et offrir en grande cérémonie
citoyenne son ancien véhicule au pauvre méritant qui aurait rempli le
formulaire de demande de récupération gratis, en baisant les pieds du riche... Mais
l'essor exponentiel de la croissance, c'est fini de chez enterré, et comme l'a
dit un expert sans se méfier, on va vers la croissance négative, ce qu'il
convient d'épingler en bonne place dans notre collection d'oxymorons, avec un
beau 18 sur 20.
Pourquoi je raconte
tout ça? On a le droit de plaisanter non, d'inventer des analyses zistorik
bidon en fût de pétrole condamné à mort. Et de prévoir un avenir encore plus
sombre, incertain ne suffit plus, ne serait-ce que pour mieux supporter le
présent déjà ténébreux au niveau collectif, comme on disait autrefois. Au
niveau des camarades travailleurs, l'avenir est confisqué par les valets de
l'impérialisme, les larbins du capitalisme veulent nous exploiter comme des
esclaves, mais nous saurons tenir tête aux puissances de l'argent... Luttons,
la révolution s'approche, on ne se laissera pas berner par la télévision, ni
les caddies de supermarché... Ben oui, je n'ai rien pu faire, ce n'est pas de ma
faute, ça a mal tourné depuis 1968, pire que les pires prévisions. Miserere
nobis. Allez, Luya, tout n'est pas perdu, redresse la tête, combats. Je refuse
ta triste oraison funèbre style S.F des années cinquante:
«Ils produisaient
des machines, et un jour, les machines se sont multipliées toutes seules, et
leur ont bouffé la tête, et cela les a ruinés, les pauvres, ils étaient devenus
esclaves de l'objet, et croyaient que l'argent était le seul dieu capable de
transformer leurs prières en les matérialisant sous forme de désirs exaucés. C'était
naïf, primitif, papou révisé catéchisme, et il y avait des cathédrales qu'on
appelait les bourses mondiales, et où l'argent se multipliait lui-même,
magiquement, en secret... Les grands prêtres, les traders, pouvaient faire
fortune en une année, mais un jour, cela a foiré, car même les grands prêtres
étaient en réalité des marionnettes, des pions, quasiment des victimes du dieu
Matière. L'effet papillon, un grain de sable dans l'engrenage, peu importe,
cela a foiré. La contamination a été terrible. Non seulement les très riches
s'en sont tirés car ils avaient fait des provisions immenses, mais même les
pauvres ont été touchés, et on les a rendus responsables. Sachez-le, s'ils
avaient pu payer le crédit de leur résidence principale, on n'en serait pas là.
Ce sont les pauvres qui ont ruiné le système en ne rentrant pas dedans, les
vaches, car tout est parti de là, c'est la version officielle, la petite middle
class américaine qui n'a pas pu rembourser ses emprunts. C'est de leur faute.
De leur très grande faute. Pour se protéger des pauvres, les vrais fauteurs de
troubles, heureusement il y avait les privilèges et les parachutes dorés, mais
ça aussi ça s'est cassé la figure, c'était une manière pour les patrons de
partir avec la caisse, quand ils avaient ruiné leur entreprise.»
Deviner qu'une
conscience divine est à l'œuvre là-dedans, c'est possible, sous l'action
directe de la Force, (ça pétille ou ça pulse une fièvre étrange) sinon, c'est
décourageant, et je comprends que parfois vous baissiez les bras pour faire des
signaux d'alerte. Vous pouvez même verser des larmes compulsives quand ça
déborde, il n'y a pas de problème, vu qu'on va vers le toomuch les doigts dans
le nez. Une fois de plus, le Divin n'est vraiment pas pressé, il semble aimer
stagner dans la majeure partie de l'humanité. Ok, cette énigme me dépasse, ce
n'est pas la peine d'en forcer la porte, ni d'en rajouter avec des plaintes. Je
me répète, mais c'est important, le réel est le réel, et ce n'est pas en criant
tout ça ne me plaît pas, qu'il va changer. On a collectionné les indignations
sans le moindre résultat, alors ton indignation tu peux l'apporter aux objets
trouvés, elle fera plaisir à quelqu'un qui prétendra qu'elle lui appartient, et
toi tu te libères des vieilles simagrées idéalistes qui font mourir de rire les
salauds, comme disait Jean-Paul.
Un jour, je les
aimerai tous, les zoms. (Hier matin encore, autour du marché, les personnes
parlaient à l'intérieur de moi, une sorte de conscience de Vasudeva physique,
c'est agréable, gratifiant, ça réconcilie les doigts dans le nez... )
Plus on réagit
(autant) à de petites choses proches, qui se passent dans l'univers qu'on
croyait avoir apprivoisé, moins on se préoccupe des vrais drames qui touchent
la terre entière. Quinze jours avant la date, on sent déjà que toute la bien-pensance
bourgeoise ne songe qu'au réveillon de Noël, à la glorification sentimentale de
la famille propre sur elle et indifférente au monde entier, pour estomper
provisoirement le drame de la crise qui s'avance et dont on nous rebat les
oreilles. Il y a quelque chose de décourageant chez l'humain, confirmé par
quelques réflexions de Jankekevitch, dans «L'imprescriptible», ses discours sur
l'extermination des juifs. Oui, à la fin des analyses, il remarque, ce dont je
ne m'étais pas vraiment douté, qu'à la fin de la guerre, les choses ont repris
exactement comme avant, le commerce a repris, «comme si de rien n'était». Enfin,
je simplifie, mais c'est bien ce qu'il veut exprimer, et oui, finalement
l'homme est incorrigible.
«Les
souffrances démesurées qui ont marqué ces années maudites sont hors de
proportion avec la médiocrité dérisoire du renouvellement que l'après-guerre
nous a valu. Amère, scandaleuse ironie de l'histoire ! Il est presque sans
exemple qu'un si terrible cataclysme ait abouti à des conséquences si
misérables, que le remords d'une telle tragédie, la plus grande tragédie des
temps modernes, ait glissé si vite, et sans presque laisser de traces, sur la
mémoire des hommes... L'imprescriptible. Points, essais.
Ce qui justifierait
un immense changement de paradigme pour aboutir à quelque chose, peut-être un
gigantesque échec social, quelque chose qui oblige l'homme à se soumettre au
réel, puisqu'il est incapable d'en tirer les leçons, qu'il refuse de dépasser
le singe en lui, en vivant sans intensité, sans idéal, dans la trahison
permanente des rêves sublimes, des utopies, qu'une petite minorité seulement,
quasi minuscule, n'abandonne pas. On va finir par désirer l'Apocalypse pour
sortir du chaos des valeurs inversées: tirer son épingle du jeu en écrasant
tout sur son passage. Je déclare solennellement la fin du règne de ceux dont
les dents rayent le parquet, à l'ouest. Une dynastie qui s'écroule,
condoléances, elle régnait sur l'Occident depuis le dix-huitième siècle, je
sens qu'elle se délocalise en Inde et en Chine. Elle a fait son temps,
structuré l'essor industriel et l'urbanisation, mais maintenant, on passe à
autre chose. L'ambition ne suffit plus, il faut trouver la richesse intérieure,
qui ne risque aucune fluctuation sur le marché financier. Elle ne s'achète pas
d'ailleurs, on ne peut pas vous la voler non plus, pourquoi s'en priver sans
blague?
10 Décembre 2008
Quelques contacts
par le web, mais pas assez pour créer des rencontres, quelques interlocuteurs,
et une fois de plus la loi du balancier a joué. C'est mon premier
thuriféraire (quasi absolu) qui a mal pris que je le remette à sa place. M'ayant
prêté une subjectivité subjective (en fait cela ne lui plaisait pas que je
prétende que presque toute l'humanité était superficielle), subjectivité qui
naturellement ne peut plus être vraiment présente après le Soi, puis trente ans
de trituration par la Shakti, je lui ai affirmé qu'il ne pouvait pas voir ce
que je ressentais, et qu'il me «prêtait des intentions». Ce qu'il n'a pas été
capable de reconnaître.(Ainsi je «perdais mon sang-froid» en cessant de
l'approuver inconditionnellement, ce qui s'était produit à plusieurs reprises,
mais il est clair qu'il commençait à vouloir me faire dire ce qui l'arrangeait,
et j'y ai vu de «l'orgueil», ce qui n'a pas été apprécié... )
Tous les autres
échanges sont kool, avec des personnes qui m'ont moins encensé que lui. Il
semble que ce jeune homme attendait inconsciemment un retour d'ascenseur et
exigeait que je confonde le respect de son ego avec celui de son âme, ce que je
ne peux malheureusement pas me permettre. En consultation, il m'arrive de
malmener sans violence des personnes sincères qui finissent par utiliser ce que
je leur montre, après avoir été un peu décontenancées d'être vues sous un jour
quelque peu obscur, où je leur révèle les angles morts, qui retardent leur
démarche. Il y a quelquefois des apparences de «blessures narcissiques», mais
mon propos n'est pas de faire de reproches. Plus on est orgueilleux, plus on se
sent offensé, alors que mon «diagnostic» est naturellement purement pratique,
évolutif, serein. Je ne peux donc pas parler à n'importe qui, certains
s'imagineraient que je les dévalorise, les infériorise, alors que je fais
toujours le contraire, mais en m'adressant au meilleur de l'individu, son
besoin de changer, son aspiration, son cœur, la quintessence de son
intelligence.
Le supramental m'a
montré toutes les strates des manipulations dont nous sommes l'objet, et je lis
cela facilement sur n'importe quel thème natal, instantanément. Il faut donc
que la personne puisse encaisser ce que je lui dis, c'est-à-dire qu'elle soit
déjà assez évoluée pour se déterminer à changer sa programmation énergétique,
au lieu de se plaindre que je la juge, ce qui est absolument absent de ma
démarche. (On en revient donc à ce satané «soleil archaïque», indécrottable,
qui ne veut pas entendre parler faiblesse, mensonge, incapacité, et qui est
saoul de l'énergie du signe, ou à Saturne qui refuse l'information). Vu la
manière dont le site est présenté, avec une froideur calculée, je ne tombe que
sur des personnes, fort rares au demeurant, qui repartent satisfaites de la
consult, car elles veulent vraiment avancer, sans se raconter d'histoires. Et
si l'on ne se raconte pas d'histoires, on accepte ses propres imperfections. (Mon
thuriféraire désabusé a préféré s'imaginer être offensé, voire injurié, ce qui
confirme tout le chemin qu'il a encore à faire et qu'il aurait tant voulu
abréger en s'imaginant que je serais son complice).
Les mouvements
psychologiques qui voudraient atténuer les prises de conscience négatives ne
peuvent pas être d'ordre évolutif, mais certaines personnes ne peuvent pas se
voir comme elles sont, ni prendre acte de leurs lacunes par des
représentations. Elles s'accrochent aux mouvements qui leur fournissent de
belles images de soi, et s'y cramponnent.( Cette attitude complaisante
est souvent confondue avec «l'esprit positif», et de nombreuses personnes
s'engraissent l'ego à flatter le besoin d'illusions supérieures qui se
manifeste au début de la quête, en traçant des voies toutes faites, que l'ego
récupère en se cachant derrière le besoin d'un bonheur plus relié). Il faudra que ces victimes, qui en ont plein la bouche des grands mots
(Amour, loi cosmique, Connaissance, Adeptat) finissent par aller droit dans le
mur pour s'avouer que quelque chose ne va pas... Que le pur n'a pas été séparé de
l'impur. Que la lune est restée scotchée au soleil, que l'identification à
l'objet n'a jamais permis un retour absolu à soi-même... D'où la lenteur de
l'évolution, et la nécessité de l'obstacle et de la limite, ce que le Nouvel
Age (entre parenthèses) aime bien édulcorer, pour faire miroiter plein de
gracieusetés.
L'aphorisme de Sri
Aurobindo: «Méfie-toi d'un homme qui n'a jamais souffert» m'est bien présent à
l'esprit. Le champ de la Manifestation ne peut pas apparaître si l'on se
cantonne sur le petit territoire des perceptions ordinaires. Décider que l'on
ne souffrira pas, j'ai vu cette politique autoproclamée par des individus
nombreux, et je les ai toujours vus, jusqu'à présent, plafonner. En sachant
pertinemment éviter les directions où ils pouvaient souffrir, ils se sont
enfermés dans un champ assez faible de perception, en faisait la politique de
l'autruche dans de nombreux domaines. Aspirer à être, c'est inconditionnel.
Aspirer à être à condition que... C'est du bébé de chez nourrisson. La souffrance
autorise les vraies remises en question, c'est prouvé par A+B en astrologie,
avec Saturne et Pluton, et les carrés, et parfois les conjonctions puissantes
qui mélangent des tendances centrifuges. Quand la souffrance physique est
épargnée, ainsi que la soi-disant souffrance morale (culpabilité), il est
nécessaire d'éprouver tant soit peu (je ne veux pas faire une règle ni établir
la proportion obligatoire) l'absence de ce qui est désiré au plus profond de
soi. Je n'ai encore jamais vu de personne très consciente qui se soit dispensé
de souffrir, et si les douleurs ordinaires ont été évitées, il demeure celles
des interrogations poignantes sur l'itinéraire, ce sont certes des souffrances
abstraites, qui d'une certaine façon sont indolores, mais ce sont les
empreintes de la transcendance qui s'avance, en développant son manque dans le
sujet, et cela, sans être cultivé, peut se produire. Voilà pourquoi la question
de la souffrance doit être envisagée sous tous les angles possibles, et s'il
demeure absolument sain de vouloir s'en affranchir, s'en affranchir ne veut pas
dire éviter, tant que le mouvement n'a pas abouti.
En fait, au risque
de m'avancer et de déplaire sur les forums où tant d'illusions s'échangent pour
accompagner les utopies du nouveau monde, j'oserais affirmer qu'on ne peut pas
se débarrasser de la souffrance avant de la connaître d'assez près,
étroitement. Appeler sa disparition, figurez-vous que cela la renforce pendant
un certain temps, mais permet d'aller au coeur du problème. Quand on cherche à
déloger un parasite, à faire sortir de son trou un serpent, quand on veut
extirper quelque chose, la résistance apparaît. La plupart de ceux qui ne
s'attaquent pas à la souffrance et la tolèrent comme une donnée naturelle, se
tiennent à la surface des choses, et ne peuvent donc l'explorer.
Celui ou celle qui
veut vraiment s'affranchir de la souffrance va la retrouver partout en lui,
proportionnellement au levier qu'il utilise pour l'éradiquer. En tout cas, en
certains moments. Bouddha avait tout sacrifié à sa quête, et il a réussi. Par
la suite, on s'est débrouillé pour faire croire qu'on pouvait être bouddhiste
en traitant par-dessus la jambe le réel, et en se contentant de le dépecer dans
quelques doctrines fournissant la sagesse clé en mains contre quelques
méditations truquées. Il y a très peu d'éveillés au sein du bouddhisme: on a
préféré finalement traiter la souffrance comme un concept, et on l'a ramenée à
des contenus émotionnels dont il fallait s'affranchir, et on l'a identifiée aux
attachements. Mais il existe un nombre considérable d'autres souffrances, dont
l'occurrence est spontanée, non méritée, par le seul jeu de l'incarnation, et
si l'on veut se libérer de toutes les douleurs, et non pas du seul catalogue
des souffrances superficielles, la voie drastique, radicale, complète et
permanente, est indispensable. Là surgissent toutes sortes de souffrances,
aussi bien celles du moi profond qui cherche à accoucher de lui-même, que les
souffrances génériques, celles qui rattachent à l'animalité la plus brutale.
Comme l'ananda
est l'inverse de la souffrance, il semble pouvoir croître proportionnellement
au nombre de douleurs qui ont été absorbées et dépassées, et elles se
présentent sans qu'on les appelle. Bien qu'une partie non négligeable puisse
être évitée par la sagesse, il me paraît improbable de parvenir à l'éveil sans
traverser des périodes difficiles, qui imposent de nouveaux contrats entre le
moi et le non-moi ; soit une rectification de la navette entre les deux. Uranus,
Neptune, Pluton imposent chacun des manques différents, et aucun manque n'est
par définition agréable.
Uranus crée une
sorte de nostalgie du futur pour tous ceux qui souhaitent réaliser un monde
meilleur, Neptune souligne qu'on frôle l'identité entre le moi et le non-moi
sans vraiment l'indiquer, Pluton suscite toutes les formes d'insatisfaction
propres à faire passer le moi générique au moi individuel par la revendication
d'une intensité quelconque. Il n'y a aucune erreur doctrinale à avancer que
nous subissons des appels de l'univers, appels de l'extérieur en quelque sorte.
Je le répète, je diverge sur ce point avec Krishnamurti, et lui-même a trouvé
là sa limite, sinon il se serait penché de plus près sur Sri Aurobindo, quitte
à rester trois ou quatre mois comme un rond de flanc, avant d'admettre que la
Shakti, que tous les physiciens appellent d'un autre nom, pouvait se
manifester, pourquoi pas, dans l'esprit humain.
Sa voie aurait été
plus large, mais il semble que Krishnamurti ne pouvait pas comprendre la bakti,
qu'il prenait pour un processus d'identification. C'est entièrement faux. C'est
la prémonition d'une identité entre le moi et le Seigneur, une direction qui ne
va pas dans le sens du parabrahman, stage dans lequel le sujet se dérobe à
lui-même jusqu'à ce que le terme d'expérience apparaisse inadéquat pour parler
de ce qui est perçu, alors qu'aucun terme ne demeure approprié pour décrire ni
le perçu ni le percevant. Ces considérations sont peut-être byzantines pour
certains, mais je souffre de voir des chercheurs se planter car ils sont
incapables de réconcilier les «visions» différentes des maîtres, ce qui les
oblige à les hiérarchiser faussement, et parfois, à s'interdire de nouvelles
pistes. Condamner Aurobindo avec Krishnamurti, Jésus ou Bouddha, constitue une
attitude ridicule. L'idée d'enfermer la vérité dans un cadre définitif vient du
singe qui balise son territoire. Il n'y a pas de compétition vers la vérité,
mais des voies différentes, peut-être que certaines sont «supérieures» à
d'autres, mais toutes ont leur qualité, et toutes confrontent au Réel le moi
qui veut s'enfuir, quelle que soit la proportion de souffrance qui se manifeste
dans la démarche. Ce que je reproche aux hommes, c'est d'être victimes de leur
singe ascendant: décréter qu'il n'y a pas d'Himalaya parce qu'on fait le
Mont-Blanc, prétendre qu'il n'y a pas de Mont-Blanc parce qu'on a fait les
sommets des Pyrénées.
De tout cela, il
ressort que nous pouvons réellement changer notre «nature» par différents
procédés, mais, sans le besoin impérieux de le faire, les procédures
plafonnent. C'est très émouvant: des personnes qui sont parfois poussées dans
le dos par Pluton, attirées en avant par Neptune, et qui vivent donc avec un
rythme naturel qu'ils peinent eux-mêmes à intégrer, elles sont obligées de
marcher vite, mais la destination leur échappe s'ils ne se centrent pas assez. (Dernière
consultation).
C'est pour cela que
je prône le discernement, l'usage affûté du mental, non celui qui pense, mais
celui qui a des flashs après avoir fait des recoupements, et qui «intègre
l'expérience». Plus les pouvoirs planétaires communiquent, plus les tensions
peuvent disparaître. En fait, devenir spectateur de soi-même, ce que ne cessent
de promouvoir les grands maîtres du Soi, permet de retenir les mouvements issus
des pouvoirs psychologiques (ou planétaires), en tout cas ceux qui voudraient
par définition nous emmener dans les défenses de l'ego, qui sont si bien organisées
que tout le monde y tombe, à moins qu'il ne vive seul. Même les «maîtres»
continuent d'avoir des comportements parfois douteux quand ils sont en
représentation, exposés au désir d'être désiré, mêlés aux autres, ou identifiés
à leurs rôles.
Krishnamurti évoque
l'isolement et la solitude, la nécessité de savoir que l'on est vraiment seul,
c'est l'unique moyen de pratiquer une navette correcte entre le moi et le
non-moi, le sujet et l'objet. Il faut d'abord isoler le sujet, sinon il se
prendra pour ce qu'il perçoit, pour l'objet, et on n'en sort pas. Je sais à
quel point il est fastidieux de se séparer de l'objet, (ou d'atteindre un
processus de perception qui ne saisit rien de particulier), d'autant que le moi
propre demeure, même à ce moment-là, assez énigmatique... Mais n'oublions pas que,
justement, la souffrance qui nous isole, nous permet un sevrage qui nous ouvre
la vraie liberté et l'autonomie de pensée. La souffrance nous prive, nous
dissocie, nous sépare, et possède en partie le pouvoir, bien utilisé, de
ramener le sujet à lui-même. Par la contrainte, certes, comme une méditation
qui s'impose, en simplifiant au max.
On connaît les
excès de la chose, évidemment, s'infliger des souffrances sous prétexte que
seul Dieu est bon, et que la nature est mauvaise, etc. Tout cela provient
quelque part d'une vérité pervertie: le moi doit se trouver lui-même ;
l'individu doit jaillir du moule génétique, familial, culturel, et ce mouvement
évolutif n'a pas de fin. Un jour le moi devient le non-moi, c'est le satori, le
Brahman, l'illumination, (ou encore la réalisation impersonnelle), et puis cela
peut encore continuer vers autre chose, comme la transformation supramentale. Il
est nécessaire de comprendre que tout cela, pour être homogène dans un même
espace, conjugue des antagonismes profonds. Si tout est Un, c'est par la
guerre éternelle du multiple. Héraclite a raison contre tous. Et l'amour
n'est rien s'il ne comprend pas tout. Nul n'a le droit de dire qu'il aime s'il
est encore capable de haïr, qui que ce soit. Même l'assassin de son enfant. Les
mots mutilent à plus de quatre-vingt-dix pour cent ce qu'ils sont censés
représenter. Nous sommes au début de l'humanité. Ses capacités sont immenses,
infinies. Si là-dedans arrivait un désastre mondial, ce ne serait qu'une sorte
d'épiphénomène, le moyen même du Divin pour Se rencontrer Lui-Même en effaçant
ses échecs.
12 Décembre 2008
Le recul sur
l'histoire, la vision du monde humain à une échelle réelle, peu d'êtres humains
y parviennent. À cause du monde biologique, nous ramenons le passage du temps à
notre propre échelle. En fait, mille ou deux mille ans ne sont presque rien à
l'échelle de l'évolution terrestre, et pourtant nous y faisons entrer de force
presque toute notre histoire. On s'accorde à penser que le début de la
révolution de l'intelligence commence au 6°siècle avant Jésus-Christ, avec
Lao-Tseu, Bouddha, l'essor de la pensée grecque, et cela nous paraît lointain. Or,
la décantation de ces deux mille ans et demi ne donne presque rien. Aucune
amélioration notable de l'empathie, qui aurait permis une solidarité naturelle
et que le règne de l'argent fût remplacé par une cité universelle, ouverte,
intelligente, telle que Jésus également l'appelait de ses vœux. Une décantation
presque nulle et nous en avons la preuve tous les jours, non seulement dans le
domaine de la pensée, où la médiocratie a pris le pouvoir à travers les médias,
mais dans le domaine physique, ce qui est beaucoup plus grave. On pourrait à la
rigueur supporter la barbarie des cultures si la Terre n'était pas elle-même
menacée. Mais elle l'est, et sans doute davantage par l'homme que par des
cycles naturels. À l'échelle véritable de l'Histoire, qui nous demande de
changer notre étalon de mesure de la durée, un demi-siècle c'est un clin d'œil,
alors quoi que ce soit qu'il puisse se produire, c'est éphémère et provisoire,
et cela peut constituer un tournant décisif quel que soit le prix à payer.
Pourtant je ne veux
pas jouer les Cassandre, juste rabâcher que la «voie» est indépendante de
l'événementiel, et que celui-ci peut être absorbé quelle que soit sa forme, par
le moi en transformation. Plus on a la foi, plus on supporte ce qui arrive,
aussi est-il malhabile de fonder la foi sur le décor, sur ce qu'apporte
l'existence. Elle est légitime et puissante par elle-même, en prison ou au
dehors, elle permet de savourer avec gratitude ce qui est donné de gratifiant,
et d'éprouver également de la reconnaissance pour l'adversité, puisque la foi
sait intuitivement que l'épreuve ne possède qu'un caractère extérieur, et
qu'elle peut même renforcer le moi dans son besoin d'évoluer. Aussi faut-il
relativiser toutes les nouvelles qui veulent fonder l'essor spirituel sur des
données extérieures. Si l'on attend de pouvoir «s'appuyer sur l'ascension» de
la terre pour se former une évolution, on dépend d'un projet encore fumeux,
d'une nouvelle théorie de l'âge d'or, et ces anticipations, même si elles sont
authentiques, même si elles annoncent des transformations profondes, ne peuvent
en aucun cas suffire à architecturer une voie spirituelle nouvelle. Car tout a
été dit, indépendamment des fluctuations historiques, sur la fondation de la
vie spirituelle, et faire intervenir des dimensions supérieures, des vibrations
nouvelles, des «plans divins», tout cela ne fait que compliquer la consécration
en la subordonnant à des événements virtuels. On peut «être» sans dépendre
d'aucune réhabilitation de la Terre, d'aucun sauvetage cosmique, et cela vaut
mieux: la démarche est pure, il n'y a pas besoin d'appartenir à un club d'élus,
ou de s'imaginer faire partie des futurs survivants.
Néanmoins, sans
mépris, je reconnais qu'il peut exister des «mouvements» partiels qui visent à
éclairer l'homme, sans trop lui demander, et à le guider... Mais dans
cette période troublée, non seulement de nombreux mouvements sont factices,
mais encore la plupart ensorcellent le mental avec des représentations
mythiques d'un avenir auquel il faut s'efforcer d'appartenir par toutes sortes
de démarches, superficielles dans le fond. Éviter toute croyance demeure le
talon d'Achille du «chercheur», la difficulté initiale. Beaucoup finissent par
se laisser prendre dans un filet bien géométrique d'idées salvatrices qui les
manipulent, et ils peuvent se féliciter d'être tombés dans le piège: ils
croient même avoir des réponses sur beaucoup de choses, des passe-partout
ébréchés en fait, alors qu'il ne s'agit là que de représentations mortes, de
cartes au trésor infantiles, des déchets de l'esprit... Puisqu'il n'est lui-même
que dans l'exercice de ses fonctions, sur le moment, et non pas dans le retour
convenu sur le vécu, où ce n'est que du réchauffé. Voilà pourquoi les paroles
des maîtres n'ont aucune utilité si elles ne sont pas perçues directement pour
une transformation, comme des flashs, des insights. Se faire un collier de
perles d'aphorismes supérieurs, c'est peut-être un acte esthétique, mais c'est
surtout une fuite. Le koan doit servir le moment pur, le sutra la
méditation sans objet, la liturgie authentique doit immédiatement évoquer les
forces de l'Esprit, dans un élan d'amour, et les faire descendre, et c'est
encore parfois comme cela, dans de rares contextes, que l'Occident ignore. Le
contact du maître se doit d'être humiliant, sans intention de l'être, dans le
sens où les limites, les verrous, les conditionnements, les trauma, les
carapaces apparaissent, pour fissurer l'ego, sans qu'il y ait la moindre
méchanceté de la part de l'instructeur.
S'imaginer un maître
«respectueux», c'est le dernier fantasme du néophyte qui veut soumettre le réel
au petit trou de serrure par lequel il l'aborde. Un éveillé est un être «à
part», qui embrasse tout, (d'où notre rareté entre parenthèses), et tous ceux
qui lui demandent de s'aligner sur leur propre ressenti n'ont rien compris au
mystère de l'éveil, ni à la mainmise de l'ignorance. Si vous voulez passer de
l'autre côté, cessez d'attendre que des Natarajan et compagnie se plient aux
règles que vous voulez instituer: pommade dans le dos et papattes en rond, ou
encore reproches mondains, comme on caresse la tête d'un chien.
En corollaire, je rappelle que la
plupart des éveillés du Soi traversent des époques où ce sont les doutes qui
les guident, paradoxalement, vers le grand passage. Les doutes sont capables
d'effacer beaucoup de certitudes apprises et d'héritages socioculturels.
( D'où ma réserve sur les
«enseignements» qui ne sont qu'une manière d'aborder le problème
spirituel : le réel étant infini, il y a d'autres voies que les
«enseignements», et elles n'ont pas de raison d'être infériorisées : elles
sont toujours plus exigeantes que les enseignements, mais elles existent et
elles mènent aussi à l'absolu mystère.) Le chercheur qui ne doute pas est
forcément embrigadé, il confondra toujours appartenir à et être.
Ici, nous visons le je libre, le je suis, qui n'a plus besoin d'aucun
qualificatif ou attribut pour s'affirmer. C'est le seul chemin. Depuis deux
mille cinq cents ans, nous avons été quelques-uns à décrire l'itinéraire qui
permettait de sortir des appartenances, religieuses, culturelles, morales, et
philosophiques, pour déboucher dans l'être. Le chemin n'a pas été suivi, ou par
si peu... D'où notre situation politique et économique. Décantation faible... Le
Divin devra-t-il passer en force?
Peut-on prendre un gros retour de
manivelle pour notre incurie ? Oui, mais de toute façon, cela se passe
dehors, et c'est dedans qui compte, là où s'élabore le vrai regard, qui saura
profiter autant de la joie que la souffrance, de la paix que de la guerre.
Quand nous ne pouvons pas «choisir», il reste à trouver des ressources nouvelles
pour traverser les situations qui nous échappent. Il est donc intelligent de
voir quelles survivances dynamiques peuvent se cacher dans une
obédience: un besoin de sécurité, une peur fondamentale, ou une paresse
intellectuelle, qui peuvent être apprivoisés ou muselés par un «schéma
d'avenir», et noyés dans la masse d'une doctrine, ensevelis dans des promesses
de réussite. Il faut en réalité pénétrer le présent jusqu'à l'os, et
tant qu'on se maintient dans des limites fixées par le mental, la transformation
ne peut pas s'effectuer. Des modifications donnent le change, mais c'est tout.
Il n'y a que l'aventure pure, sans garde-fous, qui donne sur le réel,
l'émotionnel dégorge, les sentiments revendiquent, le mental se heurte à sa
propre impuissance. Le reste, comme disait Gurdjieff, c'est de la marqueterie.
Plonger, creuser, qu'avons-nous à perdre dans un monde qui se perd ?
Pourtant, je sais que certains
d'entre vous ne vont pas assez loin. Ils cherchent à colmater les brèches,
éviter de souffrir, éviter les erreurs, trouver la voie parfaite, comme s'il
s'agissait d'un chemin convenu, qui va se rendre au tracé d'une carte juste.
C'est naïf. Et quand vous me rencontrez, vous avez tendance à vous plaindre de
ceci ou de cela, et c'est votre «tolérance» au réel qui est défectueuse, et je
dois le dire en prenant des pincettes, pour ne pas vous blesser. Acceptez
davantage, inconditionnellement, approuvez moins.
Vous n'avez rien à craindre à
lâcher du lest. Je me répète, mais le style spontané du journal permet des
recoupements avec mes œuvres plus froides, et j'attaque ainsi le mental de
différentes manières. Je suis un «foreur» de mental, et le supramental est
carrément un «foreur de matière». On balbutie les gars, jetez les gris-gris qui
vous rassurent, vous n'avez rien à craindre sinon de ne pas savoir l'affronter,
la crainte, par les temps qui courent... Je l'ai toujours dit, la peur de la peur,
c'est pire que la peur suscitée par les événements. C'est peut-être là qu'il
faut travailler, dans les soubassements qui veulent miner le réel, ces
constitutions écrites par le subconscient pour contourner le
non-gratifiant, et d'autres, mirifiques, pour s'emparer du gratifiant.
13 Décembre 2008
Je suis passé maître en zapping,
vu que je me repose beaucoup, et je viens de pêcher une très belle émission,
peut-être en direct, avec Giscard et Cohn-Bendit. Comme je venais de commencer
un nouveau livre, mon mental était particulièrement disponible. Je savoure donc
l'émission comme un blue moutain du temps où je buvais du café, et je
suis touché par les deux géants de la politique, qui à eux seuls, représentent
une bonne part de l'utopie européenne. Discussion sur l'Europe, ce que je sens
est exprimé, les états veulent le beurre et l'argent du beurre, conserver la
souveraineté nationale et utiliser l'Europe pour arranger leurs petites
affaires avec les autres. C'est clair, commenté par Cohn-Bendit. Pire, le
travail de Giscard sur la constitution européenne a été repris et rendu
absolument illisible pour tout le monde, c'est le fameux traité de Lisbonne,
qui ne change pas la donne, mais s'enferme dans le pur hermétisme.
Alors, oui, le rêve européen, où est-il passé ? Les jeunes qui voyagent,
étudient, connaissent deux ou trois langues sentent tomber les frontières
nationales, les valeurs fermées, et savent qu'ils participent à une nouvelle
culture urbaine, grosso modo la société de services qui finit par subordonner
le potentiel industriel, et dans cette ouverture à la complexité «citoyenne», à
la responsabilité individuelle dans le monde du travail, ils trouvent que
l'avenir manque vraiment de souffle. Et le peu qu'on pouvait investir dans le
«rêve européen» semble compromis par la crise globale (financière, économique,
et maintenant industrielle avec l'automobile qu'on veut sauver, alors que
partout on croule sous les stocks et les occasions, et que la raréfaction du
pétrole impose une révolution de la conception même du véhicule).
Si chaque nation, aux abois, veut
défendre ses intérêts, le projet d'une Europe unie qui puisse faire face aux
quatre blocs formés par la Chine, la Russie, l'Inde et les États-Unis, tardera
à sauver toutes ces nations qui se reconnaissent dans une unité culturelle, en
tout cas géographique. À l'échelle de l'Histoire, la France était il y a peu à
couteaux tirés avec l'Allemagne, et avant avec l'Angleterre. Elle se vante
d'être à la pointe, dans le monde, de la défense des droits de l'homme, tout en
restant un état qui est des plus puissants marchands d'armes sur la terre
entière. On voit bien, par ce genre d'associations, que séparer l'homogène de
l'hétérogène est vraiment difficile. Cela fait peut-être longtemps que plus
nous défendons les droits de l'homme, plus nous vendons des chars et des avions
à toutes sortes d'états qui ne sont pas nécessairement des démocraties, aussi
faut-il à nouveau rappeler qu'il existe des lois de la matière, en quelque
sorte, qui se moquent des lois du mental idéalisant, qui a toujours existé,
sans jamais entraîner la faillite des lois matérielles: avidité, sécurité,
enrichissement personnel, pouvoir décisionnel aux mains des puissants pour
soumettre les peuples et leurs moyens de production. Il faut donc que ces deux
titans s'affrontent, que la loi mesquine du territoire, qui va toujours avec le
passé, utilise crimes, corruptions, intimidations, usurpations pour défendre
son espace, tandis que la loi du bleu, tirée par l'avenir, soit la recherche de
l'unité par l'intégration correcte des particularismes, peine et s'essouffle...
Mais elle résiste, et s'organise dans une vision de l'Europe démocratique où
les droits de l'homme seraient vraiment respectés, jusqu'à ce que cette union
devienne le modèle pour le monde entier. Aurons-nous le temps ? Les paris
sont ouverts !
Loin de la coupe aux lèvres. Le
décisionnel national et le décisionnel Européen doivent encore trouver chacun
leur propre champ, et rien que cela devrait demander plusieurs années, où
toutes sortes de conflit sont possibles, puisque les états devront payer des
amendes s'ils n'en font qu'à leurs têtes. S'il faut encore pénaliser la
désobéissance, réprimer de cette manière-là les sursauts d'indépendance et de
souveraineté, nous ne sommes pas sortis de l'auberge (espagnole). Le système
semble infantile, ses bases mêmes peuvent être fausses. Il faudrait une union
véritable, avec de l'empathie et de nombreux consensus, on en est si loin que
l'Europe est encore une esquisse, un germe, un brouillon... Alors l'Europe,
n'est-ce pas seulement une sorte d'épouvantail pour bluffer les
superpuissances, un paon qui fait la roue avec son euro pour épater la galerie
? C'est comme la transformation supramentale, finalement, ça avance millimètre
par millimètre, et le jour où ça fait un bond en avant, il faudra revenir en
arrière quand même.
16 Décembre 2008
Légère
amélioration, quelque chose se dégage, mais ce n'est pas encore gagné. J'ai
commencé un nouveau livre, sur l'éveil, seul, accompagné, avec ou sans
doctrine, tout ça avec parfois une sorte de coulée panoramique qui s'impose, et
parfois le style de Lao-Tseu. Je m'intéresse au cheminement. Décrire les œuvres
de l'Esprit, je ne ferai jamais mieux que Sri Aurobindo, mais travailler sur
l'itinéraire, cela me concerne beaucoup. C'est mon job quelque part. Et
supporter la force, qui demande encore un progrès de paix intérieure.
9 Janvier 2009 (Bali)
Incroyable
mais vrai. Dans une bouquinerie ordinaire de Kuta, ai la surprise de
voir les entretiens de Mère, 1950-1951, dans un état encore
convenable. En ouvrant le livre, il est dédicacé, signé par Mère
pour un certain Butthi, son paraphe est daté du 2 10 1967. Sa
signature inimitable, un zigzag fini par un point, me saute aux yeux.
Impossible de me figurer l'itinéraire de l'ouvrage.
Surprise
de taille.
Autre
surprise, hier, m'arrête par curiosité dans un magasin décoré
chinois, j'y trouve des poissons en aquarium, un par cage, très
beaux, de trois cents à cinq cents grammes environ, tout nacrés,
avec de très grosses écailles, et de forme particulière. Ils
valent plus de mille euros pièce, ce qui, ici, est extravagant.
Moralité, ils doivent difficilement se reproduire, ils sont rares,
et chers puisqu'ils portent bonheur. Pour qu'un chinois mette
autant d'argent dans un dragon fish, je veux bien croire que
cette espèce porte bonheur, en transformant l'effet placebo
peut-être. Ma première réaction, déception : les chinois
sont superstitieux ; après réflexion, ils sont si pragmatiques
que je me demande s'il n'y aurait pas une part de vérité
là-dedans, en tout cas, cela fait un drôle d'effet, une boutique
avec six ou sept aquariums seulement, chacun occupé par un poisson
hors de prix, qui attend son maître. Une chose est certaine, à ce
prix-là, quand on l'achète, on doit se laisser sermonner sur la
qualité de l'eau, la taille du récipient, et le dosage de la
nourriture. Et qu'est-ce que cela veut dire s'il meurt
prématurément ?
Le
vendeur prétend que cette créature sacrée peut vivre quarante ans,
là, bien sûr, l'achat est amorti... Un poisson d'ornement à ce
prix-là, je n'y aurais jamais pensé. J'ai fait répéter le
prix plusieurs fois, car la situation frôlait l'événement
hallucinatoire, et je voulais être certain de ne pas rêver... Je
suis sorti béat de découvrir que je vivais dans un monde où un
sixième de l'humanité frôlait la famine sans que cela empêche
de riches asiatiques de se ruiner pour acquérir un porte-bonheur
vivant, la conscience tout à fait tranquille, puisque justement, le
but de l'opération est sans doute de se prémunir de toute
faillite matérielle. La réalité est vraiment large d'esprit, il
lui manque encore la hauteur et la profondeur, mais en largeur, il
n'y a rien à redire, rien.
Comme
trouver un bouquin dédicacé de Mère dans un bookshop miteux
de Kuta. Fallait-il s'y attendre ?
Je le
relierai à temps perdu. J'ai toujours senti que le Tao avait plus
d'un tour dans son sac, et que prévoir l'imprévisible ne
servait à rien... Of course, c'est impossible par def. S'y
ouvrir pour augmenter le champ de conscience, bien entendu. L'imprévu
est la loi du mouvement, puisque les mouvements eux-mêmes se
croisent et modifient leurs trajectoires sous la poussée de leurs
rencontres et de leurs sillages, comme ils infléchissent d'autres
trajets, après avoir eux-mêmes dévié de leur course. Et au cas où
je l'oublierais, l'imprévisibilité souveraine, des
événements synchrones me la rappellent de temps en temps. (Concept
très intéressant, ce qui peut être prévu engendre des normes, ce
qui ne peut pas l'être, engendre quoi ? La surprise, mon
bon.)
S'attendre
à l'inattendu
C'est
inviter le ciel
Lui
qui ne se mesure pas
Qui
donne outre mesure
Qui
reprend sans prévenir
Ne
s'attendre qu'au seul connu
Et
l'exiger en permanence
Cultiver
le conforme
C'est
nourrir en soi le goût de la guerre
Rêver
d'un pouvoir absolu
C'est
s'enfoncer dans la terre
Et
maudire le vent
C'est
préférer la glace à l'eau
Et la
nuit monotone aux mille couleurs du jour
Vouloir
conformer le tao
À
soi-même
C'est
se perdre dans l'illusion
De
dresser la vérité
À
s'emboîter dans ses propres mesures minuscules
Chuter
dans ce qui est acquis rassure
Mais
seul l'Inaccessible soulève l'esprit
Et
délivre du gain autant que de la perte
Demain,
anniversaire de la descente du Supramental... Un bouquin signé de
Mère qui finalement me revient, comme pour fêter ça... Amusant,
c'est tout. Je ne tiens pas à symboliser ça, mais quelle curieuse
coïncidence tout de même.
11 Janvier 2009
Hier,
étrange journée. Je me réveille comme si le supramental avait été
chassé de mon corps. Pas bien, une sorte de présence sournoise dans
la tête, un vieux poids, une sensation dans tout le cerveau qu'il
s'y trouve quelque chose en trop, et qui empêche la joie. Rien à
faire. Un massage me fera du bien, en fin d'après-midi.
Aujourd'hui à nouveau la forme, alors je vais nager un peu, ce
matin. Mon corps connaît tellement les mouvements de la brasse que
je le reformatte dès que je nage plus de cinquante mètres. Grosse
toux à la fin. Mais bon résultat quand même. Une fièvre avec
retour de la vitalité après un excellent repas, le buffet du
dimanche chez le japonais. La viande ne m'attire plus du tout,
encore que j'ai goûté le poulet si bien préparé, mais le
poisson cru, pourquoi pas.
J'attends
avec ferveur la fin du problème aux bronches du côté droit et
ferai un super-travail sur le corps, sans doute dans l'eau, un peu
de chasse sous-marine, mais aussi de longs parcours de nage en
mélangeant les styles. Je fais un peu de ki-cong intuitif aussi,
quelques minutes, et sens que je vais vraiment travailler
l'alimentation. Le reste me paraît maintenant un peu surfait. Le
corps me rappelle tout le temps le problème de la matière
biologique, qui décline passé cinquante ans. Je parviens à faire
descendre la force par le manipura chakra, et au-dessus également,
toujours dans le dos ; et avec un frémissement sur la
fontanelle. La durée semble dépendre de mon besoin. Le 30 décembre,
c'était inattendu, très fort, et cela m'a retapé de plusieurs
mois. En novembre, j'étais tombé assez bas énergétiquement. Le
mantra ne suffisait pas. J'étais déminéralisé également. Zinc
et magnésium en plus du traitement homéopathique, et j'ai bien
commencé à remonter la pente. Le tout est d'encaisser les moments
difficiles «comme si de rien n'était», sinon possible
de somatiser en plus des préjudices concrets, physiques. Pour moi,
ce n'est pas de la méthode Couhé, cela devient naturel, après
tout c'est aussi la volonté du Divin que je sois aux prises avec
ce problème. Je le contre, mais ses manifestations n'ont plus à
m'émouvoir.
Par
honnêteté vis-à-vis de mes lecteurs assidus, je dois revenir sur
quelque chose d'important. À un moment du journal de Bali,
j'évoque une parano profonde un jour de descente globale et
imprévue du supramental dans le physique (différent de tirer la
force par les chakras), et ma crainte concerne alors le vol que
pourraient effectuer mes gardiens concernant mon laptop, qu'ils
doivent ramener de chez le réparateur. En fait, le supramental
savait quelque chose. La femme du gardien menait une double vie
depuis plusieurs mois, en faisant croire qu'elle suivait les études
d'institutrice, alors qu'elle disparaissait dans la nature. Je
lui avais maintenu son salaire, et l'avais encouragée, car je la
jugeais intelligente, à reprendre l'université, et elle était
ainsi dispensée du travail assidu, qu'elle bâclait sans que cela
ne me gêne. En fait, on ne sait pas où elle passait, mais elle a
fini par voler, et son mari s'est aperçu de sa double vie, et l'a
congédiée. Elle a même gardé l'argent de la protection contre
les termites, trois cents euros, qu'elle devait remettre le travail
terminé, le jour de mon départ en France, preuve absolue de ses
malversations que j'ai eu du mal à admettre, racontées par son
compagnon. Sans compter les factures impayées qui apparaissent
aujourd'hui, et tous ses bobards sur le prix des achats où elle
grattait un maximum... Et son séminaire hors de prix de formation
spéciale à Java, qui cachait un voyage pour un autre motif. Tout ça
pour seulement dire que cette personne rêvait sans doute de me
piquer mon ordi ce fameux jour spécial, mais heureusement elle était
avec son mari. Bref, ma parano était fondée quelque part,
mais il aura fallu encore attendre quelques mois pour démasquer les
mensonges de cette personne, très habile, et à qui j'avais pu
faire confiance sans problème les deux années précédentes.
La
correction (parano et intuition mélangée) doit donc s'appliquer
aussi, éventuellement, à Satprem, qui devait parfois ressentir,
même indistinctement, des choses qui n'allaient pas dans son
entourage, ce qui revenait souvent sur le tapis, mais je le répète,
la conscience supramentale nous précède en quelque sorte, et ce qui
n'est pas transformé peut faire des erreurs d'ajustement
(surtout cette conscience spécialisée dans le contingent que
j'associe au mystère 3 de méditation quantique.) Voilà une bonne
rectification, et c'est en renonçant à se représenter le
supramental qu'on peut comprendre ce qui arrive aux pionniers. Oui,
nous pouvons être «dépassés», et je ne cesserai de le dire. Et
ceux qui ne le seront pas n'auront sans doute pas touché le cœur
vibrant de la chose, ou n'auront pas su le retenir. Nos erreurs
sont donc infiniment pardonnables, qu'elles soient petites ou
conséquentes, et cela reste des erreurs, aussi l'idée de
«descendre» Satprem, presque reclus sur la fin, est-elle aussi
absurde que celle d'en faire un héros parfait, incompris et
menacé, mais certains ne m'ont pas pardonné mes nuances, qu'ils
ont crues chargées de malveillance. La leur, qu'ils me projettent
maintenant dessus.
Décidé
de diviser le journal en deux :
Un
journal blog, qui parle de tout et de rien, et qui me discrédite pas
mal d'ailleurs, pour écarter les véritables ennemis, et un
journal supramental, qui reste dans l'axe de mes expériences, et
qui évitera les expressions débiles du genre stupide de chez bêta,
ou autres friandises gourmandes de chez j'en fais des tonnes.
29 Janvier 2009
Ai repris
plusieurs jours une bonne activité physique, snorkeling et natation,
pas longtemps, mais dans une concentration parfaite, et parfois deux
fois par jour. Cela déclenchait de grosses quintes de toux, aussi je
ne m'éloignais pas du bord. Cela allait bien d'ailleurs avec la
canicule, mais j'ai rechuté je ne sais pas pourquoi, il y a deux
jours, après une séance de chasse sous-marine avec Agus. Déception
mentale, mais acceptation totale, je me soigne mieux, me prépare du
noni local, prends l'homéo, mais j'ai un peu de fièvre, et
j'ai été très fatigué aujourd'hui. Je pense à mon prochain
livre, sans m'y mettre. Sinon, il faut comprendre que le journal
blog plein de spontanéité douteuse, de dérision et d'ironie,
provient en ligne droite de mai 1968 d'une part, et que,
d'autre part, si je ne donnais que l'image de l'auteur des
principes de la Manifestation ou de la racine de l'éveil, je
favoriserais l'apparition d'une bien-pensance natarajanienne, et
cela, c'est hors de question. Il y a eu et persiste une
bien-pensance satpremienne ou satpremiste, qui a pris la teinte du
personnage, en la caricaturant, et qui dessert la cause supramentale,
dans le groove le supramental ou rien, dans le feeling également que
tout se ramène à Mère. Mais encenser Mère et son thuriféraire,
pour fermer la conscience tranquille les yeux sur le reste, n'a
jamais fait de personne un yogi supramental. Pour éviter que se crée
une bien-pensance autour de moi, aujourd'hui ou plus tard, je
démolis sciemment l'image du scribe divin que je crois être
fondamentalement, en rappelant que ce qui m'intéresse, c'est
l'évolution de l'humanité, et non pas de jouer les modèles
parce que je suis devant. Je n'ai pas pu échapper au supramental,
et je répète que je n'y suis pas pour grand-chose. Pendant sept
ans j'ai marché sur une corde raide, et je savais qu'à la
moindre erreur de ma part, la suite du projet risquait d'être
compromise, et comme cela m'ennuyait beaucoup, j'ai enchaîné
sacrifice sur sacrifice pour me hisser là où c'était nécessaire,
et cela a marché. Puis j'ai pris une vitesse de croisière, en 83,
et en 2001, j'ai vécu quelque chose d'extraordinaire, l'explosion
des gènes, et je ne m'en suis remis qu'en 2006, mais pendant
toute cette période j'ai continué à faire des expériences
intéressantes. Aujourd'hui je vis aussi un truc étrange, d'un
côté une grosse résistance dans les bronches et le larynx, de
l'autre, le sentiment que le «code de la vie» m'a été
donné, c'est une sensation d'exister délicieuse, où se mêlent
confiance, gratitude et curiosité, le tout formant une sorte d'élan
d'amour inconditionnel vers le présent. Cet état d'âme est
descendu au début de l'année, et semble vouloir persister, voilà
pourquoi j'en parle maintenant. Il ne semble pas pouvoir être
attaqué par le problème de santé, alors que former des mucosités
sans cesse, ce qui est le cas depuis deux jours, n'est pas
spécialement agréable.
Oui, j'ai
horreur de la bien-pensance, elle sévit partout, elle était
arrogante et aveugle à Auroville, elle est sournoise et
condescendante chez la plupart des catholiques et protestants, même
avancés, elle s'installe autour du gourou dès qu'il devient
célèbre, et que s'établissent les normes du politiquement
correct, et tout cela c'est de la m........La bien-pensance a eu
raison de la sincérité des jésuites, elle a englouti des dizaines
de génération de brahmanes, sûrs de leur fait, dépourvus de toute
pitié, de toute compassion, de toute empathie, au nom de leurs
privilèges de droit divin, et l'on pourrait continuer jusqu'à
aujourd'hui avec la bien-pensance de gauche, qui ne reconnaîtra
jamais une manœuvre inspirée de la droite, et réciproquement. On
la trouve naturellement dans l'art, et Sollers n'a cessé de
l'assimiler au conservatisme littéraire, mais c'est sans doute
plus profond. La bien-pensance tresse ensemble sattva et rajas,
et donne cette assurance débile au bien-pensant, qui se croit
dispensé d'écouter ce qui ne va pas dans son sens. Cette
assurance a quitté l'intelligence, et se trouve installée dans le
domaine vital, mais le pauvre bien-pensant moyen ne le sait même
pas, les guna, c'est le dernier de ses soucis ; ce qui
l'intéresse c'est de conserver ses croyances, même au prix du
mépris de l'autre, ce qui est monnaie courante...
Et la
bien-pensance, déjà puante et nocive, qui enrobe n'importe quelle
communauté petite ou grande, n'est rien par rapport à ce qui la
concentre, le fanatisme, l'intégrisme, soit l'obsession
névrotique du bien, qui décime les peuples depuis la nuit des
temps. La bien-pensance bourgeoise, qui se casse la gueule, est bien
innocente par rapport à d'autres formes plus virulentes, mais elle
a sévi également dans des formes d'éducation strictes, dans
lesquelles manifester de l'amour aux enfants était considéré
comme une faiblesse. On sait que tous ces manques affectifs accumulés
pendant des générations ont produit en partie la compensation
matérialiste absolue, le besoin de s'enrichir sans limites pour
maquiller l'absence de vie intérieure en réussite sociale. C'est
décrit à grands traits, mais il suffit d'observer les visages des
fans de finance, pour la plupart, les émotions sont plus que
retenues, on sent des esprits calculateurs, arrivistes, pragmatiques,
qui préfèrent conjuguer être et paraître avec avoir,
qu'être et s'assumer avec aimer. J'ai déjà parlé de la
bien-pensance française, tout à fait spéciale, qui autorise des
gens de gauche fortunés à jouer aux redresseurs de torts permanents
dès qu'on veut limiter l'immigration. Tant qu'on ne viendra
pas de l'Afrique entière squatter à Neuilly, en s'installant
par exemple dans les jardins ou les places, ou les squares, ou les
abris de bus ou les dessous de rampes, ces bien-pensants décréteront
qu'il faut laisser entrer tout le monde, ça leur donne bonne
conscience, et ils sont fiers de représenter la véritable France,
celle de la dignité et des droits de l'Homme. Le français sait
toujours ce qu'il faut faire pour que les choses aillent mieux,
pour que le respect dû à chacun se porte comme un charme, mais
c'est toujours à l'autre de faire le boulot. C'est une sale
mentalité par bien des aspects, puisque la bonne conscience
schizophrénique sévit partout, dans les petits clans de la
gauche, de la droite, tandis que ceux qui agissent sont
systématiquement critiqués. Le français atteint son nirvana
national quand il dénonce, c'est une sorte d'éjaculation
abstraite qui le dédouane de sa propre médiocrité. Puis, il passe
à autre chose au lieu d'aller au fond du problème, il noie le
poisson avec un art digne des sophistes grecs. Le jour où la
politique de l'autruche ne marchera plus car les problèmes seront
trop vrais pour être escamotés ou même ajournés, qu'est-ce qui
fera l'esprit français ?
Son mea
culpa ?
Si le
règne du «discours», (dont l'apogée est constituée par
l'hermétisme creux de Lacan à la fin des trente glorieuses) est
terminé, la France est mal barrée. Car sa force, c'était le
verbe : la parole sied à l'idéalisme comme l'action au
pragmatisme. Mais si toutes les valeurs se mélangent et se
confondent, si tout tend à s'effondrer, les discours montreront de
plus en plus qu'ils n'impliquent pas forcément les actes qu'ils
évoquent, et dans ces moments-là, mon cher Watson, l'Histoire a
pris l'habitude de faire tomber des têtes. Souhaitons qu'elle
change de formule, ou qu'un brusque sursaut d'intelligence et
d'honnêteté intellectuelle brise tous les enfermements des
bien-pensances désappointées, tout aussi incapables les unes que
les autres, de voir le réel tel quel : Un ensemble de faits
solidaires. Car pour le moment, la réalité n'est que le prétexte
le plus approprié pour porter des jugements de valeur, qu'on
s'amuse à opposer. Un esprit puéril anime encore une bonne partie
de l'Occident, même en haut lieu, et l'esprit de l'Europe ne
pourra grandir qu'à travers des catastrophes et des échecs
répétés, à moins qu'une inspiration subite, ce qui est très
peu probable, ne le conduise à la profondeur, en passant par la
sagesse de l'Asie, qui ne s'est jamais payé de mots (bien
qu'elle commence avec la mondialisation). Mais quelle élite
lit-elle ceux qui pourraient indiquer des alternatives ? Quel
homme de pouvoir se préoccupe-t-il de François Jullien, qui
démontre qu'une autre vision du monde est possible, dès la racine
des représentations, quelle université met-elle à son programme le
taoïsme, ou Krishnamurti ? Nous sommes encore engoncés dans
les mythes judéo-chrétiens, où culpablilté et espérance se
donnent la main, puis se lancent dans une double séduction
incestueuse... Où avenir et passé se parlent l'un l'autre
par-dessus le présent, écrasé entre les deux, qui n'a même pas
le droit à la parole, le pauvre petit chéri, il n'a pas de
références lui, il ne peut s'appuyer ni sur les commémorations
ni sur le rêve gras comme un beignet de fête foraine d'un demain
amélioré.
Chez
nous, tout se ramène finalement à des représentations, qui cachent
la trame réelle du monde concret et historique, il faut affirmer ce
qui est le meilleur, cela suffit, et pas question de produire le
meilleur : on n'aurait plus de quoi rêver l'avenir, et ce
serait dramatique. Aussi faut-il que le présent soit finalement
médiocre, approximatif, dilué entre des lois obsolètes et de
nouvelles bonnes résolutions. Ainsi, on a toujours prétexte à se
plaindre, à geindre, à accuser le voisin, à dénoncer, et comme
rien ne se fait pour régler les problèmes en profondeur, on encense
l'avenir en chœurs groupés, jusqu'à la prochaine émeute, ou
guerre civile, qui rappelle que la réalité ne tient ni dans des
promesses, ni dans des règles, ni dans des procès. Nous portons un
fardeau immense, celui de l'idéalisme gnangnan, et de sa messe
populaire, l'indignation sans lendemain. Donc, ça va faire très
mal, parce que le «ce qui devrait être» s'éloigne de plus en
plus «de ce qui est», et la prise de conscience du décalage va
sans doute faire des ravages... Ce n'est pas la refonte de la
société qui est nécessaire, mais un changement de mentalité, et
si les vérités les mieux établies deviennent des scoubidou
bidou ah, il faudra aller chercher la vérité là où elle se
trouve, alors qu'on se contentait de ce qui permettait de s'en
passer les doigts dans le nez : les objets. La déconfiture de
l'objet, c'est ce qu'il fallait pour remettre les pendules à
l'heure, et il en a quand même pris plein la tronche pour pas un
rond, l'objet, de là à ce qu'on fasse agresser si on continue à
se promener en Jaguar avec options si l'on sort de son quartier, il
n'y a pas des kilomètres, ah, la jalousie des pauvres, il ne faut
trop la provoquer, mon cher, c'est frustrant, mais il faut rester
peugeot, ou susciter la haine. Ou être un people sympathique, mais
moi je ne sais pas taper dans un ballon, mon fric je me suis le fait
tout seul en travaillant 16 heures par jour. Oui, je suis allé
un peu loin, je n'ai jamais passé un week-end avec mes gosses, je
me disais qu'ils ne m'en voudraient pas, avec tout le pactole que
je comptais leur laisser, mais le fils a mal tourné, ma fille se
fait des vieux, et je ne sais pas comment sauver les meubles. Plus
victime que moi, c'est difficile à trouver, j'avais les
meilleures intentions du monde. Dieu est un salaud.
L'Histoire
se casse la gueule, mais l'esprit, plus plastique tu meurs,
rebondit.
- Qu'entendez-vous
par plasticité, cher mètre ?
- Que
l'esprit prend n'importe quelle forme, comme la flotte si tu
veux, le problème c'est donc le récipient.
- Ah
bon ?
- Oui,
mon cher Milly, c'est un koan. Plus on le comprend, plus on doute
de ce qu'on pense, et moins on a besoin de penser.
- Et
que reste-t-il ?
- C'est
une excellente question et je te remercie de me l'avoir posée.
Oui, il
rebondit, l'esprit, et aucune catastrophe à l'échelle humaine
ne peut desservir le projet divin... Peut-être même que c'est
l'inverse. Mais j'en ai déjà trop dit. Cuis, cuis, cuis, il n'y
a que cela à faire, et tu récoltes la pierre philosophale.
Petite
satisfaction divine. Passage le 28 au matin de deux Japonais, témoins
de Jéhovah, qui venaient me vendre leur bible. Plus aucune réaction,
ai pu les congédier rapidement sans me justifier, en leur disant que
j'étais déjà croyant et chrétien. Ils ont compris être
inutiles, et sont partis sans remords et sans insister, très
rapidement. Des Japonais faisant l'article à des Balinais, pour un
christ parmi tant d'autres, sur cette île... Où la religion est
au top, un très beau syncrétisme. On aura tout vu, les pauvres...
Ils doivent se faire éconduire un max, mais avec le sourire. Avant,
les mormons et les Jehova me mettaient hors de moi, j'y voyais
presque des offenses personnelles vu comment je réagissais, je
voyais du mensonge sur pattes, j'étais sec en les renvoyant, quand
je ne me lançais pas à démolir leur système... Maintenant je vois
des hommes ordinaires sauvés d'un destin encore pire par leur
petit boulot de représentant de commerce, et cela entre dans l'ordre
des choses, et même, cela va de soi. Je n'ai pas eu le moindre
effort à faire pour les écouter, leur répondre, les congédier, il
n'y a pas eu l'ombre d'un jugement, ou d'une déception. Ils
passaient dans le quartier, un point c'est tout. (C 'était quand
même le jour de la grève générale en France, et en plus, une
sauterelle énorme, une espèce que j'abhorrais petit pour des
raisons inconnues, était venue se perdre sur ma bibliothèque. Je
l'ai chassée dehors sans la blesser, c'était la première fois
qu'un insecte conséquent pénétrait la maison depuis deux ans que
j'y suis... Journée difficile confirmée par ces deux signes
hétérogènes, et pour moi qui tousse et crache, et pour la France,
et pour Sri Lanka qui veut en finir avec les tigres tamils, et pour
Obama, outré, et pour le tandem Israël Palestine, si l'on passe
d'autres désastres, ou d'autres contextes douteux comme Davos,
où Soros continue de se vanter d'être habile...)
- Dites-moi,
cher mètre, c'est quoi la vie ?
- C'est
une bonne question, malheureusement, elle n'est pas politiquement
correcte.
- Ah
bon ?
- En
quoi la vie me concerne-t-elle ? est la vraie formulation,
cher Milly, et comme vous n'êtes pas moi, cherchez la réponse
vous-même.
- Cher
mètre, cette question vous laisse le bec dans l'eau ?
- Exactement.
- Vous
vous moquez ?
- Non,
en fait se poser cette question revient à comprendre que c'est la
vie qui t'interroge, toi, sur ce que tu es. C'est elle qui te
nargue et te demande de prendre position. Sans la vie, tu n'aurais
jamais pu te poser cette question, n'est-ce-pas, alors c'est
tout, n'en fais pas tout un plat. C'est elle qui rebondit en toi
en passant par ton mental. C'est plus qu'un jeu. Elle te montre
qu'elle te tient. Alors ne te vante pas de te poser cette
question, s'il te plaît... Écoute qui s'interroge
plutôt...Est-ce que c'est la vie qui te demande de la regarder
bien en face, ou est-ce que c'est toi qui jongles avec des mots
dont tu te fous de la réalité qu'ils représentent, mais qui
sont agréables à employer pour te donner l'impression qu'on
peint le ciel en bleu ?
8 Février 2009
Trouve
parfois superficiel le contenu du journal, et me demande s'il faut
le continuer.
Même la
description précise du travail de la force dans le corps me semble
échapper par définition à ce que le lecteur peut comprendre. Les
sensations ne ressemblent à rien d'autre.
Et les
détailler peut permettre à des salauds de se les approprier, de
dire que cela leur arrive, et de se déclarer supramentaux. Parano ?
Un tantinet mon neveu, mais quand tu lis l'agenda et que tu vois
tout ce qui est venu rôder autour de Mère... Sans compter son
mariage incompréhensible avec Paul Richard, un type comme moi,
certains rêvent tellement d'être à sa place qu'ils pourraient
«jouer la transformation», juste pour le fun, les minettes à
leurs pieds, les mécènes jaloux les uns des autres, avec beaucoup
de culot de chez plus c'est gros plus ça passe, il faut s'attendre
à voir rappliquer des mutants avec des faux papiers en règle.
En tout
cas, je parviens presque systématiquement, soit le matin soit le
soir, à sentir la force dans le manipura ou au-dessus,
toujours dans le dos. Je reste allongé et je ne bouge pas le temps
nécessaire. Depuis le début, cela fonctionne bien quand je suis sur
le côté gauche, pour une raison inconnue.
Problèmes
domestiques. Mon gardien, pris la main dans le sac d'ouvrir mon
coffre-fort, trouve ça normal, alors qu'il a dû trouver la clé
bien cachée. Le Balinais étant une sorte d'extraterrestre, ou un
homme qui considère les blancs et les expats comme des
extraterrestres, ce qui revient au même, difficile de savoir ce
qu'il fabriquait. Il ne s'est pas démonté, sous prétexte qu'à
une époque je lui avais remis la clé, il semble vouloir me dire
qu'il s'attendait à ce qu'il soit vide, comme s'il l'avait
ouvert juste pour jouer. Il a peut-être piqué dix euros que je me
réservais pour la prochaine arrivée à Paris.
Passé
plusieurs heures à me sentir seul, ne pouvant me fixer nulle part.
Il est propriétaire de la maison que j'ai achetée, avec sa femme
qui l'a quitté, et il semble qu'ils puissent me créer des
ennuis ou me faire chanter pour toucher de l'argent à la vente. De
toute façon, même l'ambiance de Bali s'est fort dégradée
depuis trois ans seulement. Pense aller voir le consul et le notaire.
Cela m'a rappelé Satprem cherchant en vain une île. Le monde
extérieur apparaît parfois comme un complot contre le Divin, avec
des ramifications profondes entre l'argent et la peur. Dans la même
journée, ai évité deux accidents en scooter, sur un parcours
pratiqué une bonne quinzaine de fois sans problème, d'une
quarantaine de kilomètres. Cela avait presque l'air intentionnel,
finalement Uranus et Vénus étaient en maison 12 opposées à
Saturne, avec une lune en cancer sans aspects en 4.
Bien
décidé à reprendre mes presque nombreux romans. Ai même commencé
à aller travailler sur la best plage, Beach grill, en
emmenant le laptop. Drôle d'impression, le dimanche, la nouvelle
bourgeoisie expat, belle ouverture, mais pas forcément de hauteur.
Mon corps devient très sensible à la chaleur, aujourd'hui j'ai
été servi, et la mer était tiède.
22 Février 2009
Ai repris
avec un plaisir incroyable la correction d'un roman de
science-fiction que je compte bientôt vendre sur un nouveau site
style: supramentalelittérature. J'apprends à appeler la force
dès que j'en ai besoin, c'est peut-être une nouvelle phase de
mon yoga. Pour les kamikazes qui suivront, ne pas s'alarmer. Par
exemple avant-hier, ananda incroyable de la fin de matinée à la fin
de l'après-midi. Besoin d'aller au-delà du sommeil, dans un
repos au carré, quelque chose d'inconnu, sans doute régénérateur
au max. Délicieux. Alors qu'aujourd'hui je crame, n'ai pas pu
me baigner au dernier moment, et j'ai la sensation que l'émotionnel
est baratté en dessous de mon niveau de conscience. Serein, mais
dois me concentrer pour que le corps accepte la fièvre en la
trouvant agréable.
Ai
l'impression que mes parents sont encore vivants, j'ai retrouvé
l'amour que j'ai quand même porté à mon père quand il a
commencé à décliner, et qu'il est devenu moins arrogant. Belle
sensation qui avait recouvert sa trace d'autorité usurpatrice dans
le subconscient, une empreinte beaucoup plus négative, et que la
Force a nettoyée plusieurs fois. Voir le réel en couches, toujours.
Sinon, j'ai vraiment envie de travailler, et avec tous les textes
qui traînent, j'ai du boulot.
Gros
lâcher prise balinais. Suis parvenu à accueillir joyeusement mon
gardien, qui arrive avec vingt-quatre heures de retard de son village
où il a fait refaire le certificat du deux roues pour l'année.
Injoignable au téléphone, pas de s.m.s. Je me suis senti méprisé
une journée entière, et puis j'ai lâché en remettant cet
élément dans le puzzle entier, je ne suis pas chez moi, et à Bali,
on ne fait jamais de fromage, quoiqu'il se passe. Rien n'est
jamais grave, tout rentre dans l'ordre, l'aléatoire fait la loi,
puis il est absorbé.
Suis donc
allé moi-même acheter le poisson des chats au marché, c'était
sympa, ai commencé à le faire cuire, et remplacer Agus ne m'a
donc pas coûté, parce que je n'ai pas bloqué. Finalement, je
l'ai cru quand il est arrivé en fin de matinée, la gueule
enfarinée, et qu'il m'a dit avoir crevé en route hier, et avoir
été obligé de dormir sous un abri de fortune cette nuit. Vrai ou
pas, peu importe, invérifiable... Et ça ne sert à rien de faire
des reproches. Lui ai dit que j'avais été déçu de ne pas
pouvoir lui téléphoner, pour comprendre. Il prétend que ses unités
étaient bouffées, là aussi invérifiable. J'ai bien pris cet
événement et je m'en félicite, quelque chose voulait se plaindre
de devoir faire moi-même ce qu'il aurait dû faire, et puis le
réel l'a emporté: les chats devaient manger, et il n'y avait
plus qu'à rouler un petit quart d'heure et acheter cinq kilos de
sardines pour être tranquille un moment. Mais c'est énervant
quand même de ne pas pouvoir vraiment compter sur quelqu'un de
responsable, qui déçoit régulièrement par toutes sortes d'oublis,
de mensonges policés, d'à peu près, d'excuses peu
convaincantes. Le truc le plus courant, il prend prétexte d'une
chose à faire pour moi (acheter quelque chose qui manque ou porter
mes chaussures chez le cordonnier) pour disparaître presque toute la
journée. Sinon, il devient fana de chasse sous-marine, et cela me
fait plaisir par identification. Il s'est débrouillé pour faire
retaper un fusil à la crosse cassée, qui maintenant paraît
carrément neuf. Du coup, je lui ai donné.
J'aspire
toujours à guérir mais ça reste, et ne peux donc reprendre
sérieusement l'apnée, mais nager me fait du bien, et hier j'ai
fait trois petites distances avant 10 h 30, puis une
chaleur incroyable est arrivée, et je suis rentré. Mes écrits
s'imposent à moi, j'en imprime certains à emmener en voyage,
ainsi que des bons livres, comme les mensonges dans l'Histoire,
de Pierre Miquel, qui retrace l'abominable tracé de l'occident
depuis la première croisade. Finalement, le vingtième siècle qui
finit en apothéose avec la Shoah, Hiroshima, Mao, le Vietnam et
Polpot, n'est que la conclusion la plus logique de la guerre
commencée entre l'autorité et l'intelligence avec Bernard de
Clairvaux contre Abelard. Dix siècles d'histoire ne font
qu'illustrer ce conflit fondamental: l'autorité persécute
l'intelligence, car elle ne se soumet pas aux règles des dogmes.
Bien sûr, la manifestation est réelle, et des millions de victimes
sont bien mortes persécutées par ce seul conflit. Mais du point de
vue de l'Intellect pur, il n'y a rien d'étonnant à ce que
les choses se passent ainsi. L'intelligence emboîte les éléments
du réel en montant, l'autorité en descendant. L'autorité
enferme, l'intelligence libère. L'autorité descend,
l'intelligence grimpe.(Débat à prévoir avec l'Inconnaissant,
homme de pouvoir repenti ?).
Le temps
lui-même, qui n'est peut-être qu'une sorte de sillage de
l'éternité qui coud entre elles les distances, (vu la gravitation
comment faire autrement !), le temps n'échappe pas au
conflit, et même, le met en œuvre. S'il n'y avait pas la Mère
divine derrière tout ça, Shankara et Bouddha auraient raison, il
faudrait se casser de la vie. Mais elle n'est pas irrécupérable,
et Sri Aurobindo l'a prouvé. J'ai profité de la démonstration
pour me faufiler, et finalement ça m'étonne de moins en moins.
Dès l'âge de six ans, je m'étais fixé comme but de connaître
le «fabricant du soleil», et à partir de là, je n'ai jamais
cru en rien ; ce qui a désespéré pas mal de gens, dont des
professionnels de la croyance qui me voyaient bien vendre du
Jésus-Christ sauveur, évêque à quarante ans, tant mes «tendances
mystiques» affleuraient, décorées par un esprit très vif...
Abelard
contre Bernard de Clairvaux: de par vers chez nous les ploucs.
Socrate
condamné, même combat.
Hallaj
condamné, même combat.
Et ainsi
de suite.
28 Février 2009
Poussé
jusqu'à Timor Est pour acheter un nouveau visa pour l'Indonésie
dans un lieu que je ne connaissais pas, il me semble avoir débarqué
dans un monde artificiel à Dili. D'abord le niveau de vie est
incroyablement élevé alors que c'est un pays misérable, à cause
du dollar, et de l'implantation nombreuse d'un tas de
fonctionnaires de l'O.N.U, et de membres de toutes sortes
d'associations dans le style Croix Rouge etc. Il semble que rien ne
suit, deux travailleurs seulement sur une route à réparer, et les
boites en fer posées contre les murs des hôtels à la réception,
qui devraient distribuer des condoms gratis pour éviter le sida,
sont vides. En revanche des blancs à l'air sévère sillonnent la
ville en grosse voiture de police, toute la journée, quand on ne
tombe pas sur un convoi militaire. Il y aurait donc une nomenclatura
internationale aux salaires très élevés, et le peuple, pauvre, peu
éduqué, peu soucieux de penser, comme le prouvent les chauffeurs de
taxi, incapables pour certains, de faire le rapprochement entre une
carte et un itinéraire, bien que je leur décrive le parcours.
Qu'est-ce
qu'on fait vraiment, en dehors des bureaux, pour le développement ?
Pas assez par rapport à l'abondance des prétentions affichées.
Mais tout s'explique peut-être avec ce climat chaud et sec, qui
donne à l'indolence un caractère impérial, comme s'il fallait
se laisser vivre, reconnaissant d'exister. Fini par trouver au
nord, une très belle bourgade, qui descend vers la mer où un petit
village de pêcheurs, minuscule, avec une plage de sable blanc, m'a
accueilli dans un bungalow bien équipé. Je peux y recharger l'ordi,
je suis seul dans une belle nature à cinquante mètres de la mer. On
m'apporte un dîner correct, et ce matin j'ai eu une bonne
dizaine de bananes en guise de petit-déjeuner, qui me permettront
d'attendre le dîner. Je n'aime pas gaspiller de l'argent, et
la chaleur me permet de sauter un repas sans problème. Nager
m'apporte beaucoup aussi, même si ce n'est pas long. Retrouvé
une verve ancienne:
Faire
de petites choses et s'imaginer qu'elles sont grandes,
C'est
le lot de l'homme ordinaire,
Faire
de grandes choses et s'imaginer qu'elles sont petites,
C'est
le signe que le ciel a enfin parlé.
Le
serrurier ouvre la porte sans la casser
Et se
prend pour un héros: c'était au Palais.
Un
sage fait descendre le ciel sur la Terre
Et se
contente de sourire
Ne
sachant qui en profitera
18 Mars 2009
Nuit du
16 aux 17, nuit de mon anniversaire, belle descente de force,
partout, y compris dans les centres sexuels, ce qui provoque un
soulagement du vital, mais la description de la sensation est
carrément impossible. Pendant la journée le matin, étrange
sensation de la présence de ma mère, que j'ai littéralement
adorée jusqu'à la fin de mon adolescence. Une montée peut-être,
des gènes, car je ne suis pas doué pour sentir la présence des
«morts», ni pour le chanelling. Émouvant quand même.
Gros
travail de reprise sur l'ensemble de mes créations littéraires
sauf sur retour à la source et Mother India, pour ouvrir une
librairie et un club des amis de Natarajan. Quelques titres nouveaux
à paraître, sans doute payants, à recevoir en p.d.f. (Malgré les
sites, pratiquement pas de stage ni de consultation, en revanche une
correspondance intéressante avec quelques-uns).
Le
journal «sérieux», non pas le blog où je délire avec des
expressions faciles de chez c'est courant, sera réservé aux
membres du club.(Il y a encore beaucoup à taper, pas mal de
manuscrits à reprendre, mais des indications dans le style Agenda).
Suis en
train de me rendre compte que je ne pousse personne vers le Divin,
mon cheval de bataille, mon leitmotiv, c'est de donner les moyens
«d'accepter la réalité», quelle que soit la manière qu'elle
emprunte pour se présenter, en variant les scénarios que je sache,
du pire au meilleur et réciproquement. Et plus ça va, plus je
trouve que c'est rare. Pour certains, la manière d'accepter la
réalité, c'est de se prendre pour des élus, ce qui leur permet
de discréditer Sri Aurobindo, comme «luciférien». Ce genre de
nouvelles m'aurait accablé il y a trente ans, de la part de
soi-disant initiés très propres sur eux, aujourd'hui une telle
bêtise me paraît faire partie du décor, absolument médiocre, de
l'ésotérisme occidental, qui méprise l'Orient et se croit
supérieur, comme d'habitude. Finalement les deux types de faux
initiés le plus courant sont premièrement les types hypermentaux
qui ont réponse à tout, mais qui sont noyés dans le mental, avec
une représentation vraiment fausse de Dieu, et qui s'imaginent
être dans la vérité, et les grands amateurs de vital, intelligents
et sensibles, qui vivent dans la séduction tout en sachant se
présenter comme des maîtres. Et qui ne reculent devant rien pour
prendre le pouvoir. Les deux catégories sont dangereuses, les
hypervitaux jouent sur les faiblesses des êtres humains et ne sont
que des escrocs qui profitent de la vie à fond la caisse, quitte à
se mouiller un peu avec les énergies diaboliques, dont les plus
subtiles font illusion, et qu'on peut prendre pour du darshan
spirituel.
Mais les
hypermentaux enfermés dans leurs croyances imprescriptibles sont
parfois, malheureusement, sincères. Il leur manque une case, celle
qui permet de toucher le réel sans la pensée, et comme la pensée a
pris toute la place dans leur personnalité, ils tournent en rond en
colmatant leurs failles, jusqu'au messianisme bidon qui leur pend
au nez, tandis que rien, absolument rien, ne peut plus les remettre
en question.
24 Avril 2009
Hier,
journée absolument formidable, je monte à Ubud, dans un bel état.
Et il se passe deux choses sur le même fond d'une conscience
finalement indescriptible. La première, décantation d'une
conversation avec un toubib français sur mon problème. Je finis par
comprendre que les mucosités descendent, je ne sais pas par où,
mais descendent des sinus, et je m'imagine qu'elles ne tombent
pas seulement dans l'œsophage, mais dans les poumons, ce
qu'expliqueraient les quintes de toux sèche. Enfin l'hypothèse
tient la route, sinon, tuberculose, et quoi encore. Bon. Et puis
voilà que le soir je prends conscience qu'il y a comme un
tourbillon de vent au fond de ma gorge, et je vois l'image de Kali
qui tire la langue. J'ai un flash, je crois bien que je suis passé
avec un certain mépris devant une statue dans le quartier hindou de
Penang en Malaisie, en février de l'année précédente. Et c'est
juste après que j'ai commencé à avoir ce trouble, et qui
résiste. Alors je passe mon temps à remplacer l'image de Kali par
celle de Sri Aurobindo. J'ai dû chopper un envoûtement, parce
qu'avec la chaleur excessive, la force hostile a trouvé une
faille, d'autant que, pendant une seconde, peut-être moins, j'ai
invité la maladie en moi, avec une pensée de peur sur le jus de
fruit que je buvais, un j'aurais pas dû mécanique, qui a tout foutu
en l'air. Un réflexe d'une brièveté incroyable, mais ça y est
le mental physique déconne, et les forces adverses ont pu entrer. Je
n'avais pas trouvé de taxi, et je suis rentré à pied, j'ai
marché trop longtemps en plein soleil, et je crois le crâne
découvert, avant quinze heures, donc un plus un plus un égale
trois. Les trois facteurs ensemble, grosse chute assurée. Du mépris,
non c'était autre chose, comme une incompréhension que ce soit
encore là ce genre de représentations, alors un haussement
d'épaules, ou je ne sais quoi, enfin je me suis identifié à
quelque chose, ou bien cette chose a pénétré et décidé de
m'embêter. Mais comme grâce à cela je fais un yoga remarquable
depuis le début de l'année, c'est vraiment une aubaine. En
fait, la force est beaucoup plus disponible que ce que je croyais. Je
l'appelle plus souvent, et ça marche, bien qu'il y ait encore
des phases de saturation, où elle n'agit pas, mais reste comme
posée, comme si elle attendait que le corps ait récupéré de son
action précédente.
Bon,
l'autre chose c'est encore plus fort, ça s'est dissipé un peu
aujourd'hui, mais hier, c'était 5 sur 5. Le temps éternel ?
Cela, c'est le fin du fin. Ce n'est plus un phénomène de
mémoire, tous les temps sont simultanés, comme si on regardait la
terre de si loin qu'on puisse intercepter sa course en avant ou en
arrière, donc avant ou après. Tout semble normal, mais c'est là
que ça défrise énormément, en fait dès que je repense à une
séquence de mon passé, il n'y a aucune distance, c'est
complètement fou. Je pense à mes parents, ils sont vivants, à I.,
que j'ai adorée puis quitté en 2000, c'est comme si on était
encore ensemble, alors pour m'amuser je me promène partout, c'est
là, ce n'est pas du passé, c'est comme si ces monstres de
physiciens post Einstein avaient raison, les bougres, une dimension
où tous les faits, même étalés, sont simultanés quand même.
Ouais. Une minute de silence s'il vous plaît.
C'est
très agréable, pas moyen d'avoir de la nostalgie, c'est là.
Bon, tout ça c'est plutôt rigolo. En revanche, ce qui est plus
intéressant, c'est que si on se trouve vraiment dans ce temps-là,
peut-être qu'on dispose d'un socle beaucoup plus large et plus
puissant, comme des racines interminables, et pourtant, cela ne donne
pas de pouvoir. Bien que cet après-midi, en regardant la mer,
j'étais tout, mais comme c'était aussi le darshan de Mère,
j'ai dû récolter quelque chose qui traînait aussi. Là, on est
loin de toute description possible, je m'en excuse, et ce n'était
pas du tout arrogant, ce n'était absolument pas un sentiment de
supériorité. Il n'y avait plus de différence entre l'extérieur
et moi, et c'était j'oserais dire «normal», et ça allait
loin, j'avais presque la sensation du volume terrestre, du temps
posé comme un simple truc de magicien pour permettre l'illusion
que quelque chose se déroule, alors que rien n'est moins sur.
D'accord les vagues bougent, le vent anime les feuilles, mais le
temps n'apparaissait pas comme de la durée, rien ne cherchait à
s'écouler, ça s'écoulait peut-être, mais sans intention de le
faire, alors c'était très simple, tout était très simple, à un
point que le mental ne pourra jamais découvrir, en fait il n'y
avait plus rien à justifier non plus, à défendre, à condamner,
tout ça, c'est en aval d'un temps qui part en arrière, mais en
partant en arrière, le passé reste encore du présent, donc c'est
hors des perceptions habituelles. Normalement le passé n'est plus
là. Alors qu'aujourd'hui, je sens que tous les jours qui ont
précédé existent quelque part, et que je vis dans chacun d'eux.
C'est vraiment très amusant. Le plus comique, c'est qu'il y a
la même distance entre un événement qui a trente ans et un autre
qui n'en possède que deux, ils ne sont pas plus loin l'un que
l'autre, je me demande même si en cas de pépin, cette dimension
ne serait pas très pratique pour puiser de la force. SI je pense à
janvier 1977, oui, ça peut activer un peu le supramental, mais
ça ne restitue quand même pas les choses. On dirait plutôt que ça
permet un contact extrêmement vrai avec soi-même, comme s'il
était possible de se référer à toute son existence d'un seul
coup, d'emblée, mais si c'est un pouvoir, c'est d'un autre
ordre, ça ne contraint rien, ça ne décide pas, ça ne s'applique
à rien de particulier, c'est juste le «champ» qui s'évase
considérablement. Mais je ne suis pas le prolongement de ça non
plus, puisque tous les passés sont contemporains, donc c'est
inexplicable, totalement hors de portée de la compréhension, mais
c'est vraiment agréable. Le passé serait toujours du présent,
quelque part.
27, 28 Avril 2009
NATARAJAN ET L'INCONNAISSANT SE CONNAISSENT.
Natarajan parano, ou l'Inconnaissant toujours
border line ?
C'est une bonne question, et je vous remercie
de me l'avoir posée.
L'action que je subis depuis 1977, se borne à
supporter la transformation supramentale, qui aujourd'hui est assez
avancée dans mon propre corps physique, mais qui rencontre toutes
sortes d'obstacles, et m'oblige donc à une vigilance extrême.
Dans ce contexte, il ne m'appartient pas de prendre position pour
ou contre d'autres yogis supramentaux, autoproclamés, comme j'ai
dû le faire moi-même, pour répandre dans le public la nouvelle que
le yoga supramental n'avait pas été interrompu. Personnellement,
je ne fais aucune pression sur personne pour me faire reconnaître en
tant que tel, puisque je favorise la descente du Divin dans la
manifestation, ayant réussi, entre 1977 et 1982, l'incrémentation
du supramental dans le physique humain, à travers mon propre corps,
et que ce processus se suffisant à lui-même, il n' a pas à être
reconnu par d'autres pour être réel ou utile.
C'est le Divin qui a accompli cela, puisque,
pendant ces sept années, mon union était totale et parfaite avec
lui, ce que je n'ai pa pu conserver, tombant sur les résistances
de la nature universelle, en particulier du rajas, ce qui m'a
demandé de temporiser, de prendre en compte les résistances de
« l'animal » en moi, et de les traiter conformément à
mon dharma, c'est-à-dire en absorbant les obstacles au lieu de les
combattre ou de les contourner.
Je n'ai pas révélé pour le moment les phases
cruciales de mon avancée, ayant toujours autant de peine que dans le
passé à m'accorder la moindre importance, ce qui est d'ailleurs
un point de friction très important entre l'Inconnaissant et
Christophe d'un côté, et moi-même. Cependant, la transformation
supramentale est désormais possible sur terre, non pas que je
prétende qu'elle l'est grâce à moi, mais parce que je ne suis
rien d'autre que la preuve formelle et vivante que Sri Aurobindo et
Mère ont réussi leur travail. J'ai été obligé de renoncer à
l'aspect conscience du supramental, pour le retrouver sous sa forme
dynamique, en tant qu'énergie, et cette alchimie de la conversion
de la conscience suprême, reçue pendant plusieurs jours, au début
de la transformation humaine par le corps physique, a mis une année
à s'établir, sans le moindre repère, sans la moindre carte. J'ai
été plongé au fond de l'inconscience, j'ai perdu tout pouvoir,
toute force, toute intelligence, au long d'une longue dégradation
de plusieurs mois, et ce n'est qu'in extremis que j'ai
retrouvé la sortie, en fait sur le samadhi de Pondichery le 1°
janvier 1978. À partir de ce jour-là, en trois mois et demi, le
travail de la shakti divine a été puissant, et dans la nuit de mon
anniversaire de mes 28 ans, soit la nuit du 17 au 18 mars 1978, je
suis monté dans un monde causal supérieur, où un corps d'or m'a
été attribué, tandis que j'étais en présence de deux véhicules
extraordinaires d'origine différente, type vaisseaux
extra-terrestres, présence dont je n'ai toujours pas compris la
signification. En revanche, la transformation est allée à toute
vitesse pendant plus de six ans, et j'ai touché de nombreux plans
de l'hémisphère supérieur, comme la conscience éthérique de
Krishna, Vasudeva, soit le premier niveau de conscience purement
supramentale dans l'atmosphère, sans aucune trace de surmental, de
longues immersions dans le sat, tandis qu'également des états de
conscience spirituelle archaïques venaient mourir en moi, comme si
je devais les dissoudre, et toute cette phase a été aussi intense
que ce que nous trouvons dans l'agenda. Je dois dire que tout cela
s'est passé assez facilement pendant de nombreuses années, bien
que le sacrifice de l'amour sexuel (je me considère comme assez
évolué et assez féminin pour confondre les deux choses) auquel je
me suis scrupuleusement astreint pendant cette période ait suscité
des résistances du subconscient terribles, et même des attaques, à
travers une grave infection dentaire, synchronisée avec la
sublimation de l'instinct sexuel à un moment où je revoyais une
jeune femme dont j'avais été amoureux et qui m'attirait à
nouveau. Le Divin a continué son travail jusqu'à une saturation
de l'énergie supramentale dans tous mes chakras, y compris les
inférieurs, ce qui a poussé la force à s'autolimiter dans son
action, ne pouvant plus la contenir correctement. J'ai alors passé
six mois à vide, et puis j'ai repris le yoga supramental en ayant
« carte blanche » début 1983, ce qui m'a libéré
d'obéir à un système figé. J'ai suivi ma nature, et le fait
d'être parfaitement en accord avec moi-même et l'univers a
permis à la force supramentale de continuer à travailler à sa
manière, sans s'arrêter, sans que son action soit pénalisée par
la reprise, modérée il faut le dire, de la sexualité. La force
supramentale a agi en moi selon ses propres modes, et le travail à
accomplir est si colossal qu'elle peut privilégier un lieu pendant
un moment, l'abandonner, puis y revenir plus tard, le corps étant un
« chantier » à l'échelle d'une galaxie presque, par
rapport à l'infinitésimale action supramentale, et il m'est
arrivé une ou deux fois de comprendre que la dimension de mon corps
était absolument gigantesque par rapport à l'unité de mesure
divine, le vibrion atomique ou même subatomique, à la base même de
la constitution de la matière. Je ne tiens pas à décrire ma vie en
détail jusqu'à maintenant. Les obstacles sont nombreux,
puissants, profonds et requièrent toute mon attention. Cela me
dispense d'avoir à cautionner ou condamner l'Inconnaissant. Il
me semble que je lui ai donné ces éléments en 1993, mais qu'il
n'y a pas accordé la moindre importance, comme si son expérience
à lui était d'emblée plus profonde et supérieure, ce qui me
paraît être une erreur de jugement, d'autant que l'Inconnaissant,
alias Solaris, est quand même mon cadet de huit ans. Ce qui voudrait
dire, si nous restons dans une logique mathématique, qu'il aurait
vécu des événements aussi profonds que les miens passés tout
juste vingt ans, ce qui lui permettrait alors, oui, de revendiquer
une similitude profonde avec moi, mais je ne sache pas qu'à
l'époque, d'un seul point de vue de l'évidence, son contact
avec le supramental était aussi ancien que le mien, et j'ai donc
été profondément étonné qu'il ne prenne pas en compte mon
expérience, comme si le supramental lui était réservé de droit
divin.
Quinze ans plus tard, dans la vidéo Cohen
Wilber, il dit ne plus s'attacher à l'idée d'être le plus
grand et le meilleur, et qu'il laisse donc ce sentiment à ceux qui
sont encore encagés dans des réalisations somme toutes ordinaires,
et il est vrai que je compte là-dessus pour qu'il abandonne ce
sentiment infantile d'être en concurrence avec moi, concurrence
qui devait se traduire, jusqu'à il y à peu, par une soumission de
ma part à son rôle de dispensateur « d'amour guerrier »,
que Christophe met d'ailleurs en scène, avec sa sincérité
habituelle, que ne je conteste pas. Or je ne peux pas me soumettre à
l'Inconnaissant, puisque je n'ai pas le ressenti que son action
de révélateur de l'amour guerrier obéit à tous les critères
du supramental que j'ai moi-même expérimentés. Ma propre
connaissance par identité me semble beaucoup plus large que la
sienne, et je peux dire sincèrement que, quoi qu'il représente,
je le contiens en moi, sans que j'ai le pouvoir de voir en lui la
moindre avance sur moi, ou la moindre connaissance supérieure du
Divin. Car il s'agit pour lui de « revenir au créneau »,
de s'imposer, grâce à l'appui inconditionnel de Christophe,
comme un mutant qui doit être suivi, chargé de mission divine, et
par lequel il faut en quelque sorte passer pour se faire une idée
juste de l'avenir supramental, et peut-être même des modes qui
permettent de le réaliser. Il est donc engagé personnellement dans
un processus de valorisation personnelle, que je ne peux pas, pour ma
part, ni comprendre ni appuyer. C'est ainsi qu'agissent les faux
prophètes, en forçant à la reconnaissance de leur personne, et le
procédé est donc particulièrement délicat à mener, et ressemble
à un exercice de haute voltige, pour lequel « Bonaparte évolutif »
semble fait. C'est peut-être un avertissement divin, à moins que,
également, je projette mes propres réserves sur une action aussi
puissante dans le monde concret, qui n'est tout simplement pas ma
tasse de thé, et dont je peine à concevoir la nécessité. Napoléon
s'est cassé la figure de vouloir toujours aller plus loin, de se
croire invincible, et même dans le métier de révélateur de
conscience, il y a des risques, et si je reconnaissais
l'Inconnaissant, je serais son modérateur, avec la plus grande
joie, c'est d'ailleurs ce qu'il voulait me demander il y a
quinze ans, mais m'ayant traité par-dessus la jambe, je ne pouvais
me prêter à ce jeu. Et je ne sens pas L'Inconnaissant totalement
à l'abri de se prendre les pieds lui-même dans le tapis de
l'action qu'il déroule devant lui, s'il en fait des tonnes, ce
qui est son péché mignon. Ceux qui nous connaissent tous les deux
sentent une équipe formidable possible, mais je crois que l'attitude
de Solaris à mon égard sera déterminante pour me permettre de
vaincre mes résistances, étant donné qu'il les avait mises en
place lui-même, en me sous-estimant à tel point qu'un vrai
dialogue était devenu assez vite impossible. S'il a terrassé sa
condescendance, s'il s'ouvre à l'égalité, si les forces
employées me paraissent conformes, je serai heureux de l'accueillir.
.
Personnellement, je me contente de dire ce qui
m'arrive et ne force personne à me reconnaître. Je trouve
suspecte l'ardeur que l'Inconnaissant et Christophe mettent
depuis peu à se faire reconnaître comme dépositaires de l'action
supramentale, et si Christophe approuve inconditionnellement
l'Inconnaissant, personnellement je ne peux pas le faire. Sa vision
des choses me paraît effectivement très proche de la mienne, mais
quand il prend la posture,
dans les sittings en groupe, comme dans la vidéo du mythe du
chercheur, je ne vois plus le même être, et celui-là, qui a un
pouvoir direct sur les assistants, ne me convainc pas, pour le
moment. Tandis qu'il s'attaque au caractère simiesque des
anciens éveillés, il donne de lui-même une image particulièrement
vulgaire et animale au moment où, après avoir parlé de « barres
à mines dans le cul », il part dans un rire gargantuesque,
qui, en ce qui me concerne, par sa violence et son intensité, ne me
laisse pas entrevoir une aussi profonde transformation de son être
vital qu'il le prétend. Projections diront ses thuriféraires.
Peut-être. Pour le moment, je vois l'Inconnaissant comme un être
qui est persuadé qu'il peut tout se permettre dans sa relation à
l'autre, au nom de sa mission, et, s'il s'imagine aussi qu'il
peut tout se permettre avec le Divin, alors oui, nous toucherons aux
limites de l'instrument, et de ce point de vue, nous devons tous
l'amener à la transparence dont il se réclame, en lui refusant tout
pouvoir sur nos personnes. Car le pouvoir du supramental est direct,
entièrement transcendant, et pour moi, la valeur ajoutée que donne
le supramental à un individu n'a pas à être récupérée le
moins du monde par l'instrument, qui doit avant tout demeurer
l'instrument du Divin. Il reste donc à déterminer si la croisade
de l'Inconnaissant pour sa propre personne d'un côté et pour la
reconnaissance de l'amour guerrier de l'autre, relève du projet
personnel encore entaché d'ambitions humaines, même idéales,
mais humaines quand même, ou si c'est en accord avec le Divin que
cette mission s'accomplit. Pour ce que je connais de
l'Inconnaissant, sa reconnaissance du Divin est soit masquée, soit
négligeable, ce qui pose effectivement la question de savoir s'il
est dans la ligne de Mère et de Sri Aurobindo, ou s'il s'autorise
des « créations personnelles » non inspirées par le
Divin lui-même dans le mandat qu'il s'octroie pour conquérir
les suffrages d'aspirants à la vérité. La question de la
soumission au Divin est essentielle, et elle apparaît zébrée chez
l'Inconnaissant, parfois évidente dans son travail d'intégrité,
parfois superfétatoire dans sa revendication d'homme complet et
autonome, et donc l'articulation liberté/soumission,
liberté/surrender, est difficile à cerner chez le personnage. Or,
nous avons besoin de comprendre pour partager un chemin évolutif, et
d'une manière toute simple, notre Bonaparte doit comprendre que,
plus il prétendra, plus il aura de comptes à rendre. C'est
évident. Car ses prétentions demandent à être vérifiées.
Autrement dit, il ne suffit pas d'être autoproclamé, brillant, et
de tout écraser sur son passage. Plus cette autoproclamation est
portée en avant,
plus de preuves sont demandées concernant la compétence avancée.
Moi qui ne prétends rien, qui ne vais au-devant de personne,
personne ne me demande des comptes. Il n'est pas nécessaire de
passer par moi pour s'ouvrir au supramental, pour le trouver,
puisque son action est maintenant automatique, et qu'il peut donc
descendre sur tout être incarné prêt pour cela, comme il l'avait fait sur ma personne en 1977. Certaines personnes prêtes
reçoivent effectivement quelque chose en ma présence, mais je n'ai
pas besoin de prendre une posture, pour que cela se fasse, je ne
soulève aucun problème de différence entre mon groupe et moi, et
n'agis pas directement sur les participants. La chose se fait toute
seule et d'elle-même, et c'est peut-être à cause de ces
expériences que je ne vois pas trop ce qui se passe dans les
sittings dirigés par l'Inconnaissant, qui induit des comportements
émotionnels puissants, qui pour moi, n'ont rien à voir avec le
supramental et son action. Il me semble qu'il induit quelque choses
de beaucoup plus dense, et tant que je ne verrai pas ce que c'est,
je n'ai aucune raison d'attribuer ça, pas plus au supramental
qu'à autre chose. Je ne vois pas où se situe l'intérêt de la
chose, puisque l'Inconnaissant se met à la fois hors de portée,
tout en étant l'instigateur du spectacle qu'il dénonce. Revoir
la vidéo le mythe du chercheur dans cette optique. Mon esprit est
sans doute trop simple pour saisir l'attitude de l'Inconnaissant dans
ce genre de sittings, où tout me paraît tiré par les cheveux,
surtout le refus des questions des participants, ce qui les oblige à
respecter les attentes de Solaris, qui ne fait son numéro qu'à
partir du moment où l'on se plie à son personnage. Pour moi
apparaissent ici même des limites étranges, puisqu'il force à
entrer dans son jeu au lieu de se mettre à la portée de tous,
simplement et humblement, et cet aspect me déroute, on dirait que
tout est programmé d'avance, que les émotions doivent sortir, que
l'Inconnaissant renvoie l'autre à sa propre solitude, tandis que
finalement, de manière subtile, il suscite envie et admiration. Je
ne partage pas cela.
Je le préfère mille fois dans ses approches
simplement dites de ce qu'il vit, de ce qu'il propose, tandis que
le personnage qui induit une force sur le groupe, qui remue
l'émotionnel, je le trouve entièrement factice, préfabriqué,
newage.
Cette force, quelle est-elle ?
Je ne peux me prononcer.
Alors que sur le reste, je me sens en accord.
Ces questions de passer par tel ou tel restent
ouvertes, et la personnalité de l'Inconnaissant n'a pas pour le
moment à être jugée par qui que ce soit. Peut-être a-t-il besoin
de « brûler » comme il le dit, pour avancer sur son
propre chemin, et peut-être que cette affirmation paradoxale de
lui-même, puisqu'il revendique à la fois de voir mieux et de ne
rien connaître, sert un réel projet. Il reste à nous en
convaincre, puisque de nombreux moyens employés semblent douteux,
attaque des clans aurobindiens, sittings émotionnels, messianisme
conquérant. Son journal ne me paraît pas non plus très inspiré,
ses poèmes érotiques me semblent inutiles et contraires à l'action
supramentale ; la vision de quelqu'un qui se pousse en avant,
s'énivre d'expériences et ne jure que par lui, menace donc
toujours pour faire douter de lui, alors que ses prises de position
très éclairées, quand il ne joue pas à dire n'importe quoi,
jouent en sa faveur. Pour moi, le
mystère reste entier. Et si je ne
peux absolument pas prendre au sérieux l'Inconnaissant pour le
moment, je ne demande qu'à changer d'avis, être rassuré, ne
plus être confronté à son côté border line, qu'il aura
j'espère abandonné depuis le temps, et qui comprenait toute une
gamme d'actions, provocatrices, dérisoires, ou théâtrales
(Disons que je le trouve superficiel dans sa « posture »
des sittings, étant donné ce que j'ai vécu moi-même, je dispose
d'un recul considérable. Faire tout un fromage de sa petite
différence dans l'ensemble du réel, et partir en croisade, me
semble créer de toutes pièces des facteurs hétérogènes. Etre
pour ou contre l'Inconnaissant, et toutes les postures mentales qui
découlent des divisions à son sujet). D'où la nécessité de
vérifier le but et l'origine de la politique du « rentre
dedans » qui semble revenir à la surface, boostée par
Christophe. C'est un « ressenti », je subodore ou
projette la survivance de quelque chose d'excessif, qui ne s'accorde
pas pour moi au détachement suprême que procurent les forces de
l'hémisphère supérieur, hors d'atteinte des lumières
surmentales. On peut aussi se plaindre d'une substitution de
signifiants, et souligner la confusion entre le plan de la conscience
supramentale, et l'Amour, qui a toujours été considéré comme
en-dessous par Mère et Sri Aurobindo, (et moi). La Conscience Force
descendante ferait manifester à l'Inconnaissant l'Amour, qui est
une notion surmentale, et il est donc aussi possible que cette
conscience-force ne soit pas le supramental, tout en étant néanmoins
une shakti supérieure, ou un mélange particulier, capable d'une
action dans le physique, ce qui expliquerait également aussi bien
l'impossibilité que rencontre ou rencontrait plutôt Solaris à me
reconnaître, que son engagement messianique. Ceci dit, étant donné
son caractère exceptionnel par l'énergie qu'il déploie pour
faire avancer les choses, puisque c'est une bombe également, il
serait absolument absurde de le remettre en question avant de voir où
il veut vraiment en venir. Il est
conscient, parfaitement conscient, de la limite de tous les systèmes
actuels, et la seule question est donc de savoir par quoi il veut
remplacer cela. Si c'est un nouveau système qui lui
appartiendrait, je le dénoncerai. Si ce n'est pas un système, si
c'est une ouverture sans manipulation, si les pratiques qu'il
propose me semblent vraies, je le soutiendrai. Si au contraire, il
fonde tout sur sa propre autorité, sur sa propre expérience, et
qu' il dérive par trop des principes de Sri Aurobindo et des
miens, je douterai de l'action supramentale, et si je ne la ressens
pas, mes doutes se transformeront en soupçons, et mes soupçons en
témoignage : évitez-le.
On ne « manipule » pas le
supramental, c'est lui qui nous transforme, et c'est avec une
grande vigilance que nous devons aborder la question du but que des
êtres exceptionnels comme Solaris se fixent, quand ils partent en
croisade, au nom de la vérité, ou de l'homme nouveau. Il faut
donc découvrir la nature de son pouvoir, et il est assez intelligent
pour admettre que sa manière de procéder est si différente de
celle de Sri Aurobindo, Mère, Satprem ou moi, qu'on se pose la
question sincèrement : à quoi ça rime de chercher
l'approbation des autres pour jouer un rôle où l'on fixe des
règles étroites, où l'on prend la posture de l'être nouveau,
où l'on impose une énergie étrange, astringente, émotionnelle,
à des années-lumière des énergies supramentales que je connais
personnellement, qui agissent par le haut, donnent la paix, ou la
force, élargissent considérablement la conscience du moment, en
distribuant quelque félicité nouvelle en reliant indistinctement
aux plans supérieurs.
Ce qui est certain, c'est que personnellement,
je ne peux ni le défendre ni l'accuser. Ma position changera
peut-être, au cas où je devrais me prononcer, mais pour quoi
faire ? Chacun est libre sur cette terre, chacun est libre
d'être un Inconnaissant, soit un
Bonaparte, chacun est libre de
l'éviter ou de se donner à lui, chacun est libre de se méfier ou
de lui faire confiance. Ne comptez pas sur moi pour dire que
l'Inconnaissant est infréquentable, ou qu'il constitue un détour
obligé sur le chemin de l'évolution. Pour le moment. Je ne suis
pas très pressé de prendre parti. C'est l'évolution de toute
l'humanité qui me concerne, et non pas le rôle d'un éclaireur
de plus dans la foire au devenir, dont le caractère extraordinaire
est incontestable, l'intelligence, hors pair, l'engagement,
total, pour le meilleur ou pour le pire. Si je juge que les
propositions de l'Inconnaissant, dont il va sans doute parler, sont
contraires à ma connaissance du supramental, je le dirai. Ce ne sera
même pas une accusation, mais une simple expression de ma propre
liberté d'homme, convaincu d'être le dépositaire du projet
supramental (ce qui est aussi contestable, bien entendu). Dans ce
cadre-là, si je sens au contraire la nécessité de défendre
l'Inconnaissant (ou tout autre prétendant, homme ou femme, chez
qui je détecterais une manifestation pure du supramental), je le
ferai. Nous n'en sommes pas là. Je ne peux adhérer sans réserve
à l'Inconnaissant, mais si j'adhère un jour sans réserve à
l'action d'un autre instrument, je le dirai. Je sais qu'au
moins deux personnes rêvent d'une collaboration entre
l'Inconnaissant et moi, (dont l'embryon était peut-être 1993 à
Paris) mais je suis désolé de les décevoir pour le moment. Nous
nous sommes perdus de vue, et à la vitesse où nous avançons tous
les deux, il faudra peut-être repasser par un recadrage, une
nouvelle évaluation réciproque, et je dois évaluer ce qui se passe
quand l'Inconnaissant entre en posture, et distribue cette énergie
étrange dont l'effet doit être examiné. Cela n'est pas encore
exclu des possibles que j'approuve, et cela n'est pas non plus
une caution personnelle en faveur de feu Solaris, si j'ose
m'exprimer ainsi. Reste à savoir si la « dissidence »
qu'il prépare est inspirée, ou si elle sert d'autre forces que le
Divin. Je me prépare au meilleur comme au pire, puisque je ne sais
pas encore jusqu'à quel point sa retraite a libéré
l'Inconnaissant des compulsions actives de son thème astral, dans
lequel l'accent sur le moi est excessivement puissant. Les paris
sont ouverts en quelque sorte. J'espère pouvoir un jour me rallier
à sa cause, mais il n'est pas exclu non plus que je le désavoue,
ou que je me démarque seulement, ce qui n'engagera que moi de
toute façon. La sincérité sans la vigilance, par les temps qui
courent, ce n'est pas la peine d'y penser.
Se frotter ou pas à l'homme en question n'est
pas une option qui me concerne d'assez près pour que je
l'infléchisse. Je ne peux pas être plus clair, cela s'appelle
un oui mais.
Cela devrait devenir, mais je ne sais pas quand, soit un oui,
soit un non.
La réponse de l'homme en question, selon son ton, sa teneur, sa
finesse, sa sincérité, et surtout selon son « intention »,
c'est-à-dire me dévaloriser ou pas compte tenu de mes réserves,
en dira peut-être long, ou pas, sur mon cher Bonaparte, l'être le
plus engagé que j'ai vu jusqu'à aujourd'hui. S'il se donne
la peine de le faire. Très vaste est la manifestation, et chaque
homme est une galaxie de questions, de peurs, d'attentes et de
souhaits. Ne prétendons pas voir l'autre dans son ensemble, nous
ne nous y reconnaissons que dans ce qui nous est semblable. J'ai
pris l'habitude depuis longtemps d'être dévalorisé, soupçonné,
rejeté pour mes positions, et je n'ai rien à redire au fait qu'on
passe à côté de moi sans me voir : l'on n'a sans doute
pas besoin de mon témoignage supramental. C'est la loi, le
non-semblable nous paraît hétérogène,
et nous tiquons. Je reste donc prudent, une qualité qui je l'avoue
est parfois excessive chez moi, et une part de ma défiance peut être
fausse vis-à-vis
de qui nous parlons, comme elle peut être au contraire inspirée.
Il faut attendre,
c'est la loi de la graine, du bourgeon et de la fleur.
Suspendons notre jugement, et perfectionnons
celui que nous pouvons porter sur nous-mêmes. Laissons la liberté
agir, l'autre : être ce qu'il
est. Laissons-le s'intéresser à
nous, et devinons pour quoi.
Qui a besoin de qui ?
Et pour en faire quoi ?
Purement
rétrospectif. Pris dans une lutte conséquente avec des résistances depuis des
mois, je ne trouve pas d'intérêt à gloser sur l'événementiel. Ai pu néanmoins
commencer un livre très important à Bali, et j'ai profité d'être bloqué en
Indonésie à cause du volcan, au moment où je croyais partir, pour
« pondre » un petit roman policier très particulier, qui finira sur
ma boutique en ligne, si aucun éditeur n'en veut. Plus un peu de
science-fiction ésotérique, à finir.
Toujours des hauts
et des bas, et une technique qui semble se faire jour pour accepter puis
abréger les bas. Hypothèse de retours de karmas très difficiles, à nettoyer,
sortis de ne je ne sais où et qui reviennent teinter le présent. Fair mienne la
vision « Tout est le Divin » et comprendre que la souffrance
n'est pas une humiliation, autre chose, je ne sais pas encore vraiment quoi,
mais supporter, se relever, retomber, et ainsi de suite.
Mon corps ressent
des tas de choses extraordinaires. Les pieds chauffent de temps en temps. Ils
avaient dû être torturés dans une vie précédente, et cela m'a empêché de
m'incarner cette vie-ci, dans le sens de « réellement toucher
terre ». Le nombre d'heures pendant lesquelles mes pieds semblent
« revivre » est conséquent, puis ça appelle cette vie brisée, sans
doute jeune, où je passe de la plénitude absolue auprès d'un grand fleuve à la
salle de tortures. Ce retour karmique me met aux prises avec les résidus des
énergies de l'Inquisition, et ce n'est pas de la tarte. La gorge et le poumon
droit souffrent, des champignons ont pris le terrain depuis plus de deux ans,
mais je me soigne correctement. Souvent aussi, les genoux sont comme écrasés,
et je ne sais pas vraiment ce que c'est, tandis que toutes les jambes sont
aussi pleines de sensations qui ne ressemblent pas aux courbatures, de petits
suintements d'énergie, des fourmillements, ce n'est pas désagréable. Comme
d'habitude, je flanche d'un seul coup après avoir retrouvé une sorte
« d'état de grâce » pendant un ou deux jours, et je ne peux mettre ça
que sur le compte de la Force qui continue à descendre et soulever ce qui
s'oppose à elle. La dernière fois, soudain, je sens que les corps subtils
bougent, et je reprends mal au dos, alors que j'ai presque « vaincu »
ce mal en me concentrant davantage sur mon corps. Au lieu de mal prendre la
chose, je l'accepte, et en moins de vint-quatre heures, sans aucun artifice, le
dos se remet en place. Peut-être que j'essuie encore des attaques à distance,
ou que ce que j'accomplis sur le plan causal supramental engendre des
turbulences.
Magnifique
réalisation dans la nuit de dimanche. Ma mère, ma sœur et moi sommes ensemble
en pleine communication, et nous nous rendons compte qu'il n'existe qu'une
seule structure, deux sont contre celui qui reste. Si ma mère est avec moi,
elle est contre ma sœur, et réciproquement. Je leur explique que cette
alternative est mauvaise, et je me montre sous ma forme authentique à ma sœur,
c'est-à-dire au service du Divin, et elle accepte de me voir tel que je suis sous
cette forme-là, et elle cesse donc de manipuler ma mère contre moi, ce qu'elle
n'a pas cessé de faire dans la réalité physique près de vingt ans ou
plus... Impression de régler un gros conflit familial à la fin du « rêve
conscient », et je passe toute la journée de lundi totalement hors
service, écrasé par la fatigue, le bien être et la force. Ma sœur,
soixante-trois ans, s'est suicidée au mois d'août en se jetant sous un train,
au bout d'une longue dépression. Demande de pardon dans sa lettre, remise à son
enterrement par sa fille, rédigée impeccable avant son forfait. Dans son
dernier coup de fil il y a trois ans à peu près, elle m'expliquait que j'avais
raté ma vie. Ses enfants ne se sont pas méfiés, et elle disait reprendre du
poil de la bête au mois de juillet. Je comptais me rapprocher d'elle une fois
sa dépression vaincue. Ses charges énergétiques m'étaient pénibles depuis de
nombreuses années, et un clairvoyant m'avait conseillé de l'éviter. Dès le
lendemain de son décès, l'énorme chappe de ressentiment à mon égard qui
m'entourait s'est volatisée. Le pire c'est qu'elle ne vivait sans doute plus
dans cette énergie depuis sa dépression, mais elle l'avait tellement nourrie au
préalable qu'elle avait bel et bien créé une niche astrale mauvaise pour moi, qui
a survécu à son changement d'humeur. L'acharnement que l'univers met à
enregistrer tout ce qui se passe est absolument délirant. Dès qu'une chose
existe, elle a tendance à perdurer, sans doute parce que parvenir à l'existence
est déjà un exploit. Pareil avec les résidus karmiques. Même loin en arrière,
ils peuvent se réactiver. Bien que je me sois détaché de l'occultisme, comme
Mère je suis obligé d'en faire. Le nombre de fréquences qui circulent sans se
tirer dans les pattes est incroyable, ce qui revivifie la thèse de l'Ether,
l'élément primordial, beaucoup plus fluide que l'air, et qui doit véhiculer des
ondes dans des trames ultramicroscopiques. Une fois de plus René Guénon en
parle, qui met l'air avant le feu dans l'ordre de prééminence. Cet ordre est très
controversé, chacun y allant de son avis, mais ce sont sans doute les
physiciens quantiques qui vont montrer dans quel ordre les Eléments s'emboîtent
les uns dans les autres, jusqu'à leur source quasi immatérielle, où il n'y a
plus que de la rapidité absolue. Ce qui est certain, c'est que c'est dans cet akasha
que je réalise les pratiques causales, ce qui correspond au contenu du
« yoga tibétain et les doctrines secrètes » parues chez Adrien
Maisonneuve (Evans Wentz). Car si tout cela n'était que du rêve, ça ne se
réaliserait pas, mais comme ça advient, il faut bien supposer qu'une empreinte
est laissée quelque part, et qu'elle détermine des événements. Ne pas oublier
que j'ai réalisé le silence mental intégral moins de trois mois après un voyage
extraordinaire dans ce monde intérieur, où après avoir affronté de nombreux
obstacles, dont un diable qui s'avérait bientôt être créé par mon esprit,
j'aboutissais dans un verger où je cueillais une pomme en or... Pourtant, je
maintiens que je n'ai jamais fait de « voyage astral » et qu'il
s'agit d'autre chose. Et pourquoi en parler, pour me vanter diront mes chers
vaniteux, qui aimeraient bien être devant pour pavoiser, gendarmer et se faire
admirer.
Pour aboutir à ces
pratiques efficaces dans le sommeil, encore que je ne puisse jamais les
prévoir, il faut passer des années à apprivoiser la terreur, parce qu'au
début on se trouve paralysé physiquement, et convaincu qu'on ne se réveillera
jamais, qu'on va mourir et que ça ne va pas être forcément kool, vu là où l'on se
trouve. Une fois qu'on a compris, on apprend à mettre toute sa conscience quand
la peur terrorisante apparaît, et on essaie de dégager ce qui n'a pas peur, et
de lui faire prendre le dessus. On finit par progresser, au passage on apprend
des choses aussi. On descend de plus en plus profond comme quand j'étais à
Auroville fin 78, et là je ne savais pas si je reviendrais et c'était chaque
soir. Mais j'étais si heureux de commencer la transformation physique, que j'ai
tenu bon.
Me parler
aujourd'hui de spiritualité de salon, où l'on suit des doctrines en
s'endimanchant, et dans un confort intello et matériel doré sur tranche, et je
crois que le Divin met en scène ce genre de mascarades rien que pour me
distraire, et j'accepte le jeu des acteurs. Changer sans
toucher à rien, le rêve absolu du mangeur invétéré de barbe à papa...
Parler de Patanjali
sans jamais prendre le moindre risque, s'enfoncer dans le samsara en croyant
s'en dégager, se donner le change, quoi, avec de belles formules et des
paroles, et des petits frichtis rituels bien propres sur eux, la plus belle
occupation de l'esprit humain, et ça continue d'ailleurs. Dont Worry, la dette,
on va la rembourser...
Ce n'est pas l'amer
à boire.
Le travail sur la peur peut se faire autrement, of course, mais s'il ne se fait
pas, l'interconnexion moi-non moi laisse à désirer. Ah que des adversaires
surgissent partout, bien qu'ils n'existent pas. J'ai eu la chance de prendre la
voie royale, mais de toute façon c peut-être là qu'il faut commencer, attaquer
la peur. C'est elle qui empêche pas mal de choses dans les soi-disant
« voies » qu'on cesse de suivre si ça fait surgir la peur, quelle peur,
la peur du lent demain, à tout hasard de je n'ai pas de chance.
Et comme toutes les
survivances dynamiques, elle est d'un opportunisme ahurissant, et se
glisse dans la moindre faille, dans la moindre discordance entre le moi et le
non-moi, la sorcière suprême, face à son amant éternel, le sorcier étincelant
du désir raptor-prédateur. Le yin et le yang dans toute l'horreur de leur
concentration hypercompressée, avant le big bang qui n'a jamais eu lieu, mais
déjà prêts à coder l'ascension de la vie jusqu'à moijepersonnellement, le
souverain de la Création, le grand facilitateur entropique, qui détruit son
monde pour rivaliser avec ces connards de cataclysmes, et leur damer le pion.
La puissance, ça ne se partage pas. On ne va pas se laisser détruire par des
raz de marée, de quoi on aurait l'air. Nous allons nous détruire tout seuls, on
va se prouver qu'on peut le faire. Ras le bol des volcans et des épidémies.
Hara-kiri collectif obligatoire. Ne rien devoir à personne.
La peur est
générique, elle accompagne le corps, elle surgit dans les mauvaises
anticipations, son réservoir est exploité par le sorcier Tirelarigot, le maître
de l'exagération, pour intimider et soumettre, c'est le big adversaire, la
peur...
Ce que pensent les
autres de nous en négatif, ça vient la titiller et la séduire, elle se
transforme en rancœur, ressentiment et tutti quanti...
Tout ça pour dire
qu'il est facile de s'engluer dans des fréquences et des formes-pensées qu'on
vous balance dessus, et que l'intégrité pour se préserver est un travail maousse-costaud,
c'est qu'ils envoient la buée de leur haleine putride sur le miroir de notre
image de soi, et on n'y voit plus goutte, quand ils se défoncent à la
malveillance, les singes debout.
Découverte
fondamentale que le ressentiment est le poison le plus pur de la manifestation,
plus subtil que la haine, plus répandu, plus souple, avec un effet à
retardement des plus éloquents ; mais tout aussi efficace pour
pervertir l'usage du mental. C'est parfois un moyen de défense d'apparence
spontanée contre des adversaires, le ressentiment contre X, mais il n'y a pas
plus « bas de gamme » que la rancœur pour se protéger, d'autant que
c'est loin d'être efficace, puisque celui pour qui on l'éprouve est ainsi doté
d'une existence extraordinaire qui se permet un droit de regard énorme sur
notre propre vie. Je remercie le ciel d'être incapable d'en éprouver, pour
personne, même pas contre des adversaires acharnés. J'aimerais bien
« délivrer » les autres de toutes les gammes de ressentiment qu'ils
éprouvent contre ceci ou cela, contre Untel ou contre tanteMamie, contre le
patron ou l'ex qui se barre sans s'excuser de ne pas dire merci ; ... !
... Mais souvent je vois même des personnes qui semblent assez
« évoluées », tenir à leur ressentiment comme un jeune chien au premier
os qu'il enterre, comme si ce sentiment obscur pouvait être une soupape, et
libérer. C'est une grave erreur, et je vous remercie de me le concéder sans
vous sentir démasqués, oui, si vous l'éradiquez sous toutes ses formes, votre
esprit fonctionnera plus sainement. Si vous êtes terrassé(e) par des
manifestations de cet ordre, haine et besoin de vengeance, des choses
« plus fortes que vous » imposées par des zévénements-limites, eh
bien, allez voir la racine, vous tomberez certainement sur ce que les neurobiologistes
appellent « le moi du territoire », soit un esprit spécialisé dans la
gestion du domaine contingent, et qui fait son boulot de petit soldat
discipliné en s'armant de survivances dynamiques. Les nains gris dont
parle Sri Aurobindo. La méditation quantique peut servir à libérer cette partie
du moi, qui occupe le Mystère 3 avec d'autres fonctions spécialisées.
N'ai pas changé
d'avis depuis un mois où j'ai dit à la radio que seul le Divin permettait de
faire face aux difficultés du yoga supramental. (Ici et maintenant 9 mai).
4 Juillet 2010
j'informe ceux qui
ne me connaissent pas personnellement que le journal-blog ci-dessous est
écrit avec la complicité de mon enfant intérieur, qu'il ait quand même un peu
de place dans ma vie, et que c'est l'occasion pour moi d'être provocateur,
dérisoire, anti bienpensance de tous bords (y compris magico-transcendantale
propre sur elle), anti mythologique, anti personnificatrice, anti-idole
convenue ou dernière mode, anti bonne conscience, même perso, bref, si vous
préférez le sérieux, dont worry: les principes de la manifestation vous
attendent, feuille de route pour l'Apocalypse guette votre surrender...
Il n'empêche que le
yoga supramental profondément physique est encore très rare, et que je me dois
donc de témoigner. Toujours pas guéri, je crache une bave très visqueuse tous
les matins, j'ai adjoint au traitement homéo trois élixirs floraux d'Australie
depuis trois jours. Le livre de Ian White me rappelle ce que j'ai cru
comprendre de la relation de Mère avec les fleurs, et on en revient toujours
là, la pureté divine du végétal, pureté qui disparaît avec le monde animal, où
la dominance joue son rôle pour préserver le territoire, ce qui s'étend au
libre arbitre infesté de survivances dynamiques dans l'espèce humaine.
Peut-être que la transmission de la "méditation quantique"
s'améliorera encore, en tout cas le fils de J F Revel, proche du dalaï-lama,
dit plein de bêtises dans son essai sur la méditation. Je crois qu'il se
fabrique un éveil fondé sur l'effet placebo, ou bien c'est moi qui suis
à l'ouest.
Dire que méditer
permet de "cultiver des qualités" me paraît un contresens. Qu'est-ce
qu'une qualité, c'est un fragment de quelque chose, pourquoi s'attacher à ce
"plus mieux" avec l'idée de le faire croître? Absurde. Comme si l'on
pouvait cultiver l'humilité, la ferveur, la détermination, la foi, qui ne sont
que des effets, des conséquences du processus essentiel d'orientation vers le
retour, et qui, cultivées, deviennent seulement des béquilles. Le Soi s'atteint
par un effacement progressif qui tend vers l'absolu (l'absolu de son propre
effacement (du moi), et l'absolu tout court); en tout cas l'idée de cultiver me
semble absolument contraire, je dis bien CONTRAIRE, à la voie spirituelle. A
moins qu'il ne s'agisse de l'âme, et alors elle ne cultive pas, my God, elle
développe, ce qui n'est pas pareil. Je préférais son papa. Il y a des
professionnels "convenus" de la conscience, et les autres, les vrais,
les seuls qui ont vraiment "basculé dans le soi". Le problème c'est
que ce sont des "personnes" qui ne se poussent pas en avant, les
éveillés; et qui laissent donc le champ libre à d'autres, ceusses qui
connaissent la théorie par cœur, mais qui n'ont pas basculé. Normal que le
bouddhisme soit obsolète pour moi, jusqu'où est-il utile pour tous,
n'enferme-t-il pas, lui aussi, tant il est rassurant par sa pérennité?
Ils sont rarement
dans les ashrams, les monastères, les Ordres, les éveillés. Les
professionnels qui se "consacrent" dans un cadre établi, et parlent
et glosent, c'est leur métier, ils s'y connaissent en thé au riz, mais sont-ils
autre chose que des perroquets? Néanmoins, Matthieu Ricard dit aussi de très
belles phrases, bien qu'assez "paroles fleuries", aussi ne faut-il
pas confondre la radicalité dans les œuvres, d'ordre événementiel, facile
d'accès à tout moine, et la radicalité intérieure, informelle, et apte à
l'évolution dans n'importe quel contexte, ordinaire ou "sacré". Avoir
un calendrier parfaitement homogène et verticalisé, c'est le lot de tous les
"engagés", dans toutes sortes d'Ordres dévoués à la Conscience,
— défigurée et
embellie à la fois par les particularismes.
Il est d'ailleurs
assez étrange de voir les choses d'une manière aussi simple, mais c'est le Supramental
qui voit les choses comme ça: toutes les religions, tous les Ordres servent
l'Inconnaissable, et boostent vers le Mystère de Son existence, et il n'y a pas
plus de bouddhisme que de christianisme, d'islam ou de taoïsme, de judaïsme ou
de brahmanisme. C'est vraiment kif-kif bourricot, c'est exactement la
même chose vu du dessus. Encore faut-il se débarrasser des formes, soutenues
par le mental, des préférences, soutenues par le vital, et là apparaît la
vérité: Un seul être se cherche avec les moyens du bord, englué dans un espace
et dans un lieu particuliers, et qui s'adonne donc à ce qui lui tombe sous
l'âme-main, son incarnation présente. Que les humains soient aussi dupes des
religions et de leurs formules creuses d'un côté et de leur liberté athée de
l'autre, c'est à dire qu'ils escamotent de toute façon la vraie direction, la
Conscience suprême à qui ils doivent Tout, et l'Energie primordiale, à qui la
création est redevable, cela continue de m'estomaquer un maximum.
Un changement
"global" permettrait-il de "viser" naturellement le retour
au Divin? Le Dieu créateur ne se sentirait-il pas spolié si les êtres humains
s'embarquaient vers le Suprême pouvoir, comme les rishis et Sri
Aurobindo? Les anges seraient-ils au chômage? Un des passages les plus
insupportables de l'Agenda, c'est cette vision de créatures orange et
transparentes, qui viennent chercher quelques humains: des "passeurs
galactiques"?
L'engagement dans
les œuvres paraît au début soutenir le moi vers sa source, puis elles
deviennent prégnantes, les zeuvres, et assez facilement les moyens
engloutissent l'aspiration dans des habitudes et des répétitions de mots
d'ordre. La radicalité pure, elle, ne s'apprend pas, et ne dépend pas des
actes, ni des comportements, ni même des affiliations supérieures de chez
Recommandable. On peut avoir l'esprit radical, et tomber dans le Soi, après
avoir vendu des biddhis toute sa vie, ou avoir "bêtement" erré
de temple en temple tout en restant analphabète, et basculer quand même, par
sincérité absolue. Rien à voir avec le trip bobo-Fnac branché, dans lequel le
développement personnel est confondu avec la Voie, et où l'adepte espère
recevoir des tonnes de grâce de l'univers avant de consentir à lui donner quoi
que ce soit... Donner des choses dont on cherche à se débarrasser, pas
difficile en vérité mes bien chers frères. Qui ne profite pas de l'aubaine
d'avoir un rom errant au bas de sa rue pour donner des vêtements râpés qui
autrement auraient fini à la poubelle, faute de place? Quand il s'agit se
s'impliquer jusque là où ça fait mal, c'est-à-dire jusqu'aux choix quotidiens
entre le gratifiant et l'aléatoire, souvent plus profond et d'apparence
BEAUCOUP
MOINS RENTABLE,
Il y a moins de
monde. Le nombre de faux chercheurs est absolument stupéfiant. On les dénombre
aux virages nécessaires qu'ils auront manqué, par frousse, orgueil, ou
complaisance. Trois saboteurs rodés par des millions d'années d'évolution dans
le cerveau reptilien, l'orgueil est yang, la frousse yin, et la complaisance
est un mélange pervers des deux, un amour de soi assez bidon pour qu'on
s'autorise la lâcheté, en la justifiant. Si l'on veut être radical absolu, on
peut même affirmer qu'il y a des critères universels et incontournables:
Le vrai chercheur
est le seul à finir dans l'extinction du Soi, ou la plénitude inconditionnelle
de l'Amour, qui fait que la souffrance ne fait plus mal. La non-dualité n'est
pas une unité aussi plate qu'un encéphalogramme sur un cadavre frais, mais
l'évidence de la suprématie de l'Unité au sein du Multiple, la non-dualité
déborde à ras bord de contrastes, mais ils ne sont plus conflictuels. Le
panard, si vous avez besoin d'une carotte pour avancer !
Laissons les faux
chercheurs à leurs carottes aussi transcendantales que schizophréniques, à
savoir ne plus jamais rien ressentir de désagréable, confit dans le bonheur
imperturbable, ce qui est tout simplement le mythe de la bestandwrong
bourgeoise du 19 ° siècle, perpétué par des canaux secrets dans le subconscient
collectif. Non, le bonheur n'est pas l'aboutissement de la quête spirituelle,
il en est plutôt, souvent, le préalable, dont les limites explosent à la
figure de l'adepte. Oui, je suis zeureu, mais ça ne suffit plus. Si je pouvais
m'emboîter dans l'univers comme un lingam dans un yoni, ce serait plus que du
bonheur, et voilà que ça m'intéresse... ( Ces allégations sont écrites en Chine
où la sexualité n'a jamais été diabolisée, pas plus que la vie elle-même. La
Terre est en dessous du Ciel, même pas inférieure. C'est la jonction des deux
qui importe, non la valorisation des bondieuseries. La Chine n'a jamais cultivé
les dualités, car la métaphysique l'emmerde, rien à voir avec un brahmane qui
peut passer trente ans à collectionner les attributs de Dieu, comme un
entomologiste parfait son troupeau de coléoptères). Question non-dualité, le
tch'an n'a rien à envier aux emphigouriques doctrines indoues, où l'inutile
abonde, les fioritures jouant un rôle important pour décorer l'essentiel. Mais
l'économie paraît à certains de la pauvreté, car l'abondance de concepts les
rassurent, surtout si c'est pour dénoncer les concepts: il n'y a jamais trop de
matériel pour le faire !
(Oui, je peux me le
permettre, messieurs les éveillés, c'est sans malice ! Mon intelligence aime
faire des sauts périlleux depuis mon enfance, et je sais distinguer un oxymore
d'un paradoxe, ce qui n'est pas le cas de Toutunchakun, le pharaon fantôme qui
bénit notre médiocrité. Si les concepts ne mènent à rien, ce n'est pas la peine
d'écrire une encyclopédie en vingt-quatre tomes pour le déclarer, puisque ils
ne servent à rien les concepts qui dénoncent les concepts, because ce sont
encore des concepts. Mort alité, seul l'âme, le corps, ou le cœur peut
s'abandonner à la non-dualité. Inutile de demander ça au mental, à moins de
savourer l'infinie tristesse de la tristesse impuissante, comme les grandes
victimes de l'Oxymore suprême, ne pas penser la pensée, Dieu ait leur
âme, Schopenhauer, Cioran, Wittgeinstein, et même mon détesté Nietzsche). Je
trouve que j'ai été un peu long à dénoncer les concepts et que finalement je
suis moi aussi tombé dans le panneau. Je vous prix de m'excuser !
Quant aux conditionnés
dès le berceau, les pauvres ont un travail monumental à faire, pour retrouver
leur unicité, comme les enfants qui finissent rimpochés. Leur éducation
commence par un super beau bourrage de crâne, et ils suivent. Jusqu'où peut-on
suivre, y compris avec une belle carte du trajet? On peut tout savoir par
cœur, comme Trungpa qui a flanché que je sache, ou comme Matthieu Ricard, sans
avoir vraiment basculé, définitivement. Il y a un problème de
"vernis" chez les bouddhistes, my God, trop de considérations, de
représentations,
trop de
certitudes,
que le reliquat
d'ego, même à l'agonie, peut récupérer pour surfer dans la mare houleuse
de ses propres contradictions, soulevée par le vent des ultimes dualités.
D'autant que la
carotte d'un "bonheur" se poursuit encore dans le bouddhisme, quand
bien même ce ne serait pas un bonheur matérialiste, mais autre chose, et le
"qui poursuit" la voie du milieu se pose donc encore... Viser l'éveil
est donc parfaitement ridicule, mais quand ça se produit, il faut y voir une
simple thérapie, un élargissement, une stratégie de vie moins formelle, bien
qu'encore attachée à une finalité trompeuse. Le moi qui n'est pas suffisamment
d'accord avec lui-même pour s'apprécier et apprécier le Tout, tombe facilement
dans le bouddhisme, où il est facile de s'enfermer dans des dualités
supérieures, avec la certitude d'être sur le bon chemin, ce qui est plus
difficile à obtenir comme illusion suprême dans la voie du Tao, libérée de
nombreux présupposés, puisqu'à ma connaissance, il n'en reste que trois ou
quatre, que j'ai d'ailleurs mentionnés dans mon dernier atelier. A ce propos,
le meilleur Tao-tê_King me semble encore celui de Stephen Mitchell, même s'il
provient de l'anglais. Les doctrines qui laissent une prise à l'ego sont donc,
tout simplement, mauvaises. A éviter, sauf auprès d'un maître...
Aimer avec
innocence la vérité qui se dérobe, avoir soif de la Conscience elle-même, c'est
le seul chemin rapide et radical pour que le Divin se penche sur l'humain. Les
autres voies emberlificotent le sujet dans des stratégies rassurantes, qui
posent des pièges pour capturer la Vérité, mais Elle ne se laisse pas prendre à
ces jeux là...
Alors, pas
d'attaques personnelles en ce lieu. Je vise plutôt les limites des cercles qui
finissent par se refermer sur eux-mêmes, méprisant la spirale, car ils sont
auto-suffisants. Et un lieutenant du dalaï-lama est finalement tellement
absorbé par sa tâche, qu'il risque de plafonner et de rajouter sur sa propre
expérience perso —la seule authentique — des médailles héritées qui décoreront
son plastron.
Je ne dis pas qu'ils restent "ordinaires", les pro, mais qu'il
s'agisse des trois quarts des rimpochés et autant des soi-disant maîtres
zen, c'est du pipeau ce qu'ils racontent.
Cultiver, c'est
bidon.
Non seulement celui
qui cultive peut être un ego prétentieux ou craintif, qui de toute façon se
rassure par le yin ou le yang, yin s'il cultive par peur, yang s'il cultive par
audace, mais encore ces qualités à cultiver ne sont pas nécessaires du tout. Il
n'y a rien à cultiver. Rien. Désolé cher moine.
C'est élaguer qui
mène au soi, et les mystiques en parlent, avec leur épreuve de la nuit, où ils
se rendent compte qu'une partie de leur mouvement ne constitue, finalement,
qu'une "volonté d'appropriation de la Vérité", une volonté à laquelle
il faudra également renoncer, car Dieu ne s'achète pas. Donc, cultiver la
monnaie qui en rapproche, c'est inutile. L'idée d'assurer ses arrières en cultivant
des qualités, est soit un truc carrément faux, soit un archaïsme.
La conscience
est présente sur terre, et exige seulement d'être écoutée.
Se donner des
moyens d'aller vers elle en cultivant, quoi que ce soit, c'est préhistorique.
Apprendre c'est encore autre chose, et comme le disent aussi bien Lao-tseu que
Krishnamurti, apprendre à désapprendre, c'est le fin du fin, et cela
nettoie la perception.
Il suffit de
"voir" où le moi est faible, où il y a des failles, où les limites
empêchent, et de rectifier. Cultiver quoi? Contraire en tout cas au Tao. Vivre
sans calcul, la base qu'on trouve étonnamment décrite par un autre chemin
chez ma chère tête de turc, mon dandy préféré, reste la fondation de la voie.
Cultiver, c'est
déjà calculer.
Ce qu'on cultive
provient d'avant l'illumination, comment l'ignorance peut-elle cultiver ce qui
mène à la connaissance? C une bonne question et je vous remercie de me l'avoir
posée. Mais si vous en avez assez du chemin sans repères extérieurs, cultivez
des illusions dorées sur tranche, collectionnez les bouées de sauvetage de
différents calibres, et trimballez-les tout le temps, okazu l'abîme vous
guette. Se sentir démuni, impuissant, constitue la clé, et c'est le seul moment
où l'orientation peut vraiment changer ! Comme Parazar, le grand Sri Aurobindo,
homme d'action exceptionnel, a été ravi par Dieu, et quand ça siouplait? Quand
il ne pouvait plus rien faire, qu'il était en prison. A méditer quand m'aime,
le temps est parfois favorable alors que tout semble bouché, qu'on se le dise. Ce
sentiment d'impuissance dans le mental est bienvenu, et ne contamine pas la foi
du cœur, il remet à sa place la pensée, qui veut tout régenter.
Bénissez
l'humiliation, l'offense et l'échec, ou bien courez après ce meilleur vous-mêmes
que vous n'êtes pas, maintenez votre superbe posture, et finissez
donneur de leçons, sans avoir rien transformé, tout en étant bouffé par le
ressentiment quand vous baissez la garde, et que votre obscurité vous rattrape,
le temps de la faire taire par une neuvaine ou une médit... ou un sentiment de
culpabilité.
Mais ça mène où
tout ça?
Le fait est que
l'amour indistinct pour tout et rien, dès qu'il est vraiment ancré, suffit
largement pour évoluer. L'amour de la vie, of course, ne doit pas prévaloir sur
l'amour du Mystère ou de la Conscience, et c'est là que nous ne sommes pas si
nombreux que cela pour faire basculer ipso facto la terre dans la
cinquième dimension.
Un manque d'abandon
au réel, au Divin, c'est ça le problème. Conquérir, c'est encore lutter, et
combattre ne peut pas constituer l'ensemble de la voie. Il y a aussi le reste,
la gratitude, la reconnaissance, l'amour pour le Principe, quelles que soient
nos faiblesses.
Sacrifier, oui,
résister peut-être à certains mouvements, comme le stipule Sri Aurobindo dans
lettres sur le yoga, d'accord. Lâcher prise et se laisser aller n'ont rien à
voir, ok. Mais "cultiver" ne peut être qu'un processus mental. Dire
non au vital inférieur, passer outre la plupart des désirs, oui, cela est
recommandé, car la nature doit servir et non commander, mais s'imaginer que le
mental peut établir des points à cultiver, non. C'est une ruse pour se
rassurer, se persuader qu'on est sur la bonne voie. Or, il n'y a pas de bonne
voie avant l'illumination. Avant, on tâtonne avec les moyens du bord, et ériger
ce "tâtonnement" en stratégie, lui fait tout bonnement perdre la part
d'innocence vigilante qui le guide. La meilleure image de la voie demeure quand
même, tout bêtement, celle d'une petite escalade en varappe, sur une pente pas
trop difficile, mais où il demeure impossible d'aboutir sain et sauf si
l'attention se relâche. Ceux qui établissent des escaliers font l'aveu qu'ils
veulent contrôler la montée sans peine, et procéder pas à pas sans se soucier
davantage de l'itinéraire. En vérité je vous le dis, les doctrines sont des
escaliers, mais le terrain n'en comporte pas, ça monte et ça distribue à chaque
instant ce qui peut faire choir. Aimez le terrain, les cartes deviennent
inutiles.
Fausses lueurs
contre obscurité à accepter,
découvrir,
traverser,
racheter.
Cultivez, cultivez,
la bonne conscience
de votre ego façonne ses médailles militaires, décorez votre plastron (cliquez
sur google au lieu de me reprocher d'employer des termes savants) avec vos
méditations bourgeoises qui ciblent la réussite "spirituelle", avec
votre jardin de qualités à cultiver, comme de braves petites plantes
aromatiques, Dieu se rie de vous, et moi par la m'aime occasion, tandis que le
Nouvel-Age s'épuise dans sa rotondité de nanti.
(Ceci dit, il
existe des outils, des techniques, que je respecte si l'on sait leur accorder
la place qu'elles méritent, j'ai même moijeperso inventé la méditation
quantique, mais "cultiver des qualités" c'est de l'onanisme, le petit
moi qui se regarde sous son meilleur profil dans la psyché de SA méditation... )
La méditation
n'appartient à personne, et surtout pas à celui qui la pratique.
5 Juillet 2010
Magnifique meurtre
de Freud par Onfray.
J'attendais ça
depuis longtemps.
Assassiner un mort,
ils ne craignent rien ni l'un ni l'autre. Mais le cadavre se débattait
furieusement quand même, c'était un mort magique, Sigmund. Ils ne le savent
pas, mais Elizabeth Roudinesco et Onfray sont aussi intelligents l'un que
l'autre, même si leur parcours est fort différent. Il est scandaleux qu'ils ne
puissent pas "se reconnaître". Quant à elle, parler de haine pour
qualifier le sentiment d'Onfray vis-à-vis du Sigmund, elle se trompe. L'étude
est bien menée, et l'on sent tout du long que le texte est inspiré par le seul
décalage entre la personnalité du mec en question et tout ce qu'il a voulu
faire accroire. Je n'y vois pas d'attaque personnelle, le Michel en question
étant au-dessus de ça, ce qu'on subodore dans son journal. Il défend la liberté
de penser d'un hédoniste éclairé, pas du tout obsédé par le plaisir, ce qui
veut bien dire qu'il vit dans la reconnaissance d'exister, et que je le vois
mal jouer au redresseur de torts, étant donné qu'il s'est prouvé qu'il était
bien lui-même, qu'il ne défend pas grand chose, et qu'il utilise justement son
immense culture pour malaxer avec son intelligence les rapports entre les
mythes et la réalité. C'est justement à cela que peut servir la philosophie,
évaluer les trajets entre le signifiant et le signifié, et voir comment se bâtissent
des cathédrales de croyances et d'obédiences à partir d'une chaîne toute bête
de présupposés. Le parcours d'Onfray le prédisposait donc à être un des seuls à
pouvoir s'emparer du mythe freudien en refaisant le parcours fastidieux de la
collecte des sources, jusqu'à trouver les pièces manquantes, qui ont permis
d'embellir, par leur défaut, outre mesure de chez Jaixajair, la vie assez
merdique du fondateur de la psychanalyse. Que le burin ait été employé, que la
sculpture textuelle soit très aiguisée et comme inachevée par manque de nuances
et de rondeurs, cela était absolument nécessaire pour garantir au discours une
force inversement proportionnelle à la complaisance historique qui
faisait baigner Freud dans un bénitier qu'aucune grenouille digne de ce nom
n'aurait osé disqualifier.
Bravo Michel. Je
sais qu'on te reproche ta "violence", mais qui te reproche ça
exactement? Sans doute ceux qui n'ont jamais eu à se battre, et qui vivent
endormis, épargnés par Pluton.
Qu'un certain
travail ait pu néant moins être effectué avec la psychanalyse, c'est
indubitable AUSSI, sans compter que c'est peut-être une "felix culpa"
cette invention, dans la mesure où Jung et
d'autres ont évasé le paradigme et démoli la suprématie de la théorie sexuelle
comme cause quasi-unique de tous les troubles névrotiques. Le pauvre Freud n'a
pas pu endiguer l'intelligence des autres penseurs en spéléologie pour qu'elle
respecte ses propres attachements au rouge et au noir. Qu'il ait été un homme
obsédé, soucieux de généraliser ses propres conflits intérieurs, il fallait
l'écrire noir sur blanc. Que ce fût un must snob de passer chez lui, à plus de
quatre cents euros la séance si le calcul est exact, il fallait le savoir
aussi. Rien ne devait être plus chic à Vienne qu'aller s'allonger sur son
divan, et lui se tenait derrière pour pouvoir roupiller un peu. C'est fait.
Déboulonner Freud, ça ne veut pas dire que tout le mouvement issu de son génie
chaotique ( c'est loin d'être un oxymore, voire Nietzsche) est faux.
L'intelligence n'a jamais été autre chose qu'un orpailleur, et elle passe au
crible ce qui se passe, ce qui se croit, ce qui s'établit, et elle lance de
nouvelles idées, en dénonçant les archaïsmes. Il y a un déchet plus que
considérable dans la psychanalyse, comme dans la médecine et la religion, où
est le problème? Il fallait s'approcher du subconscient oui ou merde !
Les modes ont
toujours existé, elles tiennent le temps que l'effet placebo les sert
docilement, puis avec le recul, on fait le bilan. Il est toujours inférieur aux
premières espérances. Vrai pour la psychanalyse, Auroville, le krishnamurtisme.
Le brahmane du sud m'a toujours été antipathique, hors de tout jugement, d'une
manière sensitive, et enfin je sais pourquoi. Voir Nouvelles Clés de
l'été. Justement, le supramental permettra de réduire le décalage entre le
discours et le vécu. Car rien n'est plus facile que les paroles fleuries pour
l'éveillé ordinaire, mais dans les coulisses, hein, il y a des forces qui
n'entrent pas dans les théories, ni dans les solutions posées comme de beaux
couverts ouvragés sur une nappe sublimissime. Il faut regarder ce qu'il y a
dans les assiettes, l'argenterie ne rend pas meilleur un poisson pas frais
nappé de sauce dégoulinante... Dire des merveilles, facile, vivre avec, plus complexe.
On s'en tire comme
toujours pour fermer les yeux sur ce genre de choses, l'enseignement est bon,
c'est ce qui compte, ne chipotons pas sur la vie privée, nul n'est parfait. Ce
n'est pas le fait qu'il ait conservé le processus sexuel qui me dérange, mais
qu'il ait dû le cacher si longtemps, et que ce fût la femme de celui qui était
sans doute le plus proche de lui, qui lui servait de partenaire — en
catimini. Et qu'il n'ait pas craché le morceau. (Et qu'il ait dénoncé une
certaine sexualité toxique... )
15 Juillet 2010
A qui le tour?
Pluton en Capricorne fait s'écrouler les superstructures et les autorités, que
va-t-il rester? (Pauvre ministre, qu'est-ce qu'il y peut si sa femme
travaille pour la plus grande fortune de France depuis peu, c'est la faute à
pas de chance. Et profiter de cette coïncidence pour supposer une hypothèse de
collusion, faut vraiment être malveillant !Ils ne parlent jamais du travail
pendant les repas: assez de chiffres derrière leurs bureaux, à la maison motus
et bouche cousue. Quelle bande de brutes, les soupçonneux, conflits d'intérêts,
et puis quoi encore, à quand les taxes sur les abattements?)
Alors bâtir un
système? Difficile, mais bâtir un antisystème, c'est pire. Dénoncer les
gourous comme inutiles, oui, à condition de ne pas le devenir soi-même, bref
l'auteur de l'éveil de l'intelligence a eu dû mal à se dépêtrer de
certaines choses. Un discours parfait, mais des contradictions quand même dans
la vie... Les gourous sont indispensables, même ceux qui refusent leur propre personnification,
comme Krishnamurti et moi-même. On ne peut plus se taire, une fois éveillé,
même si c'est pour vanter le silence. On ne peut pas disposer de plus de
conscience que les autres,
et ne pas
déclarer que la conscience est possible,
et qu'elle se
manifeste à certaines conditions. Mon cher dandy a quand même fait du bon
boulot. Et tant que la nature ne sera pas entièrement transformée, même un mec
comme lui ne parviendra pas à être entièrement conforme à son propre discours.
D'où qu'on vote pour le Supramental quand on a compris les limites de l'éveil.
Ascendant Taureau
(comme Myself), la sexualité était chez lui naturelle de comme quand j'ai faim,
et rivée à l'énergie du signe ascendant. Avec un côté
"embellissement", dû à la gouverne de Vénus. Ne jetons pas la pierre
à la femme adultère, le maître est derrière.
Les aimer les
précurseurs, oui, personnifier le Divin en eux, ça sert à quoi, pas grand
chose. Sri Tatata tolère encore cela, et ce n'est pas si méchant que ça, il y a
toute une tradition derrière, et il fait avancer ses groupes. Mais le kali-yoga
c'est fini quand même, ou alors il chevauche encore le nouveau cycle, et il y a
donc des mélanges, comme des passerelles finalement entre le neuf pur jus et
the best du passé.
L'émotionnel purifié,
le mental doit s'élaguer, trouver sa racine dans le Soi, et ce n'est pas
fini... Aimons, oui, sans admirer. Voir "Dieu" dans son gourou... C'est
obsolète. L'humain est faillible. Et puis on finit par prendre le symbole pour
ce qu'il symbolise, et c'est fini de chez trop tard. Même problème qu'entre le
signifiant et le signifié. Le gourou est avant tout le signifiant, il désigne
la connaissance, l'Amour, le Divin, et même s'il est de la nature du signifié,
il n'en représente qu'un fragment. Et puis les sentiments sont-ils seulement
possibles vis-à-vis des plus grands? Ils méritent un amour non émotionnel et
même non affectif, soit l'amour rare et pur, sans attachement, sans
appropriation, sans récupération, sans bénéfice secondaire de protection ou de
sentiment de sécurité.
Qui admire méprise,
je l'ai dit cent fois déjà.
****
Quarante personnes
venues m'écouter à Paris, tous âges, tous milieux, toutes curiosités
confondues. Je commence à déblayer le terrain pour le Divin, et à développer
quelques principes d'une économie extrême pour remplacer toutes les
inféodations à des voies particulières. On s'enferme dans le krishnamurtisme
comme dans n'importe quelle autre secte, dans une autosuffisance narcissique.
Qu'on n'aime pas les "dieux", je l'admets, surtout si l'on est un
éveillé indou, et que l'on voit son peuple entier soumis à la superstition et à
la dévotion barbe à papa amoureux d'un rahat loukoum.
Mais le Divin, hein
!Où est passé le Divin chez Krishnamurti ! Dans le vent qui agite les
arbres. Un peu faiblard. Ou alors nous avons probablement un karma
ensemble, mais pour moi il continue de "détourner" plus qu'autre
chose. Il détourne de la vie ordinaire et sous-estime le Divin, mais il guide
le mental vers le renoncement à lui-même, ce qui n'est peut-être déjà pas si
mal dans notre monde de brutes. Reste à se douter qu'au bout du mental, il
n'y a pas que le non-mental, mais aussi la dynamique divine, les shaktis
supérieures, qui transformeront l'humain.
10 Août 2010
J'ai mis ma
connaissance à la disposition des autres à Lyon et Paris, grâce à deux
organisatrices motivées, mais rien ne dit que cela se développe. J'ai un
programme conséquent, et chaque atelier me permet d'améliorer le discours sur
le sujet, indépendamment de ce qu'il apporte aux autres. Pourtant, quand la
force malaxe le corps comme depuis trois jours, pour faire sortir cette étrange
"maladie" qui n'est maintenant concentrée que dans la gorge et le
poumon droit, mes interventions me paraissent assez secondaires. J'ai quand même
eu l'impression que le Divin me commandait un nouveau travail d'approche de
l'esprit, et je me suis procuré un livre important, les nouveaux psys, que je
vais passer au crible, au cours de mon voyage à Pekin, chez mon
"alter-ego", qui vient de retrouver un job là-bas.
Et comme la
synchronicité fonctionne, à défaut de repasser par le yi-king, je propose deux
stages avec tirage, un purement taoïste, déjà créé, qui comprend deux tirages
(un chemin et un allié) et le second dérivera de mon tarot, dont on commence à
me réclamer le jeu, alors que je ne l'ai toujours pas fait imprimer.
Je ne sais pas
comment feront les suivants avec la sexualité, mais sa puissance est
formidable, son exigence si terrible qu'il y aura encore beaucoup de
souffrances quel que soit le côté choisi, frustrations et manques par omission,
ou conflits et poids quand elle est entretenue, avec cette ambiguïté sournoise
qui l'emberlificote avec "l'amour"... La non-dualité à sang pour sang,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, oui, dans une tour, d'ivoire, of course.
Dans la vie sociale, la sympathie cherche parfois à améliorer ses performances,
avec la bénédiction du vital, si tu vois ce que je veux dire. Vénus et Mars,
une très vieille légende, qui a encore de beaux jours devant elle, enfin, il
paraît qu'il y a d'authentiques maîtres de la non-dualité, qui pourraient
s'endormir quelques secondes seulement après avoir accueilli dans leur lit Miss
Univers, demandant humblement à partager leur couche pour recevoir leur
darshan. Il y en a qui ont vraiment de la chance, tout compris, tout dépassé,
tout résolu... "Dans mes bras?"
"Pas de
problème, mais ne vous frottez pas trop quand même, chère amie", et le
voilà qui croit qu'il va s'endormir tout de suite, avant son érection, qui ne
lui a pas demandé son avis, mais s'est basée sur une sensation de chaleur
reconnaissable entre toutes pour un corps vieux de trois cent mille ans. Il
faut parler de ces choses-là: tout ce qu'on prétend avoir dépassé, sous
prétexte que la situation qui pourrait démentir cette prétention ne s'est pas
présentée...à moins qu'on la tienne à distance, of course, d'accord, il n'y
a pas de petit profit pour le mensonge. La non-dualité absolue, sans procédures
d'évitement, être dans l'Un, totalement insubmersible, voilà un beau
projet. Dépasser toute tentation, c'est à dire que plus rien ne "tente",
au lieu de simplement refouler ou consentir, ce qui revient quelque part au
même, on en reparlera. Absorber le non-moi sans jamais la moindre éraflure,
allons-y !
Allons donc ! Ah
qu'ils sont rassurants les concepts ! Les éveillés représentent la non-dualité,
allez voir dans les coulisses ! Leur relationnel intime, leurs micro-réactions
quand on les turlupine, sans compter le pire du pis de la vache sacrée, les
rivalités qui les animent. Leurs évaluations réciproques... Beurk ! Enfin, il y
a des exceptions, et des maîtres de la non-dualité qui méritent cette
appellation contrôlée, je n'en disconviens pas. N'allez pas les chercher
forcément dans le cheptel des plus connus. Perso, pour moi cette appellation
est nulle et non avenue, because la dualité est justement évoquée à partir de
son absence, ce qui est sémantiquement obscène. Dit-on qu'on est non-végétarien
quand on bouffe de la viande, qu'on est non-athée quand on est croyant, qu'on
est non-hétéro quand on est homo, la non-dualité c'est quoi, puisqu'il n'y en a
plus de dualité, à quoi bon en parler? Et keski la remplace, si ce n'est pas
trop vous demander? Là, attendez-vous à des rixes transcendantales propres sur
elles comme des glaciers de l'Himalaya qui fondent trop vite, plutôt que de se
salir, le monoxyde de carbone ne rencontrant aucune frontière. Oui, des
batailles verbales qui deviendront peut-être légendaires... avec de bons
bretteurs, qui potassent la question tous les matins, mais bon, la question est
insoluble, et elle a été déjà résolue par Nagarjuna. Quand il y a
non-dualité, le samsara et le nirvana c'est la même chose. Le flux du réel,
c'est tout ce qui reste, un flux sans catégories. Le pur au sens de
Jankélévitch. Le pur qui n'a pas de contraire, pas d'impur. Le secret des
tantriques. L'union peut-être de Vénus et Mars, si rare, si exceptionnelle, si
inattendue, mythique... Ah l'amour, ne m'en parlez pas. Et puis de Jupiter et
Saturne, et puis de soleil et lune, et même la réconciliation de Neptune et
Uranus, la fusion sans confusion aucune, l'identité sujet-objet, mais qui
n'annule pas l'objet non plus...Il faut sept ans pour se débarrasser de la
puanteur de l'illumination, aurait dit un jap, rachetant tous ses
congénères fixés dans des postures impeccables par cette simple phrase...
Ambigüité sournoise
: pléonasme? Finalement Tao et tantra ont peut-être raison, aimer la condition
"animale" tout en parvenant à s'en détacher (le surf existe pour les
héros) vaut peut-être mieux que vouloir s'abstraire de cette base biologique
indépendante de l'esprit, en la maudissant, ou en la haïssant. Elle revient
toujours par en-dessous, la force vitale rejetée, il y autant de risques à
sublimer, qu'à assumer le désir, s'il vient vraiment du corps, s'il n'est pas
complaisant, cultivé ni entretenu. D'où l'immense liberté de la voie, le poids
des choix, la tentation d'obéir, celle de désobéir dans le même miroir du
conflit. Le rôle castrateur des règlements, la mousse au chocolat de la bonne
conscience quand on a résisté, mais qui ne vaut quand même pas la découverte
d'un autre corps consentant, oui le règlement rassurant contre parfois de
vraies satisfactions inexprimables, pleines de gratitude pour le fait d'être
vivant, et qui sont passées miraculeusement par une histoire d'amour et de
corps. N'en déplaise aux grenailles de bénitiers, et aux élèves dociles. Vous
me voyez donc dans l'obligation de ne pas trancher le débat sur la sexualité,
ce qu'on me demande parfois. Tout ce que je peux dire, et tant pis si je me
répète, c'est que je n'ai eu strictement aucune activité sexuelle pendant les
sept ans consécutifs à l'illumination supramentale, et que je suis certain que
c'est cela qui a permis un départ foudroyant vers la transformation du corps.
Peut-être que dans mes Mémoires je dirai pourquoi je suis repassé par là, si je
le découvre vraiment. (Il paraît que Mère Meera s'est marié, entre parents
thèses.)
Vous ne me verrez
jamais réduire la réalité à ce qui m'arrangerait, d'autant que rien ne m'arrange
vraiment. Il y a des héros de l'abstinence, et des laissés pour compte de la
même chose, pleins de rigidité cadavérique avant l'heure, comme il y a des
héros de l'amour, qui ne se laissent pas enliser, surtout chez les femmes, et
qui ne luttent pas contre la nature, à laquelle elles ne se soumettent pas... La
non-dualité, kesako?
Quoi se trouve,
derrière la dernière médaille à la mode chez les plus branchés tu meurs? (Je
plaisante, je plaisante).
La
non-dualité commence par assumer ses propres dualités. Je vais
d'ailleurs peut-être me fendre bientôt d'une glose là-dessus, pour en finir
avec les miroitements trompeurs de la formule. On verra plus tard ce qui reste
vraiment, une fois le processus accompli de résoudre la dualité. Le langage
fonctionne dans la substance même de la dualité, et se forme même à partir des
contraires. C'est-à-dire qu'il y a toujours le noir derrière le blanc qui se
pense, et que le oui n'a pas de sens sans le non. Okay. La non-dualité,
il est donc impossible d'en parler. Même dans le terme il y a déjà deux choses.
Le négatif, qui coupe l'herbe sous les pieds, et l'évocation: dualité. Cela
fait beaucoup de poids pour quelque chose censé en libérer.
Transmettre son
chemin quand même?
Oui, j'encourage
tous les éveillés à le faire, d'ailleurs ils n'ont pas besoin de mon
approbation, mais ça veut bien dire que le Soi peut mener au Supramental autant
que la voie de l'être psychique, englobante, et qui coupe cent fois moins les
cheveux en quatre que la voie du Soi. Qu'on procède par absorption absolue (du
non-moi), la voie de la bakti; ou par la désidentification absolue, la
voie traditionnelle qui mène à l'Impersonnel, ça revient au même. Le problème
est seulement que presque personne ne tient une voie radicale jusqu'au bout, et
que les mélanges sont eux aussi difficiles à intégrer, puisqu'ils fabriquent
des amalgames, fournissent des identifications inutiles et des réserves de
principe qui se trompent parfois d'objets. A ma connaissance seul Sri
Aurobindo ouvre une voie non réductrice, et je me suis engouffré dans la
brèche, grâce au travail du Supramental qui exige à la fois détachement et
implication, distance et spontanéité, puisque le corps physique finit par faire
presque tout le boulot, une fois que la "réalisation" est acquise et
mise de côté pour permettre le "barattement" dans la trame biologique
et subconsciente de la vibration de la Mère des Mondes.
Vous ai-je raconté
l'histoire suivante? En 1994, j'étais resté seul à Sri Lanka, après y avoir
emmené ma "conquête" dont j'étais éperdument amoureux, et qui était
répartie en France travailler ( "la femme de ma vie pendant quelques
années"). Elle m'y attendait chez moi, mais je trouvai qu'un peu de
distance entre nous, nous ferait du bien, tant nous nous étions identifiés l'un
à l'autre au cours de ce voyage. J'avais atterri à son départ dans la maison
d'une femme très séduisante, qui me louait une chambre, et je travaillai mon
roman "retour à la source". Or cette femme s'était mise dans la tête
de me séduire, et se couchait derrière la porte le soir, quand je revenais
après dîner, bien en travers, pour ne pas manquer mon arrivée, et je ne pouvais
pas entrer à moins qu'elle se lève. Elle se levait donc et me faisait des
avances... Je restai chez elle plus d'un mois dans ce contexte, en la repoussant.
Avant de repartir en France, je me retrouvai dans une auberge, et tout en
récapitulant en vrac mon voyage, je fis une expérience extraordinaire. Je fus
soudain littéralement attaqué par le pur Rajas, le guna proprement dit, l'intelligence
cosmique du désir, qui s'était sans doute rassemblée dans mon cerveau pour me
tirer dessus à bout pourtant. Une boule de désir se forma dans le bas-ventre,
et la voix me reprocha vertement mon attitude... J'étais le dernier des idiots
: je ne comprendrais jamais rien à la vie, j'aurais pu profiter de l'estime
et du désir de cette femme pour moi, que je désirais si j'osais me l'avouer,
alors pourquoi ne pas avoir écouté ce désir? Je vivais vraiment |