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Le journal de Natarajan
2008-2015


10 Janvier 2008


Me voilà obligé de tenir un double journal, un du jour, pour marquer les événements marquants, et l'autre rétrospectif, puisque pendant trois ans, j'ai cessé de consigner, et que d'autre part, avec le recul, certains événements prennent un sens plus profond, qui appelle de nouveaux commentaires. J'ai écrit pas mal de choses pendant cette période, dont quelques œuvres inachevées, mais je ne pouvais plus me pencher sur moi-même, et exécuter cette sorte d'examen de conscience destiné à laisser des traces de l'expérience supramentale qui continue son œuvre en moi. En ce moment même, j'hésite entre revenir en arrière, ou célébrer ce qui se passe depuis le 2 Janvier. Allons-y, c'est tout frais et merveilleux. Est-ce une loi de synchronicité, toujours est-il que je prends parfois de nouveaux départs dans le signe du Capricorne, puisque ma première big illumination a eu lieu le 27 décembre 67, l'obtention définitive du Soi le 4 janvier 74, la descente du supramental à partir du 10 janvier 1977. Or, c'est le 2 janvier 2001 qu'a commencé l'enfer de l'enfer, et pour être tout à fait franc, je ne m'en suis remis qu'en novembre 2006. (On trouvera plus tard le journal assez détaillé de cet enfer au carré (écrit à la main), et qui sera porté à la connaissance des zorrobindiens afin de dégoûter les nouvelles grenouilles de bénitier de sortir de leur mare).

Or voici que le 2 janvier 2008, je me réveille en Indonésie, dans mon nouveau pavillon, dans un état extraordinaire. J'étais arrivé la veille de France, fatigué il est vrai, et donc mon premier jour est merveilleux. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans le sommeil, mais je me lève avec le décalage horaire à 4 heures de l'après-midi, et j'ai l'impression d'avoir carrément de nouvelles perceptions physiques. Tout est clair, agréable, le corps est content, j'ai l'impression d'être un enfant, je perçois une force bienveillante dans l'existence, tout mon corps exulte. Le mental est calme, et l'ensemble de la personne est comme entrée dans un nouveau monde, que je croyais, naturellement, perdu. (Je vais avoir cinquante-huit ans, ce qui est une expression fausse, puisqu'ils sont derrière moi et donc concrètement perdus).

Et depuis, cela fait donc une semaine, je me réveille comme un bébé, sans tension, dans un état de plénitude physique incroyable. Je ne sais combien cela va durer, peut-être que les huit ans difficiles, (dont l'hiver 2001 où trois attaques consécutives de la mort, sous différentes formes, ont échoué), de 98 à 2006 ont enfin porté des fruits. Peut-être que mes trente ans de trituration permanente débouchent enfin sur quelque chose, peut-être que ce n'est qu'une étape avant de replonger dans des tempêtes. Pour le moment, je n'en sais rien. Mais le corps s'habitue vraiment au supramental, et le «mental physique», en tout cas le principe qui déclenche la dégradation physique et appelle la mort, ne profite plus de la nuit pour se «refaire». Depuis treize mois, cela allait mieux, mais depuis une semaine c'est carrément déconcertant: c'est comme si j'avais remonté le temps loin en arrière, sauf peut-être sur le plan sexuel, puisque ce que je sens comme une «régénération» n'a pas excité davantage mon désir. Mais je me sens comme quand j'avais 7 ou 8 ans, c'est comme l'état d'avant la chute. Je suis spontané, sans aucune crainte en arrière-plan, je bois littéralement chaque instant comme un nectar, dans l'innocence totale, sans rien en attendre de particulier et je reste intégralement moi-même. Je n'en reviens pas. Autant dire que les sanglots profonds de 2002 et 2003 où des voix intérieures me disaient «le corps n'est pas fait pour ça» en pleine descente de force supramentale, comme pour obstruer définitivement le chemin, sont loin. Je suis dans une phase où je crois que c'est possible de vivre avec le supramental en action permanente dans le corps, ce qui est maintenant le cas, avec des variations très conséquentes, sans être malheureux, sacrifié, sur des charbons ardents.

Peut-être faut-il trente ans de «débroussaillage» pour s'habituer, peut-être certains mettront-ils plus de temps, d'autres moins, en tout cas, si cela dure, je pourrai à nouveau présenter le yoga supramental comme j'aime le faire, non seulement un sacrifice et une nécessité évolutive, mais un prolongement paradoxal de la nature humaine entrant peu à peu dans autre chose, avec un corps qui s'habitue à brûler froidement, et une personnalité qui se délecte de ce qui arrive, comme si cela avait toujours été prévu pour qui supporterait le passage, c'est-à-dire, pour le moment, la torture. Non que je veuille donner raison à Satprem, avec lequel je ne partage aucunement la vision du monde, mais parce que lui et moi sommes passés par là. Lui en continuant de s'acharner contre l'humain, à monter en épingle son cri, sa révolte, moi en aimant tout inconditionnellement, convaincu que le Divin viendrait à bout de l'ignominie, sur laquelle je n'ai pas à renchérir, car ce serait du temps perdu pour le yoga. Mais nous avons bigrement souffert l'un et l'autre, moi je m'en vante beaucoup moins, car j'ai «résolu» en profondeur le principe de négation, grâce à des immersions longues et absolues dans des états de conscience que Satprem ne semble jamais avoir connus, premièrement parce qu'il ne les mentionne pas, et surtout parce que cela l'aurait définitivement libéré de son cri inutile, de sa révolte redondante et infantile, et de son manichéisme, qui saute à la gorge du lecteur à chaque feuille. Néanmoins, chacun fera le travail supramental avec les moyens du bord, et il n'y a rien à redire sur le cas Satprem, je voulais juste signaler pour ceux qui n'ont pas une grande dextérité intellectuelle, après tout chacun est ce qu'il est, qu'il n'y a pas lieu de considérer Satprem comme un modèle, et s'imaginer qu'il faut «voir les choses comme lui» pour être apte au yoga. C'est la culture du web qui m'a suggéré que certains ont pris le train en marche, en sautant dedans, et qu'ils se sont précipités sur une certaine image du supramental, incomplète.

Une fois de plus, j'ai l'impression que Lao-Tseu veut s'exprimer à travers moi, et qu'il insiste pour affirmer qu'on ne saute pas aux derniers barreaux de l'échelle sans se casser la figure. Il faut respecter les marches inférieures, et même si, par habileté, on parvient à monter en ne prenant le premier appui qu'au troisième ou quatrième barreau grâce à un bel élan, comme le ferait un alpiniste chevronné, le stratagème de sauter les marches pour monter plus vite possède néanmoins des limites sur tout escalier qui se respecte (c'est vrai que ça réussit avec les mini-escabeaux qu'on peut même vaincre à saute-montons). Mais le supramental est une nouvelle révélation: autant rester fidèle à l'adage fondateur de Sri Aurobindo: mon yoga commence là où s'arrêtent les autres. Ce qui veut probablement dire qu'il faut ratisser très large pour avoir une vision panoramique du Spirituel, ressentir ses aspects parfois différents, avant de croire que le supramental va remplacer tout ça. Se jeter dans l'aurobindisme comme s'il était sorti de rien, tout en s'entichant du premier témoin cautionné par la légende de Mère, autrement dit Satprem, me paraît être une voie de garage, et je ne vois guère que la lecture approfondie de Sri Aurobindo et de Mère pour compenser la dimension tragique dans laquelle Satprem a voulu embarquer tout le monde. Je m'en expliquerai encore quelques paragraphes plus loin, en ce moment, j'ai l'impression d'écoper sur le navire et de faire la course contre le naufrage. Ecopons, car une polémique entre les enfants de Mère me paraît indigne de ce que nous avons tous compris du vrai «nouveau monde», nous qui avons la chance d'être épargnés par notre aspiration lucide des contrefaçons mielleuses de l'avenir que le Nouvel-Age nous propose. Alors se jeter à la figure des appréciations sur Satprem, soit pour le défendre outre mesure (il n'a jamais prétendu être parfait), soit pour le remettre en question en «révélant des contradictions ou des décalages», sont deux attitudes qui, premièrement, n'entament en rien le vrai travail qu'il a accompli, et qui demeure un secret entre Mère et lui, prêt au martyre pour continuer son œuvre, et deuxièmement, parce que prétendre «cerner» Satprem n'amènera personne plus près du supramental.

Or l'ouverture au supramental doit être le seul but des aurobindiens, laissons les commentaires polémiques aux vendeurs de paroles fleuries, aux salons branchés, aux supporters déçus par leur club...

On peut faire ce yoga en accord avec toutes choses, et c'est même comme cela qu'il marche le mieux. Qu'on se souvienne de Sri Aurobindo voyant monter le nazisme dans ses poèmes de 1938, et continuant imperturbablement son travail, sans se laisser prendre dans des réactions ou jugements inutiles sur cette résistance. On sait que l'humanité ne vaut pas un clou, mais on l'accepte, et on ne prend pas prétexte de l'histoire mondiale ou de ses relations personnelles pour toujours «revenir» sur l'incurie humaine, ce qui, excusez-moi du peu, n'a vraiment rien à voir avec l'homme nouveau. Alors Satprem a-t-il manqué un épisode de son yoga, qui aurait fini par avoir raison de ses ambitions? Il est permis de s'interroger, non pas pour critiquer l'homme, je n'ai jamais vu personne se consacrer autant à faire de son mieux, mais pour expliquer son départ prématuré. Il n'y a pas d'autre mot, pour quelqu'un qui attaque la mort de front depuis 25 ans, et qui détaille son combat, et qui s'en va quand même à un âge «normal» pour notre époque. Puisque nous formons tous une bande de gens très perspicaces pour être parvenus jusqu'à Sri Aurobindo et Mère, indissociables, je vous imagine en train de vous demander pourquoi il n'a pas «tenu» plus longtemps. Il y a naturellement deux perspectives à cette question, qui se complètent, sans compter celles que vous pouvez inventer si ce «départ» vous affecte. La première est que la mort du corps physique, c'est quelque chose d'inéluctable, et que le travail du supramental ne cherche pas à créer un «corps de gloire», mais à le transformer de l'intérieur, atome par atome, ce qui est peut-être (mais je ne peux pas en apporter la preuve formelle) une autre entreprise que celle que nous avons vu réussir avec Ramalingam et Babaji, et le mythe des maîtres ascensionnés. Alors si Satprem et Mère ont vécu quelque chose de «différent», il n'y a pas de préalable, le but est connu, mais l'échec est inévitable. Il y a une telle distance entre l'intention et sa réalisation, une telle difficulté à vaincre l'obstacle, que le processus terrestre général commence, sans aboutir immédiatement au résultat escompté.

La deuxième perspective, qui complète la première, c'est que Satprem n'a peut-être pas vraiment su comment s'y prendre, dépassé par le travail et son enjeu, et qu'il a commis quelques erreurs. Je donne donc mon opinion là-dessus, car j'ai commencé le travail dans le corps sept ans avant lui, en janvier 1977, ce qui fait probablement de moi le plus ancien «yogi supramental» vivant sur la terre à l'heure actuelle, et comme seul le semblable connaît le semblable, mon opinion a forcement une certaine valeur. Dans les grandes lignes seulement, avec cette marge d'erreur qui provient du fait que je n'ai jamais pu serrer la main de Satprem puisqu'il ne me l'a jamais tendue. Il n'est pas question pour moi de prétendre donner un compte juste, avec les décimales en quelque sorte, car il m'appartient moins de parler de l'homme que de juger son attitude dans le cadre de la «descente du supramental», dont il a repris le flambeau après la disparition de Mère.

Satprem croyait encore diablement à la souffrance, il pensait encore que les choses eussent dû être autrement, ce qui est contraire aux premières grandes immersions dans le mélange de shakti et de conscience supramentales, qui me semblent guetter tout évoluteur faisant une expérience décisive pour la terre. Ces expériences d'immersion dans un absolu qui contient à la fois le Brahman et la Manifestation sur le même plan ondulatoire, constituent justement la preuve qu'il y a quelque chose au-delà du Soi et du Surmental, qui unit absolument tout dans la même dimension. Il y a même plusieurs couches dans cette révélation, mais elles se tiennent toutes. Le champ physique de cette dimension a été décrit par Mère dans un des premiers agendas, et je confirme que cette expérience existe, et peut durer plusieurs heures d'un véritable «voyage». L'ensemble de la vie, depuis des temps immémoriaux, est perçu comme un mouvement qui est à chaque instant au maximum de ses possibilités, mais il ne s'agit nullement d'une représentation mentale non-dualiste. C'est un fait qui est perçu par le moi comme une réalité allant de soi, imprescriptible, et sur laquelle il sera par la suite inutile de revenir. C'est donc une sensation de l'âme, qui traverse le mental, et perçoit par le corps physique l'essor de toute la Manifestation vers le Divin, d'autant que la shakti à ce moment-là en profite pour faire tournoyer les atomes des cellules, ou pour adombrer le cervelet ou descendre par le sommet du crâne. Nul être humain ne peut s'attendre à voir les choses comme cela, et l'expérience qui lui ressemble le plus, mais qui traîne quand même à une année-lumière derrière, c'est un trip de mescaline. (Je n'en ai pris qu'une fois, c'est ce qui se rapproche le plus.) Je compare avec la drogue, pour bien qu'on comprenne qu'on n'est pas là dans le domaine du mental, mais dans celui de la perception pure, qui comprend des procédures de conscience physique, et de nouvelles sensations corporelles, comme une extension du présent qui semble toucher le plus loin passé dans une harmonie parfaite. La seconde couche qui délivre du fardeau d'être humain, c'est Vasudeva, que Sri Aurobindo a expérimenté en prison à Alipore, et qui n'a pas cessé de me tomber dessus, pendant des heures, à peu près une fois par quinzaine ou par mois pendant mon passage à Auroville, la première moitié de 1978. Les deux derniers trimestres de cette même année, j'y étais encore, mais j'avais déjà buté sur des résistances maoussescostauds, et le travail se faisait uniquement dans le corps. Cette expérience est totalement intransmissible, puisqu'il n'existe plus que son propre moi, qui est donc devenu comme par enchantement le Moi de tous les êtres. Pour cette expérience, il n'y a pas de comparaison possible avec la drogue, ou quoi que ce soit d'autre, elle est absolument inimaginable, comme Satchitananda, ou le Purushottoma. Sri Aurobindo essaie bien de l'évoquer en disant «c'était Krishna, ou c'était Narayana,» mais cela ne fait que reculer pour mieux sauter. C'est évidemment la splendeur divine qui se dévoile dans la Manifestation elle-même, et il est bien évident qu'il est impossible d'approcher ces deux champs par le mental, ou de s'en faire la moindre idée par l'intelligence. Cela éclaire à un point inimaginable, et j'ose avancer que je n'ai jamais plus été le même après ces incursions. Le yoga en a d'ailleurs profité pour se développer à toute vitesse pendant sept ans, où mes corps subtils ont été inondés jusqu'à saturation de shakti supramentale, sans compter le début d'une trituration dans le physique. L'esprit manichéen, l'esprit générique ne peut pas résister à un tel traitement: le mal et le bien sont entièrement légitimés, comme les premières manifestations de la dualité entre l'Esprit et la matière. Il reste à combattre, certes, mais l'émotionnel n'en rajoute plus. Après avoir vu cela, on lutte contre le «cinéma» du samsara, mais il n'est plus révoltant, il est archaïque, un point c'est tout. Satprem n'a peut-être pas «fait» cette expérience, qui l'aurait libéré, définitivement, d'un vieux vague à l'âme, d'un désenchantement chronique qui cherchait à se projeter, comme un léger filtre, sur tout ce qu'il ressentait. Je n'ai jamais trouvé trace chez Satprem de grandes illuminations dans l'esprit, et il n'est pas insensé d'en revenir à la source, et de rappeler que le supramental n'est pas seulement l'énergie microscopique centrifuge de l'infra-atome, mais l'océan de la Conscience Suprême, dont les mystiques essaient de se rapprocher depuis toujours. Il semble que Satprem ait compensé ses lacunes d'expériences tout en haut, qui sont fort nourrissantes, par une puissante nostalgie de l'avenir divin, «un manque-à-gagner», qui pour moi ne possède aucune légitimité spirituelle. Que la Conscience soit liée à l'énergie divine originelle, c'est le mystère suprême, percé par Mère sur le plan occulte, et révélé à Sri Aurobindo.

Bien que Satprem ait prétendu chercher douze personnes, puis trois, pour continuer le chemin «ensemble» (carnets 1987), il a refusé de me rencontrer en 1978 (rien n'était plus facile, j'étais à Auroville), puis, malgré une cassette éloquente envoyée en 1981 à Micheline, on m'a laissé de côté, et en 1999, j'ai également été rembarré par le libraire de l'Institut, décrétant que je cherchais l'approbation des autres, en déclarant faire ce yoga, et souhaiter un contact. J'ai également mis au courant l'Institut de recherches évolutives, personnellement, de la création de mon premier site il y a plusieurs années (il portait un autre nom), sans que personne ne me réponde. Ne voulant contrarier personne, je leur expliquais que «j'hésitais» à évoquer Satprem sans leur accord. Je n'ai obtenu ni autorisation, ni interdiction, ni même «faites ce que vous voulez», on fait tout pour oublier que j'existe, ou alors cela n'a aucune importance que je fasse le yoga supramental. Seul celui de Satprem fait le poids. OK. Même si l'on me démolit de la part du supramental et en son nom (il resterait à voir lequel mais ce doit être possible, on s'y est déjà employé), je resterai amoureux fou de l'INTELLIGENCE, et je continuerai de faire des émules, parce qu'elle mène droit au Divin si on la respecte...

En fait, comme mes aficionados l'ont peut-être déjà compris (ne vous inquiétez pas, ils ne me cirent pas les pompes), j'ai fait tout ce travail sur le moi et le non-moi, car mon «moi» était déficient. Exalté, identifié, en osmose, ou indistinctement porté par le soi, j'ai mis longtemps à admettre que j'étais un individu, puisque je colle immédiatement à ce que je perçois. Le fait d'avoir été rejeté m'a permis de me fonder en moi-même, de moins attendre des autres, et d'acquérir de la force intérieure, de quoi mieux supporter l'état actuel de l'humanité. Tous ces gens qui prétendent s'attaquer aux murs, aux barrières, aux limites, aux prisons, et qui vous claquent la porte au nez, quand vous leur apportez sur un plateau ce à quoi ils prétendent aspirer, il y a, c'est vrai, matière à ronger son frein, éprouver du ressentiment, ou voir de la colère monter, ou même «péter les plombs» quand on a l'esprit rigoureux, et peut-être que Satprem s'en est moins bien tiré, dans un contexte très difficile où il se devait de «représenter» le prolongement de Mère, sans concessions. En fait, j'ai plutôt été dérangé par la tristesse à chaque rejet, et cela n'a pas laissé de traces, parce que j'ai su pleurer comme un gosse, au lieu d'en vouloir à tel ou tel. Et finalement, repoussé dans mes retranchements, j'ai pu me consacrer à l'essentiel, au détriment d'un certain «rayonnement», sur lequel d'ailleurs se sont appuyés certains pour me mettre de côté, vu qu'à mon âge, normalement, les êtres «réalisés» bénéficient de soutiens conséquents et de structures d'accueil importantes.

Je vois que le mot «supramental» fascine, envoûte, valorise, soutient, et que chacun tient à se l'approprier comme il l'entend... Pour s'imaginer qu'il joue dans la cour des grands, alors il ne faut surtout pas laisser entrer qui que ce soit qui pourrait briser ce rêve. On s'est barricadé dans Mère ou Satprem, on a investi là où il faut, et le reste semble suspect. Mais il n'y a pas de reste. Il n'y a que soi face à chaque moment, et tous les gris-gris sont abrogés. Et quand il s'agit de faire équipe, il n'y a plus personne, on craint la hiérarchie, on redoute des «postures», et chacun fait son petit ciel de son côté, suspicieux, ou à travers un clan minuscule, avec son petit code de «tenue recommandée» comme pour les soirées festives (on est foutu à la porte si l'on n'a pas respecté le dressing code). Sous prétexte que chacun est unique et doit tracer sa propre voie, on ne partage pas, c'est absolument incompréhensible (mais je l'accepte en fonction du principe de réalité), car tout aurobindien devrait se réjouir à la pensée qu'un nouveau candidat humain est manipulé par la shakti divine, cela va de soi, et bien non ! Qu'on trouve cela normal ou impossible, on rate le coche, car c'est vraiment très important pour tous que la chose continue au-delà de Mère et de Satprem. Devenir immortel dans un contexte aussi obscur, je crois que ce serait mettre la charrue avant les bœufs.

D'abord le Divin ne me demande pas de convaincre qui que ce soit que je fais ce fameux yoga, il me demande seulement de le faire, et c'est mon problème si, comme Satprem, j'ai tendance à voir pas mal de mauvaise volonté même chez ceux qui ont de belles bibliothèques ésotériques, et le jargon facile. La si belle théorie des guna a été récupérée et nivelée par les auroviliens, pour qui les choses sont simples. Si vous n'êtes pas de leur avis, et que vous contestez vivement, vous êtes rajasique, c'est-à-dire pestiféré, si vous n'êtes pas de leur avis, et que vous haussez les épaules, vous êtes tamasique, autrement dit pestiféré. Et si vous êtes de leur avis, vous êtes un mouton, et devenez corvéable. Quelle ambiance ! Même la fine fleur du langage des maîtres, des avatars, des travailleurs de la lumière, est devenu le code de référence des petits-bourgeois exotiques qui ne veulent pas se remettre en question, et qui jouent aux cow-boys et aux indiens en dénonçant les esprits libres, bienveillants, intérieurs et profonds, pour qui la réussite matérielle d'un village est moins importante que ce qui se passe dans les cœurs et les âmes. Il semblerait que vivre en état d'urgence, comme Satprem et moi le faisons, (et vous peut-être) soit une grâce particulière. Pour beaucoup d'aurobindiens et d'autres «chercheurs», le temps est encore quelque chose de sympa à dispo pour mener ses petites affaires... Avec cet état d'esprit, on voit les choses en trompe l'œil, sans aucune perspective, et on ne peut donc pas apprécier à sa juste valeur la nouvelle que le «yoga des cellules» continue. Cela s'aplatit sur la fresque et n'a guère plus de relief que le reste de l'actualité. Les notions de «priorité» diffèrent pour chacun, et je me suis même demandé parfois si je ne rêvais pas: les arguments que l'on m'a sorti pour éviter un week-end de mon témoignage étaient tellement faibles, de la part de ceux qui prétendaient y tenir, que peu à peu, comme Satprem, j'ai perdu confiance dans l'humain, parce que quelque chose s'érode à voir presque tout le monde s'engager, puis oublier. Et comme on peut d'autant mieux miser sur le Divin, sans baisser les bras, sans juger personne, on finit par établir que la meilleure spécialité humaine, là on bat tous les animaux même les plus rusées, c'est «faire semblant». Partout, on fait semblant, et plus on fait semblant en se persuadant du contraire, plus on est habile. On lit l'évangile de Thomas, mais on n'a jamais secouru personne, on apprend le pâli pour lire Bouddha dans le texte mais on refait trois fois l'addition au resto du coin pour apprendre le détachement, on lit Sri Aurobindo parce que c'est le meilleur, mais on ne fera jamais le moindre sacrifice perso pour venir à bout de son alcool, de son shit, de sa vie de patachon, ou de son ego manipulateur, etc... Alors oui, on démissionne dans les relations personnelles, on ne répond pas à des amis qui ne comprennent pas pourquoi vous les abandonnez, on ne cautionne pas tel ou tel éveillé spécialisé dans la louange de ses propres mérites, ils voulaient juste profiter de vous, mais ils appellent cela de l'amitié, et il faut le faire quand même, prendre de la distance, parce que c'est l'état d'urgence. On le sait, on le vit. C'est la guerre. Les gens parlent, et ne tiennent pas leurs engagements. On va enfin y aller, mais on traîne en route. On va enfin se donner, mais on attend un cycle planétaire qui va faire le boulot à notre place, puis on fait machine arrière dès que l'on ne se sait pas ce que l'on peut vraiment escompter... On aime la vérité, à condition qu'elle ne nous remette pas en question.

A la fin, il reste le Divin et soi, et quelques rescapés qui savent ce que vous représentez et vous apprécient pour de vrai.

Je regrette que Satprem ait conçu un monopole, qui lui a permis d'éviter tout dialogue ou remise en question personnelle qui aurait pu être suscitée par un «autre» faisant la même chose, n'empêche que sa vie c'est de l'exploit pur. N'ayant pas pu lui opposer de son vivant mon expérience, qui ne ressemble à la sienne que par certains aspects, il n'aura pu ni me démentir ni me cautionner, me laissant orphelin en quelque sorte, et obligé de «faire mes preuves». Et bien justement, je ne conteste pas les siennes, mais les miennes sont plutôt similaires qu'analogues.

Je démens formellement qu'il faille souffrir autant dans le yoga supramental, et c'est la raison pour laquelle je ne peux pas laisser à Satprem le monopole du témoignage sur la chose, ce qui me contraint, vu sa disparition prématurée, à numériser mes manuscrits pour les rendre accessibles à ceux qui «aiment» les témoignages directs, je dirais «saignants», sur cette action. Une partie de mon journal devrait donc pouvoir être accessible bientôt, et je signale aussi que je n'ai pas d'éditeur. Mais il devrait commencer à figurer sur le site.

J'attaque l'image réductrice du yoga que Satprem donne, c'est un point de vue technique, et non un jugement sur l'homme. Il a créé le monopole de la lignée de Mère, à travers une image sombre et tragique de sa lutte contre le Mensonge et la Mort, donnant de l'expérience supramentale une vision vraie, la sienne, mais qu'on ne peut généraliser. Ce monopole est historique, et il est fondé, puisque je suis parvenu au supramental sans l'aide de Mère, par mes propres moyens, ce dont j'aurai encore à me justifier par des écrits «personnels», que je trouve pour ma part moins intéressants que mes tableaux, tels que «les principes de la Manifestation» ou «cosmophilosophie». Pourtant, certains s'imaginent qu'à travers des comptes-rendus, dans le style Agenda ou Carnets, ils pourraient davantage se rapprocher du Divin.

Après tout, c'est possible, et je n'ai pas de raison de refuser l'accès à ces sources, sous prétexte que de mon point de vue, leur teneur manque d'intelligence, puisque les faits, pour aussi extraordinaires qu'ils soient, demeurent des informations quand ils sont fournis, alors que mes essais ouvrent des pistes. J'avoue aussi que je craignais dégoûter du yoga en révélant mes péripéties, mais après les carnets de l'Apocalypse, le journal de Natarajan sera comparativement du gâteau, bien que j'insiste quand même sur le fait que ce n'est vraiment pas de la tarte. Vu ma personnalité, il est pratiquement incompréhensible de ne pas avoir pu approcher Satprem, je ne découvre même pas par quelles structures mentales le scribe de Mère est passé pour s'interdire a priori de «reconnaître» une expérience analogue à la sienne. J'ai accepté la chose, c'est le cas Satprem, mystérieux, qui doit conserver une part de mystère sans que cela n'empêche qui que ce soit d'avancer, puisque le problème, c'est votre yoga à vous.

Je me sens à l'opposé de Satprem, puisque je baigne dans la reconnaissance absolue d'exister depuis mon enfance, et la souffrance inhérente à ce yoga, ne semble pas pouvoir entamer définitivement ce sentiment, bien que j'en ai été privé huit ans. (J'ai survécu à cette dépossession et j'ai même fait un boulot excellent pendant cette période 98-2006). Si vous voulez vraiment être découragé: n'hésitez pas, cantonnez-vous dans les livres bleus du marin breton, et cultivez la dualité du meilleur contre le pire, vous verrez bien où cela vous mènera. (Ou alors frimez, et dites que vous êtes prêts à souffrir autant que lui, mais si c'était vrai vous y seriez peut-être déjà !). Si, en revanche, vous pensez que l'expérience de Satprem est unique, infiniment respectable, mais qu'elle n'a pas lieu de servir de modèle, acceptez qu'un type comme moi parle autrement du projet divin, et le vive avec moins d'acharnement. Je me fends seulement de produire ces quelques allégations «pour ou contre Satprem», car je reprends mon journal, et que les deux événements importants récents dans notre cercle aurobindien de penseurs de luxe (les libérés y sont aussi rares qu'ailleurs) sont, d'une part, le décès de Satprem en avril 2007, et d'autre part le témoignage de Luc Venet, qui a écrit sincèrement semble-t-il «le guide du parfait petit saboteur à l'insu de son plein gré.» (44 pages quand même qui distillent un doute empoisonné, sous le titre enchanteur de la fin des illusions... Il se peut que Satprem se soit trompé, mon cher Luc, sur l'histoire des lettres, bref que tu aies «raison» sur des points particuliers. Les scories paranoïaques sont automatiquement délogées par la shakti, car le «mutant» vit en opposition radicale, et prend de plein fouet les incompréhensions. Dans mes premières années de transformation, j'ai prêté pas mal d'intentions fausses à mon entourage, je ne vois pas pourquoi Satprem en aurait été dispensé. Il faut passer par là, creuser toujours davantage, et ça n'a pas de fin: le subconscient remonte et s'appuie sur ce qui n'a pas été réglé chez le sujet pour contrefaire des impressions, et Satprem, pas plus que quiconque, n'avait tout réglé). Peut-on sortir de leur contexte les quelques erreurs de Satprem, pour en faire tout un fromage, vu l'odeur?

J'ai donc le droit de «faire dans la dentelle» en rendant hommage à cet homme absolument irréprochable, sans pour autant l'encenser, puisque le yoga de la matière contraint à des «erreurs obligées», c'est-à-dire en termes clairs, à des projections, même si elles s'amenuisent en force et quantité. Puisque je revendique d'en faire moi-même, j'aimerais qu'il soit admis que Satprem ait pu se tromper, et que même, il ne s'en soit pas toujours rendu compte, justement dans le champ relationnel, qui lui était particulièrement difficile. Qui n'a pas d'angles morts? Même Sri Aurobindo s'est débrouillé pour se casser le jambe sur un itinéraire qu'il connaissait par cœur... Cela n'enlève rien à la sincérité, j'oserais dire absolue, du sujet Satprem, car sinon je ne vois pas comment il aurait pu remonter jusqu'au Supramental. J'aurais pris également plus au sérieux le témoignage de Luc Venet si j'y avais senti le parfum d'une expérience directe du supramental, mais en-dehors d'une recommandation pour retourner à Sri Aurobindo, amputé de Mère, il se dégage une certaine souffrance de ce texte, celle d'un homme désabusé poursuivi par une mémoire quelque peu fétide dont il cherche à se libérer par le courage d'un aveu difficile à faire. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner le sous-entendu: il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu'à ses saints, en tant qu'autorité, Sri Aurobindo l'emporte. Je remercie Luc pour avoir osé «lâcher le morceau» quitte à s'attirer l'opprobre général, et je ne sens aucune forfanterie dans son texte. Je n'ai donc pas l'intention de l'accuser de quoi que ce soit, ni de prétendre qu'il s'est trompé sur tout, comme si Satprem était Dieu en personne. Perso, je suis au-dessus de tout ça. Le sauvetage de l'Agenda a été une entreprise divine, exemplaire, et a nécessité des frictions, je ne vais pas m'arrêter à des incompatibilités d'humeur dans l'équipage du navire, sur lequel nul n'a été engagé de force. Se plaindre de la traversée, il fallait y penser avant, avant d'embarquer.

Cela ouvre malheureusement la perspective que la sincérité elle-même est difficile à partager par les temps qui courent, et je l'admets. C'est la période où nous allons tous sur le front, pendant que les matérialistes perdent les pédales, et chacun dispose d'une telle intégrité à sauver que les équipes peinent à se mettre en place, et les anathèmes volent encore bas entre thuriféraires de la même espérance. Merci Luc pour ton intervention, j'espère qu'elle nous permettra à tous d'éviter de tomber dans le panneau du mythe d'un Satprem messianique, qui n'est plus d'aucun secours dans la voie qui nous incombe. Ce n'est pas le but du supramental de hisser un à un des héros exemplaires qu'on admire, qu'on croit sur parole: si but il y a, c'est que les êtres vraiment sincères qui vivent la durée comme une urgence, et non comme un faire valoir personnel, attirent par leur intensité la shakti divine, parce qu'ils sont prêts à tout pour la terre, c'est-à-dire à vivre le feu.

Qu'on puisse encore «faire des erreurs» dans le yoga supramental, cela va de soi, premièrement parce que la nature ancienne réagit mal aux chocs et aux déceptions et qu'elle est mise à nu, et deuxièmement, parce que ces chocs et déceptions pénètrent plus loin, puisque «notre» vulnérabilité est totale, et que le subconscient et le conscient se mélangent. (Ce point sera explicité plus tard avec des exemples, j'ai été «cassé» par trois fois rien pendant des années). Ce n'est pas moi qui vais jeter la pierre à Satprem, car je sais de l'intérieur que la moindre égratignure prend des proportions catastrophiques dans ce yoga, et que cela peut durer des années. Mes sources personnelles sur ce sujet vont suivre en partie.

Mais comme certains salivent et que je ne suis pas sadique, je vais quand même raconter un truc marrant: en 1978 donc, j'étais complètement exalté au fin fond d'Auroville, car le yoga supramental prenait forme. La shakti adombrait le bulbe rachidien, ça pétillait sec, les jambes flambaient agréablement, c'était merveilleux de chez inimaginable. L'autre livre rouge commençait à sortir, et le plus débrouillard de la communauté en obtenait un exemplaire dès parution. Il ne le gardait pas vraiment pour lui, et s'éclatait à citer des passages à table... Bref, je ne me souviens plus si je lui ai emprunté l'Agenda ou s'il a mentionné l'information, mais cela m'a fait vraiment très mal. J'apprends qu'il y a un faux Sri Aurobindo dans l'astral, pour détourner les badauds du vrai. L'estomac se contracte avec une sensation de vide, la nouvelle me porte un coup terrible. Moralité, plus de trace de la moindre action du supramental dans mon corps (qui en bénéficiait plusieurs heures par jour depuis des mois) pendant trois semaines...

Grâce à la controverse sur Satprem, chacun se trouve obligé maintenant de renoncer aux «représentations» du supramental, pour mieux s'en rapprocher dans la consécration concrète, car si le supramental constitue le chemin de la perfection, on peut néanmoins l'entreprendre sans y être parvenu, ce qui rend inévitable des erreurs de parcours, qui, rappelons-le simplement, remettront sur le tapis des positions karmiques, ou bien des attachements de la personnalité, ou bien encore des lacunes dans le processus de la consécration, ou même des tournures génétiques de perception, accidentelles, mais dont j'ai fait l'expérience et dont l'approche théorique existe déjà en partie en psycho-généalogie.

Pour en revenir aux différences d'avec Satprem, j'ai préféré le chemin de la réconciliation avec l'humanité, afin de découvrir l'amour, quitte «à perdre du temps», que de me prévaloir de mes talents spirituels pour pavoiser au sommet et nourrir l'idée d'une quelconque supériorité de ma personne. Je suis synchronisé avec des temps qui restent impossibles pour les autres, et je tâche d'éliminer les frictions, c'est une voie plus «humide» que celle de Satprem, mais la voie sèche m'enfermait dans des frictions et oppositions permanentes qui devenaient insoutenables, et j'y ai renoncé. Vu que le supramental, c'est l'Infini conscient, dès qu'il le touchera et s'y habituera, le sujet prendra position d'une manière très particulière, et s'imaginer donc qu'il puisse y avoir des «modèles» est absurde. Satprem n'aurait pas pu mener sa barque comme moi, ni moi comme lui. Un beau texte de Sri Aurobindo évoque différentes manières fondamentales de vivre le supramental, mais j'en ai perdu la référence.

Pour tout dire, il m'appartient seulement d'affirmer que le décès de Satprem était prévisible, même si je l'envisageais pour ma part, bien plus tard. Nous pouvons toujours nous demander pourquoi son chemin s'arrête aussi rapidement. Car s'il a fait son travail «dans le creuset» de manière impeccable, c'est que le supramental, contrairement à ce que Mère et lui prétendent, est loin de pouvoir attaquer la mort physique. Il est décédé à un âge relativement ordinaire, je le répète, et il faudrait être de mauvaise foi pour prétendre que son travail supramental a ajourné sa disparition. On reste donc fort dépité si l'on reste attaché à cette idée que le supramental doit se rendre à nos caprices idéalistes, et obtenir sur le champ que ses adeptes obtiennent l'immortalité physique. Sur le fond de la question, Sri Aurobindo et Mère ont raison, la mort physique est empreinte de fausseté, ce qui ne veut pas dire que cette fausseté puisse disparaître du jour au lendemain, puisque elle s'appuie sur des millions d'années d'expériences d'une part, et que la conscience divine, d'autre part, recherche avant tout l'état d'esprit de l'immortalité, qui est d'ordre supramental, et qui peut attaquer les modèles de la perception humaine habituels, même les plus inspirés. C'est à partir de la création de la nouvelle conscience que la mort finira par perdre du terrain, et il me paraît donc nécessaire d'affirmer avec toute mon autorité virtuelle et gratuite, et rassurez-vous contestable évidemment, qu'un équilibre doit être trouvé entre le travail de la shakti dans le corps, pas toujours agréable en effet, et les états de conscience supramentaux, qui n'ont pas à être menacés, en tant que facteurs d'ananda dans le sujet réceptif, par les difficultés que rencontre le corps physique. La «réussite» dans ce yoga, si l'on ose employer ce terme anthropomorphique (et duel avec son amant l'échec), reviendra au premier qui ne se perdra ni dans les méandres de la shakti divine aux prises avec la matière qui veut mourir - en sacrifiant sa félicité ontologique, ni dans la préservation des états de conscience gratifiants - qui réduiraient le travail pénible mais nécessaire dans les fondations du corps physique à leur plus simple expression. La shakti est tellement puissante qu'on peut tout perdre à s'acharner vouloir la garder, on peut perdre le soi, on peut perdre la plénitude, on peut perdre la communication: bref, on peut «se tromper». Bien sûr, on peut rectifier sans cesse, et utiliser les erreurs pour retrouver le cap, ce qui m'a bien été utile, des dizaines de fois. Les erreurs servent énormément, mais ce n'est pas une raison pour en abuser.

Je confirme, preuves à l'appui en ce qui me concerne, que la shakti entame bien le processus de la mort, mais qu'il est plus prudent de considérer que c'est un sacré morceau, et que le travail est donc interminable. (Huit ans de dépossession de soi-même pour parvenir à un certain résultat, c'est cher, ne l'oublions pas). Pour Mère, il est clair qu'elle a commencé le travail trop tard, en 1956, à un âge déjà respectable, et qu'un tel retour en arrière était impossible, la force d'inertie de la matière imposant son droit de veto, ou la terre n'étant pas prête, ce qui revient absolument au même car tout se tient. Pour Satprem, il est clair qu'il n'a pas commencé assez jeune non plus pour renverser le processus, et qu'il a conservé quelque affinité avec la souffrance qu'il voulait transcender, ce qui l'a peut-être retardé. Après tout, chacun est libre de comparer, de choisir, de se laver les mains, de ces mises au point pénibles entre les soi-disant «précurseurs de l'humanité nouvelle» que Mère, Satprem, et moi-même (plus d'autres, encore plus contestables peut-être) prétendons représenter. Et l'on peut aussi rejeter tout ça, en bloc, les polémiques, c'est une bonne solution, plutôt que se torturer à départager le vrai du faux. L'aspiration pure peut se passer de toute référence envoûtante, mais alors les préférences pour tel ou tel deviennent inutiles et n'ont plus à entretenir des réserves pour tel autre. Nous ne sommes pas des comédiens à qui décerner des prix.

Il faut naturellement réfléchir en profondeur pour comprendre le sens de mon intervention, et deviner toutes les perversions qui accompagnent la notion d'infaillibilité, si elle est attribuée à une personne. Satprem n'a pas à devenir le pape du mouvement supramental, mais j'accepterais volontiers d'être excommunié et traité d'hérétique par ceux qui s'emploieront à cette tâche. Je ne désespère pas assez de la bêtise humaine pour ne pas imaginer quelques intégristes satpremiens oubliant tout du yoga supramental pour se réunir en secret et comploter contre tous les esprits libres, que je représente d'ailleurs avec une éloquence qui poignarde les fanatiques de tout bord, ce que certains ne sont pas prêts à me pardonner. Je trouve qu'aimer Satprem est quelque chose de beaucoup plus pur que de lui décerner une infaillibilité à laquelle il n'a jamais prétendu, et qui nous ferait prendre les traces de son imperfection pour des empreintes elles aussi divines. Dans la foulée, je me permets aussi d'aimer Luc, si nous devions n'aimer que les êtres parfaits, à part le Christ, Mère et Sri Aurobindo, et une poignée d'autres, ce seraient toujours les mêmes qui recevraient notre amour, et ce sont sans doute ceux qui en ont le moins besoin.

J'en reviens donc à mon propre itinéraire, que je ne peux comparer ni à celui de Sri Aurobindo (depuis mon enfance, je n'aurais jamais pu miser un seul kopeck sur une action historique pour faire avancer les choses), ni à celui de Mère, inclassable, ni à celui de Satprem (je me suis très peu opposé, et en revanche j'ai beaucoup adhéré et absorbé, je n'ai cessé d'apprécier). J'affirme qu'il faut inconditionnellement tout accepter, - quitte à réveiller rejets, dénis, blessures, et les faire mûrir puis guérir -, pour entreprendre le yoga de la matière, et descendre dans les non-dits affronter les barrières, descendre dans les douleurs sombres briser les murs des maléfices.

J'affirme qu'il faut rouvrir les plaies mal fermées, pour éviter des abcès à retardement.

Accepter inconditionnellement le réel ne veut pas dire qu'on l'approuve. Mais qu'on cesse de dramatiser. Quoi que ce soit. Le supramental proprement dit ne peut rien dramatiser. Ou alors, ce n'est pas du supramental. Ou alors, il est employé mais tombe sur un os qui lui résiste, une subpersonnalité qui le détourne, et le récupère. J'ai mis longtemps à dissoudre toute dramatisation, peut-être reviendront-elles sournoisement, mais pour le moment je prétends que tout est dans le meilleur des mondes possibles quand on fait bien son boulot. Sri Aurobindo affirme que l'homme est amoureux de sa douleur, c'est-à-dire que l'on trouve des moyens pour ne pas en sortir, parce qu'on l'aime, ou qu'on la respecte... Qu'ai-je à perdre à dire moi aussi, sincèrement, ce que j'éprouve? Je me bats pour la Terre, je suis sur le front... Cela a failli casser plusieurs fois, et en 2004, une voix est montée en moi, très profonde, et sans faire aucun chantage s'est adressée au Divin: «A ce prix-là je ne peux pas continuer... Le jeu n'en vaut pas la chandelle». De la souffrance est remontée, s'est libérée, de gros paquets, par vagues, assez brèves mais puissantes. D'énormes sanglots d'enfant qui vient de perdre sa mère, une lassitude absolue. Mais c'est parti, et quand ça revient, le souvenir VIVANT de cette souffrance, les larmes me montent aux yeux, et ça libère, et oui, il faut, un jour ou l'autre libérer les mémoires trop noires. Il semble que Satprem n'arrivait jamais au bout de ce processus. Qu'il ne savait pas «craquer», ne serait-ce que pour s'accorder un peu de répit. Et tout cela est bien conforme à son thème natal, alors oui, Satprem est allé jusqu'au bout, et ça n'a pas suffi, parce que le supramental, c'est une nouvelle histoire pour l'humanité, un balbutiement encore, et qu'il faut changer d'échelle de valeurs pour le comprendre concrètement. L'hypothèse a bien avancé, déjà. Et c'est ce qui compte.

Il semble que finalement il ait trop enduré, et que la volonté seule ne suffisait plus à faire en sorte que le corps supporte davantage, et il a dû partir malgré lui: il était prêt à endurer plus, encore et encore, mais la «nature» a laché.

En-dehors de célébrer que la chose continue, que «ça» continue et que je le supporte, en-dehors de faire des mises au point harmonisantes dans une intention holistique, (et non pour rabaisser Satprem ou me valoriser à son détriment, ce que croiront les egos supérieurs qui abondent dans nos rangs), il me semble que ce que j'ai à dire devient facilement du bavardage. Restons-en à l'essentiel. C'est possible. L'aventure continue. Satprem s'y est donné à fond, sa vie a retrouvé un sens absolu qui manque encore à la plupart des zorrobindiens endimanchés, des chercheurs d'absolu en pantoufles, de tous ces tièdes et tiédasses pour qui s'impliquer se résume à faire semblant de se jeter à l'eau, tout en observant d'un œil méprisant les mouvements des nageurs, à l'affût d'un défaut de style.

Peut-être sommes-nous quelques-uns dans le vrai bain, qui surnageons puisque nous sommes capables de pardonner au réel d'être ce qu'il est, sans que cela nous empêche de le transformer par l'amour. Dans ce contexte, il est presque obscène que je sois obligé d'arbitrer une controverse sur un homme sans lequel l'expérience la plus fondamentale de l'humanité ne serait peut-être pas parvenue au public, ou bien entièrement édulcorée, trahie, vidée de sa moelle... Bref, chacun fait sa route de mythe fondateur en réalité crue, de cime en abîme, d'éblouissement en noirceur, puissiez-vous accueillir autant ma mise au point que celle de Luc en transformant le fiel en miel: rien n'empêche, le reste, quand ça tombe dans le quand dira-t-on, c'est des commérages de vieilles femmes qui s'ennuient. Lao-Tseu le confirme, quand il me chuchote des commentaires:

«L'hétérogène demeure proportionnel à l'homogène.» Plus l'unité avance, plus la discorde triomphe. Je suis désolé, mais tout le monde a raison, Satprem, Luc, moi et les autres. La vraie chose ne se passe pas sur le plan des dissensions individuelles, libres à vous de croiser le fer pour des vétilles, le Divin apprécie beaucoup, mais l'immense terrain de jeux ne vous accueillera que quand vous accepterez que tous les autres joueurs puissent y entrer aussi, sans votre autorisation, sans que vous leur fournissiez le maillot estampillé conforme. Vous n'avez pas le monopole de la règle, et nul n'a à porter votre uniforme pour y entrer. Qui prétend encore faire la loi du spirituellement correct alors qu'elle a TOUJOURS échoué?


Sur la période de Mars 2001 - Journal rétrospectif




Je savais que je n'avais plus que quelques semaines pour me rétablir et ne pas devenir fou. Je passais depuis le 2 janvier une nuit sur trois, parfois sur quatre, à ne pas pouvoir dormir, tandis que les échanges chimiques de mon corps étaient devenus complètement chaotiques. Rien ne pouvait me permettre de dormir, je devais sans doute produire des quantités invraisemblables d'adrénaline, des filets électriques me déchiraient le dos, des énergies inconnues naviguaient de la tête aux parties génitales en créant toutes sortes de sensations désagréables, les organes internes faisaient un bruit de plomberie, du pancréas à l'intestin, mes poumons s'écrasaient, et si par chance je parvenais à m'endormir, je devais me réveiller immédiatement car les poumons, au bas de l'expiration, ne reprenaient pas leur course vers l'inspiration. J'étais réveillé par l'asphyxie. Des mémoires universelles de frayeur ont été libérées (dont la peur de ma mère pendant les rondes des allemands en 1942, puisqu'elle cachait des juifs), mais pour faire sortir tout cela, j'ai dû endurer bien mieux que l'enfer. Plus la nuit plongeait, plus toutes les terreurs accumulées par l'espèce envahissaient ma conscience, et grâce à un mantra très puissant, je parvenais quand même à tenir jusqu'à l'aube. Quand l'aube se levait, le maléfice parvenu à son paroxysme, s'arrêtait rapidement, et j'allais cueillir l'aurore comme la première fleur. (Je peux me vanter d'avoir compris la symbolique de la lumière directement dans mon corps au bout de ces supplices répétés). J'avais chaque fois une journée pleine d'énergie devant moi, où je montais dans des plans de conscience très élevés, et vers le crépuscule, l'envie de dormir arrivait, et comme la crise avait eu lieu, je savais que cela se passerait merveilleusement bien cette fois. Avant de dormir, mon corps était plein de reconnaissance, une sensation inconnue, la matière biologique rendait grâce à sa manière, c'était comme une prière du corps physique, rempli de gratitude, et je m'endormais.

Mais rien n'arrêtait le cycle....

Finalement (je le raconterai plus tard plus en détail), un jour j'ai su que j'allais m'en tirer. Ce devait être en avril, dans ma voiture sur un parking, la «sensation» que le cauchemar va se terminer s'impose. Naturellement j'ai pleuré un peu, j'étais en quelque sorte «content»... Car la peur qui se formait «de ne pas pouvoir en sortir» avait pris une force terrible quand elle se manifestait: elle s'appuyait sur toutes ces nuits blanches épouvantables, j'avais l'impression que c'est la mort elle-même qui parlait. Mais je ne retrouverai ma vibration, ma note perso, que fin 2006.... Toutes sortes de nouveaux adversaires se sont manifestés après le rétablissement, quand même, et j'ai en eu tellement marre que j'ai cessé le journal pendant trois ans. Pendant lesquelles d'immenses prises de conscience et d'immenses descentes.

Depuis peu, je me suis rendu compte que je ne suis parvenu jusqu'ici que pour une seule raison: j'aime. J'aime principalement trois énigmes qui me nourrissent, le Divin, l'intelligence, la vie (l'ordre de prédilection est soumis à des variations saisonnières). Je n'ai pas eu besoin de suivre une voie. J'avais oublié l'itinéraire, car trop de souffrance entame l'amour, et je n'ai pas été épargné.


15 Janvier 2008


Et cela n'était pas suffisant. Il faut encore, désormais, que je m'aime «moi-même». Tout ça pour dire que mon approche du moi et du non-moi repose sur ma seule expérience, puisque souvent, quand on tient l'un, l'autre s'évapore: le retour sur soi devient prison dans le déni, l'ouverture à l'altérité effiloche la volonté et l'intégrité dans l'osmose gratifiante et cultivée. D'où mon expression favorite: surfer. Se perdre dans l'objet, ce qui menace la mystique floue, ou se trouver en bâtissant les murs de sa propre prison, ce qui pend au nez des jnanins qui coupent les cheveux en quatre, sûrs de leur fait et qui restent «enbullés» dans leur cosmogonie, c'est la même chose: c'est l'histoire de l'humanité à laquelle j'échappe, grâce au grand soleil inconnu, si puissant, si divin, qu'il perçoit la mort comme «remplie de fausseté», c'est-à-dire qu'il s'y attaque vraiment, avec son ondulation supramentale. Mais pour cela, le moi et le non-moi doivent déjà et d'abord s'épauler, et c'est ce qu'on appelle la sâdhana ou la voie. Et elle est difficile, puisqu'on peut se perdre en trouvant la voie: on suit l'itinéraire parfaitement mais sans «âme», avec une obéissance mécanique... Et inversement, on peut perdre la voie en se trouvant soi-même... Finalement l'on prétend se connaître et avoir sorti son épingle du jeu, on s'arrête en chemin, mais le contact exhaustif avec le réel ne s'est pas produit: il aura trop été instrumentalisé (ce qui le réduit) pour laisser apparaître sa véritable nature... Les meilleurs chinois disent: un mouvement yin, un mouvement yang. S'ouvrir et intégrer, s'ouvrir et intégrer. C'est pratique, car cela ne peut pas avoir de terme. Quand on s'ouvre sans savoir intégrer, on plafonne, on imite, on donne des coups d'épée dans l'eau, on ne tire pas de leçons, on rectifie peu, on méprise les cartes, on se la pète en ne jurant que par le ressenti; quand on intègre à tire-larigot sans s'ouvrir, on plafonne aussi, dans un circuit fermé sur mesure, et l'on vit sa vie comme si elle n'était qu'un jeu numérique, un spectacle programmé sur cet écran de console auquel on est accro, «ma vie», et qui obéit inlassablement. On peut prétendre même savoir où l'on va, ce qui prouve définitivement qu'on n'y a rien compris, au barattage que le Divin exige. Le réel finit par s'aligner étroitement sur ce qu'on lui demande de représenter, et il n'existe plus hors du cadre de ce que l'on peut en tirer. On «intègre» avec dextérité tout ce qui va déjà dans son propre sens, et le reste n'a donc pas plus de valeur que des détritus, à moins qu'une ruse ne le récupère pour en absorber le caractère subversif.

Surfer m'a sauvé de l'incarcération et de la dispersion, les deux menaces qui fondent sur l'être qui cherche à se dégager de l'emprise du passé, et la pression supramentale m'a forcé à une navette impitoyable entre le sujet et l'objet, jusqu'à ce que je cesse de les confondre, accepte les pertes de l'objet, souvent considérées comme des défaites, tandis que de l'autre côté, j'acceptais aussi la solitude du sujet, imprescriptible et inaliénable, capable de faire face à toute situation. Je remercie le Divin pour cet entraînement hors pair, que je n'aurais pu trouver nulle part ailleurs, et surtout pas dans le Soi, et qui m'a permis d'inventer une sorte de psychologie transpersonnelle qu'on subodore dans certains de mes écrits. Chacun a tendance à fuir ce qui le gêne, soit en bâtissant des murs et des grilles qui rejettent les embarras dans un domaine étranger, soit en errant à l'improviste sans jamais rien établir, le regard toujours fixé sur l'horizon, avec une désinvolture forcée, afin d'éviter de se souvenir de toutes les casseroles qu'on traîne dans son sillage...

Il est donc nécessaire de se libérer de nombreuses mémoires qui empêchent une ouverture absolue, et concoctent des œillères. Et il ne faut pas en recréer de toutes pièces, en conservant des attachements, ce qui rend le travail presque impossible. Il n'est pas nécessaire d'être un insoumis, c'est encore le contraire de quelque chose, et ça aiguise des dualités, mais ce n'est pas non plus tout le monde qui peut tout accepter sans en être affecté d'une part, et sans sombrer dans l'indifférence d'autre part. Nous avons tous besoin de réagir pour évoluer, réagir au mal, à la souffrance, à l'ignominie, mais la paix supramentale peut s'installer et montrer ces réalités comme les survivances d'un décor à abattre, ce qui permet d'avancer vite, sans se décourager, en libérant l'émotionnel, en nettoyant les écuries d'Augias, en implantant une foi solaire sur des champs de bataille fumants, avec la désinvolture nécessaire pour continuer le chemin la tête haute, alors que la mort ricane de ne pas pouvoir nous contenir dans le spectacle qu'elle nous offre. L'intelligence voit sans recourir aux contraires, et cela doit descendre y compris dans l'état émotionnel pour en finir avec la boue des jugements fratricides et des vérités supérieures qui torturent les plus petites, à jamais. Les grandes vérités sont des inquisiteurs patentés, qui soupçonnent les petites vérités de ne pas être à leur service, et les oppriment: c'est excrémentiel, mais c'est cela qui tient les cultures.

La conscience supramentale ne peut pas «travailler» indéfiniment dans des êtres humains qui se considèrent encore, à un titre quelconque, comme des victimes, d'autant qu'elle est tout à fait capable de dissoudre ce type de compulsions si l'on ne s'y accroche pas. L'hypothèse que Satprem a trop basculé du côté shakti, ou énergie, au détriment du côté purusha, ou conscience, me paraît fondée, au bout de mes trente et un ans de contact avec le Divin, et je ne l'émets pas pour rabaisser Satprem, mais pour donner une explication à son départ «prématuré» par rapport à ses aspirations. C'était une nécessité historique, «creuser vers le bas», et sans doute prolonger une partie du travail que Mère n'avait pas pu faire. Il ne pouvait pas faire autrement. Il est inconcevable de lui reprocher sa démarche, même s'il apparaît moins parfait que Mère ou Sri Aurobindo. Et tout laisse entendre au contraire que chaque explorateur solaire sera aux prises lui-même avec ce curseur mouvant entre les nouvelles perceptions gratifiantes qui passent par l'esprit, et étoffent le moi (un peu comme chez les rishis védiques), et les perceptions inconnues, merveilleuses ou intolérables, qui proviennent du travail de la shakti dans les organes, les muscles, le cerveau, et qui changent la forme de l'incarnation et la manière d'appartenir à la terre. Rien dans le supramental n'est facile, et Luc Venet devrait se demander ce qu'il en aurait fait pour se mettre tant soit peu à la place de Satprem et s'approcher d'une compréhension de son attitude.

Les échecs face à la mort, y compris, peut-être le mien, (je me tamponne de cette question qui revient au Divin Lui-Même), devront servir à une typologie du changement d'espèce, et à éclairer les successeurs. On peut donc s'amuser à critiquer Satprem comme des champions d'échecs refont des parties entre eux, et perdre des heures à se demander si tel coup n'aurait pas été meilleur, (comme par exemple que nous nous rencontriions), mais en tout état de cause, la partie a été jouée. Et les appropriations que nous pouvons nous faire de Satprem, à travers l'intellect, l'admiration, la complicité, demeurent de petites ouvertures, des fenêtres, par rapport à la grande porte d'entrée que chacun peut ouvrir en soi au Divin, en comprenant les implications de l'engagement, dont beaucoup sont des contraintes et des sacrifices. Sur ce plan, Satprem demeure un exemple pour tous, et on ne peut donc l'égratigner que sur certains détails, de petites choses, qui s'emboîtent dans le pourtour d'ensemble: autant dire que les analyses négatives ne servent pratiquement à rien, sinon justement à prendre confiance, car si l'imperfection du «marin breton» est reconnue au lieu d'être dissimulée, c'est notre intelligence qui y gagne, et notre vanité qui y perd. Cela veut bien dire que le supramental n'est pas seulement accessible aux avatars et aux maîtres, mais aux hommes et femmes moins accomplies qui sont prêts à tout pour évoluer.


16 Janvier 2008



Libérer les mémoires... Quand on sait vraiment lâcher prise, le travail se fait inopinément, et d'un seul coup, on peut sentir des résistances qui lâchent. Le subconscient peut apprendre à vomir ses mémoires sales, et il faut l'y encourager. Mais certaines survivances dynamiques, comme le ressentiment, la haine, l'obsession critique, ou le culte mental de la peur (se trouver des raisons d'avoir peur et les justifier) peuvent au contraire poser des verrous supplémentaires.... Bref, à part aimer au-delà de l'objet, aimer indistinctement et inconditionnellement, comme Satprem aimait Mère, il n'y a rien, me semble-t-il, qui mène directement au supramental. Et même la mort, malgré son mensonge, ne me paraît pas haïssable. C'est peut-être la seule force de la nature qui ne s'est jamais trompée. Alors chapeau. On peut lui faire confiance pour ne pas laisser passer n'importe qui à travers ses mailles. Ce sera donc le premier homme ou la première femme divinement parfait(e) qui deviendra immortel(le) dans son corps physique le temps de passer à autre chose, (et non dans son corps éthérique ou astral), mais je doute que quiconque puisse émettre des pronostics fiables sur cet exploit.

Et franchement, cette hypothèse nous concerne-t-elle vraiment... C'est plutôt une pâtisserie fine pour notre ego de luxe. (Votez pour l'homme ou pour la femme)...

Pour le moment, la terre rencontre beaucoup de problèmes, et recrute des hommes et des femmes sincères, qui ne se la jouent pas «j'ai tout compris, c'est aux autres de faire mieux,» mais agissent pour la Conscience. Sans tambour ni trompette. Et sans demande d'approbation.


17 Janvier 2008



Il m'en a coûté de prendre position sur Satprem, mais le Divin en moi a dit d'un seul coup «j'en ai assez des petites phrases !» et il m'a en quelque sorte ordonné de défendre Satprem. Ces petits flashs sont amusants, et doivent constituer une sorte de nouveau pouvoir. La manière dont la phrase se forme est tellement impérieuse, et ce dans un état de clarté mentale absolue, qu'il est clair que la vraie vision pousse un pion sur l'échiquier. Puis «ça» se retire, mais je sais ce qu'il me reste à faire. J'ai l'habitude de ces irruptions, assez rares cependant, et elles mettent toujours un terme à des atermoiements. Alors maintenant je m'attends à tout, mais vu que la vraie guerre, je la mène sur un autre plan, largement en amont, pendant le sommeil, les incompréhensions que je peux susciter ici-bas ne sont pas catastrophiques, et je sais déjà d'où elles viendront, de tous ceux qui ne me pardonnent pas d'être sorti des dualités, et qui aiment pourfendre au nom de la Vérité. La perfidie est le serpent le plus habile que je connaisse, et il ne laisse personne tranquille. Même des êtres évolués, des maîtres, en font les frais, dès qu'un fait s'écarte vraiment de leurs attentes et de leurs conceptions, ils sont capables de sortir des horreurs, le jeu consistant naturellement à les enchaîner dans une telle rigueur que cela prend la forme d'un argumentaire. Alors peut-être va-t-on s'imaginer des tas de choses absurdes, juste parce que j'obéis au principe de réalité, et que je donne une explication (la mienne) à la fin prématurée de Satprem. Nul n'est obligé d'en tenir compte, naturellement, tout dépend à quel niveau on saisit mon discours, et si son intention n'est pas perçue, on passe à côté de la plaque. Or l'intention est claire, je me démarque et prétends que le yoga supramental, c'est AUSSI beaucoup d'autres choses possibles.

Satprem et son cri, c'est son histoire à lui, ce n'est pas la mienne, il y a longtemps que je ne crie plus, parce que personne ne m'entend et que personnellement, cela ne me sert à rien. Et ce qui ne me sert à rien m'encombre. Je dis non au cri de Satprem, pour moi cela n'ajoute rien à la démarche supramentale, et risque même de la pénaliser. Que certains croient au cri, en imitant Satprem, no problem. Qu'on se fasse du cinéma avec des ennemis extérieurs, comme la Mort ou le Mensonge, c'est ok. Pour moi, les seuls ennemis sont intérieurs, car dehors «rien n'empêche». C'est ce que certains ont senti en novembre 73, quand elle est partie, et c'est la seule chose que le Divin me demande de confirmer. Rien n'empêche. Prenez-en à vous-mêmes si le supramental ne vous a pas encore choisi. Le mensonge fait son boulot, la mort fait son boulot, ils ne vont pas commencer à vous cirer les pompes parce que vous avez feuilleté «la Vie divine». Accuser le mensonge, c'est faire son jeu, haïr la haine, c'est encore elle. Les seigneurs des survivances dynamiques ne vous en veulent pas personnellement, vous vous trompez d'adversaire. L'adversaire est en vous, et vous le savez très bien, le mettre à l'extérieur, c'est le meilleur moyen de ne jamais aborder ses démons.

Satprem a fait une avancée incroyable, que je respecte infiniment. N'empêche qu'il n'est pas nécessaire d'avoir le même fichu caractère pour en faire autant, c'est-à-dire s'exercer à l'impossible. Disons pour ne fâcher personne, il n'est pas nécessaire d'avoir le «même profil psychologique» pour en faire autant, c'est-à-dire s'exercer à l'impossible.

Je regrette que les esprits trop carrés ne puissent pas me suivre, puisque je rends un hommage fervent à Satprem d'un côté, tout en égratignant le mythe de l'autre, mais tout cela est fort cohérent, cela s'appelle même des nuances, et sans elles le jugement, c'est un redresseur de torts ou un thuriféraire. On sait que le terme de héros magnifie des hommes exceptionnels, et l'on sait aussi que si l'on creuse derrière leurs exploits, on trouve toujours quelques travers en cherchant bien. Si tel n'était pas le cas, le supramental ne serait pas nécessaire. Nos prouesses politiques, nos engagements sociaux, nos sacrifices auraient depuis longtemps changé la face du monde, toutes nos rues portent le nom de centaines de héros qui n'ont pratiquement servi à rien. Les meilleures révolutions foirent et les meilleures religions échouent parce que la base reste inchangée, c'est-à-dire que la personnalité humaine, en-dessous du mental et de l'idéal, est encore un fauve mâtiné de serpent. C'est cela que le supramental va changer. Et quand on attaque la mort, tous ses valets la défendent, dont l'esprit de démission, son émissaire favori, qui vous fait le tableau de la réalité et vous l'inflige. On continue quand même. J'ai passé plusieurs jours dans les mémoires de l'enfer, la guerre et l'Inquisition, en 1986, car mes «avancées» dérangeaient beaucoup, les «champs» s'acharnaient sur moi, mais finalement ce n'était que des fréquences, et j'ai traversé, mais c'est vrai l'adversaire envoie beaucoup de salves. Mais si l'intérieur ne répond pas, l'ennemi ne peut pas grand-chose. Faut-il donc s'étonner qu'il faille encore des défaites dans un combat pareil, c'est-à-dire des hommes qui meurent, alors qu'ils font tout pour y échapper en s'appuyant sur la shakti divine? N'exagérons rien. Le Divin cherche à se manifester, ça lui est difficile, et il s'agira de renverser le mouvement, compter plus de «mutants» sans doute pour parvenir à des résultats concrets contre la mort physique. Les Sri Aurobindo ne courent pas les rues. Ce qui est souhaitable, c'est une «contagion», et elle n'aura jamais lieu si nous passons notre temps à comparer les précurseurs et à cultiver notre esprit de chapelle dans des querelles de clocher.

J'en ai assez des petites phrases.

Il ne s'agit pas de choisir une pâtisserie, mais de se consacrer à la recherche de la Vérité, qui peut se permettre d'agir dans des individus différents, qui conservent chacun une subjectivité créatrice qui les différencie, et semble même parfois les opposer sur le plan des «formes». Le supramental ne fabrique pas de clones, il ne satpremise pas, il n'aurobindone pas, il ne natarajane pas non plus. En fait, il se moquera de vous tant que vous le prendrez pour un autre, et vous vous moquerez de vous-mêmes tant que vous vous prendrez pour un autre, fût-il meilleur parce que c'est un modèle.


18 Janvier 2008


On pensera aussi que je veux affirmer mon autorité, alors que c'est un concept vide de sens pour moi. Je sais que ça existe, j'ai même été brimé par un «préfet des études» chez qui le sadisme dédouanait les frustrations sexuelles, alors je me suis un peu frotté à cette imposture, et je n'aurai cesse de la combattre. Car tout s'enchaîne. Autorité dit moyen de la faire respecter, et moyen de la faire respecter dit intégrisme. Rien n'est plus facile que de créer des normes, pour inclure les conformes, et exclure les réfractaires. On gratifie l'acte conforme et on culpabilise sur l'acte hétérogène. C'est un système, et sans doute le système originel. C'est vrai qu'on aimerait que d'autres fassent le travail à notre place, et des esprits rusés ont remarqué les avantages extraordinaires qu'on pouvait tirer d'accepter de jouer au «petit remorqueur» avec les indécis. On les tire, ils avancent, et en échange ils se soumettent. Ce système peut à la rigueur marcher quand on tombe sur un Sri Aurobindo, ou sur Amma, car là il n'y a pas abus de pouvoir, ce que je juge exceptionnel. La question de savoir si un «mutant» peut transmettre la Force est très délicate, car cette énergie fait ressortir ce qui ne va pas, et ce qui peut tenir lieu de «darshan» est à double-tranchant. On peut recevoir quelque lumière, mais on peut aussi voir se projeter toutes sortes de compulsions contre le «maître» qui les débusque, si on résiste à sa parole. Voilà pourquoi je préconise autant le travail intérieur, puisque, mieux il sera mené, plus il permettra de jouir des contacts avec des êtres réalisés si on se donne la peine de les rencontrer, et plus il permettra bien sûr de capter physiquement les nouvelles fréquences qui soutiennent le projet divin sur la terre. Moins on a à «réagir», plus on profite des ondulations supérieures. Mais plus on a envie de se laver, plus on est capable de débusquer du savon, où qu'il se trouve, et c'est pourquoi il faut ressasser que c'est à l'intérieur que la chose se passe. Les nouvelles fréquences ne nettoieront personne de force, et il est absurde de les rechercher par principe, si la détermination intérieure n'est pas absolue.

Confondre aide et dépendance est un sérieux problème, et je suis intransigeant sur cette question. C'est prétentieux de faire cavalier seul, et de ne compter que sur soi, et c'est trop facile de se gaver de belles paroles, d'admirer plusieurs maîtres, et de vivre à moitié par procuration, tout en collectionnant des darshan, qui par le phénomène d'entropie deviennent des fétiches et perdent de leur pouvoir.

Je me sens obligé de répéter ce b.aba, car j'ai vu avec compassion se fourvoyer des êtres des deux côtés, ceux qui préfèrent crever que de reconnaître une vérité qu'ils n'ont pas découverte eux-mêmes alors qu'on leur transmet, et ceux qui, pour se dispenser d'être, sont les disciples de trente-six gourous. Il y en a toujours pour faire la fine bouche devant ce qui leur est supérieur (les vaniteux me prennent toujours de haut avec un regard vrillant), et d'autres, au contraire, qui en raffolent tant du supérieur... Qu'ils sont sûrs ainsi de rester tout en bas, pour ne jamais cesser d'aller butiner du plusmieux en levant la tête. C'est parce que je vois en eux le Divin qui prend le chemin des écoliers que je ne craque pas. Sans le supramental, cela me serait intolérable, je jugerais que c'est du temps perdu, ou comme Satprem, je voudrais donner des leçons, mais il s'avère que cette stratégie ne fonctionne pas pour moi. J'ai assez navigué dans la conscience supramentale, surtout de 1978 à 1982, pour flirter avec une intelligence absolue des choses, qui me permet de supporter l'intolérable. L'intolérable est différent pour chacun, et il sert d'aiguillon.

Satprem avait son intolérable particulier, le mien s'effiloche parce qu'il n'est plus nécessaire, et c'est à chacun de trouver son intolérable qui lui permettra d'agir divinement. Il n'est pas plus à éviter qu'à cultiver, c'est un point d'appui. Satprem avait son cri, Sri Aurobindo, ce fut longtemps la condition de l'Inde, Mère avait aussi sans doute son ou ses intolérables, comme Jésus en courroux dans le temple, comme Bouddha, comme Krishnamurti avec la «violence», et je ne partage pas l'idée des brahmanes que le Spirituel ne doit pas s'abaisser jusqu'au contingent. L'Inde s'est perdue dans le clivage transcendant/immanent, il n'y a aucun clivage, aucune séparation entre les deux, sinon sur le plan dialectique, qui est seulement un plan formel du mental. Le Divin est immanent et transcendant, mais Il se porte mieux sur le plan transcendant, et le supramental peut lui redonner la santé dans la Manifestation. C'est la plus grande nouvelle depuis plusieurs milliers d'années, et ceux qui prétendent le savoir, les aurobindiens, commentent la mort de Satprem en se tirant dans les pattes, les notes d'évaluation de sa perfection variant d'un adepte à l'autre. C'est un peu comme le parti socialiste français, finalement. On veut bien partager à condition de ne pas être d'accord. On est plein de belles idées, mais on préfère les hiérarchiser et se battre sur leur ordre, que toutes les accepter, les rassembler et les mettre en œuvre. Il n'y a pas que le vital qui tyrannise, le mental qui coupe les cheveux en quatre pour en....... les mouches a fort bonne réputation chez les français. Or, c'est l'adversaire par excellence, le maître de la précision factice qui empêche toute prise sur le réel. C'est lui qui souligne des oppositions entre deux formes qui participent du même principe, quoi le homard et la langouste la même chose, c'est sacrilège de confondre les deux !...Alors on ne remonte jamais au-dessus, là où les choses se passent, et on peut même s'imaginer, par exemple, que Natarajan dit du mal de Satprem, tout ça parce qu'il n'a pas le même intolérable, et qu'il dit que c'est à chacun de le choisir son intolérable, au lieu d'idolâtrer celui de l'autre. Les intolérables ne manquent pas, de la prostitution enfantine à la vivisection, des parachutes dorés pour saboteurs d'entreprise au budget des armées, chacun peut choisir son intolérable qui lui fera tenir le coup sous les assauts du Mensonge.

En France, on se croit profond dès qu'on propose un duel, dès qu'on soulève une polémique, dès qu'on sépare ce qui tient debout pour accéder à une meilleure performance: c'est le «karma français», qui compromet le gain obtenu par goût de la provocation. La révolution ne suffisait pas, il fallait la Terreur pour la ratifier. En football aussi, les français sont souvent très forts en première mi-temps, et ils croient que c'est gagné. Ils friment devant les adversaires, et leur jettent des œillades méprisantes. Mais ils perdent dans les dernières minutes de la seconde mi-temps, ou pendant les arrêts de jeu. C'est le «karma français». La vanité française diffère des autres, car elle a du caractère. A Auroville, en 1978, les français passaient leur temps à médire des autres communautés. Comme le dit Satprem: «j'aurais été déchiqueté». Moi aussi, je me suis barré, sinon mon yoga risquait de s'arrêter. Cela m'a valu l'opprobre de mon père, fier de vanter son fils aventurier, dans une sorte de kibboutz en Inde. A mon retour, ma légende personnelle ne rejaillissait plus sur lui comme un faire-valoir, et je redevenais un minable. L'échec, c'est l'obsession du bourgeois, et le moyen du Divin.

COMMENT LE YOGA A COMMENCE.

Bien sûr, le problème avec l'intolérable c'est qu'il peut pousser à devenir intolérant, à fonder un intégrisme, et tutti quanti. Pourtant, on peut l'utiliser divinement bien. Mon intolérable, c'était la perspective de l'Apocalypse nucléaire, à cause de la guerre froide. Je venais d'avoir 24 ans en mars 1974, et un peu plus de deux mois avant, le satori avait déchiré mon esprit. Passées les premières semaines d'émerveillement absolu (il n'y avait strictement plus rien à atteindre), je suis resté comme un rond de flanc. Mon illumination n'avait aucun impact franc et massif sur l'extérieur, et je me suis mis à chercher un nouveau moyen, plus efficace, de faire avancer les choses. Comme j'allais déjà depuis plus de deux ans sur des plans spéciaux, dans le sommeil, qui déterminent des événements ici-bas, j'avais l'intention de poursuivre de ce côté-là, mais en 1975, je tombais sur Sri Aurobindo, et après de vraies réticences dans le premier chapitre de la synthèse des yogas, je fus stupéfait. Ce fut une expérience extraordinaire. Je voyais quelque chose qui manquait dans son argumentation, et ça arrivait le paragraphe suivant. Je m'inclinais. Ma mère m'offrira plus tard «la manifestation supramentale» qu'elle avait dénichée miraculeusement. Je ne sentais pas que la chose pouvait m'arrêter aussi vite... C'est donc le Divin qui est responsable de mon statut, moi je cherchais désespérément la pierre philosophale en me levant la nuit et en travaillant mes textes, et je comptais sur mes pratiques du yoga tibétain dans le bardo pour avancer, mais je ne me voyais pas si près du supramental. Je ne me suis remis de l'illumination dans la Conscience suprême, du 10 au 14 janvier 1977, qu'en novembre 2006. Parce que Sri Aurobindo s'est débrouillé pour convertir la Conscience divine en énergie divine, une fois qu'on en est saturé. Pour ne pas reproduire l'expérience des rishis. Moralité, la conscience du dessus est sacrifiée, mais sa trace permet désormais de repartir du bas en aimantant la shakti, soit l'énergie microscopique. Je ne le savais pas, naturellement. J'ai passé quelques jours dans l'Omniscience, la fontanelle ouverte, avec la Mère des mondes qui ne cessait de dégouliner dans la tête, et puis tout est parti peu à peu. J'ai pris des dispositions radicales, comme arrêter la sexualité, cesser le café, et je m'y suis tenu. En février déjà, je n'étais plus que l'ombre de moi-même, tout foutait le camp, puis pendant quatre jours mes cellules ont carrément tournoyé dans un feu invraisemblable. Je ne pouvais plus manger, c'était déjà de la torture à la fin du premier jour, mais je parvenais à dormir quand même. De jour en jour ça augmentait. Je délirais et je me prenais pour l'Inde qu'on divise en deux, avec la création du Pakistan. Je restais presque tout le temps couché, torturé. Le cinquième jour au matin, j'ai dit, je n'en peux plus, il faudrait que ça s'arrête, et ça s'est arrêté instantanément, à la seconde. C'est une des expériences les plus extraordinaires que j'ai vécues. Non seulement le nettoyage intégral, mais la fin, l'arrêt instantané du processus sur ma demande. Incroyable. Et puis la descente vers l'enfer a continué. Des attaques dans le sommeil, réveil avant de casser le fil, in extremis, l'intelligence qui disparaît, plus moyen de lire un livre d'alchimie, plus d'effort intellectuel possible. Finalement je suis arrivé tellement bas que je me suis demandé ce qui m'arrivait. Je n'étais plus rien. Plus aucune force vitale, plus de mental, pas loin de la serpillière bien effilochée. Et là, une voix extérieure, comme celle d'un fantôme, mais à l'intérieur de moi quand même, enfin, j'ai entendu une voix sortie de nulle part, qui m'a dit «tu n'y arriveras pas, c'est impossible»... C'était comme un défi, une interdiction, une menace, et je suis resté pétrifié deux ou trois secondes. Puis je me suis demandé à quoi pouvait bien faire allusion cette voix, et là j'ai compris que tout ce qui m'arrivait voulait dire que je devais retrouver le chemin, c'est-à-dire faire le yoga supramental, et découvrir la shakti, maintenant que le Divin, Satchinananda et le Purushottama, s'étaient retirés. C'est cette connasse de voix malveillante qui m'a indiqué la voie, car à quoi d'autre je pouvais m'attaquer qui soit «impossible», sinon ce fameux yoga supramental que sri Aurobindo avait annoncé? J'avais donc un indice, mais pas moyen de remonter la pente. Impossible. Début août, viré immédiatement de chez un type qui devait me recevoir pendant l'été à la campagne (finalement je crois qu'il avait peur que je lui pique sa meuf) je ronge mon frein, et en retournant dans le midi, sans doute par faiblesse, je décide de me requinquer avec une bière brune, j'adorais la bière brune quand j'avais 18 ans, surtout après la chasse sous-marine. Je veux me payer une petite madeleine pour me remettre de ma déconvenue, sûr de déguster divinement le breuvage, mais il m'a complètement cassé, pratiquement à me traîner par terre, 24 heures hors-circuit. Pas de trace extérieure de la shakti, mais dedans, c'était autre chose, plus moyen de faire n'importe quoi. Quelques jours plus tard, en nageant dans la piscine d'un camping, je sens quelque chose descendre par la fontanelle, et je me dis ouf, quand même, mais ça ne dure pas. Puis les vendanges en septembre. J'étais crevé, totalement, mais j'en avais assez d'être désoeuvré, de dépendre de ma mère après une histoire qui avait mal tourné où j'avais une sorte de travail, et j'ai pu faire les vendanges. A quelques moments, pareil, un filet au-dessus du crâne, dans le style, tu vois on t'abandonne pas, et puis ça disparaît au bout de trois minutes, mais il y a quelque chose. A la fin, il y a une fête, et je refuse les avances d'une vendangeuse assez mignonne, qui ne comprend absolument pas pourquoi. Sa tronche, quand je lui dis «ça ne m'intéresse pas», elle m'a demandé alors ce qui m'intéressait, et je n'ai pas pu lui expliquer, je crois que je l'ai démolie en lui disant juste que Dieu me suffisait, un truc de ce genre, et elle m'a pris pour un malade et m'a laissé. Son désir m'avait quand même pénétré et je n'étais pas beau à voir, d'autant qu'une partie de moi voulait y répondre. Et puis ça se dégrade encore et encore. Me voilà obligé de prendre des bains de pieds en octobre, en novembre, dans une pseudo-communauté, le froid m'attaque et je vais traquer le moindre rayon de soleil vers treize heures. Je périclite. Je n'en peux vraiment plus, je redoute de descendre encore plus bas... Alors que j'ai perdu toute vitalité, toute intelligence, il y a un an ou presque, j'étais omniscient... C'est à ce moment-là que je reçois un remboursement miraculeux de l'équipe que j'avais quittée un an et demi auparavant, dans une drôle d'histoire, que je préfère garder secrète. Le chèque couvrait le billet aller-retour en Inde, et de quoi y survivre quelque peu en se serrant la ceinture.

 

On comprendra que je me fends de raconter la genèse de mon histoire supramentale pour faire passer la pilule de mes réserves sur Satprem, et pour éviter de donner du grain à moudre à ceux qui seraient enchantés que je fusse un charlatan, un imposteur, ou un fou. A ce propos, ne vous donnez pas de mal pour accréditer cette hypothèse, elle a déjà été émise par un de mes amis, vous n'avez qu'à lui emprunter. Il se trouve que le Divin m'a révélé son karma à un moment où il m'a sévèrement attaqué, et qu'il s'agissait de Protagoras d'Abdère. (Juste après son attaque, j'ai lu une traduction dans la Pléïade, le tome sur les présocratiques, et j'ai VU que c'était lui). (Il se voyait lui-même, bien plus tard, en réincarnation d'Epicure, mais je ne sais pas si le même être psychique a pu endosser deux existences pareilles). J'avais beaucoup apprécié son intelligence, il avait quatre ans de plus que moi, et quand on a dix-neuf ans, c'est presque une éternité d'avance. Et il était très kool. Bref, nous avons été très proches longtemps, nous ne nous sommes jamais perdu de vue jusqu'en 1995. Le fait est qu'en 1977 j'eus le malheur de réunir mes amis pour évoquer l'expérience supramentale, d'ailleurs juste avant que je périclite, et naturellement C. était là. Il n'a pas pris très bien la chose, alors que je le serinais déjà depuis trois ans avec le Soi, mais nous avons continué à nous voir. Pendant des années, il a eu une position extravagante. Il restait calme, et partait dans sa tirade, si mon évolution venait sur le tapis, avec un léger accent du midi qu'il était le seul à posséder de cette manière-là, et il la peaufinait de temps en temps. Bref, il disait «ou bien, ok, d'accord tu as touché le supramental, mais je ne peux pas le voir, ou bien...» et là il développait que ça pouvait être autre chose, par exemple de la schizophrénie. Le manège a duré une dizaine d'années, «ou bien ou bien», mon évolution semblait toujours pouvoir confirmer aussi bien une hypothèse que l'autre. Un jour, je m'en souviens, c'était dans ma cuisine, je commençais à en avoir assez, et surtout je ne comprenais pas qu'il puisse tolérer ce doute permanent, qui était sincère. Je lui dis, «mais quand même C, c'est physique ce que je sens, je pourrais te décrire des centaines d'expériences, ça dure depuis dix ans, si ç'avait été bidon, je m'en serais aperçu, quand même !» Mais C est resté imperturbable, avec cet air narquois qu'il devait déjà maîtriser en Grèce pour clouer le bec à ses contradicteurs, et avec un petit air entendu, comme si c'était une évidence à laquelle je devais me résoudre, il m'a affirmé «mais ton esprit peut très bien inventer tous ces symptômes !». Là, j'ai compris qu'il n'y aurait plus rien à faire, et je l'ai accepté, je l'ai bouclé, ce type n'en avait rien à foutre de savoir qui j'étais, et c'était un «ami». J'ai tiré l'échelle, je n'ai plus insisté, et parfois c'était désarmant, il me lançait: «si tu es vraiment ce que tu prétends, transforme-moi !». Mais il ne voyait pas que cela ne pouvait dépendre que de la confiance qu'il m'accordait, et qui était absolument nulle. Pendant toute cette époque, me trouver en présence d'une personne qui doutait de mon expérience et qui en avait entendu parler, déclenchait automatiquement une sensation désagréable à l'estomac, et pouvait empêcher la digestion. Les intestins déconnaient vingt-quatre heures. La présence pas même hostile suffisait, il n'y avait même pas à débattre. Le rejet avait une incidence physique directe, on ne s'étonnera donc point que je n'aie pas insisté sur mon contact avec le supramental pendant de nombreuses années. Si c'était au risque de souffrir pour rien, il valait mieux se taire. Maintenant c'est différent.


Donc, nous voilà fin 1977, et je m'achète un billet pour l'aéroport international le plus proche à l'époque de Pondicherry, soit Colombo. Je rencontre par hasard dans l'avion, ce 14 décembre, un ingénieur de mon âge, qui compte aller lui aussi à Auroville, et on fait un bout de chemin ensemble. Je devais continuer à plonger encore plus bas, mais cette fois avec d'autres moyens, car l'enfer n'est jamais à court de nouveaux supplices, ce qui fait, d'ailleurs, son charme. Le soleil me revigore avec la chaleur, et voilà que je me lâche... Je tire sur un joint d'herbe colossal dans la guest house de L'YMCA (tous les routards connaissent) tout en jouant sur la guitare du tentateur. Je ne tarde pas à sombrer après les quelques minutes de high, et vais m'étendre. Là, je suis absolument persuadé que je vais mourir. Convaincu. C'est fini. Il est temps de dégager la piste. Pas la peine d'insister. Je ne regrette rien. J'ai vu le grand soleil onze mois auparavant, il m'a laissé choir, ok, no problem, je l'ai vu quand même, je ferai mieux la prochaine fois. Ce n'est pas la peine d'insister. C'est bon, j'ai mon compte de toute façon. Me traîner comme une bête depuis dix mois après avoir passé plusieurs jours avec la mère des Mondes et le Purushottama, ok, ce n'est peut-être pas ici que ça se passe, allons voir ailleurs si j'y suis, j'ai dû me tromper d'adresse. Je me prépare à mourir en paix, assez content de mon parcours, je ne lutte plus. Mes parents sont passés à côté de moi sans me voir, ma sœur encore pire, je ne suis plus vraiment avec ma compagne depuis un an, on ne me regrettera pas tant que cela. Je me transforme en plomb, je m'abandonne, je ne veux plus rien, je ne m'en veux même pas d'avoir fumé, ça s'est presque toujours bien passé, donc, ce n'est pas de ma faute, c'est autre chose. La fin, ça s'appelle. Je m'assoupis, j'attends. Je me dis que c'est une parano, que ça va passer, mais le corps est las, vraiment las, peut-être que quelque chose a envie de partir?

Et voilà que mon plexus solaire s'ouvre démesurément et que tous les sons deviennent ensemble une symphonie polyphonique en stéréo. Les cris des gosses, les bruits des mobylettes, des cars, tout l'environnement devient une sorte de symphonie pastorale en vrai, mais j'apprécie les notes quand même, et ça monte et descend, et moi je deviens tout ça, je me répands, je me dilate, ça chauffe au milieu de la poitrine, c'est hors du commun, ce n'est pas la mort, mon neveu. Je reste. Mais comme cela faisait déjà longtemps que j'étais devenu un zombie, le fait de survivre à ma parano ne m'apporte même pas beaucoup de satisfactions. Enfin, je continue ma route, et là je dois bien reconnaître que je suis vivant. Je m'arrête à Hikkaduwa, qui sortait de terre, sur la plage, il y avait quelques routards, dont une sirène blonde à couper le souffle, qui se baladait les seins nus, avec une poitrine d'une rare beauté, et qui me demande de lui passer de la pommade dans le dos. Avec un grand sourire. Fidèle au poste, à mon engagement suprême, je crois que j'y suis parvenu en faisant la gueule et en pensant à autre chose, en oubliant ce que vivaient mes doigts, ce que je trouve aujourd'hui ridicule, car me rapprocher de cette beauté m'aurait sans doute ramené à l'existence, et bien remis sur pieds. Bon, j'ai toujours eu des principes stricts, et je parviens à reprendre la route en croyant que j'ai sublimé mon désir... Et nous voilà un soir sur la côte est, vers noël, c'était avant la guérilla des tigres tamouls, et là, c'est comme un complot cosmique en quelque sorte. Une nuit étrange tombe, avec une lune bizarre elle aussi, avec plein de petits nuages transparents et rapides qui l'escortent et la protègent. Des centaines de méduses blanchâtres, du diamètre d'un ballon de football, dévalent à la surface, opalescentes, sous un pont qui relie la mer à une sorte d'estuaire. Tout se noie dans une atmosphère glauque, pas du tout lugubre, mais moite, comme un sauna, et je ne sais pas trop ce qui se passe, toujours est-il que je regarde la lune quelques instants, peut-être que je repense à l'éclatante beauté de la scandinave, que sais-je, c'est comme si je me mettais à fondre. Je suis dans un cul-de-sac, j'ai trouvé au bout du monde ma sablière, le tunnel qui m'attendait depuis toujours pour m'engloutir, le terminus c'était là, le fond, plus bas ce n'est plus possible. C'était un rendez-vous prévu depuis des éternités, la drôle de lune, les méduses énormes, le vent comme une caresse érotique qu'on ne souhaite pas, et mon année à ramper comme un vers qui se conclut enfin par un truc logique: l'échec d'Icare. La vie est là, et elle ne demande qu'à me récupérer, tout peut rentrer dans l'ordre, no problem... Je ne comprends plus, je craque doucement, je n'aspire plus à rien, plus à rien sauf à du plaisir, de la femme, du shit peut-être, lézarder en sirotant de la bière et en souriant aux filles, l'idée prend forme et se développe, devient théorème, tend vers la praxis, un emploi du temps paisible, dormir, séduire, aimer... Ce n'est pas une sorte de vengeance d'avoir perdu le Divin, non, c'est qu'ici-bas tout se vaut, allez, tout se vaut, va, j'aurai une vie aussi bien remplie en me laissant définitivement aller, pourquoi lutter? Peut-être que personne n'est jamais monté si haut, en tout cas à cet âge, pour me retrouver un an plus tard à moitié-mort, vide, déshérité, abandonné de tous, écrasé, sans énergie... Pourquoi lutter dans des conditions pareilles, puisque la vie me tend les bras, la beauté des femmes, les crépuscules nacrés, pourquoi demander plus? La vie n'offre-t-elle pas tout ce qu'il faut, il suffit de penser à soi au lieu de penser au supramental, pense à toi, tu ne l'as jamais fait vraiment, tu ne sais pas ce que c'est, cette fois, vas-y, vis pour toi... Et je rumine cela pendant des heures, dehors, espérant même, et redoutant autant d'ailleurs, qu'une fille de joie se balade dans le coin et m'accoste. Je ne m'en veux même pas, j'en suis là... C'est tout. Je n'ai plus de béquilles pour me dire que demain ça ira mieux, cela a l'air de se jouer maintenant, la lune exige une réponse. Je n'ai plus de bouc émissaire pour mettre ça sur le dos de quelqu'un, d'une force, d'un coupable qui tomberait bien, et je n'ai même plus une once de honte à me mettre sous la dent, tout est clair, la lutte c'est terminé, c'était un truc d'ado, le chevalier est revenu des croisades et on lui a piqué son château, il n'a plus rien le bougre, on ne le reconnaît même pas. C'était à moi tout ça, la conscience suprême, les jours de pétillement intense dans la fontanelle, l'Omniscience, oui, c'était. Imparfait, on dit, dommage, parce que ce passé-là, il était justement parfait, alors il aurait dû durer davantage. Non, tout m'a échappé, tout m'a glissé entre les doigts, même ma propre vie, elle ne m'appartient plus. Je suis une sorte d'animal qui sait qu'il est là pour se reproduire, et ce n'est pas désagréable, ça, au moins, ça tient debout, on ne peut pas se tromper: c'est bon. Au bout du rouleau, à 26 ans. Avec un satori en bonne et due forme à 23 ans, j'ai dû aller trop vite sans doute, la vie me rattrape, elle me veut, elle veut m'enserrer, c'est le retour de l'élastique, c'est une femme adorable la vie quand on a 26 piges, jalouse parce que je la délaisse, je lui préfère Dieu, l'imbécile, elle m'aimera elle, l'autre il s'est barré. Elle ne me demandera pas d'exploits. La vie veut me prendre, me cajoler, mais je dois oublier TOUT LE RESTE... Même les nuages complotent en passant devant Séléné. Elle émet un rayon jaunâtre, elle joue avec moi comme un chat avec une souris................Renonce et je te donnerai tout... C'est doux, entêtant, et surtout, c'est là, pas comme le supramental qui est loin derrière et sans doute loin devant. C'est là, en rayons, je prends tout ce que je veux dans le magasin, et la caissière me laissera sortir sans payer, en prime.

On verra demain. Naturellement je n'ai rencontré personne, et le lendemain j'avais repris mes esprits, si l'on peut dire, en tout cas ce qu'il en restait. J'étais encore soutenu par le souvenir des jours divins, je n'étais ni triste ni gai, ni ici ni ailleurs. J'étais nulle part, mais je n'étais plus très loin du lieu où j'en aurais le cœur net. J'ai cherché la force qui s'était permise d'essayer de me séduire et de me pervertir, je crois qu'il y avait un rapport avec la lune, et puis il y avait surtout un type qui était saturé à ras bord d'expériences, de souffrances et d'extases. Le bas avait nivelé le haut, le vitalogramme atteignait le calme plat, je voulais vivre à l'horizontal, ça résolvait tous les problèmes. Un type qui n'avait tellement plus rien à perdre que n'importe quoi pouvait sembler un trésor, pourvu que ça existe.

Mon compagnon de voyage et moi nous nous sommes perdus dans Auroville la nuit du 30 décembre, peut-être même celle du 31, drôle de passage, et on a couché dehors, pas loin du Matrimandir, et on a eu froid. On a dormi sur une sorte de tertre. Puis je ne me souviens plus de rien jusqu'au miracle. Je vais à l'ashram, au samadhi, là où repose Sri Aurobindo, et je m'assois, assez ravi d'être arrivé à bon port. Je ne cherche rien, je ne me plains pas, j'écoute, je contemple. Nous sommes le 1er janvier 1978. La componction des indigènes qui se font tout un cinéma avec leurs simagrées autour de la tombe est à mourir de rire, la plupart prie avec la tête en oubliant tout le reste, leur identité, leur corps, leur cœur, ce qui donne l'impression d'un manque de sincérité général, partagé dans la ferveur superstitieuse, et je sens tout le poids de la religiosité indienne, mais je ne suis pas là pour faire de l'anthropologie. Et puis, cela arrive, en quelques secondes je suis comme regonflé. Je me compare à un pneu dégonflé qui vient de recevoir de la pression. Mon année de souffrance est balayée, et me voilà en pleine forme. Et dire que j'aurais pu sombrer moins d'une semaine avant, et finir comme Baudelaire, en tout cas m'enliser... In extremis, je sens que désormais je vais remonter la pente...


19 Janvier 2008


J'ai été marqué au fouet pendant un an à Auroville par les «gossips», et c'est peut-être à cause de cela que je ne veux pas que ça reparte avec la controverse dont je cause. C'est tellement idiot de ne pas faire ce que l'on a à faire, chacun, pour critiquer l'autre, qui, en général, ne demande rien à personne, que c'est décourageant d'avoir affaire aux êtres humains... Comme cela serait plusmieux que tous les aurobindiens soient d'accord sur tout, le 19 sur 2O à Satprem, le rôle de la prison dans la conversion de Sri Aurobindo, et la bonne idée que Mère a eu d'épouser Paul Richard, la «qualité de vie» à Auroville, hou la la, clonons-nous, pensons tous la même chose avec ce qui nous reste de mental... Et excommunions les non-conformes !Quoi... Tu oses penser que Satprem ne vaut pas mieux qu'un 15 sur 20, bourreau, les fers s'il vous plaît... Cet hérétique pense de travers, il menace notre communauté parfaite. (Je me lâche, c'est la culture web, droit au but et sans concessions, et je me sens tout jeune, autant en profiter, merci Satprem, merci Luc).
Je me trouve assez en forme d'avoir créé la formule

L'échec est l'amant de la réussite.


20 Janvier 2008


Il y a de drôles d'énergies autour de cette controverse, alors j'abandonne. Savoir ce que l'on a à faire. C'est déjà pas mal. J'ai rajouté mon petit grain de sel, et puis la vie continue, certains vont être soulagés, d'autres contrariés, that's life. Elle me comble, j'apprends, j'observe, j'apprécie. Why not? C'est vrai que c'est amusant de raconter par quoi l'on est passé, ça peut servir à certains.

Ce concept que l'on participe, sans savoir exactement à quoi d'ailleurs, c'est gentil. Chacun creuse sa taupinière avec ses obsessions, ses attachements, ses préjugés, ses trucs à régler, on absorbe le non-moi pour vite en faire du moi conforme à ce que l'on est soi, et on s'imagine «participer». C'est vite dit. Je participe à la quête de la lumière, et dès qu'elle est trop obscure pour moi, je le manifeste. «La lumière doit être au moins à ma hauteur à moi. quand je pense à quel point la lumière des autres est obscure, je suis bien obligé de faire la loi que je sache.» Toute la french communauty faisait là-dedans ou presque en 1978, à Auroville, la cité de l'avenir fraternel universel. On jouait à la pétanque le soir à Aspiration après avoir démoli deux ou trois communautés de looses, culpabilisé un nouveau, et piqué du fric pour un projet à un visiteur, qu'on congédiait sèchement une fois qu'il avait raqué. Ah !mais Auroville, ça se mérite... On le sait, d'ailleurs, la vérité est française depuis 1789, on ne va pas revenir là-dessus. Envoûtés par l'arrogance, la présemption et l'orgueil, qui font un excellent ménage à trois, les français pétaient presque tous plus haut que leur cul, et faisaient des concours pour aiguiser une saine émulation. Ils venaient de créer leur club Méditerranée pour échapper à la vie sociale en France, mais ils avaient une charte sous le bras, un mot de passe, un laisser-passer: «Auroville n'appartient à personne». C'était vachement pris au pied de la lettre. On se ruinait pour faire une jolie petite maison, sans ostentation, juste bien quoi, et si l'on partait trop longtemps, elle avait un nouveau propriétaire quand on y venait s'installer définitivement. On ne pouvait pas y revenir. «Qui va à la chasse perd sa place» aurait dû faire partie des statuts, qu'on sache à quoi s'en tenir, mais non, c'était le secret des anciens, savoir qu'on pouvait piquer une installation dès que l'arrivant, fier de son œuvre, repartait trop vite se refaire un peu de blé. Les nouveaux n'entendaient jamais parler de cette magnifique tradition.

C'était intéressant, les allemands, ils faisaient, les bougres. Les anglo-saxons, c'était moins net, mais ils s'occupaient, eux aussi. Les français étaient les plus branleurs de tous, et pour tromper leur ennui, ils disaient du mal des autres, après avoir sillonné le territoire assez vaste. Le plus marrant, c'est qu'Auroville possède une énergie spéciale, alors les gossips étaient chargés eux aussi. Certaines phrases malveillantes, à force de passer de bouche en bouche, devenaient des munitions. Si on les recevait mal, si on y résistait, on était blessé, si on les approuvait, on se portait mieux, on entrait dans l'aura de la rumeur. C'était un monde occulte, avec de nouvelles formes de sortilèges. Et tout le monde ou presque s'enfonçait là-dedans la conscience tranquille, on se croyait dans la vérité à colporter de petites infamies sans fondement, et une bonne partie d'Aspiration, presque tous français, ressemblait à des magiciens noirs malgré eux. Ils ne savaient même pas toute la nocivité qu'ils véhiculaient, ils croyaient faire le monde, et attaquaient tous azimuths. Ils se renforçaient mutuellement. C'était une meute de bien-pensants solidaires, barbares, qui s'enivrait d'affirmations péremptoires, décochait des flèches empoisonnées en en tirant du plaisir, comme n'importe quel petit caporal borné qui se fait les dents sur les bleus. C'était infect. On adorait un nouveau veau d'or: l'action. Dès qu'on bougeait le petit doigt, soit surveiller quelques ouvriers indigènes, soit faire une petite démarche de rien du tout pour sa communauté ou Auroville, on «travaillait dans la matière». On s'en gargarisait, on se montait en épingle, on se branlait devant la glace avec ça: je travaille dans la matière. Cela résolvait tout, «nous, on travaille dans la matière» (une ou deux heures par jour?)... Sous-entendu, tu es un pauvre con, tu n'es par rentré dans le rang, tu n'es peut-être pas à ta place. Va donner des ordres aux tamouls, au moins, si tu veux faire partie de la bande.

Tout cela ne m'a pas empêché de commencer le yoga là-bas, je me prenais seulement leurs décharges de ressentiment, voire de haine, et j'avais des ruses pour que cela ne m'atteigne pas trop longtemps, comme nager par exemple, faire beaucoup de vélo, même dans le bout de chemin de sable avant chez moi, ça demandait un certain effort. Vu d'où je revenais, grosso-modo du néant, je n'allais pas faire la fine bouche, mais bon, l'entropie, elle est là aussi. Quand finalement ça devient usant de vivre au milieu d'un troupeau d'inadaptés sociaux qui se tirent entre les pattes, et se donnent le change avec trois fois rien, comme dans n'importe quelle secte, quand une menace pèse, il faut savoir battre en retraite. Je voulais vraiment faire ma vie à Auroville, not possible. Plus moyen de sortir un peu de ma communauté sans que j'apprenne qu'il y a une nouvelle tête de turc, un nouveau problème, un litige inédit, un conflit qui enfle, une rivalité pour obtenir des fonds, etc... Ce qui avait semblé quelques mois un paradis s'était progressivement transformé en enfer: j'étais initié, en quelque sorte. Peu me chaut qu'on trouve mon jugement sévère. On espérait le supramental depuis des milliers d'années, j'étais en droit d'attendre que le lieu qui célébrait officiellement son retour fût peuplé d'apprentis sages, de chercheurs d'intégrité, de mystiques. La quantité de ces personnes-là était très faible, et les jobards pullulaient. Auroville, tel que c'était à l'époque, correspondait à une utopie d'anarchistes récalcitrants, en aucun cas de soldats d'Agni. Il était même suspect de laisser entendre qu'on pouvait avoir une expérience spirituelle. Avant même de dire que cela vous enchantait, on aurait essayé de vous virer au motif que vous vouliez devenir gourou. L'autorité à Auroville, ça a toujours été l'ego: c'est le plus fort qui résiste. Pratiquement tous les meilleurs sont partis. C'est une affaire qui marche... Et beaucoup des leaders révolutionnaires se sont diablement enrichis, Balzac devrait y aller faire un tour, on rigolerait bien. Je n'en veux à personne, mon moi était trop plastique, adaptable, yin, protéiforme, scotché au moment. Dans toutes les adversités, j'ai appris la nécessité de la différenciation, du retrait, de la plongée dans l'ombre intérieure des déceptions, et j'ai la satisfaction, pour moi-même, d'être devenu un maître du Tao, dont le supramental est une manifestation inespérée. Sans lui, je risquais de plafonner. Je dois tout à Mère et à Sri Aurobindo, puis au combat et à la guerre. J'étais trop yin. Les femmes et les coups m'ont donné le yang, que soient bénis mes adversaires et mes amours.

Dans les grands moments de cette année magique, il y a eu des coups de frein proportionnels à la poussée, et pour confirmer Satprem sur ce point, je vais donc encore évoquer l'état de vulnérabilité absolue qui s'installe. J'ai déjà évoqué l'histoire du faux Sri Aurobindo. Dans le même stye, je vais une fois sur la plage de Pondi, à la jetée, et je ne sais pas pourquoi je m'identifie à une routarde, qui parlait avec sa copine, une fille vive, sans attrait, et qui ne semblait pas très intelligente à la vulgarité de ses mimiques, elle devait être à trente mètres, elle faisait tout pour ne pas regarder vers moi, et je ne sais pas pourquoi, d'un seul coup, je me mets à sa place, et je me suis dit «pour elle et des tas d'autres, ce que je vis ne peut pas exister, c'est tout bonnement impossible». Alors comme si j'étais entré en elle, je me suis nié moi-même, je me suis vu de l'extérieur, comme par ses yeux, et j'ai perdu plusieurs jours le contact avec la Force. Je ne suis pas un comptable, peut-être cinq jours ou une semaine, mais ça m'a marqué. Une autre fois, je tombe sur un article de Nolini, dans la librairie près du canal, qui stipule que puisque Mère n'est pas parvenue à survivre à son yoga contre la mort, cette entreprise est ajournée jusqu'à ce qu'elle revienne sur terre. Là, vraiment, j'ai été confronté à l'essence de la bêtise. La bêtise pure. Son âme en quelque sorte. Se prévaloir de connaître les choses suffisamment pour décréter une telle ineptie, il faut être idiot. Nolini était donc resté dans des coquetteries mentales. Sans doute un fond de mentalité indienne, qui ne peut vivre sans représentations, de peur de se perdre. Les hindous font dans leur culotte s'ils n'ont pas une armée de points de repère, c'est peut-être du mental génétique, c'est effarant. Du coup, les maîtres qui parviennent au Soi, quand ils abordent le sujet des périodes d'incertitude qu'ils ont dû traverser, je suppose que ça doit faire méchamment la gueule, ça fait désordre, l'incertitude, ou il faudrait qu'elle soit certifiée conforme. Ils doivent pouvoir s'en tirer en disant que l'incertitude fait partie de Dieu, et qu'elle n'entame pas la foi, et on rentre à la maison, et on ajoute sur l'autel où il y a déjà une bonne douzaine de divinités la poupée du petit dernier. Elle deviendra le seigneur de l'incertitude, on lui fera des petites prières pour apprendre à douter de son chemin, si cela doit le raccourcir et le favoriser. On veut bien la traverser, par politesse, l'incertitude, mais on doit savoir avant... combien de temps elle va durer.

Je ne sais pas ce que Nolini a voulu combler en prétendant une idiotie pareille, mais mon estomac s'est recroquevillé, j'ai reçu un énorme coup de bambou derrière la tête, je suis resté k.O deux ou trois jours. Mais le plus fort, c'est suite à ma déclaration. En fait, c'était quand même un peu difficile, parce que la nuit je me battais à tout bout de champ dans l'astral, on voulait d'autant plus que je crève que je m'étais installé sur un terrain paumé, où il n'y avait jamais eu personne, et qui avait été marabouté, il y en avait encore les traces de la pudja autour de quelques briques. Dès la première nuit, des combats terribles. J'en avais rien à foutre, mais pendant une bonne quinzaine je ne savais pas si je me réveillerais le lendemain. Ce qui fait que j'étais tout guilleret le matin, mais quand même. Bref, un jour je suis tarabusté par un membre de la communauté, qui me cherche des poux sur la tête, alors que je faisais déjà un max, tout mon fric partait déjà dans des projets, mais le type en question savait comment avoir toujours raison, il devait travailler ça depuis une centaine de vies. Bref, il dépasse les bornes, alors je prends le groupe à témoin, et je leur dis, «les gars, maintenant vous me foutez la paix, parce que j'ai passé la trame, c'est difficile, je fais le yoga de Mère.» J'ai dit avec une certaine conviction, et tout le monde ou presque s'est écrasé. Mais un des jours suivants, j'ai croisé X, qui n'y croyait pas, et qui a marmonné dans sa barbe en passant à côté de moi, sans doute en proférant des insultes. Là, ce que j'ai pris, ça m'a cassé pendant trois jours. A ramasser à la petite cuillère, moi j'étais, avec une brûlure au milieu de la poitrine, et des coups de poignards subtils dans le plexus, et j'ai pensé pour rigoler à St Barthélémy. Mais comme j'étais tout content d'être un jeddaï, et que le force travaillait comme une folle dans le cervelet et les jambes, je trouvais que ce genre de choses faisait partie du décor. Je suis resté sous une cloche de plomb pendant trois jours.

J'étais très heureux, mais c'était quand même difficile, le pire étant les arrivées inopinées de Shankar, un français vraiment adorable, qui suivait tout ce qui se passe, et qui parfois venait tailler une bavette avec l'autre zouave qui avait toujours raison. Et Shankar savait raconter tout ce qui se passait. Il arrivait parfois avec une telle colère contenue que je me prenais ça en pleine poire, et ma journée était foutue. Ça me prenait au ventre, ça y restait, mais je pensais à autre chose, je bougeais, et ça finissait par disparaître avant la nuit. Il rongeait son frein, Shankar, il n'en pouvait plus parfois, et il dégageait tout ça, parce qu'il avait un très beau vital, qui irradiait son mécontentement, et comme l'autre zouave adorait les commérages, si j'étais pris entre les deux feux, ce n'était pas triste. Le fait est quand même que Shankar avait raison sur bien des points, mais qu'est-ce qu'on pouvait faire? Je me souviens que c'était comme un kibboutz ma communauté, elle ne payait pas de mine, il y avait un immense hangar plein d'amiante dans le toit, quelques cases, une cuisine conséquente, et une grande table dehors. Mais à cette époque, il y avait plein de types qui étaient là sans argent personnel, dans cette communauté ou dans d'autres, et donc les groupes recevaient le fameux «panier» de Pour Tous, avec de la nourriture. Deux fois par semaine, je crois. Et des fois il y avait trois fois rien... Et Shankar n'en pouvait plus parce que Z se faisait ses œufs au bacon tous les matins, dans sa sorte de propriété, la conscience tranquille. (L'idée de Shankar c'était sans doute qu'il aurait dû refiler des œufs de son poulailler, mais l'autre il se les gardait pour lui, c'était ses poules). L'inégalité est le principe même d'Auroville. L'argent y règne, mais par toutes sortes de ruses, c'est dissimulé, tourné autrement, la variété est constructive, et donc c'était merveilleux, on pouvait tout se permettre à Auroville, no problem. Il fallait juste apprendre à être poignardé dans le dos, jugé et condamné, puis réhabilité, et trouver tout ça normal. C'était merveilleux si on avait assez de tripes, si on supportait un des climats les plus pourris de la planète, plus de deux mois de pluie non stop, avant noël, et un mois et demi de canicule, qui embrasait tout le mois de mai. Je me souviens de l'initiation à la chaleur, on s'imagine que l'air, par définition, ça rafraîchit. C'est faux, passé quarante-deux degrés, c'est pire avec le vent, et des fois il y avait des bourrasques, on se croyait dans une fournaise. Je me réfugiais dans mon réservoir de flotte, c'était amusant. Et puis l'été, on pourrait penser que c'est agréable, mais non, il pleut peu, la chaleur ça va, mais il y a plein de saloperies qui traînent, et on voit des angines, des furoncles, des tas de bactéries, et de petits virus. Il y a des dysenteries, des amibes quasi inexpugnables (j'ai déjà donné), les fruits et les salades, si on ne les lave pas avec une dilution de teinture d'iode, on prend des risques. Les jus de fruits donnent la diarrhée. Les auroviliens sont des héros aussi, mais pas dans le spirituel, dans leur manière de se battre pour avoir une autre vie, il n'y a rien à redire de ce côté-là, là où ça foire, c'est l'amalgame entre la vision de Mère et leur engagement terre-à-terre, ils se battent sur un front purement matériel, voient des adversaires partout, ce qui est loin d'être faux, mais le yoga intégral, avec la big ascèse intérieure, franchement ce n'est pas leur truc. Alors je crois qu'il y en a plein qui ont craqué, comme moi, car ils étaient venus pour un trip plus profond, plus inclusif, et ils n'ont pas pu partager grand-chose. Alors un jour, soit on pète les plombs, soit on dit merci pour tout, Auroville, j'ai compris que la vie était un combat, et on se casse, sans rancune normalement, et libéré d'un mythe irrespirable.

C'était à un moment où j'y croyais encore, le yoga était vraiment bien parti, alors je me fends d'écrire une lettre assez détaillée à Satprem, parce que ça se faisait, et que des billets de sa belle écriture calligraphiée arrivaient régulièrement à quelques-uns. Pas nombreux, mais ça pouvait se faire. Ma lettre lui est donc parvenue, et je lui donne des détails pour qu'il soit assez difficile d'échapper à l'impression que je fais vraiment des expériences supramentales. Loin de me vanter, j'explique les difficultés, mais que je tiens bon. Le fait est là, le cervelet est pris souvent plusieurs heures, je dois parfois impérativement dormir, les moindres manifestations du mensonge me terrassent des heures ou des jours, mais ça a lieu. J'ai trouvé la piste, cette connasse de voix qui m'avait susurré que c'était impossible, jusqu'à ce que j'identifie ce que ça pouvait être, cet impossible, m'a indiqué le chemin. Elle aurait mieux fait de se taire, peut-être que je me demanderais encore ce que j'ai à faire. J'attends quelques jours. On est à table, et le billet m'est remis, devant tous les gars, on devait être sept ou huit. Le grand zouave attendait goulûment que je lise ou je commente, pour faire la tournée des communautés avec la dernière de Satprem, mais j'ouvre le billet, et ferme ma gueule. Et je ne risquais pas de l'ouvrir, ma gueule. La moindre des choses à laquelle moijepersonnellement m'attendais, en m'adressant à l'expert, au spécialiste de la question, au confident de Mère, c'est qu'il se donnât la peine de me dire «ok, mon petit, viens boire le thé qu'on parle de tout ça.»

Que nenni, my god. Un quatrain laconique, un koan Zen de l'époque classique, un truc de 4 lignes qui pouvait tout dire et ne rien dire. Maintenant que j'ai vu le thème astrologique du breton, je comprends mieux, le Scorpion y est puissant, la lune noire est en 7, la relation à l'autre est donc difficile, auréolée de mystère, à double tranchant, ce n'est pas facile comme position. Bref, moijepersonnellement tombe des nues, le type, il aurait du bondir de joie dans ma petite tête, à l'idée que l'expérience de Mère continuait, et vérifier vite fait, m'encourager le cas échéant, mais non mon neveu. Les quatre petites lignes me ramenaient à la case départ, et il aurait pu les adresser à n'importe qui, c'était du pareil au même. Alors ça fait bigrement mal. Je me tuais à faire ce yoga et le seul type qui pouvait me donner un coup de main se tire les pieds. Bref, il était question d'un lac, agité à la surface, mais dont les eaux profondes restaient calmes. Sybillin de chez Harry Potter. Cela pouvait donc vouloir dire, au choix, que je fantasmais parce que je n'étais pas assez comme il faut à l'intérieur, calme, silencieux, and so on, autrement dit, passe ton bac d'abord, on verra plus tard, ça pouvait vouloir dire, mon petit tu as des progrès à faire, il faut que les choses t'atteignent moins, ça pouvait vouloir dire moi je sais de quoi il en retourne et pas toi, vu la froideur du billet. En tout état de cause, ça voulait dire, quelle que soit l'option: pas la peine de sonner à la maison, j'ai mieux à faire, et c'est là où je ne suis pas d'accord. Je respecte, mais pour moi, Satprem n'avait pas mieux à faire que m'accorder un entretien. A une époque où l'on ne sait même pas qui va pouvoir continuer le boulot de Mère, et qu'on est le plus concerné par la question, c'est fordekafé de balayer ça d'un revers de main, de s'en tirer avec quatre lignes passe-partout, cela aurait dû faire tilt. Mais non !C'est inadmissible, mais je l'ai vite accepté, naturellement, chaque journée était d'une telle richesse, que je n'ai pas insisté. J'ai dû rester k.o sur le ring, mais sans émotion. Le grand zouave n'a pas osé me demander ce que j'en pensais, du petit billet, ni personne d'autre. Une claque par-ci, une claque par-là, jusqu'à ce que je comprenne que je suis seul. Vu mes 3 planètes en Poissons (soleil, lune et Mercure) et l'ascendant taureau, un mars gouverné par Vénus, il fallait me sevrer, il n'y a pas d'autre hypothèse. Me sevrer. Le mec il était trop en osmose parfaite avec l'univers, c'est impardonnable, il faut lui apprendre à se désynchroniser, il faut qu'il morde la poussière, qu'il parvienne au concept de dualité, parce que son unité est inadmissible. Sinon, il va tous nous absorber.

A force, j'ai compris. J'ai trouvé le supramental, il m'a trouvé. Au-delà de cette affirmation réciproque, tout est possible, que je reste le seul à continuer, que je transmette, que d'autres trouvent, trouvent et continuent, trouvent et s'arrêtent, que d'autres s'imaginent que c'est ça, alors que c'est le diable ou seulement le bon dieu, peu me chaut, il ne manque pas de narcissiques, de mythomanes, d'affabulateurs, de mégalos, de manipulateurs, qui se ruent sur le concept supramental, parce que, effectivement, c'est ce qu'il y a de mieux, et c'est un produit de luxe qu'on peut s'acheter gratis avec l'imagination. Le mot est une bombe, de simples psychologues s'en emparent et forment un club pour promettre le supramental à leurs ouailles... Ceux qui s'entichent de Sri Aurobindo et Mère, souvent, se croient les seuls à tout avoir compris, et dignement, ils s'enferment dans leur supériorité, en ne s'ouvrant presque plus aux autres, censés forcement en être moins loin, et ils font la fine bouche sur Natarajan, ce qui les rassure sur leur propre sort, en guettant avec l'âme du redresseur de torts un passage de mes écrits qui pourrait leur permettre de m'abattre, au lieu de se laisser emporter, sans effort, à contempler mes peintures en phrases en se laissant faire. C'est tout ça qu'il faut avaler et vomir, régurgiter, en acceptant, disant oui, ok, ce n'est pas grave, je continue quand même. Il y en a plus de cinq cents qui ne me reconnaîtront jamais, parce que je ne leur ai pas demandé l'autorisation d'arriver là sans eux, parce que ça les emm.... que j'y parvienne avant et que je voie leurs failles, et qui finalement auraient préféré que le yoga finisse avec Satprem: ils auraient pu nourrir le mythe, se considérer dans le saint des saints, commémorer et tourner en rond... Alors que je continue, et que j'affirme que c'est possible, qu'il ne faut pas renoncer, ni passer sa vie au cimetière, ni refuser le réel.

Rien n'empêche...

Que c'est l'histoire de la terre, et non celle de notre réalisation perso, dont le Divin n'a strictement rien à faire, bien que ça aide naturellement.

Rien n'empêche.

C'est votre amour-propre qui est blessé par le départ de Satprem, on voulait y croire, on était dans le bon groove. Mais c'est vous qui comptez, et comme moi, vous recevrez des claques et des coups... Tant que la leçon ne sera pas apprise.











































































































JOURNAL SPECIAL WEB. (Blog 2008) Où l'auteur, lassé des nouvelles terrestres tristes, se fâche et se lâche.

(L'adaptation est la clé de la serrure quand la porte résiste aux coups de pieds, de hache, de massue, au feu du chalumeau et de l'incendie, et qu'il suffit de tourner le loquet pour l'ouvrir.)

Baraka (maître de Nasrudin)

Natarajan cesse de se montrer tiré à quatre épingles comme dans les principes de la Manifestation ou Cosmophilosophie, et, sans vergogne, il porte un nœud papillon sur son torse nu, des souliers vernis, et un bermuda à fleurs, pour se discréditer définitivement auprès des formalistes, des rationalistes, et des jaitoukompris, abondants dans les eaux cosmiques, qui ne lui pardonneront jamais un style aussi leste, vulgaire, direct et prétentieux, et surtout méprisant pour leur sainteté ésotérique.


23 Février 2008


Je n'en reviens pas d'avoir commencé un nouvel essai en Malaisie. Cela s'écrit tout seul, j'écris à la main, c'est plus naturel pour le premier jet. Ce sont dans des moments où je sens à quel point je suis en avance, et avec une clarté absolue, je me permets d'avancer que tout a préparé le supramental et c'est finalement cela qu'on cherchait à travers «Dieu», l'humanisme transformateur, tous les idéalismes. C'est tellement évident que c'est presque fastidieux d'écrire tout cela, alors j'en profite pour présenter le travail spirituel sous un jour assez complet. Cela ne peut s'écrire qu'au moment où le sentiment que la vie doit devenir divine est absolument intégré à ma perception de base, et j'ai l'impression que c'est ce qui m'arrive. Mon état est de plus en plus naturellement tourné vers le supramental car le corps physique sent et apprécie presque tout le temps son action, et une sorte de sensibilité qu'il rajoute, mais qui demeure indescriptible. J'ai une vision très claire du fonctionnement du cerveau, qui ramène l'intelligence à des positions contingentes, dès que la peur ou le désir se manifestent dans l'environnement. Je comprends l'avantage de vivre en circuit fermé, mais certaines compulsions peuvent rester au fond, sans être sollicitées, et l'aventure vers l'extérieur est donc plus intense, plus contrastée, plus enrichissante. Peut-être que je travaille spécialement pour les gens particulièrement ouverts et réceptifs, c'est possible, c'est ma structure, puisque finalement je suis plus mystique que sage, bien que les deux aspects collaborent maintenant. Je serai utile au moins à ceux qui ont le même profil psychologique, des yeux immenses, des oreilles fines, de grandes capacités de déplacement intérieur ou extérieur, de multiples intérêts dans l'altérité, et le besoin profond de changer la vie.

Je ne veux pas décréter que ce modèle de tempérament est meilleur qu'un autre, mais je rappelle que le supramental se perçoit sur le plan physique, et que la réceptivité est un excellent outil pour capter ce qui se passe sur terre au niveau énergétique. Ce n'est pas impossible que les quelques premiers mutants représentent des tempéraments archétypiques pour lesquels ils travaillent en priorité, en exposant ce qui va avec les qualités, les angles morts. Les personnes très centrées conservent longtemps des scories d'amour du pouvoir, et les personnes adhésives par excellence ont de la peine à découvrir l'indépendance d'esprit absolue. Il doit y avoir d'autres types de fonctionnement, d'autres modes de proportion, mais dans tous les cas de figure, l'enjeu demeure le même, que le moi serve le non-moi, dont le Divin est le sommet, et que le non-moi serve l'évolution de l'être psychique, qui est l'aboutissement de la Manifestation.


5 Mars 2008


J'ai été un peu fatigué par le retour de cette mini-bronchite à droite, et cela a suffi pour couper mon élan vers l'écriture du journal, tandis que le texte commencé en Malaisie s'est écrit presque sans moi. J'en ai profité pour faire du mantra plus souvent, et hier j'ai relu un morceau de Savitri. En fait, je vois à peu près la même chose, mais je l'expose de manière dialectique. Il est clair que si certains lecteurs peinent à comprendre le concept de «signifiants vides» que je viens de créer, ils seront aidés par la lecture de Savitri, où Sri Aurobindo revient inlassablement à la fois sur les limites du mental, et sur les imperfections de ses créations. Je crois que vers la fin du livre je brosse un tableau quasi exhaustif de ce que peut être une préparation au supramental. Je devais rectifier le tir, parce que le paradigme envoûte tout le monde, enfin, ceux qui ont une grande sensibilité (l'empathie leur permet de souhaiter ardemment une révolution terrestre) et ceux qui possèdent une grande intelligence, et qui savent par le perçu spontané, sans efforts, que le langage, et donc la pensée, masquent le réel au lieu de le découvrir. Or, beaucoup de ces personnes, qui ont de réelles capacités, peuvent avoir quand même tendance à oublier un aspect essentiel: la nécessité de servir le DIVIN, indépendamment de tout résultat, avant de prétendre le gagner. J'en reviens toujours au fait que la voie spirituelle est un alpinisme particulier. Dans une ascension concrète, la moindre erreur pénalise, et sans la vigilance et l'habileté vous êtes un homme mort. Dans la démarche spirituelle, le mental est si prégnant, qu'il se rassure sans cesse sur sa «consécration», alors qu'elle peut être relativement superficielle, et l'on peut se donner le change sans danger, en s'appuyant justement sur des échafaudages, des constructions intellectuelles, qui n'ont rien à voir avec la véritable qualité du perçu.

Or, je ne peux pas laisser dégénérer le mouvement sous prétexte que je n'ai pas d'autorité ou que chacun est libre. Je ne suis pas un camelot non plus, comme Lacan, qui pour créer son propre discours hermétique, a prétendu faire un retour à Freud, ruse d'un dominé qui va lécher les babines du dominant pour mieux lui piquer sa place par la suite. Non, ce n'est pas pour défendre le politiquement correct en imitant Sri Aurobindo. Il se trouve que le Divin dont il parle est réellement tellement au-dessus et tellement puissant à travers les quatre shakti, que le seul moyen d'approcher ce mystère, c'est de l'aimer et de le respecter, avant même de le connaître, à tel point qu'il n'est plus là pour seulement nous permettre, à nousjeperso, de nous réaliser. Il est peut-être nécessaire d'être possédé par un idéalisme brûlant pour s'offrir correctement au supramental, et saisir qu'il est une nécessité absolue pour l'espèce, pour ne plus l'assimiler à quoi que ce soit de religieux, ou d'égocentriquement spirituel. Le supramental n'est pas fabriqué pour l'humain, c'est peut-être l'inverse, en supposant qu'il y ait assez d'hommes pour se lasser de leur statut actuel, pour se lasser vraiment, ce qui permet d'entrevoir chaque instant différemment, comme une béance aléatoire vers d'autres absolus qui nous guettent. Le supramental laissera de côté ceux qui le veulent pour eux-mêmes, pour tirer leur épingle du jeu, et je crains fort qu'un développement mental soit nécessaire également, parce que la manière de saisir le réel par le développement du champ de l'intelligence libère de la conscience matérielle et spatio-temporelle. Une ouverture vers l'immensité passe par l'amour de toutes les informations qui nous cadrent dans notre époque, nous plantent dans une culture terrestre, nous enracinent dans une Apocalypse ou un âge d'or, en fonction du principe de synchronicité. Ressentir ce qui arrive à la terre, maintenant, deviner la transformation en cours, rapproche du possible, et, dans cette mesure, même les éléments pérennes de la Tradition sont dépassés, parce qu'il se passe quelque chose, qui est indépendant des itinéraires spirituels du passé.

Sri Aurobindo avait bigrement les yeux ouverts sur le monde, puisqu'il voulait même libérer l'Inde coloniale, il n'est donc pas tombé dans le panneau de l'Inde spirituelle bien pensante, pour laquelle la vie est trop proche de l'ordure pour que ce soit pertinent de vouloir la changer. Il ne faut pas oublier l'immense dette de ce pays vis-à-vis du Divin, puisqu'il est arrivé que des brahmanes, jusqu'au dix-huitième siècle, censés vivre dans la confidence de Dieu justement, punissent de mort des intouchables dont l'ombre avait croisé leur silhouette. Le mépris de l'autre y est institutionnel et toute forme de hiérarchie est sacrée, la femme est benoîtement mise sur le même pied que la vache sacrée, si l'on exagère tant soit peu pour faire rire d'une situation intolérable, à laquelle on ne peut rien changer rapidement. Aujourd'hui l'Inde tombe complètement aux mains du mensonge, ses dirigeants adorant le veau d'or et se partageant un immense butin entre quelques familles seulement, avec une nouvelle classe de nouveaux riches m'as-tu-vu particulièrement répugnants, (même vus comme déguisant le Moi universel plutôt qu'en tant qu'individus libres, on les croise dans les hôtels moyens et ils respirent la suffisance, leur regard vous annule s'il rencontre le vôtre), tandis que les intouchables croient encore beaucoup trop à leur statut pour le faire voler en éclats, bien que quelques femmes s'y mettent, parce qu'elles échappent aux abstractions sacrées. L'ashram de Pondichéry recelait aussi beaucoup de l'âme indienne, infiniment procédurière et tatillonne, qui ne se rassure qu'en interprétant les choses, alors qu'elle prétend aimer l'expérience, ce qui sonne assez faux. Elle est dépourvue de l'habile simplicité chinoise, qui aime ajuster ses actions à des fins, sans ostentation, elle manque de la confiance dans l'avenir, propre à l'âme occidentale, qui est certes un piège, mais également un moteur d'initiative, et elle est attachée à ce qui est supérieur, ce qui la prive du regard horizontal, et lui permet de trébucher en permanence sur les choses matérielles, pour mieux regarder le ciel, une fois qu'on est étalé par terre. Je ne sais même pas si Satprem a exagéré sur la fin tragique de Mère, mais l'effet que me faisaient les hindous de l'ashram, quand j'allais au Samadhi, c'est qu'ils étaient tous déguisés, et qu'ils essayaient d'épater la galerie. Les meilleurs devaient sans doute se planquer, et j'ai déjà évoqué le coup de poignard de Nolini pour reporter aux calendes grecques la transformation. Le mental hindou est si puissant dans certaines provinces que peu d'indigènes en disposent, comme s'ils étaient manipulés par leur histoire, l'incroyable diversité des cultes religieux, le véritable zoo de leur panthéon, les innombrables voies d'accès au transcendant banalisées dans des bandes dessinées, les grands saints devenant des batman et des superman dans l'imaginaire des enfants, qui disposent de centaines de légendes édifiantes à leur disposition. Distinguer le mythe de la réalité devient un exploit, parce qu'ils s'imbriquent l'un dans l'autre et se renforcent mutuellement, ce qui donne finalement l'impression que tout est boursouflé, prêt à éclater, saturé. La vie est foncièrement rigide, ce dont on se venge dans les temples où des statues bariolées et innombrables, de couleur vive, chantent une vie divine joyeuse.

Le besoin d'adorer Mère semblait tellement faire partie du décor qu'il est bien possible que certains souhaitaient sa mort, d'autant qu'elle n'en finissait pas de vivre, juste pour avoir le plaisir de lui rendre grâce, de la diviniser, ce qui restait impossible de son vivant, et annonçait une cérémonie sans précédent, un grand partage tribal de luxe. Sri Aurobindo semble avoir dû lutter jusqu'au bout pour faire reconnaître Mère comme son égal, elle avait eu le malheur de naître ailleurs, elle est restée une pèce rapportée pour beaucoup, ou une sorte d'intendante, et Satprem s'est trouvé être l'homme providentiel qui sauverait l'expérience nouvelle de Mère, et permettrait à l'Occident, aujourd'hui tourné correctement vers le Divin, de profiter d'un message que les hindous, généralement, déconsidèrent, car il n'a pas fait ses preuves. Si l'on ne me croit pas, qu'on s'intéresse de près à l'Inde, qu'on discute avec les indigènes. Ils vous diront tout le mal qu'ils ont eu à choisir leur Ishta devata, leur dieu sur mesure, parmi la bonne vingtaine à disposition si l'on ne garde que les meilleurs. Alors, comme chacune représente Dieu, et pas davantage le préféré, on l'entoure de tous les autres, de manière à ce qu'il devienne difficile de s'y reconnaître, et qu'on ne sache plus à quel saint se vouer. Au moment de mettre l'accent sur quelque chose, l'esprit hindou a peur de rater un autre point aussi important, ce qui fait qu'il se régale à pédaler dans la choucroute. Son grand rêve, c'est de tout préférer, et que le détail soit aussi décisif que l'essentiel, et il en rêve la nuit. Moralité, bien qu'il prétende à s'élever jusqu'à Dieu avec une panoplie d'échelles inépuisable, il passe son temps à astiquer les barreaux avec des liturgies malheureusement prises au sérieux, même chez des esprits supérieurs. L'idée que la forme est importante bouffe l'esprit hindou, à telle enseigne par exemple qu'il existe un rite où l'hôte qui reçoit prépare un fritchi conséquent pour le visiteur, alors qu'il est indispensable que l'invité n'y touche pas (une question, encore, de relations hiérarchiques sans doute). «Regarde, je me mets en quatre pour toi!»... «O merci, il ne fallait pas, et tu sais bien que je n'ai pas le droit de toucher à la nourriture». «C'est ton choix, moi je ne peux pas t'accueillir sans me donner l'impression que je vais bien te traiter!». «Et moi, je ne peux pas manger le plat que tu m'as préparé parce que cela voudrait dire que je suis ton égal». Je dois projeter, sans doute, je n'y ai rien compris, et d'ailleurs je ne suis ni sociologue ni anthropologue. Je ne me vois tout simplement pas préparer un plateau-repas pour quelqu'un qui n'aura pas le droit d'y toucher. «J'ai fait du homard, aujourd'hui, mon cher, et il va très bien avec ce brut millésimé, je vous en prie servez-vous». «Ce serait avec plaisir, mais nous avons parlé du problème, et il est temps que je vous quitte... sans façon».

Natarajan, tu manques de finesse...

On peut ainsi choisir Krishna, le seigneur de l'Amour dans la tradition populaire, mais où cas où les affaires tourneraient mal, ce serait dramatique car sa protection ne suffirait pas, et donc, sans aucun scrupule, on le flanque de Ganesh, le seigneur des obstacles, qui doit veiller au grain afin que la famille ne soit pas ruinée. Ce serait snob d'oublier Hanuman, qui a sauvé Rama, le grand ancêtre, et il y a au moins un poster où l'on voit sa poitrine ouverte comme pour une opération à cœur ouvert, ce qui ne le dérange pas le moins du monde, et choque pas trop parce qu'un singe divin peut tout se permettre. Il faut du féminin, et sont disponibles Kali, Durga, Parvati, Lakshmi, Saraswati, plus leurs dérivées locales, et ce n'est pas tout. Que penserait Shiva si on le tenait à l'écart? Alors, il faut qu'il soit là, à la rigueur sous la forme de Nataraja, moins sévère, ou de Nandi, son bœuf, qui peut ainsi tenir compagnie à Hanuman. Comme cela est quand même laconique, et un peu trop classique, l'autel digne de ce nom comporte plusieurs photos de saints contemporains, toujours selon le principe qu'il vaut mieux ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et on attend de leur regard lumineux quelque grâce particulière, comme si le fait de les «reconnaître» allait transférer jusqu'à la maison leur pouvoir spirituel, d'autant qu'on pense à toute la bande à des heures fixes, car il ne s'agit pas de déroger quand même. Le panthéon surmonte tout, et dès qu'on pense à un dieu, cela en amène un autre, automatiquement, parce qu'ils se serrent les coudes, ne cessent de se croiser dans le Mahabarata, et qu'il ne faut pas faire de jaloux. La sobriété, en matière religieuse, ne peut exister en Inde, et si un Dieu possède une bonne dizaine de noms selon les phases de son action, on a la chance de pouvoir le célébrer dix fois en changeant l'étiquette, ce qui n'est pas négligeable. Il faut en quelque sorte se noyer dans ce qui n'est pas là pour nager dans ce qui est. Il est probable que la mentalité hindoue et la mentalité chinoise représentent deux opposés, l'une économe, presque avare de représentations, toujours à l'affût du réel «qui se passe», l'autre pléthorique, dévorée par l'imagination et donc l'atermoiement, prête à tout pour trouver que l'abstrait est meilleur que le concret et que le haut l'emporte sur le bas, alors que pour que le jaune, ils sont complémentaires. Les faits n'intéressent pas l'hindou, et il ne peut donc les critiquer en les regardant tels quels. Ils s'inscrivent dans une logique culturelle ou psychologique, ils ne sont bons qu'à supporter des intentions, mélanger des buts, habiller des concepts, et on les soupçonne d'avoir toujours une part maudite cachée. Ce qui ne va pas concrètement ne touche pas l'hindou, et le renvoie à ses croyances.

Le chinois n'hésite pas à s'abaisser si cela peut lui être utile, l'hindou est fier par définition, convaincu de la supériorité de sa culture, et que Dieu est avec lui, il fait tout pour ça; et s'il a la chance d'appartenir à une des deux classes supérieures, il suppose que la vie lui a remis clés en mains la vérité pour son usage perso, à condition que sa liturgie soit impeccable... En fin de compte, on n'a plus rien à faire, puisque tout le travail spirituel est remis à ceux qu'on admire, vénère, adore, sous prétexte que soi-même on ne fait pas le poids. Cette forme de lâcheté institutionnelle est confondue avec l'humilité, ce qui fait que ce peuple qui pense à Dieu en permanence n'est pas capable de voir les choses en face, puisqu'elles se rapportent toujours à d'autres considérations... Leur conformité aux règles liturgiques, aux dogmes scabreux et contradictoires, aux interdits culturels qui foisonnent, à l'habitude, à la coutume, à un règlement parallèle qui peut saper celui en vigueur, de manière à ce que l'action soit toujours la plus douteuse possible, et que la considération, l'opinion, le jugement, soit le plus jouissif possible, et scabreux pour sembler profond, vu que tout va de travers et qu'il faut en débattre pour harmoniser les erreurs.

Véridique, et tant pis si vous croyez que j'en rajoute. 1983. Le trafic aérien était encore potable. Je me pointe avec mon billet retour Delhi, Bombay, Paris... à Bombay. Le jet est parti avant de Delhi où je ne l'ai pas pris, et je compte donc y monter à l'escale de Bombay. Impossible. J'argumente, «ok, je devrais déjà être dans l'avion, mais il s'arrête cet avion et je n'ai qu'à monter dedans, je ne demande pas le remboursement du trajet escamoté, je veux juste le prendre». Impossible. Il fallait le prendre à Delhi. Pont final. «Oui, mais il est là, l'avion, et je suis sur qu'il y a de la place.» Ok, monsieur, mais pourquoi vous n'êtes pas parti de Delhi? «Je n'allais pas repartir à Delhi alors que j'étais plus près de Bombay quand même, puisque l'avion je peux le prendre en chemin vu qu'il fait escale.» Oui, mais vous n'avez pas à le prendre ici votre avion. «Ok, mais moi je sais qu'il y a de la place et que je n'ai qu'à monter dedans et qu'il vous suffit de dire oui.» Non, monsieur, c'est un billet Delhi, Bombay, Paris, et non Bombay Paris... Je croyais être dans un cauchemar, parce que le cirque a duré un bon moment, alors j'ai fait un scandale, et j'ai obtenu de voir en personne le directeur de l'aéroport, après une demi-heure de pourparlers inutiles. Il avait l'air d'un petit rongeur pléthorique, heureux, jovial, bien en chair, petit de taille, style écureuil épanoui, et j'ai recommencé ma plaidoirie. «J'ai manqué le début du trajet, mais l'avion est là, je ne savais pas être dans mon tort, ce n'est qu'une fâcheuse erreur qui ne change rien au fait que mon siège m'attend pour le vrai parcours, et j'aimerais bien y monter, je suis sur qu'il y a de la place». Avec un grand sourire, comme s'il était certain que cela allait me faire plaisir, après avoir regardé le billet comme s'il était pestiféré, il me dit, désolé, non, vraiment désolé, vous auriez dû monter à Delhi, c'est impossible que vous embarquiez ici. «Mais enfin, je suis sur le passage, mon billet est valable sur cet avion-là, qu'est-ce que ça peut faire que je monte à Delhi ou à Bombay? Delhi, c'est trop tard, Bombay, c'est ici, et l'avion fait escale, et il y a des passagers qui montent, mon siège m'attend». Le sourire augmente, l'empathie tombe à zéro, ce n'est pas un problème pour lui que je doive racheter un billet, trouver un hôtel dans la nuit, le seul vrai problème c'est que je devrais être déjà dans l'avion, et que je n'y suis pas. Je me demande comment un truc pareil peut se passer, ça dépasse mes capacités de compréhension. «Ne me dites pas que c'est impossible, dites que vous ne voulez pas me laisser monter!»

C'était quand même le grand patron, et il ne comprenait pas que je refuse d'accepter de perdre mon billet, vu que l'autorité suprême de l'aéroport me disait que je le méritais bien, et que je devais me réjouir de me repentir de mon erreur, au lieu de regretter que l'avion parte sans moi à moitié vide, avec le billet correspondant pour les 9/10 du trajet. Pour lui, la bêtise était irréparable, j'avais k monter à Delhi, on n'allait pas rattraper ça en me laissant passer quand même, trop facile, trop clair, trop net, trop spontané, et les lois alors, hein, vous en faites quoi des lois, vous? T'aurais dû prendre ton avion à Delhi, et il n'y a pas à sortir de ça sous prétexte que tu peux y monter maintenant, que je sache! Et c'est pas parce que tu peux le prendre ici que ça change que tu aurais dû le prendre ailleurs, si tu veux le fond de ma pensée... Ah mais, où va-t-on si on se met à simplifier et résoudre les problèmes au lieu de respecter le règlement?

On a bien dû passer vingt-cinq minutes, et il ne cédait pas, toujours souriant aux nouveaux arguments que je pouvais lui soumettre. J'ai dit que je n'avais pas d'argent pour me payer un nouveau billet, sourire, il fallait monter à Delhi, j'en étais bien conscient, croyez bien que je regrette mon erreur, vous mettre dans un tel embarras, c'est de ma faute, sourire mais surenchère de sa part «Je suis désolé que vous ne soyez pas monté à Delhi, c'était une fausse bonne idée de prendre l'avion en route, ici, c'est pour les billets Bombay Paris, vous comprenez... , et vous en plus, il y a le trajet Delhi Bombay, qui exigeait l'embarquement à Delhi!» Finalement, je l'ai bien regardé dans les yeux, je lui ai dit, en montant le ton (j'étais jeune à l'époque et exaspéré): je monterai dans cet avion, en ambulance s'il le faut, mais je prendrai mon avion, et j'ai fait mine de partir furax, la tête baissée, comme si je ruminais une ruse pour être rapatrié tant j'avais l'air décidé. Je crois d'ailleurs que j'allais continuer à me battre jusqu'au bout, quitte à déplacer la police et faire une crise simulée de démence. Cela l'a un petit peu ramené à la réalité, zut alors, elle existe, pas moyen de s'en dépêtrer de la réalité, il va le faire ce petit enfoiré, il va feindre une embolie pour rentrer chez lui, ou déranger le consul... Alors il m'a dit: bon d'accord, si l'agence qui vous a émis le billet vous laisse passer, vous prenez votre avion, on envoie un fax à Paris. «Bien sûr, monsieur qu'ils vont me laisser passer, je l'ai payé ce billet, l'avion est là, et il est conforme le billet, sauf que je ne fais pas tout le trajet, c'est tout... Pourquoi voulez-vous qu'ils me renvoient prendre l'avion à Delhi alors que c'est trop tard, et en amont?» Il a envoyé un fax, et naturellement, l'agence, ouverte grâce au décalage horaire, ne s'est pas opposée à mon départ, ce qui fait que le petit rongeur est devenu tout vert et tout penaud, mais il a gardé le sourire du type qui ne se trompe jamais et qui reçoit un mauvais coup du sort en traître, comme si c'était surprenant, inédit, miraculeux et incompréhensible que ma place existe encore alors que je ne l'occupais pas depuis le début. Je l'ai remercié chaleureusement, avec une certaine condescendance quand même, qui lui a sans doute donné le sentiment d'être rétrogradé d'une ou deux castes et qu'il avait perdu la partie malgré son acharnement à me faire payer mon erreur de parcours. Plus d'une heure et demi de perdue, alors qu'il suffisait de me laisser passer et rattraper mon vol; de considérer que mon siège était mon siège, que je commence à l'occuper ici ou là, vu que l'avion était accessible. Il y avait de la place, les voyageurs de Bombay attendaient d'y monter, ma méprise ne changeait rien, ne compliquait rien, je m'étais juste trompé de gare en aval, et bien non, il fallait annuler le contexte réel, se moquer éperdument que je reste en rade et me ruine pour trouver un nouveau billet, un hôtel, un départ rapproché, un aller simple. Le fait essentiel était que je me permette, crise de lèse-majesté, de vouloir occuper mon siège plus tard que prévu! Bravo, l'Inde, tu ne déçois jamais, tu fais tout en grande largeur, la bêtise, la misère, le génie spirituel, la religion, l'hypocrisie et la superstition, l'égoïsme surtout, c'est tout démesuré. On apprend chez toi que tout est permis parce que tout est interdit, et qu'il suffit de choisir si l'on vénère le bien ou le mal, mais il faut vénérer. Le reste, c'est encombrant. N'empêche que j'ai vu l'Inde sous un autre jour, et que j'ai compris que, sans menace, on m'aurait empêché de partir. J'étais vraiment content dans le jet du retour, mais n'ai pas compris comment le petit rongeur pouvait faire pour manquer d'empathie au point de préférer me forcer à rester à Bombay et perdre mon billet, plutôt que me laisser le passage d'une facilité absolue. J'y ai pensé une bonne partie du trajet, et je me suis même dit que des types comme cela, il y en avait beaucoup beaucoup, et que c'était peut-être un des problèmes sur la terre: la schizophrénie certifiée conforme. En Inde, elle est plus vivace qu'ailleurs, puisque grâce à la dégradation de la religion, le réel et le religieux sont coupés l'un de l'autre. Le meilleur dévot ne peut rien éprouver au spectacle d'une rue où des milliers de femmes et d'enfants meurent de faim, c'est Dieu qui l'a voulu. On comprendra que, n'ayant pas la même opinion, je ne peux admirer les autels domestiques où les symboles des dieux sont entassés, choyés, adorés, alors que les hommes qui jouent à ça ont des relations fermées avec tout le monde. Invité chez des brahmanes (le chef de cabinet d'un ministre) j'ai vu ce dernier parler à sa femme comme à un chien, qui restait debout derrière lui pendant qu'il mangeait, tendue vers la moindre demande de sa part. Heureuse, paraît-il, de s'effacer pour son seigneur et maître, ce qui, avec un bon entraînement d'hypnose est sans doute possible. La religion tient sous cloche tout un peuple, et ce n'est pas si étonnant que pour en finir avec cela, certains tombent dans l'excès opposé, le modèle occidental, l'athéisme et l'alcoolisme, qui frappe de plein fouet les nouveaux riches depuis 1990, à peu près, où j'ai vu des débits de boisson s'ouvrir à Delhi, qui ne désemplissaient pas, les bourgeois actifs s'arrêtant en coup de vent, descendant de leur auto neuve, pour passer d'une hypnose à l'autre en achetant à la va vite une bouteille de whisky, pour laquelle ils éprouvaient la trace de la vénération ancestrale vouée aux dieux.

C'est un monde renversant, qui rend facilement fou le suisse ou le scandinave psychorigide qui débarque à brûle-pourpoint à Bombay ou Calcutta, et qui finit en psychiatrie, ce qui n'est pas vraiment rare. Car la réalité explose en contrastes insoutenables pour un blanc, dont le mental n'est pas habitué à de tels extrêmes. C'est vrai que pour couper court à la façon dont l'humain se manifeste en Inde, le mieux est de court-circuiter le problème et de s'abonner à la recherche de Dieu en fermant les yeux sur tout le reste, la moitié du reste étant en fait insoutenable, comme par exemple les bordels où des filles intouchables se vendent pour trois fois rien, embrigadées sous l'égide d'un temple, à des hommes de castes supérieures qui y viennent la nuit en catimini, le visage dissimulé, car ils sont censés naturellement éviter ce genre de choses, vu l'étanchéité des castes et le crime de l'adultère. L'Inde rivalise dans les faits avec les meilleurs scénarios de science-fiction d'un Jack Vance ou d'un K Dick, à l'imagination vraiment débridée, puisqu'en 1978 seulement, à Bombay, on pouvait croiser sur le trottoir le matin le cadavre d'un mendiant mort pendant la nuit, à quelques pas seulement du 5 étoiles le plus prestigieux. Beaucoup de petits maîtres tournent en rond dans leur cadre dit spirituel, à force de références, et ramènent sans cesse leurs préoccupations à leur désir de verticalité, chassent d'un revers de main toute allusion au déroulement pitoyable de la vie chez eux, et ils n'observent rien ou presque de ce qui se passe, à l'affût d'un meilleur qu'ils traquent. Ainsi Swami Prajnanpad, si content d'être parvenu là où il se trouve qu'il dit, «je ne glorifie pas la vie comme Sri Aurobindo», sous-entendu, le pauvre, il n'y a rien compris, il ne s'est pas détaché du samsara. Encore un fier d'être au sommet, fatigué par son ascension, et qui ne veut pas entendre parler d'un pic supérieur, le sien étant déjà parfait et certifié par trois mille ans de témoignages de précurseurs... Si l'on reste dans la perspective de Sankara, la vie est une illusion qui ne pose pas de problèmes particuliers, elle n'a pas à être bonne ou mauvaise, elle est à dépasser, et agir dessus constitue une perte de temps, un gaspillage de concentration yogique, et pour l'Inde presque entière, c'est le fin du fin de négliger les circonstances et les structures socio-culturelles, appelées apparences, pour mieux feindre de s'occuper du dessus. Quand ça l'arrange, l'hindou dit que la matière, la société, l'histoire, les phénomènes: c'est l'illusion. Cela n'empêche pas ce peuple d'être frappading de l'or, et de nombreuses bijouteries attirent les économies des pauvres. L'esprit est à géométrie variable, la même chose est fausse dans un contexte, vraie dans un autre, il faut savoir où l'on met les pieds.

Mais comme le Supramental révèle et rend accessible l'énergie qui traverse n'importe quel atome, qu'il constitue de la roche, de la cellule animale, de l'air ou de la substance nerveuse, il montre que la matière est aussi réelle que l'Esprit, et qu'elle en est même, en termes physiques, sa masse. C'est assez renversant, et tout devient réel, sans effort, et le soi n'est plus supérieur au samsara, à la manifestation, à la vie, ce qui fait qu'on trouve que les enseignements spirituels, c'est de la crotte. Et on n'y peut rien, c'est le supramental qui voit comme ça, à travers son instrument. Mère dit la même chose, dans le 1961. D'un seul coup, tout rétrécit, les sommets semblent de petits pics, les christ et les bouddha des types qui s'entraînaient en se faisant les dents, avant que les choses ne changent, et qui se la pétaient quand même un peu, car c'était le seul moyen de faire face à autant d'obscurité triomphaliste, entrer dans le jeu, et faire sa petite mise en scène.

Il ne peut rien exister de meilleur que le moment que nous traversons, à chaque seconde, car c'est le seul point d'appui réel à notre disposition. C'est là que tout se joue, et tous ceux qui souhaitent que le supramental prolonge leurs rêveries, dans l'axe de ce qu'ils croient être, se trompent d'adresse.

Le soi et le Divin ne prolongent rien du tout, car le Brahman est intemporel, et le supramental éternel.

Cessez d'exiger que la durée vous prolonge, qu'elle comble vos attentes et contourne vos angles morts, et le vrai Moi aura une chance de sortir de sa tanière mentale, où de nombreuses forces l'assiègent, si je peux me permettre, et oui, je me l'autorise. Ceux qui veulent monter avant de descendre ne sont pas sortis de l'auberge, et il n'y a pas de lumière nouvelle sans dissolution d'obscurité: on peut refuser cette règle car elle est désobligeante, mais on ne peut pas l'escamoter. On fait donc semblant de comprendre Bouddha en s'entichant de méditations parfaites et en mettant la poussière sous le tapis, comme tout le monde a appris à le faire, ou bien on s'imagine qu'on en termine avec l'ignorance avec quelques pirouettes et postures, toujours cette illusion de régler les problèmes en leur accordant une attention momentanée et régulière, un morceau de temps artificiel, chargé de laver tous les autres, ceux qui viendront derrière, par magie. Messes, méditations, et tutti quanti: l'intemporel qui libère se dérobe, puisque rien ne piège dans le temps ce qui lui échappe. Il faut donc trouver la voie, la seule.

Vouloir réussir Dieu est un mensonge, acheter son Amour en se croyant dans le cœur, alors qu'on ne pousse en avant que ses préférences sans s'attaquer à sa propre demande d'approbation, à son orgueil d'imaginer qu'on en est digne à peu de frais, à sa prétention d'aimer alors que les objets fascinent encore, c'est l'erreur la plus répandue de l'anthropomorphisme supérieur. La réalité n'a rien à vendre, parce qu'elle se tient d'un seul tenant. Voler à Dieu son amour fait remonter les démons intérieurs, car rien n'est plus jouissif, pour l'homme qui descend du serpent, que de faire le mal au nom du Bien. C'est presque à cela que se résume toute l'histoire humaine, hors inventions diverses, et le vingtième siècle ne s'est pas privé de le démontrer en long, en large et en travers. Dans Savitri, cette observation est largement développée, et seule la satisfaction de s'appuyer sur le Divin permet au roi de regarder tout cela sans broncher, car il sait que sa vision va permettre la lente rédemption de la vie:

Là, le bien, perfide jardinier de Dieu,
Arrosait de vertu l'arbre à poison du monde
Et, soigneux du mot et de l'acte extérieurs,
Greffait ses fleurs hypocrites sur un mal natif.

Livre 2, chant 8

L'œuvre de Sri Aurobindo dérange davantage les hindous que n'importe quel autre peuple, puisqu'il dément qu'il faille laisser la vie de côté pour atteindre Dieu, ce qui est quand même le leitmotiv de nombreux enseignements locaux, bien pratiques pour se laver les mains du relationnel frelaté et de l'égoïsme triomphal qui caractérise cette culture. Son témoignage ne peut forcer l'indou à s'empoigner avec la contingence qu'il déteste, qu'il contourne, qu'il abandonne sous prétexte d'aller prier Dieu, et sans doute donc que son message sera à nouveau contourné et récupéré, le plus simple étant de diviniser l'auteur de la vie divine comme Avatar (ça lui apprendra!), et lui faire de petites offrandes en se jugeant indigne d'embrasser son yoga, un bon investissement pour la prochaine vie, puisque c'est «the best» de tous les dieux. Du paresseux trop mou pour être yin et qui refuse l'implication par fausse modestie, mais qui déborde de bons sentiments, à l'arrogant trop dur pour être yang et qui s'imagine faire le yoga (alors qu'il s'emmure dans son orgueil car il est incapable de se soumettre à la Conscience de Vérité), toute la gamme des laissés pour compte transcendantaux se décline, mais tous partagent la même propriété: être incapable d'une remise en question exhaustive de leur perception, et biaiser pour faire comme si. Ceux qui adorent se dispensent de regarder vers le bas, leur vital, et ceux qui agissent et se différencient se dispensent d'adorer. Sans compter les aveugles: Ceux qui cherchent à condition d'être certains de trouver. Ce sont donc tous ces humains médiocres, incapables de prendre le moindre risque, qui n'aiment que les aventures balisées et les mariages arrangés, qui rêvent de faire certifier conforme leur démarche en cirant les pompes d'un maître millésimé, et qui ne donnent rien avant d'être certains de recevoir autant. Ils se persuadent que ce qu'ils envoient à Dieu c'est de l'amour, mais c'est autre chose, leur peur sublimée pour les uns, leur orgueil pour les autres. Ils n'ont pas saisi l'enjeu de la vie, ils sont victimes de leur besoin de sécurité, ils avalent le temps qui les mange sans rien en tirer, ils représentent l'humanité qui n'a pas besoin de feu, de Dieu, d'immensité. Ils quittent à regret la condition animale, la rumination tranquille de la vache, la sérénité détachée du félin au prisme étroit, ou l'ivresse commune du chien ensorcelé par l'extérieur, et le mental les pousse quand même à imaginer la totalité, qu'ils vont apprendre à courtiser sans renoncer à leur perception séparative. Ils passent maîtres dans l'art de donner des coups d'épée dans l'eau, ce qui leur donne le change, puisque les erreurs peuvent s'enchaîner logiquement dans une trame imparable, il suffit que les prédicats soient faux, mais qu'ils se développent avec cohérence. Nous ne pouvons pas grand-chose contre une telle force d'inertie, sauf trouver nous-mêmes la shakti divine qui nous propulsera dans la grandeur, la noblesse, la Vastitude. Ceux qui n'aiment pas l'Inconnaissable, et qui continuent à vivre pour eux, devraient oublier le paradigme supramental, et en revenir à des préoccupations plus à leur portée.

La difficulté est de voir cette horreur de la médiocrité humaine sans qu'elle réveille le justicier fou, prêt au terrorisme pour en finir (certains cèdent encore à cette illusion ravageuse parce qu'ils aiment un Dieu hors de la vie), sans qu'elle engloutisse dans son océan de fatalisme (la conclusion parfois d'un k.o debout de trop), sans qu'elle nous blesse ou nous encercle de si près qu'elle désenchanterait notre yoga, ou nous ferait douter du Divin. Cela arrive pourtant, comme dans la Gûitâ, que succèdent à de grandes envolées solaires la vision insupportable de la condition humaine, dans ses grandes lignes, et que ce retour à l'évidence désarçonne le guerrier le mieux intentionné. La Vérité et le mensonge restent proportionnels fort longtemps, et des horreurs de grande taille guettent l'aspirant divin qui récolte quelques résultats, et embrasse parfois Dieu ou la Mère des Mondes. Voilà pourquoi il est toujours plus simple et efficace, si l'on est terrassé, d'attendre le retour de la shakti pour se remettre en marche, puisque parfois nos propres forces sont insuffisantes. Nous triturons l'Inconscient de l'espèce, et il se venge à la moindre occasion. Aujourd'hui, nous sommes prisonniers de l'Histoire, on peut observer ses murs, et détecter les failles par lesquelles elle ne peut empêcher l'homme d'évoluer, quand bien même elle serait dirigée par les puissances du mensonge. Et le mensonge ne peut rien contre l'âme qui émerge, pacifie le vital, dédramatise l'émotionnel, et traverse le mental dont les représentations contradictoires torturent l'intelligence ordinaire. Travail que les yogis endimanchés, que les croyants mondains, que les chercheurs snobs, que les ésotéristes cérébraux entreprennent entre la poire et le fromage, quand cela leur chante, ou en s'infligeant un horaire minuscule, tandis que le reste du temps ils dévorent la durée avec l'avidité convenue de celui qui veut la soumettre à ses désirs et caprices. En finir avec cette gloutonnerie assez maligne pour mettre en scène son contraire, l'ascèse verticale, c'est le défi que le Divin pose à l'humanité. Le supramental montre en premier lieu les faux engagements (qui semblent trop nombreux si nous sommes pressés, mais dans l'ordre des choses si nous ne sommes pas impatients), et les limites des vrais engagements.

Soit cette vision m'appartient et je me tais, soit je mets en garde ceux qui pourraient se tromper, ou ceux qui pourraient s'arrêter en chemin. Et vu l'urgence, au lieu de me taire comme je l'aurais fait dans une époque moins troublée, je parle, annonce la couleur, pourfends les faux-semblants pour la simple joie d'apporter la lumière, puisque je ne combats pas le mal. (Il n'y a pas de pire ineptie que de combattre le mal, avec quoi s'il vous plaît, alors qu'il est facile de favoriser la lumière, Jésus et d'autres maîtres sont unanimes sur ce point, et tout combat contre le mal finit par le nourrir à la moindre erreur).

Ceux qui liraient ce texte en y voyant de l'amertume, ou des relents d'inquisition, ne feraient que projeter certaines choses non réglées. Je n'en veux à personne, mais ma vision est nouvelle et profonde, et ceux que cela intéresse de rejoindre le supramental peuvent toujours plus ou moins en tenir compte. Les autres ne peuvent pas comprendre une telle élévation de pensée, et je n'exige pas d'être compris. Je sais, d'une manière aujourd'hui exhaustive, pourquoi l'humanité foire en permanence, et c'est pour apporter un remède que je diagnostique. Je n'ai pas à me vanter de mon statut, mais le supramental n'allait quand même pas, sous prétexte que c'était le Divin, m'enlever ce qui est ma raison d'être: la connaissance. Elle s'est étoffée, elle n'a pas à rivaliser avec une autre, elle ne peut pas être déclassée par une comparaison, car c'est de la connaissance pure, qui ne m'appartient même pas, le fruit de ces milliers d'heures de travail du supramental dans le cerveau.

Je ne cherche pas de coupables, je ne chasse aucune sorcière, le mal est enfoui dans la perception même du réel qui est avalé et approprié par le moi au lieu d'être expérimenté comme une source permanente de leçons, de transformations et de progrès. Tant qu'on ne sait pas «s'effacer», je doute qu'on ait compris l'essence du spirituel, puisque toutes les programmations génériques, puis héréditaires, et enfin astrales, vont se combiner pour fournir des modes de perception et de pensées dynamiques, qui se suffisent à eux-mêmes pour créer le sentiment du moi. S'effacer veut dire cesser d'accorder autant d'importance à la manière naturelle dont on voit les choses et soi-même, et constater à chaque instant que des pistes s'ouvrent, hors du désir et de l'ambition, pour se relier d'une manière plus profonde à l'univers.

Le désir doit être relégué s'il n'est pas abandonné, et toute ambition doit être détruite, car elle n'est que de la faim existentielle, mécanique et sans lendemain. Il peut rester des mouvements, pragmatiques parfois, mais ce ne sont plus des ambitions qui engagent tout le moi comme si sa vie dépendait de ces réussites minuscules. Or, le moi s'identifie sans vergogne à de nombreuses poussées de la volonté et de la pensée qui l'empêchent de comprendre le réel, puisqu'il ne fait jamais qu'en poursuivre un petit morceau sans connaître l'ensemble, avec une complaisance certaine, et sans être jamais sorti du cadre arbitraire du départ. Moralité, l'indou est bouffé par l'image de Dieu, le chinois par celle du travail, l'occidental par celle de l'avenir, tandis que des peuples qui n'ont plus rien inventé depuis quatre mille ans ne peuvent pas produire d'individus et disparaissent pour une raison ou une autre, souvent aidés d'ailleurs par des singes debout d'autres provinces ou d'autres races. Or, la conscience peut se développer dans n'importe quel être humain, à condition qu'il sorte des envoûtements majeurs, c'est-à-dire du politiquement correct local. Le chemin est identique partout, on ne suit plus les panneaux du bas, on cherche des signes au-dessus, et tant pis s'ils sont rares, ils sont infiniment plus précieux.

L'éveil spirituel commence donc quand on se rend compte qu'on ne peut pas faire jeu égal avec l'univers, et que, sans profil bas, on ne fait que perpétuer la nature. Le profil bas va amener du respect et de l'amour pour la totalité, va pacifier le vital, réduire l'arrogance, fluidifier le mental, et on apprend à accepter de dépendre de tout ce qui nous dépasse. Mais ces prises de conscience-là, élémentaires dans tout engagement spirituel, n'ont pas été effectuées par de nombreux soi-disant «chercheurs» modernes, qui restent donc incapables de recevoir de la totalité ce qu'ils en attendent, car ils la sous-estiment, l'instrumentalisent, ou encore, imaginent qu'elle doit se soumettre parce qu'ils se la pètent avec quelques questions métaphysiques. Not enough, j'ai bien peur. Cela va jusqu'à la mode de pensée qu'une Terre nouvelle arrive, et qu'on profitera des hautes fréquences en restant le minuscule petit ego assoiffé d'affectivité et de sécurité qui se voit bien profiter d'un monde meilleur.

On ne peut souhaiter le supramental que pour des motifs absolument nobles, universels, imprescriptibles. Le besoin de se réaliser ne correspond pas à ces critères, s'il reste entaché d'un narcissisme primaire, d'une érotique du mouvement, d'une Idée triomphaliste de soi-même, ou encore d'une fuite de l'incarnation matérielle, ou d'un déni de ce qui est. C'est vrai qu'en trouvant le supramental, on prend sa revanche sur la médiocrité humaine, on s'en nettoie, on s'en libère, on participe à un projet enfin efficace pour sauver la Terre, encore faut-il faire le travail qui prouve à l'univers qu'on ne se fout pas de sa gueule en prétendant être à la hauteur de l'Eternel.


6 Mars 2008


Je me répète, mais c'est normal, je n'ai pas grand-chose à dire. Je cherche maintenant la cause qui maintient l'humanité dans une fausse conception du présent, puisque presque tout le monde le vit comme un simple prolongement de soi-même, mais je ne parviens quand même pas à comprendre comment cela est possible. Alors on a mis des mots là-dessus, l'Ignorance, les hindous et Bouddha sont d'accord, et même Gurdjieff: l'être humain dort les yeux ouverts. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il fait beaucoup de mal sans s'en rendre compte, comme le raconte aussi Sri Aurobindo dans Savitri. Le sommeil est si puissant que les massacres apparaissent en général comme justes à ceux qui les perpètrent, car on ne trouve pas toujours les forces du Mal, comme dans le nazisme, dans cette immense procession de l'histoire aussi grotesque que pathétique, où des guerres imbéciles ont lieu pratiquement partout. Le tribut à l'ignorance est énorme, la force séparative du mental, à l'état brut, c'est la bêtise: je suis moi, je suis diffèrent de toi, donc je suis meilleur. C'est la structure de base du clan, les nomades du désert se poursuivant dans le sable pour se châtrer au risque de se perdre dans les dunes analogues, les Romains soumettant par le viol et l'humiliation, la menace et la torture, des peuplades nombreuses, sans parler des guerres chez les Grecs distingués, d'une province à l'autre: et tout cela s'est passé tout à l'heure à l'échelle supramentale. Et on se gargarise du «droit romain», on invente de la civilisation en choisissant chez les barbares les quelques nouveautés où ils n'ont pas eu besoin de la violence pour créer. On s'imagine ainsi qu'il existe une «civilisation occidentale», ce qui est dur à avaler quand on additionne les Croisades et l'Inquisition, la colonisation éradiquant tout sur son passage, en particulier en Amérique du Nord, alors on préfère regarder du côté où c'est joli, Léonard de Vinci, Pic de la Mirandole, Botticelli, et on pourrait même se réjouir de cet îlot de mansuétude si Giordano Bruno n'avait pas été brûlé, pour faire bonne mesure, et rappeler quand même qu'on n'abolit pas le règne de l'étroitesse d'esprit par enchantement. Car le vrai problème est là, plus on est étroit d'esprit, plus on trouve justifié de recourir à la violence pour s'exprimer, se défendre, faire admettre son initiative, accéder à son désir, maintenir l'autorité. Qu'est-ce que ça pouvait bien leur faire, qu'elle tourne ou pas, la Terre? Non, il a dû se rétracter le génie qui avait trouvé ça, sous peine qu'on lui fasse des misères. Il y a combien de temps? Quelques secondes, à l'échelle de la Terre. Krishnamurti, le célèbre dandy, a passé sa vie là-dessus, et je le comprends. Lui aussi, d'ailleurs, se répétait énormément, au bout de dix lignes, le même thème revient toujours, et on peut croire qu'il radote...

Mais qui dit qu'il y ait tant de problèmes que cela dans l'humain, pourquoi n'y en aurait-il pas que quelques-uns, triés sur le volet, nécessaires et suffisants à empêcher toute transformation décisive? Deux ou trois verrouillages très profonds sont peut-être largement suffisants pour rendre compte, à eux seuls, de toute l'incurie de l'espèce. Le verrouillage le plus profond est sans doute celui qui fait que le semblable n'aime que le semblable, et se méfie du non-même, qu'il est déjà prêt à haïr. On aime reconnaître chez les autres les mêmes qualités que les nôtres, les mêmes valeurs, les mêmes goûts, et même les mêmes aversions, et c'est déjà tout un entraînement d'admettre la différence. Je me souviens, quand j'étais en Inde, si je trouvais qu'on m'importunait, quand on me demandait (en général au bout d'une minute) quelle était ma religion, je disais avec une conviction légère et profonde: «Je ne crois pas en Dieu», et j'ai vu des adolescents de bonne famille verdir, à partir d'une peau cuivrée, à cette seule déclaration.

J'ai donc une chance extraordinaire, comme Sri Aurobindo, de pouvoir m'identifier à tous les hommes, grâce à la conscience supramentale, je les comprends de l'intérieur (c'est une connaissance par identité et non pas une identification émotionnelle), mais le fait est qu'ils sont bigrement divisés et fiers de l'être, et que je ne peux rien faire. Divisés, passe encore, on peut mettre cela sur le compte de la variété, mais fiers de l'être, ça gâche tout, parce que chaque clan revendique sa propre suprématie. Le concept n'est donc pas, tu es différent, mais «tu es différent et c'est ton malheur, car tu devrais être comme moi...» Je ne vais pas citer le nombre de peuples qui se croient supérieurs aux autres par définition, parce qu'ils pourraient avoir le culot de le nier et de m'attaquer si je publie, mais ils sont assez nombreux, et ce, dans toutes les parties du monde. Ils prennent un air entendu quand on leur parle des étrangers, et ce genre de choses, c'est enraciné culturellement, et sans introspection, on reste là-dedans. Je ne peux pas réconcilier les croyants et les athées, et quand on pense qu'il y a encore de nos jours des colloques «inter religieux» parfaitement laborieux, pénibles et convenus, remplis de bonnes intentions qui débordent et finissent en reproches au second degré. Chacun essaie de séduire l'interlocuteur d'une autre confession (mais chaque représentant n'en pense pas moins qu'il tient le bon bout et que c'est finalement dommage que l'autre ne se rallie pas à son propre dogme), c'est affligeant... Comme s'il n'était pas encore définitivement établi que les exigences du judaïsme, de l'islam et du christianisme sont identiques! Il y a de quoi péter les plombs.

Heureusement, Vasudeva permet de tenir le coup. Quand le moi devient tous les moi, on embrasse l'humanité entière, comme un lot d'enfants turbulents, et on lui veut fondamentalement du bien, parce qu'on a des yeux, des oreilles, et tout le reste, et qu'on ne peut pas vraiment faire abstraction qu'on est logé à la même enseigne, même si on la chance de pouvoir pénétrer le Moi universel et d'être tous les autres hommes. Je ne m'attache pas, personnellement, au côté extatique de Vasudeva, bien que ce soit, naturellement, une consécration pleine de félicité. Mais son côté pratique est absolu. Chaque fois que le mental souffre de voir les hommes aussi stupides, parfois méchants, mais surtout lourds et endormis, la conscience supramentale passe là-dessus et rassemble les perceptions, puis les sublime dans la conscience une, celle que nous partageons tous, et qui n'est pas affectée par les changements de formes, les variations individuelles. Il y a une libération certaine, puisque on devient l'Un, et la trace de l'avenir divin semble se manifester dans le présent. J'ose m'ouvrir de cela, car j'aime le côté pratique de la spiritualité, celui qui change la vie, les simagrées pour se la jouer «j'aime Dieu», cela va un moment, comme la masturbation adolescente prépare la rencontre érotique, et puis il faut passer à des choses sérieuses, et là Dieu nous demande de changer le monde en commençant par nous-mêmes. Il n'en demande pas plus. Il n'en a rien à faire, en réalité, de nos petites mimiques de courtisanes de luxe, quand on s'approche de Lui, en se faisant tout un cinéma, avec des encens, des postures, de l'application travaillée, des sutras dédicacés de la main du maître, des résolutions numérotées et cette graine d'obséquiosité repentie de majordome, en guise de signe de soumission.

Il exige la sincérité absolue.

Il a un côté brigand, que personne ne comprend. Il veut tout. La question est de savoir s'Il peut vraiment Se Le permettre, et Sri Aurobindo et moi, nous disons: affirmatif, Il peut se Le permettre.

Puisqu'il donne, également.

Il est clair qu'en règle générale l'être humain marchande, ce qui fait que Dieu, qui n'est pas bête dans le fond, lui fourgue de la marchandise de mauvaise qualité, qui correspond à l'offre minable qui lui est faite, et, en fin de compte, la terre périclite à toute vitesse, parce que ce marchandage à grande échelle a perverti toutes les cultures. Tiens, qu'on se dit, Dieu n'a pas donné grand-chose finalement, et personne ne se souvient qu'on voulait L'acheter pour une bouchée de pain. Et comme Dieu est juste, Il a donné en échange de ce qu'il a reçu, c'est-à-dire des clopinettes, de la verroterie brisée, des règlements insanes, des certitudes fausses et des promesses fallacieuses, et des biscuits périmés déjà bouffés par les vers pour les enfants de chœur qui font ça pour se faire remarquer et anticiper leur vie de jeune premier. Dieu a fourni toutes les contrefaçons qu'on Lui a commandé, une à une, le long des siècles, sans faillir à la tâche, en s'adaptant à la couleur locale, puisque on a payé moitié roupie de sansonnet, moitié monnaie de singe, moitié chèques en bois. Moralité, il ne faut pas marchander avec Dieu, et contrairement à ce qu'on pense, Il ne fait pas crédit, bargaine et il te refile de la camelote, mais c'est trop tard, le mal est fait (sans te le dire évidemment, est-ce que toi tu lui as avoué que tu avais l'intention de l'entuber?).

Il exige tout, si on n'est pas prêt à tout donner, ce n'est pas la peine d'y aller, Il ne demande rien. Maître Eckaert a essayé de dire ça, Rumi aussi, Sri Ramakrishna, Vivek, Jesus, Ibn'Arabi, Hallaj, certains hassidim, même saint-Paul, le plus baratineur de tous, il l'a dit... Tout le monde l'a dit dans la profession, même saint-Augustin le coquet, et Bouddha, à sa manière contournée où la libération remplace Dieu, ce qui est loin d'être faux, il l'a affirmé, l'ignorance, c'est notre condition, pas un concept philosophique, c'est notre substance, on ne s'en libère pas les doigts dans le nez en se regardant le nombril.

Cette posture ne mène à rien, mais elle est très en vogue à toutes les époques, c'est le mensonge classique: je suis plus important que les autres, et mon importance doit se fonder sur un socle plus solide. Les maîtres l'ont dit: Dieu, c'est la question du sens de la vie, on ne triche pas avec ça. (D'autant que si on triche avec le sens de la vie, on risque de se méprendre sur le sens de la mort par la même occasion, ce qui constitue une méprise pleine de poil à gratter qui démange plus souvent qu'à son tour)

Ok, on a triché un max, et ça va très mal de chez casse-toi tu pues. Des filets dérivants de cent kilomètres, qui vident l'océan à toute allure en pleine expansion démographique de la planète bleue (on le voit, une procédure qui se préoccupe des générations futures), les abeilles qui crèvent partout, sans prévenir juste pour nous embêter, la couche d'ozone qui hésite entre l'expansion et la rétraction, méditative la couche d'ozone, les pauvres qui augmentent partout, surtout dans les pays riches, les très riches qui augmentent partout, surtout dans les pays pauvres, les glaciers qui fondent sans demander l'autorisation au Conservatoire du Littoral, qui leur refuserait, c'est d'ailleurs pour ça qu'il faut les traîner en cours de justice avant qu'ils ne soient de la flotte; le sperme qui perd vachement d'unités, sans qu'on sache même pourquoi, et pareil, à notre insu, sournoisement; les défenses immunitaires qui se cassent la gueule pendant l'hiver, les mutations virales qui n'attendent pas le feu vert des derniers Pasteur, les salopes, les maladies de civilisation nouvelles qui font un pied de nez à l'industrie chimique, la pornographie sur internet qui fait péter les plombs aux muslims carrés qui peuvent ainsi multiplier les grands Satan pour déifier Dieu davantage en sens contraire; c'est étrange, mais peu comprennent que cela arrive tout simplement parce que ça fait des millénaires qu'on triche, qu'on appelle vérité ce qui nous arrange, progrès n'importe quelle régression qui enrichit, et mensonge toute vérité qui dément le système de la connerie en circuit fermé qui fait foi sur le lopin de terre culturel.

On triche depuis le début, et comme le dépeint un éthologue français qui fait du Tao comme Jourdain de la prose, tricher est utile. La guenon, qui court moins vite que le mâle, feint de deviner un régime de bananes dans une certaine direction qu'elle indique avec des gestes, les mâles s'y précipitent, et la guenon parvient à courir pendant ce temps-là en sens inverse pour s'approprier le fruit: elle a berné le mâle, que je sache, en lui indiquant le mauvais chemin, sinon, la pauvre, la banane, elle n'en aurait jamais vu la couleur. Cela fait bien longtemps que le mensonge est à la portée de chaque individu pour écraser, exploiter, prendre le dessus sur son voisin, ça remonte au chimpanzé, un cousin assez proche, il ne savait pas parler le bougre: mais il savait déjà tromper.

Ajoutez le langage par-dessus, et vous avez la bête pensante qui ment avant même d'avoir ouvert la bouche (en ramenant tout à soi), et qui triche de bonne foi. Et, pour s'arranger avec soi-même aussi, c'est vachement pratique, le mensonge. «Je ne dis pas à ma femme que je la trompe, ça lui ferait de la peine, et je l'aime». Ben voyons, pourquoi se gêner, le mensonge, on finit par y croire, comme le reste il faut pratiquer, c'est tout, pour avoir des résultats et parvenir au mentir vrai, où l'on est plus sincère dans l'imposture que dans l'authenticité. (Comme pas mal de croyants qui, sortis du temple, redeviennent odieux. Ils se sont persuadés qu'ils étaient bons, et sont maintenant irrécupérables pour voir la réalité en face). Pratiquer. (Et comme dans tous les arts, il y a des échelons, quand on parvient à vendre la tour Eiffel, on peut se considérer au sommet, et on apprécie enfin les centaines d'heure de travail qui auront été nécessaires pour se mettre dans la peau du propriétaire de la colonne de fer qui se débarrasse de son bien, et il reste le plus difficile à accomplir, éviter d'éclater de rire au moment d'empocher son fric. Il y en a même qui vendent ce qu'il y a au-dessus, le ciel, agissant au nom de Dieu en personne, comme l'atteste leur bible volée au presbytère, et leur indignation sur la dégradation des moeurs. Le charlatanisme est un art qui, pratiqué avec assiduité et habileté, peut même mener à la direction de l'Etat, bien qu'il faille passer maître en démagogie, et que la concurrence est plus terrible qu'ailleurs dans ce domaine où les signifiants n'ont plus besoin de signifiés, les promesses tenant lieu à la fois de contenant et de contenu, ce qui n'engage à rien. Mais leur emballage est décisif, et les phrases bien trouvées, comme des emblèmes infaillibles, bernent l'électeur)

Sans blague, je me suis demandé tout petit si les adultes n'étaient pas débiles. Ils ont failli me faire peur dès le départ. Une fois, ils ont commencé à me parler d'un certain Père Noël qui déposerait des cadeaux dans mes souliers. Je n'avais qu'à faire la liste et la leur donner. Je prends des renseignements, et mes parents prétendent qu'il saura ce que je veux et qu'il passera par la cheminée. Là, c'est déjà supergros, vu que je sais que des cheminées il n'y en a pas partout, et qu'elles sont trop étroites pour supporter le vieux joufflu. Je trouve ça impossible et débile cette mise en scène, d'autant que le bonhomme en question était plus ou moins censé voler pour gagner du temps, et comme j'avais remarqué que c'était obligatoire d'avoir des ailes, qui manquaient au barbu en rouge, je n'étais pas partant. En plus, il était seul et devait passer partout, ce qui devenait absurde. Et pourquoi ces imbéciles ne m'avouent-ils pas qu'ils vont me faire des cadeaux parce que c'est l'époque? Je ne connaissais pas encore le premier commandement bourgeois par excellence: Tu prendras des vessies pour des lanternes et tu feras prendre aux autres des vessies pour des lanternes, car tous les hommes sont égaux, et l'illusion est plus belle que la réalité.

... On les initie vite fait au mensonge, les enfants, on leur dit tout petits qu'on est bien décidé à les prendre pour des abrutis ad vitam aeternam et qu'il faut bien les habituer dès le départ, bien les casser, qu'ils ne sachent plus différencier le vrai du faux, dès la maternelle, afin qu'ils puissent reproduire le schéma et raconter tous les bobards qui les arrangent quand ils sont pris la main dans le sac. Ils n'ont qu'à se souvenir des parents, le type dont ils entendent pis que pendre à table, qui un jour vient dîner, et papa lui cire les pompes, mais cher ami, par-ci, mais cher ami, par-là. Edifiant. Puis c'est une souris qui se débrouille pour déposer sous l'oreiller un cadeau sans se faire remarquer, au courant de tout la souris, pour fêter la perte d'une dent, et voilà que je me culpabilise de ne pas croire ma mère, comment «ma» mère pourrait-elle oser me mentir, ou se moquer de moi, ou trouver ça drôle de plaisanter avec le vrai et le faux? Avec les structures mentales propres à cet âge, l'esprit se fait des nœuds parce que l'affectif l'emporte, et comme je ne vois pas du tout la nécessité d'aller chercher une histoire aussi abstruse pour accepter que mes dents tombent, je me demande par quoi ils sont gouvernés, les adultes, pour recourir à des artifices aussi loin de la réalité? L'histoire de la souris, c'était tellement tiré par les cheveux, que je me torturais pour comprendre à quoi ça rimait. Est-ce vraiment l'humour qui dicte ces rituels, ou une vieille habitude mécanique qui fait que la mère bourgeoise des années cinquante joue avec son fils comme une petite fille avec sa poupée, pour qu'il ne la bassine pas avec ses souffrances dentaires grâce à la carotte du cadeau de la souris? C'est l'impression que j'avais, j'étais leur chose, et pas question de sortir du rôle. Mon père ne m'embrassait pas avant d'avoir vérifié que j'étais le premier de ma classe, et il venait me chercher le samedi, dans sa voiture dont il était fier, car ça ne courait pas les rues à l'époque, la 203, et je lui remettais le carnet de notes. Il faisait la gueule jusqu'à ce qu'il se félicite de mon rang. Il était fier alors de son bambin, dont l'excellence accompagnait bien sa réussite sociale, et j'avais droit à un baiser, mais après le carnet de notes, évidemment. (Cela l'agaçait de ne pas pouvoir user de son autorité parce que j'étais irréprochable, mais il s'est bien vengé à l'adolescence: son fils ne lui ressemblait pas, et avait le malheur de ressembler, de plus en plus «à sa mère», ce qui devenait une insulte, «mais enfin papa c'est toi qui l'as choisie la maman de ton fils que je sache!» C'est, comment dire, l'amour du donnant-donnant, le modèle de série sans options, le plus bas de gamme du marché, mais c'était de l'amour quand même, dans un certain sens, de l'amour projeté. «Je t'aime, mais fais bien attention à ne pas me décevoir, petit, je préfère aimer quelqu'un qui le mérite».

Ma grand-mère, croyant sans doute faire le bien, me persuade que les fellaghas sont des araignées géantes vachement gourmandes de chair humaine, comme si c'était moins pire que j'apprenne ça plutôt que la guerre en Algérie, et au même âge, six ans, elle me prometmenace que je deviendrais aveugle si je regardais une petite fille toute nue. (J'avais deviné tout seul comment on faisait des bébés, je lui ai dit, et elle m'a dit «tu es bête» parce qu'elle n'a pas supporté, et a enchaîné sur la promessemenace pour me clouer le bec). Eh oui, j'ai tendance à me souvenir de ce qui va «trop loin», parce qu'après je cherche à comprendre et la trace demeure.

Trahir le mensonge, c'est tout un programme, si c'est héréditaire depuis avant qu'on pense, et surtout s'il est censé présenter la vérité sous son meilleur jour.


7 Mars 2008


Tout cela sur les illuminations, pour dire quelque chose de très prosaïque en fait, j'avais du mal à m'habituer au bêlement ininterrompu et très puissant d'un mouton, sur le terrain non constructible, en face de chez moi, depuis quelques jours. Un bruit très désagréable, souvent avec des intervalles très brefs, chaque jour depuis quelques temps. Je butais un peu là-dessus. Et puis hier matin, c'est moi qui bêlais dans le mouton, et depuis, cela ne me dérange plus. J'ai le droit d'être ce mouton, n'en déplaise à Descartes, et c'est bien pratique, parce que son bruit absolument insupportable est devenu ma propre expression. Et maintenant c'est presque agréable. Oui, je sais, Vasudeva, ce n'est pas la porte à côté, et, malheureusement, je ne vends pas les billets. (C'est d' ailleurs peut-être une erreur parce que je ne roule pas sur l'or). Ce n'est pas un état qui est à ma disposition, d'autant que je ne le recherche pas, mais cela a vraiment été une bonne surprise que je devienne ce mouton, ça m'amuse presque maintenant de l'entendre, et c'était agaçant auparavant. Il y a comme ça plein de régions intéressantes, justement parce qu'elles sont quasi inaccessibles, et qu'elles ne sont pas encore infestées des vibrations humaines. Et plus on avancera, moins elles seront réservées aux champions. Acceptez qu'on trace la voie pour vous, même si on en profite en premier. Car la question est bien d'accéder à une autre vision des choses, et qu'elle soit d'un autre ordre, en prise directe, et ce sont justement les plans au-dessus du mental qui remplacent le jugement par la vision. Cela commence avec le Soi, et puis se développe avec le supramental, avec ce mystère effarant de la transmutation de la conscience en énergie, et réciproquement, selon les moments, les époques, le travail que le Divin choisit de faire, avec parfois des incursions dans le monde nouveau où, ensemble, la conscience et l'énergie s'épaulent simultanément. On passe ailleurs, dans un temps qui ne s'écoule plus, puis, en ce qui me concerne, je redescends automatiquement, car il semble que le corps ne puisse pas se maintenir plus de quelques jours dans le double état, mais c'est là où l'on se rend compte que l'échelle de mesure humaine est entièrement fausse. La durée d'une vie est une séquence minuscule, presque ridicule, le projet supramental prendra peut-être plusieurs siècles ou millénaires avant de s'implanter, c'est une révolution absolue, tout lui résiste. C'est peut-être ce passage qui justifie tout ce qui s'est passé avant, d'obscur, de ténébreux, dans un long apprentissage toujours remis en cause. Alors, ça vaut la peine.

De toute façon, on ne peut pas s'échapper de la loi du semblable. La seule solution, c'est que le différent soit aussi du semblable, tout embrasser et ne plus avoir besoin de réagir. Que le non-conforme soit aussi conforme, tant qu'on ne vous souffle pas dans les bronches, qu'on ne vous attaque pas, vous pouvez très bien accepter, sans tout approuver naturellement. Accepter, c'est un mouvement de fond, de tout l'être, et oui, finalement c'est comme cela que ça me plaise ou pas, c'est reconnaître le réel, ensuite, l'approuver ou non, c'est une prise de position, et ça peut être secondaire. Et le supramental, comme son nom l'indique, c'est au-dessus. Cela voit tout, spontanément, il n'y a plus rien à défendre, donc plus rien à interpréter... (Je ne vois pas quel moi j'aurais à défendre, je suis au-delà de toutes les valeurs, mais je ne me laisse pas forcément marcher sur les pieds quand même). On voit des hommes se battre pour rien, se haïr pour rien, se croire différents pour rien, on appelle cela le règne de la nature, on s'en est affranchi, et on indique le chemin. Les hommes vivent dans un immense décor auquel ils croient dur comme fer, car ils n'ont pas d'expérience transcendante à se mettre sous la dent, alors ils renchérissent sur tout, il faut tout gonfler d'importance rajoutée, car tout est vide de sens, mais en s'acharnant, ils parviennent à monter en épingle n'importe quoi. L'actualité, c'est le principe du soufflé, ça se ratatine dès que ça refroidit, et ça refroidit vite, mais il se passe toujours quelque chose d'insignifiant qui devient important justement parce que ça ne va pas durer... Mais que «ça arrive». Donc, notre culture croit à l'événement, c'est pourtant pas grand-chose, l'événement, par rapport au sujet, mais justement l'événement meuble la conscience du sujet, ça lui fournit un objet, pas besoin d'aller le chercher l'objet, quel effort, il se présente tout seul, tout affriolant, tu t'embêtes, hein sujet, et me voilà, je t'enchante, te scandalise, te dérange, t'énerve, je te permets de t'indigner, de monter sur tes grands chevaux, sans moi tu t'identifierais à quoi, sujet? Je suis l'événement, je viens à ta rencontre, je suis ton dieu, je le sais tu m'aimes. Bénis-moi, je suis ton aliment, ta friandise, et je te dispense par la même occase de te demander qui tu es, sujet: tu pourrais avoir de désagréables surprises, alors vénère-moi, et tout ira bien. Crois en moi, tu ne le regretteras pas, la seule réalité, c'est ce qui arrive. Ce que tu es, non seulement tout le monde s'en balance, mais tu n'y peux rien. Ne pars pas dans cette direction, crois-moi, ce qui arrive est fiable, c'est là, concret. Si tu te cherches, c'est l'aveu que tu es perdu, et ça, c'est très mauvais, tu es très bien tel quel, je te couvre. Et avant le règne du soufflé événementiel, existait la dictature de l'étiquette. Un anglais pouvait être viré de son club chic car il arrivait pour la troisième fois sans cravate, alors qu'habillé correctement, il était accepté même rond comme une bille. Avant que les dernières cours d'Europe s'effondrent, à l'époque de Beaumarchais, un homme pouvait voir sa réputation détruite par une seule phrase maladroite dont le roi se gaussait. Et aujourd'hui, il y a le dressing code, et l'on voit le bouddhiste branché se méfier du pratiquant du zen, et inversement, alors qu'ils poursuivent tous les deux le même but, le satori, la différence est de taille quand on y pense: le bouddhiste avoue que c'est son but, mais admet ne pas savoir s'il y parviendra, tandis que le zeniste se doit de dire qu'il médite pour méditer, et qu'il est au dessus de la convoitise de l'illumination, mais admet que ça peut lui arriver, par inadvertance. De quoi, on le voit, justifier une certaine condescendance d'un adepte à l'autre. Pareil, certains auroviliens, parce qu'ils sont «sur place» s'imaginent dans un yoga supérieur, ce qui confirme une millième fois le pouvoir exorbitant des représentations dans l'esprit humain, même celui qui se croit affranchi. Pour les croyants, c'est encore pire. Ce qui fait que quand on est dans l'état divin, qui comporte d'ailleurs plusieurs formes fondamentales, et qu'on voit ce que l'homme a fait dire à Dieu, c'est une expérience incroyable. Qui serait insoutenable si le Divin n'en profitait pas pour voir à quel point Il est capable de se moquer de Lui-même, et de se perdre dans la manifestation.

Si c'est Mahakali, c'est certain que cela ne peut plus durer, et elle brûle des survivances dynamiques dans l'inconscient individuel qui touche peut-être le collectif (Natarajan 1981), si c'est Vasudeva, l'homme apparaît comme ce singe menteur avide et cruel qui se libère, en traînant, de l'évolution inconsciente, et on le voit adorer l'illusion, car elle semble toujours plus agréable que la réalité, mais c'est supportable puisqu'on est soi-même cette multitude en apprentissage et qu'on y voit Dieu à ses débuts. Si c'est Ishwara, on sent qu'à travers ce chaos toute la ferveur et l'aspiration de l'univers sont offertes au Suprême, et ça rachète tout le reste, puisqu'à ce moment-là le moi devient Agni, et dans Mahasaraswati, toute l'humanité constitue l'organisme de Dieu qui dort dans la Matière et s'éveille par saccades, et à travers quelques individus. Toute notre histoire apparaît comme une colossale imposture, et non seulement à cause des forces vitales, finalement le désir fait partie de la nature, mais surtout à cause du Mental qui crée son propre monde entre le réel et le sujet, ce qui fait que chaque homme est enfermé dans les représentations de sa culture, son bocal, aux prises avec une image de Dieu tellement pervertie que le goût spirituel n'apparaît que chez certains, et encore, il devra se conformer au culte de la souffrance en Occident, avec la croix comme logo, au culte du Seigneur qui libère de l'incarnation, dans une bonne partie de l'Asie, et tous ces cadres préétablis orientent dans de fausses directions, c'est-à-dire, comme dirait Satprem, qu'on ne parvient pas à être «nu devant le Divin», car le travail psychologique s'arrête une fois qu'il épouse le cadre de la tradition à laquelle on appartient.

Sri aurobindo et Mère sont venus briser tout ça, c'est la raison pour laquelle un intégrisme supramental est particulièrement anticonstitutionnel.

L'homme semble effectivement quelque peu s'emparer de Dieu dans le paradigme visionnaire de la montée de l'évolution vers son sommet, mais cela n'est possible que parce que, d'abord, le Divin a choisi son instrument, et qu'Il y descend. On voit mal Sri Aurobindo se dire, tiens je vais faire semblant de faire la révolution le temps que le Supramental arrive, ou Natarajan se dire, tiens, je vais faire semblant de faire de l'alchimie le temps que je me «divinise», ça me fera patienter. C'est pour cela que s'imaginer qu'on va vers le supramental, c'est du concentré de mensonge. Ce qu'on peut faire, c'est servir la vérité, chercher la perfection, aimer le Divin, s'atteler à la connaissance la plus exhaustive, toutes ces choses-là sont vraies et profondes, et peuvent être personnelles. Mais vouloir atteindre le supramental, c'est s'approprier le paradigme avec son petit ego de luxe, se faire miroiter du sensationnel, convoiter le résultat au lieu de vivre le chemin, et c'est donc très dangereux de partir dans cette direction, alors que celle de l'effacement et du détachement du fruit des œuvres ne comporte aucun danger spirituel. Dieu n'a pas besoin qu'on Lui envoie notre carte de visite pour nous trouver. Ne vous inquiétez pas. Si vous êtes prêts, Il viendra jusqu'à vous, même si vous ignorez son existence. Laisser le Divin choisir prévient toutes les dérives dogmatiques où l'on ne conserverait que le côté gratifiant de l'histoire, c'est-à-dire «je deviens Dieu», en poursuivant une carotte narcissique. Non, le moi ne s'empare de rien du tout, c'est le principe du dessus qui cherche à l'amadouer, c'est encore très difficile (Il faut être plus qu'un héros pour faire ce yoga - Sri Aurobindo) et je laisse donc entendre à qui a des oreilles entende, que le web véhicule déjà des sites où l'on trouve du supramental contrefait, et qui transmettent le fantasme que le supramental est appropriable, ce qui est fondamentalement grotesque. Les termes mêmes qui sont employés pour parler de la procédure excluent toute expérience authentique de la chose.

Et heureusement, pour en revenir au troupeau, au bétail des dieux, il y a une chose qui les empêche de ronfler alors qu'ils dorment, c'est la souffrance, et parfois même, miracle, ça les réveille... Une bonne douleur qui s'invite. Le décor leur tombe sur la tête, ils s'affolent, «qui ose se permettre?», ils cherchent le metteur en scène qui a fait le coup, ne le trouvent pas, convoquent un avocat qui ne sait pas qui attaquer, mais les ruine quand même en prétendant pister le coupable, et enfin, Eureka, ils se rendent compte in extremis qu'ils sont responsables de leur malheur, par un petit basculement inopiné de leur intelligence, qui enfin rebrousse chemin vers le dedans. Ouf! Les voilà sauvés. Entre temps, ils auront peut être sacrifié quelques boucs émissaires au passage, papa, le conjoint, le patron, la fille ado qui fait le mur, ils auront épuisé un ou deux psy et auront consulté un medium en cachette, mais ils finissent par trouver la sortie: ma vie me concerne davantage que ce que je croyais et je peux sans doute peut-être m'y impliquer certainement d'une nouvelle manière. (Réflexion faite, c'est elle qui se déroule, et non pas moi qui dévide le temps, vu que ce salaud ne m'obéit plus et qu'il faut faire avec. On m'avait dit qu'il fallait le manipuler et qu'il se laisserait faire, j'ai été berné, on m'avait dit qu'il comblerait toutes mes attentes, et je me suis fait avoir).

Comme on dit au spectacle obligatoire (un peu démodé il est vrai) du dimanche: c'est de ma faute, c'est de ma faute, c'est de ma très grande faute (et je pourrai recommencer après la confession, vu que Dieu est assez stupide pour me pardonner à chaque fois).

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ll ne faut surtout pas essayer de les séparer, ceux qui aiment se battre. Mon premier très mauvais souvenir, je devais avoir six ans, c'était dans la cour de récré et je voulais empêcher deux groupes de se battre. A un moment donné, ils se sont concertés, et à plusieurs ils m'ont levé à bout de bras, afin que je craigne qu'ils ne me lâchent d'un seul coup, et que je m'écrase. Ils ont dû me porter ainsi trois ou quatre secondes, et m'ont laissé choir d'une hauteur raisonnable pour que je ne sois pas blessé. Je n'ai plus jamais interféré. Et quelque chose m'a stupéfié dans cette connivence spontanée, des deux côtés. A l'heure qu'il est, je ne comprends toujours pas l'intérêt de ce jeu, mais qu'ils fussent d'accord contre moi m'a quand même rassuré. Ils faisaient peut-être «semblant», mais les cris n'avaient pas l'air d'être simulés, et les coups non plus. Personnellement je préfère la guerre subtile, avec de vrais adversaires impersonnels, et là ce n'est plus vraiment un jeu. On passe à autre chose. Ce n'est plus une guerre idiote, avec des victimes innocentes, des mobiles creux, et des souffrances odieuses, et la commisération noble du rescapé indemne vis-à-vis de l'amputé moyen, à qui une décoration restitue, grâce à son symbole puissant, la jambe qu'il a perdue en se trompant de pas.

C'est une guerre éternelle. On ne cherche pas à avoir raison, à conquérir du territoire, à dominer. On cherche par où la lumière peut s'infiltrer. On creuse, ça marche un moment, on fait de nouvelles percées, et après, des salauds viennent reboucher derrière, et il faut tout recommencer. Mais, c'est comme les Echecs, à un certain niveau, on ne peut plus se lasser, car on est devenu le jeu, et jamais deux parties ne sont identiques. On ne joue même plus pour gagner, et parfois, libéré du fardeau de l'enjeu, on peut remporter des victoires remarquables.


8 Mars 2008


Ceci dit, la désinvolture, ou vigilance spontanée naturelle joyeuse, est plutôt un produit du taoïsme, car c'est cette culture qui, pour des raisons mystérieuses, possède les nomenclatures les plus précises des systèmes qui emboîtent le vital dans le physique, ou réciproquement. Ils savent depuis des milliers d'années, (à l'époque où les forêts européennes étaient peuplées de lourdeaux au sang chaud, probablement sans écriture) que le corps physique aime la paix, alors que le corps vital aime l'excitation. A partir de là, ils ont développé toutes sortes d'approches pour faire bénéficier l'ensemble du meilleur échange possible entre les deux, et inventé des «planches» de ramification énergie-matière qui laissent encore pantois les barbares de l'ordre des médecins. On peut chauffer les organes, faire descendre l'énergie au physique, par exemple le stimuler, mais on peut aussi travailler en bout de chaîne, développer une sensibilité physique conforme à ses exigences de paix, et qui remontera calmer le vital, qui a tendance à tendre excessivement vers le yang, et à parasiter ainsi, également, le sentiment du moi, dont l'exercice sera trop rapide. Il existe donc des invariants, dans la connaissance universelle, qui dénoncent les pentes «naturelles» des étages de la constitution humaine, et qui concordent. Le corps physique aime la paix, mais il peut sombrer dans l'apathie, enrayer les circuits énergétiques, par exemple par trop d'alimentation et l'abandon d'un minimum d'exercice physique. Le corps du milieu peut s'éprendre facilement du désir, et brûler trop vivement, ce qui se répercute sur l'esprit, infiniment trop rapide pour saisir des idées supérieures, les insights ne trouvant pas d'interstices suffisants entre les pensées pour se faufiler et transformer les modes d'associations d'idées. L'esprit est considéré comme pouvant faire facilement «cavalier seul», car il est plastique, et foncièrement autonome, et s'il oublie le vital ou le physique, et s'en détache trop, les représentations remplacent le perçu holistique (mentalvitalphysique) et enferment la personne dans son propre monde, qui ne perçoit alors dans le réel que le reflet de ses propres structures mentales, devenant aveugle au contexte. Un jeu trop important entre les trois enveloppes déclenche des maladies, et un équilibre parfait, obtenu par un travail de conscientisation sur les trois plans, peut mener au Tao. On remarquera l'analogie frappante avec les bases de l'hindouisme, où tamas préside au corps physique, rajas au vital, et sattva au mental, ce qui veut bien dire que les mêmes signifiés sont représentés par des signifiants différents, sujets à des variations bénignes, et que l'humanité travaille sur sa propre nature depuis la nuit des temps, et le consigne, alors que tout le monde s'en fout.

«Et pourquoi que tout le monde s'en fout, mètre?».

«Et bien mon cher Mily, tout le monde s'en moque parce que ces travaux initiatiques prouvent par a+b que si le moi ne se préoccupe pas d'aller voir de plus près l'équilibre des trois corps, il se soumet à la fatalité, qui infligera des accidents, propres à blesser le sujet; et procurera des satisfactions éphémères, des occasions, que le sujet ne saura malheureusement pas faire durer au-delà de leur occurrence hasardeuse, alors qu'il aimerait, of course, les conserver. Cette connaissance, mon cher Mily, que je peux qualifier d'universelle, met le nez de l'homme ordinaire dans son caca, pour le forcer à reconnaître que l'existence comporte des contraintes, et rien n'est plus cher à l'humain que de s'imaginer qu'il est dispensé de les respecter, donc il les nie, les contourne, ou par exemple les accommode dans la religion, où, mécaniquement, il prétendra célébrer son créateur, pour ne pas trop se sentir coupable de ne rien comprendre à ce qui lui arrive, et se dédouaner de ne pas chercher.»

L'accès à la connaissance est donc le passage obligé vers le supramental, puisque c'est elle qui fait exploser les cadres des représentations, élargit le champ visuel intérieur, qui peut devenir illimité, et prépare ainsi aux dimensions cosmiques. La connaissance est une expérience, accessible, et si elle ne se produit pas, elle ne peut pas accompagner l'intention suprême, l'aspiration divine, aussi loin que le sujet le souhaiterait, car il n'aura pas encore débouché sur le monde objectif pur, le réel qui existe bel et bien, hors projections subjectives. Ce travail vers la connaissance peut naturellement s'effectuer à partir des propriétés de chaque individu, et certains y parviennent avec peu de culture, et sans abuser de la réflexion abstraite, car leur attention est supérieure et leur permet de prendre des raccourcis, alors que d'autres ont besoin de sentir un vaste champ de perception à la disposition de l'esprit, mais les deux voies sont efficaces si elles sont bien menées, bien que leurs formes s'écartent l'une de l'autre.

Et ce qui en fait l'efficace, le te en chinois ancien, c'est la qualité de la présence au moment, qui doit éviter d'être filandreuse, trop yin, car le moi se noie dans l'identification, et éviter d'être trop sèche, trop yang, car le moi reste trop près de lui-même sans s'ouvrir au champ transformateur de la scansion de l'instant. Ce serait donc une erreur dramatique de s'imaginer que la voie puisse être décrite, puisque n'importe quel itinéraire peut être le bon si le moi se positionne correctement dans la durée. Mais comme c'est cela le plus difficile, on cherche l'efficace dans la forme du parcours, alors que seul le moi, selon la manière dont il se pose dans le moment, peut profiter de suivre une carte relativement plus exacte ou plus inspirée qu'une autre. A cela il faut ajouter, au risque de décourager les émotifs tout en faisant la courte échelle à ceux qui ont déjà élagué les scories conceptuelles, que se positionner dans l'instant correctement rencontre deux difficultés majeures, dont une qui possède deux aspects. La première, c'est d'être tendu vers l'attente de l'indice, (le Soi), ce qui fait qu'on finit par les inventer pour ne pas être trop frustré, et on termine dans le décor en pensant le calme, et la seconde, c'est de perdre de vue l'attention constante nécessaire, soit pour rêvasser en se diluant, soit pour se parler en circuit fermé en se rassemblant. D'un côté, l'acharnement à trouver des signes les fait fuir (tendre vers le repos est impossible); de l'autre, le relâchement de l'aspiration, du feu intérieur, donne libre cours au mental qui improvise dans l'oubli du perçu immédiat, à moins qu'il ne parvienne à se rassembler et à coller passivement au moi, mais en oubliant le passage de la durée dans cette opération.

Avec l'excès de yang, on veut s'emparer de l'indice et il s'échappe, alors que l'excès de yin est plus sournois, avec deux faces, du relâchement-dispersion, ou de la concentration, mais avec évaporation de la sensation chronologique dans les deux cas. D'ailleurs, chacun vient à bout plus facilement d'un empêchement ou d'un autre, mais éliminer les trois est une véritable performance, qui rend l'accès au satori exceptionnel. Comme tous les enseignements se dégradent, le zen propose parfois une contrefaçon du soi, en considérant qu'une concentration centripète du moi, sans pensée, équivaut au satori, alors même que le sentiment intime de la durée a disparu, ce qui est incorrect pour le taoïste qui cherche à se relier au champ Terre-Ciel à travers le tissu même de l'instant, et ce qui est également contraire à l'hindouisme, dans lequel le Brahman est réellement un champ extérieur et intérieur, et non pas seulement une dimension vide. L'arrêt de la pensée s'obtient parfois à force de procédures, mais si le moi perd le contact sensible et physique avec le moment présent dans cette expérience, la réalisation reste borgne et ne permet aucune percée définitive. Mais elle est déjà assez spectaculaire, et on peut l'amalgamer à du progrès spirituel, ce que certaines voies font, dans le bouddhisme, la psychologie humaniste, certains arts martiaux, la préparation sportive de compétition, dans le hatha-yoga également. Pouvoir se concentrer et faire cesser les pensées constitue une avancée non négligeable, et c'est relativement facile si l'on se ferme au monde extérieur en perdant le contact avec la durée et en fermant les portes des sens. Mais se positionner là et rester imperturbable en ayant les sens ouverts vers l'extérieur, c'est-à-dire en abandonnant la concentration qui arrête la pensée, c'est une autre paire de manches. Le présent est bien une matière, un champ, une réalité extérieure, et le percevoir intégralement hors de soi, sans la pensée qui le dissout en l'introjectant dans l'esprit, c'est ce qu'on appelle la délivrance ou la libération.

Le taoïsme secret stipule donc la même chose que les grands textes hindous ou bouddhiques ou ceux des quelques maîtres zen réalisés, à savoir que l'égalité est cause ou conséquence de la connaissance, mais qu'elle l'accompagne nécessairement. Il la définit en ses propres termes, descriptifs une fois de plus, soit l'accès au mystère au-delà du yin et du yang, avant leur différenciation, où il n'y a ni repos ni action, ni mouvement ni immobilité. Les signifiants renvoient au même signifié, mais l'esprit des races diffère tant soit peu. L'égalité convient pour décrire un état d'esprit qui absorbe les chocs sans bouger et manifeste joie ou sérénité sans excitation. C'est la condition supérieure de l'esprit qui n'attend rien, ne recherche rien, peut faire face à n'importe quel événement sans frémir, et demeure dans l'éveil pur, sensible à tout sans rien retenir. C'est alors le Tao lui-même qui enseigne car le sujet est libéré de la volonté personnelle, ce que décrète aussi la Gûitâ avec le terme correspondant «ne pas chercher le fruit de l'œuvre». Atteindre la passivité pure (sans formation de pensées) et rester uni au Tout, c'est le paradoxe, la torture de la voie spirituelle, mais l'Asie connaît la formule, et l'a déjà consignée aussi bien dans des idéogrammes (Lie-tseu,Tchouang-tseu, Lao-tseu) qu'en sanskrit, où les manuscrits abondent.

Le Tao, et plus loin encore le supramental (bien que rien n'empêche de les confondre), exigent que la pensée soit vaincue pour descendre correctement inonder le chakra coronal, et même Sri Aurobindo, qui était monté plus haut, passera par Lélé pour terrasser le mental. Il y parviendra en trois jours, selon la formule consacrée «qui peut le plus peut le moins», mais il n'escamotera pas le problème, pas plus que Mère, qui, à son seul contact, verra se suspendre son activité mentale.

Trouver la méditation parfaite, qui évite de dissocier le moi de l'ici et maintenant, sans le pousser en avant vers l'avenir et sans le perdre dans le passé qui se parle en boucle en sautant à pieds joints au-dessus de la seconde présente, sans former de pensées, c'est la clé universelle.

«L'action qui mène au Principe», tao-te-King en chinois archaïque, n'agit pas (wu wei).

Mais le vital semble s'enfuir vers l'avenir, le physique rumine le passé, et le mental s'abstrait de la perception. D'où la difficulté de trouver le vrai présent. Rajas voudrait déjà être plus loin, sattva se moque du moment, et tamas tire en arrière. C'est pour ces raisons que l'Orient a développé autant de formes de méditation: permettre de faire coïncider le moi avec le vrai flux du présent, hors des représentations mentales, hors des attachements vitaux, hors des habitudes physiques.

Il ne faut pas croire que c'est avec un plaisir sadique que j'évoque les contraintes de l'évolution spirituelle, c'est mon rôle de les rappeler, de les souligner, puisque, si on les néglige, on va droit dans le mur. L'esprit est assez malin pour ne retenir que ce qui l'arrange d'une lecture, et les passages qui laissent entendre qu'il faut vraiment descendre au charbon, un petit oui bien sûr du mental acquiesce, mais la prise de conscience de tout ce que cela implique ne se fait pas forcement. C'est ce que je suis obligé de dire puisqu'il m'est arrivé de rencontrer des personnes qui voulaient me prendre à témoin de l'oubli de Dieu à leur égard, et qui, semble-t-il, attendent que j'interfère en leur faveur, si je me fie à leurs yeux de merlan frit qui se noient dans le regret de n'être que ce qu'ils sont, alors qu'ils n'ont jamais rien entrepris pour «voir les choses autrement». Je m'entends aussi dire que «j'ai de la chance» comme si j'étais parvenu là par la grâce de Dieu, sans accompagner le mouvement, entièrement piloté, et ce jugement vient toujours de personnes qui stagnent parce qu'elles ne veulent rien sacrifier, attendant que le Divin se penche jusqu'à elles, alors qu'elles n'ont même pas réalisé qu'elles n'en ont rien foutre, du Divin, mais le mot sonne bien, et on aimerait déjà être plus loin. «Je veux traîner mes casseroles et courir plus vite, que peux-tu faire pour moi, Natarajan?»

«Je veux me réaliser, mais malgré ma cure de desintox, car j'étais devenu alcoolique, je sens que je peux recommencer».

«J'aimerais bien aller plus loin, mais la sexualité me rattrape toujours, malgré mon age quasi avancé».

J'ai renoncé à faire comprendre à ces personnes que si leur intérêt pour le Divin était réel, elles pourraient en finir avec leur manie, et, d'un autre côté, elles se croient vraiment impliquées dans une démarche, ce qui fait qu'en fin de compte, elles ont deux démarches, une qui va de l'avant et l'autre qui va à reculons. Pour parcourir n'importe quelle distance, si après avoir fait dix pas en avant, vous en faites neuf en arrière, le chemin sera long, très long. Il y a des êtres sans prétention, qui ne prétendent pas se réaliser, qui n'ont pas de vice, et qui tous les jours font un pas en avant, sans être obligés de revenir en arrière. Ils se fatiguent beaucoup moins que les athlètes qui font dix pas en avant, et qui, forcés par la nature non transformée, refont neuf pas en arrière, mais tous les goûts sont dans la nature. Okay les gars, contents de vous avoir connus. Vous avez raison, j'ai de la chance, je suis arrivé au supramental très facilement, je n'ai jamais souffert, jamais rencontré d'obstacles, jamais douté, jamais flippé, tout le monde m'a toujours approuvé, j'ai été secondé vous pouvez pas savoir, j'ai jamais fait le moindre sacrifice non plus, voyons, je ne suis pas maso. J'ai de la chance et vous, vous êtes maudits, ce n'est pas de votre faute si vous baisez à tire-larigot, si vous êtes alcoolique, si vous ne pouvez pas passer un soir sans votre joint, vous n'avez vraiment pas de bol, parce que votre situation serait parfaitement confortable si vous n'étiez pas tombés sur des exemples de types qui ont vu la réalité en face, et qui vous ont donné envie de faire pareil. Vivez divisés, puisque l'unité vous intéresse tellement que, dès qu'il s'agit d'avoir une démarche cohérente pour l'attirer, vous prenez la mauvaise décision. Ouate can I do for you, c'est pas coton de se farcir des victimes d'eux-mêmes qui s'imaginent harcelés par de vrais adversaires, qui sont en fait imaginaires.

Donc, l'humanité rêve de s'impliquer dans la voie spirituelle dans tous les secteurs où cet engagement est facile, gratifiant, agréable, soit la flânerie du samedi dans la librairie ésotérique, les discussions avec les copains, les nouvelles du web, les petites annonces tantriques, les exaltations impromptues grappillées au coucher de soleil, les mini prises de conscience psy, tandis que toute l'implication difficile, qui va forcement de pair autant que le yin sans le yang ne veut rien dire, celle-là, elle attendra. «Je veux être libre de mon chemin». Ok, les mecs, vous êtes libres, et c'est justement ce qui vous freine, parce que vous appelez liberté la pente fatale qui vous fait toujours décider du choix pourri, la preuve: vous n'en sortez pas. Moi je n'appelle pas cela la liberté, mais l'esclavage du sexe, de l'alcool, de la fumette. Si vous êtes libres, vous n'avez plus qu'une façon de vous le prouver, changer vos choix. Vous cassez la bouteille de bordeaux au moment de la boire, vous pétez votre ordi au moment où vous vous connectez sur un site de rencontres, vous ne sortez plus risquer votre peau dans les mauvais quartiers la nuit quand votre shit est à zéro, à la place, vous sifflez quatre canettes de bière, et on n'en parle plus. Demain est un autre jour.

Les gens qui prétendent être libres font souvent toujours de la même chose, comme si leur liberté consistait à toujours reproduire les mêmes schémas, schémas privilégiés il est vrai, puisque ils ont choisi leur vice. L'alcoolo mépriserait presque l'obsédé sexuel, qui lui, prend pour une tapette l'accro à la fumette, qui lui, se juge supérieur aux deux autres. J'exagère, c'est exprès, j'en ai ras le bol du gâchis terrestre, des mecs qui ont tout compris et qui restent aussi ordinaires que n'importe quel pekin qui n'est jamais entré dans une librairie ésotérique. Le mental vous a bel et bien envoûté comme une méchante sorcière, il vous a fait miroiter le spirituel, mais ça n'a rien traversé du tout, parce que changer votre personnalité, vous n'y parvenez pas. Alors à qui voulez-vous faire croire que la connaissance vous branche, que le Divin vous attire? Les seules choses que vous faites dans ce sens, ce sont les choses faciles... A vous-mêmes, vous voulez le faire croire, et vous cherchez des complices, et si Natarajan pouvait vous couvrir, ça serait encore mieux. Non, je vous aide en vous disant vous pouvez le faire, arrêter vos zadictions. Mais ce Natarajan-là, ce n'est pas celui que vous préférez, comme d'ailleurs toutes les réalités qui vous rappellent que vous êtes perdant, un looser, malgré les Aurobindo sur l'étagère, le zafu et l'encens, votre yi-king ou votre tarot, la panoplie quoi!

Je me fais une opinion plus haute de la liberté, essayer, changer, s'aventurer, varier les itinéraires pour aller au même endroit, ne jamais s'arrêter, et rester fidèle à l'essentiel. Et accepter de souffrir! Alors tout est permis. Et surtout changer de stratégie. Tourner le dos à la femme, se sevrer, quand on n'y est jamais parvenu, quitte à a avoir envie parfois de se la couper. Se défoncer en ne prenant plus rien, quand on n'a pas cessé de se charger, et s'enivrer avec trois ou quatre eaux minérales différentes, oui, ça peut-être très jouissif et ça leurre le cerveau si ça pétille, il croira que c'est du champ et il aura sa dose, pour oublier un peu l'alcool.

Si la liberté ne permet pas de changer l'alternative, où qu'elle se trouve dis-moi... On a quand même le choix, j'insiste en soulignant, entre la pizza et le hamburger, le monde et Libé, le thé ou le café, le football et le rugby, la télé ou le cinoche, Mère ou Sri Aurobindo, alors pourquoi prendre toujours la même chose, si ce n'est pour oublier qu'on a le choix et se complaire dans le rôle d'une victime, d'un esclave, d'un type, qui, lui, n'a pas eu de bol, ça baise en lui, ça boit en lui, ça fume en lui. Et pour un peu, ils n'y sont pour rien, ça me renverse, ils se cautionnent avec Freud, les manques affectifs même passés cinquante balais, comme si le diagnostic, au lieu de seulement justifier le passé, devait en prime les dédouaner pour qu'ils s'autorisent à rester au fond du trou, avec le plus vieux mantra du monde: c'est pas d'ma faute.

Comme par hasard, la notion de «mérite» n'a pas beaucoup de résonance chez ces êtres supérieurs, ces aristocrates du sens des choses, toujours dotés d'une finesse surprenante, et qui ressemblent à des chats par l'esprit, dans des vies qui les gênent aux entournures, parce qu'il faut qu'ils se gavent. Ils ont réponse à tout, ce qui les empêche de voir en face leur lâcheté, et ils se félicitent d'adhérer à la vision des maîtres. Ils sont incapables de soupçonner toutes les qualités qui ont été nécessaires à l'obtention de la connaissance, et aimeraient être dispensés de l'effort, du courage et de l'endurance, comme si leur «démarche» était un privilège de rois, et que la réalité devait changer ses lois pour leur permettre de devenir des anges, des saints, des sages, vu qu'ils ont choisi l'option existentielle supérieure, et demandent une dérogation de corvée. «Je me sens officier de la lumière, et il n'est pas question que je nettoie les latrines».

Ils n'ont pas encore vraiment plié le genou devant Dieu, de peur de Lui faire des courbettes, ce qui prouve qu'ils n'en ont pas besoin. Ils sont incapables de voir l'orgueil qui les habite, monumental mais discret, transparent oserais-je dire; ils ont la dent dure pour les autres, mais s'autorisent n'importe quoi, et leur conversation est très agréable. C'est vrai qu'ils ont déjà fait pas mal de chemin, qu'ils sont ouverts, mais leur personnalité, avouent-ils presque à demi-mot et sans frimer, cherche à les détruire. Ils ont essayé différentes manières de lutter, de s'en sortir: insuffisant!

Alors je ne leur jette pas la pierre, je décline ma responsabilité, je suis incompétent, et ne croyez surtout pas que je vous juge, je vous dis juste qu'il est temps d'en sortir, que c'est possible. Je vous ai expliqué à tous par a+b que le thème natal était une nasse, et vous avez pris l'air décidé du type qui va sortir de sa nasse, et tordre le coup à un Uranus, à un Neptune, ou à un Pluton qui fait cavalier seul, se terre et surgit pour vous soumettre, et vous continuez de vous laisser faire, alors que vous êtes prévenus. Moi, j'ai toujours su que si je prenais deux chemins à la fois, je serais écartelé au sommet des cuisses, et ça fait vraiment mal. J'ai la chance d'être doué pour l'unité, et je ne peux la transmettre qu'à ceux qui en ont vraiment assez de se raconter des histoires, et qui donnent un coup de pied au fond de la piscine, où ils avaient plongé, poumons vides, pour se noyer. Il faut se prendre au sérieux pour se détruire, car l'existence peut être aussi très légère, à condition de s'enivrer de l'immensité plutôt que d'alcool, à condition de se droguer avec l'inconnu plutôt qu'avec du shit, à condition de faire l'amour avec le temps, au lieu d'être obligé de piéger des partenaires. C'est très facile, si l'on évite de rester au centre du monde, mais il paraît que c'est cela le plus difficile: ne pas tirer la couverture à soi. Et oui, les gars, je sais, plus on souffre, plus on est obligé de se pencher sur soi-même, et un jour c'est irréversible, le cercle vicieux en boucle, plus on veut s'en sortir, plus on s'enfonce, car le moi de la souffrance vous a complètement bouffé: alors je crois que vous n'avez plus beaucoup de temps pour vous alléger.

Peut-être devez-vous attendre de vous attacher à la cheville trois ou quatre casseroles supplémentaires et un ou deux boulets, et quand vous ne pourrez vraiment plus faire un seul pas de plus en avant, je vous fais confiance pour vous débrouiller à couper toutes vos entraves, et à remonter le curseur de vos planètes bidon, parce que la fin de l'alcoolisme c'est le mysticisme soufi, la fin de la fumette, le discernement joyeux, et la fin de la tyrannie sexuelle, l'harmonie du couple intérieur. Vous n'avez peut-être pas encore été assez humilié pour cesser votre petite comédie, mais ça va venir, ne me dites pas que vous avez lu Sri Aurobindo et Krishnamurti pour rien, vous êtes presque arrivés. Vous portez un lourd handicap parce que vous êtes un bon cheval, et vous apprenez un maximum en étant forcé de lutter sans combattre, c'est Dieu qui s'entraîne, même si vous ne le savez pas encore, puisque vous rechignez à lui donner un coup de main.


9 Mars 2008


La situation est catastrophique. Je m'en réjouis quand même, sans aucune malice, sur l'ordre du Divin, car il y a plusieurs raisons à cela, qui se tiennent bougrement. D'abord, l'idée que nous ne sommes pas responsables ne tient pas la route, l'humanité se suicide, c'est son droit, il n'y a rien à dire contre cela, elle y est encouragée et subit des influences. Ensuite, on s'en fout royalement, car le Divin est capable de récupérer ce mouvement, c'est-à-dire qu'il y a réellement un «deux ex machina» qui peut racheter l'Histoire au moment où elle part en vrille, et enfin le non-moi, sous son aspect extérieur, le contexte, le milieu, n'est pas ce qu'il y a de plus important. L'essentiel est la position que nous prenons par rapport au mystère absolu de l'existence, et cette position est indépendante du cadre. On peut se trouver dans un milieu favorable et en profiter pour se la couler douce, ou en prison ou sur un navire qui chavire, et en profiter pour se demander ce qu'on fout de sa vie et de sa mort. On peut ajouter que l'aspirant spirituel d'aujourd'hui n'est pas perso responsable du désastre, ce qui lui permet d'investir son énergie sans culpabilité dans tous les secteurs sensibles, sa transformation intérieure, la sauvegarde de l'environnement, où la manière de s'en foutre royalement consiste à agir sans émotions négatives en s'impliquant pour lutter contre l'ignominie, la gamme assez conséquente d'intolérables qui éradiquent la dignité humaine, avec la complicité du politiquement correct, qui a créé la mentalité actuelle au 18ème siècle.

La réalité, c'est un gâteau à se partager, et plus on élimine les concurrents, plus on obtient un gros morceau. A telle enseigne que le renversement diabolique a triomphé sur la terre, ce n'est pas nous qui appartenons à la réalité, et qui avons des comptes à lui rendre, c'est elle qui est à notre entière disposition, et qui doit se soumettre. Ce qui fait qu'on sculpte le non-moi depuis une douzaine de générations pour qu'il ne soit rien d'autre qu'un bien, un objet, un serviteur, et pour les plus puissants, un esclave. Les masses ne peuvent plus avoir le courage de se révolter, elles sont tenues par la menace de tomber plus bas encore, et on améliore leur opium chaque jour, les tombolas se diversifient, qui sont une soupape de sécurité providentielle, car on pense en jouant au loto que ça peut arriver, les hommes sont maintenus dans l'hypnose par les compétitions de football, auxquelles ils s'identifient outre mesure sans même s'en rendre compte, et les femmes sont aliénées aux realityshows, à la presse people, où elles vivent par procuration l'existence dorée des stars, en devenant de petites souris pratiquant le voyeurisme. Les plus mous ont encore à leur disposition la pornographie pour s'inventer de l'intensité, et les femmes écrasées par leur statut peuvent aussi téléphoner des heures à leurs relations pour s'accrocher à de l'espoir et tenir le coup.

Comme l'imaginaire n'est pas séparé du fonctionnement mental, qui lie tout ensemble, le fantasme, l'observation, l'idée, le souhait et l'analyse rationnelle (Natarajan, Méditation quantique 2006), les dérivatifs susceptibles de combler ou masquer les frustrations existentielles font leur office sans coup férir, puisque ils sont de plus en plus adaptés aux besoins de chacun, et diversifiés. L'esprit humain, disponible à chaque instant autant pour rêver qu'analyser, vagabonder ou discerner, tombe tout le temps sur quelque chose à se mettre sous la dent, pour se distraire, atténuer ses tensions, accepter sa situation insatisfaisante, car elle sera rachetée par de «bons moments» hypnotiques. Ces bons moments hypnotiques ne fonctionneraient pas s'ils étaient imposés, impersonnels et généraux, mais comme ils font du sur-mesure, la recette fonctionne admirablement bien: entre les milliers de sites internet, et la possibilité de zapper au milieu de dizaines de chaînes de télévision, on est sûr de choisir agréablement la manière dont on va être envahi par le non-moi, d'une manière gratifiante. Cela contrebalance la vie réelle d'une part, et ne la fait pas disparaître d'autre part, car les identifications imaginaires se produisent sur un tissu authentique, ce qui est le fin du fin. On commence à se désintéresser de la fiction, du film, une resucée du conte de fées puéril, et on croit donc s'impliquer dans quelque chose de plus «réel», quand on suit un groupe de jeunes réunis sur une île ou dans une propriété, qui font le scénario en live. Le spectacle est plus authentique, mais l'identification plus grave encore, car elle finit d'ancrer le moi, d'une manière imprescriptible, dans la société qui l'exploite, et qui sait lui donner les illusions nécessaires à étouffer sa révolte. Le tri des nouvelles du 20 heures, sans doute dans toute l'Europe et l'Amérique, va toujours dans le même sens de l'aliénation, et distille sournoisement le paradigme que le chaos et l'accident règnent sur la terre, puisque toutes les catastrophes sont montées en épingle, et les guerres vénérées comme le triomphe de l'irréparable. La mort accidentelle y trouve une place de choix, comme si c'était un scandale qu'un être humain meure sans qu'il en soit directement responsable, et on déplore en chœur la disparition des héros qui vont tirer la barbichette de la camarde. On est plus touché par le décès d'un pilote de formule 1 en compétition que par celui d'une enfant écrasé par un chauffard, on regrette l'alpiniste qui laisse sa peau dans une ascension face nord en hiver, ce qui est parfaitement prévisible, mais on ne verse pas une larme sur le S.D.F emporté par le froid, on s'offusque du navigateur perdu en mer, qui l'a peut-être un peu cherché, mais on passe à coté du noyé de la plage, qui n'a pas eu de chance, comme s'il méritait son sort. La perversité s'est introduite jusqu'à la moelle de l'esprit: les hommes célèbres sont plus importants que les autres, même le danger devrait respecter leurs lubies, le réel devrait leur cirer les pompes, tandis que les gens ordinaires ne sont rien, et c'est normal qu'ils soient des victimes.

Les nouvelles agréables à entendre sont toutes d'un ordre superficiel, et se rattachent plus au spectacle (passif) qu'au loisir (actif), tandis que les émissions qui relèvent d'une certaine profondeur sont depuis vingt ans reléguées de plus en plus tard. C'est parfait, les êtres aliénés ne peuvent pas s'en abreuver car ils doivent dormir pour récupérer, et seuls les nantis, les oisifs, qui peuvent beaucoup déléguer, ou choisir leurs horaires de travail, tiennent jusqu'à 23 heures, voire 23 heures 30, pour un vrai débat, ou une présentation de livres, ou une émission de vulgarisation scientifique. Tous les moyens sont bons pour renforcer l'identité culturelle, par le bas, de la médiocratie télévisuelle à l'assistanat, et comme c'est déjà la pente naturelle du moi de se contenter de son appartenance à son champ écologique, les moyens de sortir de cet envoûtement collectif sont faibles. Il reste la force qui vient du dedans, mais qui devra alors s'opposer à une quantité conséquente de facteurs, de préjugés et d'habitudes, et qui tombe souvent sur une dépression comme test de sincérité, et la faillite de la société, qui voit ses modèles s'effondrer dans le mécontentement général. (Je ne fais que confirmer ce que d'autres ont vu sans que cela serve à grand-chose, Mac Luhan, Debord, Baudrillard, Morin dans les faits, Orwell et Huxley dans la fiction).

La manière dont l'homme se détruit, d'un déluge à l'autre, peut naturellement changer, mais le principe est le même: il oublie qu'il appartient au réel et qu'il doit se soumettre à ses lois, et la classe des dominants va trop loin. C'est une vieille histoire, malheureusement bien concrète quand on est doué pour l'occultisme. La vie peut retourner au Divin, mais elle peut aussi être utilisée et manipulée par toutes sortes de forces qui trouvent que la conscience sur terre est une aubaine pour y développer des formes régressives, vouées à la satisfaction permanente, par le pouvoir, le vice, la manipulation. Les hindous parlaient déjà, il y a longtemps, du «bétail des dieux» en évoquant l'humanité, et il est certain que les avatars veulent libérer le cheptel, car ils ne sont pas assimilables à ces dieux là, mais le travail est harassant: va voir en toi, c'est là. Et l'humanité moyenne n'en éprouve pas le besoin, elle croit à l'identification, et se laisse manipuler par les carottes qu'on lui propose. Elle préfère le perçu au percevant, et le percevant s'attache de plus en plus au perçu qui le flatte et rejette de plus en plus le perçu qui le dérange: le réel est devenu une simple nourriture subjective, et il finit par devenir totalement illusoire.

Mais les illusions partagées par le plus grand nombre ont force de loi, et possèdent ainsi une telle puissance qu'il est impossible de les attaquer de front. Elles doivent donc s'écrouler par elles-mêmes, puisque elles savent résister aux adversaires extérieurs. Il faut attendre que la manipulation du Réel se retourne contre les manipulateurs, et c'est long. Les avertissements ne suffisent pas, les signaux d'alarme non plus. C'est le propre de l'esprit de s'attacher à l'illusion jusqu'à ce que celle-ci lui explose à la figure, car la vérité est toujours, par définition, moins gratifiante. Pour la considérer comme «meilleure», il est donc nécessaire d'opérer un changement de conscience, dont les aspects sont rébarbatifs au début, et enchanteurs par la suite. Les gardiens du seuil empêchent que l'on s'empare de la Vérité pour des motifs personnels, ce qui l'assimilerait à la recherche du gratifiant, et c'est sous ce jour qu'il faut comprendre les caractéristiques de l'identité supérieure. Impersonnelle, elle garantit que la gangue de la subjectivité générique a été nettoyée, cosmique, elle garantit que l'enracinement se soit fait vers le ciel, tandis que les branches s'enfoncent dans la terre pour la ramifier aux ordres célestes, divine, elle garantit que le moi a reçu l'investiture de l'univers pour travailler pour lui, et non pas pour la seule identité contingente qui rêve de la lumière.


10 Mars 2008


On peut s'arracher les cheveux un par un en grande cérémonie, cela ne changera pas la loi. Le singe ne s'est pas dit, «tiens je manque d'habileté, je vais inventer la pensée». Non, le primate possède une morphologie qui attire le mental, mais ce n'est pas la créature elle-même qui a décidé de se l'approprier, cela lui est tombé dessus. Certains disent que c'est Dieu qui l'a fourni, d'autres que c'est la nature qui «monte», mais cela ne change rien, il est là. Si c'est Dieu, il nous a fait un cadeau empoisonné, sans se gêner, si c'est la nature qui monte, elle doit continuer son ascension jusqu'au supramental. Tandis que la sexualité nous a été fournie comme une contrainte, personne ne s'en plaint, puisque, contrairement à ce que prétend une certaine culture locale qui finit en peau de chagrin aujourd'hui, c'est la contrainte la plus agréable. Ceux qui souffrent en faisant l'amour sont malades, car cela est censé donner du plaisir, un plaisir plus fort que celui que le moi peut trouver dans d'autres circonstances, ce qui l'oblige à l'accouplement, et préserve ainsi le prolongement de l'espèce. Il y a donc des contraintes agréables, qui servent directement l'espèce, qui elle, ne se préoccupe pas de nos postures mentales. La vie ne prend pas en considération le scrupule du prêtre qui voudrait dépasser la chair, et il bande la nuit comme tous les autres, et peut tomber amoureux d'une femme adultère au confessionnal, jusqu'à subir une torture chaque fois qu'elle vient se soulager tout en le tentant avec ses frasques. (Il y a des risques professionnels dans tous les corps de métier). On prend position vis-à-vis de la sexualité car la contrainte est claire, le désir puissant, et il faut bien savoir à quoi s'en tenir. Mais le mental est quelque chose de totalement sinueux, qui glisse quand on veut l'attraper, comme une anguille qui nagerait dans un bain d'huile, ce qui fait qu'il y a moins d'un individu sur cent qui se poste en face de cette contrainte pour voir ce qu'il peut vraiment en faire.

L'outil est à disposition, mais comme il semble fonctionner tout seul, personne ou presque ne cherche à le prendre en main. Les dieux (et non les avatars) en profitent pour manipuler l'espèce comme une bande de singes idiote, et se font servir par l'intimidation. Ce que raconte Eliade, la Bible, Frazer, est vrai: si l'homme n'obéit pas à ses dieux, il est puni. Certains demandent des bricoles, d'autres de magnifiques bains de sang, ce qui me désespère chaque fois que j'entends parler des civilisations de l'Amérique centrale comme détentrices d'une «connaissance» quelconque. Bon, n'est pas occultiste qui veut, mais le fait est que le mental gobe n'importe quoi, dès qu'il est correctement manipulé, car il suffit de lui faire créer des représentations données, et à partir de ce moment-là, elles commandent aux actes. Tous ceux qui ne savent pas penser par eux-mêmes gobent n'importe quoi, et agissent en conséquence. Cela va se loger même dans la «démarche spirituelle» où de pauvres âmes, convaincues de leur salut, décrètent que le seul chemin est le christ, rendant ainsi obligatoire l'itinéraire de la Vérité, tandis qu'ils cultivent sournoisement, au fond d'eux-mêmes, la haine ou le mépris, ou encore la pitié condescendante pour tout amateur de vérité passant par une autre voie. Je n'ai rien contre le Christ, ni contre le Madhi, ni contre Maitreya, ni contre les maîtres ascensionnés, ni contre Kalki. L'idée qu'un seul peut faire le travail de tous les autres, parce qu'il est plusmieux, ne peut envoûter qu'un chercheur qui refuse de grandir, qui a besoin de grandes phrases pour se poster à l'affût de la vérité, en étant certain d'être au bon endroit, comme n'importe quel pêcheur choisit de préférence un site poissonneux. Mais la connaissance ne dépend pas de l'Instructeur, mais de celui qui prétend s'y ouvrir, et se jeter dans les bras du christ n'est pas un raccourci. Si c'est le bon, espérons-le, car c'est le seul personnage de l'histoire qui est vraiment parvenu à se faire imiter par toutes sortes d'entités qui prétendent être lui, prendre cette voie est la bonne, avec sincérité, amour, discernement. Mais c'est par un phénomène pervers qu'on déclare qu'elle est la seule vraie, parce qu'il ne s'agit là que d'une ruse du mental pour prétendre qu'il ne peut plus se tromper, et c'est naturellement la porte ouverte à une fausse voie. Un individu qui croit ne plus pouvoir se tromper parce qu'il a trouvé LA VOIE est foutu pour l'expérience de la vérité.

Il n'y a pas de voie, autre que soi-même par rapport à soi-même, et tous les mensonges qu'on se raconte pour se persuader qu'on va dans la bonne direction, alors qu'il n'y en pas, de direction, maintiennent dans l'ignorance. On peut atteindre des réalisations en passant par des intermédiaires, on peut même se la jouer «mon intermédiaire est meilleur que le tien, moi je ne fais pas dans le prêt-à-porter», toutes ces insinuations sont de l'ordre du mental, de petits points de repère, espérons-le, pour tenir le coup face à la difficulté de l'ascèse. Si Jésus, le Christ, Krishna, le Madhi, ou Lao-Tseu vous prend sous son aile, vous risquez de surestimer ce qu'ils peuvent vous apporter, parce que le but n'est pas que vous restiez sous leur protection, mais que, comme eux, vous deveniez des êtres de connaissance, pour faire basculer les statistiques du bon côté. Plus d'humains sur le chemin du retour. C'est le seul moyen, hormis les catastrophes naturelles, pour sauver l'espèce, et retrouver la dignité terrestre.

Quand on est assez fort pour voir certaines réalités en face, ce qui m'a demandé perso trente ans de yoga supramental, on sait que notre survie tient à presque rien. Une fois de plus, la vie a récupéré le mental, l'a absorbé, l'a réintégré dans son cercle, et l'humanité peut disparaître. On s'est encore trompé de voie, il paraît que c'est la septième fois qu'on essaie de s'en sortir. Alors que le vital devrait être transformé par le mental, qui lui est supérieur (ce qui est finalement l'essence de la voie spirituelle), l'espèce a refusé d'utiliser le mental aux fins de l'âme, et il a donc été récupéré par les petites forces de l'évolution, l'intelligence du territoire, qui préserve avec violence et obtient avec violence, la gratification du moi, soit l'utilisation automatique de la pensée aux seules fins de la puissance individuelle, et nous ne savons plus comment retourner le processus. C'est le naufrage du Titanic. Exactement. Le commandant voulait frimer en arrivant vite de l'autre côté, et il n'a pas écouté les conseils du pilote qui l'avait prévenu du brouillard. «Ces gens ont payé leur traversée une fortune, pas question de ralentir, et même, pour vous apprendre à contester les ordres, vous allez mettre les bouchées doubles, Dieu est avec nous et avec la prospérité, ainsi soit-il». Bravo la connerie. Il est certain que le mental est un très bon pilote employé correctement, il est prudent, dépasse l'évaluation à court terme, triture les possibles, et enfin, un jour, il jouit de lui-même. Ce moment-là est le plus important de tous dans une vie, parce que cela veut dire que le mental a bien fini par être accepté, totalement, et qu'il est enfin ressenti qu'il va fournir de nouvelles satisfactions, plus profondes, plus holistiques.

La contrainte a été transformée en liberté, ce qui, excusez-moi du peu, montre que l'homme a vraiment un potentiel divin, dans la mesure où il devient maître de ce qui le rend esclave.

Parvenir à l'amour de la saisie du réel par l'esprit n'est donné qu'à un très petit nombre d'individus, puisque, même ceux qui aiment l'intelligence, qui parviennent à réfléchir avec plaisir, circonscrivent le champ de leur investigation. Zatiz ze Kestion, comme le dit la fameuse formule secrète dans cette langue moitié araméenne, moitié grecque, que j'ai l'honneur de vous révéler, et dont la traduction la plus appropriée est «Ferme la porte, j'ai horreur des courants d'air». Le mental s'obnubile sur des préoccupations pratiques, parvient presque difficilement aux préoccupations morales, et ne s'autorise que peu d'errances. Il ne devient pas assez partie intégrante du moi pour servir fidèlement l'individu, car il demeure une canne à pêche alors que son rôle est de devenir l'art de pêcher. Il trouve des signifiants supérieurs, certes, mais s'en contente. La distance du mot amour à la réalité de l'amour ne l'effraie pas, puisque il ne fait pas le chemin, ce qui lui permet de vivre dans un amour aux trois quarts imaginaire, décoré de sollicitude, d'admiration pour le Christ ou Krishna, d'un manque à gagner idéaliste, et d'une espérance au goût de crème Chantilly, qui s'accompagne, au retour de bâton, de déceptions aussi naïves que méritées, amères. Même chose avec la connaissance. Le mot enfin trouvé comme un joyau entre une légende sur Socrate et une rencontre d'un bouddhiste invétéré, va produire un certain mouvement vers la connaissance, car la question de l'identité commence à sourdre. Mais les signifiés se dérobent, et il faut avoir un courage herculéen pour le reconnaître. Tiens, c'est vrai la claire lumière je n'y suis pas encore, tiens c'est vrai le non agir je n'y suis pas parvenu, et pourtant je sais que c'est la voie.

Il faut donc trouver le moyen de rattacher le signifiant au signifié, le mot à l'expérience, l'itinéraire à la destination. Le mental peut accomplir ce travail, car il s'épure, comprend même qu'il pourra s'annihiler un jour dans une paix absolue qui lui procurera un sentiment direct de la réalité, mais s'il cesse d'investir le positionnement du moi vis-à-vis du non-moi et de lui-même, il n'y a plus de tourbillon en spirale pour déclencher des prises de conscience. Or chaque instant livre une information sur sa propre ignorance, sur ce qui résiste à l'élan solaire, encore faut-il aimer cette capacité d'investir les choses dans un cadre plus large que celui qu'on veut lui conférer. Sans aventure hors des sentiers battus, comme n'importe quelle machine, le mental fonctionne en routine. Il suffit de le pousser vers le moi pour qu'il devienne vivant, mais cela suppose que la question qui suis-je va se poser avec une intensité qu'il faut bien appeler obsédante au début. Et c'est là où il n'y a plus personne ou presque. On veut bien être obsédé par le sexe, la carrière, les jeux video, le ski ou la plongée, et même la littérature ou la philosophie, mais accepter cette obsession de se rattacher à l'univers, directement du producteur au consommateur, même quand on en comprend la nécessité, c'est difficile de chez pas de la tarte. Alors on conserve des certitudes, et on marche vers l'avenir à reculons.

Et pourtant, je ne vois pas comment la connaissance peut s'obtenir si l'on n'accepte pas, intégralement, d'être au pied du mur. Elle n'est pas là, je la souhaite, je dois trouver le chemin. Il est beaucoup plus facile d'éviter la confrontation au mur, et dire le Christ va m'en sortir, Mère fait le yoga à ma place (ce que j'ai entendu à Auroville) que se poser la question du qui suis-je. Je connais même des tricheurs très proches qui ne se posent pas la question, mais qui, imbus d'eux-mêmes à un point inimaginable, sautent directement à la case «je vais m'améliorer spirituellement» en construisant sur leur ego des architectures kabalistiques et des arabesques en trompe l'œil si perfectionnées qu'ils mourront sans doute convaincus d'aller direct à la droite de Dieu, alors que le bardo leur posera à nouveau la question qu'ils n'ont pas résolue dans d'autres passages, vu qu'ils cultivent leur ego dominateur et supérieur dans l'érotisme du culte du moi depuis plusieurs existences.

Je défie qui que ce soit de trouver un initié qui n'ait pas été torturé tant soit peu par le qui suis-je, le temps de mordre la poussière et de se mettre en marche. C'est vrai qu'il y a des illuminations spontanées et profondes, et justement, rien ne prouve qu'on puisse les intégrer correctement si la question de leur utilité ne s'est jamais posée, mais c'est un problème très délicat, que je ne peux pas développer sans mettre en cause certaines personnes. En-dehors d'exceptions, le cheminement vers la libération passe par une reconnaissance exhaustive et douloureuse de son propre état, qui se transforme ensuite en son contraire, la joie d'être dans le noir parce qu'on recherche la lumière. Une joie réelle, sans fioritures, l'aveu qu'on est paumé dans le labyrinthe mais que c'est passionnant de chercher la sortie, la constatation qu'on est dans la caverne, bien sombre, et qu'on peut se tromper sur l'orientation de l'issue, si on commence à frimer. Peu parviennent jusque-là, parce qu'ils se sentiraient humiliés devant le sentiment de leur nudité absolue, de leur impuissance suprême, ce qui fait que la porte est étroite, l'orgueil devant être terrassé pour ouvrir la voie, ce que trop peu d'êtres humains acceptent pour que la contagion de la Vérité se développe dans des proportions satisfaisantes. Je me souviens sans effort de ce petit air entendu de la plupart des prêtres que j'ai rencontrés, et qui vous font bien comprendre par leur ton, leur attitude, qu'eux, ils ne sont pas n'importe qui, qu'ils bénéficient du privilège de la vérité, ils attendent de vous une sorte d'écoute spéciale comme s'ils parlaient le Verbe, et ils ne se rendent même pas compte qu'ils pataugent dans une telle condescendance qu'ils sont désormais privés pour toujours du contact avec leur «prochain». Le prochain, c'est ce petit être informe et méprisable, ou à côté de ses pompes à la rigueur, qu'il faut ramener au troupeau, qu'on fait semblant d'aimer puisque c'est un ordre, mais il sert surtout à se convaincre soi-même qu'on est dans le vrai. D'ailleurs, tout prochain capable de vous mettre le nez dans votre caca est un hérétique. Le mental produit autant de schizophrènes qu'il y a d'individus, car les représentations s'interposent à chaque instant entre l'esprit et le contexte. J'ai eu la chance de comprendre cela à quatre ans, et j'affirme, quitte à faire des jaloux et passer pour un jobard, que je n'ai jamais cru à rien.

Il n'y a pas d'autre voie que celle de l'expérience pure. Je n'ai jamais cru au supramental, j'étais content de savoir que Sri Aurobindo était monté aussi haut, je n'ai pas senti la suite du programme, et j'ai mis 350 jours à comprendre vraiment ce qui m'arrivait.

La vérité, d'accord, clament les chercheurs maladroits, à condition qu'elle prolonge mes mensonges préférés, et en particulier que je suis déjà ce que je suis, ce qui fait que les associations d'idées se passent toujours à partir du même centre, et que l'intuition pure ne peut pas sourdre, puisqu'elle vient de plus loin que la mécanique habituelle qui conjugue. Dieu, pas de problème, s'il reste dans le profil de mes idoles, rassurant, compatissant, maternel, doux, sucré, généreux, et surtout pas susceptible, et qu'il me donne du chocolat, de bonnes petites extases qui me rassurent définitivement sur la qualité de mon être. Erreur, puisque chacun sait que le Divin est tout, mais à des niveaux différents de conscience, ce qui fait qu'il n'y a pas de séparation entre l'immanent et le transcendant, mais des liaisons, des passerelles et des cloisons psychologiques, qui maintiennent la cohérence de l'ensemble, vu que le Divin n'a pas à être immanent tant qu'on ne l'a pas découvert dans le transcendant. (Toujours pareil, pour que la Vérité reste incorruptible).

J'ai la flemme de développer, mais ça mérite réflexion, et ça ne veut pas dire non plus que Spinoza ait raison. Il faut monter très haut pour avoir ensuite le regard naturel qui voit le Divin dans la feuille qui tombe, le bourgeon, l'assassin, et même l'adversaire, sur le même terrain de jeu de la Manifestation. Et encore, ce n'est pas toujours agréable, si on met trop son nez dehors. Il m'est arrivé à Mayotte, pendant la journée, de monter extrêmement haut pour faire face aux nuits où je croyais pouvoir mourir, et, à une certaine sortie, j'étais deux canards vivants tenus la tête en bas, sans ménagement, par un motard, et comme j'étais à leur place, ce n'était pas agréable du tout. Les hauts états de conscience montrent le travail qu'il reste à faire, et c'est simplement parce que nous vivons dans un monde gouverné par la vanité qu'on s'imagine que les états divins sont le nec plus ultra de la perception, le plus grand luxe que la conscience puisse se permettre, la Rolls Royce de la star libérée. Ce n'est pas vraiment cela, mais c'est indescriptible, et c'est utile. Ce n'est pas une friandise, ou la preuve qu'on est devant, c'est le Divin qui voit et Il n'est pas forcement satisfait tout le temps de ce qu'Il contemple, vu que l'immensité du chantier apparaît parfois avec une acuité décourageante dans ce qui reste de l'instrument. Voir, c'est servir, et c'est la tradition des boddhisattva autant que celle des vrais chrétiens, voir, c'est mettre en garde, pour les vrais juifs. Voir, c'est être, pour les hindous, et ceux qui maintiennent le cap de l'évolution, et guident vers la vérité. Voir, c'est lier le ciel et la terre pour le taoïste, et s'imbriquer dans une conscience exhaustive, où le corps physique, bien que périssable, peut subir l'équilibre de l'univers et le manifester.

La complaisance du prédicat panthéiste, où c'est la croyance qui établit cela, «Tout est Dieu», ne donne malheureusement pas sur la véritable Conscience du Divin immanent, que Sri Ramakrishna, par exemple, a souvent éprouvée, puisque le mental ne peut pas voir Dieu, et qui a soulevé Sri Aurobindo en lui ouvrant les portes de son avenir: toucher le supramental, enfin de retour. Cette vision est possible, elle ouvre sur l'infini terrestre, car les hommes pourront bénéficier d'une perception unitaire des choses, une fois l'âme mise devant. La schizophrénie mentale, issue de la souveraineté tyrannique des représentations, ne sera plus le fonctionnement ordinaire de l'esprit. Les représentations subsisteront comme de simples structures organisatrices de la perception, elles seront provisoires et en perpétuel mouvement, elles s'adapteront au vécu, et ce ne seront plus des obstructions à la vision directe du champ. On le voit, pour les intimes, j'ai beau avoir peu de sympathie pour le dandy célèbre, je confirme quand même ce qu'il s'est ingénié à montrer, que les croyances structurent la perception immédiate, et que donc les dés sont pipés au départ. (D'où l'imbécillité de troquer des croyances prêt-à-porter contre des croyances sur mesure puisque ce sont toujours des croyances. Vos propres croyances ne sont pas meilleures que celles des autres, sous prétexte que vous les avez CHOISIES). L'aspiration peut vous faire reconnaître la suprématie d'un Christ, d'un Krishna, d'un Sri Aurobindo, et la seule chose réelle que cela peut engendrer, c'est une vérification des vérités qu'ils vous proposent d'expérimenter dans votre vécu. Le reste est superflu.

Et vite gênant, et puis cela devient catastrophique: on se trouve enfermé dans un système de représentations supérieures, et on a de moins en moins envie de se confronter au réel. C'est comme ça que tous les hindous scrupuleux, à la retraite, finissent confits dans des ashrams où ils font tout bien comme il faut, prisonniers du cadre des présupposés liés à des pratiques contingentes journalières. On dort en se croyant éveillé, puisqu'on peut se donner le change à chaque instant, la mise en scène étant parfaite, du lever du soleil à la fin de la journée. On meurt confit dans la bien pensance, et les maîtres en ont sans doute assez, ou acceptent ce déchet, pour la petite minorité qui fait vraiment le boulot, et qui doivent être là pour se réaliser.

Arrêtez de cultiver les salades dans le potager fertile de la suffisance cosmique, les vers de la séparitivité s'en gavent avant vous.

L'expérience et rien d'autre.

Les témoignages des grandes saintes chrétiennes sont éloquents, les pauvres se culpabilisent au moindre désir, à la moindre faiblesse; tout leur être est arc-bouté vers la perfection, et quoi qu'en dise pas mal de porcs freudiens, leurs extases ne sont pas seulement des bourgeons de leur frustrations sexuelles. Ramana a un flash par rapport à la mort qui (le) foudroie, et le qui suis-je devient le je suis. Mère fait des expériences déroutantes petite, et se dit que son existence n'a aucun sens sans le Divin. Mon dandy préféré est conditionné pour se prendre pour le Messie, il se dit «qu'est-ce que c'est tout ce cinéma», et il restitue sans le faire exprès la doctrine originelle du Bouddha, puisqu'il n'y a effectivement que le retour sur soi et donc l'investigation des contenus psychologiques qui nettoie le désir et corrode la peur, les deux sources de la violence, et il prêche l'expérience pure contre les Ecritures. Sri Aurobindo est prêt à encourir la prison et plus, quand il joue à libérer l'Inde, ce qui prouve qu'il se connaissait assez pour accepter les risques qui vont avec un tel engagement. J'ai trouvé stupide de mourir quand j'avais sept ans et qu'une petite fille plus âgée m'a fait comprendre que c'était inévitable, je ne l'ai pas vraiment crue, et depuis je cherche qui je suis, pour accepter la chose, ou la transformer, ce que j'ai d'ailleurs tenté en étudiant l'alchimie avant que le supramental débarque sans prévenir. Je sais distinguer une personne engagée et une qui ne l'est pas, et se le fait croire. Il n'y a pas que de la mauvaise foi.

Le new edge qui comme son nom l'indique, est le nouveau bord de la limite du mur, est resté dans l'envoûtement général issu du siècle des lumières, qui veut que la réalité soit à notre service. L'imprégnation dans le mental occidental est si profonde depuis douze générations qu'on en hérite dans n'importe quel milieu, et qu'on va donc s'imaginer dans la foulée que Dieu va se soumettre si on a besoin de Lui, que la Vérité va conforter nos espérances, elles-mêmes fondées sur des illusions en béton armé, que la connaissance s'obtient parce qu'on a décidé de s'y mettre, et qu'elle finira bien par admettre qu'elle nous doit bien ça, puisque on est moins médiocre que n'importe qui, et qu'on investit dans le plusmieux cosmique et le salut de la terre. La manière dont les «chercheurs» prétendent s'engager, alors qu'il n'y a dans leur démarche qu'une amélioration de l'ordinaire, mais avec en fin de compte, toujours l'idée de sortir son épingle du jeu, en substituant des ambitions spirituelles aux ambitions matérielles, possède quelque chose de révoltant pour l'esprit s'il décroche du supramental: il est à nouveau happé dans les performances du mensonge, de plus en plus fines et subtiles, de plus en plus géniales. Heureusement, tous les chercheurs ne sont pas dupes, bien qu'i y en ait moult qui se contentent de changer de carotte s'ils ne parviennent pas à la rattraper assez vite pour s'en repaître, ce qui est à mourir de rire, ou à pleurer toutes les larmes de son corps, selon la disposition du jour. Peut-être faut-il épuiser toutes les carottes pour parvenir à la révélation suprême: pour le moment chaque moment, chaque seconde, chaque instant est un obstacle entre le Divin et moi, alors je vais me mettre à ausculter ce mur de l'ici et maintenant, jusqu'à traverser le miroir parfait qu'il constitue. Tant que je ne me regarderai pas dans la glace exhaustive du présent, je ne saurai pas qui je suis, et le passage me sera refusé: je n'aurai que le retour de mes projections.

Le temps est le tamis, rien ne m'obéit. Les dieux se gaussent, et je suis seul face à tout. J'ai épuisé les pochettes surprises et je ne parviens plus à ravauder mon nounours ou ma poupée. Je me suis raccroché le plus longtemps possible à des illusions, et vers la fin, c'était vraiment des illusions de grand luxe, pas à la portée de n'importe qui je te le jure. J'avais trouvé la bonne carte au trésor, mais je n'avais pas compris qu'il serait aussi bien protégé. Je sais où il est, mais il demeure aussi inaccessible qu'avant. Zut alors, il n'y a pas de room service pour les signifiés, et si tu veux Dieu, la connaissance, le Tao, la libération, l'harmonie suprême, l'Amour, la terre nouvelle, ils demeurent toujours à égale distance si tu ne traverses pas le mur. Comme une carotte que le cavalier tend à son âne pour le faire avancer. Le signifiant lézarde dans la durée, pavoise et roule des épaules et fait des défilés de haute couture avec des logo qui le mettent en valeur; le signifié, lui, est de l'autre côté de l'ignorance, du mur, du présent - imperturbable dans la paix intemporelle, dans l'incorruptibilité du feu... Bref, le trésor, une fois localisé, est aussi difficile à obtenir qu'avant. C'est même pour ça que certains maîtres jettent le mental à la poubelle: il prend la carte pour le territoire, ce qui rend toutes les topographies inutiles. Tu ne sais pas qui tu es. Point final. Le dandy a raison, la gûitâ te servira à rien, si tu ne la pratiques pas, et comme tu crois que c'est un livre, abruti, tu ne réalises pas que c'est un mode d'emploi du perçu, alors autant l'offrir à ton pire ennemi pour qu'il se la pète.

Tu cherches la sortie et tu fais une lamentable erreur car c'est l'entrée qu'il faut trouver.

Dur dur d'être une âme.

Mais je n'ai plus le choix! Et si ta sincérité est absolue, le Divin t'enverra, depuis l'autre côté, ce qu'il faut. Mais sincérité n'équivaut pas à acharnement, conviction, détermination, volonté, idéalisme, vénération formelle, discipline, intégrisme pour ego supérieurs, comme à Auroville. C'est un autre petit gadget évolutif qui n'a l'air de rien pour certains, mais sans, ce n'est pas possible. C'est comme une bagnole, sans la tête du delco, ça démarre pas. Même une Ferrari. Alors ça sert à rien de vider la batterie. Ta belle bagnole, elle ne fera pas un seul rond de pneu tant que tu n'iras pas voir sous le capot. Te voilà prévenu. Sous-estime pas l'esprit, mon pote, il t'emmène où il veut, même à croire à ta rédemption, ton salut, ton progrès, ta «préparation»... Alors qu'il te fout des œillères maousses costauds en te montrant le chemin. C'est pas un chemin, c'est un leurre, pour que tu passes à côté de l'itinéraire véritable, possible seulement sans ton petit autel de poupées que tu prends pour des dieux bienveillants, sans tes bouées de sauvetage, comme l'amour que tu inspires à Dieu du haut de tes remords rances et de ses remontrances, sans la caution d'un maître certifiée conforme chez le notaire, qui t'a mangé la tête, comme cette fille qui à l'époque t'as laissé sur le carreau. Le mental, tu ne fais pas le poids. C'est lui qui te mène en bateau en t'indiquant la marche à suivre. Seule ta faim du feu, seul ton besoin incandescent de te ramifier à l'Immense ouvrira les arches secrètes. Tes prédicats, tes finesses, tes commentaires zéclairées sur Patanjali, sauf à draguer les dévotes du yoga, inutile. Ta bibliothèque ésotérique, c'est une armure (on ne dénonce pas son petit camarade). Ta foi, c'est une épée pour transpercer les vérités qui te blessent, ta «voie», c'est ce qui te permet de t'enfermer dans ta bienpensance puante (Inutile de vous sentir visé puisque ça vous fait justement penser à d'autres... )

La seule voie, c'est le creuset de l'instant, et nul n'en est le propriétaire. Tu peux collectionner les Rolex Vintage et les horloges bressanes, et te ruiner en chronomètres au millième de seconde pour mesurer un quanta... Mais acheter le temps qui passe avec TA vérité, tu t'es trompé de planète. Vos œillères commencent à faire désordre, centaures de l'absolu, chercheurs patentés d'impasses aux noms ronflants, inquisiteurs de la pureté qui vous vous recommandez de faux soleils pour briguer des vérités nouvelles, celles qui donnent le Divin à l'homme comme on jette en pâture quelques os à des chiens. Ce n'est pas en raccourcissant l'échelle de Jacob que vous vous en tirerez, le Divin restera nickel, hors de portée de la plupart de ceux qui s'en réclament, et rêvent seulement de se séduire en jouant dans le miroir à se regarder sous le meilleur jour. Trois mille ans que ça dure, et c'est peut-être fini: la Terre va droit dans le mur, et ne sous-estimez pas la force de ce grand animal blessé.

Le moi qui Voit n'est pas celui qui pense, mais Il commence comme ça, c'est la loi de l'espèce, et puis il se débarrasse du superflu: c'est-à-dire tout, sauf le présent et le feu qui te brûle.











































































































Grâce au site, certaines personnes ont pu me retrouver et elles m'ont fourni des fragments de cours ou de conférences que je n'avais pas conservé moi-même. J'ai donc la chance de restituer une conférence, qui date d'il y a 15 ans, où je caractérise le propre de la conscience supramentale d'une manière très claire et très précise. Avant de s'avancer sur les possibilités ultimes de la transformation du corps physique, contentons-nous déjà d'apprécier l'incroyable transformation psychologique qu'apporte l'énergie supramentale dans l'individu qui s'habitue à son pouvoir permanent. La devise qui était la mienne à l'époque n'a pas changé et elle résume en une formule lapidaire ce qu'apporte vraiment le supramental: Le supramental montre spontanément le côté positif de tout événement négatif. Je n'ai fait, finalement, que développer cette sentence dans l'ouvrage nommé « les principes de la manifestation », création que je distribuais dans une forme inachevée à l'époque, à quelques personnes qui suivaient une formation en astrologie avec moi.

Il y a une différence entre se persuader que tout événement négatif recèle une issue positive, et le fait de le vivre spontanément avec une autre conscience, dont on est dépositaire, et qui ne peut fonctionner que dans un état de disponibilité absolue au Divin, qui aura déjà aboli dans le moi les systèmes de défense générique, et qui empêchent de percevoir la positivité absolue de toute chose. Quand on est possédé par cet état, il est évident qu'on peut à nouveau avoir confiance en l'espèce humaine, quelle que soit son ignorance, car on aura vécu avec l'état psychologique qui, un jour, la sauvera d'elle-même.

Dans cette mesure, le paradigme supramental dépasse les considérations habituelles que l'esprit humain bâtit sur la nature du spirituel, et ce fameux spirituel n'apparaît donc plus comme l'opposé du matériel et du profane, mais simplement comme le moyen dont l'humanité dispose pour se dépasser elle-même. Il n'est même pas impossible que le spirituel n'ait servi qu'à une seule chose : grimper vers la conscience qui nous permettra enfin de vivre sur la terre sans être manipulé par les pouvoirs obscurs de la vie. Le Divin fournira une autre mentalité aux terriens, et cela permettra de changer aussi bien les relations à l'autre, comme le Christ le souhaitait, et les relations à soi-même, comme le Bouddha le préconisait. Il reste à dépouiller le spirituel de toutes ses fausses caractéristiques qui permettent à des individus mal informés de s'imaginer que c'est un bien personnel supérieur. Non, c'est simplement le moyen de trouver l'utilité absolue de l'existence, en permettant à la vie d'incarner tout ce à quoi l'homme aspire depuis toujours, et qu'il est incapable d'accomplir, parce qu'il ne fait toujours que la moitié du chemin. L'histoire risque de nous obliger à toujours aller plus loin, à toujours accepter plus de choses sans jamais nous soumettre, et c'est dans la découverte de cette envergure cosmique que les moules obscurs de notre personnalité seront brisés sous la nécessité du changement qui s'impose.

Je vous livre donc en toute liberté ce texte qui évoque la révolution de la conscience qui est possible avec le Divin, si nous parvenons à Le contacter. Vu que la manifestation supramentale est destinée aux terriens, je m'oppose au culte des personnes qui seront les premières à manifester l'énergie supramentale, et mon témoignage continue à s'établir sur des bases extrêmement simples, le besoin d'exprimer ce qui m'arrive, en laissant à chacun le loisir de réfléchir sur mes déclarations. Je répète donc que mon but n'est pas de convertir qui que ce soit au supramental, mais de dire à ceux que cela concerne que l'expérience commencée par Mère et Sri Aurobindo peut continuer. À une époque où il est de bon ton de s'inquiéter pour l'avenir proche, je m'acharne presque à affirmer qu'un individu qui sait se consacrer à la connaissance peut faire face à n'importe quel type d'obstacles, et peut même aider les autres à les utiliser, dans la perspective d'un progrès de la conscience universelle. Car la conscience n'appartient à personne, et elle demande seulement à ceux qui la connaissent mieux qu'ils lui permettent de s'établir d'avantage sur la terre par-dessus les races et les personnalités, chez ceux qui en ont vraiment besoin.

Méta thérapie

Séminaire de Genève - 28 novembre 1993
Présentation du livre « L'intelligence de l'évolution »
( précurseur « Des Principes de la Manifestation » )

Je pense que si on est dans un état d'esprit entièrement passif, ce doit être possible de se laisser entraîner par ce qu'il y a dans le livre et finalement de le comprendre et pratiquement de l'intégrer. Si on est dans une vibration où il faut faire des efforts pour comprendre, pour suivre, il vaut peut-être mieux ne pas insister. Par contre, on peut le lire dans n'importe quel sens, on peut commencer par n'importe quel chapitre, il y a un ordre qui est chronologique parce qu'il faut bien un certain sens.

Donc, je pense que j'ai pu écrire ce livre - au Sri Lanka - parce que j'étais dans un état effectivement de passivité totale où je n'avais plus de résistances à instaurer vis-à-vis de personne, vis-à-vis d'aucune énergie, d'aucune vibration, dans un état d'innocence totale où donc il n'y a pas d'adversaire, où il n'y a pas à se méfier de quiconque. Alors naturellement, je souhaite que cet état d'esprit se développe parce qu'il y a toute une part du mental critique qui est associé à l'identité et qui croit qu'il voit mieux que les autres, et en profite pour couper au couteau les choses légères, au niveau de la communication, qui peuvent se passer, pour empêcher une vraie relation.

C'est une vision pratiquement exhaustive de la complémentarité des choses adverses et des choses qui ne le sont pas. Donc ça va vous bouger parce qu'il n'y a pas un seul aspect de la réalité dont le mental peut dire « c'est mauvais, c'est négatif », qui ne soit à la lumière de la conscience supramentale quelque chose de positif, ne serait-ce que par l'information qui est fournie. C'est-à-dire, telle chose qui nous paraît négative, elle l'est ou elle ne l'est pas, mais elle nous paraît négative. Pour la conscience future de l'humanité - si elle survit, ce que je souhaite, ce dont je ne suis pas sûr - ces choses-là seront absolument balayées. Il ne peut pas y avoir quoi que ce soit qui ne soit un obstacle fondamental à la manifestation de la conscience, cette chose-là est fausse, il faut qu'on le sache une bonne fois pour toutes, c'est faux ! Alors dans ce livre, j'ai baptisé d'une manière générique - c'est-à-dire tout ce qui peut se passer sur la terre concernant les choses que nous jugeons négatives à un titre quelconque, ces choses-là je les nomme dans ce livre : les survivances dynamiques, et nous avons affaire à elles en permanence, au niveau individuel, processus que nous avons à dépasser et que nous pouvons dépasser, mais elles reviennent et c'est un combat difficile.

Il y a des survivances dynamiques dans toutes les classes de la réalité, familiales, politiques, etc. Il n'y a pratiquement que des survivances dynamiques dans tout ce qui est établi. Mais parce que l'évolution est un processus de transformation permanente, à chaque instant, on peut à travers des choses très subtiles, changer son regard.

Prendre conscience que l'on peut, par exemple, être très copain avec une personne et être à couteaux tirés cinq minutes après, et parfois on ne sait même pas pourquoi... Donc on doit vraiment se rendre compte de cela, l'énorme manipulation. Alors dans ce livre, il y a effectivement quelque chose qui, sur le plan mental, apparaît comme une manipulation terrible, et lorsqu'on est dans la conscience supramentale et que l'on voit cette manipulation de la vie sur l'être humain, il faut aimer suffisamment le Divin pour lui pardonner de nous avoir mis dans une situation aussi terrible où les dés sont pipés comme je le répète souvent...

Personnellement, il y a des moments où je ne peux pas me maintenir dans l'ampleur propre à la conscience supramentale qui doit me permettre à la fois d'accepter cette ignorance et cette souffrance énorme en la justifiant, donc il n'y a que le Divin qui peut commencer à tout chambouler... Il peut descendre, ça se fera, mais il ne faut pas lui mettre tout le temps des bâtons dans les roues, ce qu'on fait en général.

Dans cette conscience-là — supramentale — que je ne peux pas décrire, le mal, l'ignorance, tout ce qu'on peut imaginer de négatif, est justifié parce que ces choses-là ne constituent plus des obstacles fondamentaux à la réalisation et à la descente de cette conscience. Si j'arrive à faire ce travail, et si je deviens particulièrement lumineux, peut-être qu'à mon contact, il pourra y avoir quelques bribes de quelque chose plus tard, mais pour l'instant je n'en suis pas là, donc je ne suis pas un maître, je ne suis pas un gourou, mais je me bats en quelque sorte pour essayer de m'ouvrir à ce travail de la Force qui est colossale, néanmoins, il reste quelque chose de ce travail, c'est-à-dire que, ne pouvant transmettre directement ce qui est possible sur ce plan-là, il reste néanmoins un travail que le mental humain peut percevoir et qui est en quelque sorte la justification totale, exhaustive de ce qu'on appelle le mal, l'horreur, l'ignorance, parce que ces choses-là n'existent pas. Pourquoi nous les faisons exister ? Voilà l'intérêt du livre...

Alors bien sûr, ces choses-là n'existent pas en un sens, mais ce qu'il y a d'absolument génial dans l'évolution, et que je me tue à rendre compte dans ce livre, c'est qu'à n'importe quel moment où l'on tombe sur de l'obscurité, sur quelque chose à dépasser, sur des obstacles, des adversaires, des ennemis, c'est le signe d'une transformation à effectuer, c'est le signe d'une nouvelle lumière à accepter, et non pas le signe de quelque chose qui empêche d'avancer, au contraire c'est ce qui nous permet d'avancer l'adversité, il n'y a rien d'autre qui nous permette d'avancer, sinon on s'endort ! Alors bien sûr cela va très loin, il faut se préparer à cet état de conscience où l'on est capable sans rechercher la souffrance, de souffrir dans la joie... Parce que dans la souffrance, il ne peut y avoir que le signe d'une nouvelle prise de conscience plus universelle.

Donc, première utilité de ce livre, c'est de nous apprendre à accepter n'importe quelle situation qui se présente, il n'y a pas d'autre issue que cela. Alors c'est très subtil parce qu'accepter ne veut pas dire se soumettre, accepter c'est se dire tiens, telle chose, tel événement qui me paraît indésirable, dans un premier temps, je l'accepte, et ne serait-ce que pour en éviter tous les préjudices futurs, il faut en passer par l'acceptation. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de stratégie évolutive digne de ce nom, soit de processus de conscience digne de ce nom, qui escamote les choses sous prétexte d'en prévenir la nocivité. Il n'y a rien à escamoter, on prend une douleur de face, ce n'est pas la peine de se rétrécir en croyant qu'on va souffrir moins. La douleur se représentera jusqu'à ce qu'elle soit acceptée.

Alors je défends une idée qui est complètement folle, qui est que la véritable possibilité d'évolution c'est d'abolir nos défenses, et plus elles sont abolies, plus l'identité est souple. Moins on a de choses à défendre, moins on est déçu, offensé, humilié, parce qu'on n'a rien d'autre à défendre que notre présence.

La présence est quelque chose de pur, elle n'est pas contingente. Il n'y a pas dans la présence aucune forme de contingence. Vous pouvez croire que je suis là à travers une fonction. Quelle fonction ? Je n'ai pas encore une multinationale de Salut, je suis là, vous n'êtes pas obligé d'acheter mes livres non plus, mais simplement il y a quelque chose qui tient à la présence. Pourquoi l'emberlificotons-nous cette présence, dans des cadres, des fonctions, des rôles ? Je l'explique aussi, dans la troisième partie de ce livre, qui est d'une telle simplicité que sans le regard d'un enfant, effectivement, on ne comprend pas. C'est-à-dire que l'Esprit, qui n'est rien d'autre que le Divin et qui est la seule chose qui nous anime, même s'Il tombe dans l'inconscient de l'espèce, le procédé total de notre présence au monde, il n'y a que le Divin là-dedans ! Qu'il soit obscurci ou qu'il soit lumineux, comme chez Sri Aurobindo, pour qui la Lumière est devenue un canal extraordinaire et extrêmement puissant, c'est le Divin de A à Z.

Alors comment voulez-vous imaginer le Divin, pour lui le big bang et quinze milliards d'années, c'est rien ! Ce sont des minutes, des secondes, l'Univers n'a pas de limite dans l'espace, le Divin a une échelle de temps pour laquelle des milliers d'années correspondent à nos secondes à nous, que voulez-vous donc que cela fasse au Divin que l'espèce humaine réussisse cette fois-ci l'émergence supramentale ou que ce soit dans une autre évolution ou sur une autre planète qui aura mis trente milliards d'années à naître ? Le temps n'existe pas sur le plan du Divin. Quinze milliards d'années n'ont pas plus de valeur que quinze ans. Donc, à quoi nous oblige-t-elle cette conscience supramentale ? A nous rendre compte que nous sommes des créatures infiniment minuscules...

Cette réalité-là, on la fuit en mettant des loupes sur nos yeux, parce que lorsque nous mettons des loupes, on prend de l'importance « Moi-Je, moi j'ai un éveil spirituel, moi je sais, moi ceci, moi cela ». Et on retrouve cette prostitution de l'esprit à toutes les échelles, aussi bien chez les gens primaires que chez les gens plus évolués qui ne veulent pas être remis en question, chez les gourous aussi. Tant que cette fonction-là restera dans l'humanité, aussi respectée par tout le monde à cause des contingences, des fonctions, des rôles, parce que nous avons à nous défendre, on ne peut pas rester dans cette présence d'enfant, parce que le Divin tombe dans la matière et que dans la matière le Divin est soumis à des contraintes, et je travaille sur les représentations très précises des contraintes — vous les trouverez dans ce livre aussi — pour atteindre à la souplesse mentale, et ce livre, en parti inspiré par le Divin à travers un canal, peut avoir un puissant impact pour vous dispenser d'établir des différenciations trop nombreuses dans votre perception de la réalité. Il y a plein de processus analytiques, et l'on doit différencier les choses. Mais je vous promets qu'il y a une conscience qui existe et qui veut être accessible à l'humanité, où toutes les perceptions sont unies. Donc, les perceptions adverses, elles sont magnifiques dans cet état-là, on vit dans l'harmonie, on vit dans une forme de synthèse, on oublie les contraintes, les différenciations, quand un événement surgit qui ne nous plaît pas, ne nous agrée pas, nous blesse, dans cette nouvelle conscience on salue cet événement, c'est-à-dire qu'on ne renforce pas son caractère négatif parce qu'on n'a strictement rien à défendre. Si l'humanité découvre cela, elle est sauvée. Si au contraire, chaque fois qu'il y a un petit quelque chose qui nous dérange, parce que les choses ne se déroulent pas conformément à ce qu'on aurait souhaité, eu égard à ceci ou cela, non seulement nous souffrons mais nous cultivons l'idée de la souffrance, parce que l'on ne supporte rien. Alors que le Divin supporte de s'incarner, nous êtres humains nous ne supportons rien. Cela dit, il faut le reconnaître... Le Divin, pour tout supporter.

L'intérêt de ce livre, aussi, c'est le mystère du nombre. Chacun de nous passe par des phases où nous sentons l'unité. Ce qu'il convient de comprendre - de mon point de vue de « yogi » qui prétend être en contact avec une nouvelle énergie, ce qui n'est pas tellement observable ni démontrable, et qui d'ailleurs me permet d'avoir une relation ouverte avec tout le monde puisque je ne demande pas d'être considéré - c'est que toutes formes d'unité, d'harmonie perdue n'est que le signe d'une harmonie nouvelle à créer, plus profonde, il n'y a normalement aucun type d'expérience psychologique susceptible de nous priver de l'évolution divine, aussi, voilà la question que je pose : est-ce que vous pensez qu'il peut encore vous arriver quelque chose, c'est de l'algèbre, par exemple rupture sentimentale, maladie grave, décès du papa, de l'enfant, perte de la profession, est-ce que vous pensez donc qu'il y ait un type d'événement quelconque susceptible d'affecter suffisamment votre conscience pour ne plus jamais remettre en marche votre identité vers la grâce d'être présent au monde, telle est la question fondamentale.

Et dans ce livre, je dis, pour une conscience nouvelle — qui est une conscience universelle — c'est-à-dire que je ne l'ai pas tellement « trafiquée », elle est peut-être colorée par ce que je suis en tant qu'âme et en tant que personnalité, légèrement, mais je maintiens qu'il y a quelque chose d'universel dans cette conscience-là, de la même manière que je maintiens que quand le singe s'est mis à penser et que le mental est apparu, tous les êtres humains qui ont commencé à naître avec le mental, ils ont tous eu un mental à leur disposition, ce qu'ils en ont fait, on n'en sait rien, le mental, on peut l'utiliser en étant conditionné ou pas. Mais on est à la fin du vingtième siècle et il y a une nouvelle conscience qui descend sur la terre et qui dit « moi, il n'y a pas de problème ! », il n'y a rien qu'on puisse faire contre moi ! Alors vous vous rendez compte de l'enjeu que cela suppose ? Qu'une espèce terrestre, biologique, sorte difficilement de l'animal (puisque nous allons trouver dans les survivances dynamiques tout l'héritage de l'évolution, c'est-à-dire les esprits animaux) pour parvenir ailleurs ?

Alors ce livre est basé sur une vision qui n'a duré que quelques secondes mais qui était une vision d'une puissance extraordinaire... C'est-à-dire, à n'importe quel moment on veut résoudre les choses avec le conscient. Dès que notre registre conscient est insuffisant par rapport à la situation - le temps ne se suspend pas - une réponse est fournie, et cette réponse est une survivance dynamique et c'est vrai partout. On allait signer des accords commerciaux avec la Chine, et ils font sauter une bombe atomique dans leur coin sans le dire à personne, une survivance dynamique qui surgit... On veut se rafistoler avec quelqu'un, au dernier moment il se fâche et toc... Punition... Nouvelle séparation. On vit dans un monde de survivances dynamiques. Elles sont tout ce qui passe à travers nous comme étant des réponses dans les situations où nous ne pouvons pas faire face avec notre identité spirituelle.

Donc, ce n'est pas la peine d'essayer d'échapper aux survivances dynamiques, cela voudrait dire qu'on est parfait. Moi j'en rencontre à mon niveau, mais elles sont génériques, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à l'espèce entière, comme par exemple la possibilité de se soumettre à une autorité supérieure, pourtant en ce qui me concerne c'est l'autorité du Divin, mais il y a des jours ce n'est pas possible car il y a les survivances dynamiques de la liberté humaine qui sont trop fortes.

Donc la réalité c'est un mille-feuille. À tous les étages de la réalité, on rencontre cela. Des processus d'innovation - tout ce que vous trouvez de beau dans l'innovation, créativité, différenciation uranienne, établissement d'un ordre meilleur par la transformation des informations du passé, découverte d'un nouveau champ d'investigation, toutes ces choses de « l'innovation » vont susciter l'apparition de survivances dynamiques quelque part. Alors bien sûr, on ne peut pas en sortir, vous voulez par exemple faire quelque chose de neuf, de beau, et il y a tout le monde qui pense que vous allez là où il ne faut pas aller, que rien ne vous autorise à faire ce que vous faites, que ceci que cela... Bon, ce livre vous invite à une représentation mentale assez large des processus qu'emploie l'évolution pour se manifester. Pourquoi j'insiste ? Parce que l'esprit humain, qui est friand de gratifications, regarde dans l'évolution ce qui l'arrange, tout ce qui va dans notre sens, ah là c'est beau, c'est merveilleux ! Mais la reconnaissance des survivances dynamiques ne se fait pas, voilà le gros problème. C'est-à-dire qu'on ne cherche pas à accepter tout ce qui est gênant, tout ce qui nous empêche d'avancer.

Donc, maintenant que ce décor est posé, nous, on a un manuel de « survie évolutive » à notre disposition, « l'intelligence de l'évolution », qu'on peut lire dans n'importe quel sens, on n'est pas obligé de tout comprendre. Nous, on a en quelque sorte l'intuition ou la certitude que rien ne peut nous empêcher d'évoluer. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'obstacle, cela ouvre donc une porte sur le discours que l'on peut tenir vis-à-vis de tous ceux qui nous entourent et qui prétendent en permanence qu'il y a des obstacles, pour ceci pour cela. Alors si on va loin, je peux pratiquement affirmer qu'une connaissance, qu'une compréhension profonde de ce livre, peut aiguiser la différence qu'il y a entre la mentalité de l'évolution qui fait face à n'importe quoi — d'ailleurs quand je peux, je rends hommage à ceux qui ont travaillé dans ce sens, Jung l'a très bien fait, par exemple — donc, il n'y a pratiquement plus rien qui va nous faire peur, mais si nous continuons à vivre dans le monde, j'aimerais que ce livre permette cette compréhension profonde (et non pas de faire du messianisme où on dit « ouais, tu t'inventes des obstacles en permanence) pour que nous puissions préserver notre intégrité dans notre conscience et sachions parler de ce que nous vivons. Peut-être par une forme de discours approprié, soit dialectique, soit du cœur, soit des « insights » qu'on peut produire chez les autres, pourrons-nous aider d'autres personnes à comprendre qu'ils en « rajoutent » quand même. On en rajoute sur la souffrance, sur les difficultés, et nous ne faisons pas ce qui est nécessaire pour les abandonner.

Donc, ce livre a une importance pour le lecteur qui me paraît indubitable. Mais pour le lecteur en milieu ouvert seulement, celui qui comprend ce livre, il va démasquer en permanence les personnes qui résistent à l'évolution. Mais je ne dis pas qu'il faut arracher les masques, je demande : est-ce que ce n'est pas le moment de préserver notre intégrité dans un monde où les survivances dynamiques sont tellement fortes que les gens qui sont un petit peu clairs intérieurement peuvent se sentir isolés, rejetés ou blessés ? Parce qu'il y a une lutte terrible, une lutte de forces extraordinaires pour empêcher cette conscience de passer et puis pour maintenir des choses complètement périmées — il y a un combat.

Quelqu'un de très branché sur l'énergie supramentale, s'il fait très bien son travail les gens ne peuvent parfois même plus supporter sa présence physique parfois, tellement c'est fort, c'est arrivé à Mère. Donc, il y a un «truc » pour faire passer quelque chose qu'on appelle la lumière, la beauté, la conscience, peu importe, mais c'est quand même une puissance d'harmonie sur la terre. C'est quelque chose qui dit 'oui jusqu'à présent ça n'allait pas sur la terre, mais les raisons, on s'en fiche, vous vous ouvrez comme ça et ça disparaît, alors c'est merveilleux !' C'est-à-dire que l'évolution ne va pas aussi lentement parce que c'est la nature de l'évolution d'aller aussi lentement, elle va ainsi parce que l'homme, espèce mentale, crée une différenciation subjective qui est tellement forte que l'espèce ensuite ne retrouve plus sa propre finalité.

Donc, combien de siècles encore on va mettre à expérimenter ce libre arbitre triomphal, mais le supramental s'en fout, il voit le Divin dans tous les êtres, dans les assassins, dans les gourous, les saints, les prostituées, les savants, il voit le Divin à la recherche de lui-même dans tous les êtres, Il LE VOIT ! Ce n'est pas mental, moi je sanglotais dans la vision de Vasudeva en 81, j'allais à Madras, il y avait des groupes de touristes français, et moi je mangeais tout seul dans un grand restaurant, et je manquais de me cacher pour pleurer tant « tout cela c'était moi », c'est-à-dire il n'y a qu'une chose qui prend tellement soit de plaisir, soit de perversion, soit d'intérêt à se différencier, que cette chose unique, elle se perd dans la différenciation individuelle. Si on continue à aller trop loin, l'espèce y passe, c'est terminé, le Divin passera à travers d'autres espèces, il peut inventer le mental peut être chez les dauphins, mais, si nous on continue à faire les imbéciles, c'est-à-dire à pousser le processus de différenciation individuelle où « moi je, je ne suis pas comme toi et je suis bien content d'être différent de toi », c'est terminé ; c'est un processus qui à un moment doit se retourner vers le Divin et vers le non agir et si ce retournement n'a pas lieu c'est la catastrophe... Donc qu'est ce qui se passe, à l'heure actuelle il y a des gens comme nous qui vont au bout d'une différenciation, c'est-à-dire, on n'est pas anonyme, je ne vais pas confondre les gens qui sont ici, il y a une structure personnelle qui est forte. Quand cette structure personnelle est cohérente, établie, et qu'elle se tourne vers le Divin, la différenciation continue sous des auspices nouveaux, et les survivances dynamiques peuvent diminuer beaucoup, les défenses aussi, on peut faire face à beaucoup plus de problèmes, de soucis, il y a une réactivité beaucoup moins forte, je ne dis pas qu'elle disparaît puisqu'on est incarné mais elle diminue.

Par ailleurs, les gens qui vont dans une structure individuelle et qui y restent, vont tomber dans le pouvoir. Il y aura donc une sorte de lutte cosmique entre les individus structurés qui ne se retournent pas dans la conscience divine de l'évolution, c'est-à-dire vers le processus de reconnaissance de l'identité divine dans le monde, donc ceux qui vont se bétonner à travers les rôles, les fonctions etc. On peut tout avoir à travers ça, à partir du moment où l'on s'identifie un petit trop à ces rôles et ces fonctions, le pouvoir augmente, chez un gourou aussi.

Plus on s'identifie aux rôles et fonctions, plus on est parti prenante du contingent, du décor. Plus on se réfère à la présence pure de l'identité, plus cette présence pure est capable de transformations permanentes puisqu'elle n'est pas bloquée par l'identification à machin, par l'attachement à un tel, par l'appellation du patron, etc. Vous vous rendez compte déjà de tout le travail que l'humanité a à faire pour nettoyer les rôles et les fonctions et par ce nettoyage remonter à une conception de l'identité légère. Soyons légers ! Mais si on retrouve cette conception de l'identité qui est une ouverture permanente à la transformation des contenus intérieurs, on est moins attaché à ses rôles et ses fonctions, et donc plus ouverts à la transformation par le vertical.

Mais je ne suis pas comme ces gourous indiens qui disent qu'il faut oublier ce qu'il y a en bas, ce n'est pas du tout cela. Le problème c'est de comprendre qu'à l'heure actuelle, il y a une catégorie d'individus qui se structurent et qui, après, s'ouvrent à l'univers et donc, qui renoncent à une structuration permanente de l'ego central. Pourquoi renoncent-ils ? Parce qu'ils sont humbles, s'ils ne l'étaient pas ils ne pourraient pas y renoncer. Mais ceux qui ne renoncent pas à cela, quand il va y avoir confrontation, cela va donner pratiquement deux espèces d'êtres humains si je me projette dans trente ou cinquante ans, il y aura la guerre ! Il y aura les dépositaires des survivances dynamiques, les ayatollahs, les fascistes, le conservateur du musée, le conservateur du folklore, tous les gens qui fondent une identité personnelle sur une identité culturelle étroite ou sur une identité ethnique, tous ces gens-là ne vont pas du tout admettre que l'espèce humaine passe à une conscience nouvelle, divine, où l'on se reconnaît dans tous les individus. Parce que la différence crée un malaise chez les autres, donc je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'enjeu qu'il y a sur la terre, à produire de la conscience ouverte ! C'est un enjeu pour la terre, après... Qu'on soit attaché à la survie de l'espèce, c'est autre chose, moi j'ai changé, avant j'y étais attaché jusqu'à 35 ans, maintenant si elle ne survit pas, ce n'est pas une catastrophe... Mais je suis encore dans ce mouvement où je pense que l'incarnation terrestre peut aller très loin, bon, on n'est pas beaucoup à dire que cela peut aller aussi loin, et on est tout à fait conscient du fait qu'en établissant le début, la base de cette descente de la lumière, il y a toutes les survivances dynamiques qui sortent pour l'empêcher.

Question d'un participant sur la notion de « cobaye » :

« J'ai de la peine à imaginer que le Divin, sous quelque forme qu'on se le représente, nous prenne pour des cobayes, et lui dirigerait ce grand jeu alors qu'il y a eu dans l'histoire tellement de maîtres, d'initiés qui disaient plus ou moins la même chose, selon les époques avec un vocabulaire différent, alors est-ce qu'on ne pourrait pas s'imaginer que cela crée une sorte de chaîne de solidarité positive qui contrecarre et s'oppose à ces forces « maléfiques » générales ? Moi j'ai de la peine à imaginer que le Divin qui a accordé sa confiance, depuis des temps immémoriaux il y a eu des êtres illuminés, des gens qui savaient, et pourquoi donc il aurait encore besoin de nous comme cobayes ? Est-ce qu'on peut imaginer le Divin qui s'abaisse à nous prendre pour des cobayes, les messages sont déjà là...  »

Natarajan :

Alors cela, c'est un point très intéressant que j'aborde un petit peu, c'est tout ce que nous appelons le spirituel depuis plus de trois mille ans, qui n'apparaît dans la conscience supramentale que comme le point de départ des choses. Et quand l'énergie supramentale touche le corps avec sa puissance inimaginable, et ça fait 15 ans que cela m'arrive, on est obligé d'avoir cette image qu'on est un cobaye. Parce que les expériences physiques sont tellement intenses, j'ai été dans le Soi Impersonnel pendant trois ans où il ne se passe plus rien, et après cela j'ai donc été confronté à la transformation physique. Et là, la notion de cobaye arrive nécessairement, la puissance des expériences physiques est telle qu'il n'y a pas d'autres mots, il n'y a plus de contrôle. Dans le Soi, on peut dire qu'on contrôle sa vie. Je suis en train de me rendre compte que la possibilité d'incarnation physique de l'esprit change intégralement les règles du jeu sur la terre. C'est-à-dire que le contact physique avec l'énergie supramentale montre que l'univers n'est pas conforme à ce qu'ont dit aussi bien les matérialistes que les spiritualistes, et si on se laisse entraîner dans le mouvement de la transformation physique, je dis que c'est difficile, j'ai eu des hauts, des bas, cela remonte de temps en temps, mais quand on est là-dedans, la puissance de l'évolution apparaît avec une telle force que, même si on a une identité propre, même si l'âme est passée devant, même si lorsqu'on se réfère à soi-même on ne se réfère à personne d'autre, même si du point de vue de la personnalité, il y a eu un travail colossal de fait, on tombe dans une sensibilité à l'ordre universel des choses qui est inimaginable - du jour au lendemain... Les états d'âme par lesquels on peut être traversé...

Mais si on refuse effectivement de se soumettre au Divin, dans le processus de transformation physique, on n'est pas sûr que la vision de Sri Aurobindo se manifeste sur la terre. Et ce qu'il y a de plus difficile, c'est effectivement la soumission totale au Divin. Est-ce que des êtres humains vont être capables de faire la même chose que Sri Aurobindo, moi je n'en sais rien. Si on mélange la conscience nouvelle avec les résidus de la personnalité, sans parvenir à une transformation définitive du corps, il peut y avoir des types de réalisations nouvelles comme par exemple pour moi où je ne suis pas dans le Soi, pas intégralement dans la transformation physique, où je suis dans une plénitude qui me plaît bien et où je ne me sens pas séparé des autres. Donc, là il y a une grande palette possible. Le problème, c'est de savoir comment on aborde le spirituel, moi je l'aborde d'un seul point de vue, qui est karmique, c'est-à-dire quelle est l'utilité du spirituel ? Moi le spirituel en tant que tel je m'en tamponne complètement, pour moi le spirituel cela n'a aucun intérêt par principe puisque je suis incarné et que j'aime la matière et l'existence. Donc le spirituel, de mon point de vue, c'est la seule chose qui permette de transformer les conditions de l'existence terrestre, c'est la seule chose vraiment utile pour transformer la matière. Mais le spirituel, par exemple du point de vue du Salut Chrétien, moi cela ne m'a jamais parlé, je ne vois pas l'intérêt de sauver son âme, parce que pour moi mon âme n'étant pas en perdition, je ne vois pas l'utilité de faire des choses pour Dieu afin d'en être digne, ça, terminé. Le spirituel bouddhiste je n'y crois pas, j'ai la preuve physique que le Divin existe, donc je ne peux pas être non plus dans un spiritualisme athée comme les bouddhistes, mais le bouddhisme est par ailleurs un enseignement merveilleux, ce qui permet toutes les desidentifications émotionnelles, des croyances, etc.

Donc, moi je dis le spirituel ça sert à quoi ? Le spirituel est une chose foncièrement utile à la transformation de la terre, mais autrement je ne vois pas l'intérêt d'être spiritualiste plutôt que matérialiste, il n'y a pas d'éthique du spirituel par le spirituel. Le spirituel n'est que ce qui permet de comprendre ce qui est matériel parce qu'il s'y oppose. On ne peut pas comprendre la matière à partir des systèmes de la matière, donc on est obligé de se spiritualiser énormément pour surplomber cette matière et puis après, voir que cette matière demande à être transformée. Donc le spirituel est une nécessité, mais dès qu'on fabrique du spirituel pour le spirituel... C'est la mort, c'est la complaisance !

Commentaire du participant :

« En prenant la précaution de m'excuser parce que je ne vous ai jamais rencontré ni lu, donc je n'ai rien à remettre en cause, je voudrais juste expliquer ma propre démarche : j'ai fait des expériences physiques, longues, certaines risquées et puis je me souviens qu'il y a 24 ans, premier contact avec Sri Aurobindo dont je me suis détaché car je le trouvais trop « intello », trop cérébral, je me disais qu'il avait pris ses contacts avec l'Angleterre, l'Occident à l'époque, différent de Ramakrisna pour qui c'était surtout la Bakti, la dévotion, et puis Satprem et d'autres que je trouvais un peu intellectuels. Là je vous entends, j'ai lu des citations, je suis touché par ce qu'a dit Brigitte, moi je n'ai pas compris de la même manière, tant mieux si cela lui parle, il y a un fond, mais moi je voudrais aller au-delà, mais je cherche un peu derrière, c'est pour cela que je parle de cette notion de « cobaye », du spirituel qui existe, et puis je dois faire attention à ma propre tendance à intellectualiser, mais il s'agit pour moi de décoder.  »

Natarajan :

Moi cela ne me gêne pas du tout. D'autre part, ce que tu dis est parfaitement fondé. Par exemple, il y a de nombreuses œuvres de Sri Aurobindo qui possèdent un caractère de représentation philosophique. Mais ce n'est que la surface. Lorsqu'on tombe sur les textes écrits par le très grand yogi, sur la sadhana, on sent que c'est quelqu'un de la dimension de Sri Ramakrishna, la seule différence, c'est que quand lui est arrivé il y avait besoin d'un canal pour cette énergie supramentale et elle est entrée en lui, c'est la voix qu'il a entendu « Va à Chandernagor », il a tout laissé et il a suivi. Mais d'un point de vue intime, si je ne parle pas de l'ensemble de la perspective historique de la descente du Supramental, personnellement, je ne fais pas une grande différence entre Sri Ramakrishna et Sri Aurobindo, pour moi ce sont deux très grands Bakta. Sri Aurobindo, lorsqu'il est arrivé, il fallait un homme qui reçoive.

Question de Natarajan :

« Est-ce que vous pensez que vous pouvez faire face à n'importe quel événement ? »

« Vous là (à une participante), je parle à toi parce qu'au début c'était difficile de te détendre...  »

Réponse de la personne :

« Faire face... à quel niveau ? » N. «  D'imaginer par exemple s'il y a un événement tellement douloureux que tu penses qu'il pourrait détruire ta démarche »

P. « Mais il faut savoir si j'ai une recherche spirituelle...  »

N. «  Oui, mais cela, ce n'est pas mon problème à moi, c'est le tien »

P. «  Oui, c'est une question, un problème. Détruire une démarche spirituelle, qu'est ce que cela veut dire ? »

N. «  ça veut dire que, normalement, tu es dans une ouverture à quelque chose, puisque tu es là, tu te poses des questions.  »

P. «  Et tu crois qu'un événement douloureux pourrait détruire cette ouverture ? C'est cela la question ? »

N. «  Je ne le crois pas, je te le demande, moi je n'en sais rien...  »

P. «  Moi non plus...  »

N. « C'est une réponse ! »

Confronté à des vraies urgences, on peut peut-être trouver la sortie... Je tends à développer cette idée, normalement, même si les choses se cassent la figure, comme dans notre système économique, politique et historique, si on est ouvert ce n'est pas tragique pour tout le monde et il y a des solutions.

(Le mot « détachement » fuse dans la salle) Oui, mais le détachement ce n'est vraiment pas quelque chose qu'on peut s'approprier par une ruse quelconque du mental.

Vous ne vous rendez pas compte de ce qui se passe ici. Nous sommes des gens qui sont capables d'affirmer que nous utilisons la souffrance pour évoluer. Est-ce que vous vous sentez de dire cela dans un cocktail, est-ce que vous vous rendez compte de ce que cela représente ?

Moi j'essaie de voir si, sans être dans une fonction de prêtre, de médecin, de psychothérapeute, d'astrologue, on peut facilement parler de cette autre réalité, voilà c'est cela qui m'intéresse. Est-ce qu'on « ferme sa gueule », ou est-ce qu'on parle ouvertement d'un état de conscience ouvert quand on est confronté à des gens qui ne partagent pas nos opinions ? Cela me tarabuste un tout petit peu en ce moment. Voilà, c'est une question que je me pose, parce qu'on peut bousculer quelqu'un dans une consultation d'astrologie, en le confrontant à ses survivances dynamiques qui parasitent, mais dans un premier temps qu'il doit voir et qu'il doit comprendre.

L'état d'urgence serait favorable à la sincérité...

Je pense qu'on peut observer toutes les manifestations des contenus intérieurs, c'est même sain de se laisser aller assez loin dans le sentiment : moi j'ai été délivré du suicide quand j'étais sur le point de sauter, à 19 ans, du septième étage, parce que j'étais traversée par l'idé de suicide et je pense que si j'avais refoulé ça, cela aurait été absolument terrible. Et puis en m'avançant, j'ai eu une révélation, j'ai trouvé ridicule de sauter à 19 ans, en trouvant que cela ne valait pas la peine. Mais je suis absolument partisan d'être manipulé par les survivances dynamiques, et qu'il faut être manipulé si on veut s'en affranchir... Mais c'est ce que refuse l'humanité, parce qu'on colmate. Et en fin de compte c'est pour cela que j'en reviens à l'idée de cobaye. Pourquoi est-on un cobaye de l'évolution ? Je l'explique dans le livre, et cela revient un petit peu dans tous les chapitres sous différentes formes.

Nous, on est dedans, alors on ne s'en rend pas compte. Dans l'incarnation, chez les animaux — j'insiste là-dessus — toutes les fonctions sont automatisées. Nous, d'un seul coup, il y a l'apparition du mental et de l'identité subjective — le logos involué, c'est-à-dire : je m'identifie à ma pensée. Pensée qui elle-même amalgame les émotions, tout, j'en parle. Donc l'apparition soudaine de la conscience subjective individuelle fait oublier tout ce qu'il y a avant, des milliards d'années d'automatismes, branchés sur les animaux car nous sommes des animaux, nous ne sommes pas des anges, des esprits, des elfes, nous sommes incarnés sur la terre. Donc c'est quoi le problème de l'incarnation terrestre ? C'est la naissance dans des véhicules biologiques d'un esprit divin sans limites. Si je me réfère à Sri Aurobindo et ce que j'ai ressenti de lui, il n'y a pas de limites... Donc pourquoi je dis qu'on est un cobaye ? Pourquoi j'insiste à l'envers en affirmant cela ? Parce que non seulement il y a tous les automatismes des espèces antérieures qu'on a oubliés, colmaté, structuré avec la culpabilité etc. . , donc toute la stratification des espèces animales débouche sur la confrontation de l'identité individuelle, alors je ne vois pas comment on peut être autre chose que des cobayes puisqu'il y a des conflits permanents entre l'aspiration spirituelle et l'ensemble de survivances dynamiques issues de l'héritage de l'évolution. Donc, je veux bien admettre qu'on puisse échapper à la condition de cobaye quand une réconciliation totale a eu lieu... Entre soi/le monde, soi/le Divin. Mais avant, tant qu'il y a de la manip, je dis que nous sommes des cobayes.

Le Divin n'a pas d'intention autre que de retrouver sa plénitude essentielle. Mais c'est dans cette mesure-là où nous sommes des cobayes, parce que pour retrouver cela, je regrette, mais ce n'est pas de la tarte... Après, que l'on souffre que ce ne soit pas de la tarte ou qu'on reste dans l'exaltation comme j'ai tendance à le faire parce que c'est ma nature et ça m'éclate bien, c'est différent, mais moi je dis que les choses sont difficiles. Le fait que ce soit ainsi ne m'atteint pas, mais je ne peux pas dire que c'est aisé, c'est-à-dire que les procédés de discrimination entre ce que l'on est et comment on se relie au monde, si ce n'est pas très très affûté on n'est jamais à sa place.

Donc, quand je dis que nous sommes des cobayes, j'aurais dû dire que le gros problème, c'est lorsque nous refusons d'être des cobayes qui est pire ! Il faut savoir que nous sommes des cobayes en apprentissage du potentiel divin mais, de toute façon, je maintiens que nous sommes des cobayes, il n'y a aucun être humain qui peut s'affranchir de son incarnation, ça existe dans les systèmes bouddhistes — je ne reconnais pas ce système dans mon expérience personnelle, je ne nie pas son existence, mais je dis que, pour moi, le Divin cherche à s'incarner sur la terre dans des véhicules biologiques, et que ce projet est aussi intéressant qu'échapper à la réincarnation par l'ascèse bouddhiste ou par la purification exhaustive, ou par l'immersion dans le Para brahman qui succède au Brahman — expérience aussi où j'ai failli rester quand j'en avais ras le bol du supramental...

Mais il y a « quelque chose » qui essaye de passer : quand on est là-dedans, on ne voit rien d'autres que des cobayes... Bon, effectivement, nous avons notre liberté de cobaye, notre liberté d'apprentissage, on n'est pas obligé de répondre de la même manière aux mêmes stimulis, je ne dis pas qu'on est des rats de laboratoires, mais je dis que nous sommes une espèce dans un laboratoire qui est la Vie ! Et il n'y a pas d'affinité fondamentale entre les processus de la vie et les processus de la conscience. Donc, cette affinité il faut la redécouvrir par ce que les maîtres appellent l'ascèse, mais si on explore les antagonismes entre la puissance de la vie et l'aspiration de l'âme, et bien avant d'équilibrer et d'organiser tout cela... Il y a un travail énorme...

Maintenant, je maintiens que le conflit originel entre l'identité biologique, de par les contraintes que rencontre l'esprit dans la matière, l'identité biologique, c'est-à-dire physique et émotionnelle, cette identité a, de par sa nature, un droit de regard très profond sur le monde contingent, parce que la peau, c'est la périphérie, l'œil c'est l'immersion dans la contingence. Donc, tout ce que cette identité de la contingence perçoit — c'est donc permanent, c'est le monde du temps et de l'espace — est ensuite confronté au sentiment plus ou moins flou et plus ou moins structuré de l'identité individuelle, qui, elle, recherche la Présence, quelque chose d'entièrement pur et non contingent.

Cela fait des milliers d'années qu'on est là-dedans et qu'on tâtonne pour essayer de comprendre la relation qu'il y a entre la présence pure, le logos, qui centralise toutes les informations, de l'émotionnel, de l'affectif, du mental, il centralise, s'ouvre et avance, et tous les procédés de perceptions biologiques qui sont extrêmement habiles pour percevoir le monde contingent à travers la souffrance, le désir, le plaisir et la peur, ce travail n'a pas de fin, c'est le monde des contingences qui fait surgir les limites de notre identité.

C'est pour cela qu'il y a dans les grottes de l'Himalaya, des gens qui se croient très évolués et qui ne le sont pas ! Ils ont aboli le monde des contingences, leur esprit peut planer dans une fausse dimension spirituelle. Le monde des contingences est relié à notre corps physique et à notre perception astrale-vitale, ce qui me plaît ou ne me plaît pas, ce que je ressens pour un tel, ou dans le moment, les coups que je prends ou que je donne. Imaginez cette périphérie, qu'est ce qui se passe ? C'est que l'être humain non rectifié par l'aspiration de l'âme, cobaye inconscient de l'évolution, passe sa vie à essayer de régenter la périphérie de la membrane, c'est une cellule, sur chaque cellule il y a une membrane, la peau, les yeux, les sens. Il essaye donc de régenter cela, et il croit qu'en le faisant, c'est-à-dire en chassant l'indésirable de la périphérie de l'émotionnel, il croit que son identité va se développer et s'enraciner là-dedans. C'est une erreur tragique parce que, dès que l'on décide de chasser l'indésirable, on établit des procédures d'inquisition. Alors l'indésirable cela peut être quoi ?

Une réflexion acide d'un membre de la famille, le point de vue critique du patron, etc.

Alors ceci est un point de vue purement évolutif, c'est là où l'esprit humain qui est relativement pur, quand il est encore dans le mental universel, quand il est encore dans l'esprit d'innocence, devient quelque chose de complètement opaque à partir du moment où l'on passe son temps à déterminer les procédures d'évitement : je veux éviter ça donc... , machin il ne faut pas le voir, il faut le condamner parce que j'ai ça à éviter, etc. C'est pour cela que les êtres de lumière ne sont pas tellement reconnus, puisqu'en permanence ils montrent cela ! Et là je prétends que Natarajan et d'autres font le même travail. On montre que c'est une mauvaise stratégie de chasser l'indésirable, parce que cela permet au cerveau d'édifier des procédures d'inquisitions, d'évitements, des structures de jugements sur ce qui doit être et ce qui ne doit pas être, et donc on se ferme.

Donc les gens très ouverts, je pense en faire partie, qui n'ont jamais rien refoulé de ce qui se présentait, ne sont pas rentrés dans ce processus de fermeture de l'esprit pour édifier les méthodes de refoulement de l'indésirable. Alors bien sûr, ils se retrouvent en permanence devant des gens qui sont là-dedans, cela, c'est indésirable, et je ne veux pas que tu me le dises...

Mais tout ce procédé de fuite de l'indésirable, on peut le mettre en place, on peut l'établir un certain temps. Quand l'indésirable se montre avec une puissance telle qu'on ne peut plus le refouler, nous avons la chance de pouvoir devenir des cobayes conscients de l'évolution. Avant on était des cobayes inconscients (je ne veux pas aller là ni là !). À un moment, on se rend compte que toutes ces procédures d'évitement couplées à des procédures d'appropriations des gratifications - car c'est la même chose dans un monde de polarité — ça ne fonctionne plus, parce qu'à un moment il se passe quelque chose, un grand choc, une illumination, un grand amour, un renoncement à soi, etc. où la structure s'effondre. Alors là on peut devenir des cobayes conscients, c'est-à-dire que dans la mesure où il n'y a que de la conscience, nous sommes des fragments de conscience susceptibles de découvrir une conscience plus universelle par l'ouverture perpétuelle. Donc le terme de cobaye me paraît justifié dans la mesure où on reconnaît que chaque cobaye humain possède une subjectivité qui lui est propre, c'est-à-dire que nous avons différentes manières de passer les tests - test de la souffrance. Mais je maintiens que, quelle que soit notre liberté, notre faculté d'adaptation, on demeure les cobayes de l'évolution. Maintenant, on peut l'être aussi sans se sentir écrasé par l'apprentissage, c'est possible, mais à nouveau ces notions-là ne sont pas antagonistes sur le plan supramental, on est à la fois et à chaque moment sur la trace d'un apprentissage universel et on est, à la fois libre de reconnaître ou non qu'il y a des tests à passer, ce n'est absolument pas antagoniste.

D'autre part, c'est vrai qu'il est très dangereux de s'imaginer qu'il y a un mentor qui nous fait passer des tests et qu'il faut s'y conformer, car là, cela recrée de la soumission factice qui n'est pas une soumission d'amour, mais d'ordre vénal, et qui recrée un sentiment de culpabilité dès qu'on n'est pas capable de passer correctement les tests. Effectivement, dans cette ligne-là, le terme de cobaye est inadéquat, dans la ligne où l'on s'imagine qu'il faut réussir, c'est faux, c'est nocif d'employer le terme de cobaye. Ce n'est correct que dans la mesure où l'on suppose que ces cobayes sont libres, donc ils font leurs expériences, mais ce n'est pas mieux d'aller vers le Supramental que d'aller vers le crime, du point de vue de l'évolution ce n'est pas mieux, ce sont des choses qui se passent, en fonction de la réaction et de l'identité de l'individu, donc je ne suis pas là pour à nouveau hiérarchiser des principes auxquels après il faudrait se conformer, en recréant des principes d'autorité, ça, j'abolis complètement. Et c'est vrai que le terme de cobaye prête à confusion si c'est pour préfabriquer cela derrière : en fait, on n'a de compte à rendre à personne.

L'identification émotionnelle est d'abord un moyen de reconnaissance de l'autre, par considération de l'autre, à travers le plaisir ou la souffrance. Cela appartient à la mémoire de l'évolution, c'est-à-dire que même une mauvaise mère peut ressentir la souffrance de ses enfants, c'est dans la mémoire de l'évolution ce genre de choses. Ensuite, le problème, c'est que si on cultive la mémoire de l'évolution, il y a des risques effectivement, mais cela ne veut pas dire qu'on doit s'opposer systématiquement à tout ce qu'on semble haïr des puissances archaïques de la constitution biologique. Le processus d'identification à l'autre est absolument nécessaire. Pourquoi ? Parce que, quand on naît, nous n'avons pas de dispositif mental autonome. L'identification à la mère, on ne peut pas y couper. Le père à la limite, encore c'est plus difficile pour les filles, mais l'identification à la mère on ne peut pas y couper, ça apporte quoi ? Elle apporte la recherche, ensuite, de l'identification au sentiment, sentiment sexuel. Quand ces choses-là sont épuisées, il y a des maîtres qui disent « ne dépendez plus de rien et vous êtes libre, autonome, réalisé etc.  ». Moi, je dis ce n'est pas vrai. Je dis : Une fois qu'on a dépassé le sentiment maternel, humain, du partenaire, etc. , si jamais le Divin arrive, même après le Soi, on dépend intégralement de la Mère Divine, Sri Aurobindo l'a dit aussi, c'est-à-dire de la Shakti Divine. C'est par là aussi que l'on retrouve ces notions de cobaye. C'est-à-dire quand on est dans la dépendance émotionnelle pure, ce qui arrivera à n'importe quel mutant supramental pendant au moins cinq, six ou sept ans, on est entièrement dépendant ! Mais au lieu d'être dépendant des forces involuées, on est dépendant des plans supérieurs.

Concernant les « sentiments mystiques » exaltés dans la mystique chrétienne par exemple, quand on reconnaît les systèmes traditionnels asiatiques, ils ont énormément de recul sur le lyrisme mystique occidental... Cela tient beaucoup à la personnification de Dieu, dans le judéo-christianisme particulièrement.

Avec mon livre, si on parvient à le comprendre, on peut échapper justement à tous les systèmes comparatifs. Parce que l'idée que j'ai personnellement, d'ailleurs, c'était l'intention de Sri Aurobindo et c'est peut-être aussi la cause de mon incarnation, c'est de faire en sorte que les êtres humains soient vraiment capables de découvrir par eux-mêmes les structures évolutives qui leur sont propres pour découvrir l'âme et la conscience. Et ce livre est fait pour cela. Et je ne tiens absolument pas à avoir aucune forme de disciple, je me discréditerais si j'étais reconnu. Et on en revient à la question du romantisme (abordée par un participant), il y a tellement de choses sécurisantes dans le fait de pouvoir transférer sur un maître, mais cela, c'est terminé, c'est le Kali-Yuga, là il y a la base d'un truc où j'explique la stratification des couches évolutives, je maintiens qu'il faut être ouvert à une confrontation permanente avec cela, mais après il n'y a plus besoin de maître, de gourou, de rien, ponctuellement, je suis bien content que d'autres profitent de ce que je fais, où que je profite moi-même de ce qu'un autre fait, je suis bien content, mais il n'y a pas de personnification du Logos. C'est-à-dire que quand toi tu me dis un truc qui ouvre, c'est aussi important que cela vienne de toi ou de Sri Aurobindo. Quand il y a un insight transformateur qui vient de l'observation de mon chien ou de Sri Aurobindo, pour moi cela ne fait aucune différence. Donc, je récuse aussi pas mal les choses, les discours qui commencent par ouvrir et qu'est ce qu'on voit ? C'est que, dès que l'ouverture est acquise, il y a à nouveau un enfermement doctrinaire sur les principes, ça, je le brise ! Alors effectivement, je n'ai pas beaucoup de gens pour me suivre puisqu'avec moi on ne sait jamais à quoi s'en tenir. Question concernant l'Islam : serait-elle la dernière religion révélée ?

Oui c'est une vérité traditionnelle, certains initiés relativement universels, comme Guénon par exemple, l'ont dit, et intuitivement je sais que c'est vrai, c'est-à-dire que là, même si on attend des avatars, ils ne vont pas former de religion. C'est une erreur de croire qu'un Kalki ou un Maitraya, par exemple, s'incarneront pour former une nouvelle religion. Normalement, il n'y a plus de dogme à créer. Alors le problème de la religion, je l'explique dans ce livre, c'est que dès qu'on appartient à un dogme, ceux qui ne sont pas dans le dogme on les fusille... On ne s'en sortira jamais de cette histoire. Le dernier dogme religieux, d'une manière traditionnelle, on considère que c'est l'Islam, ce qui devrait donc justement permettre une très grande méfiance, par rapport à des gens qui prétendraient créer une nouvelle religion. On doit passer à autre chose.

Il serait mieux de collaborer en trouvant de nouveaux principes mutuels que confronter, par exemple, un gourou védantiste avec un maître zen pour voir qu'au bout d'une demi-heure, ils vont encore trouver de quoi se diviser, se séparer, c'est ce qu'on fait depuis des milliers d'années.

L'aide que les personnes éveillées sont susceptibles d'apporter aux autres, est-ce vraiment une aide ou est-ce encore une manipulation pour faire correspondre l'autre à soi-même ? Ce qui me paraît être une excellente question.

Je vois que, quand les gens commencent à partager une nouvelle conscience, ils font très vite des nouvelles chapelles — ce qui m'embête copieusement — et que plus vite la chapelle est créée, la doctrine établie et l'obédience fixée, plus vite aussi la relation spontanée à l'être éveillé est difficile, parce qu'on préserve son itinéraire spirituel, et la question que je me pose c'est : est-ce qu'on peut rester intégralement dans la voie de la déprogrammation qui toujours mène à un Tao plus profond, donc, d'une part, est-ce qu'on peut rester là-dedans sans se compromettre et, d'autre part, sans se fermer à l'autre ? Et oui, moi, ce que je vois, c'est qu'il y a des chapelles, et ce qui m'intéresse et le travail que je veux faire, c'est voir si des êtres peuvent devenir conscients en se déprogrammant tellement qu'ils n'ont plus besoin tellement de se référer à quelque chose qu'ils mettent mentalement au dessus. Est-ce qu'on peut communiquer sans passer par le « papa »...

Passage du livre :

« L'humain est affecté généralement par une des deux formes de souffrance originelle, soit celle qui provient d'un enfermement dans une permanence fausse du moi qui exclut alors de ses perceptions toutes les menaces vis-à-vis de cette solide et étroite stabilité, soit celle qui provient d'une disponibilité de principe trop prononcée au non-moi — à l'autre, à l'univers — qui soumet le moi de l'identité personnelle à une impermanence telle qu'il évitera de chercher son centre individuel et les indices d'une identité authentique et donc moins versatile.  » Il y a des gens trop ouverts, d'autres trop fermés. Et si on n'est déjà pas capables de différencier cela, on ne peut pas aider grand monde. Le trop fermé est trop dans le système de sa propre représentation de l'univers et le trop ouvert est dans une boulimie d'événements, d'émotions, dans une telle fringale de manger le temps, qu'il passe d'un stimulus à d'autres et qu'il fuit l'idée de trouver son centre.

Le Soi, dans toutes les traditions, bouddhistes, taoïstes, etc. , c'est le moment où l'esprit n'est plus pris dans un processus de programmations finales, de motivations existentielles, et si l'expérience est totale et radicale, il y a un truc qui casse dans le cerveau et tout à coup on se rend compte que l'esprit ne poursuit plus rien. Cette expérience a été nommée Satori dans le Zen, Brahman dans l'Hindouisme, Samadhi dans le Bouddhisme, elle porte des noms différents dans les différentes traditions, cette chose-là est un passage nécessaire pour ensuite éventuellement dans l'avenir, toucher ce que j'appelle moi, le Supramental. Et pour cette phase-là, il y a des gens qui disent : Pour atteindre le Soi il faut faire ceci et cela, moi je suis contre ce principe et dans cette mesure-là je respecte effectivement ce qu'à dit Krishnamurti, il n'y a pas de programmation pour la déprogrammation.

Donc, n'importe quoi peut mener au Soi. Maintenant, il est vrai qu'il est tout à fait possible, sans avoir une réalisation radicale du Soi, de l'Impersonnel, qui libère complètement l'esprit de toute finalité, il est possible de s'y plonger ponctuellement, et il est aussi possible, par un autre moyen, de sentir que la formation de l'identité est guidée par l'âme, le Jiva qui se réincarne (c'est ce qui utilise la vie d'incarnation en incarnation).

On dit « Je » par rapport à quantité de réactions, par rapport au milieu, à maints conditionnements, etc. L'âme est toujours là, au-delà des lunettes teintées du je, et les gens dont tout le discours est très animé par l'âme sont très exceptionnels et très rares, c'est-à-dire que tout ce qu'ils perçoivent, disent et font, est directement le produit de leur âme. Après, la manière dont l'âme guide l'ensemble de la personnalité est plus ou moins prononcée selon les individus, c'est pour cela qu'il y a une évolution.

Question : «  Pour toi l'âme est quelque chose de personnel ? »

Réponse N.

Dans la mesure où je me souviens de mes réincarnations, que je continue à témoigner de ce que je pense être le Divin, j'ai une âme qui est en partie personnelle, et en laquelle j'identifie de la mémoire d'autres vies, cette mémoire étant confrontée à de nouvelles possibilités terrestres, comme la manifestation supramentale, mais en ce qui me concerne, il y a une différenciation du Divin dans l'être, dans l'âme, et je ne peux naturellement ni le démontrer ni le prouver, mais j'en fais l'expérience depuis plusieurs vies.

C'est délicat, cette représentation de l'âme, parce que toutes les formes d'enseignement récupèrent l'image de l'âme au profit de ce qu'ils veulent enseigner, donc il y a des gens qui disent « oui tu as une âme, mais ce n'est pas toi », alors pourquoi s'en occuper ?

L'âme est ce qu'il y a de plus profond dans l'identité, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus profond en chacun de nous c'est l'âme, même pas le Soi qui est quelque chose de complètement vide et impersonnel. Maintenant, il y a des gens qui veulent éteindre cette âme dans le Nirvana et renoncer à leur propre âme, et d'autres qui au contraire disent — et moi j'appartiens à cette école-là — non pas du tout, l'âme est une parcelle du Divin et, en s'incarnant, elle continue d'apprendre, et cela ce sont les boddhisatvas, les jivamuktas, ce sont des gens qui choisissent l'incarnation comme étant une école d'apprentissage de l'âme. Quand cette âme est en conformité avec les principes divins, elle est personnelle en tant qu'âme, subjective.

Je ne suis pas là pour créer une nouvelle doctrine ou un nouveau système, je me réfère à une expérience que je juge nouvelle dans l'humanité, qui est celle de Sri Aurobindo, qui a les mêmes opinions que moi concernant l'âme. On pense que dans l'évolution terrestre, biologique, c'est-à-dire pour nous le fait d'être des humains, il y a le germe d'une identité entre l'homme et le Divin. Cette chose-là peut croître à un tel point que cela n'a même plus d'importance pour moi de savoir si je me réincarnerai ou pas, parce que je suis dans une telle identité avec l'existence, que je n'ai pas besoin de savoir si je me réincarnerai ou pas, si je réussirai la transformation supramentale ou pas. Toutes ces choses-là sont énormément en aval de ce que l'on vit. Ce que l'on vit, c'est une identité qui est tellement reliée à l'ensemble des forces universelles qu'on est obligé de témoigner que si cela arrive à moi pourquoi cela n'arriverait pas à d'autres ? Maintenant toutes les personnes qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas besoin de s'ouvrir à la possibilité ultime qui est la connaissance du Divin dans la matière (c'est le message de Sri Aurobindo, avec la transformation physique, le fait d'être branché sur une nouvelle énergie ), ces personnes peuvent très bien mener une vie spirituelle, elles peuvent avoir une âme sans savoir qu'elles en ont une, il y a des gens comme cela, qui sont pourtant très spiritualisés, tandis qu'il y en a d'autres qui essaient d'abreuver leur âme tous les matins et qui sont des teignes !

La représentation mentale de la réalité n'a d'intérêt que dans un monde « fini ». D'un point de vue intellectuel, la notion de fini qui s'oppose à celle de l'infini (sens d'un commentaire d'une participante) est le propre d'une notion fausse qui est émise par le mental. Parce que tout ce qui est fini fait partie de l'infini, et donc le fini n'est pas du tout l'adversaire ou le contraire de l'infini, le Fini est une parcelle de l'infini, mais il n'est pas contre ! Il n'est pas en dehors de l'infini. Donc pour savoir si tu te réincarneras ou pas, je n'ai pas la compétence pour le savoir, et toi-même selon la manière dont tu vis ta propre existence, il te sera peut-être donné de te réincarner d'une manière ou d'une autre, ou de ne pas le faire, et je n'ai pas autorité pour décider de ce qui va t'arriver ! Il se trouve que je suis obligé, puisque je défends une nouvelle vision terrestre, de défendre un certain point de vue, les écoles spiritualistes n'ayant pas toutes le même point de vue sur le Jiva. Il y aura toujours des écoles qui en ont tellement ras-le-bol de la souffrance qu'elles prétendront que la voie du Salut, c'est de se débarrasser de son incarnation et même de son Jiva personnel, c'est-à-dire de son âme individuelle, pour retourner à l'inexistence, ce que je trouve grotesque et stupide, et il y aura toujours des gens dont je fais parti qui disent que nous nous réincarnons, nous sommes des Jivamuktas, nous avons accès à la Présence, et, en ayant accès à la Présence du Divin, nous devenons des individus divins, nous n'avons rien à fuir, le Divin fait de nous ce qu'il veut... Il nous envoie en Enfer s'Il en a envie, il nous fait réincarner s'Il en a envie, Il nous envoie sur une autre planète, Il fait ce qu'Il veut, parce que le Divin est Maître, et nous n'avons pas la prétention de décider nous-mêmes ce qui nous arrivera après notre propre mort, voilà quelle est ma conception. On peut avoir toutes formes de conceptions différentes de la mienne.

Le temps c'est une périphérie, il est bien évident que cette dimension périphérique du temps — d'ailleurs le temps n'est pas au centre du réel, ce n'est que l'épiderme du Divin ou de la réalité pure — il n'est pas question que le temps nous aide à évoluer, il ne nous aide à évoluer que si nous transformons le temps, c'est-à-dire que si toutes les structures qui sont inféodées au temps, tels que les cycles biologiques, les cycles de perpétuation, si ces choses là sont transformées par la conscience qui, elle, n'est pas inféodée au temps, on peut utiliser le temps. Mais se fier aveuglement aux forces chronologiques pour évoluer ce n'est pas possible. La conscience pure a le pouvoir de se désidentifier du temps et des contingences, tout cela ce sont des poupées russes en gigogne, si tu es identifié aux contingences, tu es identifié au temps, si tu es identifié aux émotions, tu es identifié aux contingences, chaque fois que tu déprogrammes un système d'identification en partant de la périphérie, tu découvres que la conscience pure a un pouvoir énorme de ne pas se confondre avec les choses du temps, donc cela devient secondaire d'être ou non dans le temps.

Il est secondaire de dire si c'est l'identité, le Soi ou l'âme qui évoluent.

Question d'une participante : « Mais quelle est l'entité qui utilise le Temps ? »

R.  : Mais je ne peux pas me définir, aucun être ne peut se définir. C'est là où sous prétexte d'être plus fin et intelligent que les autres, on devient stupide avec le mental. Ce que tu es, tu l'es ! Tu es ce que tu es. Je suis ce que je suis, je passerais un an pour essayer de me définir dans un livre, je n'y arriverais pas. La réduction de l'identité à la question du « qui suis-je », je suis bien content que cela se produise, puisque j'en parle dans ce livre, et c'est vrai qu'on est tarabusté par cette question, et l'on peut même, cela m'est arrivé, passer plusieurs années sur ce « qui-là ». Et quand il y a des réponses, s'il y en a, ce qui prouve que ces réponses sont authentiques, c'est justement que ce n'est pas nous-mêmes en tant qu'ego qui nous les fournissons. Mais chacun a une qualité d'être qui lui est propre et qui pour moi est une émanation du Divin. Et voir cela, ça permet quand même d'aimer. On demande souvent aux gens de se définir, et si ils ne sont pas conformes à ce qu'on attend d'eux, on les sabre, c'est un monde qui est fini... Quand on est, on est, quand on est dans l'être, on est dans l'être. Cela n'a aucune forme d'intérêt de mettre un cadre autour de sa propre identité. Maintenant, que l'on soit indéfiniment renvoyé aux cadres limités parce que nous ne sommes pas dans la synchronicité pure avec le Tao, c'est assez vrai. Mais ce qu'il faut quand même bien imaginer, c'est que tous les gens qui prétendent (que ce soit par humilité et service, ou que ce soit par orgueil) à être devant les autres, c'est parce qu'ils font, s'ils sont authentiques, l'expérience non séparative.

Quand l'expérience non séparative est là, tellement présente, tellement contingente, qu'il n'y a plus moyen de faire les choses autrement, elle est là, on n'y peut rien. Savoir « qui » est dans l'expérience non séparative, cela n'a aucun intérêt puisqu'on est fondu, soit dans le Soi, soit au-dessus. Et on en arrive à cette conclusion, en ce qui me concerne, je suis totalement détaché de la représentation de moi-même, cela ne m'intéresse pas de savoir ce qu'il m'arrivera à ma mort parce que j'aime le Divin, d'amour, et il se charge de faire pour moi ce qu'Il a envie, et c'est beaucoup plus intéressant pour moi d'être ouvert à ce que le Divin veut faire de moi plutôt qu'à passer mon temps à me redéfinir. Par rapport à quoi se redéfinit-on ? Cela c'est intéressant, de savoir si toi tu te redéfinis par rapport à toi-même ou par rapport à un enseignement spirituel, ou encore si tu attends de moi une conformité à des formes subtiles de croyances, qui seraient des anti-croyances par rapport à d'autres croyances comme le statut de l'âme.

Je ne suis pas d'accord avec les systèmes qui disent qu'on peut régresser (se réincarner dans un animal par exemple), sauf grosse erreur de l'appréciation de l'identité humaine, mais cela doit rester un cas tout à fait exceptionnel. Je ne prétends pas du tout avoir de grandes lumières universelles là-dessus, mais je suis quand même sur le processus de l'évolution, à comprendre d'une manière de plus en plus rigoureuse, profonde et large, le processus de l'évolution, de l'incarnation et du temps. Moi, ce que je sais, c'est que tous les individus sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres, comme on dit en Droit, pour montrer que les lois ne s'appliquent pas à la réalité ; ensuite, il y a une forme de la vie qui fait que les âmes se dirigent vers l'origine divine, que d'autres se dirigent nulle part, et que d'autres se dirigent vers la négation du Divin, à travers la culture du mal, je ne le sais pas intellectuellement, je le sais parce que j'ai été confronté à ces trois catégories d'individus. Et ne voyant pas les choses d'un point de vue personnel, j'ai tendance à considérer, dans le cadre de mon expérience subjective, que la terre est un espace qui est encore un enjeu entres différentes forces. En fin de compte, avant d'écrire des livres et de témoigner, j'étais un occultiste, très rigoureux, et je pense que je travaille pour essayer de collaborer à la maintenance du statut, du potentiel divin dans l'homme, parce qu'il y a beaucoup de forces, sur la terre.










































































































26 Juin



Bali

Difficile d'exprimer rationnellement les flashs supramentaux, instantanés, qui déblaient et résolvent définitivement un problème récurrent. Par exemple, je lis un vieux hebdo sur de Gaulle, et soudain toutes ces approches de la même question, encore «intellectuelles», semblent flamber dans mon esprit qui «voit» et règle cette vieille préoccupation. Cela m'a toujours prodigieusement énervé qu'on s'attache aux êtres plus qu'à ce qu'ils représentent, et c'est même ainsi que l'appropriation émotionnelle et affective fait oublier le sens de leurs paroles et de leurs actes.

Cette belle américaine de trente ans, qui se couchait sur la tombe de Sri Aurobindo, à l'époque (1979) c'était encore possible, a-t-elle pour autant compris l'œuvre, et est-elle devenue aujourd'hui, comme moi, de la pâte à modeler dans la main de la Mère des mondes? Je me permets d'en douter, mon cher Watson. Le mythe du Christ amalgamé à celui de Jésus fait-il de bons chrétiens qui vivent l'Evangile, chaque jour en se levant? Que nenni. Ils célèbrent un hologramme intérieur qui répète de belles paroles dans leurs têtes et leur promet de l'amour, mais ils ont oublié depuis longtemps les implications des Béatitudes, c'est-à-dire laisser de côté l'épicier de service dans le cerveau, qui calcule tout, soit disant pour éviter le pire et gagner le meilleur, tandis que l'instant pur est passé à la moulinette pour en extraire de la cacabouillasse enfin conforme aux attentes de l'ego. Plusieurs photos de de Gaulle, son incroyable absolution collective sur l'Algérie, avec cette guerre qu'il a fait durer outre mesure, sa monarchie exemplaire puisqu'il avait sauvé la France, mais, bref, peu importe la question de son ultime identité, le fait est que l'immense cadavre a été récupéré par plusieurs familles politiques, avides d'en arracher les meilleurs morceaux devenus des faire valoir, jusqu'à ce que tout un chacun puisse se réclamer d'être gaulliste autant que son adversaire. Résultat des courses, autant de gaullismes que de factions, et quid ce qu'est le gaullisme, personne ne le sait. Du nationalisme républicain, de la démocratie constitutionnelle, une prémonition constante, quasi militaire, des ouvertures à cultiver avec d'autres nations libérales, dont la France serait le centre, la référence, le modèle, bref, même en n'y connaissant rien, on sent l'arnaque. Etre gaulliste, c'est le minimum demandé quand on entre en politique, étant donné que même à gauche, on peut encenser le modèle, avec par exemple, la «participation», qui, si elle avait été suivie, aurait sans doute pu infléchir l'économie. De gaulle, Sri Aurobindo dans le domaine spirituel, même combat: l'aura est si flagrante qu'il faut être gaulliste, ou aurobindien si on prétend s'interesser au cosmos spirituel. Personnellement, je ne récupère rien, je n'ai pas besoin de me fantasmer une filiation, mais cela se produit, des êtres de pouvoir font croire à des faibles qu'ils «sont dans la confidence» de Mère et Sri Aurobindo, et les manipulent.

A part quelques sommités, historiens et juristes, le gaullisme est hors de portée de ceux qui s'en réclament, et qui l'accomodent avec des ingrédients hétérogènes, personnels à fond la caisse. En cuisine, ce n'est pas grave. On sait qu'à partir d'Avignon, quand on commande une salade niçoise, on risque d'y trouver des pommes de terre, ce qui ne porte pas à un réel préjudice, mais la vraie recette ne les comporte pas, et exige même quelques rondelles de radis, ce qu'on ne trouve que sur place chez les puristes.

 

Quand il s'agit de pensées entrelacées en paradigmes emboîtés en stratégies qui finissent par donner sur des visions du monde, c'est plus grave my dear de voir de l'hétérogène venir corrompre l'original, la source, l'authentique.

 

Or, c'est ce que nous faisons en permanence. On se prétend chrétien à peu de frais, ensorcelé par l'image lumineuse du meilleur des hommes, et on infléchit son ego, de fermé il devient ouvert, comme ces avions à géométrie variable, mais l'ego demeure, puisque il est enfermé dans le cadre chrétien, comme il peut être enfermé dans le cadre bouddhiste ou hindouïste, ce ne sont que ses limites qui sont repoussées, et on ajoute à la doctrine, déjà difficile à saisir, des coquetteries rassurantes. Un ego qui se dilue dans un univers plus vaste semble effectivement plus souple, mais tant qu'il possède un socle idéologique, soit l'appartenance à ceci ou cela, une éthique, une religion, une «spiritualité», il ramène le vécu à des principes mentaux censés lui donner sa valeur. On tombe toujours sur la femelle de l'éthique: l'étiquette; le bien, le mal, le conforme et le non-conforme.

 

Et pareil pour les aurobindiens, certains s'imaginent que ceux qui n'attendent pas le supramental sont de pauvres ploucs, alors que parmi eux, il y a déjà des éveillés, qui savent que le Supramental, s'il existe, ne s'appâte pas. Alors ils continuent à vivre le Soi sans se faire tout un cinéma avec «la transformation de la vie» ou «la transformation du corps», et je les crois bien plus honnêtes que les trois-quarts des aurobindiens, fascinés, envoûtés, ensorcelés par un mythe qui leur donne de l'importance, avec ce supramental dont ils ont le culot de parler sans le connaître, à moins qu'ils s'imaginent, à très peu de frais, sentir la vibration, ce qui peut demeurer de l'ordre du fantasme, ou correspondre à une autre énergie. Mais les clans et leurs procédures de conformité continuent de s'épanouir, et cela a toujours été la plaie d'Auroville, comme d'ailleurs, à une autre échelle, de la gauche française. Et puis toutes les valeurs ont bien le droit de manipuler les humains comme des marionnettes, que je sache. Tant qu'on ne plonge pas en soi, on se rassure avec de la gauche solidaire ou du supramental divin, on se donne bonne conscience, et je n'ai rien à redire à cela, je mets en garde, comme si j'étais un hassidim, c'est leur boulot. Ne faites pas confiance à qui se réclamme de Mère ou Sri Aurobindo, c'est trop facile. Passez au crible leur vie, leurs relations, traquez le décalage. Sinon Natarajan va avoir son mail inondé bientôt de personnes sincères qui passent par de drôles de mains. Satprem l'a déjà dit, je le confirme. Faites gaffe.

 

Mais que toutes les valeurs soient représentées, c'est génial, ça fait coraux tropicaux, et on ne peut pas demander à toute l'humanité de s'aligner, et de ne vivre que sincèrement, elle se fait les dents en surface, sur des valeurs purement extérieures auxquelles elle croit. Il faut attendre que quelque chose les brise ou qu'une ouverture se produise. Dans la normalité, le champ perceptif est quasi automatiquement gouverné par les guna. Il faut un grand chagrin ou un grand amour, une vraie réussite ou un échec retentissant, ou alors être envahi par l'inanité des sociétés humaines, pour réagir et aller dedans, ou une grave maladie aussi, naturellement, qui brise l'amalgame moi-non-moi et la dévoration réciproque des deux. Tout est infiniement large, bariolé, et ça fait des cercles. C'est étrange, car la culpabilité peut changer de forme et en épouser des contraires. Un hédoniste de base peut avoir honte de ne plus savoir jouir assez, quand il se fatigue de ses excès sensuels, et un ascète peut faire une dépression d'avoir osé, une seule seconde, désirer la jeune fille qui se lave à la rivière. C'est merveilleux, l'interprétation du vécu, et nous l'avons vu, nous ne pouvons pas la faire entrer dans des pochoirs collectifs. Le communisme a échoué, et avant lui, les Eglises n'ont pas rendu l'homme meilleur, c'est-à-dire capable de douter de lui-même jusqu'à la racine de ses perceptions, ce qui est le seul chemin du Soi.

 

Il faut, expression de plus en plus usitée par Bernard Henri qui prend de l'âge, et qui devient dépositaire du devoir citoyen propre sur lui, il faut (pardonnez-moi le ridicule de l'expression, mais c'est encore en usage), il faut, donc, d'abord reconnaître que l'interprétation du vécu est codée au départ, par la peur et le désir, puis par les croyances qui s'appuient dessus, et que ce codage ne va pas sauter d'un coup de baguette magique. Pour débouter le codage naturel qui met SON signifié à lui sur le signifiant qui se présente, il faut (redondance impardonnable) imaginer qu'il y a d'autres possibilités. Mais, si l'on ne recherche pas un sens exhaustif à ce qui nous arrive, le codage naturel l'emporte et l'on reste un animal pensant, sans aucune possibilité d'accèder à l'individu, qui lui, se pose des questions, même s'il n'est pas certain de pouvoir répondre. Or, le problème de l'humanité, c'est que presque tous les êtres humains éliminent les questions dont les réponses n'apparaissent pas dans le prolongement du codage naturel (Mon père prenait ainsi pour une débile toute personne qui se penchait tant soit peu sur l'existence, ce qui lui permettait d'entretenir une image de soi très positive, et de se sentir au-dessus du lot). Sa catégorie n'accède donc pas à l'ouverture cosmique, qui seule, pose le probème de l'identité individuelle, hors du cadre contingent, cette nasse du paradigme des croyances locales. On leur a mâché le travail, et ils «croient», mais comme c'est l'interrogation qui fait la valeur de la réponse... Comme le dit Satprem, ils vivent tous ou presque, dans leur «bocal», et il peut même y avoir un bocal aurobindien, comme c'était le cas à Auroville, un dogme basique ficelé à la va vite, où il fallait se reconnaître sous peine d'être un étranger.

 

D'où mes précautions multiples pour qu'il ne puisse pas exister de bocal natarajanien, d'où ma louange de la complexité, issue du simple corps humain observé. Sans compter tout ce qui bouge, la structure est faite de 206 os, avec cet incroyable paradoxe que le solide provient du mou, le sperme et l'ovule, ce qui faisait dire à Lao-Tseu que, finalement, le yin était supérieur au yang, ne serait-ce que parce qu'il le précédait, ce qui obligeait ce pauvre yang à lutter de toutes ses forces pour être à la hauteur. (Même chose dans la sexualité, sans pratique tantrique, le plaisir masculin est pauvre par rapport à celui de la femme, et le fait que celle-ci domine l'homme sexuellement est à la base de son infériorisation sociale). Oui, la complexité va se fixer en amont de notre logiciel à penser, véritable moulinette biologique à ramener à soi le vécu.

 

Et plus nous avançons dans la complexité, plus les mots d'ordre nous torturent, plus les injonctions nous paraissent limitées, plus l'autorité apparaît comme une grosse manœuvre sans âme pour légitimer la puissance et la force, comme si elle n'était que le dernier avatar de la ruse animale, extrapolée dans le génie humain, pour

 

quadriller le réel en donnant au chaos un aspect respectable.

 

car la complexité, révélant l'entrelacement unique que chaque chose entretient avec l'univers, dément que les lois générales s'appliquent en série. Le contexte les modifie, comme les mêmes espèces animales diffèrent d'une latitude à l'autre... Ce qui revient à dire qu'aucun «isme» ne s'applique à l'être humain, que Dieu y soit embobiné ou non, et c'est de cette découverte amère, qui date de l'effondrement du mur de Berlin, dont nos intellectuels ne se sont pas remis. Ils n'ont pas encore fait le pas vers ce qu'ils pressentent, soit la liberté inouïe que chaque individu doit affronter, en créant ses valeurs au lieu de les suivre. Pire, certaines personnes se posent des questions dans le seul but d'y répondre, ce qui est absurde. A partir d'une certaine ascèse confirmée, on sait qu'on ne définira jamais Dieu, et même que son existence n'a aucune importance car elle ne change rien au réel de notre condition, on admet qu'on ne mettra jamais la main sur l'Amour, mais qu'on peut l'esquisser parfois ou le recevoir, on avoue que notre connaissance ne sera jamais exhaustive, no problem, c'est le pas qui compte, on découvre que l'intégrité peut toujours s'améliorer, en particulier dans l'économie du corps physique, donc, on se retrouve en marche vers des absolus qui sont reconnus, mais informels, et dont on s'avance, tout en sachant qu'on n'a pas de prise sur eux, mais qu'ils légitiment le mouvement de la conscience vers Elle-même.

 

On n'a de prise que sur sa propre position.

 

Le Divin demeure identique à Lui-Même, quel que soit le nom qu'on Lui donne, la connaissance mène au Soi, qu'on le baptise satori, sunyata, samadhi, et ce qui finit vraiment par compter, ce ne sont pas les règles du jeu, mais la manière de jouer. La connaissance stipule que l'absolu peut être découvert, la règle du jeu est la doctrine traditionnelle, et il reste à jouer, coudre le moi au non-moi et réciproquement, sans coutures. L'humanité s'est toujours enferré dans la règle du jeu, et le fil à employer. Faire ceci pour gagner, pour obtenir cela, mais il n'y a pas de méthode. La seule, c'est indiquer la nécessité (il faut) de décoder, de court-circuiter en permanence l'interprétation automatique des événements. C'est le seul moyen de déraciner les survivances dynamiques, le seul obstacle à la divinisation de l'espèce. La haine est naturelle, elle ne s'apprend pas, et elle n'est consécutive qu'à une reconnaissance de l'objet, qui tourne mal. Difficile de haïr les choses, les systèmes, et les êtres qui nous sont indifférents. La haine et la cruauté sont la même chose, le principe et la forme. S'intéresser à veut dire qu'un jour cet objet peut être rejeté et haï, et pourtant toute notre existence nous porte à nous intéresser à. Ce sont des hommes qui s'intéressent particulièrement à l'humanité, et à son devenir, qui deviennent des terroristes, et font sauter des empires avec des projectiles d'un nouveau type, des avions de ligne. Ils haïssent l'humanité réelle, qu'ils se permettent de punir, au nom d'une humanité virtuelle, meilleure.

 

J'ai personnellement rejeté avec une véhémence extrême l'existentialisme de Sartre (j'ai pleuré plus d'une heure à grands sanglots, défoncé au meilleur haschisch quand j'avais dix-neuf ans, en lisant la nausée) et j'ai perdu le contrôle de mon esprit, en Hypokhâgne, à la fin d'une dissertaion sur Nitch, qui continue pour moi d'être l'horreur personnifiée, du mensonge à l'état pur, et j'ai fini à l'infirmerie, me demandant si je retrouverais ou non la raison. Ouailles?

 

Parce que j'ai toujours pensé à l'espèce humaine et à ses valeurs dans son ensemble, depuis ma tendre enfance, en m'évitant presque moi-même, puisque tout baignait. Je me suis toujours pensé humain et cosmique, sans aucune affinité particulière avec ma culture, ma famille, mon pays. Rien de tout ça. J'ai donc été deux fois profondément bouleversé par des écrits très puissants qui véhiculaient, de manière fractale, une vision du monde qui m'était parfaitement étrangère, mais dans laquelle je reconnaissais le même principe que celui qui m'animait: conceptualiser la relation au réel. Comme je n'ai jamais pu vivre sans vision du monde, et que j'ai commencé à me la fabriquer vers l'âge de six ans (entrer en contact avec le fabricant du soleil, en laissant de côté l'ignominie humaine, insoluble), j'ai réagi à d'autres humains du même type que moi, parfaitement individualisés et créateurs de leur propre vision de de la réalité. Et quand on est capable de produire cela, on le transmet, par magie (affinités d'ondes) à travers ses écrits. Si je n'avais pas été moi-même, sans le savoir, un philosophe depuis l'enfance, je n'aurais pas pu être touché aussi profondément par le batracien et le branleur (Dieu hait leur âne). Il fallait une identité entre eux et moi, et elle était là, tous les trois nous étions capables de concevoir un modèle qui prétendait donner un sens exhaustif à la vie humaine. Je me souviens de mes premières erreurs. Devant toute la classe, j'attaque le prof de philo en terminale pour l'accuser de m'avoir mal noté. J'ai traité le sujet, que je m'exclamme, et je ne comprends pas comment vous pouvez me mettre seulement 8 sur 20. C'était un homme pas très intelligent, ancien militaire même je crois, qui avait tout bien fait comme il faut, pour parvenir jusqu'ici, et il était très calme, il n'était donc pas dans le rôle par hasard, il avait dû tirer parti de sa formation. Il m'a expliqué qu'il m'avait noté en fonction des critères du bac. Moi, pauvre idiot, je vivais mes dissertations comme un surfeur son tube, et je croyais vraiment qu'il fallait traiter le sujet, alors qu'il s'agissait seulement de comparer des références, et de touiller une synthèse qui n'effraierait personne, tout en rendant hommage à chacun des protagonistes, il faut de tout pour faire un monde. Je me souviens même de son appréciation, il n'était pas question qu'il perde la face, conclusion qui ne manque pas d'humour divin, quarante ans plus tard, quand je vais me rasseoir: vous êtes un illusionniste... je récidive en hypokhâgne. Le pauvre petit intellectuel, gratifié d'un air simiesque, sans doute jaloux de mes facilités en la matière, a le culot de me dire qu'il m'aurait mis 17 sur 20 si l'introduction avait été plus courte, à un exercice où je n'atteignais pas la moyenne. J'avais «trop» traité le sujet, en quelque sorte. Mon besoin de vérité était déjà excessif, aller au fond des choses, ce n'est pas recommandé, il faut réussir ses examens. J'ai d'ailleurs vu une pointe de sadisme, quand il s'en est tiré de cette manière-là, il ne me reprochait plus le contenu, c'était je crois diffcile, mais il aurait dû être moindre... Il avait le pouvoir de la note, et il m'appelait à me soumettre, en lui donnant moins de stuff, étant donné, il est vrai, que mes dissertations faisaient partie des plus longues. A l'idée de manquer un aspect de la chose, je m'amusais à me faire peur, comme si je craiganais de mutiler l'intelligence elle-même, si mon devoir n'était pas archi-complet, mais ça allait au-delà de ce qui m'était demandé, et ça, je ne le saisissais pas. Il a un jour, ce brave garçon, très jeune d'ailleurs pour enseigner à ce niveau, en dehors du cours, au bistro peut-être, a refusé de me dire la différence entre les noumènes et les monades, et il m'en a voulu, je crois, de lui poser cette question, car il a eu une réaction violente avec un rire étouffé, dans le style: pour qui il se prend celui-là? Je vivais les choses intellectuelles avec une intensité quasi physique qui dérangeait tout le monde, comme si j'avais toujours su que les idées menaient le monde, les mâles se contentant de faire la guerre, et de construire des représentations pour fuir la réalité.

 

J'ai donc quasiment cherché depuis l'adolescence si mon goût de la réflexion provenait d'un exercice antérieur, mais je n'ai aucune révélation karmique dans ce domaine, bien, que depuis 1990, suite à une nuit mémorable, j'ai pénétré l'essence du monde chinois, en écrivant dans la veine du Tao te king, tout en me trouvant transporté dans l'atmosphère ancestrale du pays. J'ai par la suite assimilé en moi une sorte d'identité qui avait été voilée, et s'est manifestée avec une connaissance intérieure incroyable. J'ai publié un livre où je me présente comme l'auteur du Tao te King, qui a été assez vite épuisé, vu son tirage limité, en 1991. Et un autre, mal distribué, sept ans plus tard, dont je vends à la sauvette les exemplaires qui restent.

 

Vu mon itinéraire, je suis obligé de défendre la réflexion totalement ouverte, c'est-à-dire celle qui ne part pas de prédicats ou présupposés établis, et qui ne cherche pas non plus, à en établir. Mais je ne peux plus agir ainsi, puisque l'expérience du Divin me fait poser son existence comme prédicat, avec la douloureuse perspective qu'on s'imagine que ma vision du monde provient d'une croyance, et non d'une expérience. D'autres ont supporté la chose, Hallaj, Sri Ramajrishna, Sri Aurobindo, le christ. La vision, la connaissance de Dieu doit remplacer la croyance en Lui, autant dire que le procès (processus au sens large comprenant plusieurs systèmes convergents) peut prendre beaucoup de temps à l'échelle humaine, soit des secondes à celle du Divin.

 

La réflexion holistique ne doit pas seulement porter sur l'objet, c'est-à-dire sur le non-moi, ce que les philosophes savent faire sans remettre en question, en profondeur, leur identité. Cette réflexion doit porter également sur le «qui suis-je» et déceler un immense manque à gagner. Sans la prémonition d'un potentiel immense qui fait encore défaut, l'introspection s'asphyxie elle-même, ou ne va guère plus loin que ce que l'on trouve chez Montaigne. Il faut prévoir que l'on n'est pas encore ce que l'on est vraiment, et que l'expansion authentique va autant venir de la nourriture, le moment, le non-moi, et finalement le Divin, que de la manière de manger, de mâcher, d'avaler. Or, je me tue à le répéter, mais la bêtise domine. Il y a plein de gens qui savent choisir les bons aliments, mais qui ne savent pas les ingurgiter, et plein d'autres qui savent mâcher, suspendre l'esprit pendant qu'ils mastiquent, mais qui ne sont pas assez regardants sur leur alimentation. Les paris sont ouverts. Vaut-il mieux manger bio avec avidité, rajas s'en mettant plein la panse pour célébrer Mère Nature, ou manger n'importe quoi, même du pâté de porc industriel (n'oubliez pas d'imaginer que c'est du foie gras artisanal pour le trouver meilleur, ça fait faire des économies) mais avec conscience?

 

De mon côté, je crois que je pense qu'il vaut mieux être conscient de ce qu'on mange, même pas terrible, tels les sannyasin de l'Inde pour qui un repas «normal» est un festin et une bénédiction, qu'avaler de la première qualité en pensant à autre chose, en louchant déjà sur la suite, car la question qui demeure essentielle, c'est qu'est-ce que le moi fait du non-moi, je suis ce que je suis, et personne d'autre ne peut l'être à ma place. C'est moi qui mange, et non l'aliment qui est mangé, c'est le sujet qui est, et non le décor qui l'entoure. La gourmandise pervertit le mouvement et l'objet devient plus important que le sujet, c'est la même chose avec la luxure, l'avarice, chaque fois que le moi devient dépendant du non-moi, au-delà du besoin qu'il en a, chaque fois qu'il s'engloutit dans l'objet outre mesure, la dictature de la vie renforce son pouvoir, mais c'est vrai, modération et détachement sont diffciles, vu que le désir est l'âme de la vie. Si je mastique correctement du riz blanc, je me nourris autant qu'en engloutissant un plat riche, car la salive va ajouter son grain de sel à la digestion. Vérité bonne a rappeler à l'époque où l'obésité constitue une menace dans les pays riches, qui compense admirablement la famine de l'Afrique, puisque, ne l'oublions jamais, la symétrie est un principe, par définition, à double-tranchant.

 

Plus il y aura de gros qui s'empiffrent sans s'en apercevoir et sans discontinuer, plus il y aura de maigres qui mourront de faim en s'en apercevant. Ou alors, il faudrait que quelque chose change vraiment, mais quoi? Et c'est là qu'on se dit, un peu de conscience en plus, et ça pourrait marcher. Or la conscience, c'est aussi de l'empathie, car la conscience, c'est de l'identité. Si je suis mon esclave, je ne peux plus lui infliger de sévices corporels, je le renvoie ou le gendarme. Si je suis l'étranger, plus besoin de surveiller les frontières et de préparer une guerre punitive contre ceux qui tardent à nous envahir. Si je suis toi, je ne peux que t'aimer. Merci Jésus. Oui, je suis d'accord avec lui, bien que le personnage dégage un fumet pestilenciel à cause du christianisme, des Croisades et de l'Inquisition, sans compter les papes qui ferment les yeux quand on extermine autre chose que du chrétien. Yes, Bob, vu que seul le semblable reconnaît le semblable, quand tu n'es pas tout, du ver de terre à Dieu le Père, tu entres en conflit, tu passes à côté, tu projettes ta représentation qui te cache l'objet, et tu sépares l'indivisible... Et tu laisses crever de faim les petits negros, puisqu'ils ne sont pas toi et que donc, tu t'en fous.

 

Et puis le Soi arrive, et tu es content que les autres s'imaginent que tu as pété les plombs, tu t'en moques, tout se tient. Tu es ce que tu vois, ça commence à être pratique, sauf que le moi lui-même a tendance à s'effilocher un max. Tu penses à toi, tu ne trouves personne. Bien sûr, l'animal continue d'être là, tu manges, tu dors, tu peux bander pour une fille, mais qui met en scène ces scénarios? Personne, et tu t'en tamponnes, à vrai dire. Tu te sens rapetissé dans le regard de l'autre, pour lequel tu n'existes pas, mais tu représentes plein de trucs pour lui quand même. Mon père qui m'accueille en me disant «mon fils» sur un ton emphatique et sans appel: je ne suis que ça, son fils, le reste, cela ne l'intéresse pas. Etrange de chez ralbol. C'est ça, la vie, toi, tu es tout, et tu t'en tamponnes, à part quelques amerlocks, il y a peu de «maîtres» qui se la pètent, et les autres, les gens ordinaires, ne veulent pas de ton paradigme. Il faut donc voir Bouchard d'Orval planer complètement avant sa conférence en traînant devant la bibliothèque du centre où il anime, anonyme dans sa tenue presque fripée de hippie, pour saisir que le jeune éveillé n'en a rien à foutre d'être un éveillé, puisqu'il n'y a plus personne pour s'en gargariser ou fêter la victoire.

- Alors pourquoi, cher mètre, qu'ils continuent à parler de l'éveil, les éveillés, si cela n'a pas d'importance?

 

- Eh bien mon cher Mily, ils n'ont plus rien d'autre à faire, ça découle d'eux, c'est tout, ça se déverse sans but, il n'y a pas toutes les conneries mentales, faire son devoir, sauver le peuple de l'ignorance, apporter la vérité, tout ça, c'est derrière, c'est de l'expresison pure: voilà ce que m'a amené l'éveil, si ça vous intéresse, prenez le chemin, c'est toujours ça de gagné en conscience, mais rien ne vous y oblige. Même Sri Aurobindo, qui a beaucoup écrit, disait que ce qui comptait, c'était son travail, et que ses livres étaient secondaires. Les Zordinaires, la catégorie la plus nombreuse, ne veulent pas devenir tout à la fois sans être personne pour équilibrer, ils veulent être eux, avec une focale de zoom, et le rejet pur et simple du grand angle, qui éloigne de l'objet à s'approprier, tout en donnant un champ plus vaste, où les contours s'estompent, pour le malheur de la raison, débordée par la fantaisie panoramique du mille-feuilles de la réalité, incontrôlable dans son ensemble. Zut alors, l'infini m'échappe, le petit salaud. Point final.

 

Va donc leur expliquer que tant que tu n'as pas atteint «l'impersonnalité», chère à Guénon, Lao-tseu, Gautama, et la clique des sankariens (voir la racine de l'éveil), tu pédales dans la choucroute, ils s'en foutent. Ils aiment pédaler dans la choucroute, ils ont l'impression de faire quelque chose, au moins, pas comme toi, pauvre naze, qui peut passer une journée sans rien faire, dans le silence, avec ton père qui a envie de te botter le derrière, car il s'imagine que tu paresses, le zouave, alors que tu remontes la pente de la pensée, pour voir d'où elle découle, la garce. Les zordinaires se prennent pour les auteurs de leurs œuvres, et lire la guîtâ ne les intéresse pas, vu que sa vue est bouchée par le kama sutra, mais quand ils peuvent mettre sur le dos de leur inconscient leur turpitude, ils ne s'en privent pas. Freud dédouane beaucoup, quand on sait le récupérer. Ne t'acharne pas à leur livrer le sens exhaustif, ils n'en veulent pas. Une question qui n'a pas de réponse immédiate, il ne faut pas se la poser, tu perds le contrôle, tu comprends, et tu as l'air d'un con, dans l'expectative. Vaut mieux nier le problème qu'avouer que tu ne sais pas le résoudre, nom de diou. Tu perds le contrôle que tu avais sur les choses depuis le big-bang par ta faculté de dire moijepersonnellement, et ça, c'est dur: l'univers qui part en miettes alors qu'il venait te manger dans la main, dur dur quand la question sans réponse te frappe de plein fouet, oublie-là, elle t'humilie. Laissons les questions insolubles, ou qui résistent, à ceux qui ont du temps à perdre. Inventons le sens de la vie, puisque nous sommes incapables de le découvrir. Tout est permis tant qu'on ne se fait pas prendre.

 

J'ai repris le journal en plaisantant, mais ça fait une semaine que je traverse des trucs incroyables. Je m'étais remis au café pour finir «feuille de route», écrit à la main, puis rédigé, et j'ai abandonné il y a trois semaines, et c'est chaque fois la même chose, le mental diminue encore son emprise, la sensation physique s'amplifie, mais longtemps j'ai l'impression de me perdre moi-même tant je suis dans le moment pur, le sujet étant très large, très vaste, et s'oubliant dans le vécu. Puis il y a eu une très belle fièvre globale, comme il y a presque deux mois, mais cette fois cela a duré plus, et le troisième jour, j'étais dans un état incroyable. Une sorte de force astringente me comprimait, sans être désagréable, j'étais plein de vie et absolument sans désir, autre part, en quelque sorte. J'ai bien apprécié, mais le lendemain, j'étais cassé. Gros mal au dos, tristesse diffuse, étrange mal être avec raccornissement de la sensation. Rien à faire, une bonne idée, enfin. Un massage pro au centre le plus réputé de Kuta, avec une toute petite femme que je connais, plus intuitive que les autres, mais c'est comme la veille: Hier, j'étais dans un ailleurs magnifique, bien qu'un peu écrasant pour le corps, aujourd'hui je suis dans un ailleurs également, maussade, sans origine, sur lequel je n'ai pas de prise. Et à un moment, le cerveau fait enfin sa bulle. Il y avait un air de piano en fond, et d'un seul coup, je me souviens d'une phrase de J.M, avec toute son attitude désinvolte, et qui me dit que le piano est le plus bel instrument. Et cette seule seconde restitue tout ce que j'éprouvais pour lui, et c'était encore là, enterré, enfoui. Il avait été mon ami, et puis un jour, en une seconde également, je tombe amoureux, sans échappatoire possible, j'avais vingt ou vingt et un ans. Il y avait de nombreuses raisons quasi objectives, que je n'ai pas envie de détailler, mais à partir de là, cela a été un peu spécial, car j'ai eu envie de le toucher, et cela n'a jamais pu se produire, ce que je ne regrette pas spécialement. La foudre est tombée en trois secondes, je m'en souviendrai toujours, vu qu'elle m'a fait le coup trois fois. Cela dure, pour moi, trois secondes, et plus rien n'est pareil. Cette fois, c'était la première fois. Les deux autres fois, avec des femmes. Toujours est-il que ce sentiment d'amour s'est reformé en moi, très puissant, tandis que l'image du garçon disparaissait, mais l'amour est resté, posé sur ma poitrine, et j'ai vu que cette chose-là n'avait strictement aucune origine, ce n'était pas mental, pas vital, ça existait en soi-même, c'était au-delà de tout ce qui est représentable, et naturellement quelques larmes se sont formées, puis une ribambelle d'êtres pour qui j'ai éprouvé aussi de l'amour, d'une autre manière, se sont mis à défiler, c'était vraiment étrange. Un état indescriptible, je venais de sentir la suprématie de l'amour, et en même temps les «objets» où il s'était posé n'avaient plus aucune importance. Ils n'existaient pas seulement pour moi, mais ils étaient moi en quelque sorte, avec en même temps ce qui fait qu'ils ne sont pas moi, et c'était assez émouvant. J'étais un peu surpris par l'expérience, vachement abrupte, l'amour, toujours lui, sans cause, pas moyen de l'attribuer particulièrement à ceci ou cela, l'amour d'où ça peut bien sortir, et même, on ne peut pas parler de traces, le cerveau venait de regurgiter tous ces êtres, non pour me les redonner ou les éliminer, mais juste pour que je comprenne que l'amour était autre chose, et que les «objets aimés» avaient juste servi de prétexte à le faire émerger là en moi, pour que je tienne à la vie avec une racine en plus, plus forte que celle du désir, comme étrangère à celle de l'intelligence, mais avec une autonomie royale qui venait flirter avec le reste, stimuler le bonhomme, presque à son insu, tout en donnant au désir un autre statut, qui devient conséquence et abandonne son statut de cause... Puis je suis sorti à la fin du massage dans un drôle d'état encore, et j'ai dû pleurer sur mon scooter, car JM a été pas mal esquinté par la vie, qu'il l'ait cherché ou non là n'est pas la question. J'ai perdu le contact avec lui un ou deux ans avant la descente du supramental, et quand je l'ai revu à l'occasion, dans les années 80, le désir avait été flingué, et nos voies divergeaient sans retour de convergence possible. J'ai même refusé de renouer il y a cinq ans, après un mail plaintif, car il m'avait retrouvé par un ami commun. J'ai eu l'impression, sur mon scoot, que ses souffrances étaient les miennes, en pleurant quelques secondes, mais j'étais dans un bel état, sans complaisance ni pitié, et cela n'a pas duré. Sans doute ce qu'on appelle de la compassion, qui supporte parfois une manifestation émotionnelle.

 

A partir de là, j'ai récupéré, et la nuit j'ai fait un acte causal compliqué, je les reconnais car la manière dont les espaces s'ouvrent les uns sur les autres est différente du rêve, et tout est très précis et conscient. Après avoir flirté avec une inconnue, quelques baisers, je la laisse et passe à des choses plus sérieuses, j'entre dans une université, et une vieille femme autoritaire m'accuse d'y venir pour chercher des filles, alors que je viens juste d'en voir une, effectivement, descendre une échelle, et elle est assez sexy. Mais non, je ne suis pas là pour ça, et je lui dis, et après je rencontre toutes sortes d'étudiants des deux sexes, tout le monde a l'air assez conscient, et je repère aussi, va savoir pourquoi, des individus qui ne sont pas eux-mêmes parce qu'ils sont sous la coupe d'un «gourou», et ils ont quelque chose de spécial, une assurance-condescendance un peu mièvre, qui me désole, car je vois derrière leur vraie nature, mais tout le monde me sourit comme si on me connaissait déjà.

 

J'ai donc retrouvé le matin suivant un bel état, grâce au mantra et à l'acte causal, mais me voilà complètement neptunien, pas capable de faire grand chose, et envahi par l'espace, avec un corps moelleux, de la sérénité plus que de la joie, content d'être sorti du trou noir de la veille. La chose remarquable, c'est que le cerveau fait son travail, et il mélange différentes eaux. Donc, quand je ne suis plus vraiment «moi-même» et que je me sens parasité, le discours qui se forme est une résultante de mélanges d'énergies, et je sens qu'il y a une chose qui ne va pas. L'amalgame doit se concentrer, la combinaison délétère persister, jusqu'à l'explosion de la bulle, qui provoque une émotion, et là, les choses rentrent dans l'ordre. Le soir, pas entièrement remis, je parvenais à me distinguer moi-même de l'état de tristesse sans fond qui se manifestait, sans m'y mélanger, ce qui avait été impossible dans la journée, jusqu'au souvenir qui a fait surgir la nature de l'amour, sans cause, souverain, incrustant dans le moi des représentations de l'autre, aimé et désiré, ou seulement aimé, d'une nature absolument particulière. Il va de soi qu'étant descendu jusqu'au génétique, mon cerveau vit des trucs étranges, et qu'aussi bien la tristesse et mon problème au poumon droit, que les carences affectives, dépassent la zone de ma seule personnalité, et mettent en jeu des mémoires ancestrales, car l'amour n'a pas été le fort de ma famille, ni d'un côté ni de l'autre. Une mère hypernarcissique, absolument sans cœur, en admiration devant son père et qui n'a jamais parlé de sa mère, un père dont je doute qu'il ait vraiment reconnu qui que ce soit comme ayant la même valeur que lui-même, tant il se trouvait impeccable, incapable de voir le moindre de ses défauts et se vantant de ses qualités avec un aplomb remarquable, et serinant même des sommités avec des commérages, quand l'occasion se présentait, comme par exemple pour le doctorat d'état de ma sœur, où ce bourgeois gentilhomme croyait intéresser de grands juristes parisiens et internationaux, avec des considérations plus terre-à-terre tu meurs, comme si lui-même jouait dans la cour des grands, s'écoutant parler afin que personne ne s'exprime à sa place, c'était un tyran du bavardage.

 

Mon père représente aussi un archétype, celui de tous les hommes ou femmes, qui ont une telle horreur de ce qui leur est supérieur, qu'ils l'ignorent totalement ou le dévalorisent, plutôt que mesurer la distance, humblement, et chercher à s'élever. Ces gens-là décapitent à tour de bras, pour que tout le monde soit à leur propre hauteur: ils encensent des abrutis qui réussissent et méprisent profondément tout être capable d'une initiative profonde, discrète, sans blingbling, qui pourrait les remettre à leur place et les mettre face à leur superficialité. La subpersonnalité «personne au-dessus de moi», doit disparaître de la terre, elle casse le mouvement ascendant, car elle s'exprime à travers des êtres qui, sans le savoir, font beaucoup de mal aux autres dès que ces derniers expriment une profondeur non convenue. Le terme d'orgueil ne balaie pas tout le champ de cette survivance dynamique, assez courante, qui donne beaucoup d'assurance, et qu'on retrouve même extrapolée chez des gens cultivés et intelligents, mais incapables de reconnaître la valeur d'un système qui n'est pas le leur...(Pauvre Benoît 16, qui réaffirme par un document du Vatican, le 10 juillet 2007 que l'Eglise catholique est et reste la seule véritable Eglise du Christ...) Selon Courrier International.

 

Et la génération d'au-dessus, c'est pire, car ma grand mère paternelle était profondément masochiste, et je sais que je porte encore sa trace. J'ai hâte que les gènes se transforment et que le supramental vienne à bout de tout ça, mais malgré le pilonnage, ça prend du temps. J'ai aussi réduit la quantité de mon alimentation, sans effort, et répété le mantra beaucoup plus longuement. Je ne sais pas où je m'avance, le corps est parfois débordé d'être trop conscient, trop présent. J'ai des sensations partout, de petits courants d'énergie, de la chaleur, la nuque est parfois prise, ou le cerveau autour de la fontanelle, mais j'apprécie le moment, et je fais face aux embardées. Parfois quand la force travaille d'une certaine façon, comme hier, on frise la paranoïa et on n'y peut rien, je l'ai déjà dit pour dédouaner Satprem, mais hier, moi-même, j'ai vraiment cru que mes gardiens allaient revenir sans mon laptop de chez le réparateur, puisque ils semblaient ne pas rentrer, ajourner indéfiniment le retour... Tout ça parce que ma confiance en eux a quelque peu baissé, suite à des bricoles, et un scénario se formait donc tout seul, dans lequel ils avaient le culot de vendre l'ordi, et de me présenter sa perte avec une version géniale d'un vol ou d'un oubli du sac, (d'autant que, dans l'après-midi, trois individus étaient passés, de la même compagnie, pour se plaindre d'un crédit non payé depuis deux mois par ce couple, après un autre événement similaire la semaine passée).

 

Intuition ou parano, ça a fait du yoyo tout l'après-midi, et le cirque a duré cinq heures, le plus amusant était que j'étais obligé de me dire «ton apple volé, pas grave mon chéri, regarde la force comme elle travaille bien aujourd'hui, c'est l'essentiel». Elle descend bas, je vous l'assure, et la chimie de la boîte à synapses, c'est quelque chose. Des dizaines de substances qui se balladent dans les galaxies des neurones, et le je qui conjugue en fonction. Juger Satprem dur, ou Natarajan faible, car le désir est toujours là, c'est facile. Le boulot, allez-y, le Divin ne demande que ça. La centrifugeuse subatomique, vous m'en direz des nouvelles. Mais ne nous plaignons pas. J'apprends de plus en plus à avoir mal sans souffrir, mais ma vraie nature, c'est la joie d'exister, de vivre, de baigner dans le mystère absolu de la transformation permanente des choses, avec l'arrière-plan immuable du Divin, qui attend son heure...


28 Juin 2008


Encore une journée difficile, avec un petit manque à gagner, davantage de mucosités dans les poumons, tout en haut, à la gorge, et constipation. C'est ça le pire, ma mère encore, qui voulait tout garder, constipation chronique et complètement cyclothimique, une vraie maniaco-dépressive, et dès que je ne vais plus à la selle, le mental est contaminé, la joie de vivre fout le camp. Il est bien possible que pour se débarrasser de nous, la vie qui retombe utilise de plus en plus les caractères héréditaires pathologiques, pour être certaine d'y arriver plus vite. Quand l'homme n'est plus un reproducteur utile, la vie le lâche, moi ça s'est passé à cinquante ans, les gènes ont explosé en 2001 et je ne m'en suis remis définitivement qu'en novembre 2006 à Shanghaï. Je me sens beaucoup plus fort si des descentes douloureuses devaient reprendre maintenant dans l'inconscient, puisque c'est de plus en plus difficile de m'abattre, mais il y a des jours sans joie qui reviennent. Je ne peux pas faire grand chose, sinon plus de mantra, et on dirait que le combat devient enragé entre le truc des poumons et la Force. Mais je ne peux plus perdre de vue que le Divin est derrière tout ça. Ce matin, assez terrible, pas très bien, et le cerveau m'envoie le souvenir global de ma vie à Boulouris, complètement épanoui, et la chimie voulait peut-être en faire de la nostalgie, mais au lieu de cela j'ai sangloté en remerciant le Seigneur d'avoir pu être aussi heureux. Longtemps j'ai pensé qu'il était impossible d'être plus heureux que moi, ce n'était pas un défi, mais tout m'agréait, ma vie était facile, et comme Lévy-Strauss et quelques autres, j'appartiens à une catégorie spéciale, celle des «exaltés abstraits». Nous ne sommes pas des intellectuels, parce que les formes ne nous intéressent pas, on n'aime pas commenter les choses, les écrits ou les auteurs, on ne veut pas bâtir sur des sépultures, mais découvrir, car le réel se suffit à lui-même, commençons par le déchiffer, avant de l'infléchir avec des théories perso. On cherche toujours la pertinence des idées dans leur application, et non dans leur «marquetterie» logique, ou leur esthétique, comme pourrait dire Gurdjieff, le fieffé. D'où ma souffrance d'être français: une idée belle y est vraie, avec un déchet plus que considérable, mais il est vrai une certaine «avance» parfois. La beauté est loin d'être le seul critère pour juger de l'idée, mais la France s'y adonne, et on y reviendra pour le meilleur et pour le rire.

 

On jubile de voir ce qu'il y a derrière les formes, pour un peu ça suffirait à notre bonheur, le dépeçage du samsara. Il n'y a là-dedans nulle vanité, car c'est l'observation qui nous intéresse, nous possède comme une maîtresse, et non pas de dire moije perso ceci je crée ou moije perso cela. Bergson était forcément comme ça également, j'ai presque l'impression de me lire quand je parcours «l'élan vital», on sent que son intelligence s'étale dans le temps et l'espace, et qu'il en ramène quelques visions rafraîchissantes, où nous n'avons pas le beau rôle, nous les êtres humains, on n'y comprend goutte, à notre hsitoire, et les clés de l'évolution, elles nous échappent. Faut-il pour autant nier l'ascension? On le pourra encore pas mal de temps, le temps qu'il y ait vraiment quelques pekins qui se laissent transformer par le supramental, et qu'on puisse voir qu'ils sont différents (ou elles bien entendu). Là, ce qui restera de l'espèce devrait en finir avec les «signifiants vides», et se mettre à s'ouvrir à la reconnaissance du Divin, first, parce que sans lui je ne pourrais même pas dire je, deuxio, parce que ça m'occupe, troisièmement parce que mon intérêt perso se confond avec celui de tous les autres.

 

Il n'y a que ces auteurs là de profonds, désolé: ceux qui parlent des forces de la nature, ou de Dieu, ou des relations qui régissent l'espace-temps, ont de l'envergure et évitent leur nombril. Tous ceux qui glosent sur l'aventure de leur propre moi le font parce qu'ils sont incapables de s'intéresser au réel du réel, à la racine ou le carré de 1, soit les grands principes. Ils ont la trouille de se réfléchir là-dedans, le projet divin ou la force immémoriale de la nature, alors ils se plaignent de l'Histoire, ça les justifie, ou font de la politique. Moi-même, je ne parle de moi que pour une seule raison: ce qui m'arrive est hors du commun, et d'autres se préparent à cette exception. Mais mon itinéraire n'est pas obligatoire.

 

Je ne peux pas affirmer qu'il faut un mental supérieur pour gagner le supramental, car il est au centre de tout, et il peut donc descendre sur des instruments prêts, pourvu qu'ils excellent quelque part.

 

J'ai tendance maintenant à ramener à trois principes, connaissance, amour, intégrité, car le reste, tout le reste peut se subordonner à un de ces troncs. Et il n'y a pas de raison d'être aussi touché par les trois, pour le moment nous ne sommes pas des dieux, et c'est déjà rare de rencontrer un véritable adepte de la connaissance, qui s'appuie sur la décantation de son expérience sans pour autant se fermer... Un adepte de l'amour véritable, j'imagine que c'est merveilleux, je n'y suis pas encore, mais je crois que je saurais les reconnaître si j'en rencontrais, et à part Amma... Un adepte de l'intégrité? Je crois que c'est une spécialité chinoise, on ne va pas chercher midi à quatorze heures, on met Dieu de côté, mais on travaille sur l'union du corps et de l'esprit avec volonté, persévérance, discipline, et grâce au lâcher prise, tout ce qui pourrait enfermer le sujet dans ses propres prérogatives, au contraire, l'ouvre à recevoir de l'énergie, et on pourrait dire de cette voie que c'est vraiment celle du corps physique. Elle peut convenir à ceux qui n'aiment pas extrapoler, qui s'en tiennent aux faits et à leur ressenti, et que l'abstraction embrouille. Maintenant que nous allons vers l'homme universel, les doctrines des races s'épaulent, et c'est une satisfaction pour moi, d'ailleurs, de décloisonner l'approche supramentale, tant pis si les sectaires me jettent l'anathème, c'est prévu, et je ne fais pas mieux de toute façon, que Sri Aurobindo.

 

Je ne représente pas le Supramental, c'est Mère et Sri Aurobindo qui le représentent, moi j'exprime le fruit de mon expérience avec la chose, mais comme je suis là pour abattre l'autorité, puisque c'est un échange à sens unique l'autorité, je ne peux pas prendre le moindre plaisir à représenter le supramental, ce qui me donnerait une posture, d'autant que ce serait assez prétentieux pour le moment: les résultats se font bigrement attendre. Le départ de Satprem a quand même été dur à avaler, aussi, détachement ou pas.

 

J'ai le droit de m'attaquer à l'autorité si ça m'amuse, comme Krishnamurti s'attaquait à la violence. L'autorité humaine s'entend (et il y a une part d'autorité légitime, mais faible, dans l'éducation, que je ne dénonce pas). L'autorité divine, pour sentir ce que c'est, il faut aller au-delà du Soi, alors en parler, c'est perdre du temps, et Sri Aurobindo a tout dit là-dessus. Mais oui, c'est certain, il faut exceller quelque part, soit que la consécration soit parfaite, soit que l'Intellect soit parfait, comme chez Guénon et peut-être Mezig, sans fausse modestie, soit que le travail sur soi, sans tambour ni trompette, soit parfait, et l'ego anéanti. Et naturellement, les trois principes se combinent et s'épaulent. Ce que je veux dire, c'est que même si on ne le sait pas, ou qu'on le dise autrement, le Supramental repère, en quelque sorte, l'excellence. Il reste à ne pas se culpabiliser de ne pas recevoir le supramental, parce que, et oui, s'Il ne se manifeste pas, c'est que l'excellence fait défaut. C'est déjà comme cela avec le Brahman, dont on n'hérite pas n'importe comment, je vous prie de le croire, alors avec le supramental, c'est un mauvais plan de s'imaginer qu'on est à la hauteur, sous différents prétextes, comme sa descente dans l'atmosphère qui va tous nous emmener au-delà du delà (vieux mythe aurovilien exécrable et mis en place par des êtres de pouvoir dont certains peuvent être aujourd'hui récupérés, à leur insu même, par de drôles de forces).

 

C'est déjà fait.

Il est arrivé, le Divin.

 

Moi je l'ai senti en mars, avril, mai 1967, j'avais dix-sept ans, et ça m'a retourné. En quelques jours, tout avait changé, je sentais un truc sans limites partout, derrière le ciel, derrière la vie, et j'ai commencé à fonctionner autrement, jusqu'à une big illumination fin décembre 67. Je n'ai jamais voulu me réaliser, j'ai souhaité comprendre et agir pour un monde meilleur. Entre parenthèses, c'est le même itinéraire que Sri Aurobindo. Lui, ça passait par l'action, tandis que moi je me voyais remuer les foules, jusqu'à vingt-cinq ans, par la chanson, la littérature ou la philosophie.... Mais j'étais engagé à fond la caisse. Je pensais en permanence à trouver le chemin, avec une intensité incroyable, mais j'étais en même temps comblé par la vie. 68-69, mon année d'hypokhâgne, interne à Nice, j'ai décollé intellectuellement, tout s'ouvrait, je n'ai plus douté une seconde de percer tous les secrets de l'univers, et c'est ce qui s'est passé, dans le fond, quarante ans après je suis souvent H.S, mais soutenu par le Suprême. Peut-être la plus belle année de ma vie, et ça n'a rien à voir avec la découverte du sexe ou de l'amour, non (j'avais déjà ma première petite amie), j'étais à pied d'œuvre pour récapituler la vie, car je croyais vraiment le niveau de réflexion plus élevé dans les classes prépa. Je fus assez vite déçu, sauf que, enfin, je trouvais un autre exalté abstrait, mon professeur d'Histoire, qui n'avait pas le physique de l'emploi, plutôt carré, taille moyenne, type entrepreneur méditerranéen, mais sans accent, et que je considère encore comme un génie, puisqu'il faisait tout comprendre par des litotes et de l'humour, avec une concision merveilleuse, et l'Histoire apparaissait comme une grande farce jouée par des imbéciles, immémorial spectacle qu'il fallait quand même aborder sérieusement pour en comprendre les rouages, et parce qu'on en sortait aussi, évidemment. Je buvais ses paroles, mais il me laissait dormir souvent sur la table, les cours de début d'après-midi, car les déjêuners étaient trop lourds pour moi, régulièrement. Je sus vraiment, grâce à lui, que je n'étais pas seul à voir l'intelligence comme un mode d'emploi du réel, sans limites, une arme absolue, et non pas comme une technique à établir des certitudes, des croyances, enliser des mouvements, nouer des vérités qui deviendraient totalitaires, émettre de l'autorité, ou décréter des conneries bien présentées et se faire servir.

 

«Les principes de la Manifestation», je le dois au supramental, et je crois qu'au travers de ce livre, j'ai rejoint mon modèle, mon maître, et je me sens quitte avec le monde intellectuel, je me suis aussi racheté d'avoir pris l'itinéraire abrupt, hors cadre social, et je rejoins ainsi ma culture, car ce livre finira bien par être publié, quelles que soient les humiliations qu'il inspire au lecteur, privé de mise en scène perso, et confronté au grand jeu de la vie et du Divin, qui le jettent dans la Manifestation, sans égards pour lui... Je n'aurais jamais pu écrire un truc pareil, sans le long barratage du cerveau qui m'a amené un matin à Sri lanka, à me réveiller avec un autre mental, du jour au lendemain, mental qui est resté ainsi, uni au Tout. L'action est donc bien physique, le cerveau devient quantique, de nouvelles connexions apparaissent, et il ne peut plus apparaître de contradictions dans le réel, des antagonismes de forces et de valeurs, ok, mais des «contradictions», cela n'est plus possible, car tout se tient et tend vers l'unité. Le cerveau qui a «pétillé» pendant des années vit dans cette dimension-là: «l'ignorance» étant à la fois légitime, le statut de l'âme embrouillée par la vie, et illégitime, puisqu'une interface apparaît, le potentiel individuel de la connaissance. Le but semble que l'être psychique ait enfin un moyen d'expression direct, mais nous sommes encore les cousins du singe, voilà pourquoi il faut bien comprendre que le mystère 3 de méditation quantique, ce n'est pas de la théorie, pas plus que les survivances dynamiques. On souffre de l'incarnation, c'est vrai, et surtout parce que nous attendons trop des autres. Cela peut être offert au Divin, qui, loin de s'en repaître, recueille la consécration que cette douleur fait suinter, et Il prépare ainsi les bouleversements divins.










































































































13 Juillet 2008


Hello, voilà, j'ai été attaqué par l'hiver et le vent, et le problème au poumon, au larynx ou aux bronches, est revenu. Mais j'ai de la chance. Sur mon itinéraire principal, j'avais repéré dernièrement une affiche intéressante, et quand je me suis senti mal, même dans la tête, je me suis arrêté. Zai eu bokou de sance, car je suis tombé sur un indonésien d'origine chinoise, qui pratique la médecine taoïste, et qui parle français. L'affiche comportait reflexology, acupressure, nathuropathy, et le lieu ne payait pas de mine. Et le type correspond exactement à ce dont j'avais besoin. J'y vais un jour sur deux, il me parle, me montre des dizaines d'exercices pour rester en forme. Sa femme ou bien sa fille me fait un massage extra, les points des organes sont pressés, le pied est ausculté et pétri longuement, au millimètre près, et puis lui, il vient aussi ajouter son grain de sel, ou faire brûler des bâtonnets de moxibustion. Le travail n'est pas baclé, après quoi tisane et fumigations pour les pieds, et petit sachet à emporter avec des herbes, des gélules pour les bronches, et des comprimés minéralisés. C'est toujours à mourir de rire avec la tradition chinoise, pour un cartésien. Vous avez mal à gauche, alors c'est à droite que ça ne va pas, ou bien « la poitrine, c'est peut-être la conséquence seulement, il faut voir le foie et les reins ». Bref, je suis passé au scanner, et vu l'âge qui avance, il y a du boulot, dont un truc à faire pour que le dos ne s'affaisse pas, et j'y travaille vraiment depuis un an, mais les mucosités qui durent depuis février, rien à faire, on ne voit pas d'où ça vient.

 

Naturellement, la chose est si profonde qu'il y a peu de résultats, et j'ai même choppé un rhume de cerveau hier, ou un petit virus. Eternuements et fièvre. Mais je vais continuer, en dépit du climat pourri en ce moment, du vent fort sans discontinuer toute la journée depuis plus de quinze jours maintenant. J'ai envie de me barrer ailleurs, mais le docteur m'intéresse et ce serait bien que je fasse un peu de ki-cong le matin, comme il me saoule avec la description d'exercices, je suis bien obligé de me rappeler de quelques-uns, et j'en fais quelques minutes deux fois par jour. Oui, j'avais senti l'âme de l'hiver me tomber dessus en fin d'après-midi, dès mon retour il y a juste un mois, telle une présence, mais cela avait été provisoirement chassé par ce que j'ai reçu à la dernière pleine lune, un peu plus tard en juin, où j'ai ressenti l'energie plutonienne « de base » à fond la caisse, ce qui donne envie de s'investir avec intensité dans le moment, toutes formes confondues, désir, besoin, reconnaissance du champ, élan souverain, attraction subie pour le moment et ses mirages. C'est vraiment une énergie bizarre, on se sent appartenir au réel de manière absolue, et on a envie d'en tâter n'importe comment aussi, tout ce qui rentre fait ventre. On se lancerait dans n'importe quoi la conscience tranquille, l'orgie, la manipulation, car le champ vibre autrement : il s'offre au moi, sournoisement, passivement, lascivement. Etrangement, cette énergie semble posséder une interface avec le supramental, mais dans sa manifestation brute, elle en est vraiment une contrefaçon. On sent quelque chose d'indéfinissable en commun. Une présence inconditionnelle, mais là c'est de l'involution pure, pourtant ce n'est pas l'âme de la vie, que j'avais ressentie en 2005, et qui avait essayé de me soudoyer. Je regrette que les mots ne suffisent pas à caractériser, définir ces grandes énergies qui traversent parfois le champ, puisque toutes les fréquences sont compatibles dans l'atmosphère, mais avec des variations d'intensité. Bref, cette pleine Lune de juin bénéficiait d'un caractère infiniment concret, l'atmosphère était dense, quasi liquide pour moi, et scandait à chaque seconde « tout est possible », c'était un rayonnement incroyable qui plantait le moi dans le non-moi, dans une sorte d'identité réciproque factice, quasi rougeâtre, c'était comme les coulisses de ce qui pourrait devenir de l'énergie diabolique plus tard, une récupération de l'extase existentielle dans les vibrations les plus basses. C'était comme une drogue finalement, qui dispensait le sentiment d'être là, tel quel, en toute légitimité cosmique, quoi qu'on fasse, quoi qu'il advienne. Certains ont dû employer correctement le carburant, d'autres ont dû se planter, ça poussait méchamment à l'expérience, et à la (con)fusion du moi et du non-moi.

 

Pluton représente aussi quelque chose de supérieur, à condition d'avoir tout traversé, purifié Saturne, Uranus et Neptune, ce qui n'est pas encore à la portée de tous. En astrologie, son spectre est extrêmement large, c'est lui qui scelle l'identité entre le moi et le non-moi, et qui oblige le sujet à la reconnaissance exhaustive de la totalité, à travers le sentiment de toutes les limites individuelles. Mort perso, survivances dynamiques profondes, aliénation sexuelle, avidité d'être ce que l'on n'est pas encore, par n'importe quels moyens d'apparence gratifiante.

 

Donc, à cause du retour du vent, et de l'obstrcution pulmonaire, j'ai perdu un peu la joie, mais le Divin n'est pas idiot, avec plus de mantra, la sérénité remplace, peut-être pas avantageusement, mais c'est pas mal non plus. Je suis moins ensorcelé par le non-moi et la béance délicieuse de l'instant informel, mais je m'enracine davantage, joue aux échecs contre l'ordi, et lis énormément. Hier, bokou de sance également, quatre livres chez le même bouquiniste. La mamy était si étonnée qu'elle a cru deux fois que sur les quatre j'en ramenais certains. Souvent, je passe et repars bredouille, alors là, elle ne comprenait plus. La loi des séries s'applique à tout. Je ne peux que vous recommander l'admirable « la secte des egoïstes » de Schmitt, où l'on voit un homme d'un excellent karma se prendre pour Dieu. La manière dont il utilise la révélation que tout est projection est assez désopilante, je l'avoue, je me suis vraiment régalé en le lisant d'une traite. Et puis, n'oubliez pas l'un des auteurs fétiches des voyageurs branchés avec Nicolas Bouvier, Nigel Barley chez Payot, dont j'ai été heureux de trouver « l'anthropologie n'est pas un sport dangereux » qui m'attendait aussi, avec un Michel Tournier, et un petit Philippe Claudel, où les bons sentiments, parce qu'ils sont décrits avec art, semblent posséder de la noblesse, avec un style plus gras, on reniflerait la complaisance, mais là, ça passe pas mal. Parfois je me force à lire, car je n'en ai pas fini avec la littérature. Je pense sérieusement à proposer contre petites finances deux ou trois romans à envoyer en pdf, prêts à imprimer. D'une part, j'en ai assez de me faire rembarrer chez les éditeurs, d'autre part gagner un peu d'argent avec quelques ventes me paraît astucieux. Je ne forcerai personne à les acheter, ce sera pour les aficionados en quelque sorte. Des romans « plutoniens », qui vont trop loin pour que le lecteur moyen se sente à l'aise, vu que j'écris avec un aiguillon plutôt qu'avec un stylo, et que, sans une certaine consécration, on trouve que j'en fais trop.

 

Les quatre titres à Kuta le même jour et au même endroit. Cela me rappelle la chasse sous-marine que j'ai finalement abandonnée il y a près de trois ans, l'irrégularité des prises sur le même spot, l'indécidable imprévu. Seuls les pêcheurs et les amateurs invétérés de Yi-king savent que le moment est capable de tout réceler, pour le meilleur et le pire, et que c'est idiot de faire la fine bouche, ce qui arrive arrive, nom d'un petit bonhomme, alors il n'y a que deux solutions, accepter, ou remonter en arrière et empêcher ce qui cloche de se produire, mais même Harry Potter n'y parvient pas forcément. Donc, il n'y a qu'une solution, désolé, de vous l'apprendre : le constat. Après, la conscience se demmerde en lâchant prise. Mais attention, les petits nains du dedans fêtent la souffrance, la perte, le choc, la désillusion en s'acharnant à se plaindre, les petits morveux.(Toujours les mêmes souches planétaires obscures du subconscient qui remontent, culpabilité saturnienne ou sentiment d'injustice, blessures narcissiques qui révèlent le soleil naturel, arrogant et prétentieux, sentiment d'abandon vénusien, ou de dépréciation extérieure jupitérien, sourde violence ou vengeance martienne, et Séléné qui abreuve de ses larmes fécondes les monstres psychologiques assoiffés que le désarroi appelle dans le cerveau immémorial).

 

Les zotres (sauf peut-être aussi les chercheurs lucides) s'imaginent que le temps doit leur obéir, être favorable par principe, et qu'il manque son exercice quand il vous envoie en pleine tronche l'adversité, sans se donner même la peine de prévenir, ce qui est inadmissible. Pourtant, c'est exactement la même chose. Les occasions sont des accidents favorables, et les accidents des occasions d'apprendre du réel ce que l'on ne veut pas savoir. Je suis heureux d'avoir réintroduit de la pensée chinoise dans mes œuvres, car l'ensemble de l'esprit occidental joue au plus malin, en philosophie et en sciences humaines, en oubliant de mentionner l'immense latitude d'action de l'imprévu, de l'imprévisible, du pur inédit, dans le déroulement des choses. Ou bien, la seule manière de reconnaître cela, c'est de parsemer de fatum les circonstances, puis de noyer le poisson, nous sommes libres, on escamote la menace perpétuelle de l'échec qui vient du changement spontané des circonstances, on croit encore que le réel obéit à des structures aussi lentes que les codes cristallisés de pensée, ce qui fait que tout le monde est dépassé en permanence, parce que personne n'est au courant qu'il est normal qu'il puisse arriver n'importe quoi, même du grave de chez mortel en barre, n'importe quand, surtout si la vigilance fait défaut. L'attachement à la théorie constitue le plus grave défaut de la pensée française, qui peine toujours à la confronter à ses deux partenaires immémoriaux, l'empirisme d'un côté, et le pragmatisme de l'autre, ce qui fait que les théories françaises sont en général embourbées dans l'idéalisme, et ne tiennent pas la route, ce qui va finir par poser de vrais problèmes politiques. J'ai toujours l'impression que le français croit qu'il va s'en sortir par une embrouille quelconque, en chantant «tout va très bien madame la marquise», en l'emmenant à l'échaffaud pour qu'elle proteste moins. Il suffisait pendant la guerre qu'on annonçat que l'eau risquait de manquer et qu'il fallait l'économiser, pour que chacun se précipite pour faire couler un bain, par solidarité individualiste. Ce n'est pas un peuple sérieux, il est même assez superficiel, sa générosité est d'autant plus profonde qu'il ne la met pas en pratique, comme l'atteste le nombre incalculable de gens de gauche dont les valeurs sont identiques à celles de la haute bourgeoisie capitaliste, hormis leur discours égalitaire. La grande richesse se portait allégrement du temps des affidés de Mitterand, jusqu'à ce que ce groupe de nantis finisse par se renvoyer l'image qu'ils cherchaient à obtenir d'eux-mêmes, à savoir qu'ils souffraient perso des inégalités, alors qu'ils contribuaient à les accroître. La théorie est si sacrée en France, qu'elle n'est même plus obligée d'être mise en pratique pour être validée, c'est l'exception française, avec son communiste milliardaire, ses intellectuels de gauche qui roulent sur l'or, la conscience parfaitement tranquille et qui méprisent les aussi riches de l'autre bord, ah mais !... Et ses vrais pauvres d'extrême-droite.

 

Nous atteignons enfin la société du spectacle que Debord avait flairé aux moindres indices. L'hebdomadaire attitré de la gauche fait un numéro sur «dépenser moins», et, juste à côté d'un article sur la future voiture la moins chère donnée, une page entière nous montre la Jaguar dernier cri, sans préciser son prix, of course, pour qu'on puisse saliver dessus en toute bonne conscience citoyenne, à moins qu'on se côtise, sur le web, pour en offrir une à Besancenot, pour qu'il fasse sa tournée avec, à Neuilly, afin de lui permettre d'augmenter son score, et de moins terroriser les retraités. Je fais encore partie de ses retardataires qui croient qu'il devrait y avoir une certaine logique entre les idées et les actes, et que le « décalage » n'est pas un vain mot. Je suis archaïque. On peut très bien être très à gauche, et viser l'enrichissement personnel no limits. Le cumul des mandats, contrairement à une opinion vulgaire, n'est fait que pour favoriser l'implication morale du responsable politique, qui, au four et au moulin, devient incompétent partout à la fois. Il gagnerait le quart en faisant la même chose, il y serait quand même, par devoir. Les émoluments des parlementaires n'ont rien à voir avec leur vocation. S'ils deviennent riches, c'est à l'insu de leur plein gré, ce sont avant tout des hommes de foi, qui se dévouent à la cause du peuple. Rien à voir avec l'abbé Pierre et son successeur géant, qui font semblant de défendre les pauvres pour se donner en spectacle. D'ailleurs c'est un comédien.

 

Au contact du toubib d'origine chinoise, la naïveté triomphaliste de l'esprit européen me saute par contraste à la figure. Je crois vraiment que les blancs ne sont pas très intelligents, sauf exceptions, puisque la science de la durée leur fait défaut, et qu'ils n'intégrent jamais la résistance naturelle du milieu à leurs idées, ce que le chinois fait naturellement, car pratique et théorie sont confondues au départ dans un système cohérent. Cela ne viendrait pas à l'esprit d'un chinois de délabrer un organe pour en soigner un autre, par exemple, sous prétexte qu'il est diplômé en médecine.

 

Comme des enfants gâtés, les lois du réel n'intéressent pas les blancs, qui soumettent. A moins qu'ils ne les combinent eux-mêmes, les appliquent, et se retrouvent dans la merde, avec le rare privilège d'en être responsables, au lieu de subir passivement leur destin. Ils veulent s'exprimer, s'épanouir, les blancs, en méprisant tant faire se peut l'imprescriptible droit de regard du non-moi sur le sujet. On se booste en se faufilant entre les gouttes, jusqu'au terrible rappel à l'ordre, perso ou collectif(suivez mon regard). L'avenir a été trop courtisé au détriment du présent, depuis l'arrivée de Pizarre de l'autre côté (1512), par l'Europe, pour que la durée demeure cohérente. Elle a beau être élastique, nous sommes en même temps trop devant et trop derrière, trop en avance et trop rétrogrades, pour qu'on puisse s'y reconnaître longtemps. On paie des avances remarquables par des retards proportionnels ailleurs... Attali ne dit pas le contraire, sous une autre forme, « sherpa » dont l'intelligence supérieure me paraît incontestable, mais les vrais humanistes comme lui, qui ne se soumettent ni à l'establishment ni à la mondialisation sauvage, ne font pas le poids. Aussi les scéanrios d'Apocalypse pour «en sortir», sont-ils à la fois une fuite, si l'on s'y accroche, et une solution, bien sûr. L'élasticité a des limites. Un fauteuil de 1992, en métal et forme de guillemets, atteint les 300.000 euros... Dans un monde meilleur, où personne ne manquerait de rien, je pourrais éventuellement admettre la chose. Là, je l'accepte, elle existe, mais je me demande ce que je vivrais en face de son acheteur, préférant balancer son fric là-dedans que de soutenir n'importe quelle association humanitaire. Un peu de haine sans doute, je ne suis pas encore entièrement transformé, un petit zeste au fond, prenant appui sur des images, des souvenirs, toute cette misère du monde endémique, que ni la N.A.S.A ni les budgets de guerre n'entament, et que la gauche met en scène pour nourrir ses prévaricateurs. Ce qui traîne, traîne trop. Ou alors, il faut avancer moins.

 

Il y a peu de réflexions profondes sur l'inflexibilité de l'avenir, qui possède ses propres lois, et n'est jamais conforme à ce qu'on en attend. C'est pourtant la seule leçon de l'Histoire. On enterre les erreurs en s'imaginant que cela va empêcher leurs conséquences néfastes de se produire, ce qui est de la magie primitive de chez papou bas de gamme. Le mental du blanc a horreur d'être confronté à ses propres limites, qu'il conjure en les mettant de côté... Et il y a un véritable tabou sur l'imprévisibilité de l'avenir. «Il finira bien par nous obéir». Ne parlons pas de ça, ça nous fout le nez dans notre caca, ou bien, à l'extrême inverse, on se gargarise de l'effet papillon, en évitant de voir les conséquences que ça implique, plus tu prévois loin, plus tu passes à côté de ce qu'il adviendra, tu n'as que trois jours devant toi, mais si tu étais intelligent, tu comprendrais qu'ils sont toujours devant toi, ces trois jours-là, et que c'est peut-être suffisant comme marge de prévisibilité. Au-delà, sache que la traçabilité de tes rêves, de tes ambitions, de tes sentiments et de tes désirs, se perd au fur et à mesure dans ce qui sera l'épreuve concrète du temps, le partenaire de ta volonté et de ton imagination. D'ailleurs, si tu n'attends plus de la durée de mirobolantes approbations de tes fantasmes, mais plutôt des «prises de conscience», tu verras que tu planifies avec un certain détachement, et sans flipper à l'idée de manquer ton coup... Ce que les sages de chez les trente trois millions de dieux appelaient, avant que la mondialisation n'installe du coca-cola dans les ashrams, « être détaché du fruit des œuvres ». Si tu t'acharnes à te détacher du fruit de tes œuvres, c'est peut-être que tu n'as pas vraiment compris de quoi il s'agit. En diluant vers la caricature illuminatrice, une spécialité maison, c'est comme se forcer à s'en foutre, si tu veux. Tu vois le genre. Ou serrer les dents pour mieux lâcher prise, ce genre de choses. Ou s'entraîner à la spontanéité, encore que les chinois y parviennent, mais ils ne sont pas fabriqués comme nous. Ou prendre l'air naturel sur la photo, ma mère, elle me bassinait avec ça. Comme elle était toujours en représentation, elle avait des mimiques de naturel vachement travaillées.

 

L'avenir, ils y croient dur comme fer. Ils pensent pouvoir le fabriquer comme un objet industriel, avec ses cotes précises, son ergonomie et son rendement. Ils sont incapables d'estimer les troupeaux d'interférences diverses qui sapent à chaque instant les projets trop fermés, toutes ces jungles quantiques de facteurs tranversaux, imprévisibles, qui naissent du choc évident entre le projet et le milieu qu'il modifie, comme une goutte qui tombe dans l'eau rebondit et s'éparpille en gouttelettes multiples. On ne veut pas entendre parler du champ hors contrôle, on le sous-estime par principe, on veut créer de l'ordre sans tenir compte des sous-bassements concrets qui reçoivent les innovations, on évalue mal les résistances afin de ne pas se sentir découragé. On plastronne. On contourne donc la science des correspondances, on méprise toute prévision (hors des calculs de rentabilité, ça va de soi). S'ils sont mauvais, on crie au scandale, on s'étonne. Même quand le marché est saturé, on continue de produire, ils n'ont qu'à changer de voiture tous les deux ans, et on ne « comprend pas la baisse des ventes ». Véridique.

 

On prend pour des charlatans tous les astrologues, ce qui est assez cocasse quand on a lu du Rudhyar, on ne comprend pas la synchronicité du yi-king, mais on se ruine en « prospective » qui ne repose sur rien de sérieux, sinon l'avidité élevée en devoir moral pour garantir la hausse de la croissance. Toujours revue à la baisse, si on noircissait le tableau dès le départ, on nous prendrait pour des lâches, des pessimistes, on penserait que nous baissons les bras pour nous tirer les pieds. Prospective ? Un avatar de la même pensée unique : un bas calcul d'épicier visant le contrôle de gré ou de force, ce qui n'a rien à voir avec la possibilité de tenir compte ouvertement, humblement et consciemment, des fluctuations du favorable et du défavorable (acceptés comme tels), reconnues comme structures de la réalité, et qui sont contenues dans les hexagrammes du Yi-king.

 

Bref, le paradigme triomphaliste s'épuise, mais l'optimisme est de rigueur, c'est le sésame de la modernité qui conjure les mauvais bilans. Il se survit benoîtement, c'est le fétiche universel du battant aux dents qui rayent le parquet, de Trifoully-les-oies aux nouvelles cités mondialisées, où les vendeurs porte-à-porte, avides de grimper l'échelle de la compagnie, commencent à sévir en légions, sourire aux lèvres et bons de commande à la boutonière, dès le soleil levant. Il y a un siècle, les mêmes vous vendaient une bible en Amérique, assortie d'une croix repentante ou d'une vierge bleu fabriquée en série, somptueusement modeste, avec tarif dégressif pour les trois articles... Aujourd'hui, c'est un téléviseur à crédit, jusqu'au fin fond de la brousse. Longue vie à toi, ô grand prêtre de la consommmation ! Ne te détrompe point... Le produit va résoudre la peine ancestrale de l'homme, son manque à gagner indéfinissable, cette dette qu'il refuse de payer à son créateur, en échange de son moi, en prétextant qu'il n'a pas assez de temps pour lui être reconnaissant de ce que les étoiles lui ont avancé, rubis sur l'ongle. Oui, exorcisons-là, la peine enfouie au cœur du consommateur innocent, cerné par l'Infini qui le snobe et dont il se venge dans ses neuvaines, et qu'il ne sait pas par quel bout prendre! On croit que tout est possible et la vie vous broie dans la routine, et c'est la faute à qui ?

 

Objet électrique, qui porte les péchés du monde,

Prends pitié de nous...

 

Jusqu'où tout cela sera-il possible ? Il y a tant de poussière sous le tapis que c'en est devenu un matelas. Le premier qui le soulève risque de mourir asphyxié par la poussière, et d'une certaine manière, c'est ce qui m'arrive. Mais ça fait partie du kit. Expériences supérieures et divines, assorties d'enfers impromptus et inconnus, dans l'ensemble un bel échiquier, et le coup de bol, c'est que j'ai l'esprit joueur. Sinon, j'aurais rendu mon tablier. La fois où je l'ai fait, ça n'a pas marché. (Tant pis pour l'éventuelle redite). Le supramental, je l'ai laissé tomber, mais Lui, ne m'a pas laissé me débiner. C'était en 83, après un an de démission, et la force a agi toute seule, sans me demander mon avis, dans les jambes. J'écoutais Diana Ross dans ma bagnole, le thème Mahogany, ti la la, ti la la, ti lala lala lala... Quand je ne suis pas en forme et que ce tube passe, ce qui arrive encore dans le supermarché japonais par exemple, ici même, j'éclate en sanglots trois secondes. Ma vie s'est joué au mois de mai, car la chose ne voulait pas me quitter, et si je tombe au fond du trou, je peux toujours essayer d'en sortir en écoutant ce morceau. Depuis mon retour, Je l'ai entendu deux fois dans la même journée, à deux endroits différents, ce qui est plus qu'improbable, vu la vétusté du tube, vu le peu de temps que je traîne dans les shops ou les restos, c'était un jour sans... A nouveau dans le marasme... Difficile de ne pas y voir un suivi symbolique. On ne me laisse pas tomber sans doute. Je suis synchro avec le présent pur, ce qui énervait prodigieusement mon ami philosophe. Il trouvait suspect que je fasse des expériences « qui étaient dans l'air », comme si je les inventais. On avait pioché le satori dans le zen peu avant mon illumination, et j'avais branché le même petit groupe sur Sri Aurobindo peu avant 1977. Mes expériences arrivaient pile, en quelque sorte, pour confirmer ce qu'on venait de découvrir, de là à penser que j'étais schizo, il n'y avait qu'un pas pour lui. C'est peut-être une forme de « pouvoir », mais étrangement, c'est un « pouvoir passif », ce que le mental blanc a de la peine à imaginer. Le pouvoir passif existe bel et bien, et il vaut son contraire. Le pouvoir passif ne fait rien, mais il attire les événements. J'ai dû naître avec cela, et c'est une des causes essentielles qui expliquent ma précocité spirituelle. Je pourrais en dire plus, mais une phase de ma vie ne peut pas être dévoilée, cela comporterait un risque pour moi. Ce que j'ai pu attirer comme événements extraordinaires qui m'ont permis d'avancer à grands pas, c'est quasi incroyable. Pour plus tard, les gourmands.

 

Le pouvoir passif, finalement, subit ce qu'il attire, même si cela lui correspond. Il ne cherche pas à contrôler ni dominer, mais à comprendre l'énergie ou la conscience qui vient à sa rencontre. Bien sûr, cette capacité possède des inconvénients, comme par exemple tomber follement amoureux, c'est le prix à payer, et cela a été très difficile pour moi la première fois, puisque ça tombait sur un garçon. Vu la force de la chose, la sexualité partagée jusqu'à un certain point aurait dû en découler, ça ne s'est pas produit, mais comme cela ne m'est arrivé qu'une fois et qu'aucun autre mâle ne m'a attiré, je crois qu'il y a quelque chose au-dessus de la sexualité, qui éventuellement l'emploie de manière symbolique en quelque sorte, et cela a fait couler beaucoup d'encre. Et ce truc, je me répète à loisir, est indéfinissable dans son origine. Son effet, on le connaît, l'autre prend toute la place, et son corps y contribue, mais le début du commencement, ou que ça se trouve ? Mystère et boule de gomme pour moi, voilà pourquoi je suis assez de l'avis de Brassens : « Parlez-moi d'amour et je vous fous mon poing sur la gueule, sauf votre respect bien entendu ». Le désir, le besoin, et plus x facteurs se mélangent, tout ça devient un, et quand ça se barre,( c'est-à-dire que l'autre se tire),tout s'écroule, et la présence de l'absence peut s'emparer du cerveau. Qu'on ne me dise pas qu'on « connaît » l'homme, ou que la psychologie existe. On n'y voit goutte. On peut brosser des cartes, avec des ça, du moi et du surmoi, ou équilibrer la néguentropie de la matière grise du cortex avec l'entropie des cerveaux limbiques et reptilien, le fait est que le sujet perçoit et qu'à la moindre erreur, son appropriation du perçu part en brioche. Que l'erreur tire vers la faute ou pas, que les choses néfastes semblent accidentelles ou qu'on les ait quelque peu attirées par un manque de vraie responsabilité, peu importe. Le gratifiant a la fâcheuse habitude de se débiner, avant qu'on ait compris pourquoi. Puis le subconscient traite la chose, et on souffre. « Les deuils »...

 

Les vrais muslims ont tout résumé, tout compris, et leur mot de passe est souverain : Inch'Allah (plus une autre expression qui revient au même). La formule dit tout, absolument tout. En fait, il n'y a rien à rajouter, et je vous le dis, mes bien chers frères, car nous sommes tous unis au-delà des images de Dieu dans sa souveraine exhaustivité. Inch'Allah veut dire,

 

quoi qu'il arrive, on s'en branle, si tu aimes Dieu, tu récupères tout, absolument tout. Tu perds ce que tu as de plus cher au monde, vise la chance que tu as, cela te masquait Dieu. Laisse ton cerveau se faire son cinéma, pleure, fais ton deuil en te roulant par terre le temps nécessaire, terrassé par la douleur. Au bout de tout ça, tu verras que Dieu t'a fait un immense cadeau.

 

En-dehors des cas extrêmes comme les génocides, que les fous de Dieu n'avaient pas prévu au programme, la formule fonctionne. Le problème, c'est que le muslim moyen qui se voudrait supérieur et bénificier d'une appellation contrôlée, prend au pied de la lettre la sentence, s'arroge l'autorité divine, et envoie des avions de ligne se balader dans des tours, qui n'y résistent pas, car elles n'arrivent pas à échapper aux lois physiques, ce que n'avaient pas prévu les amerlocks qui croient pouvoir tout tourner à leur avantage, puisque Dieu apparaît même sur leur monnaie. Non, les bœings ne sont pas ressortis de l'autre côté comme si de rien n'était, en esquintant juste un ou deux étages vides au passage, dans un numéro spectaculaire de voltige aérienne destiné à rapprocher les peuples. « Cela s'est effondré, zut alors, les prochains trade center, on les construira pour résister à l'impact des avions, ca coûtera un maximum de pognon, mais ça créera des emplois, et on va se faire un paquet de fric avec cette nouvelle architecture, dans la foulée, on cherchera à faire anti-tremblements de terre, pour l'exportation et la Californie. On a besoin de ben Laden, finalement. Depuis le temps qu'on récupère le subversif, on va pas se laisser impressionner par deux malheureux bœings qui se trompent de trajectoire, on a déjà un alibi pour l'Irak en noyant le poisson, mais l'amortissement est encore trop faible. On fera front, nananère, Dieu est avec nous, avec nous d'abord, encore qu'en ce moment il se relâche, vu le taux du dollar, comment le rappeler à l'ordre ? Nous sommes les gendarmes de Dieu, peut-être qu'il faut faire mieux notre boulot pour remonter dans son estime. »

 

Cela a le mérite de piquer au vif la flagornerie américaine, le 11 septembre, mais au prix de centaines de morts, qui ne rachètent même pas l'éradication distraite des peaux-rouges, car il ne s'agit pas d'une bataille navale, l'Histoire. Si toutes les vengeances étaient accomplies, il ne resterait plus personne debout. § Je me régale enfin avec un B.H.L, american vertigo, qui dispense d'un voyage aux states. Belle économie, sans dec.§

 

«Tout est la volonté de Dieu » peut être compris à contre-sens, tellement de travers qu'elle détruit tout sur son passage, cette «volonté», les actes terroristes en constituant l'illustration. Tout est la volonté de Dieu, okay, je peux donc y ajouter la mienne pour me mélanger à celle d'Allah.... Cela revient au même, pensera le mytho, aux antipodes de l'exalté du cœur. Of course, ce n'est plus du tout le même business. La volonté de Dieu, plus ta griffe perso qui renchérit, et qui en fait trop, comme d'hab, ce n'est plus la volonté de Dieu, mais ça t'arrange bien de le croire, puisque tout lui revient, autant y ajouter ton grain de folie. L'Inquisition est tombée dans le même panneau, les Croisades, c'était du pareil au même. Les hindous trichent aussi avec ça, de mille manières différentes selon ce qui est en cause, du droit sacerdotal conféré par les dieux supérieurs à la caste des brahmanes, puante de suffisance, jusqu'aux adorations étranges et perverses de divinités noires, qui ont soi-disant un rôle à jouer. Sans compter les pénalités karmiques ridicules que des astrologues chevronnés vous enfoncent dans la tête, sur simple lecture de votre horoscope, et en se moquant éperduement de ce que vous êtes : ils prétendent déceler la volonté de Dieu Lui-même dans les boulets de Saturne et les maisons exigeantes des nœuds lunaires (qui doivent bien tomber quelque part), comme si vous n'étiez rien d'autre qu'un pion sur un échiquier cosmique où tout serait joué d'avance : vous n'êtes qu'un robot biologique programmé pour obéir à des manœuvres imprescriptibles, et en plus vous payez pour vous entendre dire que vous êtes enchaîné, et que le mieux est de jeter les outils pour vous libérer, afin de rester fidèle au destinchaos qui vous plante dans la vie. Lamentable !

 

Pour un peu, on devient fou avec cette histoire de volonté de Dieu, exhaustive, puisqu'elle justifie les pires égarements, et qu'on ne peut pas en faire l'impasse non plus. Il faudrait donc, par exemple pour venir à bout du terrorisme sacré, s'acharner à démontrer à toutes les recrues qu'il est question d'une volonté «passive», et que la volonté «active» de Dieu ne se manifeste que sur le plan direct, c'est-à-dire transcendant, (soit donc purement énergétique ou surmental), mais que, dans tous les autres cas, c'est une volonté indirecte, parasitée par des forces en aval, qui la corrompent, comme la nature, qui, pour aussi fantastique qu'elle soit, n'est pas une émanation divine. Elle peut éventuellement rattraper l'Esprit par l'augmentation de la conscience dans des espèces intelligentes, dans une galaxie ou une autre, c'est notre projet, mais la nature ne procède pas de Dieu, sinon elle serait meilleure of course, et Sri Aurobindo dans Savitri et mezig avec ma théorie des survivances dynamiques, on serait à côté de la plaque.(Et les créationnistes auraient raison !).

 

S'imaginer que « Tout est la volonté de Dieu » dans le sens qu'Il a mis de l'intention partout, Son intention... Aussi bien dans les moustiques que dans les avatars, c'est naturellement une absurdité. Cette absurdité a frappé au dix-huitième siècle les esprits intelligents d'Europe, et une nouvelle culture a vu le jour. Jusqu'à cette époque, Dieu ressemblait à big Brother car le christianisme, vu qu'il avait été récupéré par des barbares d'exception, les romains, ne pouvait que contaminer leur propre esprit dans l'Eglise, qui n'a donc pas pu être sauvée par les hommes de bien qui la gagnaient. C'est presque une constante dans les religions de soumettre les peuples par la crainte, qui finissent par croire au bien et au mal, qui, comme par hasard, sont beaucoup moins prégnants dans des cultures où la vie se développe sans que personne, caché au fond du ciel, ne la juge. (Une des grandes forces du bouddhisme est d'avoir réduit le manichéisme à sa plus simple expression). Malgré la formule, « ne jugez pas et vous ne serez pas jugé, » ancêtre conceptuel de la psychologie transpersonnelle, qui guérit par le pardon, la crainte du jugement de Dieu anime encore le christianisme, et surout l'islam, dont les paroles les plus hermétiques, que seuls les consacrés comprennent, servent de prétexte à des malversations.

 

On ne récupère pas la volonté de Dieu. Pourtant, aujourd'hui, certains dirigeants et terroristes se la disputent comme deux chiens affamés un os encore saignant. Il n'est pas déplacé de douter de leur santé mentale, ni d'évaluer combien de victimes, pour la énième fois, vont faire les frais de cette mégalomanie partagée des hommes au sommet.

 

La formule ne peut pas être appréhendée par le mental, sans une réflexion ni de nombreuses prises de conscience sur certaines différences, qui fondent l'existence elle-même, immanence/transcendance, actif/passif. « Le Divin est dans tout » n'a de sens que pour celui qui perçoit les choses ainsi, et c'est le fruit d'une extraordinaire ascèse, qui projette hors de l'humanité. Pour le moment, peu y parviennent. Ce n'est pas conceptuel, c'est un plan de conscience, et, de là-haut, révéler que Tout est le Divin n'a pas d'autre but que de préparer le terrain pour obtenir cette vision exhaustive, que seule une sadhana absolue peut fournir, ou un amour de feu pour Dieu, peu commun. La représentation intellectuelle de la chose n'a aucune portée pratique, puisqu'elle amalgame toutes les couches, compresse tous les systèmes dans un totalitarisme sacré absurde ; alors que la formule, parce qu'elle a été expérimentée, permet au mystique de justifier l'ensemble de la Manifestation comme étant une œuvre de la Conscience, jouissant d'elle-même, au-delà de son statut contingent, limité par la nature, et devenant capable de l'améliorer, par l'amour et sa contagion difficile, dans des délais à l'échelle divine, qui mettent à l'épreuve la foi des humains.

 

« Tout est le Divin » ok, c'est toujours très mal interprété, et seule l'expérience montre ce que cela veut dire, vous n'êtes pas passé par là, contentez-vous de souhaiter cette unité qui vous manque, et différenciez vos actions, les inspirées, les normales, les mécaniques et les régressives, voir que tout est le Divin, dans l'état correspondant, c'est possible, mais c'est une perception très rare, qui n'a aucune chance de se manifester avant une reddition au Réel, qui est aussi le Divin. C'est le chemin du nombre à démystifier, la voie... l'unité n'est pas donnée : elle est au bout du chemin, quand se brise le mental. D'ici là, plus il prend les choses pour ce qu'elles sont, mieux il se situe, plus l'articulation moi-non-moi s'approche de la justesse. Souvent, comprendre de travers est pire que ne rien comprendre du tout, puisqu'on s'appuie sur quelque chose pour se tromper. Comme à Auroville, où quelques pédants « savaient » que le Divin est en toute chose, mais sans le voir à partir de la vision divine elle-même, Vasudeva, et qui pervertissaient totalement leur perception en pérorant avec une suffisance qui me faisait physiquement mal. Avec cet argument récupéré par leur mental générique, révisé 68, certains s'autorisaient ainsi à tolérer pour eux-mêmes la culture de survivances dynamiques éhontées, au motif que « tout est le Divin ». Il y a peut-être encore un pédophile haut placé à Auroville, des fumeurs invétérés au profil bas, sans doute quelques faux tantriques, des fortunes faites sur le dos des indigènes, et beaucoup de personnes assez convaincues de la qualité de leur être pour utiliser des pouvoirs et parvenir à leurs fins. On y plume le passant depuis la disparition de Mère, la seule institution finalement. La plupart s'imagine qu'Elle les soutient quand même, ça ne mange pas de pain. Les vrais yogis d'Auroville ont d'autant plus de mérite à avancer dans cette mer de mensonges, et je pense qu'il y en a quelques-uns malgré tout. En faisant de l'expression « tout est le Divin » le dogme de cette société, le fanatisme frappait à la porte qui lui était grande ouverte, et où il s'invitait avec les honneurs. Par une cascade d'extrapolations infinitésimales, mais permanentes, tout est le Divin a glissé dans l'immanence la plus triviale, et se transformait finalement en « tout est permis », ce qui est devenu la règle, contraignant même Satprem à déménager une équipe de travail.

 

Le spectacle continue, au demeurant fort sympathique, puisque chacun vit sa vie, au sens fort du terme. Uranus s'y fait les dents sur tout le monde, autant dire qu'Auroville est invivable, mais cette « cité » usurpe ses prérogatives si elle laisse entendre qu'elle représente « le yoga de Sri Aurobindo »... Je ne juge personne, mais je ne peux pas laisser dire que la réponse administrative sur le formulaire d'inscription à Auroville : je viens pour faire le yoga de Sri Aurobindo soit autre chose qu'un vœu pieux, loin d'être nécessaire et réel, vu que l' anarchie et le système D (on y voit l'empreinte de la grande communauté française) gouvernent. Sans retourner le couteau dans la plaie, on peut aussi envisager que ceux qui sont vraiment venus pour cela, non seulement se sentent indésirables, mais finissent pour la plupart par s'en aller. Le Divin ne semble pas faire grand cas de ceux qui lui mentent pour L'obtenir, contrairement à certaines femmes, flattées qu'on invente pis que pendre pour les avoir, ou bien qu'on aille jusqu'au duel, ce meurtre mise en scène par l'honneur. Il faut dire que le Divin est purement immatériel, et que les techniques de séduction les plus raffinées n'ont aucune prise sur Lui.

 

Et on retrouve cette folie partout, c'est une contagion universelle, la récup du Ciel à des fins délétères, à partir d'un topo sur la volonté de Dieu, que le mental imagine bientôt omnipotent, ce qui ne veut rien dire du tout, puisqu'on ne peut connaître que par identité. Seule une personne omnipotente pourrait juger de cet attribut de Dieu, et comme nul ne l'a jamais été, cette « omnipotence » n'est qu'une projection pathologique, un amalgame qui combine plusieurs intuitions en les dénaturant toutes dans un seul signifiant qui en fait une bouillie. Non, Dieu ne s'immisce pas partout, Il ne peut pas grand-chose dans les juridictions qui ne sont pas les siennes, Il ne se mêle de presque rien, mais le mensonge des religions consiste à faire croire que si, pour vous mettre dans la confidence de la totalité et vous sentir moins écrasé par le ciel. Même ce pauvre Blaise a pédalé dans la choucroute, pourtant ce n'était pas la moitié d'un imbécile, avec le jansénisme. Comme quoi, le mental méfie-toi, il est là pour t'embobiner dans des représentations en abîmes, mais les miroirs face à face n'ouvrent sur rien, mon chéri, pure illusion d'optique, constructions en abîme telles des contrefaçons minables de la sensation de l'Infini... Sensation par ailleurs disponible partout pour un cœur pur, un esprit vulnérable, une âme fine, dans la méditation, l'amour indistinct, bien sûr, la contemplation sans objet (le grand angle eye-fish à trois-cents soixante degrés)... Mais sensation dispo y compris dans un excellent carré de chocolat noir, (je revendique perso), si la synchronicité s'y prête, et d'autres circonstances que je préfère éviter de nommer de peur d'y encourager certains.

 

L'espèce humaine s'entraîne à se délecter des représentations qui la dispensent de toucher les choses dont il est question, et comme cela je l'ai vu plutôt que pensé, je vous en ai infligé le spectacle dans feuille de route. For exampeul, la prière n'est qu'un appel fragile et humble qui contrefait la connaissance de Dieu, mais, en remplaçant la quantité par la qualité, on croit parvenir au même résultat, et certains forcent donc les litanies jusqu'à péter les plombs, ou bien, les rites prennent de l'importance, et le moment s'enferme dans ce qu'il doit être, ce qui m'horripile depuis plusieurs existences. On ne remplace pas davantage la voie spirituelle « pour de vrai » par la mise en pratique, même minutieuse, rationnelle et sérieuse, des recettes qui la représentent, comme en témoignent des centaines de professeurs de yoga dans le monde, pas plus consacrés à la vérité que quiconque d'ordinaire, mais qui améliorent leur médiocrité intérieure en la dorant sur tranche. Avec eux, on a l'iimpression d'avoir des enfants qui jouent « pour de faux », mais qui ne l'admettront pas pour jouir au max du personnage tourné « connaissance cosmique ». La « consécration », hélas, trois fois zélas, ne se simule pas. Elle est très certainement un acte intérieur, de soumission au réel, qui arrive ou n'arrive point, mais c'est beaucoup plus profond qu'une simple implication volontaire, ou le vague sentiment, encore opportuniste, d'une nécessité supérieure, dans laquelle c'est encore le moi qui cherche à tirer son épingle du jeu. Il m'arrive donc de rencontrer sur le web des individus qui s'imaginent être dans une voie spirituelle, alors que c'est faux, vu qu'ils n'ont pas encore intégré la radicalité du mouvement. Et, naturellement, selon le syndrôme de l'expert dont je causerai juste après, plus ils ont d'arguments pour se donner le change, plus ils font fausse route, plus ils y croient à leur voie.

 

Ce qu'ils y ont engagé n'est que le prolongement supérieur de leurs illusions, soumettre l'invisible après avoir soumis le contingent, mais le grand pas, le vrai, l'arche n'a pas été trouvée, le seuil n'a pas été franchi, celui où l'on ne peut pas revenir en arrière, quoi qu'il advienne. Il faut une cassure, une brisure, un passage d'une profondeur que peu soupçonnent, et une énorme disponibilité à tout ce qui va démentir ce que l'on croit être... En tout cas, si l'on s'intéresse au supramental. Certes, des voies moins exigeantes visent simultanément un bonheur assez convenu et quelques lumières dociles pour l'accompagner, mais le projet divin exige plus.

 

Ouate canaille doux ? La spiritualité lénifiante ne mène pas loin, elle constitue un romantisme de luxe, un rêve éveillé à vivre avec le cosmos. La vraie, elle torture un bon moment, elle fait exploser le moi en plusieurs moi qui tendent vers des objets incompatibles, et, si on ne va pas jusque-là, on se raconte des histoires en restant dans l'homogénéité naturelle du caractère, réhaussé d'idéalisme, et jamais la proportion des guna ne changera assez pour ouvrir des perspectives transcendantales. Sri Aurobindo est formel là-dessus, dans lettres sur le yoga, la sadhana, ce n'est pas de la philosophie endimanchée ni de la religion supérieure. C'est un combat. Il faut manquer de Dieu (soit de la Conscience) pour avoir une chance de l'approcher, et encore faut-il que cette lacune soit sincère, car rien n'est plus à la mode, en Inde par exemple, que de manquer de Dieu : ça vous pose un homme à soixante ans. C'est plus distingué que de manquer d'argent. Le Nouvel Age aussi, préfère la réussite spirituelle à la réussite matérielle.(Réussite spirituelle est un oxymoron, ce qui pourrait faire l'objet d'un nouveau dossier, car l'éveillé n'a rien réussi du tout, son statut est hors de la dualité échec/réussite, et il ne s'attribue pas sa condition, puisqu'elle est donnée par l'univers).

LES POTENTIELS ITINERAIRES.

 

Dieu, plus on Le connaît, moins on en parle, mais il est impossible de passer sous silence les potentiels itinéraires qui aboutissent à Son Mystère, puisque tous ceux qui les ont empruntés les ont rendu au Seigneur, pour effacer leurs traces et laisser libre chacun de les écouter ou non.

 

Ils fondent l'hypothèse d'un homme-être, délivré du péché de l'homme-paraître abonné au mensonge, privé de la souffrance de l'homme-avoir, toujours frustré de son prochain achat, et libéré des limites de l'homme-animal, toujours nuisible à l'autre par l'intimidation et l'abus de pouvoir, et nuisible à lui-même par la crainte de la mort. Le chemin libérateur doit être inconnu pour ne pas être formel ni mécanique, ni avalé par le désir, ni suivi en somnolant. Aussi la seule caractéristique de l'itinéraire suprême est-elle qu'il s'agit d'une confrontation entre le moi et le non-moi au sein d'incertitudes flambant neuf, d'interrogations cardinales, de choix ternaires, de moments parfaits et ronds, ou pentagonaux et créatifs, mais aussi de phases plus que douteuses, avec des séries d'atermoiements... Quelques rares privilégiés peuvent se dispenser peut-être de souffrir, encore que ce soit une erreur de manquer, le cas échéant, les rendez-vous avec la douleur, quand ils se présentent, puisqu'immanquablement, elle soulève un voile, découvre une limite, pointe une imperfection.

 

Les réalités quelque peu profondes s'échappent de leurs signifiants, et c'est pour combler leur débandade hors de leurs représentations que la poésie existe. Elle veut emprisonner le contenu dans le contenant, et quelquefois, ça marche. Certaines phrases dégagent plus que du sens, et restituent davantage, l'aura de la chose évoquée. Elles campent les Idées de telle manière qu'elles deviennent visions. Mais même cela n'est pas une panacée. Arthur en a fait les frais, comme Artaud. Il ne suffit pas de trouver le signifiant adéquat au signifié, il faut encore goûter le signifié lui-même, remonter du mot à sa source, du sens à l'expérience. Les signifiants ne sont que des carcasses, « Dieu, liberté, amour »... De simples coquilles vides, des squelettes qui ne renvoient à rien d'autre qu'au manque d'expérience que l'on a de leur objet, mais qu'on simule par le discours, ou l'élan vers, encore bourbeux.

 

Tout est la volonté de Dieu à condition d'en sortir, et de faire du peu de liberté qui te reste le moyen de Le rejoindre.

On en vient à se branler en se répétant du matin au soir que tout est la volonté de Dieu, ou que tout est le Divin, et on finit par faire n'importe quoi. Le sens exact est au contraire très discret, et d'une exigence poignante. Il pose la suprématie du Tout insécable (Tao) comme acteur essentiel, et cela exige du sujet, de l'homme, de l'évoluteur, qu'il accepte cette souveraineté, en dépit des apparences trompeuses, où elle semble parfois adverse, ce qui dissimule sa légitimité si l'on n'y prend garde. « Dieu ne peut pas être contre l'homme, donc, accepte tout ce qui t'arrive et Dieu sera avec toi. » Voilà où se rejoignent islam secret, taoïsme, certaines branches mystiques de l'hindouïsme, témoignages de saints chrétiens, et alchimie supérieure. Tout arrive par la volonté d'Un Seul, et c'est en comprenant l'intention transcendante de la Manifestation qu'on en découvre l'aspect divin, sans s'épuiser à aller contre l'ordre apparent des choses, figé dans des structures et des mémoires. L'immanence masque le projet conscient de l'évolution. Dans l'ordre apparent, régi par l'humanité obscurcie par la nature matérielle, le Sens n'apparaît pas et la vraie justice fait défaut, comme l'atteste la huitième carte du tarot (ce qui fait que tout s'écroule à la seizième, l'illumination arrivant à point en dix-septième place, récupérée par le monde contingent en dix-huitième, jusqu'à l'équilibre en dix-neuvième, qui prépare la nouvelle naissance du vingtième stade, qui donne sur la sycnhronicité pure du vingt-et un et l'Inconnaissable du stade zéro ou vingt-deux).

 

Ce qui est vraiment juste n'a jamais été de l'ordre social, culturel ou religieux, puisque les règles tuent l'esprit, grégarisent le peu d'élan créatif de l'esprit individuel pour que tout le monde entre dans le rang du système il faut, il faut pas. Accepter l'imposture collective, qui nivelle et décapite ce qui est supérieur, et chercher la justesse en soi, d'autant que nous ne sommes pas entièrement maîtres des conséquences de nos actes qui se diluent dans l'altérité, qui en reconnaîtra peu ou prou la valeur. C'est finalement la seule voie pérenne qui réunit le sage dévoué à la connaissance et le saint dévoué à l'Esprit, la voie intérieure, aussi bien du kabbaliste délivré de l'envie de pouvoir, que du mystique, de l'alchimiste ou du jnanin. Ils se rejoignent dans l'au-delà du discours, après avoir brisé tous les codes d'interprétation du réel inculqués par leur histoire et leur mémoire. Ils ne font pas semblant de plonger dans une autre vision, ils n'apprennent pas une nouvelle langue toute faite, ils sont obligés de la créer à leur mesure, pour leur propre entendement, sans modèles, sans figures, car le travail de fond remonte toujours plus haut que là où la pensée se forme, et c'est dans cette seule concrétude d'un changement de perception que le vrai Moi se révèle, indépendemment de toute érudition, de toute culture sacrée, de toute application formelle d'une méthode ou d'une pratique. Ils vivent leur exploration contre vents et marées, maudits ou accusés, rejetés ou seuls. Cette imposture collective n'empêche aucune percée transcendantale, elle est seulement ce qu'elle est, un système hypnotique, et il n'y a rien à redire, sinon s'y dérober si possible, ou y jouer son rôle sans s'identifier outre mesure, ou intervenir pour l'améliorer par n'importe quelle action humanitaire au sens large. Le temple est à l'intérieur, et plus il est connu, plus il supporte les tremblements de terre, car ses fondations ne cessent de s'enfoncer davantage dans le réel immuable.

 

Il vaut mieux supporter les tremblements de terre

que se mettre en quête de trouver le moyen de les empêcher,

 

mon cher Mily. Puisque vous vouliez une parole d'un mètre.


14 Juillet 2008


Une des choses les plus remarquables qui se confirme, et qui je l'avoue, parvient encore à m'égratigner, c'est que la connaissance existe bel et bien, presque partout, encore vivante. C'est le manque d'intérêt pour elle qui me surprend, son désaveu, et cela s'applique aussi à ma personne. N'étant pas introduit, on ne se donne même pas la peine de me répondre. X, qui avait publié un livre sur Satprem, ne me répond pas plus que le troisième millénaire, « guérir par l'éveil » n'est pas assez construit pour qu'on le publie chez différents éditeurs, et on me reproche même de faire ni de la psycho, ni de l'astro, les étiquettes devant bien rester étanches, afin que les œillères nous indiquent le chemin.

 

M'acharner a répéter qu'il n'y a qu'une chose d'essentiel, l'articulation du moi sur le non-moi et réciproquement, qui constitue le modèle le plus épuré de la nature humaine, renvoie sans doute trop directement le lecteur à la faiblesse ou à la mécanique de sa propre articulation.

 

Il y a des résistances naturelles pour éviter de voir ce que ça implique, et mes détracteurs, chez les éditeurs, utilisent leur érudition comme un bouclier. En premier lieu, oui, reconnaître que le moi est infiniment si petit par rapport au non-moi qu'il gamberge sans arrêt s'il ne prend pas acte de la supériorité du Tout sur lui-même. D'autre part, je ne découpe pas le non-moi en morceaux, ce qui nous rappelle notre réalité essentielle, et empêche de se réfugier dans un segment, « Dieu », « ma liberté », MA voie...(Elle me coûte assez cher comme ça, c'est pas toi qui va me dérouter, Nat, ou alors tu dois donner +).

 

Nous sommes encerclés par le temps et l'espace, c'est largement suffisant comme observation fondatrice d'une bestandwrong (néologisme pour parler d'une vision du monde référentielle). N'ayant ni l'un ni l'autre de limites, ils nous assiègent par leurs propres modes, et nous pénètrent malgré nous. Avant de nous imaginer être confrontés à Dieu, qui traîne toujours dans un coin où qu'on naisse, confrontés à la famille, confrontés à la culture, nous sommes d'abors traversés par le temps, qui, selon comment qu'on causera avec lui, ouvrira ou fermera la porte du dialogue avec papa-maman, l'ogre, le père noël et le dieu créateur. (Pauvre Natarajan, pensera l'imbécile moyen, il divinise le temps! Après Sri qui glorifie la vie, c'en est vraiment trop !)

 

Si nous ne voulons pas fabriquer n'importe quelles mémoires, d'autant qu'elles s'incrustent, notre rapport au présent devient plus vigilant, si nous ne voulons pas rêver un avenir qui se dérobe, son point d'appui devrait se trouver dans un présent quasi parfait, qui supportera (éventuellement) d'être prolongé. Mais comme l'être humain constitue une vieille créature qui se survit à elle-même, à travers la génération, elle a pris l'habitude de ne pas se laisser démonter ni intimider par le champ, auquel elle ne demande finalement qu'une chose, qu'il comble ses attentes. La réalité, pour chacun, n'est que le segment de ce qui l'arrange, mais le supramental ne voit pas les choses ainsi.

 

Au sommet du non-moi, « Dieu » est récupéré à toutes fins utiles, et doit fournir ses faveurs au dévôt, au milieu du non-moi, l'autre doit procurer de l'amour, et dès qu'il cesse de le faire, il est attaqué, comme s'il devait obéir à sa première impulsion ad vitam aeternam. L'homme moyen s'attache aussi à son espace propre et peine à s'imaginer que l'étranger vit à peu près la même chose que lui, sous un autre climat, avec seulement une élasticité certaine mais limitée, dans les formes de la morale et du politiquement correct. § « Le fait que tout le monde déteste le peuple "d'à côté" tient presque de la donnée universelle en anthropologie». Nigel Barley.§ On peut passer du patriarcat au matriarcat, comme dans une région de Sumatra, mais c'est finalement le pôle seulement qui change, le principe d'autorité demeure. On peut passer de la religion au communisme, mais dans les deux cas, au nom des règles elles-mêmes, le principe lui-même est bafoué. Comme a commencé à l'établir Lévy-Strauss (dont je me félicite d'avoir acheté les œuvres dans un nouveau la Pléïade la veille de mon départ), des structures analogues sous-tendent les sociétés humaines, et pratiquement, sur bien des points, seuls les accents diffèrent. Les particularismes existent, soit, en affinité avec le mental en question, mais, même eux peuvent révéler de profondes convergences.

 

Le non agir de Lao-Tseu rejoint la table d'Emeraude et les prescriptions soufies, et enfin l'injonction aurobindienne, pratiquement impossible à suivre à la perfection : seul le Divin doit décider en nous. C'est bien que le moi s'oppose, par définition, à l'action divine directe en lui, par son comportement naturel, une force de résistance dont il n'est pas directement responsable, mais qu'il peut contrer par amour de l'Esprit. C'est bien que le Divin doit être conçu comme extérieur à la nature, dans un premier temps, et supérieur au mental, pour permettre au sujet de trouver un autre levier décisionnel. Il s'agit donc de traverser des déterminations d'une part, et de développer des intentions d'un nouvel ordre, qui seules peuvent transformer le mental, par un long apprentissage qui consiste à orienter l'activité de l'esprit vers des objets inhabituels, informels, longtemps insaisissables, hors de portée des opérations rationnelles et imaginatives, et hors de portée des sens. Par ce travail, le cerveau change ses modes de combinaison d'associations d'idées, les hiérarchies de ses priorités, et il devient donc un instrument souple, que se partagent la nature et l'intention transcendantale, qui en soulève le fonctionnement générique. Des soubresauts se produisent, des combinaisons hybrides apparaissent, puisque la nature ne veut pas « rendre » à l'intention divine son vieil instrument de prédilection, le cerveau qui synthétise tout, à savoir « quid entre le moi et le non-moi ».

 

Il est vrai que le reliquat d'ego peut profiter, au début du mélange nature-intention divine, pour chercher à séduire « Dieu », et c'est ce qui arrive généralement, aux saintes chrétiennes. Leur amour étant mélangé au départ d'un désir personnel d'appropriation du Seigneur, il leur faudra des années pour comprendre qu'Il refuse leurs avances, et ne se donne qu'à partir d'une reconnaissance de son être à Lui... Plus forte que la reconnaissance que l'on éprouve vis-à-vis de soi-même. Certaines y parviennent.

 

Je présente le don de soi dans mes œuvres comme une nécessité, pour qui lorgne le supramental, et je le dis sans fioritures émotionnelles, ni même sentimentales. Ce qui désoriente, car le don de soi est attribué à la mystique, et semble parfois absent des procédures d'éveil qui visent la connaissance. Mais il s'agit encore là de différenciations anciennes, qui ne résistent pas à l'action supramentale. Ramakrishna, lui aussi, était un précurseur, et se disait bakta à l'extérieur et jnanin à l'intérieur, ce qui est à peu près l'inverse de ma propre condition. L'évolution peut aujourd'hui mêler des mouvements vrais pour le Divin, aux caractéristiques différentes, dans n'importe quel individu, mais comme l'élan « panoramique » est plus complexe en ce cas, davantage d'intelligence est nécessaire pour ne pas tout mélanger, ce qui réhabilite et fonde la réflexion comme condition sine qua non, comme stratégie.

 

Quand des tendances centrifuges et centripètes apparaissent, aux formes parfois contraires. Le don de soi est très projeté en avant dans la vulnérabilité, voire l'abandon, tandis que l'ascèse de la connaissance requiert recul et distance, concentration, souvent solitude, et parfois rejet même des satisafactions des sens. Ces mouvements n'ont pas à s'exclure l'un de l'autre ni à rivaliser, chacun possède un caractère évolutif particulier, un horaire sans doute, une meilleure adéquation au non-moi par le mouvement du don de soi, une meilleure saisie de soi-même par l'ascèse de la connaissance, qui fonde le mental dans le vrai Moi.

 

On peut donc apprendre à varier l'ouverture et la fermeture selon les circonstances, et puis le faire automatiquement, comme un photographe habile sait quand il doit changer de focale. Le zoom et le grand angle ne sont pas compatibles en même temps, et leur moyenne est l'objectif normal, qui ne voit ni de près ni de loin, n'embrasse ni peu avec les détails, ni beaucoup avec un large arrière-plan, et ne sait donc pas jouer avec l'espace et les mesures qu'on peut en prendre. C'est rassurant de croire que l'objectif standard peut faire face à tout, mais c'est faux. Le mental doit pouvoir pinailler et isoler, tout autant qu'il peut s'effilocher et procurer des « visions d'ensemble » de problèmes, qui sont révélatrices et non analytiques. Intégrer ce que le mental montre constitue tout un art, d'autant que certains aspects de la personnalité, parfois, refusent les vérités qui apparaissent.

 

Si le don de soi désincarne, ce qui est incontestable, car le contact avec Dieu devient plus important que tout le reste, c'est une vérité traditionnelle hors du cadre supramental. Car le supramental, au contraire, cherche à incarner l'individu sans pour autant qu'il renonce au don de soi au Divin, ce qui est absolument quantique, une fois de plus, et même inédit, sauf peut-être dans de rares exemples de karma-yoga, et d'authentique tantrisme, quasi introuvable. Par le passé, on perdait d'un côté ce qu'on gagnait de l'autre. Les meilleurs des êtres se sentaient en-dehors de l'existence, ou ne donnaient que quelques discours, comme les cailloux du petit Poucet, pour établir qu'ils n'étaient pas parvenus par hasard là où les autres n'arrivent point. Mais justement, parce que les meilleurs des hommes sont hors de la vie, et que les pires gouvernent, la situation terrestre ne peut perdurer dans un tel état. Le supramental constitue donc l'opportunité de développer la conscience du Divin tout en restant parfaitement incarnés, c'est-à-dire pleinement solidaires de la vie (vers une efficace divine plus convaincante que celle des éveillés). C'est la vision même de Sri Aurobindo et la mienne. Notre yoga change la vie, puisque elle est notre base, et nous ne prêtons pas aux « problèmes karmiques » une importance délirante, tandis que le Soi se subordonne à la Mère des Mondes.

 

Pour certains êtres, et c'est dangereux de faire semblant, je ne le conseille pas, la différence entre immanent et transcendant s'estompe, puis disparaît, encore plus exceptionnellement, et l'on peut alors parler d'incarnation totale, où le haut n'aura pas servi à fuir le bas, où le bas n'aura pas servi à renoncer au haut. C'est sans doute dans cette navigation que peuvent apparaître les secrets de l'âme et que se joue le pilotage décisonnel. Les guna travaillent alors, presque automatiquelment, avec des tensions qui seraient intolérables sans un véritable amour du Divin. Il faut pouvoir faire apparaître d'autres satisfactions dans le moule biologique que celles qui ont été répertoriées et expérimentées, et elles existent. Elles peuvent posséder un aspect fondateur, et enclencher des processus irréversibles de reconnaissance absolue du réel. Les états de conscience ainsi fournis sont d'une ampleur incroyable et d'une neutralité parfaites. Voir sert à dépasser, avancer, progresser, dans un sentiment indescriptible de participation absolue. La question de l'identité personnelle ne peut plus se poser d'une manière lourde, et il y a même des moments où cela n'a plus d'importance d'être un moi. Enseveli dans la perception pure, le sujet est plus que lui-même sans même à avoir à se demander qui perçoit. C'est donc bien que la conscience peut augmenter, et que le mental peut s'amenuiser, et ne devenir qu'un simple traducteur de la perception, si besoin est. Il est inutile de se libérer de la pensée, puisque c'est l'accroissement de la conscience qui la libère, et cela ne provient pas d'une lutte contre elle. Il y a énormément de laissés pour compte chez les krishnamurtiens, qui, n'aimant pas la Conscience, mais amoureux d'eux-mêmes au point de rêver d'être meilleurs par pur narcissisme, ou se demandant au contraire par simple devoir ét(h)ique d'évoluer, se divisent maladroitement entre leur pensée et le reste, et se perdent dans leurs propres labyrinthes, ou mieux, comme mentionné plus haut, dans leurs constructions en abîme. Là où leur pensée renvoie au besoin de non-penser dans une ronde infernale, leur nombril et leur cerveau se regardant en chiens de faïence tout en asséchant le plexus solaire.

 

Aimez plutôt, c'est amplement suffisant. Le dandy aimait la conscience, mais il ne l'a pas crié sur les toits, c'est tout, pour court-circuiter les bénéfices secondaires émotionnels, plaie de sa patrie, et ne pas finir récupéré avec son effigie prise en sandwich entre un Krishna dégoulinant de bonheur et un Shiva avec la tronche de Rambo. Il voulait une démystification absolue du non-moi par le moi, c'est un peu trop sec, peut-être. Lao-Tseu, Sri Aurobindo et moi (entre autres) voulons l'inverse, une démystification absolue du moi par le non-moi, l'ouverture inconditionnelle dans laquelle le sujet s'oublie, offert aux étoiles, à l'idéalisme parfait, en ne se préoccupant pas plus de son ego que d'une guigne. L'Histoire jugera la meilleure stratégie, venir à bout du non-moi par le moi (Bouddha, le zen, Krishnamurti, Gurdjieff for exampeul) ou venir à bout du moi par le non-moi (Hallaj, Jésus, Sri Aurobindo, Maître Eckaert, Ramakrishna). Qu'on absorbe correctement le non-moi sans se (con)fondre, ou qu'il nous absorbe properly, dans les deux cas, au terme du processus : moi=non moi, que je sache. Que tu ailles radicalement au tout, ou que tu attires radicalement ce dernier jusqu'à ce qu'il t'absorbe en conscience, c'est du pareil au même, grosso-modo. (Mais ce n'est pas en restant le cul entre deux choses que tu vas épuiser l'itinéraire, donc choisis quel est ton sens, de toute façon des rencontres se produisent entre le Tout et le moi).

 

La participation exhaustive pèche par un présupposé que Krishnamurti évite, puisque nous établissons, sans preuves, l'existence du Divin. Personne n'est obligé d'admettre ce présupposé, mais le Divin finira bien par vous avoir, Il ne tient absolument pas compte du fait qu'on croie en Lui pour Se manifester. Et ses critères sont parfaits. Don't worry.

 

***

 

L'autre argument de taille contre le paradigme supramental, c'est la réhabilitation du devenir. Tous ceux qui ont fréquenté de près l'hindouïsme, croisé le sillage de quelques maîtres, savent que le « devenir », c'est de la roupie de sansonnet, dans la mesure où il n'est que la perpétuation d'un présent vécu hors de la conscience du Soi. C'est un point didactique très important, puisque si votre gourou vous persuade que votre avenir n'a aucune valeur, vous vous attachez moins à vos projets et conquêtes, vous prenez du recul sur les petits buts de l'homme ordinaire, et vous avez davantage de chance de vous livrer au Présent sans arrière-pensée de l'utiliser comme un faire valoir. Cet argument est doublé par une sentence fatale, à savoir que tant que le moi fait des « expériences », c'est le faux moi. Le Soi serait censé posséder l'individu à tel point qu'il ne s'identifie plus à ce qui lui arrive, bien qu'il reconnaisse traverser certaines situations, le moment extérieur étant, par définition, différent à chaque instant, même si le moment intérieur, lui, demeure identique à lui-même. Le problème ne se pose même plus de discuter la légitimité de cette vision, puisque c'est le Divin lui-même qui réhabilite le devenir. Dans la mesure où le corps charnel, périssable, bénéficie lui aussi, à son échelle, de l'infusion de la vitesse atomique, c'est bien que le plan le plus matériel de l'incarnation de l'Esprit, le purusha, l'homme, peut transformer le temps lui-même, et la manière dont les cellules le vivent. C'est naturellement le point le plus sensible de la révolution supramentale, car, à lui seul, il renverse tellement de certitudes spirituelles, qu'on ne voit pas forcément le yoga supramental dans le prolongement des autres réalisations, où le devenir est méprisé. Satprem a développé cette branche du paradigme à fond, et c'est vrai que c'est peut-être par cet aspect que le yoga supramental semble se distinguer le plus de tous les autres. En ce qui me concerne, je confirme que mon corps est passé par des milliers d'expériences inouïes depuis 1977, dont certaines sont consignées dans un journal antérieur bientôt disponible, mais si je n'insiste pas sur cet aspect, c'est pour les raisons suivantes : en premier lieu, bien que certaines expériences soient absolument magnifiques, gratifiantes et lumineuses, une bonne partie du travail consiste à encaisser les résistances de l'animal à l'impact de la vitesse atomique, et ce segment est parfois extrêmement pénible, c'est donc un secret entre le Divin et l'instrument, qui ne peut en rendre compte en langage mental. Bien qu'il souffre, il sent dans cette souffrance quelque chose d'un autre caractère, qui lui fait « tenir le coup », sans même savoir pourquoi, et il atteint donc des zones de conscience, parfois de survie, qui sont indescriptibles, c'est-à-dire incommunicables. La souffrance est présente, et en même temps transcendée, ce qu'ont dû vivre quelques déportés, mais est-il enrichissant de se délecter de ces sortes de victoires sur le Mal, ou l'inertie fondamentale ?

 

Sri Aurobindo a également peu parlé de ce qu'il vivait charnellement, tant cela nous semble (je crois pouvoir affirmer une convergence sans le consulter) découler d'autre chose, notre besoin de connaître le Divin. En second lieu, ce qui m'intéresse, c'est l'accès au supramental, et donc de baliser le chemin, car il faut (des gens très propres sur eux emploient cette expression trompeuse, mais elle a le mérite de ne pas tourner autour du pot), puisqu'il faut quand même poser les conditions de cette ascension, et j'ai le droit de dire comment on peut éviter de toucher le supramental. En disant tout ce qu'il ne faut pas faire, je n'enjoins à personne de faire ce qui est nécessaire, parce que cela, nul ne le sait, dans le fond, ça reste théorique. Je connais tout ce qui empêche d'accéder au supramental, mais cela ne me viendrait pas à l'idée d'indiquer le chemin qui y mène, premièrement, parce qu'il serait suivi comme une simple carte routière, sans y mettre assez du sien, et deuxièmement, parce que Sri Aurobindo a déjà tout dit là-dessus. Lui, il a établi comment y parvenir, moi j'indique les fausses pistes. De quoi vous plaignez-vous ?


15 Juillet 2008


Dans la rubrique Natarajan se lâche, ce n'est pas un type sérieux, ses démêlés avec le syndrôme de l'expert (développement impromptu d'une affirmation gratuite dans « feuille de route ».)

 

J'ai souventes fois remarqué que, plus on croit connaître une chose, plus on est affirmatif à son sujet, et moins on est disposé à admettre qu'il puisse en être autrement. Plus on est pointu dans un domaine, plus on risque de se l'approprier en déclarant ce qui est conforme et en décrétant ce qui ne l'est pas. C'est assez renversant, mais c'est la loi du mental. Tandis qu'un esprit intuitif peut assez facilement imaginer la validité d'une astrologie transcendantale, surtout après simple lecture des référents adéquats, ce sont souvent des astrologues purs et durs qui méprisent l'astrologie que je pratique. J'ai ainsi une sorte d'ami qui excelle en astrologie horaire, et qui utilise une gamme de critères adaptés à sa cause sur les planètes, et qui s'appuie sur sa propre compétence pour dénier celle des astrologues humanistes. On ne ressort pas indemne d'un contact avec lui, puisqu'il transmet automatiquement l'écrasante vérité qu'il existe bien des déterminismes à l'œuvre dans le champ du temps, au travers de structures géométriques. Mais sa pratique, justement parce qu'elle est exemplaire dans son propre cadre, le dispense de reconnaître d'autres validités, qui reposent pourtant sur le même principe. Effarant. Pas davantage que l'attitude de ce multiple médecin identique fabriqué en série par l'Université, qui croit que l'homéoptahie ne fonctionne pas, ou qu'elle repose sur l'effet placebo. Une personne qui n'a jamais touché à la médecine remarquera que ça marche, en dépit du fait que la cause de l'efficace soit cachée, et s'en tiendra là. Tandis que si l'on peut se prévaloir d'un conditionnement d'expert, on a des arguments pour nier la vérité et l'évidence, d'autant que, en s'y prenant autrement, on rivalise avec ce que l'on nie, et on le met de côté. Et ça ne s'arrête pas là, quand on n'est pas un exégète des sutras ou des Ecritures, on peut assez facilement laisser passer le message supramental, mais si l'on a le malheur de connaître Patanjali par cœur, de réciter des haïkus en se levant, ou de correspondre avec un maître traditionnel indien, « croire » au supramental fait désordre, et toute la mémoire de la représentation de la « Vérité », s'oppose au nouveau paradigme. Prajnanpad représentant le sommet de la bêtise en la matière, puisque son autorité sape celle de Sri Aurobindo. Il y a donc encore, même assez haut placés, des types qui sont convaincus de représenter la Vérité, et qu'elle leur appartient. Par une grâce particulière, je n'en ai rien à branler de ma réalisation, et je vois la vérité où qu'elle se trouve, ma chienne Alizé, un York absolument fabuleux, a d'ailleurs été le seul maître dont j'ai vraiment appris, in vivo, puisque je n'avais pas rencontré d'éveillé humain jusqu'au soi, ni même après d'assez convaincant.

 

Sur un certain plan, ce que dit Prajnanpad est vrai, faut-il pour autant qu'il morde aux basques notre maître en déclarant : « je ne glorifie pas la vie comme Sri Aurobindo » ? Où est-il allé pêché que Sri Aurobindo glorifiait la vie ? Savitri explique justement le contraire, que la vie ne s'en sort pas, qu'elle tombe toujours aux mains de forces ténébreuses. Mais qu'elle a une chance de s'en sortir...

 

Confronté à un problème d'indivision lors d'une succession qui traîne en longueur, je consulte pour la seconde fois le même expert agréé auprès du tribunal sur la valeur d'un bien, en l'occurrence la villa de mon père, dont ma sœur aînée possédait par def la moitié. Il se trouve que l'immobilier venait de faire un boom prodigieux, auquel le brave homme ne savait pas faire face, avec ses prorpes critères. Trouvant sans doute obscène de devoir augmenter la valeur du bien qui avait presque doublé en si peu de temps, il n'a pas vraiment pu abandonner sa première impression, et le chiffre qu'il a donné était si faible qu'il a été démenti par tous les agents immobiliers, dont même le plus sévère rajoutait près d'un quart... Le mental est donc magique. Il n'y a pas de valeur objective, et c'est donc à nous d'évaluer à leur juste mesure les choses, tout en sachant que les critères des spécialistes les enferment dans leur propre champ, qu'ils ne regardent jamais qu'au zoom, puisque c'est leur truc.

 

Le principe continue de s'appliquer dans d'autres domaines, les critiques s'éreintant à démolir des auteurs qui n'entrent pas dans leurs normes du politiquement littéraire, comme ce pauvre Bernard, qui d'ailleurs s'en fout, car il vend dans le monde entier des fourmis qui pensent, ce qui en bouche un coin aux gens de lettres qui ont la trouille des cafards depuis, étant donné qu'ils pourraient venir pondre dans leur nombril en leur racontant un conte de fées. On passe sur le scandale des avocats aux States, qui sont sur le point de devenir les vrais dirigeants du pays, et dont la seule déontologie (mais c'est l'apothéose de la mise en scène, en fin de compte, et tout finit en spectacle aux States) est la victoire. Ils éprouvent plus de satisfaction à voir un assassin acquitté que de remords à voir un innocent condamné. Dans l'art de noyer le poisson, les maîtres sont des maîtres incontestables, et là aussi, on se demande de quoi les avocats sont-ils des experts, dans certainses dérives culturelles, sinon de faire prendre des vessies pour des lanternes ? Des proportions criminelles sont appliquées à de simples bévues accidentelles dont il faudra rendre responsable le malheureux auteur tandis qu'en sens inverse, les crimes de sang finissent dans la rubrique des incidents techniques, comme s'il s'agissait d'une panne d'ascenseur ou d'un pneu crevé. Un minuscule vice de forme dans la procédure peut remettre en question le délit lui-même, il s'agit de monter en épingle n'importe quel point de la forme pour intervenir sur le fond lui-même, et le transformer, ce qui révèle plus de l'escroquerie que de la logique, mais à moins que les romans policiers et les films fantasment, il y a du vrai là-dedans. Il y a donc des experts qui se spécialisent dans la manipulation des formes pour atteindre les principes eux-mêmes et les fracasser, les avocats yankees par exemple, peut-être même les conseils juridiques, allez savoir quels articles ils vont choisir pour vous cautionner ou vous débouter, et c'est encore la même chose, avec les théologiens, experts en la matière immatérielle, les « directeurs de conscience », des confesseurs dociles aux redresseurs de torts de génie, avec encore toute la gamme des réformateurs, politiques, religieux, bref, les experts nous embobinent, les exégètes nous prennent la tête, en s'appuyant sur quoi, finalement ?

 

« Nous avons les moyens de penser à votre place », moi je veux bien, mais qui vais-je choisir, vous n'êtes pas d'accord entre vous, les gars ? Même en psychanalyse, tu as différents courants, tu es obligé de te taper un freudien pur et dur, qui va trifouiller ton œdipe et battre comme du plâtre ta mémoire, un lacanien radical qui te montre le bout du tunnel à condition que tu veuilles bien y entrer, un jungien qui t'approuve inconditionnellement, tu engages donc un psychiatre pour t'aider à départager et t'appuyer sur du solide, tu guéris avec la synthèse des quatre, au bout de trois ans seulement, disons, bravo, ça le fait, c'est un temps record, mais l'addition te rend malade pour de bon, mon vieux, tu as dix ans de crédit sur le dos pour payer tes frasques psychologiques. Et c'est là que tu te rends compte que t'avais rien du tout, en plus. Maintenant que tu es malade pour de vrai, avec ton ulcère, tu réalises que ta dépression était une manière de t'accorder de l'importance malgré toi, car tu n'étais qu'un personnage qui jouait à être heureux, sans connaître les tenants et les aboutissants de ton identité, et ça devenait fatigant de frimer sans le savoir. Fais gaffe. Pareil avec les gourous. Y en a qui te disent que plus tu fais d'expériences plus tu te perds, d'autres disent exactement l'inverse. Tiens, trois ou quatre disent qu'il faut aspirer à l'éveil, une floppée dit exactement le contraire. Certains, le Divin, ça les fait rigoler, d'autres ne jurent que par lui. Moi, les experts, je m'en passe, tu vois. Je préfère mes projections aux leurs, elles sont plus adaptées, finalement.

 

Et ça continue. Chaque fois que je pense à lui, j'ai envie de pleurer. Il avait soixante ans, était assez malade physiquement, diablement seul pour un maître, et il me reçoit à Hardwar, à la fin de mon année de probation manquée à Auroville. (Je suis parti de mon plein gré, mais je fais de l'humour ce matin). Je ne me souviens pas de ce qui a provoqué la rencontre avec Hashisananda. On se voit plusieurs fois, il m'accueille avec condescendance et respect, ce que seuls les hindous savent faire, entre parenthèses, les autres peuples choisissant une option au départ, et voilà-t-y pas que tout y passe, nos itinéraires respectifs, la voie, le chemin, la quête, l'itinéraire pour ceux qui ne s'engluent pas dans les formes, et qui savent que tous les chemins mènent à Rome. Bref, une fois qu'il a compris que moi aussi j'ai le Soi dans ma poche, puisque, en le regardant bien dans les yeux je lui dis qu'il n'y a rien à atteindre, le respect l'emporte d'une courte tête sur la condescendance, et on passe aux choses sérieuses, bien qu'il en soit resté comme deux ronds de flanc. Je lui fais comprendre que toutes les sensations que j'éprouve depuis près de deux ans sont nécessairement dûes au supramental, mais il me trouve trop identifié à Auroville (ce en quoi il avait parfaitement raison !) et puis il revient sur le fait que, s'il y a bien quelqu'un qui sait ce qu'est le supramental, c'est lui, il a donné plein de conférences dessus quand il était plus jeune, il a voyagé dans son pays pour en parler. Seulement, voilà, il avoue, sans modestie, ne pas l'avoir trouvé. Pas moyen de savoir si c'est du lard ou du cochon. Cela veut-il dire que Sri Aurobindo est seulement un prophète et que le Divin reste inaccessible, ou même, que Ghose se soit laissé emporté par son imagination ? Pas moyen de savoir, finalement, mais une certaine désillusion l'anime, et peut-être se demande-t-il vraiment si le supramental existe, vu qu'un homme tel que lui ne l'a pas atteint... Il s'est rabattu sur d'autres énergies spirituelles, qu'il me transmettra par le regard, mais je n'ai pas trouvé ça top, vu qu'en arrière-plan j'avais le supramental à ma dispo. Bref, on se voit quelques jours à l'heure du thé, et le voilà qu'en une seule phrase, il fout tout en l'air et que ça s'écroule comme un château de cartes. Ce moment demeure même un souvenir spécial, la preuve que l'homogène et l'hétérogène sont épris l'un de l'autre comme deux succubes lesbiennes en chaleur. Dans un geste quasi théatral, avec du mépris dans le bras qui se lève comme pour chasser un lépreux, une façade qui ne lui ressemblait pas d'ailleurs, il me sort : « go beyond supramind », va au-delà du supramental, comme si j'étais débile, un sale petit galopin qui voulait faire bande à part. Au-delà du supramental, franchement, je ne voyais pas où ça pouvait se trouver, avec déjà l'option de luxe d'avoir trois cents ans à vivre avant d'arriver réellement à un résultat digne de ce nom, je ne voyais pas d'au-delà plus conséquent que mon aventure absolue, et surtout pas ce monde argenté, presque tristounet, serein et hors de l'existence, qui se matérialisait quand il se concentrait en me fixant. Finalement, cette injonction ridicule s'accordait avec cet instant magique, où, n'en pouvant plus d'être chez lui sans entendre parler de vraies pointures, je lui lance : y a-t-il encore de grands yogis en Inde ?

 

Là, il fait un petit numéro, ferme les yeux quelques secondes, feint de les passer en revue dans ses souvenirs, et sur un ton mesuré, juste murmuré, il dit « oui », en hochant la tête en grande cérémonie, se dénonçant lui-même avec une discrétion telle qu'elle devenait un modèle d'ostentation (Ne crois surtout pas que je parle pour moi, mais tu devrais t'intéresser davantage à moi, quand même, au cas où j'en ferais partie, sans le chercher bien sûr, je te laisse seul juge de t'en apercevoir, je suis trop zumble pour te mettre les points sur les i, de là à me cacher...). Mon rire intérieur a éclaté sans faire le moindre bruit, pour ne pas gâcher l'emphase miraculeuse qui m'avait terrassé. Ok, man, j'attendais plutôt un ou deux noms, voire une adresse. C'est toi le chef, mais moi je suis au-dessus des chefs et en-dessous des employés, je connais le cercle par cœur, ça ne marche pas. Je ne suis pas venu m'entendre dire que je devais dépasser le supramental, ni que tu étais le meilleur... Le pauvre, il était englué dans sa réalisation comme un insecte volant tombé dans une fleur carnivore, elle l'avait séparé du reste. Mais c'était le meilleur des hommes, il ne frimait pas, et ça, en Inde, c'est quasi miraculeux, vu que la tendance spirituelle est mentalisée, cultivée comme un faire-valoir social, d'où l'abondance des charlatans qui connaissent la théorie par cœur, sans l'appliquer.... Un peu comme partout ailleurs.

 

Sincères comme les people de la gauche caviar,

nouvelobs sous le coude et qui roulent en jaguar,

qui se plaignent des pauvres quand ils votent à droite

et cherchent dans le champagne des promesses adroites

 

Si je peux me permettre de lévistrausser. Oui, je le peux, d'ailleurs il y a des passages remarquables dans Tristes Tropiques, et une certaine prémonition des vices cachés dans de grandes institutions... Mais le sujet est tabou, on n'a plus le droit de dire qu'une religion est suspecte, en France.... Au nom de la liberté d'expression qu'il ne faut pas empêcher par une autre liberté d'expression. Elle a le droit d'être suspecte, c'est inutile de l'accuser.... et il faut fermer sa gueule au nom de la liberté d'expression. (Ou passer pour un dangereux terroriste culturel comme Houellebecq ou M Le Dantec, si vous dites que l'islam n'est pas votre tasse de thé ! Et ça peut mener au tribunal). Est-il permis de dire que je préfère l'islam de René Guénon et de Rumi à celui de Ben Laden, sans que l'on me traite d'islamophobe ? J'en doute. Les nouveaux redresseurs de tort guettent les « néoréactionnaires », soit les types assez lucides pour préférer dénoncer ce qui cloche, au lieu de s'enferrer dans l'idéalisme démagogique, là où la France n'a pas de problème avec les immigrés, for exampeul, tandis qu'elle va tout régler avec de belles paroles généreuses. Une certaine France veut rester bête et s'en glorifie. Il faut être de droite ou de gauche, bien qu'on sache depuis la moitié du premier septennat de Mitterand que cela ne veut rien dire, et l'on na pas le droit de trahir son drapeau débile. Kouchner, Gluskman diabolisés... Le virulent sectarisme français est dissimulé sous un fatras de mythes pompeux depuis la prise de la Bastille. Il n'est pas si vrai que cela que l'on puisse penser ce qu'on veut, sans s'attirer les foudres de l'ordre moral en vigueur. Les « culpabilisateurs » sont toujours là, et à moins de mordre, on se demande vraiment ce qu'ils font. On continue de les voir rarement descendre au charbon et se salir les mains, ce qui les dispense d'avoir à se les laver. Ils sont donc si propres sur eux que vous ne pouvez plus ouvrir la bouche sans être accusé d'un crime quelconque, il ne faut pas mettre les problèmes sur le tapis, c'est de la non-assistance à personne en danger, car ça va forcement soulever quelques questions, qui « portent atteinte » à quelques individus auxquels il faudrait sacrifier les lois et les réformes. La France s'est installée dans une telle complaisance, qu'il est probable que tout son héritage s'envole en fumée pour la maintenir, et que les idéalistes continuent de nier l'urgence, pour conserver la bonne conscience de celui qui défend la veuve et l'orphelin. Nous allons tellement vivre au-dessus de nos moyens, que cela va finir par se savoir.

 

Le regard lucide ne peut rien sur l'histoire, ce n'est pas celui que l'on retient, vu que ce n'est pas celui qu'on attend. On refuse d'écouter ceux qui s'inquiètent, qui ont toujours proposé les solutions pour rectifier le tir, aussi bien en économie qu'en politique, mais sa divinité Laviditéperso en prenant pour son grade, on classe les dossiers. On attend que ça casse pour réparer. Pourtant, les menaces et les dangers qui aujourd'hui nous bouffent la vie ont été pointés, définis, par nombre de « cassandre » lucides, depuis la fin de la guerre. Cela n'intéresse personne, c'est beaucoup plus saignant de poursuivre un écrivain, qui a émis son opinion sur une religion. Il paraît que « l'intellectuel » est un produit français, qui n'a pas d'équivalent ailleurs, où ils ne pourraient pas survivre. Normal, la France est le seul pays où l'on encourage la médiocrité à sévir, à penser, à proclamer et à juger, pour peu que cette médiocrité feigne d'apporter du nouveau. Le talon d'Achille français est le verbiage, l'argument gratuit, la théorie sans pratique, le fumeux vernis qui d'abord est fameux, le neuf périmé demain, et l'on peut y vivre de répandre des insanités et de défendre l'indéfendable. C'est peut-être la seule culture où le superficiel se voit attribuer une valeur de principe, une valeur de fond. L'idôlatrie de la gastronomie et de la Haute-couture le démontrent amplement, ainsi que certains intellectuels de gauche, dépourvus de la moindre générosité, secs comme des coups de trique, ces nouveaux inquisiteurs qui préfèrent penser que « voir », décréter qu'observer, réagir que réfléchir, comme si la réalité n'était qu'un prétexte à illustrer des positionnements en quelque sorte religieux. Les mêmes refusent de perdre leurs illusions de luxe en descendant sur le terrain, là où leurs belles certitudes démagogiques voleraient en éclats, entre une ambulance et une raffale, entre un viol et une expulsion méritée. Rectifier le mental français moyen, où les bons sentiments gratuits finissent de tenir lieu de lois dans l'imaginaire du peuple, c'est un gros travail.

 

« S'ils n'ont pas de pain, qu'on leur donne de la brioche ».

Finalement, c'était la malédiction d'une reine décapitée injustement,

et elle est plus que jamais en orbite, la malédiction.

 

L'idéalisme français refuse le réel, Raymond Aron s'en plaignait déjà. Le « bien » n'est pas forcément à portée d'une boutade ou d'un conseil, et quand il faut aller trouver la solution au-delà du bidouillage, au-delà du bricolage, il n'y a plus personne (on a peut-être besoin de plombiers polonais finalement, pour que les soudures tiennent plus longtemps). Voir que les problèmes comme leurs solutions sont enracinés plus loin que dans notre vélléité de les combattre, c'est trop demander à un français, le « réalisme » le tue. Tant que les problèmes sont des réponses à l'ego qui furète, ça marche, mais le problème objectif, celui qui persiste quelle que soit la position qu'on prenne par rapport à lui, c'est-à-dire celui dont on n'arrive pas à se débarrasser, for exampeul tout de suite, celui-là fait désordre: c'est trop humiliant pour la french désinvolture.

 

N'oublions pas, concernant le syndrôme de l'expert, que certains physiciens prétendaient que le plus lourd que l'air ne volerait jamais, pour empêcher l'invention de l'avion, et ils se cautionnaient avec des calculs, ces grands génies. Si vous aimez donc la torture mentale, rassemblez des experts, vous ne serez pas déçu en collectionnant leurs réponses sur la même question, et ils en viendront bientôt aux mains. Même au sommet de la science du feng shui, réputée objective et ultracodée rigoureux, ils se tirent dans les pattes pour la même interprétation, entre « grands maîtres », selon le même que j'ai cité au début, l'astrologue qui touche sa bille là-dedans aussi. Une fois qu'on a compris que les experts n'y connaissent rien, on a fait un pas de géant pour se libérer de l'autorité d'autrui, et ça aide. J'exagère, ils s'y connaissent un petit mieux que ceux qui n'y connaissent rien et qui ont donc la chance de n'avoir pas de préjugés sur la question. Un de mes potes disait d'ailleurs que si l'on perdait l'esprit du débutant, c'était pas la peine d'apprendre. Mais il fut incompris. Il y en a même qui apprennent en sachant déjà de quoi il en retourne : si on les interroge sur ce qu'ils ont compris, ils ne pigent pas de quoi on cause. Ils régurgitent ce qu'ils ont mémorisé, à la virgule près, et répètent « what else ? », comme s'ils avaient fait le tour de la question. On ne peut pas en tirer des merveilles, mais eux, font grand cas des textes qu'ils peuvent vous réciter, dans le style « nul n'est censé ignorer la loi », ou « Jésus te sauvera malgré toi », ou « je ne fais que mon devoir » ou « sans dérogation spéciale, pas d'autorisation » ou encore, lyriques, « si tout le monde était comme moi, on ne serait pas obligé de faire la loi et de rendre la justice soi-même ». Le comble étant : « Pourvu qu'on pense la même chose que moi, et je reste très ouvert d'esprit », mais ça, ce n'est pas possible, je viens juste de l'inventer par vengeance. Bref, ils sont très doués dans les tâches répétitives, à condition que ce soient toujours les mêmes et qu'elles n'excèdent pas l'unité. Le modèle existe encore chez les militaires de carrière, dans la police, dans les Ordres, dans l'administration et toute forme de bureaucratie, partout où l'intransigeance est indispensable au bon fonctionnement du laxisme.

 

D'un point de vue évolutif, il faut miser sur la disparition de cette espèce archaïque d'ici les cent mille ans qui viennent, on ne va quand même pas les pousser vers la sortie. Le Divin n'est pas pressé, semble-t-il, de se réveiller en chaque être humain, où pourtant Il réside déjà, voilé, et parfois, complètement insensible, ce qui ravive des pulsions de meurtre, vu qu'on pourrait, avec un peu de mauvaise foi, prétendre tuer un animal ou arracher une mauvaise herbe en étranglant ce préposé qui vous demande les papiers un à un, au lieu de fournir la liste exhaustive la première fois. La sixième fois..... Non, rien n'est jamais assez grave pour qu'on pète les plombs contre l'autre, mais il faut plus de courage pour les péter contre soi-même, étant donné que nous sommes chacun la septième merveille du monde, que je sache, et sans concurrence, bien entendu.

 

C'est l'énigme la plus poignante de la Manifestation, puisque, aujourd'hui, ce sommeil collectif compromet même la survie de l'espèce. L'espèce est-elle assez élastique pour supporter les deux extrêmes, des mutants divins d'un côté et d'autre part, pis que les archaïsants qui ne font pas de mal à une mouche, les régressifs, absorbés dans le matérialisme le plus vil, dont la gamme va du pédophile moyen à l'esclave de l'argent, tout en haut de l'échelle, en passant par les petits ou grands manipulateurs qui vampirisent les esprits? Vous le saurez au prochain épisode, en 2012 peut-être, si la rumeur est fondée.(1512-2012, ci-gît l'Empire européen).

 

La plupart des êtres humains écoutent ce que vous leur dites comme s'ils le savaient déjà, vu que vous faites tapisserie. Le seul moyen pour qu'ils prêtent attention, c'est de se faire payer, là, ils commencent à tendre l'oreille pour en avoir pour leur argent, c'est d'ailleurs pour ça qu'on facture la psychanalyse, sinon tout le monde sait que Lacan aurait consulté gratuitement, que je sache. Mais non, il faisait même payer les rendez-vous manqués, on ne plaisante pas avec sa guérison, et en payant l'absence, on profitait quand même de la séance ratée, comme si elle avait eu lieu... Elémentaire mon cher Watson, pognon= service. Enseigner ce que l'on connaît pas, afin d'avoir l'impression de savoir. C'est la maladie du mental, comme l'avidité est celle du vital. Le mental aimerait tellement être le supramental qu'il est prêt à tout pour se surestimer. A tchao, bonsoir.... J'en ai déjà trop dit, bientôt je vais vous la fournir la pierre philosophale, gratos, et c'est contraire au règlement, j'en ai déjà trop dit. Il suffit de cuire la matière sans péter le vaisseau, et l'or philosophal est à vous, une simple question de température, comme tout le reste, de la glace à la vapeur, de la passion à l'émeute raciale. Ne compliquez pas les choses. Il n'y a que le feu à doser. Ce qui comprend quelques extinctions pantelantes et honteuses et des retours de flamme qui crament la prétention en brûlant les cils et les ailes. Providentiel.

 

Bref, pour en revenir à la gravité du problème des experts, la ponctuation c'est essentiel, oui, tout est dans l'accent. Amusez-vous à écouter la même symphonie dirigée par de nombreux chefs d'orchestre réputés, vous serez édifiés. Jamais personne n'appliquera de la même manière que son alter ego les mêmes critères, ce qui fait en fin de compte qu'on tombe toujours sur des préférences. Point barre. Bienvenu à l'indécidable, traqué par les physiciens quantiques dans le subatomique. Quand j'étais jeune et que je donnais des cours d'astro, je me souviens d'une fois où j'ai répété la même phrase sur des tons différents, correspondant à chacune des planètes. On était obligé de comprendre que le signifié n'était pas dans le signifiant, considération qui dérive sur les fluctuations des expertises, et rend compte de leurs différences notoires.

 

Etant donné que les mêmes phrases peuvent être lues dans des intentions différentes, qui en font donc varier le sens, il serait temps de renoncer à l'objectivité, et admettre que chacun voit midi à sa porte alors qu'il va le chercher à quatorze heures.

 

MERCI MARCEL.

 

Je disais « Va, je ne te hais point !? ».

Avec Vénus, ça voulait dire.... Reviens,

avec Mars, « va te faire foutre »,

avec soleil, finalement tu n'es pas digne de moi,

avec la lune, je regrette de t'avoir connu(e) tu me fais trop souffrir,

avec Mercure, je pense déjà à te remplacer,

avec Jupiter, chacun sa route, bonne chance et merci,

et avec Saturne, je te maudis d'être né.

 

Il suffisait de travailler le ton. C'était il y a vingt ans, my God, le signifiant et le signifié, ça me turlupinait déjà. Bel aboutissement, avec la fin de  « feuille de route », désolé pour son avance, je ne suis pas démago, tout le monde ne va pas tout comprendre d'un coup, mais je ne vais pour autant pondre du Andrew ou du Prajnanpad pour entrer dans le spirituellement correct, qui rassure, car il rapetisse le but, ce qui rapproche la cible. Non, le but n'est pas perso, la « réalisation », c'est le dernier luxe de l'ego qui veut atteindre le sommet. C'est d'autre chose dont il est question maintenant, car les réalisations et les illuminations n'ont fait qu'enfermer une minuscule élite dans un mythe stupide, où le désir du supérieur est vanté et annobli, alors que, comme tout désir, il n'appartient qu'à la nature ou s'y mélange avec complaisance, de telle manière que l'objet demeure convoité. Il n'a jamais été question de « se réaliser », mais c'est la formule qu'on a trouvée pour caractériser l'éclatement de la boursouflure du moi, qui enfin accepte et consent de ne dépendre que de la Conscience, cet inestimable fluide mystérieusement répandu de l'algue à l'ange, dans toute créature, et qui donne à chacune le sentiment d'être, pour aussi limité qu'il soit. Ce sentiment d'être peut grandir au prix de morts et de renaissances, et devenir une présence d'un ordre inconnu, qui laisse loin derrière le je que l'on croyait être, au sein des cœrcitions premières. Et cela n'appartient à personne, aussi le terme de réalisation personnelle est-il impropre, puisque, d'une part, on abandonne la coquille naturelle, et que, d'autre part, on débouche sur des océans de conscience, sur de multiples états d'âme qui nous nourrissent, sans qu'on ait besoin de se les attribuer.

 

Un spectateur vivant remplace un acteur mort, cet ego de revendications minuscules qui faisait tourner autour de lui l'univers entier, même la vérité, sommée de se soumettre. Il n'y a rien à ramener à soi-même, car le centre s'est perdu en se trouvant partout.

 

Le maître avouait que Savitri ne pourrait pas se comprendre avant trois cents ans, il l'a écrit quand même. Nous ne sommes pas devant pour vous reprocher d'être à la traîne, et nous sommes désolés si vous ne comprenez pas tout, ce n'est fait ni pour vous rapetisser ni pour nous grandir. Nous n'y pouvons rien, et nous vous encourageons. Lucidement. Elaguez. Ne prenez pas exemple sur nous, ce serait formel, mais vous pouvez comprendre qu'un individu libre se forge son propre itinéraire pour parvenir là où lui seul peut aller. Cela vous revient. Si le temps est illusion autant que réalité, qu'est-ce que ça peut bien vous faire de ne pas être chef de cordée, de ne pas être déjà « parfait », de ne pas être vraiment prêt ? Vous le serez à votre tour, votre feu doit grandir. Pour le moment, les surplombs en varappe, ce n'est pas intégré, et c'était une figure demandée en quelque sorte. L'abandon total à la verticalité, sans filets. C'était la porte d'entrée au supramental.

 

Ce ne sera plus la peine d'être aussi radicalement absolu que les premiers, dans l'avenir, et, avec moins d'exploits, la satisfaction de toucher la Conscience sera possible... La lumière n'a pas à rester le monopole confidentiel des plus habiles, par principe, mais le soulèvement vers Elle n'est pas assez collectif pour en faciliter l'accès. C'est souhaitable, possible, pratiquement prévu (si ça passe au lieu de casser) que les énergies divines soient quand même un petit plus accessibles. Pour le moment, la situation est périlleuse. Le temps béni où l'on pouvait se surestimer sans en pâtir est terminé. Qu'on se le dise. Aujourd'hui, toute prétention est passée au crible de la vérification, c'est nouveau, ça vient de sortir. L'aspiration véritable ne peut que s'épurer, et l'ambition ne peut qu'être démasquée plus facilement ou au contraire amener des retours de manivelle.

 

Avec Pluton en Capricorne,

Les boucs émissaires vont donner de la corne.

 

23 juillet

 

Obligé de booster depuis près d'un mois, mais ça marche. Plus de repos, davantage de mantra, et concentration matin et soir, avant de dormir et au réveil, pour placer la force sur le corps. Un peu d'exercices le matin, depuis peu, avec les bras projetés en arrière de différentes manières, vu que j'ai le dos faible, et que j'ai passé trop de temps sur différents claviers, synthé et ordi. Je n'aspire qu'a récupérer les poumons et nager comme un dingue, mais d'ici là, un minimum d'exercice physique est nécessaire. J'achète des magazines français périmés pour une bouchée de pain à Legian, sur la plage la plus connue, et mange aussi dans le coin. C'est à vingt-cinq minutes en scooter de chez moi, et le trajet n'est pas désagréable.

 

Je me délecte de la synchronicité. Je viens juste de récriminer contre les experts que je tombe sur l'éditorial de l'express, où l'homme à l'écharpe rouge, indépendant d'esprit me semble-t-il, écrit carrément : « le crépuscule des experts ». Amusant, nous ne nous sommes pas copiés que je sache, mais l'idée est dans l'air, ce journaliste tire cette vision vers la politique, et nous annonce que «le Prince  s'avancera bientôt, tel Œdipe aux yeux crevés, sans personne pour le guider, mais avec toujours, sur ses pas, un peuple pour le blâmer ». Voilà, autrement dit, c'est la faute à qui, à celui qui exerce le pouvoir, et qui ne peut plus avoir confiance en qui que ce soit, tout le monde se trompe. Il est certain qu'abandonner le clivage droite-gauche pour former une équipe de réalistes-pragmatiques voués à résoudre les problèmes au lieu de discuter de la manière dont cela devrait être fait, constitue un véritable progrès. Mais est-ce suffisant ?

 

Oui, il y a un sursaut d'intelligence en France, mais qui s'accompagne de la fin des illusions de la gauche, la pauvre. C'est à commenter, parce que j'ai eu dix-huit ans cinq jours avant la fondation de mai 68, le 22 mars, et que je suis toujours resté imprégné de cette atmosphère ouverte, aujourd'hui asphyxiée, que nul n'est capable de ressusciter.

 

Donc, pour les plus jeunes, il faut rappeler qu'à l'époque, nous débordions de contenus politiques. Ce n'était pas un maigre menu comme aujourd'hui. La carte était très alléchante, et tous les caractères pouvaient trouver leur bonheur dans un engagement quelconque. Les plus sûrs de leur fait étaient sans doute les marxistes-léninistes, convaincus encore davantage que les autres d'être dans le vrai. Il y avait aussi les trotskystes, pinailleurs, à ne pas mélanger avec les précédents... Beaucoup avaient conservé du bon sens, et étaient bêtement communistes, mais ils infiltraient le parti d'une manière radicale et secrète, puisque le parti était puissant à l'époque, et dirigé par un tribun magnifique, Georges Marchais, devenu légendaire, et qui n'a jamais été vraiment « remplacé ». Toute cette faune se tirait déjà pas mal dans les pattes, jusqu'à des rixes à la fac, mais faisait front contre les fachos, vu qu'il y avait encore des « ratonnades » le samedi soir... Les plus exaltés étaient sans doute les maoïstes, à qui l'on pardonnera leur engouement, il ne filtrait pas grand-chose à l'époque des malversations du pouvoir chinois, absous, au motif « qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs ». Mais toute cette efferverscence ne donnant sur aucune praxis unie, il ne manquait pas d'esprits forts qui jouaient la double casquette, prétendaient pour ouvrir leur gueule appartenir à tel mouvement révolutionnaire, auquel ils ne croyaient manifestement pas, mais avouaient, un pétard au bec, qu'ils étaient situationnistes. « Tout sera de toute façon récupéré par le pouvoir...  ». Ils ne se faisaient pas d'illusions, et étrangement, leur comportement cynique-lucide allié à un hédonisme affiché les mettait dans la même catégorie qu'une petite tribu, au-dessus de l'histoire, qui se la jouait « nitchéenne ». On s'envoyait des cartes de visite à la figure, c'était désopilant, les insultes n'ont jamais été aussi distinguées. « Pourquoi tu ne nous réjoins pas, tu n'as rien d'un bourgeois, le grand soir arrive...  ».

- « Désolé, les gars, je suis nitchéen ».

- « tu craches sur les prolos, qu'est-ce qu'ils ont de moins que toi, à part d'être exploités ? »

- « je suis libre et vous aussi, je respecte votre démarche, moi, mais la mienne n'est pas identique... ».

 

Je me souviens d'avoir été manipulé en Khâgne par mon prof de philo, une femme battante, la maîtresse d'un grand ponte marxiste, qui profitait de faire ses cours pour recruter. Pour elle, tout avait été créé par l'idéologie bourgeoise, à supprimer illico presto, sans doute depuis plusieurs siècles. Le mal était là, et nulle part ailleurs. Elle avait une force de conviction énorme, mais je résistais comme un beau diable. « Mais madame, les équations d'Einstein sont exactes sous n'importe quel régime politique ! ». Non, elle ne se démonte pas, elle va bientôt me tancer du haut de son savoir objectif, elle me vrille un regard noir, et prétend que la science bourgeoise contient un contenu politique implicite, comme si Einstein était personnellement responsable du prolétariat et de sa condition... Amusant, de résister. Ceci dit, je me sentais bien seul. C'était très bonne conscience de haïr le flic, et moi je faisais désordre. « Mais enfin, imaginez, c'est un homme comme les autres, qui travaille pour nourrir sa famille...  ». Pouah, j'étais ringard, il fallait haïr au nom de la libération du prolétariat, tous Ces pauvres pions d'une « idéologie bourgeoise », qui elle-même s'était faite de bric et de broc pour moi, et avec beaucoup moins de malveillance que ce que l'on supposait à l'époque, où l'on voyait des diables partout.

 

A Nice, un jeune en mobylette, qui interpelle un type en mercedes en le traitant de sale bourgeois. Le type, self-made man, avait sa mère dans la voiture, donc, il défend son honneur, s'arrête et descend de la bagnole pour se rapprocher du morveux et lui régler son compte, morveux qui, voyant le type débouler, part en mettant les gaz à fond sans demander son reste. Pire et véridique. Quatre malheureux fachos guidés par un corse minuscule pénètrent dans le bar des gauchistes, la vingtaine d'abonnés se rue sur l'autre sortie, en abandonnant son concours de flipper. C'était aussi l'époque des bandes dessinées géniales américaines, qui campaient les déboires des marginaux aux prises avec l'establishment, Robert Crumb, si ma mémoire est bonne, on n'a jamais rien fait de mieux. Oui, cela débordait de contenu, et quarante ans plus tard, plus rien. La gauche ne parvient pas à articuler le moindre programme fédérateur, parce que tout le monde s'en fout parmi les jeunes, contrairement à l'époque bénie de 68 où ne pas avoir d'engagement politique, à gauche bien entendu, était carrément criminel, en fac en tout cas. Non, tout le monde ne s'en fout pas aujourd'hui, la gauche fait vivre ses représentants sur des idées moisies, et comment donc, et ce sont eux qui se battent pour le pouvoir, les éléphants et les éléphanteaux. Tandis que la base est dépassée par un problème plus important que les « valeurs de gauche » assassinées par le réel, qui est celui de la dégradation du pouvoir d'achat. Entre la faillite des banques, qui ont trop prêté aux pauvres, les gourmandes, ça se retourne contre elles, c'est bien fait, nananère, et l'explosion du baril de brut, oui, l'avenir n'a plus aucune traçabilité, alors qu'en 68, il en avait des dizaines de traçabilités, l'avenir, mais celui qui s'est réalisé n'était pas prévu.

 

Tout le monde le voyait autrement, et avec une meilleure résistance du politique à l'économique, sauf les situationnistes, qui avaient déjà compris que tout serait récupéré. Tout le monde s'est planté, le pognon a gagné tellement haut la main qu'on ne s'en est pas vraiment remis, et on lui cire les bottes en grande pompe. Qu'attend le nouvel obs pour ouvrir ses pages à Ferrari, Lamborghini, Rolls Royce, Aston Martin ? Ils n'attendent rien, les quatre plus grandes marques n'ont pas besoin d'autant de publicité. Et finalement qui récupère qui ? N'est-ce pas Jaguar qui est récupéré et recyclé dans un journal généreux ? Il faut bien prendre le nerf de la guerre là où il se trouve, et cela peut faire partie des lois du marché. Le problème, c'est que ça prête à confusion, et tandis qu'on se persuade que c'est bien d'avoir une attitude citoyenne, en prise directe avec les problèmes de société, on nous fait loucher sur nos survivances dynamiques de mâle générique, la super bagnole, aux trois quarts somptuaire. Peut-on réellement s'intéresser aux mal logés, aux problèmes de banlieue, à la crise mondiale, au manque de conscience politique (et spirituelle) du citoyen lambda, dénoncer antisémitisme et racisme, prétendre être ultra-responsable et donc solidaire, et passer chez le concessionaire Jaguar signer un bon de commande? Si un tel animal de compagnie existe, qu'on me le signale, j'aimerais bien en faire mon bouffon, et ses conseils d'expert en ouverture d'esprit pourraient m'être précieux. Je suis trop radical...

 

L'Esprit et la Matière, vieux débat. On ne sert pas deux maîtres à la fois, et tutti quanti... Il faudrait peut-être revenir à des évidences premières, comme le fait que s'occuper des autres avec ostentation n'est rien d'autre qu'un luxe de privilégié. Or, c'est cela la leçon de Mai 68. Les zouvriers aux mains sales et aux fins de mois difficiles n'ont pas cru une seconde que les étudiants de mai leur tendaient vraiment la main. Comme les dames patronesses donnaient des vêtements de couleur aux pauvres pour les reconnaître à la messe, les fils de bourgeois révoltés, bientôt notaires comme l'avait prédit Léautaud je crois, avaient besoin du prolétariat exploité par papa, pour tuer le père, et accéder à une certaine indépendance d'esprit, décorée de liberté sexuelle et de revendications à « sentir ». Les ouvriers n'ont pas accepté d'être victimisés par ces fils de riche, et je les comprends. Quand la consdescendance se maquille en pitié, ça ne marche pas très longtemps.

 

Bref, un hiatus, un clivage... Ce qui donnera finalement la magnifique culture « Actuel », magazine lancé par jean-François Bizot, qui reçoit, à dix-huit ans, huit millions de francs de l'époque, et qui, au lieu de s'acheter une collection de Ferrari vintage, trouve mieux à faire, on se demande bien pourquoi, et crée enfin une revue qui ne tourne pas en rond, avec des articles géniaux, synchronisés au mouvement du monde, souvent signés Patrice Van Eersel. Les ouvriers sont grosso-modo restés dans leur caste, et les soixantuitards ont trouvé bon de rentrer dans le rang, tout en créant une nouvelle consommation, symbolisée par la F.N.A.C. On n'achète plus pour frimer ni « posséder », mais pour s'éclater et s'épanouir, s'intéresser à, mais (I am very sorry), dans le fond, il y a toujours autant besoin de pognon, qui passe en disques et en concerts, en voyages lointains non touristiques, en afghan estampillé, ou en bouquins neufs, ou en vacances pas débiles pour les enfants. La génération précédente était méprisée sous le label de « classe possédante », et elle se la pétait avec l'achat immobilier et les grandes réceptions hypocrites. Une nouvelle classe était née, la « classe jouissante », qui ne cherchait pas à consommer ni à acheter par principe, mais qui s'offrait de nombreux biens de jouissance personnelle, qui amenaient le monde entier à domicile, par la musique, la littérature, l'artisanant kitch... Et on dépensait sans mettre dans l'argent la valeur symbolique qu'y fourguaient les générations précédentes, réussite, reconnaissance sociale et tutti quanti... N'empêche que les besoins ne risquaient pas de diminuer avec le formidable essor technologique, et tous les nouveaux matériels qui permettaient de personnaliser sa vie, d'entrer dans le loisir sur mesure, en inondant son living de musiques du monde entier, en doublant sa mémoire de photos, jamais assez nombreuses, et qui coûtaient pas mal d'argent. Oui, ma génération était très ouverte sur le monde, s'intéressait à tout, étant donné que l'inquiétude de l'avenir, avec le sida et le chômage, n'avait pas encore ratiboisé l'idéalisme du chevalier, aujourd'hui fourni concrètement, avec mode d'emploi non subversif, dans les jeux vidéo ... et qui remplace le vrai, le nôtre, celui des anciens combattants de Mai 68, en France. Non, nous n'avons pas à rougir d'une certaine naïveté, elle allait avec l'innocence, et le besoin de croire en l'homme, préoccupation surannée aujourd'hui, ou carrément « ringarde », puisque seuls les chiffres font la loi.

 

Mai ? Sans oublier la vengeance de l'hétérogène nivelé dans le consensus bidon, et qui se rebiffe un peu partout, en 66 à Chicago, en 67 en Italie et à Prague, en 68 au Mexique, avec une vraie répression « sanglante ». Peut-être finalement que les résultats maigres et tardifs de mai 68 sont dans l'écologie et l'humanitaire, plutôt qu'ailleurs, la société a fait avec la loi du marché, et Mitterand en est resté comme deux ronds flancs en 83: le temps des illusions était fini, le politique, même au sommet, ne pouvait déjà plus infléchir l'économique, dans des proprotions autres qu'infimes, insuffisantes à changer la donne de la distribution des revenus. J'en retiens, de mai 68, la générosité, qui a toujours été, par déf de chez déf, au-dessus ou à côté de la politique. (Sinon christianisme et communisme auraient amené l'âge d'or).

 

Moralité, qui que tu sois, tes besoins ne feront qu'augmenter, alors ne fais pas semblant de t'intéresser aux pauvres, mon cher éléphanteau, avoue que tu veux faire carrière. S'ils l'étaient moins, pauvre, les pauvres, ton pouvoir d'achat serait inférieur, car tout ce que tu achètes serait infiniement plus cher si les ouvriers étaient payés davantage. Qu'es-tu prêt à sacrifier pour partager pour de vrai, ô démagogue au cœur pur ? T'étonnes-tu vraiment que ta fausse sollicitude ne séduise plus personne ? Serais-tu prêt à payer plus cher tout ce dont tu as besoin pour qu'il y ait plus de justice sociale ? Je t'autorise à voir la question de plus près et à aller te confesser chez le psychanalyste, ou monsieur le curé si tu préfères, c'est moins cher.

 

Oui, la foi politique, qui a flambé magistralement en mai 68, n'a pas trouvé de praxis digne de ce nom, et la consommation a tout récupéré, parce que les castes sont restées hermétiques. Certains déplorent encore le grand ratage de mai 68, que l'union réelle du prolétariat et des intellectuels ne se soit pas produite. Même Sartre aurait voulu y croire, ça l'aurait racheté de fermer les yeux sur les goulags. De toute façon, honnêtement, comme on dit à la télé pour prévenir que la langue de bois se pointe, on avait tous sous-estimé le pouvoir de séduction de la nouvelle économie industrielle sophistiquée, on ne se doutait pas que le F.N.A.C allait devenir une caverne d'Ali baba susceptible à chaque visite de ressusciter un rêve d'enfant, d'encourager un achat de loisir intelligent, non, on a été pris par surprise par les merveilles techno, et ça ne s'arrête toujours pas... On ne préméditait pas qu'on aimerait à ce point s'encombrer de chaînes hi-fi, puis de télé et d'appareils photo, de voitures qui tiennent bien la route, oui, on a bien sous-estimé à quel point on aurait toujours besoin de plus d'argent pour faire face aux gadgets électroniques, de plus en plus incontournables. Bref, sans le vouloir, cela nous pousserait à gagner toujours plus en oubliant les pauvres, quel vilain nom, sous le terme de « prolétaires », ils nous appartenaient, et les mêmes jouissaient de la dignité qu'on leur octroyait... Oui, et puis l'ordi nous a carrément envoûtés, ses traitements de texte esthétisants, ses logiciels variés, qui nous ont conduit tout droit, vingt ans après, à draguer sur Internet : sur le web, tu peux te rajeunir de vingt ans, no problem. La boucle est bouclée.

 

Oui, les soixante-huitards, en réaction contre le monde bourgeois artificiel, ne se doutaient pas qu'à leur tour ils aimeraient autant l'argent que leurs propres parents. Ils n'avaient pas vraiment vu venir l'impact aux mille formes de l'objet électrique et ses merveilleuses diversifications, et en-dehors de la petite diaspora du Larzac, reconvertie au fromage de chèvre, le reste du mouvement a donné d'honnêtes citoyens consommateurs, de plus en plus consommateurs individuellement, chacun pouvant choisir la manière de se ruiner, qu'il s'agisse de changer de planche à voile en suivant les progrès en la matière, ou d'avoir le meilleur son possible pour écouter de l'opéra, comme au concert. L'argent s'est mis à nous aimer diablement, en nous montrant tout ce qu'il pourrait nous procurer, et en retour, nous nous sommes mis à l'aimer aussi. On a substitué quelques notions, et le tour était joué. On avait horreur du « mérite », qui permettait à ceux qui en avaient de mépriser les jeunes idéalistes, mais par un tour de passe-passe, on a reconnu la valeur de la compétence et du professionalisme, susceptibles d'attirer plus de pognon. On a mis en veilleuse « le jugement de valeur », très prisé par la génération de ceux qui quittent la terre en fin de course aujourd'hui, et on a consommé heureux, souvent d'ailleurs, on a consommé intelligent, contrairement aux deux ou trois générations précédentes, qui thésaurisaient ou dépensaient bêtement, sans se cultiver.

 

Now,

le triomphe de la machine peut détruire l'humanité. Elle est neutre, mais fait miroir impitoyablement, et on commence à le payer très cher : elle souligne nos faiblesses et nos mensonges, et elle les met en scène. L'information s'empare peu à peu du pouvoir, et voici que le décisionnel est muselé par le quand dira-t-on, les chefs d'Etat sont traqués par les sondages, hués en direct parfois, encensés tout autant. La médiocrité des masses fait pression, prévient la presse, menace, elle obtient un droit de regard aujourd'hui terroriste, et renforce la bonne conscience de tout un chacun voulant jouer à la victime, mais là encore, il faudrait développer en croisant Baudrillard, Mac Luhan, et même le B.H.L d'american vertigo, alors, j'abrège.

 

Le pouvoir de l'information pose de nouveaux problèmes à la démocratie, d'énormes problèmes, insolubles demain, puisque toute forme de démagogie est encouragée par le goût du scandale, l'onction pontificale de la rumeur, la désinformation partisane, le chantage et le lynchage médiatiques. L'opinion publique musèle, et finira par faire la loi. Ni Big Brother, ni le meilleur des mondes, non, un monde totalement vain et englué dans une conscience grégaire aux pieds des idoles de la mode et du sport, et un monde au-dessus, intouchable, où l'argent va à l'argent, en circuit fermé. A moins que... l'imprévisible rôde, que l'hétérogène, à nouveau, se distingue du magma homogène qui cherche à l'engloutir, à moins, donc, que des révolutions, de tous ordres, politiques, écologiques et spirituelles ne fassent bouger les plaques tectoniques de cette société globale, mue par la production concrète d'un côté, et les valeurs tribales de l'autre, dans sa psychologie.

 

Ce qui ressort de plus en plus, aujourd'hui, c'est que chacun ignore son prochain, même s'il prétend le contraire, et qu'il défend exclusivement ses propres intérêts s'il est un individu parachevé, ou bien ceux de son clan, si son identité est encore assez grégaire pour se reposer sur la force de la meute, de sa meute, vu qu'il n'y a pas d'autre mot pour évoquer la revendication minoritaire, la haine à portée de protestation et de demande de reconnaissance, ce que Freud avait déjà pointé, dans malaise de la civilisation, référence finalement sociologique, et qui dépasse infiniement le discours sur l'Inconscient. Et donc les exceptions, ces hommes et femmes qui pensent déjà « espèce humaine » sont montrés du doigt et diabolisés, car il faut penser défense de sa propre minorité, défense de sa religion, de sa caste, et tant pis si cette défense-là croise le fer, par définition, avec d'autres défenses similaires. Restons fidèles au contingent, au passé, à l'appris par cœur, au suranné, que l'ostracisme nous préserve de découvrir du même dans une altérité qui n'est pas copie conforme.

 

Quand on agit pour l'humanité elle-même et toute entière, sans pinailler sur les mérites de ses échantillons... On trahit forcément sa propre faction, sa caste, son appartenance, son église, sa culture, son obédience. Quand l'enracinement se fait dans la terre elle-même, et non pas dans le sol contingent d'une province, d'un pays, le Moi appartient au ciel. Il aura dû sacrifier de nombreux cercles pour y parvenir, et n'aura, pratiquement jamais, pu compter sur qui que ce soit, sauf sur ses adversaires. On peut même le condamner pour se donner au Divin sans l'artifice d'une religion, pour se donner à l'Histoire en faisant l'économie d'une idéologie, pour se donner à l'Acte pur, connaître, sans s'enferrer dans une marche à suivre, ou se barricader dans une « tradition ».

 

L'individualisme étant en fait le vrai mouvement de l'Histoire (ce que personne ne tient à reconnaître, de crainte d'accélerer encore les rivalités personnelles pour le pouvoir, le sexe et l'argent), ce sont les individus qui pensent, soit ceux qui se détachent de la pure conformité aux règles pour tricher un peu avec, et affirmer autre chose que le pion, que le clône, que la personne « remplaçable », qui réussissent. La loi est toute simple, et elle est déguisée avec de grands mots, soit pour faire du sentiment, soit pour noyer le poisson dans un panier de crabes. Plus on devient irremplaçable, plus on monte en grade, c'est la loi. On changera facilement de femme de ménage et de manœuvres, ça se complique avec l'ouvrier qualifié, dès le contremaître ou le chef de cuisine, la question de la compétence perso se pose, et on ne change plus de personnel haut de gamme comme de chemise. Plus on monte, plus l'argent arrive, et une concurrence sourde pour se faire reconnaître, établir sa réputation, anime les corps de métier « supérieurs ». Peut-être Marx n'avait-il pas intégré le neo-darwinisme, et croyait-il sincèrement que les citoyens cesseraient de se déchirer pour le pouvoir, qui donne, par définition, privilèges et avantages, même dans une cité égalitaire ? Peut-être Karl a-t-il souffert de ne pas pouvoir intégrer Freud dans sa bestandwrong, puisqu'il idéalise encore assez l'humanité pour s'imaginer q'une égalité obligatoire allait la mettre à l'abri des convoitises individuelles ?

 

Peu importe, déroulons la loi si simple que nul ne veut voir. Si la différence entre une bonne femme de ménage et une mauvaise est faible et n'engage à presque rien, en revanche, entre un bon et un mauvais médecin, entre un bon et mauvais avocat, entre un bon et mauvais président, il n'y a pas photo, c'est loin d'être du pareil au même. Il s'agit donc bien de se « distinguer » dans la société moderne, et c'est l'individu qui doit se distinguer, ce n'est pas son rôle. Le rôle peut être bien ou mal joué, et c'est inutile de sortir de cela. Le « travailleur » peut se cacher derrière des diplômes, ou le logo de son entreprise, mais s'il n'est pas assez vigilant, pas assez dans le bain, c'est-à-dire, en fin de compte pas assez ouvert aux mutations permanentes de la société et de sa « science », il finit par être largué, dépassé, puis rétrogradé. Cette vérité est désobligeante, premièrement parce qu'elle condamne la médiocrité, laissant la porte ouverte à l'exploitation du sans grade, sans formation, du tâcheron relégué aux emplois les plus vils, et, franchement, c'est quand même un peu ce qui se passe partout... Deuxièmement, parce qu'elle encourage chacun à devenir un « individu » dans le sens seulement de la compétence sociale, qui ouvre la porte à la richesse, en laissant de côté la différenciation suprême de l'individu, chantée par Socrate. Mai 68, c'était l'illusion que l'individualisme pouvait être collectif : les étudiants rêvaient de « prolétaires » amoureux de la culture, qui deviendraient leurs amis, culture dont ils n'avaient jamais saisi qu'il s'agissait, comme du reste, d'un privilège de caste qui ne s'apprend pas, ou dans de rares cas seulement.

 

L'individu commence avec cet être qui se représente sa propre existence en étant capable de lui-donner un sens par lui-même. Jung a essayé de l'établir, dans le sillage des maîtres, d'une manière laïque, pour équilibrer le terrorisme sexuel de Freud, insistant sur un homme générique, semblable dans chaque échantillon, par la tyrannie qu'il subit, déchiré entre le ça et le surmoi. Jung a prévu l'essor de l'individualisme, et a voulu le guider au-delà de la personne sociale, adaptée et responsable, en tout cas, il a montré un potentiel, et, comme par hasard, c'est l'Orient qui l'a convaincu que cette voie était la bonne.

 

L'individu s'arrête presque toujours, en chemin, ce qui permet aux éveillés de longues heures de méditation, puisqu'ils s'acharnent tous à trouver les moyens qui pourraient permettre qu'on ne s'arrête pas en chemin. Laisse-toi absorber, dit Lao-Tseu, ne revendique rien. Aime, dit Jésus, et ne te laisse pas détourner par l'opprobre. Libère-toi de l'avidité, dit Bouddha, ne crois pas ta pensée, dit Kridhnamurti, « Sers le Divin », disent en chœur Ramakrishna, Sri Aurobindo, Vivek... Les moyens de ne pas s'arrêter en route ne manquent pas, encore faut-il des candidats qui ne prennent pas les étapes pour l'ultime destination.

 

Aller vers l'individu inflige à l'impétrant un travail intellectuel sur les représentations, florilège de la cité. Ce « travail » n'a jamais été favorisé par la vie à la campagne, qui s'est donc laissé envoûter par les croyances immondes de l'Eglise en Europe, ou bien les superstitions partout ailleurs, pendant des siècles. L'idéologie bourgeoise, ce n'est pas seulement la question des « moyens de production » chère à Marx, grand prophète s'il en fût, c'est l'urbanisation, l'exode rural, le métissage, le risque, le transport, l'emprunt bancaire, le multilinguisme, la création d'une foule de nouveaux métiers que l'ancien monde, arsitocratique, ignorait. L'idéologie bourgeoise, c'est tout ce qu'a permis la colonisation pour l'Europe, l'initiative perso et la folie des grandeurs, la grande surface et le petit commerce, l'esclavage puis les droits de l'homme (même combat envers et endroit)... C'est aussi la mise en route d'un énorme brassage de valeurs et d'habitudes de pensée qui ne pouvait aboutir, d'un côté, qu'à un degré zéro de la métaphysique, la bouillie idéologique de la zone industrielle, ce no man's land urbain, ce mercantilisme triomphal des multinationales et de la Bourse, soit le vrai patron mondial ; et qu'à la consécration, de l'autre, des minorités résistantes à la mondialisation : ces cellules enfermées dans leurs propres dogmes, et prêtes à haïr en leurs noms, souvent loin de chez elles, apatrides d'un côté, et trop fidèles au passé de l'autre, préférant des racines parfois pourries, mais conséquentes, à de jeunes pousses hésitantes et fragiles, qui se fraieraient un chemin vers le sol universel.

 

Le puzzle manque de concordance, non seulement économique, on s'en doute, mais psychologique... De grandes lignes de complicité convergent partout vers la religion du produit et du spectacle de masse, où les fidèles partagent un égoïsme collectif décomplexé, tandis que de multiples poches de résistance, ethniques, religieuses, parfois idéologiques, qui refusent de sombrer dans le pur matérialisme, cultivent des survivances dynamiques diverses et contraires, de ressentiment, de violence, de démission existentielle et de pur laisser-aller... agrémentées de prétention morale, de rigorisme, de haine donc, une haine propre sur elle, pour ce qui n'est pas conforme... L'inconscient collectif est remué dans ses profondeurs, et même s'il ne s'agit pas de défendre le terrorisme islamique, plus d'un chercheur patenté sait, même s'il n'ose pas le dire, qu'une partie du Jihad réagit très violemment à l'inondation pornographique, à ce tsunami sur le web : il suffit que vous ouvriez la boite de vos spam pour être édifié. L'information est devenue un cancer généralisé, chacun y réagit, les objets voyeurs se multiplient, l'œil de l'autre est à vos trousses, à la télé, sur le web, partout on vous assassine de tentations, ou bien de menaces... Pluton s'en donne à cœur joie, s'insinue partout, invente pour chacun l'objet si désirable que, pour l'obtenir, il sacrifiera un peu d'intégrité, d'altruisme, de générosité.

 

Peut-on homogénéiser la terre avec la nouvelle messe du produit électrique, basique dans les pays pauvres, sophistiqué dans les pays riches ? Y a-t-il une culture de l'objet, qui rendrait intelligent l'utilisateur de l'ordinateur, d'internet, de la télévision ? Une fois de plus, toutes ces généralisations tombent à l'eau, et seule, la qualité de l'individu détermine la qualité de l'utilisation de l'objet : les paris sont ouverts. L'objet a gagné, l'humanisme a perdu, ses derniers râles donnent quelques indignations humanitaires, mais même ce dernier bastion de solidarité vraie pactise avec le diable, trop souvent, par des campagnes publicitaires qui absorbent une grande partie des dons, ou un recyclage de la misère dans de bons sentiments, avec des pratiques douteuses sur l'adoption... Un vent global semble favoriser la bêtise et le loisir penaud, pour endormir les masses exploitées : réjouis-toi du match avec ta bière. Un autre courant, au-dessus du panier, encourage la métaphysique du superficiel, l'identité par les marques, on n'est rien sans sa jaguar ou sa 4 quatre moins de deux ans, sans sa rolex et son bagage Vuitton, sans un portable dernier cri, même si l'on part, par snobisme lévystraussien, faire de la photo en Papouasie...(où, dans les tribus bas de gamme, l'initiation serait à base de double inceste... (d'où l'appellation bas de gamme)... Mais je n'ai pas pu vérifier la rumeur...)

Je me souviens très bien de ma grand-mère paternelle, qui m'a même élevé quand j'avais six ans pour une période d'une année, ce n'était pas un individu au sens où Jung l'entend. L'individu commence avec la remise en question. La ville, depuis cinq cents ans, permet de rassembler dans le même lieu toutes sortes de choses, d'activités, de personnes, de bestandwrong, et c'est cette concentration extrême de facteurs hétérogènes qui pousse le mental à s'éveiller. La première génération de citadins est encore assise le cul entre deux chaises, mais dès la troisième, on trouve du répondant, un bon petit ego personnel, et à la cinquième ça peut être l'horreur, comme ces gosses de sept ans des très beaux quartiers qui refusent d'aller à l'école s'ils n'ont pas des vêtements de marque... Faisons l'éloge de la cité, de la capitale, de ce qui part en avant avec le moins de réserve, le plus de folie et d'assurance, et sans vergogne.

 

Les choix pleuvent dans la grande ville, contrairement au code pastoral qui régit l'activité mentale du paysan, avec ses rythmes, ses cycles, ses contraintes identiques. Il y donc bien une culture, respectable, historiquement légitime, et foncièrement citadine, soit une manière d'utiliser le mental au-dessus des contingences. Cette activité subjective est entièrement libre de droits et devient forcément délectable à toute personne qui refuse de recevoir le présent à l'état brut, comme allant de soi, dans le prolongement de son éducation. La vraie culture reconnaît l'aléatoire, l'évasion, le voyage, la rupture, le seuil, elle importe l'exotique, sourit à l'hétérogène, elle permet à l'esprit de sortir du code binaire, moi meilleur que l'étranger, si tu me trompes je te tue parce que je t'aime, oui, la culture, avec l'art, son digne représentant, bafoue l'alternative binaire du oui et du non, et permet, comme le laisse entendre Woody, de choisir la troisième solution quand il n'y en a que deux qui se présentent, en concurrence. Elle commence le barattage le mental, qui peut mener au qui suis-je, à l'identité personnelle, qui n'est pas fondue dans le paysage local et ses coutumes.

 

Pourquoi défendre la culture ? Parce que la culture n'est jamais codée, cadenassée ni fermée comme un dogme. Elle rapporte les excentricités, loue les innovations, suit le mouvement des métamorphoses avec la question du progrès, qui ramifie davantage, et de la régression, qui coupe, isole, éloigne. Elle rassemble dans un moule mouvant des valeurs et des opinions différentes, et surtout, elle collectionne des témoignages, qui, grâce à elle, deviennent accessibles. Elle peut devenir une science du temps, car elle emporte toujours avec elle un peu d'Histoire, dont elle est une forme de quintessence. Aujourd'hui, le mode d'emploi de la culture est en quelque sorte perdu. Oui, elle a été assassinée par le reality-show. Oui, la littérature décline, à telle enseigne même, que certains écrivains réussissent (depuis peu mais c'est un signe), parce qu'ils n'ont rien à dire, et deviennent ainsi les complices de la médiocratie ambiante qu'ils encouragent, du consumérisme béat, du salut par l'objet. Oui, la philosophie n'a plus rien à se mettre sous la dent, sinon l'abîme, que nul ne peut représenter. Elle est devenue, la culture, comme le reste, prétexte à marchandiser, elle est devenue le valet de l'impérialisme nouveau, le loisir penaud, paresseux, sans aspiration autre qu'un laisser-aller minuté et rituel. Ou bien, à bout de ressources, elle fait dans la magie noire, comme ce chien qui mourra de faim dans une exposition, tel un objet, pour prouver quoi ? Là où l'on voit que l'ignominie se débrouille toujours pour redorer son blason, innover, créer...

 

Si l'on ne cesse d'évoluer, au contraire, on découvre la vraie culture, celle qui est le sparring-partner de l'expérience, celle qui vous agite en profondeur, et elle est d'une extrême exigence. On peut lire dans une autre optique que celle d'y prendre du plaisir, on peut voyager partout dans le monde sans jamais n'être qu'un voyageur égaré, et prendre, à la place des photos que les touristes japonais vénèrent comme de nouvelles déités domestiques, des photos intérieures, soit des « prises de conscience » sur l'altérité. Oui, l'individu réel commence par se forger ses propres représentations, Socrate et Krishnamurti sont d'accord sur ce point, mais nous devons faire attention, nous savons aujourd'hui que ces représentations peuvent être truquées par l'inconscient, et que notre travail ne consiste pas à décréter comment les choses devraient se passer, rien n'est plus facile, mais pourquoi, une fois la carte établie, l'itinéraire demeure aussi aléatoire... L'hypothèse que j'avance, c'est qu'il peut y avoir saturation, dans le moi, des représentations personnelles, pour aussi adéquates qu'elles soient. Une fois que l'on croit savoir qui l'on est, et ce que la vie peut apporter, le mystère demeure entier de cette béance absolue du moment, de cette matière première indélébile du temps qui passe. Oui, l'on peut toujours dénouer les nœuds de la pensée, et remonter vers l'origine silencieuse, la présence du Soi. Oui, l'on peut toujours se donner davantage au Divin, à condition de ne pas le déguiser avec nos minables appropriations mentales qu'on se fabrique, et qui lui font faire les grimaces de notre ego. Oui, un idéalisme absolu existe, en amont de toutes les philosophies, et il fait vivre pour la Terre, pour l'espèce, pour le Divin, sans s'attacher aux particularismes, par l'instrument de la connaissance. La force de gravité, le poids des choses, doit être compensé par une verticalité exemplaire, un feu dans le mental qui accepte ce qui est, et brûle aussi pour autre chose, à attirer par la perfection ou presque. Dans cette perspective, Bouddha et Jésus sont presque des jumeaux, encore-faut-il, au-delà des formes, découvrir l'efficace de l'humilité.(Et si on la cherche, on la perd).

 

Voilà pourquoi le travail intérieur est, finalement, confortable par certains côtés. L'action universelle n'a pas à être démontrée, et elle est un baume pour le guerrier, qui se met à dos tous les politiquement correct de la planète, des must de la gauche caviar aux canons des gourous officiels, des bonnes consciences irisées du Nouvel-Age, beurre et argent du beurre, aux jugements parfaitement cohérents, mais insipides, des détracteurs de l'Esprit, assis sur leur certitudes philosophiques, cyniques ou conquérantes. La débacle de notre société, justement parce que l'esprit de 68 n'a pas survécu, (étant donné qu'il était l'anticipation fulgurante d'un individualisme spirituel que peu de personnes ont pu conserver et mettre en pratique), peut, avec bokou de sance, amener enfin le citoyen urbain, au mental aiguisé, à pousser plus en avant son chemin, à faire confiance à son « sens abstrait », non seulement pour établir des stratégies contingentes, mais découvrir des espaces de lumière, sans finalité apparente, comme désincarnés dans un premier temps, et manquant d'utilité immédiate, mais qui annoncent cependant des prises de conscience cosmiques.

 

Arracher au dévidement de la pensée constructive, aux aguêts, inquiète, des prises qui l'immobilisent, et fournissent l'éclatante beauté du jour, à laquelle on ne demande rien.

 

24 Juillet

 

En fait, le but de cette commémoration de mai 68 est de montrer l'énorme distance entre ce que l'esprit perçoit, et ce que le moi intègre. L'avenir « meilleur » était vu à cette époque, sans fioritures, il était même là, déjà présent, dans un certain air ludique, pétillant, enjoué, détaché, cet air nouveau qui avait inscrit, pas loin des barricades, la plus belle formule révolutionnaire jamais inventée : soyez réalistes, demandez l'impossible.

 

Mais de la coupe aux lèvres, que de chemin. Du pressentiment de la justice sociale à sa mise en œuvre, que d'obstacles, de l'individu harponné par l'exigence de la liberté au moi qui « pense par lui-même », que de détours, d'atermoiements et de faux semblants. La chose est vue d'abord, c'est normal, le mental est hors du temps, et il peut donner la vision de l'avenir, pour peu qu'on aspire à changer le monde et soi, mais ensuite, réaliser, intégrer, voilà la difficulté. Autant dans l'Histoire que dans le yoga. En mai 68, la société regorgeait de solutions pour s'en sortir et il s'est passé si peu de choses... Aujourd'hui que les solutions font défaut, comme de simples mirages, que nulle prévision n'est fiable, que le chacun pour soi devient la règle de la survie économique, que notre société va nulle part, peut-être trouverons-nous, dans l'improvisation, dans l'urgence, des ressources insoupçonnées. Celles sur lesquelles on comptait n'ont pas fonctionné. Est-ce qu'il faut être au pied du mur, pour le traverser, dans un sursaut impensable de survie ?

 

Peut-être faut-il se retrouver sans armes
pour apprendre à combattre ?

 

Voilà, je me suis répandu, j'ai vidé mon cœur, nous étions des centaines de milliers à croire que les choses allaient tourner autrement, mais cela n'a été qu'un feu de paille. Il fallait le dire. J'ai ressenti, hier, que mon inquiétude pour l'espéce humaine m'avait permis d'avancer vite, très vite, désormais, elle est incompatible avec l'ananda supramental, et je dois en venir à bout. Cela me dispense de « m'en faire » davantage pour l'avenir de l'animal debout. J'ai donné ce que j'ai pu, et n'impose rien. Voir sans émotion les conséquences des actes de l'espèce, il faut s'y préparer, si l'on est prévoyant, pour ne pas être entraîné dans d'innombrables petites débacles, susceptibles de faire boule de neige. Certains retours de manivelle sont probables, pour purger l'esprit humain de sa flagornerie, de son arrogance, de sa cruauté.

 

Quoi qu'il arrive, c'est le Divin qui peine à ouvrir ses propres yeux, c'est le Divin qui se réveille dans la matière, à travers nous. Nous supportons sa longue ascension, Il nous a enrôlés. Il faut lui pardonner, en quelque sorte, de nous avoir impliqués dans Son histoire sans nous prévenir, et alors, tout s'éclaire, mais comme chacun sait, pour pardonner, il est nécessaire d'aimer. Le mental est ce que Lui permet de se promener dans le temps, en s'effilochant, et le fil qui nous échoit Lui appartient autant qu'à nous. Le Divin et le moi se partagent la pensée, notre pensée, qui, amoureuse des deux, va de l'un à l'autre en trompant chacun de ses amants. Oui, l'idéalisme divin agit, contre vents et marées, il porte en lui une révolution qui ne peut échouer, puisqu'elle ne s'oppose à rien. La contagion des éveillés est en marche, ils font leur boulot intérieur, qui tient la route n'importe où, ils n'attisent pas les frictions avec l'establishment, ils vivent « dans le secret du cœur », ni blasés ni indifférents au scandale du monde, mais prêts à un autre combat, celui de la Conscience, qui veut briser la coquille de l'Histoire, pour naître.

 

La suprématie du regard l'emportera sur le pouvoir des circonstances, petites ou mondiales, les mutants solaires, prisonniers d'un Divin sans limites, accepteront d'explorer l'animal incarné, programmé pour mourir, qu'une vibration inconnue voudra déprogrammer. Ce sera le dévoilement. D'ici là, le mensonge en rajoute, of course, tel un animal blessé.


4 Août 2008


SUR LE YOGA URBAIN...

Le site devient un véritable miroir pour l'internaute. Il rappelle les vieux dictons alchimiques, que sans un effort soutenu, aucune approche de la Pierre n'est possible, et qu'elle peut se cacher n'importe où. Le « journal » sert en quelque sorte de repoussoir, et élimine les personnes qui ne sont pas directement concernées par mon témoignage supramental parce qu'il ne correspond pas à leurs attentes. Bien qu'il soit clair que cette expérience est entièrement nouvelle, certains veulent la faire cadrer avec leurs représentations obsolètes, et voudraient donc que je fusse différent, ou que je dise autre chose qui leur convienne. On ne peut pas se faire d'image de moi, et c'est bien embêtant pour certains. J'écris des textes plus sérieux tu meurs, et de l'autre côté, dans le journal, je m'en donne à cœur joie et fais des numéros de cirque. J'étais déjà comme cela avant l'adolescence et je faisais plier de rire mes camarades en classe en faisant n'importe quoi, accroupi devant le bureau du maître, où chaque élève était censé pouvoir venir chercher un livre dans son casier.

J'accepte d'être dénigré et de ne servir qu'à quelques-uns pour le moment, ceux de ma catégorie en quelque sorte, très ouverts, avec un ego friable, des capacités faibles dans le domaine social, qu'ils considèrent comme décevant et injuste. Mais doués d'une possibilité de lecture impitoyable du moment, et d'une réceptivité supérieure, qui leur permet justement de reconnaître en moi quelqu'un, car ils auront abandonné leurs propres filtres pour saisir par identité des bribes de mes ouvrages. Les autres, et cela me fend parfois le cœur, passent à côté de choses qui pourraient leur être utiles, car ils ne voient pas de quoi il s'agit, chez Natarajan, alors que je suis un des seuls à toujours ramener la quête à la difficulté radicale, soit le moi, et le non-moi, et le lien permanent entre les deux. J'élimine tous les échappatoires. (Je n'ai pas grand mérite, le supramental m'y a forcé, et c'est à trente-trois ans seulement que j'ai réalisé que j'avais un « moi », que j'étais réellement distinct de ma perception, et m'assumer m'a demandé des efforts et des sacrifices zénormes). Par la suite, j'ai peaufiné cette navette, ce que je reçois, et ce que j'envoie, et la réflexion entre les deux. C'est une sorte d'anabolisme/catabolisme, si je me souviens bien, en fait, tout cela me paraît aujourd'hui naturel, d'être absorbé et d'absorber. Je fournis un système qui permet d'équilibrer, car en général, soit on est trop absorbé et on noie le témoin (ce que je reproche à une voie du cœur trop émotionnelle), soit on absorbe obsessionnellement dans un cadre trop fermé, et on ne se nourrit que de mets prédigérés, ceux qui entrent dans le système de conformité utilisé, et l'on ratemanque la dimension exhaustive du réel, interdit de séjour quand il déroge aux règles qu'on lui attribue...

On préfère rêver un supramental à portée d'acharnement uranien, ou bien l'on se poste toujours de la même manière, rassurante, dans un cœur ouvert à Mère, ou un intellect ouvert à Sri Aurobindo, avec le danger que la quasi-vénération d'un seul des deux, prive de ce que l'on pourrait découvrir en les reconnaissant dans leur complémentarité. Et en oubliant au passage, of course, que les conditions terrestres ont bien changé depuis leur disparition, ce qui rend compte en partie de la différence d'approche entre eux et moi de la même chose. Le travail de consécration demeure exactement le même, soit, mais le harcèlement social dont nous sommes aujourd'hui l'objet a bien empiré depuis la fin de la seconde guerre mondiale, voilà pourquoi, en réhabilitant le non agir, et en le mettant à la disposition de la quête supramentale, j'indique le chemin pour mieux supporter les pressions extérieures. Il n'est plus possible de les éliminer à moins de fuir, ou de se retirer très loin. Il faut faire donc avec, et je propose en quelque sorte un yoga urbain à travers mes œuvres, qui pousse à une reconnaissance plus profonde du milieu, qu'il s'agit de gérer, une reconnaissance plus profonde du relationnel, dans la double mesure où les comportements des autres soulèvent notre subconscient facilement dans les désaccords, et où nos propres postures suscitent des réactions. J'ai donc intégré la psychologie dans la voie spirituelle, en achevant ainsi un travail entrepris par quelques autres, mais mon cadre est le plus large de tous, comme devrait s'en apercevoir toute personne se plongeant dans les « principes de la Manifestation ».

Vu la portée de cette œuvre, je peux faire le malin dans mon journal et m'y défouler en m'amusant à donner une image fantaisiste, d'ailleurs souvent je pense à Nasruddin, et à sa joie inconditionnelle, quelles que soient les bêtises qu'il fasse. J'aimerais prolonger ses facéties, le voir prier Allah à la synagogue et Yavhe à la mosquée pour rétablir l'équilibre, il se mettrait à dos les croyants des deux religions, serait battu comme plâtre, et irait se confesser à l'église, où il demanderait innocemment qui d'Allah ou de Yahve est le père de Jésus, ce qui lui vaudrait d'être jeté dehors, une troisième fois... Il penserait alors battre la campagne pour trouver un commerçant indou auquel il se plaindrait de son aventure, et c'est là qu'il inventerait la fameuse canne à carottes, qu'il tiendrait religieusement devant le nez de son âne pour le faire trottiner plus vite.

Seuls les sots se laisseront berner par ma spontanéité parfois vulgaire, les autres prendront acte qu'un type rattrapé par le supramental, et qui a toujours aimé réfléchir, a livré le mode de fonctionnement de la vie qui remonte vers la Conscience. Oui, je m'amuse dans le journal librement, pour compenser l'impersonnalité majestueuse que le Divin a mis à ma disposition pour me permettre d'écrire le livre en question. D'ailleurs, l'idée de mourir subitement ne me gêne plus, justement parce que l'ai laissé la trace de l'itinéraire suprême pour ceux que cela intéresse, et vu la fréquentation du site, je crois bien que le texte serait sauvé trois ou quatre fois, même en cas de troupeau de tsunamis. Alors je fête ça dans mon journal en me laissant aller.

Mon style, présentement, permet à certains de m'éliminer la conscience tranquille, avant de s'attaquer à mes écrits, en m'attribuant un ego surdimensioné, mais... Selon le principe du semblable qui vote pour le semblable à toutes les élections, dans la majeure partie des cas où l'on m'attribue un ego surdimensionné, cela vient de personnes qui ne saisissent pas mon intention, la même depuis mon enfance, améliorer l'ordinaire, et qui projettent leur propre soif de pouvoir ou de reconnaissance dans mon discours, dont l'assurance lyrique et ironique devient tout à coup suspecte, alors qu'il s'agit seulement de jubilation enfantine et en aucun cas de démonstration de force. Je subis quelque chose de très intéressant pour l'espèce entière, et ce serait plutôt de la lâcheté de me taire, d'autant que j'ai les preuves d'avoir déjà été utile à quelques-uns, ce que je paie en étant discrédité par d'autres.

Mais plus on avance en connaissance, plus on découvre que c'est la loi, celle de la symétrie proportionnelle.

Qui se fait des amis se fait des ennemis, ou bien il faut rester au fond du trou. Je répète qu'on ne peut plus «agir » sans être poursuivi par une foule de gens médiocres qui vous prêtent des intentions délétères, et la culture du web va dans ce sens-là, donc bienvenue aux petites cabales dont je pourrais être l'objet... Monsieur jaitoutcompris donne son point de vue ordinaire dans des journaux en ligne, avec hargne, haine et incompétence, sur ce que font les actifs. Bernard-Henri Lévy, par exemple, est accusé et condamné, quoiqu'il fasse ou dise, par des milliers de français, toujours les mêmes, ceux qui ne lèveront jamais le petit doigt contre ceci ou cela dans les faits, mais jugent scandaleux qu'on s'appelle B.H.L, qu'on se mette en scène, etcetera, et qui trouvent une satisfaction quelconque, je me demande bien laquelle, à vilipender ce chroniqueur, cet électron libre, comme si c'était un mauvais bougre, ce que je ne parviens pas à m'imaginer, ne serait-ce que parce qu'il va sur le terrain, et brave parfois le danger, ce qui le change des cinq étoiles, où il travaille également. (Je ne vais pas calculer la proportion de ceux qui le dénigrent par simple jalousie, pourcentage énorme de toute façon, puisque cet homme s'autorise vraiment à vivre sa propre vie avec une désinvolture qui est une injure à toute forme de bien-pensance, et ce n'est pas parce qu'il agace qu'il mérite une aussi mauvaise image : il y a vraiment des problèmes cent fois plus importants que le cas B.H.L, mais c'est moins gratifiant de s'en occuper). Qu'est-ce que cela peut bien leur faire qu'un intellectuel vive sa propre liberté, ne suive aucun courant, et tire des sonnettes d'alarme ? N'ont-ils pas un combat à mener, qui les dispenserait de démolir d'autres combats, empreints, par la force des choses, des dernières scories subjectives des combattants ?

De la même manière, à une échelle bien moindre bien entendu, de nombreuses personnes qui n'osent pas m'écrire pour en avoir le cœur net et qui consultent mon site néant moins, parlent de moi comme s'ils s'y connaissaient assez pour juger de ma personne, alors qu'ils ne m'ont même jamais rencontré... Ils peuvent ainsi jouer avec un Natarajan virtuel sur mesure, à leur propre image, qu'ils ne soumettent pas à l'épreuve du contact réel, comme s'ils créaient un jeu vidéo dans les forums... , avec ce personnage auquel ils font dire ce qu'ils veulent s'entendre dire, le pompon de l'exégèse ratée revenant à ceux qui s'imaginent que j'ai « jugé » Satprem dans ce premier journal où j'ai tenté de donner une explication de son échec relatif. Personne n'attendait son décès, et cela veut dire que le yoga est sans doute encore plus difficile que ce que l'on s'imagine, ce que je me tue à répéter, non pour décourager qui que ce soit, mais pour mettre les points sur les i, cesser de dévaluer le supramental, et préparer les guerriers à aimer leurs épreuves.

D'où mes défenseurs contre mes détracteurs, des gamins qu'il faut bien laisser jouer avec les cubes de leurs « représentations », le temps qu'ils se fassent les dents sur des « personnes », avant qu'ils passent à des choses sérieuses, comme s'impliquer dans leur propre voie sans la comparer à d'autres qui leur échappent, au lieu de jouer à la philo du café du commerce, et prendre le témoignage des éveillés pour une sorte de défilé de mode abstrait et spectaculaire, à noter, qui leur permet de jouer aux cow-boys et aux Indiens en se rangeant derrière leurs totems préférés. Le plus drôle, c'est quand on se cache derrière une autorité pour me démolir, autorité morte et enterrée, qui ne peut donc ni prendre ma défense ni m'incriminer, mais qui est sensée néant plus cautionner mon exécution. C'est d'autant plus lamentable que,

Primo, je ne force personne à suivre mon propre itinéraire,

Secundo, qu'il est inimitable,

Tertio, que seul le vôtre peut vous mener au supramental.

J'ai le droit en revanche d'affirmer que les choses se passent d'une certaine façon, le droit de témoigner pour une évolution divine, le droit d'être ce que je suis, et le droit de le dire. J'ai le droit de me tromper, et le droit également d'être quasiment le seul à voir de quoi il en retourne, grâce au supramental. Mais si ce que je dis n'est pas compris, alors oui, of course, on peut s'imaginer que je veux être un chef de file, ou vizir à la place du vizir, ou que je veux assumer une autorité quelconque, ce qui est ridicule de chez Zabsurd, puisque je suis parvenu moi-même au supramental sans jamais me plier à aucune autorité extérieure, d'une part, et que, d'autre part, toute mon intelligence me prouve que la cœrcition ne mène à rien, que le christianisme est un leurre, car l'amour ne peut pas être rendu obligatoire sans devenir son propre contraire (sauf chez les mystiques), et que les autres religions, également, sont trompeuses, parce qu'elles ordonnent à l'homme de devenir meilleur, et ne fabriquent que des robots moraux. (L'Inde possède un statut à part où les religions ont pu donner du fruit, tout en n'échappant pas à certaines perversions).

Tant que le spirituel n'est pas naturel, il mène à des cultures intolérantes, où la culpabilité et la culpabilisation font régner la terreur. Ceux qui obéissent à la loi se sentent supérieurs, et condamnent ou asservissent les autres. § (À ce propos, chef d'œuvre en vue, chez Buchet-Chastel, Bombay maximum city... ) §. On peut d'autre part faire semblant d'obéir à Dieu, et servir le diable, spécialité maison des grandes institutions religieuses, gangrenées par des intelligences supérieures et fausses à leur sommet, des « êtres de mensonge » comme diraient certains... Bref, je n'incite personne à suivre la voie du tao, je ne donne d'ordre à personne, mais je dois bien avouer que certains me consultent, qu'en m'aime, et que nous partageons l'énigme du ciel tout en nous remettant à lui, parce qu'il nous intéresse au moins autant que notre propre « moi ».

J'ai apprécié Vivekananda, qui m'a littéralement soulevé, puis Sri Ramakrishna, Guénon a été limpide après l'éveil, et enfin Sri Aurobindo, lu parcimonieusement, m'a conforté dans le sentiment que la spiritualité pourrait changer la terre. Ils m'ont tous nourri, un point c'est tout, avec un détour par la Bible, L'Apocalypse de Jean en particulier, et une lecture ésotérique qui surgissait toute seule, avec cette assertion que jésus était prêtre selon l'ordre de Melchissedek, ce qui me ravissait sans que je puisse vraiment l'expliquer, sauf que je sentais des ramifications. Je n'ai jamais suivi de route le nez sur le guidon, car je ne pensais pas qu'il existait de voie « à suivre », et quand j'étais découragé, je me répétais la phrase de la guîtâ, « Prends refuge en Moi seul », qui me permettait de tenir le coup. Le travail a été fait par mon intelligence d'un côté, et mon aspiration de l'autre. J'ai suivi la piste de mes incertitudes, qui se sont emboîté les unes dans les autres, jusqu'à ce que la Manifestation me paraisse une mascarade enchantée, vu l'échec des avatars d'un côté et mon amour inconditionnel de la vie de l'autre, et j'ai voulu savoir pourquoi : pourquoi la conscience n'était pas capable de quelque chose de meilleur... ( Mon père m'avait abreuvé des excès de la Libération j'avais pas six ans, avec moult détails de tortures, je ne pouvais donc pas passer à côté du problème du Mal).

Et cela a suffi, parce que je suis resté rivé à l'essentiel, n'ayant pour moi-même que peu d'intérêt. J'ai pris du plaisir en passant, dix fois moins obsédé que tous mes camarades de l'époque, je n'ai jamais voulu jouer un rôle avant d'être allé au bout du sens absolu des choses, contrairement à toute cette élite intellectuelle qui partageait mon dortoir en Hypokhâgne et qui se voyait déjà aux commandes, ou bien en train de me sacrifier le jour du grand soir... Comme symbole de l'idéologie bourgeoise plus tenace tu meurs, certains rêvaient de me saigner. J'avoue nonne obstant quand même que le mot qui sonnait le plus à mes oreilles était celui de « métaphysique », de l'âge de 18 ans à l'éveil, à vingt-trois ans, mot qui me plongeait dans une douce euphorie feutrée, car j'y sentais la piste de Dieu, et c'était délectable, puisque je comptais remonter du parfum à Celui qui le porte, sans jamais perdre la trace. Ce n'était pas un amour sentimental, mais un respect immense et absolu pour ce que j'appelais l'Esprit, que je voulais servir, et qui, finalement, correspondra à l'expérience que je ferai plus tard en janvier 1977. (Perso, je ne regrette pas l'époque des années 75 où la psychanalyse était si triomphale qu'avouer des tendances mystiques indiquait of course qu'on était refoulé sexuel, ou à la rigueur en manque d'approbation. Le couple Marx-Freud avait envoûté les meilleurs esprits, qui croyaient pouvoir tout démystifier avec la seule lutte des classes, la trilogie du moiçasurmoi, et la libération sexuelle. J'arrivais comme un cheveu sur la soupe, et devais presque cacher mon éveil comme une maladie honteuse, tant l'air du temps était à la fois goguenard et prétentieux... C pas une vengeance, mais je crois bien qu'on va déchanter).

Quand on se sent vraiment impliqué dans une voie, les rumeurs, les ragots, les jugements sont des pets, et on refuse de participer au concours, quitte à être obligé de quitter Auroville, par exemple, où les gossips faisaient la loi, où la malveillance régnait en odeur de sainteté... Où les exécutions sommaires passaient pour du yoga... Où les plus culottés, comme d'hab, parvenaient à devenir des chefs de bande et à entraîner derrière eux un petit troupeau contestataire...

C'est tout ce mental-là qui est inutile (et dont la France raffole), celui de la récrimination gratuite contre l'autre, et la vérité, c'est que les gens qui changent vraiment le monde cessent de récriminer à tout bout de champ contre les autres: ils agissent d'une part, et s'attaquent à des structures d'autre part, ce qui ne leur laisse pas le temps de geindre parce que tout le monde n'est pas d'accord avec eux, ou d'accuser par principe qui n'est pas conforme. Les attaques personnelles n'ont jamais servi aucune cause, mais elles font la loi en politique, et encore plus à gauche qu'à droite, ce qui est renversant. C'est ça l'esprit français, on parle de ce que l'on ne connaît pas, comme si ça allait de soi de porter des jugements sur tout, sans expérience perso de la chose, c'est le mal français, mais en même temps, c'est magnifique. En étant toujours au courant de tout sans jamais rien approfondir, l'esprit français tolère mieux que n'importe quel autre mental planétaire les excentricités hétérogènes.

L'esprit français est une centrifugeuse qui dissémine partout des idées, souvent nouvelles, et il y a boire et à manger dedans. Ce qui fait qu'il se mêle de tout, surtout quand ce n'est pas chez lui et hors de sa juridiction, et qu'il se fait ainsi haïr. Pour un esprit chinois, le français est un menteur: il prêche les droits de l'homme dans le monde entier, alors que les prisons de son pays sont encombrées et minables, et qu'on ne s'y vante point de la condition des femmes battues, et de celle des hommes qui subissent des violences conjugales (130.000 cas déclarés). La France aime bien enterrer ses propres travers en dénonçant ceux des étrangers, elle fait ainsi diversion, et on pourrait croire que c'est une démocratie exemplaire, mais sur bien des points, certains pays scandinaves lui dament le pion. Le français « citoyen » devrait commencer par améliorer sa propre démocratie, au lieu de donner des leçons à tort et à travers à ceux qui sont soumis à d'autres cultures. Le mal français, c'est donc aussi le génie français: donner l'exemple au niveau des idées, pour se dispenser de les appliquer, et culpabiliser à tour de bras.

Si le supramental ne m'avait pas capturé, il n'y a pas d'autre terme, puisqu'après m'être échappé en 1983, il m'a retrouvé, je ne risquerais pas de parler de moi. Le plus probable, c'est que je me serais enfoncé dans l'alchimie, et que la providence aurait peut-être mis sur ma route un instructeur, mais je ferais dans le secret. Comme Sri Aurobindo a renoncé à libérer l'Inde politiquement, après Chandernagor, je ne pouvais pas décemment rester sur la même trajectoire après janvier 1977, et c'est donc le Tao qui m'a poussé dans l'exploration de ce qu'il y avait plus loin que le Soi, dont je me contentais, à vrai dire, puisque je m'étais mis dans la tête de devenir alchimiste, et immortel physiquement. Il faut dire aussi, qu'à la suite d'une histoire assez sombre, que je livrerai plus tard, je me suis cru menacé en 1976, et après avoir relu Stanislas de Gaïta, au lieu de penser à me protéger par une quelconque forme de magie, je l'ai fait d'une autre manière, en empruntant à Gurdjieff un concept que j'ai extrapolé. Bref, j'ai décidé de cesser de dormir, et cela a marché près de trois semaines, j'avais des phosphènes avant l'aube, et le cerveau devait peut-être récupérer quelques secondes, mais ma volonté était telle que je repartais, je buvais aussi un peu plus de café, mais c'était de l'arabica, et il n'a donc pas épuisé le système nerveux. Quand j'ai craqué, je suis tombé dans un sommeil d'une qualité extraordinaire, et suis monté sur différents plans « causaux », dont l'un était d'ordre supramental, mais l'illumination n'est venue que quatre mois plus tard, et c'est donc bien après que j'ai fait un rapprochement entre le scénario causal, dans lequel, sans aucune haine ni mépris, comme si cela allait de soi, je faisais tournoyer au-dessus de ma tête mes parents.

Naturellement, pour qui n'est pas versé dans ce genre de choses, l'image peut frapper et paraître négative, mais c'est un monde qu'on pourrait qualifier de symbolique, purement abstrait et vivant à la fois. J'ai littéralement adoré ma mère pendant très longtemps, ce qui me valait l'opprobre de tous, et quoi que je dise sur mon père, je n'ai pu ni l'aimer ni m'en rapprocher, il est resté un étranger ou presque, et les « reproches » que je semble lui faire ne sont que la couche superficielle d'autre chose, une analyse psychologique d'une part, et le souvenir du petit combat que j'ai dû mener pour ne pas être infériorisé systématiquement, et même y laisser des plumes. Quant à ses « travers », ils ne lui appartiennent pas en propre, je ne lui en ai jamais voulu, bien que j'aie eu à en souffrir. C'était un homme droit et intolérant, émotif et actif. Il portait des défauts génériques, était extrêmement colérique par exemple, et vers le tard, après ses nombreux échecs dans le domaine sentimental en particulier, il s'est légèrement ouvert et a commencé à accepter ma différence, que je mettais un point d'honneur, cependant, à escamoter en sa présence, dans un sentiment inaliénable de filiation, au-dessus des controverses. Contrairement à ma mère que j'ai cru en vain pouvoir changer, j'ai toujours senti que mon père était inexpugnable, et je l'ai accepté tel quel, tout en me préservant.

Donc, je suis bien obligé de faire avec ces « pouvoirs spéciaux », ces incursions « autre part », qui déterminent des choses ici-bas, depuis à peu près 1972. De 68 à 72, pour m'ouvrir à ces plans, j'ai été littéralement torturé chaque fois, puisqu'il semble qu'il faille traverser des mondes symboliques infernaux, inlassablement, qui procurent une vraie terreur, le sentiment d'une mort imminente, et l'impossibilité de se réveiller, alors que le « moi » qui joue à ce moment-là, le décide. Le corps est paralysé également. Cette voie m'a paru beaucoup trop dangereuse pour que j'en parle beaucoup, ou me risque à essayer de l'enseigner, et je n'en veux pour preuve que ce terrible moment, à l'automne 73, quelques mois avant le satori, où je crains vraiment de mourir pendant la prochaine excursion de ce type, et où je cherche, sans y parvenir, à me percer la fontanelle avec une sorte d'aiguille. Finalement, je renonce, car je ne trouve pas l'emplacement exact. Il faut dire, naturellement, que ces événements se passent quand ils ont envie de le faire, et qu'ils demeurent imprévisibles sur le calendrier, mais ils avaient été attirés par une sadhana totale et permanente, qui passait inaperçue tant je semblais adhérer aux événements.

Un esprit formel pourrait donc s'imaginer qu' en accomplissant l'exploit de reculer les limites du sommeil le plus longtemps possible, il a des chances de parvenir au supramental. À voir. J'ai simplement voulu me protéger, et j'ai été propulsé ailleurs. Je suis donc un peu darwinien, et, sans tomber dans la vénération de l'obstacle, je lui accorde des qualités au moins aussi puissantes que celles fournies par les alliés. Je pense qu'à l'époque, j'avais dû lire Ouspensky, et que j'étais tombé sur la notion de « sureffort » donnée par le fieffé. (Quoi qu'on pense de lui, s'il n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer. Je suis incapable de porter le moindre jugement sur lui, je ne le nomme pas, les initiés comprendront, mais je suis certain qu'il avait pressenti des choses.)

Comme je relis en ce moment le matin des magiciens, trouvé dans un état lamentable dans un bookshop de Legian il y a quelques jours, je retombe sur le fieffé, puisque Pauwels se répand sur le travail entrepris avec lui. Et de fil en aiguille, on parvient enfin au cœur du sujet. En relisant « le matin des magiciens », qui ose enfin présenter l'Histoire de la seconde guerre mondiale sous un jour pertinent, je reste tétanisé trois secondes, suspendu, et la conviction se forme en moi que, sans le supramental, le nazisme aurait pu triompher. Je me suis même dit en riant de moi-même que si tout le scénario de la transformation physique c'était du flan, et qu'on n'y arriverait jamais, Sri Aurobindo et Mère avaient servi à éviter que l'Histoire ne sombre dans un plan régressif, ce qui est déjà pas mal de chez supérieur top niveau. Cela m'a réjoui pendant quarante-huit heures, puisque, vu comment je suis fabriqué, c'est la terre qui m'intéresse, et non pas le salut individuel, la réalisation perso, et tout le tremblement de la différenciation individuelle, dont les hindous font grand cas, puisqu'ils jugent la vie inférieure et indécrottable, ce que le Divin vient de décider de changer.

La différenciation individuelle est une nécessité, mais, mon cher Watson, si tout reste uni, c'est l'ensemble des percées particulières qui assume la cohésion de l'ensemble, et l'évolution peut en augmenter le nombre. C.Q.F.D, pour en finir avec les chercheurs schizophrènes, pour qui le non-moi est l'adversaire de « leur réalisation ». Commencez par vous soumettre au non-moi, car vous continuerez d'y appartenir, même super réalisés comme Nisagardata le laisse entendre, dans son emphase irrespirable pour un mutant. Dégager le Soi, ok, il reste le subconscient de l'espèce à transformer, pour que les forces noires ne puissent plus s'appuyer dessus pour refaire du nazisme, quand l'occasion se présentera.

Finalement j'en reviens toujours à la voie qui peut-être tracée ne représente pas le chemin éternel, qui, lu autrement, veut dire aussi plein d'autres choses, vu que des « emboîtements de sens » sont possibles pour le même signifiant, en chinois. Ne comptez pas sur moi pour vous dire comment parvenir où que ce soit, sauf dans le présent, puisque c'est lui qui, de toute façon, recèle toutes les couches vibratoires de la Manifestation. C'est lui, et non pas l'avenir, qui est, finalement, une manière imaginaire de s'approprier le présent perso, car cela n'est pas encore démenti par les faits, donc on se gargarise de ce bien, ô combien virtuel, mais imprenable (Vénus a ses limites)... Comment indiquer le chemin ?

J'ai pratiqué, en quelque sorte, des trucs aussi contradictoires que le lâcher prise intégral, advienne que pourra, tant pis pour mon avenir (abandon de la fac en maîtrise), et le sureffort du fieffé, donc, me parler d'une voie, ou d'un enseignement, oui, si vous voulez vraiment que j'éclate de rire. Oui, il y en a une, ça s'appelle le discernement, et encore, seul, il ne mène pas forcément loin. Il faut qu'il s'accompagne d'une reconnaissance pour le réel, ou pour le Divin, assez puissante, pour qu'il ne se la pète pas, le discernement.

C'était une commémoration solennelle, mes bien chers frères, car c'est le matin des magiciens qui m'a ouvert la voie, j'avais seize ou dix-sept ans, et je me suis dit, tiens, je ne suis pas le seul à penser que l'étrangeté n'est pas un concept, mais le mot qu'on plaque, le voile épais pour se débarrasser des choses gênantes (inconnues, incomprises, réfractaires aux explications rationnelles). Quelque chose d'étrange, pour le commun des mortels, ça veut dire que ça le concerne sans le concerner. Et puis pour les autres...Ça commande l'exploration du réel. Sacré réel, difficile de ne pas l'idolâtrer à sa manière, dans l'érotisme, la liturgie, l'action, l'art, l'entreprise ou... La collection de timbres-poste, le match en direct, le repas dominical.

Idolâtrer, c'est séparer, et prendre ce qui nous arrange.

Nobles buts : le dandy voulait libérer l'homme de la violence, le fieffé « l'éveiller », Natarajan, le nombriliste autoproclamé, lui, pour ne pas faire comme les autres, décide de libérer l'homme de l'idolâtrie... Compte tenu du fait qu'après avoir idolâtré le Principe sans succès, on risque d'idolâtrer l'argent et la liberté, sans succès également, il faudra bien se rendre compte un jour ou l'autre, au niveau collectif si tu veux, que l'idolâtrie ne mène nulle part, sauf à se faire vampiriser par l'idole en question, insubmersible. (Non, je ne m'en veux pas d'avoir écrit cette lettre, l'idolâtrie des marques a vraiment commencé, signe de dégénérescence absolu, ce qui renverra le lecteur exigeant à la lecture de René (Le règne de la quantité) qui me semble une excellente préparation à la vision supramentale, trop abrupte sans intermédiaires « traditionnels ».

No problem de se libérer de l'idolâtrie, pour le Divin, mille ans c'est une de nos secondes, à vos athanors, et silence dans les rangs, s'il vous plaît. On y parviendra, lassés de se faire entuber. Que celui qui n'a jamais pêché apprenne à le faire. La pêche aux coïncidences, ça existe, le non-moi vous fait un gros clin d'œil, et le prochain pas se dessine tout seul, quitte à sacrifier cette chose à laquelle vous teniez tant, à accomplir dans cent mille ans, et cette synchronicité délivre de l'idolâtrie de l'avenir, une pathologie de l'esprit moderne qui nous mène droit dans le mur.

Sans forcer, le présent devient du passé tout seul, et devient de l'avenir tout seul également, ce salaud se déplace donc dans les deux sens à la fois, alors que toi, de toute façon, tu périclites. Tout ça n'a pas de sens, en tout cas, aucun sens obligatoire, aucun sens interdit non plus, mais fais attention aux sangsues, quand même. (Aux sens sus, c'est le langage des oiseaux, on donne un sens ésotérique mine de rien à des signifiants ordinaires, en l'occurrence, méfie-toi des sangsues, ou « sens sus », c'est-à-dire méfie-toi de ne pas donner un sens passé (su) à des choses qui arrivent maintenant, et qui n'ont pas, par def de chez catégorique, à s'aligner sur ton old-fashion savoir, tes cartes au trésor périmées, et tes convictions inoxydables, des fois que le réel serait plus fort que toi, par simple provoc, et susceptible de briser ta bestandwrong sans ton autorisation. Car les croyances, ça suce le sang, si tu veux, comme les petites limaces sanguinaires que j'ai une fois rencontrées au Sri Lanka ...En nombre, c'est assez désagréable, et tu ne les vois pas venir. Elles attaquent par surprise et te voilà avec les mollets dévastés.

Donc voilà, débarrasse-toi, c'est un ordre facultatif à te donner toi-même en oubliant que c'est moi qui le préconise, oui, chasse tes parasites intérieurs, ces programmes de décodage du réel enracinés dans de vieilles histoires, et qui font rétrécir l'ouverture au moment, sauf quand ça t'arrange, bien entendu. Quand ça grippe, tu es sur quelque chose d'intéressant, keskyresyst ? Toi, ou le réel ? (J'en ai déjà trop dit !).

Tu peux toujours essayer de fourguer tes formulaires au Seigneur de la concrétude matérielle pour qu'il t'obéisse et signe, mais sache, primo, qu'il n'est pas pressé du tout et qu'il adore poser des lapins, et que, septièmement, il ne répond qu'à l'aspiration la plus profonde, ce que Jésus a laissé entendre, avec une notion de la foi, qui n'a rien à voir avec une « croyance en Dieu », mais qui désigne une persévérance dans la ferveur, qui seule donne la force d'accepter ce qui est, contre vents et marées, vu que le chercheur de vérité devient sensible aux « péchés contre l'Esprit », et doit continuer de se démarquer du magma ambiant, sans renoncer en cours de route, pour découvrir les états transcendantaux. (Même Sri Aurobindo est resté six mois le bec dans l'eau, et mezig me suis pris une année sabbatique, la transcendance sans grosses zépreuves, désolé, mais je ne l'ai jamais vue de mes yeux vue, sauf si l'on croit transcender dès qu'une meurtrière se produit dans le ciel mental pour éclairer la cave).

Oui, l'avenir peut correspondre, mais non pas à ce que nous voulons, la volonté étant trop subjective et constellée de rajas, mais à ce que nous souhaitons, pour le bien de tous. Je ne te conseille pas d'obtenir ce que tu veux, même si tu le peux, après avoir lu le livre à la mode qui te donnera l'illusion de soumettre le réel, de l'apprivoiser à ta convenance en tout cas. Une fois rassasié, tu risques de cesser ta quête, ne réussis pas trop vite, n'obtiens pas tout ce que tu veux. Tu finirais dans un bocal sur mesure, et dans un drôle d'égrégore ...

À la nuance près, que, sans le discernement, on peut peu et on ratemanque beaucoup, à moins qu'on échoue systématiquement, pour se prouver qu'on a du caractère. Et l'on finit aux pieds d'une idole, avec l'immense mérite d'avoir l'impression de l'avoir choisie soi-même. Cela revient souvent chez ce Natarajan en question, brillant mais plus que douteux, que choisir son aliénation ne correspond pas à être libre... (Être l'esclave du Divin, c'est une autre paire de manches, naturellement, et une forme de liberté de toute façon insaisissable pour qui n'expérimente pas le Divin ou qui n'y est pas entièrement consacré, d'ici là, être libre signifie s'affranchir des survivances dynamiques, et de tout ce que l'espèce nous force à porter, et qui voile l'être psychique).

Je sais, c'est beaucoup vous demander et ce n'est pas mon intention, mais souvenez-vous : le fieffé et le dandy aussi étaient exigeants, que je sache. Si vous voulez savoir ce qu'est un maître, c'est celui qui ne s'arrête jamais. Alors arrête de prétendre que tu vas explorer la Papouasie, si tu n'abandonnes pas ton camion à pharmacie, okay, que tu foutais dans le convoi avec le trente-trois tonnes de ta boussole plus précise tu meurs pour assurer tes arrières ? De toute façon, tant que tu croiras pouvoir apprendre à nager hors de l'eau, avec un manuel, tu te noieras dans un verre d'eau. Plonge, mon chéri, ou tu coules ou tu nages, mais au moins tu es fixé. Terrasser la médiocrité des valeurs, des comportements, des ambitions, débusquer le subconscient, c'est possible, mais il faut accompagner le mouvement, bosser, tu comprends... Le surf, toujours le surf. Tu ne soumettras jamais la vague, mais tu pourras être, elle, un jour, et faire le tube, c'est promis. Le satori guette ceux que l'identité interpelle vraiment, jusqu'à se lancer à corps perdu dans ce mystère... Feindre l'abandon, comme les commerciales du désir qui espèrent une petite prime en rab, ça ne marche pas, avec l'univers, parce qu'il répond du tac au tac. Tu le nies, il te nie, tu le reconnais, il te reconnaît, c'est la loi de la liberté, exprimée dans le passage cinquième du Tao-te-King.

Dieu ne se donne pas à qui ne veut pas de Lui ; Il te respecte si tu peux T'en passer, et se planquera un max... Puis, si tu commences à L'aimer, Il t'en fera baver longtemps avant de Se donner, ce en quoi Dieu est fait à l'image de la femme fatale, irrésistible, sauf que normalement, Il ne te laissera plus tomber après. Il attend d'être sûr que tu sois crédible pour montrer le bout de son est, et les tests s'accumulent de telle façon que, si tu te racontes des histoires sur ce prétendu amour, l'objet de ton amour te pose lapin sur lapin, jusqu'à ce que tu le maudisses, ce qui prouve bien que tu ne L'aimais pas vraiment, dans le fond...

Davantage d'individus libres, au sens où nous l'entendons, c'est peut-être le prix de la libération terrestre, car les forces hostiles n'ont pas dit leur dernier mot, et elles demeurent des entraîneurs vers la perfection. Inutile de les haïr, c'est par là qu'elles nous récupèrent, inutile de les aimer, c'est par là qu'elles nous corrompent. Inutile de les contourner, elles se présentent, inutile de les appeler, elles ne se manifestent qu'au moment opportun. L'adversité fait partie du non-moi, bienvenue à l'adversité ! Bienvenue à l'adversaire !


6 Août


Il est plus que probable que je sois parvenu au supramental par cette ascension dans les plans causaux, qui, je le répète, est un processus qui m'échappe en partie, mais qui a toujours dégagé la route un max. Il doit y avoir d'autres moyens d'accès, naturlish, donc, je conclus, oui, les parents qui tournoient au-dessus de ma tête, à toute vitesse, comme s'ils ne pesaient rien entre parenthèses, cela veut dire of course que mon être « véritable » s'était dégagé de toutes les manigances de la vie, de la naissance, et devait donc être prêt pour autre chose, comme le supramental, par exemple. Ceux qui ne comprennent pas que le Divin dont il est question est en dehors de la Manifestation elle-même, à moins qu'Il n'en soit son origine la plus reculée, se font une idée fausse du Divin, contaminée par celle du Dieu créateur, qui n'a strictement rien à voir, et qui constitue un particularisme judéo-chrétien.

Le supramental existe par lui-même en dehors de la manifestation terrestre, à laquelle il n'a strictement aucun compte à rendre, et à l'homme encore moins. C'est donc aux singes debout, lassés de leurs grimaces et de leurs ruses, de leurs mots creux, de monter vers lui, et c'est possible d'y accéder. L'image est assez simple, la conscience se manifeste dans la vie dans un ordre ascendant, et n'a pas lieu d'arrêter son ascension pour faire plaisir aux communistes, aux athées, et aux libertins, for exampeul. La conscience utilise l'homme, comme en dessous elle utilise les animaux, et je ne vois pas pourquoi au-dessus de nous, elle n'utiliserait pas d'autres créatures, plus évoluées, qui seraient simultanément plus libres et plus conformes à son pouvoir suprême. Dans cette perspective, ramener à soi sa propre existence est bien entendu une entreprise grotesque, puisque ce qui nous anime nous dépasse infiniment. Les mystiques l'ont compris avant les autres, et c pour ça, of course, que la Conscience les contacte avant les autres, puisqu'ils n'opposent plus leur propre projet existentiel au flux éternel des choses. Ils consentent à autre chose, et se noient dans le mystère, car c'est ainsi que périt le vieil homme.

La profondeur des motivations requise est telle que, pour le moment, le supramental semble réservé à ceux et celles qui ne s'intéressent à rien d'autre qu'au Divin, et qui agissent en conséquence. Beaucoup prétendent ne s'intéresser qu'à Lui, mais n'agissent pas en conséquence, donc, malgré la cohérence de leur bestandwrong, la carte l'emporte sur le territoire, le mental sur l'exploration du réel, et la complaisance sur la consécration. Ils ratemanquent donc leur but, car il n'est pas présent à chaque instant, et il n'est donc qu'une représentation mentale pas tout à fait en prise avec le réel, ou de façon discontinue, ce qui empêche de rattraper l'immobilité primordiale.

Tout ça, parce que, malheureusement, nos actes et nos vraies intentions ont plus de conséquences que notre pensée, qui soudoie le réel avec l'imaginaire gratifiant. Elle aime faire des vœux pieux, et adore l'impossible à condition qu'il se soumette, ce qui, je m'excuse de vous l'avouer, ne peut pas se produire. Demander à l'impossible qu'il vienne nous manger dans la main, il y a longtemps que l'espèce s'y emploie, pour se faire mousser, mais ça finit par tourner court ou mal, Dieu devient le diable, et la liberté l'esclavage, les vices de formes s'en donnent à cœur joie, et se reproduisent comme des lapins, car cet abruti de mental prend l'image de la chose pour la chose elle-même, et on finit enfermé dans un univers de représentations, fantômes du monde réel.

Il s'agit de comprendre ce qu'il exige, l'impossible, de l'assumer, de fortifier nos intentions transcendantales, ouvertes, et alors, oui, on sort des sentiers battus, qui ont trop souffert les pauvres d'être autant battus, et on tombe sur des sentiers qui n'ont pas encore eu à se plaindre d'avoir subi de mauvais traitements, et qui enchantent, bien que la solitude y soit plus fréquente, et qu'il faille apprendre à se supporter tout seul et à dormir seul et longtemps dans un lit. Certes, ils sont parfois bordés de précipices, justement pour que l'enchantement ne finisse pas en ivresse transcendantale, en hystérie mystique, mais en true power de reconnaissance absolue d'être là.

Où ça ? Cher mètre ?

D'être né. C'est déjà exceptionnel, mon cher Mily.

Je crois que ça énervait Jésus de voir que les juifs et les romains se la jouaient comme si ça allait de soi qu'ils étaient là, identifiés à leurs petites affaires minuscules, au lieu d'interroger, à l'intérieur d'eux, le témoin virtuel, qui veut monter vers le Moi, s'élargir, respirer, recevoir et donner. La banalisation de l'existence prend des proportions monstrueuses, toujours et partout, alors que chaque instant est un maître. Gurdjieff aussi, il n'en pouvait plus, et c'est bien pour cela qu'il a employé le terme de sommeil, pour l'homme générique, encore plus concret et parlant que le terme d'ignorance, qu'on trouve dans le bouddhisme et l'hindouisme. Oui, c'est du sommeil, l'homme ordinaire, et pourtant, on ne peut pas le forcer à se « réveiller ». Cela ne marche pas. Aimer, c'est aussi aimer ses ennemis, et non pas seulement aimer le semblable. Le semblable n'a aucun « mérite » à s'aimer lui-même, et il ne peut même pas faire autrement. En revanche, grâce à l'intelligence, qui comprend, on peut aimer le différent, et là, c'est une grande victoire. On laisse les autres respirer, et en ce qui concerne ceux qui sont tellement différents qu'ils pourraient être nocifs, on leur rend hommage en se protégeant. L'amour sans intelligence, je n'y crois pas plus qu'au père noël, c'est un amour qui fait dans le semblable, et bute vite, trop vite sur le non-conforme.

Tout ce que nous pouvons développer et qui nous permet de dépasser l'amour du semblable pour lui-même, qui tourne en rond, tout ce qui nous fournit l'intérêt pour l'altérité et la différence, nous permet de nous élargir.

C'est le seuil de Saturne, que certains ne parviennent pas à franchir. Personnellement je me retrouve dans Tout, et dans n'importe quoi, mais je n'adhère pas de la même façon à toute chose. Comme Hallaj, qui disait connaître Satan, alors qu'il pouvait décréter aussi qu'il était la « vérité créatrice », Jésus se reconnaissait dans les pauvres, les faibles, les mécréants, ceux qui sont par def marqués de l'opprobre dans toute société. On n'insiste pas assez sur l'analogie entre Jésus et Hallaj, c'est dommage, parce qu'on finirait par comprendre que les individus ont beau être différents, ils passent par les mêmes épreuves, les mêmes portiques, et franchissent les mêmes seuils. Lanza del Vasto était revenu enchanté des Indes, car il avait compris que Jésus n'était pas un cas unique, et cela l'avait libéré. L'Histoire officielle sacrée, si on ne la limite pas à notre lopin judéo-chrétien censé être plus mieux que les autres lopins, compte une bonne trentaine de cas d'hommes qui dépassent tous les cadres, depuis trois mille ans, et vivent pour autre chose, une marche encore au-dessus du Soi où tant de maîtres s'éteignent. Et comme il est probable que parmi ceux qui montent aussi haut, la plupart restent ignorés, il me paraît intéressant d'en finir avec le mythe des quelques superdieux mandatés pour éclairer l'humanité, qu'on peut tout juste compter sur les doigts d'une main. Au passage, on comprendra que « Jésus fils unique de Dieu » constitue la plus belle supercherie de l'histoire du Kali-Yuga, le mensonge politique le plus pervers qui fut, mais, dès qu'on découvre l'esprit romain, qui a contaminé toute l'Europe, on ne s'étonne guère quand même. On s'étonne au contraire que l'empire romain soit en odeur de sainteté, alors qu'il fut pendant des siècles et des siècles un monde barbare parfaitement policé, ce qui est loin d'être incompatible quand on réfléchit en profondeur sur l'homogène et l'hétérogène, et qu'on ne se laisse plus berner par les représentations, tandis que des centaines de carnages défilent sans discontinuer, des carnages civilisateurs, en quelque sorte, comme on nous apprend à l'école, quand on nous vante les mérites de la colonisation en Afrique.

Changeons de sujet, ça fait trop mâle.

Mettre l'étiquette « divine » sur Sri Aurobindo ne sert à rien, sinon à creuser la distance, le mystifier, et faire un yoga inférieur, sous prétexte que nous ne sommes pas « divins », contrairement à lui. Je suis convaincu que Sri Aurobindo ne s'est jamais pensé divin, ni même différent des autres, et le début de son parcours, à la che Guevara, le démontre amplement. À partir de 1926, c'est une autre paire de manches. Le supramental n'est pas réservé aux « dieux », il sera à la portée de toute entité s'incarnant, quel que soit son plan d'origine, et qui voudra vivre pour le Divin plutôt que pour elle-même. Une « portée » de principe, puisque c'est la qualité de la sadhana qui déterminera le succès ou l'échec, comme dans n'importe quel type d'entreprise... D'accord, on ne peut pas expliquer pourquoi une petite minorité sacrifie tout à la connaissance ou à la mystique, tandis que le reste veut vivre pour sa propre vie, en réduisant le Réel à un cercle minuscule. Le fait est là, et on peut très bien vivre avec, sans mépriser personne, sans jalouser ceux qui sont devant, et, dans l'ensemble, on peut reconnaître aujourd'hui un frémissement collectif pour la Vérité, produit davantage par l'échec renouvelé de la société que par attirance directe pour le Divin, mais ce qui compte, c'est l'orientation du mental. Qu'il s'intéresse au Vrai par amour, ou bien parce que c'est la seule chose qui reste à découvrir, il peut rejoindre le cœur, et il faut en quelque sorte parier sur le désarroi de la société actuelle pour qu'il en sorte un nouvel esprit holistique. Tant que cette jonction ne sera pas établie, les intelligents manqueront de bonté au nom du réalisme, et les « aimants » manqueront d'intelligence dans une systématique projection de soi en avant, idéalisante, et qui se satisfait d'engloutir le non-moi sans vrai discernement, dans une ouverture qui finit par être opportuniste et répétitive.

La vison supramentale réussira, si elle s'implante, car elle est complète. Dès maintenant, il s'agit d'estomper les différences entre les voies, afin de ne pas exiger du Moment qu'il se conforme à notre propre chemin, mais on peut cependant conserver les caractéristiques de chacune. Sri Aurobindo l'a vu à partir du supramental et l'a consigné dans la synthèse des yogas, moi je le sens à partir du long barattage de la shakti dans le corps, et je vois bien que je subis différents mouvements qui ne se contrarient plus, ce sont des types différents de la même reconnaissance, absolue, de la réalité, qui s'expriment dans plusieurs directions. Notre « balayage » du champ peut toujours s'élargir, et c'est ainsi qu'on finit par vivre l'instant « sans attentes ». C'est là qu'il révèle les signes de piste authentiques. Ce qui entre dans ce que nous connaissons déjà n'est qu'une confirmation du passé. La difficulté, c'est donc de profiter de ce qui ne correspond pas encore à du représentable et du récupérable dans notre système, mais je me tue à affirmer que, justement, l'intelligence sait « agir » comme cela, mais nous devons nous autoriser à absorber les chocs, d'un côté, et à examiner n'importe quoi, de l'autre. En dehors de notre propre référentiel.

Le problème, c'est que nous croyons à notre propre intelligence, et vu que c'est « la nôtre », elle est forcément débile, puisqu'elle arraisonne et condamne ce qui ne lui convient pas. Le dandy lui aussi a dit quelque chose du même genre, en dénonçant l'appropriation subjective du réel par la croyance, aussi subtile fût-elle (comme cultiver l'idée de se débarrasser de la pensée, qui est une croyance, c'est trouver la pratique non-mentale qui compte, mon cher Watson !)

Je ne dis pas tout cela pour ramener à « ma cause » les adeptes du fieffé et du dandy, mais seulement parce que je les ai à l'esprit en ce moment et qu'ils concordent : le sommeil provient de deux choses qui s'épaulent, s'approprier le mental et s'approprier sa propre existence, ce qui la met en sommeil, ce qui la coupe de la totalité. Peut-être que « la nature » nous moule ainsi, dans la prééminence du moi pour le moi par le moi grâce au moi et avec lui... Mais, justement... Quand on part sur les traces de la transcendance, où qu'on la débusque, elle ne se contente jamais de la nature, y compris dans le tantrisme, où elle est réintégrée après avoir été longtemps conçue et vécue autrement. Et, où que ce soit, la notion d'identité n'est plus conforme à l'image générique, d'où les termes techniques qui précisent le travail à effectuer : ego, personnalité, caractère, personna, vieil homme, dormeur, ignorant, etc...

Le travail de reconnaissance du non-moi, puis de l'altérité, puis du Divin, pour retrouver par où l'on appartient à l'univers, ou au Tao, c'est ce qui nous reste à faire, et ce n'est pas parce qu'il existe des centaines de voies qu'il faut en profiter pour se fourvoyer. Il y a un circuit fermé à briser, et le maître choisit sa propre manière de transmettre comment y parvenir...(Ceci dit, rien ne t' empêche de porter des œillères, c'est mieux qu'avoir les yeux bandés, et tu peux répéter fièrement : au royaume des aveugles les borgnes sont rois, pour te sentir à la hauteur). Inutile de me discréditer au nom de Gurdjieff ou de Krishnamurti, je ne cherche pas à dérouter leurs soi-disant « disciples » ou « antidisciples »... Mais il se trouve que l'évolution ira encore plus loin, et ce n'est pas de ma faute. Je ne contredis personne au nom de la supériorité du supramental, les éveillés ont raison jusqu'à ce qu'au-dessus les choses apparaissent encore différemment, et cela n'a pas lieu de cesser, jamais.

Dans le yoga supramental lui-même, des progrès s'effectueront de génération en génération, probablement parce que la résistance diminuera, et l'idée même de parvenir est ridicule. Profitons des étapes franchies pour mieux supporter les suivantes, qui sont parfois encore plus difficiles.

Chaque « éveillé » prépare le terrain pour encore plus de transcendance, chaque maître a son ipséité propre, même dans l'impersonnel, et, vu d'en haut, nous faisons le même travail. Se détacher de la suprématie d'un gourou particulier peut être fort utile. Si, d'un point de vue technique, et donc pragmatique, on les considère comme des stratèges, chacun a sa façon de jouer, et de transmettre son art de la guerre contre le sommeil. Les éveillés voient bien entre eux qu'ils font la même chose, mais les dormeurs se disputent à noter et à classer les maîtres en fonction de leurs propres préférences sur la sonnerie du réveil... Ce qui les dispense de sortir du sommeil en rêvant de marqueterie transcendantale, où Jésus vaut 17, Bouddha 14, etc.

« Je veux bien être réveillé, mais pas par n'importe qui, sinon je préfère continuer à dormir... »

Lamentable !

Les fausses voies séparent, voilà pourquoi les meilleures doctrines sont pleines de failles et de trous : afin qu'on ne puisse jamais les suivre les yeux fermés, afin que soit vérifié chaque postulat, par l'expérience. Toute recette tue l'Esprit, mais rien ne peut détruire l'aspiration à Être. Reste à voir en quoi c'est différent de « vivre », et là, les inégalités sont géantes.

Nous avançons quand même.

Pas besoin de propagande à diffuser, pas besoin de dogmes à dénoncer. Ceux qui veulent convaincre et ramener à eux risquent de tomber sur plus fort qu'eux et d'être appâtés hors de leur dharma. C'est assez mode en fin de cycle... Tu prêches pour ta paroisse, et tu te retrouves dans une autre église, on t'a retourné le compliment... Ça t'apprendra à recruter...

Ne séduis pas et tu ne seras pas séduit, en quelque sorte... S'il ne s'agissait là d'un clin d'œil, bien entendu...

Personnellement, je n'imagine pas Sri Aurobindo m'interdire de faire mon propre yoga « éclectique », comme si je le trahissais, parce que je puise partout ma nourriture. Il est tout à fait possible de se dédier, en quelque sorte, à un maître particulier, tout en continuant à apprendre des autres. Seules les vérités formelles peuvent se contredire. À partir d'un certain niveau, la vérité est conforme à elle-même dans n'importe quel enseignement, ou voie. C'est cette vérité-là la plus intéressante, celle qui résiste partout, au cœur de chaque tradition. C'est inutile de l'enrubanner dans du « supramentalisme » supérieur, ou du christianisme originel, ou du zen au carré, ou de l'hindouisme pur, ou du taoïsme ésotérique... Elle n'est pas dans l'objet , mais dans le sujet.




1er Septembre 2008


Je reviens enchanté d'un voyage à Bornéo, où j'ai fait les deux districts malaisiens, Sarawak et Sabah. L'empreinte chinoise y est forte, et cela m'a requinqué. La Malaisie partage avec la France le génie de la cuisine, c'est aussi un pays très actif, avec des chinois et des musulmans, à l'opposé presque de Bali, où le « travail » n'est pas encore vraiment devenu une valeur sociale, mais où la pression pour qu'il le devienne se fait désormais sentir, à cause de l'augmentation brutale de l'essence et de l'électricité. Je me vois bien déménager bientôt vers la Malaisie, ou peut-être la partie indonésienne de Bornéo, si je veux vraiment continuer la chasse sous-marine, interdite en Malaisie. Bornéo comporte des villes très modernes, inattendues, comme Kuching ou KotaKinabalu, le poids du passé ne s'y fait pas sentir, les racines religieuses semblent présentes et assez légères, la vie se vit sans encombres, les egos ne sont pas encore formés à se défendre contre tout un tas de trucs comme en Occident. La nature y est extraordinaire, la mer très chaude, la vie bon marché. C'est le pied. Ceci dit, je me vois partout ailleurs également, car je laisse l'altérité jouer un grand rôle dans mon existence, et des événements extérieurs peuvent donc décider du lieu de mon avenir. Je me suis libéré de toute crainte et de tout espoir concernant 2012, pour certains c'est une carotte, et je n'ai rien à redire là-dessus, mais ce n'est pas ma tasse de taie, je dors sur mes deux oreilles de toute façon. Cependant, si la big Histoire nous refait le coup de nous mettre le nez dans notre KK, je conçois tout à fait de jolis scénarios, dans lesquels je deviens nomade, à moins que je sois enlevé par les extraterrestres, ou que je me réfugie avec une petite bande, sur une île inconnue...

J'ai relu mon journal, et je n'ai plus envie de commenter la société. Il me fallait dénoncer l'esprit français, que j'ai subi en hypokhâgne et en khâgne, puis à Auroville, et maintenant un peu sur le web, ce petit mental critique minable qui trouve toujours à redire, qui aime aboyer par principe, qui se délecte à accuser, qui confond réquisitoire et dialectique, et qui ne fait jamais rien de concret, ou si peu, qu'il se réduit à une sorte de vapeur, de brume, qui noie dans un flou artistique tout ce qui se démarque.

De toute façon, abasourdi quelques jours par l'éditorial de jean Daniel, où mezig a perdu ses dernières illusions zumanistes... Je n'ai plus qu'à « fermer ma gueule ». Vu qu'il aurait toujours existé, selon lui, plus ou moins larvé, un antisémitisme de gauche, je rends mon tablier...

Pour moi l'idéalisme, c'est ce qui peut changer le monde, mais non pas n'importe comment. S'il s'accompagne d'un droit à la haine proportionnel à la hauteur de ses ambitions, il faut le jeter à la poubelle, tout de suite. Nouvelle ou analyse d'autant plus consternante que ce n'est un secret pour personne que beaucoup de juifs sont de gauche, ce qui revient à dire, en prenant des raccourcis, que la gauche n'a pas réellement d'identité, et qu'elle n'en a jamais possédé peut-être, car on ne peut pas fonder une identité sur une simple opposition à son contraire.

Il faut qu'elle ait des fondements.

La gauche est toujours contre, contaminée par les principes de l'anarchie, et elle s'imagine que ce contre tient lieu de pour, comme un ado s'imagine libre parce qu'il dit merde à son père, avant de soutirer du fric à sa mère. Ce n'est pas sérieux. Alors j'abandonne. Je pense au frère de Sri Aurobindo, qui est resté dans l'activisme, et qui n'a pas « fini » de la même façon que notre maître ... Chacun sa voie. Je travaille moi aussi en amont des secteurs social et politique, et ce n'est même plus la peine de les accuser de quoi que ce soit. La France souffre, s'essouffle, veut continuer à jouer dans la cour des grands, ce que Giscard, dont tout le monde aura remarqué la physionomie chinoise, ne préconise pas. Je suis d'accord avec lui. La France a toujours pété plus haut que son Q.I, et elle tient à persévérer. Lui enseigner « le profil bas » me paraît voué à l'échec... La réalité finira par la remettre à sa vraie place, qui est juste en dessous de là qu'elle s'imagine... La pauvre.

Elle qui aime tant donner des leçons... Il y a même une prophétie de Sri Aurobindo sur la « destruction » de l'Europe... Je ne suis pas millénariste, ni enclin au catastrophisme, mais comme les plus perspicaces l'auront remarqué, je précise qu'en dessous du règne mental, qui interprète les choses, existe le réel lui-même, indépendant, dont nul ne contrôle le développement. L'Histoire ne sera jamais conforme à ce que l'on en attend, qu'on se le dise, pour absorber les chocs, prendre du recul, vivre pour l'Esprit. Faut-il se préparer ? Oui et non. Notre évolution spirituelle n'a pas lieu de dépendre de « ce qui arrive », mais « ce qui arrive » possède un impact sur notre psychologie, et c'est là qu'il faut travailler. Quoi qu'il arrive, cela ne doit pas nous détourner de l'Esprit. Les plus experts peuvent même profiter de l'état d'urgence, et ceux-là méritent le terme de guerriers. Les autres peuvent réfléchir et méditer sur le détachement, leur capacité réelle d'accepter ce qui est, sans rechigner, ou de changer brutalement de cap existentiel. Oui, il y a une accélération plutonienne. Tout le monde veut plus.

Plus de quoi ?

Cela dépend du niveau psychologique. Mais tout le monde veut plus, et ça mène à la foire d'empoigne, merci Pluton. Les psychorigides vont devenir carrément méchants, la conscience tranquille, car ils veulent plus de certitudes sécuritaires, les pervers commencent à revendiquer sur le web leurs déviations, et demain, plus personne n'aura le sentiment d'avoir une identité s'il n'est pas un people...(et roule en Jaguar). Moi, je trouve que Maya a beaucoup d'imagination, et je ne lui en veux pas. Et tant pis si personne ne se rend compte que l'Histoire n'est qu'un immense feu d'artifices, avec des gerbes de valeurs qui éclatent dans le ciel sombre, de toutes les couleurs, et qui retombent aussi vite. Les religions et les ... ismes se sont partagés le ciel obscur du temps jusqu'à mettre l'homme à nu : plus il revendique son indépendance, plus le cosmos le rappelle à l'ordre. Normal, le centrifuge et le centripète sont proportionnels, sinon tout se casserait la gueule. Alors l'avenir, tu m'en diras des nouvelles... D'ici là, don't hoiries, il te reste le présent, et c'est déjà pas si mal tout bien considéré, vu qu'hier n'est plus, mort et enterré, et que demain est déjà en retard de la plupart de tes attentes, mon chéri... D'accord il ne te reste pas grand-chose si on y va par là... Si je t'enlève tes illusions : alors tu peux les chérir si tu les crois utiles.

Mais si tu les perds, ce n'est pas si grave : ta vision du réel s'élargit, et cela te contente assez pour que tu n'exiges plus de lui qu'il soit conforme à tes attentes puériles, donc, tu gagnes énormément en largeur, et tu autorises enfin le réel à être ce qu'il est, hors de ton consentement !

C'est gagné, ou presque.

C'est comme ça, comme disent les pandits pédants de Bénarès, qu'on se rend compte finalement que cet horrible samsara n'est rien d'autre que Lila, le jeu du Divin. Encore faut-il transmuter ton regard, et voir dans le mal un bien qui se cherche. Alors tu ne haïras plus personne, et d'autres clés te seront données...


5 Septembre 2008


J'ai réalisé hier que toute l'humanité ou presque vivait superficiellement. C'était une vision. Assez amère, je surestimais l'espèce. Cela ne peut plus durer.


6 Septembre 2008


Le constat d'hier n'a pas laissé de traces obscures. Il y a encore des âmes qui débarquent sur terre pour « vivre leur vie », et qui seront à jamais incapables d'œuvrer pour une amélioration sociale ou psychologique. Le problème, c'est que la vie sur terre est compromise, et que les êtres humains responsables, ceux qui aspirent à s'améliorer, doivent augmenter en nombre. Le déferlement d'énergies spirituelles doit créer une aspiration collective à un monde meilleur, plus informel. Les intégrismes vont donc se renforcer puisqu'ils veulent faire entrer l'avenir de force dans des lois obscures et minuscules, qui nient la diversité des êtres, des cultures, des valeurs. Certains enseignements du surmental vont enfin être compris et suivis, par des êtres sincères, et la reconnaissance de l'amour universel peut s'amplifier. Comme je reste fondamentalement un terrien, je ne peux pas réduire la recherche de la vérité à la seule quête spirituelle. Il y a des humains qui changent de trottoir plutôt que de passer devant une librairie ésotérique, à cause de la tentation d'y pénétrer of course, et qui sont bien décidés à agir concrètement pour améliorer les choses. Il existe une spiritualité qui ne se considère pas comme telle, et j'ai eu la chance une fois de rencontrer un homme qui la représentait. C'était un expatrié, avec un accent slave, assez âgé, très tonique, qui semblait carrément agité de l'intérieur par la bonté, et qui venait témoigner de je ne sais quelle action humanitaire. Je me souviens encore de sa remarque qui m'a stupéfié : « pour un éveillé, vous êtes vraiment sympathique. » Il avait dû être pris de haut par des imitateurs de Sankara ou des perroquets transcendantaux, qui méprisaient sa philanthropie. Cette âme finira par se réaliser sans le faire exprès, car son combat est juste.

C'est ce genre d'expériences qui me pousse à remettre à leur place les commentateurs de Sri Aurobindo vernissés, qui font dans l'egocentrisme transcendantal, la condamnation de principe du non-conforme à leur bestandwrong caricaturale, parce qu'ils ont pénétré intellectuellement le système le plus parfait de la planète, et qu'ils s'y enferment en se prenant pour Dieu. Courant, en Inde... Étrangement, il y a plein de types incapables de donner quoi que ce soit à qui que ce soit qui passent maîtres en commentaires sublimes. Il semble que l'incapacité à s'impliquer « pour de vrai » produise systématiquement de beaux parleurs, et c'est dans cette direction qu'il faut chercher les racines du mensonge.

Dans le discours qui dispense d'être confronté au réel,

Puisque le discours lui-même devient le réel.


Et finit par le remplacer... Et n'oubliez pas cherzamis, que l'interprétation pour elle-même détruit son pratiquant. Cioran y a laissé sa santé, Shopenhauer le pauvre, laissons-le où il se trouve, et Derrida est mort, il y a peu, dans la souffrance morale, lui qui a été adulé en Amérique... Quand on élimine le Divin pour une raison ou pour une autre, et qu'on est intelligent, on flippe forcément sur l'impuissance humaine. Koudbol, Le Divin existe, et les exaltés l'emportent d'une courte tête sur les cyniques objectifs qui ont tout compris, et vivent dans des jardins à la française. Merci Péguy, Claudel, Teilhard, Bergson, mais on ne s'étonnera pas que ceux qui ont prêché par l'exemple la « différenciation » individuelle qui ne se sépare pas du Tout, aient été moins appréciés que les clowns tristes qui ont loué la différenciation contre le Tout, comme Nietszche, puis Camus et Sartre, en grande odeur de sainteté pendant longtemps, différenciation systématique, qui est beaucoup plus facile, puisque l'opposition capricieuse, à tout et à rien, suffit... Jung avait compris le principe d'une différenciation/réintégration, qui lui est venu de l'Orient, et il n'a pas agité le drapeau d'une liberté souveraine appropriable par une pensée culturelle, ce qui le met dans la catégorie des auteurs profonds, ceux qui demandent trop à l'esprit avide d'une recette de bonheur... Mais il a fait exploser le cadre de la pensée occidentale, qui se prévalait of course d'être la plus mieux de toutes, en s'économisant l'humiliation de se comparer à l'hindouisme et au taoïsme. Il a aussi attaqué la notion de moi autonome en laissant entendre que chacun pouvait colporter des scories de ses ascendants, et même si la notion d'inconscient collectif demeure difficile à expliciter ou à justifier, c'était un raccourci pour nous faire comprendre que nous sommes manipulés par des instances qui nous échappent, et pas seulement sexuelles, comme Freud voulait l'établir. C'est idiot d'empêcher l'univers d'entrer en nous, par le doute sur ce que nous sommes, puisque c'est lui qui nous compose de toute façon. Reconnaître son action en nous, ouvre toutes les portes, mais il faut, eh oui, avoir l'âme noble, sinon on ne s'attribue plus ce qui se passe en nous, et le danger de s'autoriser n'importe quoi se manifeste. L'ego a aussi un sens transcendant, et permet une différenciation. Il devient inutile à un moment donné, mais persiste quand même. Zatis ze kestion, ici encore la fameuse formule grecque nous renseigne, allons prendre l'air, parce que c'est désespérant de voir l'ego survivre à la volonté de l'anéantir... Mais c'est un acte libérateur intemporel et informel de se consacrer, et l'attachement au résultat est donc encore une survivance de l'ego qui veut obtenir, parvenir, réussir, verbes qui pour l'Etre sont assez inconséquents, sauf dans de petits domaines contingents.

Marx, avec son « je produis donc je suis », avait provisoirement détrôné Descartes au palmarès de la konnerie universelle bien-pensante, cogito ergo sum, « je pense donc je suis », qui ouvre à la pensée en vrac un statut « ontologique », c'est-à-dire l'inverse exactement de ce que disent les maîtres du Soi. Pour lesquels la pensée empêche l'être, et ils ont raison les bougres, ce qui fait que la barre de la réalisation est très élevée, car la pensée nous colle à la peau, au cerveau, et même au pénis (pardon mesdames, au phallus), vu tous les fantasmes et scénarios que le principe de la sexualité peut éveiller... sans demander l'avis, souvent, de celui qui part dans ce genre de vidéo virtuelle...

Sans le présupposé de Dieu, la pensée tombe facilement sur l'absurde et doute de sa propre légitimité. Camus a même fondé un humanisme sur l'Absurde, ce qui est un nouvel oxymoron fort intéressant : « ça ne sert à rien, mais faisons-le quand même...  » Résultat des courses, après l'échec des idéologies, cela vaut mieux de « penser » avec Dieu, cosmicisé en quelque sorte, mais il faut se farcir toutes les superstitions qui vont avec, et Dieu ressemble alors à un diamant caché dans une décharge qui pue sous le soleil, mais c'est quand même mieux que l'Absurde avec un grand A, un véritable désert d'ossements entouré de ruines, un présupposé qui mène au cynisme, et surtout à la vénération de la nature, de la force, de la ruse, puisque les valeurs morales perdent toute consistance quand la société ne renvoie plus qu'au triomphe de l'argent, de l'opportunisme, de l'exploitation... (Hic et nunc ?) le problème c'est que ce présupposé peut de plus en plus se fonder sur l'observation elle-même, et contamine ainsi de nombreux cerveaux, privés d'espérance... D'un certain point de vue, le Nouvel Âge est la juste compensation au Marxisme. Comme le marxisme faisait croire à un bonheur collectif, le nouvel Âge veut faire croire à un bonheur « cosmique » partagé, et il est tout à fait conforme au renversement du yin et du yang de voir succéder une mythologie cosmique à un mythe historique défunt,

cétadir de voir une illusion horizontale remplacée par une illusion verticale.

Dans les deux cas, l'avenir est vendu sur bon de commande, ce qui est contraire à la Tradition, à l'ascèse, au yoga, à l'ouverture au Tao, et le problème donc, est toujours le même, c'est Ouroboros. On veut changer le présent au nom de l'avenir, on anticipe sur ses propriétés, et le vrai moment est déguisé par des habits tout neufs, on s'appuie sur des leviers imaginaires, mais parfaits, au lieu d'admettre son impuissance, sa petitesse, l'hypnose mentale que l'on subit, et au lieu de transformer, on poursuit un conditionnement supérieur. Les principes qui doivent enjoindre la transformation du moi ne peuvent être d'ordre contingent, notre être n'est pas là seulement pour mieux s'adapter à un nouveau décor, une nouvelle Histoire, à l'Apocalypse. Mais tant que le sentiment grégaire est prégnant, on ne comprend pas jusqu'où peut aller le moi dans la Conscience, et on rêve seulement de vivre mieux. Ramener le Nouvel Âge à la pure quête est d'autant plus difficile qu'il peut prétendre représenter une tradition de l'avenir, et fournir des « moyens » d'évolution qui ne figurent pas dans les doctrines du passé. Tout cela est à passer au crible le plus fin, mais la devise « je suis heureux parce que je suis un être cosmique » est fausse. On devient d'abord cosmique, et je vous prie de croire que c'est autrement plus difficile et astreignant que ce que le Nouvel Âge laisse entendre, et si on a encore la force d'être heureux quand on n'existe plus, et bien tant mieux. Mais il ne s'agit plus du même moi... Et c'est cela qui est intransmissible, le changement de perception qu'induit la réalisation. Il y a un mur, une barrière, et ceux qui l'estompent pour vous booster, soit en veulent à votre argent, soit à autre chose, mais ils ne sont pas sérieux. Il fo traverser l'abîme.

Utopie sociale, puis utopie cosmique...

C'est la loi du balancier.

Maintenir le Nouvel Âge dans un cadre réellement spirituel, comme une sorte de campagne de marketing pour ramener à des choses plus essentielles, me paraît presque faisable si la vibration électromagnétique augmente encore, et comme je n'ai pas l'habitude de jeter le bébé avec l'eau du bain, nous devons faire dans la dentelle pour évaluer la portée et la qualité du mouvement... Mais comment apprendre à lâcher le New edge pour la voie proprement dite, sans attaquer, de front, la complaisance du système et ses amalgames meurtriers entre la prospérité et le développement de l'être par exemple ? Ou entre l'amour charnel et l'amour universel ? Et bien d'autres sucreries ? Oui, les choses peuvent changer, jusqu'où, cela dépend de vous, et de la culture de vos illusions. Oui, il y a du bon partout, jusqu'à ce que ce bon-là s'imagine être davantage que ce qu'il est, et qu'il empiète sur d'autres merveilles, d'autres possibles, d'autres vérités.

S'attacher à un monde nouveau qui débarquerait subitement ne sert pas à grand-chose, ceci dit, il est possible que certaines interventions supérieures préparent le terrain, mais la voie individuelle demeure souveraine, et il est parfois gênant de se sentir recruté pour remplir les rangs d'une humanité rachetée, et ça arrive, avec cette mode du channelling... Que le miroitement de l'avenir soit autorisé ou non, c'est un miroitement fallacieux. Le don spirituel s'effectue par principe, et non pas parce que nous changeons d'ère, ceci dit, je ne peux nier qu'il y ait en ce moment des sortes de « cours de rattrapage » bien intentionnés, pour faire faire des pas décisifs à toutes sortes de profils psychologiques. Mais si l'on ne parle que d'énergie et de vibrations, et de pensée supérieure, c'est insuffisant.

Se délivrer du mental demeure le passage souverain, et pour cela, il est nécessaire de voir toujours davantage à quel point l'univers est délégué en nous, et à quel point nous ne sommes, pratiquement, rien. Ceux qui ne cisaillent pas la conscience de l'ego, et qui veulent se prolonger dans des états supérieurs n'ont pas compris le principe. C'est difficile à admettre pour certains qu'ils sont pensés plutôt qu'ils ne pensent, et pourtant c'est la stricte vérité. La pensée meuble et comble chaque instant, et nous n'avons aucun mérite là-dedans, à moins d'avoir renversé le principe très longtemps, en se demandant qui est ce je, qui est un nous. Le Nouvel Âge doit pouvoir ajouter quelques considérations prioritaires dans le paradigme de l'éveil, mais il ne peut ni le remplacer ni lui être supérieur, sous prétexte d'un changement historique. Oui, nous pourrons devenir sans doute plus aimants, plus intelligents, plus conscients, si la terre change, mais les conditions demeurent identiques pour y parvenir. Les résultats seront plus probants à effort égal, mais la direction devra quand même être la bonne, et ce, il faut l'avoir à l'esprit à chaque instant, de peur d'être avalé par un nouveau mythe, et de sacrifier à une nouvelle idole.

Amusant quand même que l'esprit humain puisse être aussi différent d'une culture à l'autre, d'un homme à un autre, funny que les croyances puissent être aussi variées, et leur dépassement aussi suspect, mais pas amusant du tout quand des monstres décident d'imposer leur bestandwrong coûte que coûte, avec ou non la complicité de Dieu, c'est selon... Mais dans tous les cas de figure, ça foire.

Il n'y a pas d'autre salut pour la terre que de voir les êtres humains se libérer des inféodations abstraites, qui les emprisonnent, et si Krishnamurti a jeté cette semence, c'est déjà pas mal, sauf si elle devient elle aussi un paradigme totalitaire et empêche la reconnaissance du Divin, qui peut sembler dogmatique, si l'on ne fait qu'effleurer Sri Aurobindo. Le problème, par quoi les remplacer, les idoles mentales, si l'on ne s'intéresse pas au réel proprement dit ? Passer de l'amour de « mon réel à moi » à l'amour du réel, même celui qui ne m'appartient pas, voilà le défi mon chéri. Désolé que tu t'aperçoives qu'il y a plus de pain sur la planche que ce que tu prévoyais, mais moi je tiens ça du supramental, et je ne peux pas me taire. C'est encore plus pire que tu crois, au moins tu comprends pourquoi tu vas si lentement. Les forces d'inertie te retiennent, et tu n'as pas à culpabiliser outre mesure. Quand ton élan (immobile peut-être, là n'est pas la question), quand ton élan sera inversement proportionnel au tamas collectif, tu parviendras là où Il t'attend.

Pas science ( Patience !) § pas science en langage des oiseaux, car cette patience ne s'appuie sur rien de su, elle doit exister par elle-même, sans preuve de son bien-fondé, sans légitimité rationnelle, sinon on l'abandonne, elle n'a aucune raison d'être, il faut tenir le coût, exorbitant. Mère disait la même chose, endurance...§

Le travail est si colossal qu'on peut s'imaginer, effectivement, que, sans grands bouleversements, il demeure impossible.

Avant hier, l'expression de bétail des dieux, pour qualifier l'humanité, me dérangeait quelque peu, mais je n'avais pas encore vu à quel point l'espèce est dans son ensemble, sauf exceptions donc, superficielle. On peut lui vendre le diable pour le bon dieu, et l'aliénation pour de la liberté. Et elle en redemande, il suffit de changer l'emballage. Et pour ça, il y a les modes d'un côté, en ce moment un retour à l'individualisme, et la contrefaçon de l'autre, le New Age sirupeux par exemple. De quoi se plaint-on ?

Chacun sera berné de la manière qui lui correspond le mieux...

C'est dans ce sens-là que l'idée de transformer des catastrophes en leviers spirituels possède une valeur certaine, la sincérité se retrouvant dans l'urgence, mais, pour que ça marche, il faudrait vraiment que l'atmosphère terrestre, après ces catastrophes, soit assez lumineuse pour qu'on ne reparte pas dans le même sens qu'après les guerres du vingtième siècle. C'est la question du millénarisme, le miroitement de l'Apocalypse, et tutti quanti.

Je répète en ce qui me concerne que la descente du supramental peut être synchronisée avec un autre cycle, par exemple d'actualisation christique, mais qu'il ne s'agit pas de la même chose. Le supramental va chercher le Divin au fond de la matière, tandis que les plans surmentaux font descendre de l'énergie de lumière du dessus, et en aucun cas il ne s'agit de la même chose, ni de la même révélation. Ni des mêmes fréquences. En revanche, le surmental et le supramental ont des chances de pouvoir s'harmoniser, et ce serait une erreur de mépriser le mouvement christique au nom du supramentalisme, et réciproquement. Il s'agit de changer le statut cosmique de la Terre, et les plus intelligents comprendront sans coup férir que cela ne peut pas se faire à partir d'une compétition entre les particularismes.

C'est pour cela que je prêche l'ouverture totale, car rien n'est plus néfaste que des oppositions au sein des forces de lumière, encore faut-il savoir les distinguer, puisque de fausses forces lumineuses existent aussi. Comme quoi, on en revient toujours au point de départ, le discernement. « What else ? ». Tiens, je m'autorise un café, j'en ai déjà trop dit. A tchao bonsoir !


8 Septembre 2008


Je sais que ce journal est décousu, il ressemble à la réalité, hétérogène. Je l'ai repris au décès de Satprem, j'ai parlé de tout et de rien, et quelques personnes l'apprécient. Bientôt, je reviendrai au yoga proprement dit, les expériences, puisque cela est intéressant aussi, même si je regrette de ne pouvoir les mettre à la portée de tous, par leur simple description. Je me suis en quelque sorte « situé » par rapport au monde de ma naissance, cette France que j'aime, ce peuple que j'aime, sans doute l'un des moins cruels de la terre, et c'est déjà pas mal. Sa « superficialité » a le mérite d'être assez panoramique, c'est donc un peuple curieux, et cela, je l'apprécie beaucoup. Je trouve aussi la langue très belle, ses nuances sur le temps prouvent à quel point l'avenir prend de la place dans le cœur des Français, avec ce futur antérieur par exemple. Mais le yoga permet de dépasser l'appartenance culturelle, et je connais beaucoup plus de choses sur l'hindouisme et le taoïsme que sur la culture française, où seuls quelques grands noms émergent.

Je me sens un homme universel, et je peux affirmer que c'est la direction de l'évolution. On peut se libérer des particularismes tout en les appréciant, et trouver dans chaque culture, chaque époque des moments de vérité, des percées lumineuses, des chef-d'œuvre. C'est la même aventure partout, celle de l'homme, déguisé par son héritage, et qui hésite à être lui-même. Il s'imagine avoir des parents, ce qui n'est pas entièrement faux, bien sûr, mais il accorde à son passé une telle importance que jamais le jour même ne lui apporte suffisamment de démentis pour rendre obsolète dans son esprit ce qui l'est déjà dans les faits. La mémoire colore le présent à un tel point que c'est un exploit de s'affranchir de son éducation, un défi de transformer les valeurs tribales, et une véritable ascension de partir à la recherche de soi-même, d'un soi-même qui n'est pas celui que l'on connaît déjà, enseveli dans les histoires familiales, les croyances du cru, les mythes culturels qui rendent un certain futur obligatoire.

Mais c'est possible, et quand le possible devient de l'acte, il y a évolution. J'assiste et contribue à cette manifestation du supramental, il n'est pas moi, je le reçois, mais il transforme ma perception. Je ne me confonds pas avec lui, bien que, à certains moments, sous son action directe, je puisse affirmer voir différemment, être différent. Il reste à égaliser les montées et les descentes, car il est inconcevable, vu ce que le corps subit, de rester sur les sommets, comme il est inconcevable d'être toujours « écrasé » par la force. Le mouvement est donc assez semblable à celui des marées. Il y a des moments d'ouverture totale, suivis de « saturation », puis de récupération. Au cœur de cela, le témoin reste égal à lui-même, mais de petits changements d'humeur apparaissent, car la machine est soumise à lourde épreuve, et elle vieillit. Le corps physique s'adapte tant bien que mal à de hautes pressions, la nuit dernière les jambes étaient comme de la pierre, et j'ai été réveillé par la douleur, et à des sortes de « relâchement » étranges, comme si la force se retirait quelques heures, pour voir ce que cela suscite... Et en général, un appel se fait, comme s'il y avait un manque à combler. Moi qui suis très neptunien, et qui aurais pu me détruire avec des addictions si j'y avais vraiment tenu, le côté « drogue » du supramental me convient bien. Sauf qu'il veut produire un ananda à sa manière à lui, ce qui fait que des bouleversements sont constants, je peux me sentir très bien, puis attaqué par quelque chose, vu qu'il y a des résistances partout. Et comme je deviens d'une sensibilité incroyable, le moi reste exposé dans le moment à ce qui se passe, ce qui m'oblige souvent à prendre du recul si la situation me déstabilise. L'attaque de l'esprit de l'hiver n'est pas nouvelle. Dès les premières années de transformation, je la subissais fin décembre, en France, comme si je devenais tous les vieillards sur leur fin à la fois, mais vu la centrifugeuse qu'est le supramental, ces attaques ne pouvaient pas durer, elles étaient en revanche régulières. Mais je ne les subissais plus ces dernières années, et là, c'est revenu en force, à Bali, associé à un vent qui semblait avoir l'intention de nuire. J'ai rencontré récemment un camarade de chasse sous-marine italien, qui s'est plaint de cette période, et mon médecin chinois me l'a confirmé. Un vent vraiment nocif.

Pourquoi le supramental veut-il changer le corps physique ? Eh bien je n'en sais rien. Ce n'est peut-être même pas une « volonté », mais un automatisme : l'objet du corps, constitué d'atomes revus et corrigés par la nature, est reconnecté sur une fréquence qu'il avait perdue au cours de son évolution, perdue, à moins qu'elle ne se soit isolée et qu'elle retrouve un contact avec la réalité exterieure... Ce qui créérait un nouveau champ... Une fréquence originelle, indescriptible, d'une puissance incroyable, et qui agit dans l'inframicroscopique. Une cellule est donc déjà un espace d'une superficie considérable pour l'énergie supramentale, qui peut donc y faire ce qu'elle veut, la ranimer, la booster, la nettoyer, on verra bien quand des individus parviendront à vivre très longtemps en étant transformés. Il faudrait être un as de la mécanique quantique pour comprendre ce qui peut se passer, définir les « réactions » qu'une vitesse infinie peut engendrer dans de la matière vivante habituée à être ce qu'elle est, depuis des millions d'années, sans sortir d'un millimètre de son programme. Et là, le programme est soumis à d'autres lois, et il faut accepter. Tout accepter, perdre du temps, ne rien pouvoir faire, passer de l'extase à la torture, parfois plusieurs fois dans la même journée, accepter d'avancer, on comprendra plus tard. Et quand on ajoute à cela qu'on ne peut pratiquement pas parler de cette expérience, que toute l'humanité ignore ou presque, ou que même des maîtres déclarent impossible, il faut être vachement large d'esprit pour trouver ça normal. Koudbol, et oui, cela me concerne sans concerner beaucoup de monde, et bien tant pis, je continue, pendant qu'on me jette des pierres, qu'on m'accuse, qu'on ne me croie pas, et je suis finalement bien content de quitter le troupeau de macaques qui croit que l'univers doit se conformer à ses ambitions minuscules.

J'ai une avance considérable, et je n'y peux rien. Je suis allé perdre au jeu d'échecs sur la place où les mordus du jeu se réunissent, de belles petites tables en bois sous les arbres, et j'ai été écrasé par un jeune homme. Je me suis demandé en combien de temps je pourrais gagner son niveau, en envisageant que les progrès soient exponentiels, ce dont je suis certain. Plus on avance, plus on progresse vite, puis il y a des seuils où l'on stagne... Je me suis excusé de ne pas être meilleur en disant que je ne jouais pas beaucoup, ce qui est vrai dans le fond, et mon adversaire a avoué qu'il avait commencé à jouer à l'âge de cinq ans! De retour sur mon scoot, la route est longue, j'ai eu un flash, cinq ans, je crois que c'est l'âge où je me suis réveillé... Je partais le soir dans le ciel à toute vitesse, par l'imagination, et décidai de ne pas m'arrêter avant de trouver les limites de l'univers... Et il n'y en avait pas, pas de dernier « mur », ou alors il y aurait quelque chose derrière encore... C'est là que l'amour de la connaissance a commencé à poindre en moi, et à sept ans, quand j'ai compris que je devrais mourir, ce que j'ai trouvé inadmissible, j'ai carrément été ensorcelé par la volonté de comprendre... Bref, mon adversaire aux échecs était content de me reprendre sur quelques coups quand je jouais avec un autre joueur, moins habile, et je peux me comparer à lui : je suis tellement imprégné de connaissance que j'en transmets forcément à celui qui l'aime et la respecte, mais qui n'a pas encore atteint mon « niveau » en quelque sorte. Et je suis content de le faire...

Mais aux échecs comme dans le yoga,

ceux qui ont compris qu'il fallait perdre

pour progresser sont rares.

Aimer la défaîte c'est la voie de la perfection

Et les victoires sont de plus en plus profondes.



Tandis que je suis ravi d'être écrasé par un champion car j'apprends en une seule partie ce que dix victoires ne m'auraient jamais montré, beaucoup de joueurs d'échecs, ou d'apprentis transcendantaux, préfèrent jouer avec des partenaires moins bons qu'eux, pour jouir de leurs victoires et s'illusionner sur leur compétence, et ils évitent donc les maîtres, qui pourraient les remettre à leur place... Et ça pérore un max dans les chaumières... Et il est vrai que je ne trouve pas tant de monde que cela heureux que je les recadre, en leur montrant leurs faiblesses psychologiques, le défaut de leur cuirasse, ou la survivance de quelques préjugés... Mon « avance » ne profite donc pas à grand monde pour le moment, il y a trop d'orgueil dans l'homme à moins que ce ne soit de la lâcheté, mais au moins, je peux faire mon yoga tranquille, et aller jouer aux échecs avec des fanatiques du jeu, sur la petite place de Puputan, à une demi-heure de scoot ; là, je suis le seul « boulé »Terme indonésien pour désigner les étrangers de race banche, naturellement, à venir m'exercer... C'est un lieu historique, avec une grande esplanade, des statues, et un temple... Érigé sur le lieu où les hollandais ont massacré les indigènes, en arrivant ou presque, comme d'hab,... Ce que m'a appris rapidement le guide. A signaler que les balinais vont souvent prier Barouna sur la plage, le dieu de la mer, et que c'est à cela qu'ils attribuent le fait d'être épargnés par les tsunamis. La bombe des muslims terroristes aurait fait plus de trois cents morts à Bali en octobre 2OO2, et le guide a laissé entendre que la destruction d'Aceh, où l'intégrisme musulman est très enraciné, par le grand tsunami, est un juste retour des choses... Mais je ne l'ai pas suivi sur cette piste. Ce qui est certain, c'est que c'est particulièrement injustifié de s'en prendre aux Balinais, le peuple sans doute le plus bienveillant de la terre à l'heure actuelle. La bombe dans une boîte de nuit visait peut-être des occidentaux, des Australiens, mais la déflagration a été telle que de nombreux indigènes sont morts alentour. Moi, je me suis retrouvé dans l'astral au moment où elle a explosé, comme attaqué. Il y avait juste une semaine que j'étais arrivé à Bali, et j'étais à trente kilomètres, mais je l'ai vachement ressenti, l'impact.

Il y a toujours un coin qui me rappelle mon espèce, et quand ce n'est pas la visite d'un temple qui commémore un massacre, c'est un bouquin, qui me caractérise une forme d'ignominie quelconque. Pourtant, la Manifestation n'est pas nulle. C'est donc l'espèce humaine qui l'est, alors si l'humanité vous dégoûte, il y a tout le reste, l'univers, le Divin, les Éléments, ce qui n'a pas encore été atteint par la corruption de la convoitise. Le yoga n'a jamais préconisé de donner trop d'importance à l'humain, les jugements des autres sur nous-mêmes n'ont strictement aucune importance et ont rarement de la valeur, et nous-mêmes nous projetons notre bestandwrong sur les autres, qui obéissent à d'autres systèmes, alors l'autre, ok,

que peut-il pour ou contre nous ?

Pas autant que ce que vous croyez, foi d'animal. Creusez vers le moi, et vous supporterez attaques, cabales, jugements et condamnations. Les chiens aboient facilement l'étranger, et si vous devenez vraiment un adepte, on ne sait plus où vous caser... Et les reproches pleuvent sur vous. C'est justement ça le chemin. Si tout le monde vous approuve autour de vous, c'est que vous êtes un mondain, ou bien que vous avez la chance de vivre parmi des initiés. Normalement, plus on s'enfonce dans le mystère, plus les singes debout vous en veulent de trahir leur code comportemental. Hallaj, Jésus, et bien d'autres... L'amour de la Vérité, comprenez que c'est vraiment mal vu, une bonne fois pour toutes, et acceptez-le. Ou restez dans le troupeau pour ne pas subir d'offenses.






















































27 Novembre 2008


 

 

La lutte contre le problème au poumon, engagé depuis février, entre dans une phase très dense. Je me repose, suis depuis peu un traitement homéo très puissant. Hier, je me suis senti cerné par de multiples limites, j'aurais pu mal réagir, mais comme j'ai l'habitude, j'ai accepté cette impuissance radicale. Trois jours avant, réveillé vers trois heures du matin. Je me suis senti suspendu, j'ai compris que tout ce que j'étais depuis le début de cette incarnation était transformé par un principe qui venait du dessus. C'était très agréable, la force travaillait de manière homogène, mais il n'y avait là-dedans aucun caractère «mystique». C'était palpable, j'oserais presque dire «darwinien», cela correspond à l'idée que je me suis toujours faite que la transcendance était naturelle, c'est-à-dire concrète, ce qu'on trouve en cherchant comme on cherche une aiguille dans une botte de foin, dans quelques sutras taoïstes, et deux ou trois sous-entendus tantriques. Tout le travail préalable de reconnaissance du Divin débouche donc sur quelque chose d'étrange: toute la «créature» est retravaillée par quelque chose qui n'appartient pas à la Terre, et pénètre tout. Et la créature se demande donc où elle va, face à un tel changement.

 

Côté bronches, je ne m'en sors pas vraiment, mais je continue d'œuvrer. Toutes sortes d'hypothèses sont possibles, je «guéris» un poumon brûlé, à l'âge de vingt-deux ans par du haschich, au Maroc pendant trois semaines ; ou bien, culpabilité somatisée de ne pas pouvoir aimer mon père, gros conflits de douze à quinze ans avec lui. Ou encore, une petite malformation de naissance, qui ressort, j'avais de l'asthme petit. Ou bien, comme en 2001, les gènes subissent quelque chose, en l'occurrence dans la partie sans doute la plus faible de mon corps, ce qui d'ailleurs astrologiquement tient bien la route avec l'opposition presque exacte de Saturne et Mercure. Mercure reçoit aussi deux quinconces, de Pluton et Neptune, que j'ai pu utiliser sur des plans supérieurs, mais sur le plan physique, l'ensemble de la configuration semble aujourd'hui poser un problème, d'autant que Saturne repasse sur sa position natale. Il se peut aussi que j'ai un peu trop forcé et dépassé mes capacités physiques. J'ai dû arrêter le mantra il y a peu, mais le corps doit le dire à sa manière. Je me sentais oppressé par l'image de l'avenir, quelque chose dans le corps m'imposait une sorte de minuscule vertige, comme si le mental physique était à nouveau prêt à rejeter la transformation. Il faut dire que je n'ai pas cessé de faire des expériences intéressantes en septembre, à mon retour en France. Trois fois de suite, avec des intervalles de moins d'une semaine, j'ai eu l'impression que la Force enveloppait les os, et cela durait trois jours environ. C'était une drôle de sensation, d'abord comme si les os étaient humides, et au bout d'une ou deux heures, des microsensations à l'intérieur, des courants infinitésimaux, secs.

 

Puis, comme le problème au poumon persistait, j'ai plongé dans une période repos et mantra à fond deux fois par jour, plus de deux heures chaque fois, près d'un mois. Maintenant, je dois m'arrêter et me reposer, car le moi physique sature, et le poumon agité essaie de contaminer le mental en me privant de la joie de vivre. J'ai eu l'intuition un moment qu'il y avait des rémanences de la psychologie de ma mère, maniaco-dépressive, dans la mesure où il lui arrivait de fuir la vie dans la négligence et la nonchalance, un laisser-aller qui l'envahissait. Or, cela se passe un peu si je pense trop longtemps à ce problème, je ne peux plus rien faire. Il y a donc des amalgames possibles entre les différents déficits, physique, héréditaire, et sans doute génétique. La proportion n'est pas possible à établir, mais mon ressenti parfois change suffisamment pour que les teintes du léger mal-être m'apparaissent distinctement. Étant donné que le traitement homéopathique est puissant (16 composants), j'ai régressé deux fois, avec des larmes, jusqu'à ce moment incroyable où j'ai reconnu mon père à trois cents mètres, qui venait à la pension où il m'avait confié, en frôlant d'ailleurs le sacrifice matériel, car cette institution coûtait très cher, et j'étais entouré de compagnons qui pour la plupart provenaient de milieux très aisés. Je me trouvais si bien dans ce cadre privilégié, plusieurs chalets dispersés dans un parc, toutes sortes de loisirs, que la vie me semblait absolument merveilleuse. Tout m'agréait, la vie était magique, sans aucune ombre au tableau.

 

Je n'avais pas vu mon père depuis plus de deux mois, et quand je l'ai reconnu à distance, je l'ai senti arriver avec son sérieux, sa tristesse, son sens exacerbé du devoir, sa colère tonitruante à fleur de peau, j'ai compris aussi qu'il venait se renseigner sur moi avant de venir me chercher, c'était sans doute un vendredi, et je n'ai pas eu envie de le voir. Or, cet instant où il arrive dans son pardessus beige en poil de chameau, son chapeau, non pour me voir mais pour fureter sur mon comportement, est resté gravé profondément: un de mes premiers souvenirs vraiment inexpugnables. J'avais douze ans. Cela me dérangeait de voir mon père, peut-être que cela a aussi dérangé mon «inconscient» que je sois troublé par la venue de mon père. Ce qui est clair, c'est que je ne ressentais pas d'amour, pas le moindre amour de mon père à mon égard, ce qui était en plus était entériné par le fait qu'il se disputait sans cesse avec ma mère, que j'adorais. D'ailleurs, à cette époque-là, je me souviens de nouveaux mini-traumatismes: mes parents venaient ensemble jusqu'à ce collège en Haute-Savoie, d'autant que ma sœur était placée chez un professeur de philosophie, dans le même village. Et chaque fois, mes parents gâchaient le week-end. Ils semblaient se rabibocher, et puis avant de me ramener à l'institution le dimanche en fin d'après-midi, il y avait à nouveau une scène abominable, mon père entrant dans une colère qui le faisait quasi hurler, ce qu'il assumait la conscience tranquille, convaincu qu'il faisait son devoir, et que tous ses reproches étaient justifiés.

 

Vu mon thème natal, qui accentue une répulsion naturelle pour toute forme de violence (Mars en Balance, pas de feu sauf Pluton en lion, je ne me suis jamais battu physiquement), les désaccords entre mes parents me troublaient profondément. Bref, le manque d'amour ressenti dans mon enfance m'a poussé à ne compter que sur moi (ma mère par ailleurs mentant comme elle respirait sur la durée de ses absences quand j'étais tout petit, et qu'elle désertait le domicile conjugal pour plusieurs semaines, alors qu'elle me disait revenir un ou deux jours plus tard... C'est peut-être aussi pour cela que je suis capable d'une endurance qui va parfois trop loin, mes attentes affectives étant largement déçues, je ne compte que sur moi et cherche à me dépasser, par principe. Elle vient d'en haut, cette endurance, de mes résolutions, de mon aspiration, mais le corps obéit à d'autres lois. Le yoga n'est donc pas facile puisque ce n'est pas tout qui est régi par la volonté et la détermination, et il est facile de forcer, sans malice, sans doute comme Satprem, pour ne pas perdre une miette de consécration, mais dans l'obscurité de la matière à transformer, cette politique peut être insuffisante ou inappropriée.

 

Dans les couches obscures de la nature, d'autres lois président, et faire descendre le supramental dans les premières instances de l'évolution, pose donc des problèmes techniques. Je suis soulagé pour le moment d'être moins pris par la Force dans le physique, ce que je compense par de la sérénité. Sérénité sans joie, avec cette question du poumon qui réclame de l'amour sans doute, quelque chose qui a manqué au début de l'incarnation, et dont le vide demande à être comblé.

 

De toute façon, la prise de conscience qui s'est effectuée à ce moment-là n'est pas d'ordre mental, j'étais avec la vie contre mon père, et donc l'homme au loin qui conservait quelque chose d'étranger en dépit de toute son attention responsable à mon égard, n'a fait que rehausser tout le reste, comme une tache sur une chemise peut soudain en rappeler la blancheur. J'ai donc su à ce moment-là que la vie conserverait pour moi son essence merveilleuse, à jamais extatique et pleine de promesses, par contraste absolu. Mon père ne pourrait jamais changer cette donne (bien qu'il s'y soit employé par la suite avec un certain succès). C'était donc un moment «immortel», aussi unique que chacune des minutes qui m'ont rendu instantanément amoureux, trois fois dans ma vie. Pour rester amoureux de l'existence, je n'avais pas le choix, je devais sacrifier mon père que je redoutais obscurément, possédé par la colère, et en reconnaissant que je n'avais pas envie de le voir, j'accédais à ma propre liberté, tout en restant stupéfié quelques minutes que ce fût là le seul itinéraire possible. En revanche, une partie de moi-même a dû culpabiliser dans les souterrains du subconscient: c'était mon père, et j'aurais dû l'aimer... Dans les faits, docilement je l'accompagnais quand il nous rendait visite, mais c'était ma mère qui comptait pour moi, et je ne comprenais pas que mon père se disputât sans cesse avec elle. Chaque fois il me décevait, chaque fois je le croyais capable de dépasser la violence, mais pendant ces deux ans de pensionnat, quand mes parents se rejoignaient à St-Gervais, je ne les voyais pas accordés, ils se supportaient pour donner le change à leurs enfants, mais même cela, ils n'y parvenaient pas vraiment, la colère l'emportait d'un côté, le dédain, le haussement d'épaules meurtrier, le mépris, de l'autre.

 

Je reprends le journal pour noter un fait important: hier, avant de m'endormir, j'entends qu'on m'attaque à Bombay. Une voix en moi qui me dit «je suis attaqué à Bombay,» et c'était moi sans être moi, mais ça, je renonce à faire piger à qui que ce soit. Je ne sais pas d'où est venue l'information. Ce matin, j'apprends que des attentats ont eu lieu. Comment ai-je pu sentir cela? Et qui est ce «je» qui se sent attaqué, le peuple de l'Inde peut-être, auquel je suis très identifié, ou au contraire qui lui est très identifié à ce que je représente ?

 

Je me demande à quoi cela sert de sentir à distance ces événements, je mets cette anecdote sur le compte du supramental. Une connaissance par identité qui n'obéit plus à aucune loi du mental. Peut-être que cela se développera tout seul chez les mutants, encore faut-il sentir l'utilité de la chose, qui m'échappe pour le moment.

 

 






















































7 Décembre 2008


 

Très étrange. Tombé par hasard sur un petit Krishnamurti, et enfin j'apprécie (voir courriel). Dès qu'il abandonne sa hantise de ramener ses propos à la violence ou à son éradication, ce qui revient au même vu comment il en parle, il peut vraiment aider à plonger à l'intérieur celui qui l'écoute. Dans le même ouvrage, «à propos de Dieu», on trouve des évocations de la méditation qui correspondent exactement à ce que moi aussi, j'entends par là. Sauf que la convention des quatre mystères, issue d'une extrapolation du feng-shui, lui donne un caractère pratique, mais le but est le même, c'est-à-dire de n'arriver à rien, et de laisser dégorger le cerveau de son action incessante. Finalement, le plus difficile pour nous, qui sommes vraiment passés de «l'autre côté», c'est de transmettre que les manifestations supérieures de la Conscience n'ont pas besoin d'appartenir au sujet. C'est flagrant chez Krishnamurti, il ne parle pas de lui, mais de ce qui s'opère en lui, à partir d'un renoncement absolu à répondre aux mouvements archaïques d'appropriation du champ par la pensée. Moi, j'insiste sur le fait que je suis «l'objet de l'univers», et que c'est souvent quand je ne pense pas à «moi» que la Force en profite pour travailler un maximum. Un certain oubli de soi mène à l'éveil si cet oubli est réellement généreux et non un calcul, car cet oubli finira par ne renvoyer au moi que ce qui le concerne vraiment, et le rappellera à l'incarnation. Le risque est de se créer un ego passif, aussi, seule l'aspiration est-elle la garantie que l'oubli de soi constitue un itinéraire privilégié. Encore faut-il qu'il reste la discrimination, et de ce point de vue-là, Krishnamurti apparaît vraiment comme un maître du viveka.

 

J'ai toujours regretté qu'il ne se soumette pas à Sri Aurobindo, mais il m'apparaît aujourd'hui que le supramental est vraiment quelque chose d'exceptionnel, qui n'a pas lieu de séduire toutes les âmes, même particulièrement éclairées. Pour moi, le terme de violence est inadéquat car il ne représente que la surface des choses, et je n'ai jamais senti en profondeur que le combat acharné de Krishnamurti contre elle possédait une valeur quelconque. La violence est en aval, et moi je préfère évoquer l'amont, la haine, et sa constellation de survivances dynamiques qui caractérisent encore l'ego générique, le moi de tout être humain qui ne s'est pas lancé dans l'exploration intérieure.

 

À d'autres moments, Krishnamurti restitue presque exactement la doctrine originelle du Bouddha, évoque la peur et le désir, et je me suis laissé dire que quelques aficionados avaient décrété entre eux qu'il était Maitreya. À d'autres moments encore, le même homme me paraît être complètement à côté de la plaque, car il ramène toujours tout à la même chose, le mauvais usage de l'esprit. Il ne se prononce pas sur le plan divin, et c'est vraiment, de mon point de vue, une lacune, et un rétrécissement, ce qui me permet d'affirmer qu'il ne représente pas le sommet de ce qu'un homme peut découvrir. D'ailleurs, beaucoup de ses fans sont des «uraniens» très affirmés, insoumis, et qui tremblent à l'idée de se soumettre à une autorité supérieure, ce qui est pourtant indispensable à un certain niveau du yoga de Sri Aurobindo. Il faut bien conclure à une énorme diversité des âmes et de leurs moyens de locomotion sur terre, et se garder de tout jugement, malgré la tentation de le faire.

 

À chaque niveau, il est tentant d'inférioriser l'inférieur, et d'escamoter le supérieur, mais en ce qui me concerne, je préfère parler de l'utilité de chacune des voies dans son propre cadre. Si l'on se moque du Supramental, on n'a pas besoin de Sri Aurobindo et Krishnamurti peut très bien faire l'affaire, presque d'une manière exhaustive. La question est toujours la même: vaut-il mieux tenter une ascension abrupte, ou passer par des marches, et mener l'ascension en changeant de système et de maître après avoir intégré un développement ? C'est difficile à trancher, car on peut s'attacher à une voie ou à un maître, et par la suite ne pas sentir leurs limites. Avec la voie supramentale, on a tout de suite la vision la plus complète et la plus sublime, la plus profonde, mais rien ne dit qu'on sache réellement l'actualiser sans passer par des étapes intermédiaires.

 

En ce moment, l'inanité de l'esprit générique me saute à la figure. La capacité avec laquelle le mental nivelle tout constitue une offense permanente et toujours renouvelée vis-à-vis de l'Esprit. On traite à la télévision, sur le même plan, les attentats de Bombay et les résultats des matchs de foot, même plan, même ton, même curiosité débile, et cela se manifeste comme une provocation de l'adversaire, le mental grégaire. C'est comme s'il me disait, «toi tu veux changer le monde, alors que la plupart en sont à se délecter du nombre de morts par attentats et du nombre de buts infligés par leur club de ballon. Pauvre idiot, tu n'as pas pris acte de l'ampleur de la manipulation que j'exerce sur l'âme humaine.»

 

On monte en épingle une procédure foireuse lors d'un mandat d'amener, un type qui se dérobait aux convocations du juge, et qui a été pris de haut par la police, proportionnellement à sa propre résistance. On dirait que c'est un crime, on met ça presque sur le même plan que des choses infiniment plus graves, d'autant que l'offensé est un journaliste.

 

L'esprit bourgeois survit, il n'y a pas à dire, il survit, les petites choses déplaisantes qui se passent chez les nantis continuent de masquer les vrais scandales, les vraies questions... Les problèmes des sans-abri, à qui l'on promet des logements en majeure partie indisponibles, la surpopulation carcérale qui fait vraiment désordre au pays des «droits de l'homme», passent au second plan quand un people bas de gamme mais déjà people quand même, dénonce sa fouille au corps en oubliant de préciser de quel mépris il a fait montre envers la magistrature de son pays en se dérobant par trois fois à des convocations. Comme dirait l'inimitable pape du développement personnel, il serait temps que chacun renonce à tirer «la couverture à soi» (l'écharpe a deux bouts) en reconnaissant que dans tout litige, tout conflit, il y a forcement une part de responsabilité des deux côtés. Mais non, les victimes qui veulent être propres sur elles, se débrouillent pour escamoter la question de leur propre responsabilité dès qu'elles subissent un quelconque outrage. Cette attitude avait déjà profondément irrité et inspiré Jésus, et les choses ne changent toujours pas. Chacun est à l'affût d'une offense quelque peu exagérée qui lui tombe dessus, pour se dédouaner de l'attitude qui l'a provoquée. Bref, plus personne ne reconnaît ses torts quand ils sont pénalisés par une sanction qui semble exagérée. Le singe est bien là, vigilant, opportuniste, coriace, vaniteux. «Puisque je trouve la punition exagérée, je nie que je la mérite à quelque degré que ce soit». «La sanction excessive me lave de ma propre responsabilité... C'est l'autre qui a commencé».

 

Cerise sur le gâteau, les riches essaient de se refaire, avec un amendement qui permettrait de déduire des impôts les pertes en Bourse, jusqu'à 10 700 euros. Quelle excellente idée, pauvres riches qui perdent leurs actions, ils veulent bien prendre des risques à condition qu'ils n'existent pas, comme d'hab. Heureusement, cette proposition obscène dans une crise de paupérisation mondiale ne plaît qu'à très peu de gens, et elle est abandonnée. Je sens malgré tout un essor de l'intelligence holistique dans les médias, oui le monde devient intelligent, c'était vraiment temps.

 

Le clivage continue entre les patinscouffinscoucoucouchepanierspapattesenrond, et les êtres, hommes ou femmes, libres, et assez intègres pour penser que la générosité n'est pas une tare, quitte à se priver d'un nouveau modèle de Jaguar au risque de cesser d'épater la galerie.

 

C'est harassant. Plus personne ne sait hiérarchiser les événements, mais il y a quelques têtes qui ont compris que tout le monde fait semblant de chercher l'unité, de trouver des solutions générales. Non, partout, on défend son petit bout de territoire, comme le P.S qui défend son appareil, d'où une virulente attaque du lieutenant de Royal, agrégé de philosophie, qui m'a réellement laissé pantois, par sa virulence académique. Aubry laisse complètement à l'écart la moitié du mouvement après avoir prétendu ouvrir la porte. «Ouvrir la porte» signifie désormais: je t'ouvre la porte si tu te soumets, j'ai horreur des courants d'air, n'oublie pas de la refermer si tu ne veux pas me cirer les pompes. (Zatiz zeu kuestyon en grec archaïque, beaucoup plus concis).

 

Jamais le terme de «guerres intestines» n'a eu plus de sens pour moi. Et si cela se passe partout, tel que l'avait prédit un très distingué sociologue, on va régresser au niveau des tribus. Comme disent les gens distingués figés dans le Rotary, le Lion's, ou la Franc-maçonnerie: «le communautarisme devient un danger» (surtout si ce n'est pas le nôtre). Cela va loin, des revendications pleuvent de partout, les groupuscules ont soif de reconnaissance, vu que le moi ne parvient pas à pousser dans certaines cultures, et que les sujets ne se définissent donc qu'à travers des emblèmes et des rituels, des marques obligatoires qu'il faut arborer, et des ressentiments institutionnels.

 

Ok, l'hétérogène est amoureux de l'homogène, je me tue à le confirmer pour tenter d'achever le manichéisme, et le livre «Les principes de la Manifestation» n'est qu'un développement de la complémentarité absolue de l'homogène et de l'hétérogène, sur le plan physique, dans l'ordre divin, partout, quoi, mais cet imbécile d'esprit grégaire est incapable de voir surgir l'hétérogène de l'homogène, ce qui est absolument normal au bout d'un certain temps, pas plus qu'il ne comprend l'inverse, que des éléments hétérogènes finissent par se relier en un ensemble homogène (la symbiose dans la nature, ou plus abruptement, l'autocréation d'un code de dominance au sein d'un groupe de survivants). Il faut ouvrir le mental à la largeur intuitive pour comprendre tout ce qui se passe, mais parfois, c'est limite de chez feu Murdeberlin. Tout élastique finit par se rompre, et c'est amusant de voir jusqu'où on peut le distendre. Jacques Attali prévenait depuis plus de deux ans ce qu'on risquait, nobody pour l'écouter. Il vient de dire à la télé qu'un an auparavant, on pouvait encore prévenir l'avalanche, mais que maintenant c'est trop tard, elle déferle. On a trouvé plus drôle de tirer sur l'élastique jusqu'à ce qu'il pète, et c'est fait. Voilà, cela va faire mal, très mal, mais c'est l'injustice sociale qui vient d'exploser, et qui revendique à visage ouvert, quelles que soient les conséquences. C'est un aspect de la crise qu'il faut montrer, ou, comme j'aime à le dire, «on a mis la poussière sous le tapis», mais cette fois... Tout le monde réalise que ça ne tourne pas rond, avec le scandale des parachutes dorés contre des salaires qui n'augmentent plus en dépit de l'augmentation de la vie... L'ensemble apparaît malhonnête, le fruit du travail profitant de plus en plus aux actionnaires et non aux producteurs de la richesse, donc, retour de manivelle, mon cher Watson, c'est le moment de tout reprendre à zéro.



C'est donc l'architecture de l'économie entière qui doit être révisée, de A à Z, et les élites, de droite ou de gauche, sont d'accord là-dessus, et même en conviennent entre eux, la crise menaçante provoquant une solidarité nouvelle, et une baisse flagrante de la mauvaise foi partisane. Tout repenser ? À gauche, par conviction, à droite, parce que la crise boursière, puis ce qu'elle a engendré, a mis le nez dans leur caca à tous les politiciens qui découvrent mais un peu tard qu'ils ont toujours été inféodés, dominés et soumis aux maîtres de l'économie. Tant que cela marchait, cette soumission allait de soi au nom du libéralisme, de la croissance, de sainte Prospérité. Cela ne marche plus, et le monde politique veut monter au créneau et contrôler la finance, courage les mecs, rien n'est impossible si l'on y croit. On ne va pas vous dire que cela va être facile, ni que c'est possible sans un effondrement préalable, mais l'intention est bonne, juste, vraie.

 

Rendre le pouvoir au politique, c'est-à-dire le soustraire au pouvoir de l'argent, voilà le mot d'ordre pour sauver notre monde (civilisé), un mot d'ordre qui fait boule de neige, mais la vengeance du fric est impitoyable, mon neveu, il faudra peut-être saigner les nations... Avant que le pouvoir ne change de main. Cela risque d'être catastrophique, une course au pognon pour sauver les emplois, avec les états qui pètent les plombs, et les peuples qui se demandent comment remonter la pente. Sans compter des erreurs obligées, s'acharner à maintenir des emplois et subventionner des industries qui doivent ralentir leur production. L'acharnement à produire des bagnoles, par exemple, est pathologique en Europe et aux États-Unis. Tout le monde en fait en quantité industrielle, comme si le marché ne pouvait pas saturer. C'est affligeant, d'autant que de nouvelles marques asiatiques envahissent tous les continents. Il y a là-dedans de la stupidité à l'état pur, comme si nul ne pouvait prévoir que la demande finirait par baisser, c'est lamentable d'être aussi convaincu que l'avenir doive obéir à des lois commerciales et industrielles qui datent du dix-neuvième siècle. C'est peut-être un cercle vicieux, mon cher Einstein. Pour vendre les voitures à un bon prix, il faut en faire trop. Plus importante est la série, plus le prix de revient est bas. Pour vendre une bagnole à un prix compétitif, il faut donc en produire une autre qui restera en rade, et qui aura permis de diminuer le prix de revient de la première (Comment Fiat peut-il être certain d'écouler ses six millions d'exemplaires qui rendent l'entreprise viable?). D'autre part, les revendeurs d'occasion regorgent de modèles parfois récents, en excellent état de marche, moins cher, et ils n'écoulent pas non plus leurs produits. La bagnole a réellement envoûté le citoyen, qu'il ne sait plus quel modèle choisir. C'était un must pour se prouver qu'on était quelqu'un d'en changer tous les deux, ou trois ans à la rigueur, et de chaque fois rouler en mieux qu'avant, même si les performances étaient inutiles. On commence à déchanter.

 

C'est un véritable envoûtement culturel, il n'y a pas d'autre mot. Les voitures courantes dans les Yvelines sont la plupart assez récentes, chères, et leurs performances sont bien au-delà des besoins. Il s'est créé une nouvelle forme de magie au vingtième siècle, en Occident. La portée symbolique de l'automobile l'emporte sur son usage réel, c'est une maladie. Le besoin de posséder une voiture finalement au-dessus de ses moyens caractérise la mentalité grégaire de notre société mercantile, dépourvue de valeurs spirituelles. Qu'on me pardonne d'insister, mais il y a trois jours le matin, j'ai eu l'impression que les voitures étaient conscientes. (La chose est arrivée à Mère avec un flacon, je crois, et son contenu). Alors, j'ai failli refouler la vision, c'était trop inattendu, mais elles avaient vraiment l'air conscientes, cela a bien duré plus de deux minutes. Peut-être ai-je senti simultanément la conscience involuée dans le métal, le plan d'architecture mental, et même la trace du soin qui leur a été dévolu par les constructeurs, les dessinateurs, les fournisseurs et les ouvriers. Bref, l'expérience m'a propulsé je ne sais où mais elle n'a pas pu durer, c'était trop contre ce à quoi je pouvais m'attendre, et il y a eu une petite réaction, mais c'est certainement une expérience du supramental dans le physique, qui a flairé la conscience suprême, ou la Shakti, assoupie, dans ces boîtes métalliques sophistiquées. C'est indescriptible, inattendu, et parfaitement authentique. Mais c'est tellement incroyable, que la cause m'échappe, peut-être ai-je senti tout simplement la personnification dont ces objets sont les bénéficiaires, une sorte d'aura qui provient de ce qu'elles représentent pour l'humain, et comme parfois je me sens relié à toute l'espèce...? Mystère et boule de gomme, c'était renversant.

 

Le pouvoir de vision du supramental est tellement absolu, que parfois on voit d'abord, et quand le nouveau regard s'estompe, puisqu'il y a des «expériences ponctuelles», on a beau lui courir après avec des explications ou des zypothez, c'est trop tard, on est revenu dans le monde de la perception organique. Elles étaient vraiment belles les bagnoles, incroyablement sûres d'elles, d'ailleurs c'était à St-Germain en Laye, où le parc contient un max de beaux modèles. Non, je ne sais pas ce qui s'est passé, mais la présence des autos était impériale, elles semblaient penser, tant mieux si vous doutez de ma santé mentale, ça vous permet de vous débarrasser du reste... Dans le cas contraire, je vous avoue que je ressens les minéraux très profondément, avec leur pouvoir, quand je les tiens dans la main, et cette expérience avec les bagnoles semble du même type, sauf que le seul regard a suffi.

 

Ah, s'il n'y avait pas cette satanée crise, on aurait pu en changer chaque année, d'automobile sacrée, donner du travail à plein de gens, et offrir en grande cérémonie citoyenne son ancien véhicule au pauvre méritant qui aurait rempli le formulaire de demande de récupération gratis, en baisant les pieds du riche... Mais l'essor exponentiel de la croissance, c'est fini de chez enterré, et comme l'a dit un expert sans se méfier, on va vers la croissance négative, ce qu'il convient d'épingler en bonne place dans notre collection d'oxymorons, avec un beau 18 sur 20.

 

Pourquoi je raconte tout ça? On a le droit de plaisanter non, d'inventer des analyses zistorik bidon en fût de pétrole condamné à mort. Et de prévoir un avenir encore plus sombre, incertain ne suffit plus, ne serait-ce que pour mieux supporter le présent déjà ténébreux au niveau collectif, comme on disait autrefois. Au niveau des camarades travailleurs, l'avenir est confisqué par les valets de l'impérialisme, les larbins du capitalisme veulent nous exploiter comme des esclaves, mais nous saurons tenir tête aux puissances de l'argent... Luttons, la révolution s'approche, on ne se laissera pas berner par la télévision, ni les caddies de supermarché... Ben oui, je n'ai rien pu faire, ce n'est pas de ma faute, ça a mal tourné depuis 1968, pire que les pires prévisions. Miserere nobis. Allez, Luya, tout n'est pas perdu, redresse la tête, combats. Je refuse ta triste oraison funèbre style S.F des années cinquante:

 

«Ils produisaient des machines, et un jour, les machines se sont multipliées toutes seules, et leur ont bouffé la tête, et cela les a ruinés, les pauvres, ils étaient devenus esclaves de l'objet, et croyaient que l'argent était le seul dieu capable de transformer leurs prières en les matérialisant sous forme de désirs exaucés. C'était naïf, primitif, papou révisé catéchisme, et il y avait des cathédrales qu'on appelait les bourses mondiales, et où l'argent se multipliait lui-même, magiquement, en secret... Les grands prêtres, les traders, pouvaient faire fortune en une année, mais un jour, cela a foiré, car même les grands prêtres étaient en réalité des marionnettes, des pions, quasiment des victimes du dieu Matière. L'effet papillon, un grain de sable dans l'engrenage, peu importe, cela a foiré. La contamination a été terrible. Non seulement les très riches s'en sont tirés car ils avaient fait des provisions immenses, mais même les pauvres ont été touchés, et on les a rendus responsables. Sachez-le, s'ils avaient pu payer le crédit de leur résidence principale, on n'en serait pas là. Ce sont les pauvres qui ont ruiné le système en ne rentrant pas dedans, les vaches, car tout est parti de là, c'est la version officielle, la petite middle class américaine qui n'a pas pu rembourser ses emprunts. C'est de leur faute. De leur très grande faute. Pour se protéger des pauvres, les vrais fauteurs de troubles, heureusement il y avait les privilèges et les parachutes dorés, mais ça aussi ça s'est cassé la figure, c'était une manière pour les patrons de partir avec la caisse, quand ils avaient ruiné leur entreprise.»

 

Deviner qu'une conscience divine est à l'œuvre là-dedans, c'est possible, sous l'action directe de la Force, (ça pétille ou ça pulse une fièvre étrange) sinon, c'est décourageant, et je comprends que parfois vous baissiez les bras pour faire des signaux d'alerte. Vous pouvez même verser des larmes compulsives quand ça déborde, il n'y a pas de problème, vu qu'on va vers le toomuch les doigts dans le nez. Une fois de plus, le Divin n'est vraiment pas pressé, il semble aimer stagner dans la majeure partie de l'humanité. Ok, cette énigme me dépasse, ce n'est pas la peine d'en forcer la porte, ni d'en rajouter avec des plaintes. Je me répète, mais c'est important, le réel est le réel, et ce n'est pas en criant tout ça ne me plaît pas, qu'il va changer. On a collectionné les indignations sans le moindre résultat, alors ton indignation tu peux l'apporter aux objets trouvés, elle fera plaisir à quelqu'un qui prétendra qu'elle lui appartient, et toi tu te libères des vieilles simagrées idéalistes qui font mourir de rire les salauds, comme disait Jean-Paul.

 

Un jour, je les aimerai tous, les zoms. (Hier matin encore, autour du marché, les personnes parlaient à l'intérieur de moi, une sorte de conscience de Vasudeva physique, c'est agréable, gratifiant, ça réconcilie les doigts dans le nez... )

 

Plus on réagit (autant) à de petites choses proches, qui se passent dans l'univers qu'on croyait avoir apprivoisé, moins on se préoccupe des vrais drames qui touchent la terre entière. Quinze jours avant la date, on sent déjà que toute la bien-pensance bourgeoise ne songe qu'au réveillon de Noël, à la glorification sentimentale de la famille propre sur elle et indifférente au monde entier, pour estomper provisoirement le drame de la crise qui s'avance et dont on nous rebat les oreilles. Il y a quelque chose de décourageant chez l'humain, confirmé par quelques réflexions de Jankekevitch, dans «L'imprescriptible», ses discours sur l'extermination des juifs. Oui, à la fin des analyses, il remarque, ce dont je ne m'étais pas vraiment douté, qu'à la fin de la guerre, les choses ont repris exactement comme avant, le commerce a repris, «comme si de rien n'était». Enfin, je simplifie, mais c'est bien ce qu'il veut exprimer, et oui, finalement l'homme est incorrigible.

 

«Les souffrances démesurées qui ont marqué ces années maudites sont hors de proportion avec la médiocrité dérisoire du renouvellement que l'après-guerre nous a valu. Amère, scandaleuse ironie de l'histoire ! Il est presque sans exemple qu'un si terrible cataclysme ait abouti à des conséquences si misérables, que le remords d'une telle tragédie, la plus grande tragédie des temps modernes, ait glissé si vite, et sans presque laisser de traces, sur la mémoire des hommes... L'imprescriptible. Points, essais.

 

Ce qui justifierait un immense changement de paradigme pour aboutir à quelque chose, peut-être un gigantesque échec social, quelque chose qui oblige l'homme à se soumettre au réel, puisqu'il est incapable d'en tirer les leçons, qu'il refuse de dépasser le singe en lui, en vivant sans intensité, sans idéal, dans la trahison permanente des rêves sublimes, des utopies, qu'une petite minorité seulement, quasi minuscule, n'abandonne pas. On va finir par désirer l'Apocalypse pour sortir du chaos des valeurs inversées: tirer son épingle du jeu en écrasant tout sur son passage. Je déclare solennellement la fin du règne de ceux dont les dents rayent le parquet, à l'ouest. Une dynastie qui s'écroule, condoléances, elle régnait sur l'Occident depuis le dix-huitième siècle, je sens qu'elle se délocalise en Inde et en Chine. Elle a fait son temps, structuré l'essor industriel et l'urbanisation, mais maintenant, on passe à autre chose. L'ambition ne suffit plus, il faut trouver la richesse intérieure, qui ne risque aucune fluctuation sur le marché financier. Elle ne s'achète pas d'ailleurs, on ne peut pas vous la voler non plus, pourquoi s'en priver sans blague?

 


10 Décembre 2008


 

Quelques contacts par le web, mais pas assez pour créer des rencontres, quelques interlocuteurs, et une fois de plus la loi du balancier a joué. C'est mon premier thuriféraire (quasi absolu) qui a mal pris que je le remette à sa place. M'ayant prêté une subjectivité subjective (en fait cela ne lui plaisait pas que je prétende que presque toute l'humanité était superficielle), subjectivité qui naturellement ne peut plus être vraiment présente après le Soi, puis trente ans de trituration par la Shakti, je lui ai affirmé qu'il ne pouvait pas voir ce que je ressentais, et qu'il me «prêtait des intentions». Ce qu'il n'a pas été capable de reconnaître.(Ainsi je «perdais mon sang-froid» en cessant de l'approuver inconditionnellement, ce qui s'était produit à plusieurs reprises, mais il est clair qu'il commençait à vouloir me faire dire ce qui l'arrangeait, et j'y ai vu de «l'orgueil», ce qui n'a pas été apprécié... )

 

Tous les autres échanges sont kool, avec des personnes qui m'ont moins encensé que lui. Il semble que ce jeune homme attendait inconsciemment un retour d'ascenseur et exigeait que je confonde le respect de son ego avec celui de son âme, ce que je ne peux malheureusement pas me permettre. En consultation, il m'arrive de malmener sans violence des personnes sincères qui finissent par utiliser ce que je leur montre, après avoir été un peu décontenancées d'être vues sous un jour quelque peu obscur, où je leur révèle les angles morts, qui retardent leur démarche. Il y a quelquefois des apparences de «blessures narcissiques», mais mon propos n'est pas de faire de reproches. Plus on est orgueilleux, plus on se sent offensé, alors que mon «diagnostic» est naturellement purement pratique, évolutif, serein. Je ne peux donc pas parler à n'importe qui, certains s'imagineraient que je les dévalorise, les infériorise, alors que je fais toujours le contraire, mais en m'adressant au meilleur de l'individu, son besoin de changer, son aspiration, son cœur, la quintessence de son intelligence.

 

Le supramental m'a montré toutes les strates des manipulations dont nous sommes l'objet, et je lis cela facilement sur n'importe quel thème natal, instantanément. Il faut donc que la personne puisse encaisser ce que je lui dis, c'est-à-dire qu'elle soit déjà assez évoluée pour se déterminer à changer sa programmation énergétique, au lieu de se plaindre que je la juge, ce qui est absolument absent de ma démarche. (On en revient donc à ce satané «soleil archaïque», indécrottable, qui ne veut pas entendre parler faiblesse, mensonge, incapacité, et qui est saoul de l'énergie du signe, ou à Saturne qui refuse l'information). Vu la manière dont le site est présenté, avec une froideur calculée, je ne tombe que sur des personnes, fort rares au demeurant, qui repartent satisfaites de la consult, car elles veulent vraiment avancer, sans se raconter d'histoires. Et si l'on ne se raconte pas d'histoires, on accepte ses propres imperfections. (Mon thuriféraire désabusé a préféré s'imaginer être offensé, voire injurié, ce qui confirme tout le chemin qu'il a encore à faire et qu'il aurait tant voulu abréger en s'imaginant que je serais son complice).

 

Les mouvements psychologiques qui voudraient atténuer les prises de conscience négatives ne peuvent pas être d'ordre évolutif, mais certaines personnes ne peuvent pas se voir comme elles sont, ni prendre acte de leurs lacunes par des représentations. Elles s'accrochent aux mouvements qui leur fournissent de belles images de soi, et s'y cramponnent.( Cette attitude complaisante est souvent confondue avec «l'esprit positif», et de nombreuses personnes s'engraissent l'ego à flatter le besoin d'illusions supérieures qui se manifeste au début de la quête, en traçant des voies toutes faites, que l'ego récupère en se cachant derrière le besoin d'un bonheur plus relié). Il faudra que ces victimes, qui en ont plein la bouche des grands mots (Amour, loi cosmique, Connaissance, Adeptat) finissent par aller droit dans le mur pour s'avouer que quelque chose ne va pas... Que le pur n'a pas été séparé de l'impur. Que la lune est restée scotchée au soleil, que l'identification à l'objet n'a jamais permis un retour absolu à soi-même... D'où la lenteur de l'évolution, et la nécessité de l'obstacle et de la limite, ce que le Nouvel Age (entre parenthèses) aime bien édulcorer, pour faire miroiter plein de gracieusetés.

 

L'aphorisme de Sri Aurobindo: «Méfie-toi d'un homme qui n'a jamais souffert» m'est bien présent à l'esprit. Le champ de la Manifestation ne peut pas apparaître si l'on se cantonne sur le petit territoire des perceptions ordinaires. Décider que l'on ne souffrira pas, j'ai vu cette politique autoproclamée par des individus nombreux, et je les ai toujours vus, jusqu'à présent, plafonner. En sachant pertinemment éviter les directions où ils pouvaient souffrir, ils se sont enfermés dans un champ assez faible de perception, en faisait la politique de l'autruche dans de nombreux domaines. Aspirer à être, c'est inconditionnel. Aspirer à être à condition que... C'est du bébé de chez nourrisson. La souffrance autorise les vraies remises en question, c'est prouvé par A+B en astrologie, avec Saturne et Pluton, et les carrés, et parfois les conjonctions puissantes qui mélangent des tendances centrifuges. Quand la souffrance physique est épargnée, ainsi que la soi-disant souffrance morale (culpabilité), il est nécessaire d'éprouver tant soit peu (je ne veux pas faire une règle ni établir la proportion obligatoire) l'absence de ce qui est désiré au plus profond de soi. Je n'ai encore jamais vu de personne très consciente qui se soit dispensé de souffrir, et si les douleurs ordinaires ont été évitées, il demeure celles des interrogations poignantes sur l'itinéraire, ce sont certes des souffrances abstraites, qui d'une certaine façon sont indolores, mais ce sont les empreintes de la transcendance qui s'avance, en développant son manque dans le sujet, et cela, sans être cultivé, peut se produire. Voilà pourquoi la question de la souffrance doit être envisagée sous tous les angles possibles, et s'il demeure absolument sain de vouloir s'en affranchir, s'en affranchir ne veut pas dire éviter, tant que le mouvement n'a pas abouti.

 

En fait, au risque de m'avancer et de déplaire sur les forums où tant d'illusions s'échangent pour accompagner les utopies du nouveau monde, j'oserais affirmer qu'on ne peut pas se débarrasser de la souffrance avant de la connaître d'assez près, étroitement. Appeler sa disparition, figurez-vous que cela la renforce pendant un certain temps, mais permet d'aller au coeur du problème. Quand on cherche à déloger un parasite, à faire sortir de son trou un serpent, quand on veut extirper quelque chose, la résistance apparaît. La plupart de ceux qui ne s'attaquent pas à la souffrance et la tolèrent comme une donnée naturelle, se tiennent à la surface des choses, et ne peuvent donc l'explorer.

 

Celui ou celle qui veut vraiment s'affranchir de la souffrance va la retrouver partout en lui, proportionnellement au levier qu'il utilise pour l'éradiquer. En tout cas, en certains moments. Bouddha avait tout sacrifié à sa quête, et il a réussi. Par la suite, on s'est débrouillé pour faire croire qu'on pouvait être bouddhiste en traitant par-dessus la jambe le réel, et en se contentant de le dépecer dans quelques doctrines fournissant la sagesse clé en mains contre quelques méditations truquées. Il y a très peu d'éveillés au sein du bouddhisme: on a préféré finalement traiter la souffrance comme un concept, et on l'a ramenée à des contenus émotionnels dont il fallait s'affranchir, et on l'a identifiée aux attachements. Mais il existe un nombre considérable d'autres souffrances, dont l'occurrence est spontanée, non méritée, par le seul jeu de l'incarnation, et si l'on veut se libérer de toutes les douleurs, et non pas du seul catalogue des souffrances superficielles, la voie drastique, radicale, complète et permanente, est indispensable. Là surgissent toutes sortes de souffrances, aussi bien celles du moi profond qui cherche à accoucher de lui-même, que les souffrances génériques, celles qui rattachent à l'animalité la plus brutale.

 

Comme l'ananda est l'inverse de la souffrance, il semble pouvoir croître proportionnellement au nombre de douleurs qui ont été absorbées et dépassées, et elles se présentent sans qu'on les appelle. Bien qu'une partie non négligeable puisse être évitée par la sagesse, il me paraît improbable de parvenir à l'éveil sans traverser des périodes difficiles, qui imposent de nouveaux contrats entre le moi et le non-moi ; soit une rectification de la navette entre les deux. Uranus, Neptune, Pluton imposent chacun des manques différents, et aucun manque n'est par définition agréable.

 

Uranus crée une sorte de nostalgie du futur pour tous ceux qui souhaitent réaliser un monde meilleur, Neptune souligne qu'on frôle l'identité entre le moi et le non-moi sans vraiment l'indiquer, Pluton suscite toutes les formes d'insatisfaction propres à faire passer le moi générique au moi individuel par la revendication d'une intensité quelconque. Il n'y a aucune erreur doctrinale à avancer que nous subissons des appels de l'univers, appels de l'extérieur en quelque sorte. Je le répète, je diverge sur ce point avec Krishnamurti, et lui-même a trouvé là sa limite, sinon il se serait penché de plus près sur Sri Aurobindo, quitte à rester trois ou quatre mois comme un rond de flanc, avant d'admettre que la Shakti, que tous les physiciens appellent d'un autre nom, pouvait se manifester, pourquoi pas, dans l'esprit humain.

 

Sa voie aurait été plus large, mais il semble que Krishnamurti ne pouvait pas comprendre la bakti, qu'il prenait pour un processus d'identification. C'est entièrement faux. C'est la prémonition d'une identité entre le moi et le Seigneur, une direction qui ne va pas dans le sens du parabrahman, stage dans lequel le sujet se dérobe à lui-même jusqu'à ce que le terme d'expérience apparaisse inadéquat pour parler de ce qui est perçu, alors qu'aucun terme ne demeure approprié pour décrire ni le perçu ni le percevant. Ces considérations sont peut-être byzantines pour certains, mais je souffre de voir des chercheurs se planter car ils sont incapables de réconcilier les «visions» différentes des maîtres, ce qui les oblige à les hiérarchiser faussement, et parfois, à s'interdire de nouvelles pistes. Condamner Aurobindo avec Krishnamurti, Jésus ou Bouddha, constitue une attitude ridicule. L'idée d'enfermer la vérité dans un cadre définitif vient du singe qui balise son territoire. Il n'y a pas de compétition vers la vérité, mais des voies différentes, peut-être que certaines sont «supérieures» à d'autres, mais toutes ont leur qualité, et toutes confrontent au Réel le moi qui veut s'enfuir, quelle que soit la proportion de souffrance qui se manifeste dans la démarche. Ce que je reproche aux hommes, c'est d'être victimes de leur singe ascendant: décréter qu'il n'y a pas d'Himalaya parce qu'on fait le Mont-Blanc, prétendre qu'il n'y a pas de Mont-Blanc parce qu'on a fait les sommets des Pyrénées.

 

De tout cela, il ressort que nous pouvons réellement changer notre «nature» par différents procédés, mais, sans le besoin impérieux de le faire, les procédures plafonnent. C'est très émouvant: des personnes qui sont parfois poussées dans le dos par Pluton, attirées en avant par Neptune, et qui vivent donc avec un rythme naturel qu'ils peinent eux-mêmes à intégrer, elles sont obligées de marcher vite, mais la destination leur échappe s'ils ne se centrent pas assez. (Dernière consultation).

 

C'est pour cela que je prône le discernement, l'usage affûté du mental, non celui qui pense, mais celui qui a des flashs après avoir fait des recoupements, et qui «intègre l'expérience». Plus les pouvoirs planétaires communiquent, plus les tensions peuvent disparaître. En fait, devenir spectateur de soi-même, ce que ne cessent de promouvoir les grands maîtres du Soi, permet de retenir les mouvements issus des pouvoirs psychologiques (ou planétaires), en tout cas ceux qui voudraient par définition nous emmener dans les défenses de l'ego, qui sont si bien organisées que tout le monde y tombe, à moins qu'il ne vive seul. Même les «maîtres» continuent d'avoir des comportements parfois douteux quand ils sont en représentation, exposés au désir d'être désiré, mêlés aux autres, ou identifiés à leurs rôles.

 

Krishnamurti évoque l'isolement et la solitude, la nécessité de savoir que l'on est vraiment seul, c'est l'unique moyen de pratiquer une navette correcte entre le moi et le non-moi, le sujet et l'objet. Il faut d'abord isoler le sujet, sinon il se prendra pour ce qu'il perçoit, pour l'objet, et on n'en sort pas. Je sais à quel point il est fastidieux de se séparer de l'objet, (ou d'atteindre un processus de perception qui ne saisit rien de particulier), d'autant que le moi propre demeure, même à ce moment-là, assez énigmatique... Mais n'oublions pas que, justement, la souffrance qui nous isole, nous permet un sevrage qui nous ouvre la vraie liberté et l'autonomie de pensée. La souffrance nous prive, nous dissocie, nous sépare, et possède en partie le pouvoir, bien utilisé, de ramener le sujet à lui-même. Par la contrainte, certes, comme une méditation qui s'impose, en simplifiant au max.

 

On connaît les excès de la chose, évidemment, s'infliger des souffrances sous prétexte que seul Dieu est bon, et que la nature est mauvaise, etc. Tout cela provient quelque part d'une vérité pervertie: le moi doit se trouver lui-même ; l'individu doit jaillir du moule génétique, familial, culturel, et ce mouvement évolutif n'a pas de fin. Un jour le moi devient le non-moi, c'est le satori, le Brahman, l'illumination, (ou encore la réalisation impersonnelle), et puis cela peut encore continuer vers autre chose, comme la transformation supramentale. Il est nécessaire de comprendre que tout cela, pour être homogène dans un même espace, conjugue des antagonismes profonds. Si tout est Un, c'est par la guerre éternelle du multiple. Héraclite a raison contre tous. Et l'amour n'est rien s'il ne comprend pas tout. Nul n'a le droit de dire qu'il aime s'il est encore capable de haïr, qui que ce soit. Même l'assassin de son enfant. Les mots mutilent à plus de quatre-vingt-dix pour cent ce qu'ils sont censés représenter. Nous sommes au début de l'humanité. Ses capacités sont immenses, infinies. Si là-dedans arrivait un désastre mondial, ce ne serait qu'une sorte d'épiphénomène, le moyen même du Divin pour Se rencontrer Lui-Même en effaçant ses échecs.

 


12 Décembre 2008


 

Le recul sur l'histoire, la vision du monde humain à une échelle réelle, peu d'êtres humains y parviennent. À cause du monde biologique, nous ramenons le passage du temps à notre propre échelle. En fait, mille ou deux mille ans ne sont presque rien à l'échelle de l'évolution terrestre, et pourtant nous y faisons entrer de force presque toute notre histoire. On s'accorde à penser que le début de la révolution de l'intelligence commence au 6°siècle avant Jésus-Christ, avec Lao-Tseu, Bouddha, l'essor de la pensée grecque, et cela nous paraît lointain. Or, la décantation de ces deux mille ans et demi ne donne presque rien. Aucune amélioration notable de l'empathie, qui aurait permis une solidarité naturelle et que le règne de l'argent fût remplacé par une cité universelle, ouverte, intelligente, telle que Jésus également l'appelait de ses vœux. Une décantation presque nulle et nous en avons la preuve tous les jours, non seulement dans le domaine de la pensée, où la médiocratie a pris le pouvoir à travers les médias, mais dans le domaine physique, ce qui est beaucoup plus grave. On pourrait à la rigueur supporter la barbarie des cultures si la Terre n'était pas elle-même menacée. Mais elle l'est, et sans doute davantage par l'homme que par des cycles naturels. À l'échelle véritable de l'Histoire, qui nous demande de changer notre étalon de mesure de la durée, un demi-siècle c'est un clin d'œil, alors quoi que ce soit qu'il puisse se produire, c'est éphémère et provisoire, et cela peut constituer un tournant décisif quel que soit le prix à payer.

 

Pourtant je ne veux pas jouer les Cassandre, juste rabâcher que la «voie» est indépendante de l'événementiel, et que celui-ci peut être absorbé quelle que soit sa forme, par le moi en transformation. Plus on a la foi, plus on supporte ce qui arrive, aussi est-il malhabile de fonder la foi sur le décor, sur ce qu'apporte l'existence. Elle est légitime et puissante par elle-même, en prison ou au dehors, elle permet de savourer avec gratitude ce qui est donné de gratifiant, et d'éprouver également de la reconnaissance pour l'adversité, puisque la foi sait intuitivement que l'épreuve ne possède qu'un caractère extérieur, et qu'elle peut même renforcer le moi dans son besoin d'évoluer. Aussi faut-il relativiser toutes les nouvelles qui veulent fonder l'essor spirituel sur des données extérieures. Si l'on attend de pouvoir «s'appuyer sur l'ascension» de la terre pour se former une évolution, on dépend d'un projet encore fumeux, d'une nouvelle théorie de l'âge d'or, et ces anticipations, même si elles sont authentiques, même si elles annoncent des transformations profondes, ne peuvent en aucun cas suffire à architecturer une voie spirituelle nouvelle. Car tout a été dit, indépendamment des fluctuations historiques, sur la fondation de la vie spirituelle, et faire intervenir des dimensions supérieures, des vibrations nouvelles, des «plans divins», tout cela ne fait que compliquer la consécration en la subordonnant à des événements virtuels. On peut «être» sans dépendre d'aucune réhabilitation de la Terre, d'aucun sauvetage cosmique, et cela vaut mieux: la démarche est pure, il n'y a pas besoin d'appartenir à un club d'élus, ou de s'imaginer faire partie des futurs survivants.

 

Néanmoins, sans mépris, je reconnais qu'il peut exister des «mouvements» partiels qui visent à éclairer l'homme, sans trop lui demander, et à le guider... Mais dans cette période troublée, non seulement de nombreux mouvements sont factices, mais encore la plupart ensorcellent le mental avec des représentations mythiques d'un avenir auquel il faut s'efforcer d'appartenir par toutes sortes de démarches, superficielles dans le fond. Éviter toute croyance demeure le talon d'Achille du «chercheur», la difficulté initiale. Beaucoup finissent par se laisser prendre dans un filet bien géométrique d'idées salvatrices qui les manipulent, et ils peuvent se féliciter d'être tombés dans le piège: ils croient même avoir des réponses sur beaucoup de choses, des passe-partout ébréchés en fait, alors qu'il ne s'agit là que de représentations mortes, de cartes au trésor infantiles, des déchets de l'esprit... Puisqu'il n'est lui-même que dans l'exercice de ses fonctions, sur le moment, et non pas dans le retour convenu sur le vécu, où ce n'est que du réchauffé. Voilà pourquoi les paroles des maîtres n'ont aucune utilité si elles ne sont pas perçues directement pour une transformation, comme des flashs, des insights. Se faire un collier de perles d'aphorismes supérieurs, c'est peut-être un acte esthétique, mais c'est surtout une fuite. Le koan doit servir le moment pur, le sutra la méditation sans objet, la liturgie authentique doit immédiatement évoquer les forces de l'Esprit, dans un élan d'amour, et les faire descendre, et c'est encore parfois comme cela, dans de rares contextes, que l'Occident ignore. Le contact du maître se doit d'être humiliant, sans intention de l'être, dans le sens où les limites, les verrous, les conditionnements, les trauma, les carapaces apparaissent, pour fissurer l'ego, sans qu'il y ait la moindre méchanceté de la part de l'instructeur.

 

S'imaginer un maître «respectueux», c'est le dernier fantasme du néophyte qui veut soumettre le réel au petit trou de serrure par lequel il l'aborde. Un éveillé est un être «à part», qui embrasse tout, (d'où notre rareté entre parenthèses), et tous ceux qui lui demandent de s'aligner sur leur propre ressenti n'ont rien compris au mystère de l'éveil, ni à la mainmise de l'ignorance. Si vous voulez passer de l'autre côté, cessez d'attendre que des Natarajan et compagnie se plient aux règles que vous voulez instituer: pommade dans le dos et papattes en rond, ou encore reproches mondains, comme on caresse la tête d'un chien.

 

En corollaire, je rappelle que la plupart des éveillés du Soi traversent des époques où ce sont les doutes qui les guident, paradoxalement, vers le grand passage. Les doutes sont capables d'effacer beaucoup de certitudes apprises et d'héritages socioculturels.

( D'où ma réserve sur les «enseignements» qui ne sont qu'une manière d'aborder le problème spirituel : le réel étant infini, il y a d'autres voies que les «enseignements», et elles n'ont pas de raison d'être infériorisées : elles sont toujours plus exigeantes que les enseignements, mais elles existent et elles mènent aussi à l'absolu mystère.) Le chercheur qui ne doute pas est forcément embrigadé, il confondra toujours appartenir à et être. Ici, nous visons le je libre, le je suis, qui n'a plus besoin d'aucun qualificatif ou attribut pour s'affirmer. C'est le seul chemin. Depuis deux mille cinq cents ans, nous avons été quelques-uns à décrire l'itinéraire qui permettait de sortir des appartenances, religieuses, culturelles, morales, et philosophiques, pour déboucher dans l'être. Le chemin n'a pas été suivi, ou par si peu... D'où notre situation politique et économique. Décantation faible... Le Divin devra-t-il passer en force?

 

Peut-on prendre un gros retour de manivelle pour notre incurie ? Oui, mais de toute façon, cela se passe dehors, et c'est dedans qui compte, là où s'élabore le vrai regard, qui saura profiter autant de la joie que la souffrance, de la paix que de la guerre. Quand nous ne pouvons pas «choisir», il reste à trouver des ressources nouvelles pour traverser les situations qui nous échappent. Il est donc intelligent de voir quelles survivances dynamiques peuvent se cacher dans une obédience: un besoin de sécurité, une peur fondamentale, ou une paresse intellectuelle, qui peuvent être apprivoisés ou muselés par un «schéma d'avenir», et noyés dans la masse d'une doctrine, ensevelis dans des promesses de réussite. Il faut en réalité pénétrer le présent jusqu'à l'os, et tant qu'on se maintient dans des limites fixées par le mental, la transformation ne peut pas s'effectuer. Des modifications donnent le change, mais c'est tout. Il n'y a que l'aventure pure, sans garde-fous, qui donne sur le réel, l'émotionnel dégorge, les sentiments revendiquent, le mental se heurte à sa propre impuissance. Le reste, comme disait Gurdjieff, c'est de la marqueterie. Plonger, creuser, qu'avons-nous à perdre dans un monde qui se perd ?

 

Pourtant, je sais que certains d'entre vous ne vont pas assez loin. Ils cherchent à colmater les brèches, éviter de souffrir, éviter les erreurs, trouver la voie parfaite, comme s'il s'agissait d'un chemin convenu, qui va se rendre au tracé d'une carte juste. C'est naïf. Et quand vous me rencontrez, vous avez tendance à vous plaindre de ceci ou de cela, et c'est votre «tolérance» au réel qui est défectueuse, et je dois le dire en prenant des pincettes, pour ne pas vous blesser. Acceptez davantage, inconditionnellement, approuvez moins.

 

Vous n'avez rien à craindre à lâcher du lest. Je me répète, mais le style spontané du journal permet des recoupements avec mes œuvres plus froides, et j'attaque ainsi le mental de différentes manières. Je suis un «foreur» de mental, et le supramental est carrément un «foreur de matière». On balbutie les gars, jetez les gris-gris qui vous rassurent, vous n'avez rien à craindre sinon de ne pas savoir l'affronter, la crainte, par les temps qui courent... Je l'ai toujours dit, la peur de la peur, c'est pire que la peur suscitée par les événements. C'est peut-être là qu'il faut travailler, dans les soubassements qui veulent miner le réel, ces constitutions écrites par le subconscient pour contourner le non-gratifiant, et d'autres, mirifiques, pour s'emparer du gratifiant.

 


13 Décembre 2008


 

Je suis passé maître en zapping, vu que je me repose beaucoup, et je viens de pêcher une très belle émission, peut-être en direct, avec Giscard et Cohn-Bendit. Comme je venais de commencer un nouveau livre, mon mental était particulièrement disponible. Je savoure donc l'émission comme un blue moutain du temps où je buvais du café, et je suis touché par les deux géants de la politique, qui à eux seuls, représentent une bonne part de l'utopie européenne. Discussion sur l'Europe, ce que je sens est exprimé, les états veulent le beurre et l'argent du beurre, conserver la souveraineté nationale et utiliser l'Europe pour arranger leurs petites affaires avec les autres. C'est clair, commenté par Cohn-Bendit. Pire, le travail de Giscard sur la constitution européenne a été repris et rendu absolument illisible pour tout le monde, c'est le fameux traité de Lisbonne, qui ne change pas la donne, mais s'enferme dans le pur hermétisme. Alors, oui, le rêve européen, où est-il passé ? Les jeunes qui voyagent, étudient, connaissent deux ou trois langues sentent tomber les frontières nationales, les valeurs fermées, et savent qu'ils participent à une nouvelle culture urbaine, grosso modo la société de services qui finit par subordonner le potentiel industriel, et dans cette ouverture à la complexité «citoyenne», à la responsabilité individuelle dans le monde du travail, ils trouvent que l'avenir manque vraiment de souffle. Et le peu qu'on pouvait investir dans le «rêve européen» semble compromis par la crise globale (financière, économique, et maintenant industrielle avec l'automobile qu'on veut sauver, alors que partout on croule sous les stocks et les occasions, et que la raréfaction du pétrole impose une révolution de la conception même du véhicule).

 

Si chaque nation, aux abois, veut défendre ses intérêts, le projet d'une Europe unie qui puisse faire face aux quatre blocs formés par la Chine, la Russie, l'Inde et les États-Unis, tardera à sauver toutes ces nations qui se reconnaissent dans une unité culturelle, en tout cas géographique. À l'échelle de l'Histoire, la France était il y a peu à couteaux tirés avec l'Allemagne, et avant avec l'Angleterre. Elle se vante d'être à la pointe, dans le monde, de la défense des droits de l'homme, tout en restant un état qui est des plus puissants marchands d'armes sur la terre entière. On voit bien, par ce genre d'associations, que séparer l'homogène de l'hétérogène est vraiment difficile. Cela fait peut-être longtemps que plus nous défendons les droits de l'homme, plus nous vendons des chars et des avions à toutes sortes d'états qui ne sont pas nécessairement des démocraties, aussi faut-il à nouveau rappeler qu'il existe des lois de la matière, en quelque sorte, qui se moquent des lois du mental idéalisant, qui a toujours existé, sans jamais entraîner la faillite des lois matérielles: avidité, sécurité, enrichissement personnel, pouvoir décisionnel aux mains des puissants pour soumettre les peuples et leurs moyens de production. Il faut donc que ces deux titans s'affrontent, que la loi mesquine du territoire, qui va toujours avec le passé, utilise crimes, corruptions, intimidations, usurpations pour défendre son espace, tandis que la loi du bleu, tirée par l'avenir, soit la recherche de l'unité par l'intégration correcte des particularismes, peine et s'essouffle... Mais elle résiste, et s'organise dans une vision de l'Europe démocratique où les droits de l'homme seraient vraiment respectés, jusqu'à ce que cette union devienne le modèle pour le monde entier. Aurons-nous le temps ? Les paris sont ouverts !

 

Loin de la coupe aux lèvres. Le décisionnel national et le décisionnel Européen doivent encore trouver chacun leur propre champ, et rien que cela devrait demander plusieurs années, où toutes sortes de conflit sont possibles, puisque les états devront payer des amendes s'ils n'en font qu'à leurs têtes. S'il faut encore pénaliser la désobéissance, réprimer de cette manière-là les sursauts d'indépendance et de souveraineté, nous ne sommes pas sortis de l'auberge (espagnole). Le système semble infantile, ses bases mêmes peuvent être fausses. Il faudrait une union véritable, avec de l'empathie et de nombreux consensus, on en est si loin que l'Europe est encore une esquisse, un germe, un brouillon... Alors l'Europe, n'est-ce pas seulement une sorte d'épouvantail pour bluffer les superpuissances, un paon qui fait la roue avec son euro pour épater la galerie ? C'est comme la transformation supramentale, finalement, ça avance millimètre par millimètre, et le jour où ça fait un bond en avant, il faudra revenir en arrière quand même.

 


16 Décembre 2008


 

Légère amélioration, quelque chose se dégage, mais ce n'est pas encore gagné. J'ai commencé un nouveau livre, sur l'éveil, seul, accompagné, avec ou sans doctrine, tout ça avec parfois une sorte de coulée panoramique qui s'impose, et parfois le style de Lao-Tseu. Je m'intéresse au cheminement. Décrire les œuvres de l'Esprit, je ne ferai jamais mieux que Sri Aurobindo, mais travailler sur l'itinéraire, cela me concerne beaucoup. C'est mon job quelque part. Et supporter la force, qui demande encore un progrès de paix intérieure.






















































9 Janvier 2009 (Bali)


 

Incroyable mais vrai. Dans une bouquinerie ordinaire de Kuta, ai la surprise de voir les entretiens de Mère, 1950-1951, dans un état encore convenable. En ouvrant le livre, il est dédicacé, signé par Mère pour un certain Butthi, son paraphe est daté du 2 10 1967. Sa signature inimitable, un zigzag fini par un point, me saute aux yeux. Impossible de me figurer l'itinéraire de l'ouvrage.

Surprise de taille.


Autre surprise, hier, m'arrête par curiosité dans un magasin décoré chinois, j'y trouve des poissons en aquarium, un par cage, très beaux, de trois cents à cinq cents grammes environ, tout nacrés, avec de très grosses écailles, et de forme particulière. Ils valent plus de mille euros pièce, ce qui, ici, est extravagant. Moralité, ils doivent difficilement se reproduire, ils sont rares, et chers puisqu'ils portent bonheur. Pour qu'un chinois mette autant d'argent dans un dragon fish, je veux bien croire que cette espèce porte bonheur, en transformant l'effet placebo peut-être. Ma première réaction, déception : les chinois sont superstitieux ; après réflexion, ils sont si pragmatiques que je me demande s'il n'y aurait pas une part de vérité là-dedans, en tout cas, cela fait un drôle d'effet, une boutique avec six ou sept aquariums seulement, chacun occupé par un poisson hors de prix, qui attend son maître. Une chose est certaine, à ce prix-là, quand on l'achète, on doit se laisser sermonner sur la qualité de l'eau, la taille du récipient, et le dosage de la nourriture. Et qu'est-ce que cela veut dire s'il meurt prématurément ?


Le vendeur prétend que cette créature sacrée peut vivre quarante ans, là, bien sûr, l'achat est amorti... Un poisson d'ornement à ce prix-là, je n'y aurais jamais pensé. J'ai fait répéter le prix plusieurs fois, car la situation frôlait l'événement hallucinatoire, et je voulais être certain de ne pas rêver... Je suis sorti béat de découvrir que je vivais dans un monde où un sixième de l'humanité frôlait la famine sans que cela empêche de riches asiatiques de se ruiner pour acquérir un porte-bonheur vivant, la conscience tout à fait tranquille, puisque justement, le but de l'opération est sans doute de se prémunir de toute faillite matérielle. La réalité est vraiment large d'esprit, il lui manque encore la hauteur et la profondeur, mais en largeur, il n'y a rien à redire, rien.


Comme trouver un bouquin dédicacé de Mère dans un bookshop miteux de Kuta. Fallait-il s'y attendre ?


Je le relierai à temps perdu. J'ai toujours senti que le Tao avait plus d'un tour dans son sac, et que prévoir l'imprévisible ne servait à rien... Of course, c'est impossible par def. S'y ouvrir pour augmenter le champ de conscience, bien entendu. L'imprévu est la loi du mouvement, puisque les mouvements eux-mêmes se croisent et modifient leurs trajectoires sous la poussée de leurs rencontres et de leurs sillages, comme ils infléchissent d'autres trajets, après avoir eux-mêmes dévié de leur course. Et au cas où je l'oublierais, l'imprévisibilité souveraine, des événements synchrones me la rappellent de temps en temps. (Concept très intéressant, ce qui peut être prévu engendre des normes, ce qui ne peut pas l'être, engendre quoi ? La surprise, mon bon.)


S'attendre à l'inattendu
C'est inviter le ciel
Lui qui ne se mesure pas
Qui donne outre mesure
Qui reprend sans prévenir



Ne s'attendre qu'au seul connu
Et l'exiger en permanence
Cultiver le conforme
C'est nourrir en soi le goût de la guerre
Rêver d'un pouvoir absolu
C'est s'enfoncer dans la terre
Et maudire le vent
C'est préférer la glace à l'eau
Et la nuit monotone aux mille couleurs du jour



Vouloir conformer le tao
À soi-même
C'est se perdre dans l'illusion
De dresser la vérité
À s'emboîter dans ses propres mesures minuscules



Chuter dans ce qui est acquis rassure
Mais seul l'Inaccessible soulève l'esprit
Et délivre du gain autant que de la perte



Demain, anniversaire de la descente du Supramental... Un bouquin signé de Mère qui finalement me revient, comme pour fêter ça... Amusant, c'est tout. Je ne tiens pas à symboliser ça, mais quelle curieuse coïncidence tout de même.


 


11 Janvier 2009


 

Hier, étrange journée. Je me réveille comme si le supramental avait été chassé de mon corps. Pas bien, une sorte de présence sournoise dans la tête, un vieux poids, une sensation dans tout le cerveau qu'il s'y trouve quelque chose en trop, et qui empêche la joie. Rien à faire. Un massage me fera du bien, en fin d'après-midi. Aujourd'hui à nouveau la forme, alors je vais nager un peu, ce matin. Mon corps connaît tellement les mouvements de la brasse que je le reformatte dès que je nage plus de cinquante mètres. Grosse toux à la fin. Mais bon résultat quand même. Une fièvre avec retour de la vitalité après un excellent repas, le buffet du dimanche chez le japonais. La viande ne m'attire plus du tout, encore que j'ai goûté le poulet si bien préparé, mais le poisson cru, pourquoi pas.


J'attends avec ferveur la fin du problème aux bronches du côté droit et ferai un super-travail sur le corps, sans doute dans l'eau, un peu de chasse sous-marine, mais aussi de longs parcours de nage en mélangeant les styles. Je fais un peu de ki-cong intuitif aussi, quelques minutes, et sens que je vais vraiment travailler l'alimentation. Le reste me paraît maintenant un peu surfait. Le corps me rappelle tout le temps le problème de la matière biologique, qui décline passé cinquante ans. Je parviens à faire descendre la force par le manipura chakra, et au-dessus également, toujours dans le dos ; et avec un frémissement sur la fontanelle. La durée semble dépendre de mon besoin. Le 30 décembre, c'était inattendu, très fort, et cela m'a retapé de plusieurs mois. En novembre, j'étais tombé assez bas énergétiquement. Le mantra ne suffisait pas. J'étais déminéralisé également. Zinc et magnésium en plus du traitement homéopathique, et j'ai bien commencé à remonter la pente. Le tout est d'encaisser les moments difficiles «comme si de rien n'était», sinon possible de somatiser en plus des préjudices concrets, physiques. Pour moi, ce n'est pas de la méthode Couhé, cela devient naturel, après tout c'est aussi la volonté du Divin que je sois aux prises avec ce problème. Je le contre, mais ses manifestations n'ont plus à m'émouvoir.


Par honnêteté vis-à-vis de mes lecteurs assidus, je dois revenir sur quelque chose d'important. À un moment du journal de Bali, j'évoque une parano profonde un jour de descente globale et imprévue du supramental dans le physique (différent de tirer la force par les chakras), et ma crainte concerne alors le vol que pourraient effectuer mes gardiens concernant mon laptop, qu'ils doivent ramener de chez le réparateur. En fait, le supramental savait quelque chose. La femme du gardien menait une double vie depuis plusieurs mois, en faisant croire qu'elle suivait les études d'institutrice, alors qu'elle disparaissait dans la nature. Je lui avais maintenu son salaire, et l'avais encouragée, car je la jugeais intelligente, à reprendre l'université, et elle était ainsi dispensée du travail assidu, qu'elle bâclait sans que cela ne me gêne. En fait, on ne sait pas où elle passait, mais elle a fini par voler, et son mari s'est aperçu de sa double vie, et l'a congédiée. Elle a même gardé l'argent de la protection contre les termites, trois cents euros, qu'elle devait remettre le travail terminé, le jour de mon départ en France, preuve absolue de ses malversations que j'ai eu du mal à admettre, racontées par son compagnon. Sans compter les factures impayées qui apparaissent aujourd'hui, et tous ses bobards sur le prix des achats où elle grattait un maximum... Et son séminaire hors de prix de formation spéciale à Java, qui cachait un voyage pour un autre motif. Tout ça pour seulement dire que cette personne rêvait sans doute de me piquer mon ordi ce fameux jour spécial, mais heureusement elle était avec son mari. Bref, ma parano était fondée quelque part, mais il aura fallu encore attendre quelques mois pour démasquer les mensonges de cette personne, très habile, et à qui j'avais pu faire confiance sans problème les deux années précédentes.


La correction (parano et intuition mélangée) doit donc s'appliquer aussi, éventuellement, à Satprem, qui devait parfois ressentir, même indistinctement, des choses qui n'allaient pas dans son entourage, ce qui revenait souvent sur le tapis, mais je le répète, la conscience supramentale nous précède en quelque sorte, et ce qui n'est pas transformé peut faire des erreurs d'ajustement (surtout cette conscience spécialisée dans le contingent que j'associe au mystère 3 de méditation quantique.) Voilà une bonne rectification, et c'est en renonçant à se représenter le supramental qu'on peut comprendre ce qui arrive aux pionniers. Oui, nous pouvons être «dépassés», et je ne cesserai de le dire. Et ceux qui ne le seront pas n'auront sans doute pas touché le cœur vibrant de la chose, ou n'auront pas su le retenir. Nos erreurs sont donc infiniment pardonnables, qu'elles soient petites ou conséquentes, et cela reste des erreurs, aussi l'idée de «descendre» Satprem, presque reclus sur la fin, est-elle aussi absurde que celle d'en faire un héros parfait, incompris et menacé, mais certains ne m'ont pas pardonné mes nuances, qu'ils ont crues chargées de malveillance. La leur, qu'ils me projettent maintenant dessus.


Décidé de diviser le journal en deux :

Un journal blog, qui parle de tout et de rien, et qui me discrédite pas mal d'ailleurs, pour écarter les véritables ennemis, et un journal supramental, qui reste dans l'axe de mes expériences, et qui évitera les expressions débiles du genre stupide de chez bêta, ou autres friandises gourmandes de chez j'en fais des tonnes.


 


29 Janvier 2009


 

Ai repris plusieurs jours une bonne activité physique, snorkeling et natation, pas longtemps, mais dans une concentration parfaite, et parfois deux fois par jour. Cela déclenchait de grosses quintes de toux, aussi je ne m'éloignais pas du bord. Cela allait bien d'ailleurs avec la canicule, mais j'ai rechuté je ne sais pas pourquoi, il y a deux jours, après une séance de chasse sous-marine avec Agus. Déception mentale, mais acceptation totale, je me soigne mieux, me prépare du noni local, prends l'homéo, mais j'ai un peu de fièvre, et j'ai été très fatigué aujourd'hui. Je pense à mon prochain livre, sans m'y mettre. Sinon, il faut comprendre que le journal blog plein de spontanéité douteuse, de dérision et d'ironie, provient en ligne droite de mai 1968 d'une part, et que, d'autre part, si je ne donnais que l'image de l'auteur des principes de la Manifestation ou de la racine de l'éveil, je favoriserais l'apparition d'une bien-pensance natarajanienne, et cela, c'est hors de question. Il y a eu et persiste une bien-pensance satpremienne ou satpremiste, qui a pris la teinte du personnage, en la caricaturant, et qui dessert la cause supramentale, dans le groove le supramental ou rien, dans le feeling également que tout se ramène à Mère. Mais encenser Mère et son thuriféraire, pour fermer la conscience tranquille les yeux sur le reste, n'a jamais fait de personne un yogi supramental. Pour éviter que se crée une bien-pensance autour de moi, aujourd'hui ou plus tard, je démolis sciemment l'image du scribe divin que je crois être fondamentalement, en rappelant que ce qui m'intéresse, c'est l'évolution de l'humanité, et non pas de jouer les modèles parce que je suis devant. Je n'ai pas pu échapper au supramental, et je répète que je n'y suis pas pour grand-chose. Pendant sept ans j'ai marché sur une corde raide, et je savais qu'à la moindre erreur de ma part, la suite du projet risquait d'être compromise, et comme cela m'ennuyait beaucoup, j'ai enchaîné sacrifice sur sacrifice pour me hisser là où c'était nécessaire, et cela a marché. Puis j'ai pris une vitesse de croisière, en 83, et en 2001, j'ai vécu quelque chose d'extraordinaire, l'explosion des gènes, et je ne m'en suis remis qu'en 2006, mais pendant toute cette période j'ai continué à faire des expériences intéressantes. Aujourd'hui je vis aussi un truc étrange, d'un côté une grosse résistance dans les bronches et le larynx, de l'autre, le sentiment que le «code de la vie» m'a été donné, c'est une sensation d'exister délicieuse, où se mêlent confiance, gratitude et curiosité, le tout formant une sorte d'élan d'amour inconditionnel vers le présent. Cet état d'âme est descendu au début de l'année, et semble vouloir persister, voilà pourquoi j'en parle maintenant. Il ne semble pas pouvoir être attaqué par le problème de santé, alors que former des mucosités sans cesse, ce qui est le cas depuis deux jours, n'est pas spécialement agréable.


Oui, j'ai horreur de la bien-pensance, elle sévit partout, elle était arrogante et aveugle à Auroville, elle est sournoise et condescendante chez la plupart des catholiques et protestants, même avancés, elle s'installe autour du gourou dès qu'il devient célèbre, et que s'établissent les normes du politiquement correct, et tout cela c'est de la m........La bien-pensance a eu raison de la sincérité des jésuites, elle a englouti des dizaines de génération de brahmanes, sûrs de leur fait, dépourvus de toute pitié, de toute compassion, de toute empathie, au nom de leurs privilèges de droit divin, et l'on pourrait continuer jusqu'à aujourd'hui avec la bien-pensance de gauche, qui ne reconnaîtra jamais une manœuvre inspirée de la droite, et réciproquement. On la trouve naturellement dans l'art, et Sollers n'a cessé de l'assimiler au conservatisme littéraire, mais c'est sans doute plus profond. La bien-pensance tresse ensemble sattva et rajas, et donne cette assurance débile au bien-pensant, qui se croit dispensé d'écouter ce qui ne va pas dans son sens. Cette assurance a quitté l'intelligence, et se trouve installée dans le domaine vital, mais le pauvre bien-pensant moyen ne le sait même pas, les guna, c'est le dernier de ses soucis ; ce qui l'intéresse c'est de conserver ses croyances, même au prix du mépris de l'autre, ce qui est monnaie courante...


Et la bien-pensance, déjà puante et nocive, qui enrobe n'importe quelle communauté petite ou grande, n'est rien par rapport à ce qui la concentre, le fanatisme, l'intégrisme, soit l'obsession névrotique du bien, qui décime les peuples depuis la nuit des temps. La bien-pensance bourgeoise, qui se casse la gueule, est bien innocente par rapport à d'autres formes plus virulentes, mais elle a sévi également dans des formes d'éducation strictes, dans lesquelles manifester de l'amour aux enfants était considéré comme une faiblesse. On sait que tous ces manques affectifs accumulés pendant des générations ont produit en partie la compensation matérialiste absolue, le besoin de s'enrichir sans limites pour maquiller l'absence de vie intérieure en réussite sociale. C'est décrit à grands traits, mais il suffit d'observer les visages des fans de finance, pour la plupart, les émotions sont plus que retenues, on sent des esprits calculateurs, arrivistes, pragmatiques, qui préfèrent conjuguer être et paraître avec avoir, qu'être et s'assumer avec aimer. J'ai déjà parlé de la bien-pensance française, tout à fait spéciale, qui autorise des gens de gauche fortunés à jouer aux redresseurs de torts permanents dès qu'on veut limiter l'immigration. Tant qu'on ne viendra pas de l'Afrique entière squatter à Neuilly, en s'installant par exemple dans les jardins ou les places, ou les squares, ou les abris de bus ou les dessous de rampes, ces bien-pensants décréteront qu'il faut laisser entrer tout le monde, ça leur donne bonne conscience, et ils sont fiers de représenter la véritable France, celle de la dignité et des droits de l'Homme. Le français sait toujours ce qu'il faut faire pour que les choses aillent mieux, pour que le respect dû à chacun se porte comme un charme, mais c'est toujours à l'autre de faire le boulot. C'est une sale mentalité par bien des aspects, puisque la bonne conscience schizophrénique sévit partout, dans les petits clans de la gauche, de la droite, tandis que ceux qui agissent sont systématiquement critiqués. Le français atteint son nirvana national quand il dénonce, c'est une sorte d'éjaculation abstraite qui le dédouane de sa propre médiocrité. Puis, il passe à autre chose au lieu d'aller au fond du problème, il noie le poisson avec un art digne des sophistes grecs. Le jour où la politique de l'autruche ne marchera plus car les problèmes seront trop vrais pour être escamotés ou même ajournés, qu'est-ce qui fera l'esprit français ?


Son mea culpa ?


Si le règne du «discours», (dont l'apogée est constituée par l'hermétisme creux de Lacan à la fin des trente glorieuses) est terminé, la France est mal barrée. Car sa force, c'était le verbe : la parole sied à l'idéalisme comme l'action au pragmatisme. Mais si toutes les valeurs se mélangent et se confondent, si tout tend à s'effondrer, les discours montreront de plus en plus qu'ils n'impliquent pas forcément les actes qu'ils évoquent, et dans ces moments-là, mon cher Watson, l'Histoire a pris l'habitude de faire tomber des têtes. Souhaitons qu'elle change de formule, ou qu'un brusque sursaut d'intelligence et d'honnêteté intellectuelle brise tous les enfermements des bien-pensances désappointées, tout aussi incapables les unes que les autres, de voir le réel tel quel : Un ensemble de faits solidaires. Car pour le moment, la réalité n'est que le prétexte le plus approprié pour porter des jugements de valeur, qu'on s'amuse à opposer. Un esprit puéril anime encore une bonne partie de l'Occident, même en haut lieu, et l'esprit de l'Europe ne pourra grandir qu'à travers des catastrophes et des échecs répétés, à moins qu'une inspiration subite, ce qui est très peu probable, ne le conduise à la profondeur, en passant par la sagesse de l'Asie, qui ne s'est jamais payé de mots (bien qu'elle commence avec la mondialisation). Mais quelle élite lit-elle ceux qui pourraient indiquer des alternatives ? Quel homme de pouvoir se préoccupe-t-il de François Jullien, qui démontre qu'une autre vision du monde est possible, dès la racine des représentations, quelle université met-elle à son programme le taoïsme, ou Krishnamurti ? Nous sommes encore engoncés dans les mythes judéo-chrétiens, où culpablilté et espérance se donnent la main, puis se lancent dans une double séduction incestueuse... Où avenir et passé se parlent l'un l'autre par-dessus le présent, écrasé entre les deux, qui n'a même pas le droit à la parole, le pauvre petit chéri, il n'a pas de références lui, il ne peut s'appuyer ni sur les commémorations ni sur le rêve gras comme un beignet de fête foraine d'un demain amélioré.


Chez nous, tout se ramène finalement à des représentations, qui cachent la trame réelle du monde concret et historique, il faut affirmer ce qui est le meilleur, cela suffit, et pas question de produire le meilleur : on n'aurait plus de quoi rêver l'avenir, et ce serait dramatique. Aussi faut-il que le présent soit finalement médiocre, approximatif, dilué entre des lois obsolètes et de nouvelles bonnes résolutions. Ainsi, on a toujours prétexte à se plaindre, à geindre, à accuser le voisin, à dénoncer, et comme rien ne se fait pour régler les problèmes en profondeur, on encense l'avenir en chœurs groupés, jusqu'à la prochaine émeute, ou guerre civile, qui rappelle que la réalité ne tient ni dans des promesses, ni dans des règles, ni dans des procès. Nous portons un fardeau immense, celui de l'idéalisme gnangnan, et de sa messe populaire, l'indignation sans lendemain. Donc, ça va faire très mal, parce que le «ce qui devrait être» s'éloigne de plus en plus «de ce qui est», et la prise de conscience du décalage va sans doute faire des ravages... Ce n'est pas la refonte de la société qui est nécessaire, mais un changement de mentalité, et si les vérités les mieux établies deviennent des scoubidou bidou ah, il faudra aller chercher la vérité là où elle se trouve, alors qu'on se contentait de ce qui permettait de s'en passer les doigts dans le nez : les objets. La déconfiture de l'objet, c'est ce qu'il fallait pour remettre les pendules à l'heure, et il en a quand même pris plein la tronche pour pas un rond, l'objet, de là à ce qu'on fasse agresser si on continue à se promener en Jaguar avec options si l'on sort de son quartier, il n'y a pas des kilomètres, ah, la jalousie des pauvres, il ne faut trop la provoquer, mon cher, c'est frustrant, mais il faut rester peugeot, ou susciter la haine. Ou être un people sympathique, mais moi je ne sais pas taper dans un ballon, mon fric je me suis le fait tout seul en travaillant 16 heures par jour. Oui, je suis allé un peu loin, je n'ai jamais passé un week-end avec mes gosses, je me disais qu'ils ne m'en voudraient pas, avec tout le pactole que je comptais leur laisser, mais le fils a mal tourné, ma fille se fait des vieux, et je ne sais pas comment sauver les meubles. Plus victime que moi, c'est difficile à trouver, j'avais les meilleures intentions du monde. Dieu est un salaud.


L'Histoire se casse la gueule, mais l'esprit, plus plastique tu meurs, rebondit.


- Qu'entendez-vous par plasticité, cher mètre ?

- Que l'esprit prend n'importe quelle forme, comme la flotte si tu veux, le problème c'est donc le récipient.

- Ah bon ?

- Oui, mon cher Milly, c'est un koan. Plus on le comprend, plus on doute de ce qu'on pense, et moins on a besoin de penser.

- Et que reste-t-il ?

- C'est une excellente question et je te remercie de me l'avoir posée.




Oui, il rebondit, l'esprit, et aucune catastrophe à l'échelle humaine ne peut desservir le projet divin... Peut-être même que c'est l'inverse. Mais j'en ai déjà trop dit. Cuis, cuis, cuis, il n'y a que cela à faire, et tu récoltes la pierre philosophale.


Petite satisfaction divine. Passage le 28 au matin de deux Japonais, témoins de Jéhovah, qui venaient me vendre leur bible. Plus aucune réaction, ai pu les congédier rapidement sans me justifier, en leur disant que j'étais déjà croyant et chrétien. Ils ont compris être inutiles, et sont partis sans remords et sans insister, très rapidement. Des Japonais faisant l'article à des Balinais, pour un christ parmi tant d'autres, sur cette île... Où la religion est au top, un très beau syncrétisme. On aura tout vu, les pauvres... Ils doivent se faire éconduire un max, mais avec le sourire. Avant, les mormons et les Jehova me mettaient hors de moi, j'y voyais presque des offenses personnelles vu comment je réagissais, je voyais du mensonge sur pattes, j'étais sec en les renvoyant, quand je ne me lançais pas à démolir leur système... Maintenant je vois des hommes ordinaires sauvés d'un destin encore pire par leur petit boulot de représentant de commerce, et cela entre dans l'ordre des choses, et même, cela va de soi. Je n'ai pas eu le moindre effort à faire pour les écouter, leur répondre, les congédier, il n'y a pas eu l'ombre d'un jugement, ou d'une déception. Ils passaient dans le quartier, un point c'est tout. (C 'était quand même le jour de la grève générale en France, et en plus, une sauterelle énorme, une espèce que j'abhorrais petit pour des raisons inconnues, était venue se perdre sur ma bibliothèque. Je l'ai chassée dehors sans la blesser, c'était la première fois qu'un insecte conséquent pénétrait la maison depuis deux ans que j'y suis... Journée difficile confirmée par ces deux signes hétérogènes, et pour moi qui tousse et crache, et pour la France, et pour Sri Lanka qui veut en finir avec les tigres tamils, et pour Obama, outré, et pour le tandem Israël Palestine, si l'on passe d'autres désastres, ou d'autres contextes douteux comme Davos, où Soros continue de se vanter d'être habile...)


- Dites-moi, cher mètre, c'est quoi la vie ?

- C'est une bonne question, malheureusement, elle n'est pas politiquement correcte.

- Ah bon ?

- En quoi la vie me concerne-t-elle ? est la vraie formulation, cher Milly, et comme vous n'êtes pas moi, cherchez la réponse vous-même.

- Cher mètre, cette question vous laisse le bec dans l'eau ?

- Exactement.

- Vous vous moquez ?

- Non, en fait se poser cette question revient à comprendre que c'est la vie qui t'interroge, toi, sur ce que tu es. C'est elle qui te nargue et te demande de prendre position. Sans la vie, tu n'aurais jamais pu te poser cette question, n'est-ce-pas, alors c'est tout, n'en fais pas tout un plat. C'est elle qui rebondit en toi en passant par ton mental. C'est plus qu'un jeu. Elle te montre qu'elle te tient. Alors ne te vante pas de te poser cette question, s'il te plaît... Écoute qui s'interroge plutôt...Est-ce que c'est la vie qui te demande de la regarder bien en face, ou est-ce que c'est toi qui jongles avec des mots dont tu te fous de la réalité qu'ils représentent, mais qui sont agréables à employer pour te donner l'impression qu'on peint le ciel en bleu ?


 

 


8 Février 2009


 

Trouve parfois superficiel le contenu du journal, et me demande s'il faut le continuer.

Même la description précise du travail de la force dans le corps me semble échapper par définition à ce que le lecteur peut comprendre. Les sensations ne ressemblent à rien d'autre.

Et les détailler peut permettre à des salauds de se les approprier, de dire que cela leur arrive, et de se déclarer supramentaux. Parano ? Un tantinet mon neveu, mais quand tu lis l'agenda et que tu vois tout ce qui est venu rôder autour de Mère... Sans compter son mariage incompréhensible avec Paul Richard, un type comme moi, certains rêvent tellement d'être à sa place qu'ils pourraient «jouer la transformation», juste pour le fun, les minettes à leurs pieds, les mécènes jaloux les uns des autres, avec beaucoup de culot de chez plus c'est gros plus ça passe, il faut s'attendre à voir rappliquer des mutants avec des faux papiers en règle.

En tout cas, je parviens presque systématiquement, soit le matin soit le soir, à sentir la force dans le manipura ou au-dessus, toujours dans le dos. Je reste allongé et je ne bouge pas le temps nécessaire. Depuis le début, cela fonctionne bien quand je suis sur le côté gauche, pour une raison inconnue.


Problèmes domestiques. Mon gardien, pris la main dans le sac d'ouvrir mon coffre-fort, trouve ça normal, alors qu'il a dû trouver la clé bien cachée. Le Balinais étant une sorte d'extraterrestre, ou un homme qui considère les blancs et les expats comme des extraterrestres, ce qui revient au même, difficile de savoir ce qu'il fabriquait. Il ne s'est pas démonté, sous prétexte qu'à une époque je lui avais remis la clé, il semble vouloir me dire qu'il s'attendait à ce qu'il soit vide, comme s'il l'avait ouvert juste pour jouer. Il a peut-être piqué dix euros que je me réservais pour la prochaine arrivée à Paris.


Passé plusieurs heures à me sentir seul, ne pouvant me fixer nulle part. Il est propriétaire de la maison que j'ai achetée, avec sa femme qui l'a quitté, et il semble qu'ils puissent me créer des ennuis ou me faire chanter pour toucher de l'argent à la vente. De toute façon, même l'ambiance de Bali s'est fort dégradée depuis trois ans seulement. Pense aller voir le consul et le notaire. Cela m'a rappelé Satprem cherchant en vain une île. Le monde extérieur apparaît parfois comme un complot contre le Divin, avec des ramifications profondes entre l'argent et la peur. Dans la même journée, ai évité deux accidents en scooter, sur un parcours pratiqué une bonne quinzaine de fois sans problème, d'une quarantaine de kilomètres. Cela avait presque l'air intentionnel, finalement Uranus et Vénus étaient en maison 12 opposées à Saturne, avec une lune en cancer sans aspects en 4.


Bien décidé à reprendre mes presque nombreux romans. Ai même commencé à aller travailler sur la best plage, Beach grill, en emmenant le laptop. Drôle d'impression, le dimanche, la nouvelle bourgeoisie expat, belle ouverture, mais pas forcément de hauteur. Mon corps devient très sensible à la chaleur, aujourd'hui j'ai été servi, et la mer était tiède.



22 Février 2009


 

Ai repris avec un plaisir incroyable la correction d'un roman de science-fiction que je compte bientôt vendre sur un nouveau site style: supramentalelittérature.
J'apprends à appeler la force dès que j'en ai besoin, c'est peut-être une nouvelle phase de mon yoga. Pour les kamikazes qui suivront, ne pas s'alarmer. Par exemple avant-hier, ananda incroyable de la fin de matinée à la fin de l'après-midi. Besoin d'aller au-delà du sommeil, dans un repos au carré, quelque chose d'inconnu, sans doute régénérateur au max. Délicieux. Alors qu'aujourd'hui je crame, n'ai pas pu me baigner au dernier moment, et j'ai la sensation que l'émotionnel est baratté en dessous de mon niveau de conscience. Serein, mais dois me concentrer pour que le corps accepte la fièvre en la trouvant agréable.


Ai l'impression que mes parents sont encore vivants, j'ai retrouvé l'amour que j'ai quand même porté à mon père quand il a commencé à décliner, et qu'il est devenu moins arrogant. Belle sensation qui avait recouvert sa trace d'autorité usurpatrice dans le subconscient, une empreinte beaucoup plus négative, et que la Force a nettoyée plusieurs fois. Voir le réel en couches, toujours. Sinon, j'ai vraiment envie de travailler, et avec tous les textes qui traînent, j'ai du boulot.


Gros lâcher prise balinais. Suis parvenu à accueillir joyeusement mon gardien, qui arrive avec vingt-quatre heures de retard de son village où il a fait refaire le certificat du deux roues pour l'année. Injoignable au téléphone, pas de s.m.s. Je me suis senti méprisé une journée entière, et puis j'ai lâché en remettant cet élément dans le puzzle entier, je ne suis pas chez moi, et à Bali, on ne fait jamais de fromage, quoiqu'il se passe. Rien n'est jamais grave, tout rentre dans l'ordre, l'aléatoire fait la loi, puis il est absorbé.


Suis donc allé moi-même acheter le poisson des chats au marché, c'était sympa, ai commencé à le faire cuire, et remplacer Agus ne m'a donc pas coûté, parce que je n'ai pas bloqué. Finalement, je l'ai cru quand il est arrivé en fin de matinée, la gueule enfarinée, et qu'il m'a dit avoir crevé en route hier, et avoir été obligé de dormir sous un abri de fortune cette nuit. Vrai ou pas, peu importe, invérifiable... Et ça ne sert à rien de faire des reproches. Lui ai dit que j'avais été déçu de ne pas pouvoir lui téléphoner, pour comprendre. Il prétend que ses unités étaient bouffées, là aussi invérifiable. J'ai bien pris cet événement et je m'en félicite, quelque chose voulait se plaindre de devoir faire moi-même ce qu'il aurait dû faire, et puis le réel l'a emporté: les chats devaient manger, et il n'y avait plus qu'à rouler un petit quart d'heure et acheter cinq kilos de sardines pour être tranquille un moment. Mais c'est énervant quand même de ne pas pouvoir vraiment compter sur quelqu'un de responsable, qui déçoit régulièrement par toutes sortes d'oublis, de mensonges policés, d'à peu près, d'excuses peu convaincantes. Le truc le plus courant, il prend prétexte d'une chose à faire pour moi (acheter quelque chose qui manque ou porter mes chaussures chez le cordonnier) pour disparaître presque toute la journée. Sinon, il devient fana de chasse sous-marine, et cela me fait plaisir par identification. Il s'est débrouillé pour faire retaper un fusil à la crosse cassée, qui maintenant paraît carrément neuf. Du coup, je lui ai donné.


J'aspire toujours à guérir mais ça reste, et ne peux donc reprendre sérieusement l'apnée, mais nager me fait du bien, et hier j'ai fait trois petites distances avant 10 h 30, puis une chaleur incroyable est arrivée, et je suis rentré. Mes écrits s'imposent à moi, j'en imprime certains à emmener en voyage, ainsi que des bons livres, comme les mensonges dans l'Histoire, de Pierre Miquel, qui retrace l'abominable tracé de l'occident depuis la première croisade. Finalement, le vingtième siècle qui finit en apothéose avec la Shoah, Hiroshima, Mao, le Vietnam et Polpot, n'est que la conclusion la plus logique de la guerre commencée entre l'autorité et l'intelligence avec Bernard de Clairvaux contre Abelard. Dix siècles d'histoire ne font qu'illustrer ce conflit fondamental: l'autorité persécute l'intelligence, car elle ne se soumet pas aux règles des dogmes. Bien sûr, la manifestation est réelle, et des millions de victimes sont bien mortes persécutées par ce seul conflit. Mais du point de vue de l'Intellect pur, il n'y a rien d'étonnant à ce que les choses se passent ainsi. L'intelligence emboîte les éléments du réel en montant, l'autorité en descendant. L'autorité enferme, l'intelligence libère. L'autorité descend, l'intelligence grimpe.(Débat à prévoir avec l'Inconnaissant, homme de pouvoir repenti ?).


Le temps lui-même, qui n'est peut-être qu'une sorte de sillage de l'éternité qui coud entre elles les distances, (vu la gravitation comment faire autrement !), le temps n'échappe pas au conflit, et même, le met en œuvre. S'il n'y avait pas la Mère divine derrière tout ça, Shankara et Bouddha auraient raison, il faudrait se casser de la vie. Mais elle n'est pas irrécupérable, et Sri Aurobindo l'a prouvé. J'ai profité de la démonstration pour me faufiler, et finalement ça m'étonne de moins en moins. Dès l'âge de six ans, je m'étais fixé comme but de connaître le «fabricant du soleil», et à partir de là, je n'ai jamais cru en rien ; ce qui a désespéré pas mal de gens, dont des professionnels de la croyance qui me voyaient bien vendre du Jésus-Christ sauveur, évêque à quarante ans, tant mes «tendances mystiques» affleuraient, décorées par un esprit très vif...


Abelard contre Bernard de Clairvaux: de par vers chez nous les ploucs.

Socrate condamné, même combat.

Hallaj condamné, même combat.


Et ainsi de suite.



28 Février 2009


 

Poussé jusqu'à Timor Est pour acheter un nouveau visa pour l'Indonésie dans un lieu que je ne connaissais pas, il me semble avoir débarqué dans un monde artificiel à Dili. D'abord le niveau de vie est incroyablement élevé alors que c'est un pays misérable, à cause du dollar, et de l'implantation nombreuse d'un tas de fonctionnaires de l'O.N.U, et de membres de toutes sortes d'associations dans le style Croix Rouge etc. Il semble que rien ne suit, deux travailleurs seulement sur une route à réparer, et les boites en fer posées contre les murs des hôtels à la réception, qui devraient distribuer des condoms gratis pour éviter le sida, sont vides. En revanche des blancs à l'air sévère sillonnent la ville en grosse voiture de police, toute la journée, quand on ne tombe pas sur un convoi militaire. Il y aurait donc une nomenclatura internationale aux salaires très élevés, et le peuple, pauvre, peu éduqué, peu soucieux de penser, comme le prouvent les chauffeurs de taxi, incapables pour certains, de faire le rapprochement entre une carte et un itinéraire, bien que je leur décrive le parcours.


Qu'est-ce qu'on fait vraiment, en dehors des bureaux, pour le développement ? Pas assez par rapport à l'abondance des prétentions affichées. Mais tout s'explique peut-être avec ce climat chaud et sec, qui donne à l'indolence un caractère impérial, comme s'il fallait se laisser vivre, reconnaissant d'exister. Fini par trouver au nord, une très belle bourgade, qui descend vers la mer où un petit village de pêcheurs, minuscule, avec une plage de sable blanc, m'a accueilli dans un bungalow bien équipé. Je peux y recharger l'ordi, je suis seul dans une belle nature à cinquante mètres de la mer. On m'apporte un dîner correct, et ce matin j'ai eu une bonne dizaine de bananes en guise de petit-déjeuner, qui me permettront d'attendre le dîner. Je n'aime pas gaspiller de l'argent, et la chaleur me permet de sauter un repas sans problème. Nager m'apporte beaucoup aussi, même si ce n'est pas long. Retrouvé une verve ancienne:


Faire de petites choses et s'imaginer qu'elles sont grandes,

C'est le lot de l'homme ordinaire,

Faire de grandes choses et s'imaginer qu'elles sont petites,

C'est le signe que le ciel a enfin parlé.




Le serrurier ouvre la porte sans la casser

Et se prend pour un héros: c'était au Palais.




Un sage fait descendre le ciel sur la Terre

Et se contente de sourire

Ne sachant qui en profitera




 

 


18 Mars 2009


 

Nuit du 16 aux 17, nuit de mon anniversaire, belle descente de force, partout, y compris dans les centres sexuels, ce qui provoque un soulagement du vital, mais la description de la sensation est carrément impossible. Pendant la journée le matin, étrange sensation de la présence de ma mère, que j'ai littéralement adorée jusqu'à la fin de mon adolescence. Une montée peut-être, des gènes, car je ne suis pas doué pour sentir la présence des «morts», ni pour le chanelling. Émouvant quand même.


Gros travail de reprise sur l'ensemble de mes créations littéraires sauf sur retour à la source et Mother India, pour ouvrir une librairie et un club des amis de Natarajan. Quelques titres nouveaux à paraître, sans doute payants, à recevoir en p.d.f. (Malgré les sites, pratiquement pas de stage ni de consultation, en revanche une correspondance intéressante avec quelques-uns).


Le journal «sérieux», non pas le blog où je délire avec des expressions faciles de chez c'est courant, sera réservé aux membres du club.(Il y a encore beaucoup à taper, pas mal de manuscrits à reprendre, mais des indications dans le style Agenda).


Suis en train de me rendre compte que je ne pousse personne vers le Divin, mon cheval de bataille, mon leitmotiv, c'est de donner les moyens «d'accepter la réalité», quelle que soit la manière qu'elle emprunte pour se présenter, en variant les scénarios que je sache, du pire au meilleur et réciproquement. Et plus ça va, plus je trouve que c'est rare. Pour certains, la manière d'accepter la réalité, c'est de se prendre pour des élus, ce qui leur permet de discréditer Sri Aurobindo, comme «luciférien». Ce genre de nouvelles m'aurait accablé il y a trente ans, de la part de soi-disant initiés très propres sur eux, aujourd'hui une telle bêtise me paraît faire partie du décor, absolument médiocre, de l'ésotérisme occidental, qui méprise l'Orient et se croit supérieur, comme d'habitude. Finalement les deux types de faux initiés le plus courant sont premièrement les types hypermentaux qui ont réponse à tout, mais qui sont noyés dans le mental, avec une représentation vraiment fausse de Dieu, et qui s'imaginent être dans la vérité, et les grands amateurs de vital, intelligents et sensibles, qui vivent dans la séduction tout en sachant se présenter comme des maîtres. Et qui ne reculent devant rien pour prendre le pouvoir. Les deux catégories sont dangereuses, les hypervitaux jouent sur les faiblesses des êtres humains et ne sont que des escrocs qui profitent de la vie à fond la caisse, quitte à se mouiller un peu avec les énergies diaboliques, dont les plus subtiles font illusion, et qu'on peut prendre pour du darshan spirituel.


Mais les hypermentaux enfermés dans leurs croyances imprescriptibles sont parfois, malheureusement, sincères. Il leur manque une case, celle qui permet de toucher le réel sans la pensée, et comme la pensée a pris toute la place dans leur personnalité, ils tournent en rond en colmatant leurs failles, jusqu'au messianisme bidon qui leur pend au nez, tandis que rien, absolument rien, ne peut plus les remettre en question.


 


24 Avril 2009


 

Hier, journée absolument formidable, je monte à Ubud, dans un bel état. Et il se passe deux choses sur le même fond d'une conscience finalement indescriptible. La première, décantation d'une conversation avec un toubib français sur mon problème. Je finis par comprendre que les mucosités descendent, je ne sais pas par où, mais descendent des sinus, et je m'imagine qu'elles ne tombent pas seulement dans l'œsophage, mais dans les poumons, ce qu'expliqueraient les quintes de toux sèche. Enfin l'hypothèse tient la route, sinon, tuberculose, et quoi encore. Bon. Et puis voilà que le soir je prends conscience qu'il y a comme un tourbillon de vent au fond de ma gorge, et je vois l'image de Kali qui tire la langue. J'ai un flash, je crois bien que je suis passé avec un certain mépris devant une statue dans le quartier hindou de Penang en Malaisie, en février de l'année précédente. Et c'est juste après que j'ai commencé à avoir ce trouble, et qui résiste. Alors je passe mon temps à remplacer l'image de Kali par celle de Sri Aurobindo. J'ai dû chopper un envoûtement, parce qu'avec la chaleur excessive, la force hostile a trouvé une faille, d'autant que, pendant une seconde, peut-être moins, j'ai invité la maladie en moi, avec une pensée de peur sur le jus de fruit que je buvais, un j'aurais pas dû mécanique, qui a tout foutu en l'air. Un réflexe d'une brièveté incroyable, mais ça y est le mental physique déconne, et les forces adverses ont pu entrer. Je n'avais pas trouvé de taxi, et je suis rentré à pied, j'ai marché trop longtemps en plein soleil, et je crois le crâne découvert, avant quinze heures, donc un plus un plus un égale trois. Les trois facteurs ensemble, grosse chute assurée. Du mépris, non c'était autre chose, comme une incompréhension que ce soit encore là ce genre de représentations, alors un haussement d'épaules, ou je ne sais quoi, enfin je me suis identifié à quelque chose, ou bien cette chose a pénétré et décidé de m'embêter. Mais comme grâce à cela je fais un yoga remarquable depuis le début de l'année, c'est vraiment une aubaine. En fait, la force est beaucoup plus disponible que ce que je croyais. Je l'appelle plus souvent, et ça marche, bien qu'il y ait encore des phases de saturation, où elle n'agit pas, mais reste comme posée, comme si elle attendait que le corps ait récupéré de son action précédente.


Bon, l'autre chose c'est encore plus fort, ça s'est dissipé un peu aujourd'hui, mais hier, c'était 5 sur 5. Le temps éternel ? Cela, c'est le fin du fin. Ce n'est plus un phénomène de mémoire, tous les temps sont simultanés, comme si on regardait la terre de si loin qu'on puisse intercepter sa course en avant ou en arrière, donc avant ou après. Tout semble normal, mais c'est là que ça défrise énormément, en fait dès que je repense à une séquence de mon passé, il n'y a aucune distance, c'est complètement fou. Je pense à mes parents, ils sont vivants, à I., que j'ai adorée puis quitté en 2000, c'est comme si on était encore ensemble, alors pour m'amuser je me promène partout, c'est là, ce n'est pas du passé, c'est comme si ces monstres de physiciens post Einstein avaient raison, les bougres, une dimension où tous les faits, même étalés, sont simultanés quand même. Ouais. Une minute de silence s'il vous plaît.


C'est très agréable, pas moyen d'avoir de la nostalgie, c'est là. Bon, tout ça c'est plutôt rigolo. En revanche, ce qui est plus intéressant, c'est que si on se trouve vraiment dans ce temps-là, peut-être qu'on dispose d'un socle beaucoup plus large et plus puissant, comme des racines interminables, et pourtant, cela ne donne pas de pouvoir. Bien que cet après-midi, en regardant la mer, j'étais tout, mais comme c'était aussi le darshan de Mère, j'ai dû récolter quelque chose qui traînait aussi. Là, on est loin de toute description possible, je m'en excuse, et ce n'était pas du tout arrogant, ce n'était absolument pas un sentiment de supériorité. Il n'y avait plus de différence entre l'extérieur et moi, et c'était j'oserais dire «normal», et ça allait loin, j'avais presque la sensation du volume terrestre, du temps posé comme un simple truc de magicien pour permettre l'illusion que quelque chose se déroule, alors que rien n'est moins sur. D'accord les vagues bougent, le vent anime les feuilles, mais le temps n'apparaissait pas comme de la durée, rien ne cherchait à s'écouler, ça s'écoulait peut-être, mais sans intention de le faire, alors c'était très simple, tout était très simple, à un point que le mental ne pourra jamais découvrir, en fait il n'y avait plus rien à justifier non plus, à défendre, à condamner, tout ça, c'est en aval d'un temps qui part en arrière, mais en partant en arrière, le passé reste encore du présent, donc c'est hors des perceptions habituelles. Normalement le passé n'est plus là. Alors qu'aujourd'hui, je sens que tous les jours qui ont précédé existent quelque part, et que je vis dans chacun d'eux. C'est vraiment très amusant. Le plus comique, c'est qu'il y a la même distance entre un événement qui a trente ans et un autre qui n'en possède que deux, ils ne sont pas plus loin l'un que l'autre, je me demande même si en cas de pépin, cette dimension ne serait pas très pratique pour puiser de la force. SI je pense à janvier 1977, oui, ça peut activer un peu le supramental, mais ça ne restitue quand même pas les choses. On dirait plutôt que ça permet un contact extrêmement vrai avec soi-même, comme s'il était possible de se référer à toute son existence d'un seul coup, d'emblée, mais si c'est un pouvoir, c'est d'un autre ordre, ça ne contraint rien, ça ne décide pas, ça ne s'applique à rien de particulier, c'est juste le «champ» qui s'évase considérablement. Mais je ne suis pas le prolongement de ça non plus, puisque tous les passés sont contemporains, donc c'est inexplicable, totalement hors de portée de la compréhension, mais c'est vraiment agréable. Le passé serait toujours du présent, quelque part.


 


27, 28 Avril 2009


NATARAJAN ET L'INCONNAISSANT SE CONNAISSENT.


Natarajan parano, ou l'Inconnaissant toujours border line ?

C'est une bonne question, et je vous remercie de me l'avoir posée.


L'action que je subis depuis 1977, se borne à supporter la transformation supramentale, qui aujourd'hui est assez avancée dans mon propre corps physique, mais qui rencontre toutes sortes d'obstacles, et m'oblige donc à une vigilance extrême. Dans ce contexte, il ne m'appartient pas de prendre position pour ou contre d'autres yogis supramentaux, autoproclamés, comme j'ai dû le faire moi-même, pour répandre dans le public la nouvelle que le yoga supramental n'avait pas été interrompu. Personnellement, je ne fais aucune pression sur personne pour me faire reconnaître en tant que tel, puisque je favorise la descente du Divin dans la manifestation, ayant réussi, entre 1977 et 1982, l'incrémentation du supramental dans le physique humain, à travers mon propre corps, et que ce processus se suffisant à lui-même, il n' a pas à être reconnu par d'autres pour être réel ou utile.


C'est le Divin qui a accompli cela, puisque, pendant ces sept années, mon union était totale et parfaite avec lui, ce que je n'ai pa pu conserver, tombant sur les résistances de la nature universelle, en particulier du rajas, ce qui m'a demandé de temporiser, de prendre en compte les résistances de « l'animal » en moi, et de les traiter conformément à mon dharma, c'est-à-dire en absorbant les obstacles au lieu de les combattre ou de les contourner.


Je n'ai pas révélé pour le moment les phases cruciales de mon avancée, ayant toujours autant de peine que dans le passé à m'accorder la moindre importance, ce qui est d'ailleurs un point de friction très important entre l'Inconnaissant et Christophe d'un côté, et moi-même. Cependant, la transformation supramentale est désormais possible sur terre, non pas que je prétende qu'elle l'est grâce à moi, mais parce que je ne suis rien d'autre que la preuve formelle et vivante que Sri Aurobindo et Mère ont réussi leur travail. J'ai été obligé de renoncer à l'aspect conscience du supramental, pour le retrouver sous sa forme dynamique, en tant qu'énergie, et cette alchimie de la conversion de la conscience suprême, reçue pendant plusieurs jours, au début de la transformation humaine par le corps physique, a mis une année à s'établir, sans le moindre repère, sans la moindre carte. J'ai été plongé au fond de l'inconscience, j'ai perdu tout pouvoir, toute force, toute intelligence, au long d'une longue dégradation de plusieurs mois, et ce n'est qu'in extremis que j'ai retrouvé la sortie, en fait sur le samadhi de Pondichery le 1° janvier 1978. À partir de ce jour-là, en trois mois et demi, le travail de la shakti divine a été puissant, et dans la nuit de mon anniversaire de mes 28 ans, soit la nuit du 17 au 18 mars 1978, je suis monté dans un monde causal supérieur, où un corps d'or m'a été attribué, tandis que j'étais en présence de deux véhicules extraordinaires d'origine différente, type vaisseaux extra-terrestres, présence dont je n'ai toujours pas compris la signification. En revanche, la transformation est allée à toute vitesse pendant plus de six ans, et j'ai touché de nombreux plans de l'hémisphère supérieur, comme la conscience éthérique de Krishna, Vasudeva, soit le premier niveau de conscience purement supramentale dans l'atmosphère, sans aucune trace de surmental, de longues immersions dans le sat, tandis qu'également des états de conscience spirituelle archaïques venaient mourir en moi, comme si je devais les dissoudre, et toute cette phase a été aussi intense que ce que nous trouvons dans l'agenda. Je dois dire que tout cela s'est passé assez facilement pendant de nombreuses années, bien que le sacrifice de l'amour sexuel (je me considère comme assez évolué et assez féminin pour confondre les deux choses) auquel je me suis scrupuleusement astreint pendant cette période ait suscité des résistances du subconscient terribles, et même des attaques, à travers une grave infection dentaire, synchronisée avec la sublimation de l'instinct sexuel à un moment où je revoyais une jeune femme dont j'avais été amoureux et qui m'attirait à nouveau. Le Divin a continué son travail jusqu'à une saturation de l'énergie supramentale dans tous mes chakras, y compris les inférieurs, ce qui a poussé la force à s'autolimiter dans son action, ne pouvant plus la contenir correctement. J'ai alors passé six mois à vide, et puis j'ai repris le yoga supramental en ayant « carte blanche » début 1983, ce qui m'a libéré d'obéir à un système figé. J'ai suivi ma nature, et le fait d'être parfaitement en accord avec moi-même et l'univers a permis à la force supramentale de continuer à travailler à sa manière, sans s'arrêter, sans que son action soit pénalisée par la reprise, modérée il faut le dire, de la sexualité. La force supramentale a agi en moi selon ses propres modes, et le travail à accomplir est si colossal qu'elle peut privilégier un lieu pendant un moment, l'abandonner, puis y revenir plus tard, le corps étant un « chantier » à l'échelle d'une galaxie presque, par rapport à l'infinitésimale action supramentale, et il m'est arrivé une ou deux fois de comprendre que la dimension de mon corps était absolument gigantesque par rapport à l'unité de mesure divine, le vibrion atomique ou même subatomique, à la base même de la constitution de la matière. Je ne tiens pas à décrire ma vie en détail jusqu'à maintenant. Les obstacles sont nombreux, puissants, profonds et requièrent toute mon attention. Cela me dispense d'avoir à cautionner ou condamner l'Inconnaissant. Il me semble que je lui ai donné ces éléments en 1993, mais qu'il n'y a pas accordé la moindre importance, comme si son expérience à lui était d'emblée plus profonde et supérieure, ce qui me paraît être une erreur de jugement, d'autant que l'Inconnaissant, alias Solaris, est quand même mon cadet de huit ans. Ce qui voudrait dire, si nous restons dans une logique mathématique, qu'il aurait vécu des événements aussi profonds que les miens passés tout juste vingt ans, ce qui lui permettrait alors, oui, de revendiquer une similitude profonde avec moi, mais je ne sache pas qu'à l'époque, d'un seul point de vue de l'évidence, son contact avec le supramental était aussi ancien que le mien, et j'ai donc été profondément étonné qu'il ne prenne pas en compte mon expérience, comme si le supramental lui était réservé de droit divin.


Quinze ans plus tard, dans la vidéo Cohen Wilber, il dit ne plus s'attacher à l'idée d'être le plus grand et le meilleur, et qu'il laisse donc ce sentiment à ceux qui sont encore encagés dans des réalisations somme toutes ordinaires, et il est vrai que je compte là-dessus pour qu'il abandonne ce sentiment infantile d'être en concurrence avec moi, concurrence qui devait se traduire, jusqu'à il y à peu, par une soumission de ma part à son rôle de dispensateur « d'amour guerrier », que Christophe met d'ailleurs en scène, avec sa sincérité habituelle, que ne je conteste pas. Or je ne peux pas me soumettre à l'Inconnaissant, puisque je n'ai pas le ressenti que son action de révélateur de l'amour guerrier obéit à tous les critères du supramental que j'ai moi-même expérimentés. Ma propre connaissance par identité me semble beaucoup plus large que la sienne, et je peux dire sincèrement que, quoi qu'il représente, je le contiens en moi, sans que j'ai le pouvoir de voir en lui la moindre avance sur moi, ou la moindre connaissance supérieure du Divin. Car il s'agit pour lui de « revenir au créneau », de s'imposer, grâce à l'appui inconditionnel de Christophe, comme un mutant qui doit être suivi, chargé de mission divine, et par lequel il faut en quelque sorte passer pour se faire une idée juste de l'avenir supramental, et peut-être même des modes qui permettent de le réaliser. Il est donc engagé personnellement dans un processus de valorisation personnelle, que je ne peux pas, pour ma part, ni comprendre ni appuyer. C'est ainsi qu'agissent les faux prophètes, en forçant à la reconnaissance de leur personne, et le procédé est donc particulièrement délicat à mener, et ressemble à un exercice de haute voltige, pour lequel « Bonaparte évolutif » semble fait. C'est peut-être un avertissement divin, à moins que, également, je projette mes propres réserves sur une action aussi puissante dans le monde concret, qui n'est tout simplement pas ma tasse de thé, et dont je peine à concevoir la nécessité. Napoléon s'est cassé la figure de vouloir toujours aller plus loin, de se croire invincible, et même dans le métier de révélateur de conscience, il y a des risques, et si je reconnaissais l'Inconnaissant, je serais son modérateur, avec la plus grande joie, c'est d'ailleurs ce qu'il voulait me demander il y a quinze ans, mais m'ayant traité par-dessus la jambe, je ne pouvais me prêter à ce jeu. Et je ne sens pas L'Inconnaissant totalement à l'abri de se prendre les pieds lui-même dans le tapis de l'action qu'il déroule devant lui, s'il en fait des tonnes, ce qui est son péché mignon. Ceux qui nous connaissent tous les deux sentent une équipe formidable possible, mais je crois que l'attitude de Solaris à mon égard sera déterminante pour me permettre de vaincre mes résistances, étant donné qu'il les avait mises en place lui-même, en me sous-estimant à tel point qu'un vrai dialogue était devenu assez vite impossible. S'il a terrassé sa condescendance, s'il s'ouvre à l'égalité, si les forces employées me paraissent conformes, je serai heureux de l'accueillir.

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Personnellement, je me contente de dire ce qui m'arrive et ne force personne à me reconnaître. Je trouve suspecte l'ardeur que l'Inconnaissant et Christophe mettent depuis peu à se faire reconnaître comme dépositaires de l'action supramentale, et si Christophe approuve inconditionnellement l'Inconnaissant, personnellement je ne peux pas le faire. Sa vision des choses me paraît effectivement très proche de la mienne, mais quand il prend la posture, dans les sittings en groupe, comme dans la vidéo du mythe du chercheur, je ne vois plus le même être, et celui-là, qui a un pouvoir direct sur les assistants, ne me convainc pas, pour le moment. Tandis qu'il s'attaque au caractère simiesque des anciens éveillés, il donne de lui-même une image particulièrement vulgaire et animale au moment où, après avoir parlé de « barres à mines dans le cul », il part dans un rire gargantuesque, qui, en ce qui me concerne, par sa violence et son intensité, ne me laisse pas entrevoir une aussi profonde transformation de son être vital qu'il le prétend. Projections diront ses thuriféraires. Peut-être. Pour le moment, je vois l'Inconnaissant comme un être qui est persuadé qu'il peut tout se permettre dans sa relation à l'autre, au nom de sa mission, et, s'il s'imagine aussi qu'il peut tout se permettre avec le Divin, alors oui, nous toucherons aux limites de l'instrument, et de ce point de vue, nous devons tous l'amener à la transparence dont il se réclame, en lui refusant tout pouvoir sur nos personnes. Car le pouvoir du supramental est direct, entièrement transcendant, et pour moi, la valeur ajoutée que donne le supramental à un individu n'a pas à être récupérée le moins du monde par l'instrument, qui doit avant tout demeurer l'instrument du Divin. Il reste donc à déterminer si la croisade de l'Inconnaissant pour sa propre personne d'un côté et pour la reconnaissance de l'amour guerrier de l'autre, relève du projet personnel encore entaché d'ambitions humaines, même idéales, mais humaines quand même, ou si c'est en accord avec le Divin que cette mission s'accomplit. Pour ce que je connais de l'Inconnaissant, sa reconnaissance du Divin est soit masquée, soit négligeable, ce qui pose effectivement la question de savoir s'il est dans la ligne de Mère et de Sri Aurobindo, ou s'il s'autorise des « créations personnelles » non inspirées par le Divin lui-même dans le mandat qu'il s'octroie pour conquérir les suffrages d'aspirants à la vérité. La question de la soumission au Divin est essentielle, et elle apparaît zébrée chez l'Inconnaissant, parfois évidente dans son travail d'intégrité, parfois superfétatoire dans sa revendication d'homme complet et autonome, et donc l'articulation liberté/soumission, liberté/surrender, est difficile à cerner chez le personnage. Or, nous avons besoin de comprendre pour partager un chemin évolutif, et d'une manière toute simple, notre Bonaparte doit comprendre que, plus il prétendra, plus il aura de comptes à rendre. C'est évident. Car ses prétentions demandent à être vérifiées. Autrement dit, il ne suffit pas d'être autoproclamé, brillant, et de tout écraser sur son passage. Plus cette autoproclamation est portée en avant, plus de preuves sont demandées concernant la compétence avancée. Moi qui ne prétends rien, qui ne vais au-devant de personne, personne ne me demande des comptes. Il n'est pas nécessaire de passer par moi pour s'ouvrir au supramental, pour le trouver, puisque son action est maintenant automatique, et qu'il peut donc descendre sur tout être incarné prêt pour cela, comme il l'avait fait sur ma personne en 1977. Certaines personnes prêtes reçoivent effectivement quelque chose en ma présence, mais je n'ai pas besoin de prendre une posture, pour que cela se fasse, je ne soulève aucun problème de différence entre mon groupe et moi, et n'agis pas directement sur les participants. La chose se fait toute seule et d'elle-même, et c'est peut-être à cause de ces expériences que je ne vois pas trop ce qui se passe dans les sittings dirigés par l'Inconnaissant, qui induit des comportements émotionnels puissants, qui pour moi, n'ont rien à voir avec le supramental et son action. Il me semble qu'il induit quelque choses de beaucoup plus dense, et tant que je ne verrai pas ce que c'est, je n'ai aucune raison d'attribuer ça, pas plus au supramental qu'à autre chose. Je ne vois pas où se situe l'intérêt de la chose, puisque l'Inconnaissant se met à la fois hors de portée, tout en étant l'instigateur du spectacle qu'il dénonce. Revoir la vidéo le mythe du chercheur dans cette optique. Mon esprit est sans doute trop simple pour saisir l'attitude de l'Inconnaissant dans ce genre de sittings, où tout me paraît tiré par les cheveux, surtout le refus des questions des participants, ce qui les oblige à respecter les attentes de Solaris, qui ne fait son numéro qu'à partir du moment où l'on se plie à son personnage. Pour moi apparaissent ici même des limites étranges, puisqu'il force à entrer dans son jeu au lieu de se mettre à la portée de tous, simplement et humblement, et cet aspect me déroute, on dirait que tout est programmé d'avance, que les émotions doivent sortir, que l'Inconnaissant renvoie l'autre à sa propre solitude, tandis que finalement, de manière subtile, il suscite envie et admiration. Je ne partage pas cela.


Je le préfère mille fois dans ses approches simplement dites de ce qu'il vit, de ce qu'il propose, tandis que le personnage qui induit une force sur le groupe, qui remue l'émotionnel, je le trouve entièrement factice, préfabriqué, newage.


Cette force, quelle est-elle ?


Je ne peux me prononcer.

Alors que sur le reste, je me sens en accord.


Ces questions de passer par tel ou tel restent ouvertes, et la personnalité de l'Inconnaissant n'a pas pour le moment à être jugée par qui que ce soit. Peut-être a-t-il besoin de « brûler » comme il le dit, pour avancer sur son propre chemin, et peut-être que cette affirmation paradoxale de lui-même, puisqu'il revendique à la fois de voir mieux et de ne rien connaître, sert un réel projet. Il reste à nous en convaincre, puisque de nombreux moyens employés semblent douteux, attaque des clans aurobindiens, sittings émotionnels, messianisme conquérant. Son journal ne me paraît pas non plus très inspiré, ses poèmes érotiques me semblent inutiles et contraires à l'action supramentale ; la vision de quelqu'un qui se pousse en avant, s'énivre d'expériences et ne jure que par lui, menace donc toujours pour faire douter de lui, alors que ses prises de position très éclairées, quand il ne joue pas à dire n'importe quoi, jouent en sa faveur. Pour moi, le mystère reste entier. Et si je ne peux absolument pas prendre au sérieux l'Inconnaissant pour le moment, je ne demande qu'à changer d'avis, être rassuré, ne plus être confronté à son côté border line, qu'il aura j'espère abandonné depuis le temps, et qui comprenait toute une gamme d'actions, provocatrices, dérisoires, ou théâtrales (Disons que je le trouve superficiel dans sa « posture » des sittings, étant donné ce que j'ai vécu moi-même, je dispose d'un recul considérable. Faire tout un fromage de sa petite différence dans l'ensemble du réel, et partir en croisade, me semble créer de toutes pièces des facteurs hétérogènes. Etre pour ou contre l'Inconnaissant, et toutes les postures mentales qui découlent des divisions à son sujet). D'où la nécessité de vérifier le but et l'origine de la politique du « rentre dedans » qui semble revenir à la surface, boostée par Christophe. C'est un « ressenti », je subodore ou projette la survivance de quelque chose d'excessif, qui ne s'accorde pas pour moi au détachement suprême que procurent les forces de l'hémisphère supérieur, hors d'atteinte des lumières surmentales. On peut aussi se plaindre d'une substitution de signifiants, et souligner la confusion entre le plan de la conscience supramentale, et l'Amour, qui a toujours été considéré comme en-dessous par Mère et Sri Aurobindo, (et moi). La Conscience Force descendante ferait manifester à l'Inconnaissant l'Amour, qui est une notion surmentale, et il est donc aussi possible que cette conscience-force ne soit pas le supramental, tout en étant néanmoins une shakti supérieure, ou un mélange particulier, capable d'une action dans le physique, ce qui expliquerait également aussi bien l'impossibilité que rencontre ou rencontrait plutôt Solaris à me reconnaître, que son engagement messianique. Ceci dit, étant donné son caractère exceptionnel par l'énergie qu'il déploie pour faire avancer les choses, puisque c'est une bombe également, il serait absolument absurde de le remettre en question avant de voir où il veut vraiment en venir. Il est conscient, parfaitement conscient, de la limite de tous les systèmes actuels, et la seule question est donc de savoir par quoi il veut remplacer cela. Si c'est un nouveau système qui lui appartiendrait, je le dénoncerai. Si ce n'est pas un système, si c'est une ouverture sans manipulation, si les pratiques qu'il propose me semblent vraies, je le soutiendrai. Si au contraire, il fonde tout sur sa propre autorité, sur sa propre expérience, et qu' il dérive par trop des principes de Sri Aurobindo et des miens, je douterai de l'action supramentale, et si je ne la ressens pas, mes doutes se transformeront en soupçons, et mes soupçons en témoignage : évitez-le.


On ne « manipule » pas le supramental, c'est lui qui nous transforme, et c'est avec une grande vigilance que nous devons aborder la question du but que des êtres exceptionnels comme Solaris se fixent, quand ils partent en croisade, au nom de la vérité, ou de l'homme nouveau. Il faut donc découvrir la nature de son pouvoir, et il est assez intelligent pour admettre que sa manière de procéder est si différente de celle de Sri Aurobindo, Mère, Satprem ou moi, qu'on se pose la question sincèrement : à quoi ça rime de chercher l'approbation des autres pour jouer un rôle où l'on fixe des règles étroites, où l'on prend la posture de l'être nouveau, où l'on impose une énergie étrange, astringente, émotionnelle, à des années-lumière des énergies supramentales que je connais personnellement, qui agissent par le haut, donnent la paix, ou la force, élargissent considérablement la conscience du moment, en distribuant quelque félicité nouvelle en reliant indistinctement aux plans supérieurs.


Ce qui est certain, c'est que personnellement, je ne peux ni le défendre ni l'accuser. Ma position changera peut-être, au cas où je devrais me prononcer, mais pour quoi faire ? Chacun est libre sur cette terre, chacun est libre d'être un Inconnaissant, soit un Bonaparte, chacun est libre de l'éviter ou de se donner à lui, chacun est libre de se méfier ou de lui faire confiance. Ne comptez pas sur moi pour dire que l'Inconnaissant est infréquentable, ou qu'il constitue un détour obligé sur le chemin de l'évolution. Pour le moment. Je ne suis pas très pressé de prendre parti. C'est l'évolution de toute l'humanité qui me concerne, et non pas le rôle d'un éclaireur de plus dans la foire au devenir, dont le caractère extraordinaire est incontestable, l'intelligence, hors pair, l'engagement, total, pour le meilleur ou pour le pire. Si je juge que les propositions de l'Inconnaissant, dont il va sans doute parler, sont contraires à ma connaissance du supramental, je le dirai. Ce ne sera même pas une accusation, mais une simple expression de ma propre liberté d'homme, convaincu d'être le dépositaire du projet supramental (ce qui est aussi contestable, bien entendu). Dans ce cadre-là, si je sens au contraire la nécessité de défendre l'Inconnaissant (ou tout autre prétendant, homme ou femme, chez qui je détecterais une manifestation pure du supramental), je le ferai. Nous n'en sommes pas là. Je ne peux adhérer sans réserve à l'Inconnaissant, mais si j'adhère un jour sans réserve à l'action d'un autre instrument, je le dirai. Je sais qu'au moins deux personnes rêvent d'une collaboration entre l'Inconnaissant et moi, (dont l'embryon était peut-être 1993 à Paris) mais je suis désolé de les décevoir pour le moment. Nous nous sommes perdus de vue, et à la vitesse où nous avançons tous les deux, il faudra peut-être repasser par un recadrage, une nouvelle évaluation réciproque, et je dois évaluer ce qui se passe quand l'Inconnaissant entre en posture, et distribue cette énergie étrange dont l'effet doit être examiné. Cela n'est pas encore exclu des possibles que j'approuve, et cela n'est pas non plus une caution personnelle en faveur de feu Solaris, si j'ose m'exprimer ainsi. Reste à savoir si la « dissidence » qu'il prépare est inspirée, ou si elle sert d'autre forces que le Divin. Je me prépare au meilleur comme au pire, puisque je ne sais pas encore jusqu'à quel point sa retraite a libéré l'Inconnaissant des compulsions actives de son thème astral, dans lequel l'accent sur le moi est excessivement puissant. Les paris sont ouverts en quelque sorte. J'espère pouvoir un jour me rallier à sa cause, mais il n'est pas exclu non plus que je le désavoue, ou que je me démarque seulement, ce qui n'engagera que moi de toute façon. La sincérité sans la vigilance, par les temps qui courent, ce n'est pas la peine d'y penser.


Se frotter ou pas à l'homme en question n'est pas une option qui me concerne d'assez près pour que je l'infléchisse. Je ne peux pas être plus clair, cela s'appelle un oui mais. Cela devrait devenir, mais je ne sais pas quand, soit un oui, soit un non. La réponse de l'homme en question, selon son ton, sa teneur, sa finesse, sa sincérité, et surtout selon son « intention », c'est-à-dire me dévaloriser ou pas compte tenu de mes réserves, en dira peut-être long, ou pas, sur mon cher Bonaparte, l'être le plus engagé que j'ai vu jusqu'à aujourd'hui. S'il se donne la peine de le faire. Très vaste est la manifestation, et chaque homme est une galaxie de questions, de peurs, d'attentes et de souhaits. Ne prétendons pas voir l'autre dans son ensemble, nous ne nous y reconnaissons que dans ce qui nous est semblable. J'ai pris l'habitude depuis longtemps d'être dévalorisé, soupçonné, rejeté pour mes positions, et je n'ai rien à redire au fait qu'on passe à côté de moi sans me voir : l'on n'a sans doute pas besoin de mon témoignage supramental. C'est la loi, le non-semblable nous paraît hétérogène, et nous tiquons. Je reste donc prudent, une qualité qui je l'avoue est parfois excessive chez moi, et une part de ma défiance peut être fausse vis-à-vis de qui nous parlons, comme elle peut être au contraire inspirée. Il faut attendre, c'est la loi de la graine, du bourgeon et de la fleur.


Suspendons notre jugement, et perfectionnons celui que nous pouvons porter sur nous-mêmes. Laissons la liberté agir, l'autre : être ce qu'il est. Laissons-le s'intéresser à nous, et devinons pour quoi.


Qui a besoin de qui ?


Et pour en faire quoi ?



Purement rétrospectif. Pris dans une lutte conséquente avec des résistances depuis des mois, je ne trouve pas d'intérêt à gloser sur l'événementiel. Ai pu néanmoins commencer un livre très important à Bali, et j'ai profité d'être bloqué en Indonésie à cause du volcan, au moment où je croyais partir, pour « pondre » un petit roman policier très particulier, qui finira sur ma boutique en ligne, si aucun éditeur n'en veut. Plus un peu de science-fiction ésotérique, à finir.


Toujours des hauts et des bas, et une technique qui semble se faire jour pour accepter puis abréger les bas. Hypothèse de retours de karmas très difficiles, à nettoyer, sortis de ne je ne sais où et qui reviennent teinter le présent. Fair mienne la vision « Tout est le Divin » et comprendre que la souffrance n'est pas une humiliation, autre chose, je ne sais pas encore vraiment quoi, mais supporter, se relever, retomber, et ainsi de suite.


Mon corps ressent des tas de choses extraordinaires. Les pieds chauffent de temps en temps. Ils avaient dû être torturés dans une vie précédente, et cela m'a empêché de m'incarner cette vie-ci, dans le sens de « réellement toucher terre ». Le nombre d'heures pendant lesquelles mes pieds semblent « revivre » est conséquent, puis ça appelle cette vie brisée, sans doute jeune, où je passe de la plénitude absolue auprès d'un grand fleuve à la salle de tortures. Ce retour karmique me met aux prises avec les résidus des énergies de l'Inquisition, et ce n'est pas de la tarte. La gorge et le poumon droit souffrent, des champignons ont pris le terrain depuis plus de deux ans, mais je me soigne correctement. Souvent aussi, les genoux sont comme écrasés, et je ne sais pas vraiment ce que c'est, tandis que toutes les jambes sont aussi pleines de sensations qui ne ressemblent pas aux courbatures, de petits suintements d'énergie, des fourmillements, ce n'est pas désagréable. Comme d'habitude, je flanche d'un seul coup après avoir retrouvé une sorte « d'état de grâce » pendant un ou deux jours, et je ne peux mettre ça que sur le compte de la Force qui continue à descendre et soulever ce qui s'oppose à elle. La dernière fois, soudain, je sens que les corps subtils bougent, et je reprends mal au dos, alors que j'ai presque « vaincu » ce mal en me concentrant davantage sur mon corps. Au lieu de mal prendre la chose, je l'accepte, et en moins de vint-quatre heures, sans aucun artifice, le dos se remet en place. Peut-être que j'essuie encore des attaques à distance, ou que ce que j'accomplis sur le plan causal supramental engendre des turbulences.

Magnifique réalisation dans la nuit de dimanche. Ma mère, ma sœur et moi sommes ensemble en pleine communication, et nous nous rendons compte qu'il n'existe qu'une seule structure, deux sont contre celui qui reste. Si ma mère est avec moi, elle est contre ma sœur, et réciproquement. Je leur explique que cette alternative est mauvaise, et je me montre sous ma forme authentique à ma sœur, c'est-à-dire au service du Divin, et elle accepte de me voir tel que je suis sous cette forme-là, et elle cesse donc de manipuler ma mère contre moi, ce qu'elle n'a pas cessé de faire dans la réalité physique près de vingt ans ou plus... Impression de régler un gros conflit familial à la fin du « rêve conscient », et je passe toute la journée de lundi totalement hors service, écrasé par la fatigue, le bien être et la force. Ma sœur, soixante-trois ans, s'est suicidée au mois d'août en se jetant sous un train, au bout d'une longue dépression. Demande de pardon dans sa lettre, remise à son enterrement par sa fille, rédigée impeccable avant son forfait. Dans son dernier coup de fil il y a trois ans à peu près, elle m'expliquait que j'avais raté ma vie. Ses enfants ne se sont pas méfiés, et elle disait reprendre du poil de la bête au mois de juillet. Je comptais me rapprocher d'elle une fois sa dépression vaincue. Ses charges énergétiques m'étaient pénibles depuis de nombreuses années, et un clairvoyant m'avait conseillé de l'éviter. Dès le lendemain de son décès, l'énorme chappe de ressentiment à mon égard qui m'entourait s'est volatisée. Le pire c'est qu'elle ne vivait sans doute plus dans cette énergie depuis sa dépression, mais elle l'avait tellement nourrie au préalable qu'elle avait bel et bien créé une niche astrale mauvaise pour moi, qui a survécu à son changement d'humeur. L'acharnement que l'univers met à enregistrer tout ce qui se passe est absolument délirant. Dès qu'une chose existe, elle a tendance à perdurer, sans doute parce que parvenir à l'existence est déjà un exploit. Pareil avec les résidus karmiques. Même loin en arrière, ils peuvent se réactiver. Bien que je me sois détaché de l'occultisme, comme Mère je suis obligé d'en faire. Le nombre de fréquences qui circulent sans se tirer dans les pattes est incroyable, ce qui revivifie la thèse de l'Ether, l'élément primordial, beaucoup plus fluide que l'air, et qui doit véhiculer des ondes dans des trames ultramicroscopiques. Une fois de plus René Guénon en parle, qui met l'air avant le feu dans l'ordre de prééminence. Cet ordre est très controversé, chacun y allant de son avis, mais ce sont sans doute les physiciens quantiques qui vont montrer dans quel ordre les Eléments s'emboîtent les uns dans les autres, jusqu'à leur source quasi immatérielle, où il n'y a plus que de la rapidité absolue. Ce qui est certain, c'est que c'est dans cet akasha que je réalise les pratiques causales, ce qui correspond au contenu du « yoga tibétain et les doctrines secrètes » parues chez Adrien Maisonneuve (Evans Wentz). Car si tout cela n'était que du rêve, ça ne se réaliserait pas, mais comme ça advient, il faut bien supposer qu'une empreinte est laissée quelque part, et qu'elle détermine des événements. Ne pas oublier que j'ai réalisé le silence mental intégral moins de trois mois après un voyage extraordinaire dans ce monde intérieur, où après avoir affronté de nombreux obstacles, dont un diable qui s'avérait bientôt être créé par mon esprit, j'aboutissais dans un verger où je cueillais une pomme en or... Pourtant, je maintiens que je n'ai jamais fait de « voyage astral » et qu'il s'agit d'autre chose. Et pourquoi en parler, pour me vanter diront mes chers vaniteux, qui aimeraient bien être devant pour pavoiser, gendarmer et se faire admirer.


Pour aboutir à ces pratiques efficaces dans le sommeil, encore que je ne puisse jamais les prévoir, il faut passer des années à apprivoiser la terreur, parce qu'au début on se trouve paralysé physiquement, et convaincu qu'on ne se réveillera jamais, qu'on va mourir et que ça ne va pas être forcément kool, vu là où l'on se trouve. Une fois qu'on a compris, on apprend à mettre toute sa conscience quand la peur terrorisante apparaît, et on essaie de dégager ce qui n'a pas peur, et de lui faire prendre le dessus. On finit par progresser, au passage on apprend des choses aussi. On descend de plus en plus profond comme quand j'étais à Auroville fin 78, et là je ne savais pas si je reviendrais et c'était chaque soir. Mais j'étais si heureux de commencer la transformation physique, que j'ai tenu bon.


Me parler aujourd'hui de spiritualité de salon, où l'on suit des doctrines en s'endimanchant, et dans un confort intello et matériel doré sur tranche, et je crois que le Divin met en scène ce genre de mascarades rien que pour me distraire, et j'accepte le jeu des acteurs. Changer sans toucher à rien, le rêve absolu du mangeur invétéré de barbe à papa...

Parler de Patanjali sans jamais prendre le moindre risque, s'enfoncer dans le samsara en croyant s'en dégager, se donner le change, quoi, avec de belles formules et des paroles, et des petits frichtis rituels bien propres sur eux, la plus belle occupation de l'esprit humain, et ça continue d'ailleurs. Dont Worry, la dette, on va la rembourser...

Ce n'est pas l'amer à boire.


Le travail sur la peur peut se faire autrement, of course, mais s'il ne se fait pas, l'interconnexion moi-non moi laisse à désirer. Ah que des adversaires surgissent partout, bien qu'ils n'existent pas. J'ai eu la chance de prendre la voie royale, mais de toute façon c peut-être là qu'il faut commencer, attaquer la peur. C'est elle qui empêche pas mal de choses dans les soi-disant « voies » qu'on cesse de suivre si ça fait surgir la peur, quelle peur, la peur du lent demain, à tout hasard de je n'ai pas de chance.


Et comme toutes les survivances dynamiques, elle est d'un opportunisme ahurissant, et se glisse dans la moindre faille, dans la moindre discordance entre le moi et le non-moi, la sorcière suprême, face à son amant éternel, le sorcier étincelant du désir raptor-prédateur. Le yin et le yang dans toute l'horreur de leur concentration hypercompressée, avant le big bang qui n'a jamais eu lieu, mais déjà prêts à coder l'ascension de la vie jusqu'à moijepersonnellement, le souverain de la Création, le grand facilitateur entropique, qui détruit son monde pour rivaliser avec ces connards de cataclysmes, et leur damer le pion. La puissance, ça ne se partage pas. On ne va pas se laisser détruire par des raz de marée, de quoi on aurait l'air. Nous allons nous détruire tout seuls, on va se prouver qu'on peut le faire. Ras le bol des volcans et des épidémies. Hara-kiri collectif obligatoire. Ne rien devoir à personne.


La peur est générique, elle accompagne le corps, elle surgit dans les mauvaises anticipations, son réservoir est exploité par le sorcier Tirelarigot, le maître de l'exagération, pour intimider et soumettre, c'est le big adversaire, la peur...


Ce que pensent les autres de nous en négatif, ça vient la titiller et la séduire, elle se transforme en rancœur, ressentiment et tutti quanti...


Tout ça pour dire qu'il est facile de s'engluer dans des fréquences et des formes-pensées qu'on vous balance dessus, et que l'intégrité pour se préserver est un travail maousse-costaud, c'est qu'ils envoient la buée de leur haleine putride sur le miroir de notre image de soi, et on n'y voit plus goutte, quand ils se défoncent à la malveillance, les singes debout.


Découverte fondamentale que le ressentiment est le poison le plus pur de la manifestation, plus subtil que la haine, plus répandu, plus souple, avec un effet à retardement des plus éloquents ; mais tout aussi efficace pour pervertir l'usage du mental. C'est parfois un moyen de défense d'apparence spontanée contre des adversaires, le ressentiment contre X, mais il n'y a pas plus « bas de gamme » que la rancœur pour se protéger, d'autant que c'est loin d'être efficace, puisque celui pour qui on l'éprouve est ainsi doté d'une existence extraordinaire qui se permet un droit de regard énorme sur notre propre vie. Je remercie le ciel d'être incapable d'en éprouver, pour personne, même pas contre des adversaires acharnés. J'aimerais bien « délivrer » les autres de toutes les gammes de ressentiment qu'ils éprouvent contre ceci ou cela, contre Untel ou contre tanteMamie, contre le patron ou l'ex qui se barre sans s'excuser de ne pas dire merci ; ...  ! ... Mais souvent je vois même des personnes qui semblent assez « évoluées », tenir à leur ressentiment comme un jeune chien au premier os qu'il enterre, comme si ce sentiment obscur pouvait être une soupape, et libérer. C'est une grave erreur, et je vous remercie de me le concéder sans vous sentir démasqués, oui, si vous l'éradiquez sous toutes ses formes, votre esprit fonctionnera plus sainement. Si vous êtes terrassé(e) par des manifestations de cet ordre, haine et besoin de vengeance, des choses « plus fortes que vous » imposées par des zévénements-limites, eh bien, allez voir la racine, vous tomberez certainement sur ce que les neurobiologistes appellent « le moi du territoire », soit un esprit spécialisé dans la gestion du domaine contingent, et qui fait son boulot de petit soldat discipliné en s'armant de survivances dynamiques. Les nains gris dont parle Sri Aurobindo. La méditation quantique peut servir à libérer cette partie du moi, qui occupe le Mystère 3 avec d'autres fonctions spécialisées.


N'ai pas changé d'avis depuis un mois où j'ai dit à la radio que seul le Divin permettait de faire face aux difficultés du yoga supramental. (Ici et maintenant 9 mai).




4 Juillet 2010


 

j'informe ceux qui ne me connaissent pas personnellement que le journal-blog ci-dessous est écrit avec la complicité de mon enfant intérieur, qu'il ait quand même un peu de place dans ma vie, et que c'est l'occasion pour moi d'être provocateur, dérisoire, anti bienpensance de tous bords (y compris magico-transcendantale propre sur elle), anti mythologique, anti personnificatrice, anti-idole convenue ou dernière mode, anti bonne conscience, même perso, bref, si vous préférez le sérieux, dont worry: les principes de la manifestation vous attendent, feuille de route pour l'Apocalypse guette votre surrender...

 

Il n'empêche que le yoga supramental profondément physique est encore très rare, et que je me dois donc de témoigner. Toujours pas guéri, je crache une bave très visqueuse tous les matins, j'ai adjoint au traitement homéo trois élixirs floraux d'Australie depuis trois jours. Le livre de Ian White me rappelle ce que j'ai cru comprendre de la relation de Mère avec les fleurs, et on en revient toujours là, la pureté divine du végétal, pureté qui disparaît avec le monde animal, où la dominance joue son rôle pour préserver le territoire, ce qui s'étend au libre arbitre infesté de survivances dynamiques dans l'espèce humaine. Peut-être que la transmission de la "méditation quantique" s'améliorera encore, en tout cas le fils de J F Revel, proche du dalaï-lama, dit plein de bêtises dans son essai sur la méditation. Je crois qu'il se fabrique un éveil fondé sur l'effet placebo, ou bien c'est moi qui suis à l'ouest.

 

Dire que méditer permet de "cultiver des qualités" me paraît un contresens. Qu'est-ce qu'une qualité, c'est un fragment de quelque chose, pourquoi s'attacher à ce "plus mieux" avec l'idée de le faire croître? Absurde. Comme si l'on pouvait cultiver l'humilité, la ferveur, la détermination, la foi, qui ne sont que des effets, des conséquences du processus essentiel d'orientation vers le retour, et qui, cultivées, deviennent seulement des béquilles. Le Soi s'atteint par un effacement progressif qui tend vers l'absolu (l'absolu de son propre effacement (du moi), et l'absolu tout court); en tout cas l'idée de cultiver me semble absolument contraire, je dis bien CONTRAIRE, à la voie spirituelle. A moins qu'il ne s'agisse de l'âme, et alors elle ne cultive pas, my God, elle développe, ce qui n'est pas pareil. Je préférais son papa. Il y a des professionnels "convenus" de la conscience, et les autres, les vrais, les seuls qui ont vraiment "basculé dans le soi". Le problème c'est que ce sont des "personnes" qui ne se poussent pas en avant, les éveillés; et qui laissent donc le champ libre à d'autres, ceusses qui connaissent la théorie par cœur, mais qui n'ont pas basculé. Normal que le bouddhisme soit obsolète pour moi, jusqu'où est-il utile pour tous, n'enferme-t-il pas, lui aussi, tant il est rassurant par sa pérennité?

 

Ils sont rarement dans les ashrams, les monastères, les Ordres, les éveillés. Les professionnels qui se "consacrent" dans un cadre établi, et parlent et glosent, c'est leur métier, ils s'y connaissent en thé au riz, mais sont-ils autre chose que des perroquets? Néanmoins, Matthieu Ricard dit aussi de très belles phrases, bien qu'assez "paroles fleuries", aussi ne faut-il pas confondre la radicalité dans les œuvres, d'ordre événementiel, facile d'accès à tout moine, et la radicalité intérieure, informelle, et apte à l'évolution dans n'importe quel contexte, ordinaire ou "sacré". Avoir un calendrier parfaitement homogène et verticalisé, c'est le lot de tous les "engagés", dans toutes sortes d'Ordres dévoués à la Conscience,

 

— défigurée et embellie à la fois par les particularismes.

 

Il est d'ailleurs assez étrange de voir les choses d'une manière aussi simple, mais c'est le Supramental qui voit les choses comme ça: toutes les religions, tous les Ordres servent l'Inconnaissable, et boostent vers le Mystère de Son existence, et il n'y a pas plus de bouddhisme que de christianisme, d'islam ou de taoïsme, de judaïsme ou de brahmanisme. C'est vraiment kif-kif bourricot, c'est exactement la même chose vu du dessus. Encore faut-il se débarrasser des formes, soutenues par le mental, des préférences, soutenues par le vital, et là apparaît la vérité: Un seul être se cherche avec les moyens du bord, englué dans un espace et dans un lieu particuliers, et qui s'adonne donc à ce qui lui tombe sous l'âme-main, son incarnation présente. Que les humains soient aussi dupes des religions et de leurs formules creuses d'un côté et de leur liberté athée de l'autre, c'est à dire qu'ils escamotent de toute façon la vraie direction, la Conscience suprême à qui ils doivent Tout, et l'Energie primordiale, à qui la création est redevable, cela continue de m'estomaquer un maximum.

 

Un changement "global" permettrait-il de "viser" naturellement le retour au Divin? Le Dieu créateur ne se sentirait-il pas spolié si les êtres humains s'embarquaient vers le Suprême pouvoir, comme les rishis et Sri Aurobindo? Les anges seraient-ils au chômage? Un des passages les plus insupportables de l'Agenda, c'est cette vision de créatures orange et transparentes, qui viennent chercher quelques humains: des "passeurs galactiques"?

 

L'engagement dans les œuvres paraît au début soutenir le moi vers sa source, puis elles deviennent prégnantes, les zeuvres, et assez facilement les moyens engloutissent l'aspiration dans des habitudes et des répétitions de mots d'ordre. La radicalité pure, elle, ne s'apprend pas, et ne dépend pas des actes, ni des comportements, ni même des affiliations supérieures de chez Recommandable. On peut avoir l'esprit radical, et tomber dans le Soi, après avoir vendu des biddhis toute sa vie, ou avoir "bêtement" erré de temple en temple tout en restant analphabète, et basculer quand même, par sincérité absolue. Rien à voir avec le trip bobo-Fnac branché, dans lequel le développement personnel est confondu avec la Voie, et où l'adepte espère recevoir des tonnes de grâce de l'univers avant de consentir à lui donner quoi que ce soit... Donner des choses dont on cherche à se débarrasser, pas difficile en vérité mes bien chers frères. Qui ne profite pas de l'aubaine d'avoir un rom errant au bas de sa rue pour donner des vêtements râpés qui autrement auraient fini à la poubelle, faute de place? Quand il s'agit se s'impliquer jusque là où ça fait mal, c'est-à-dire jusqu'aux choix quotidiens entre le gratifiant et l'aléatoire, souvent plus profond et d'apparence

 

BEAUCOUP MOINS RENTABLE,

 

Il y a moins de monde. Le nombre de faux chercheurs est absolument stupéfiant. On les dénombre aux virages nécessaires qu'ils auront manqué, par frousse, orgueil, ou complaisance. Trois saboteurs rodés par des millions d'années d'évolution dans le cerveau reptilien, l'orgueil est yang, la frousse yin, et la complaisance est un mélange pervers des deux, un amour de soi assez bidon pour qu'on s'autorise la lâcheté, en la justifiant. Si l'on veut être radical absolu, on peut même affirmer qu'il y a des critères universels et incontournables:

 

Le vrai chercheur est le seul à finir dans l'extinction du Soi, ou la plénitude inconditionnelle de l'Amour, qui fait que la souffrance ne fait plus mal. La non-dualité n'est pas une unité aussi plate qu'un encéphalogramme sur un cadavre frais, mais l'évidence de la suprématie de l'Unité au sein du Multiple, la non-dualité déborde à ras bord de contrastes, mais ils ne sont plus conflictuels. Le panard, si vous avez besoin d'une carotte pour avancer !

 

Laissons les faux chercheurs à leurs carottes aussi transcendantales que schizophréniques, à savoir ne plus jamais rien ressentir de désagréable, confit dans le bonheur imperturbable, ce qui est tout simplement le mythe de la bestandwrong bourgeoise du 19 ° siècle, perpétué par des canaux secrets dans le subconscient collectif. Non, le bonheur n'est pas l'aboutissement de la quête spirituelle, il en est plutôt, souvent, le préalable, dont les limites explosent à la figure de l'adepte. Oui, je suis zeureu, mais ça ne suffit plus. Si je pouvais m'emboîter dans l'univers comme un lingam dans un yoni, ce serait plus que du bonheur, et voilà que ça m'intéresse... ( Ces allégations sont écrites en Chine où la sexualité n'a jamais été diabolisée, pas plus que la vie elle-même. La Terre est en dessous du Ciel, même pas inférieure. C'est la jonction des deux qui importe, non la valorisation des bondieuseries. La Chine n'a jamais cultivé les dualités, car la métaphysique l'emmerde, rien à voir avec un brahmane qui peut passer trente ans à collectionner les attributs de Dieu, comme un entomologiste parfait son troupeau de coléoptères). Question non-dualité, le tch'an n'a rien à envier aux emphigouriques doctrines indoues, où l'inutile abonde, les fioritures jouant un rôle important pour décorer l'essentiel. Mais l'économie paraît à certains de la pauvreté, car l'abondance de concepts les rassurent, surtout si c'est pour dénoncer les concepts: il n'y a jamais trop de matériel pour le faire !

 

(Oui, je peux me le permettre, messieurs les éveillés, c'est sans malice ! Mon intelligence aime faire des sauts périlleux depuis mon enfance, et je sais distinguer un oxymore d'un paradoxe, ce qui n'est pas le cas de Toutunchakun, le pharaon fantôme qui bénit notre médiocrité. Si les concepts ne mènent à rien, ce n'est pas la peine d'écrire une encyclopédie en vingt-quatre tomes pour le déclarer, puisque ils ne servent à rien les concepts qui dénoncent les concepts, because ce sont encore des concepts. Mort alité, seul l'âme, le corps, ou le cœur peut s'abandonner à la non-dualité. Inutile de demander ça au mental, à moins de savourer l'infinie tristesse de la tristesse impuissante, comme les grandes victimes de l'Oxymore suprême, ne pas penser la pensée, Dieu ait leur âme, Schopenhauer, Cioran, Wittgeinstein, et même mon détesté Nietzsche). Je trouve que j'ai été un peu long à dénoncer les concepts et que finalement je suis moi aussi tombé dans le panneau. Je vous prix de m'excuser !

 

Quant aux conditionnés dès le berceau, les pauvres ont un travail monumental à faire, pour retrouver leur unicité, comme les enfants qui finissent rimpochés. Leur éducation commence par un super beau bourrage de crâne, et ils suivent. Jusqu'où peut-on suivre, y compris avec une belle carte du trajet? On peut tout savoir par cœur, comme Trungpa qui a flanché que je sache, ou comme Matthieu Ricard, sans avoir vraiment basculé, définitivement. Il y a un problème de "vernis" chez les bouddhistes, my God, trop de considérations, de représentations,

 

trop de certitudes,

 

que le reliquat d'ego, même à l'agonie, peut récupérer pour surfer dans la mare houleuse de ses propres contradictions, soulevée par le vent des ultimes dualités.

 

D'autant que la carotte d'un "bonheur" se poursuit encore dans le bouddhisme, quand bien même ce ne serait pas un bonheur matérialiste, mais autre chose, et le "qui poursuit" la voie du milieu se pose donc encore... Viser l'éveil est donc parfaitement ridicule, mais quand ça se produit, il faut y voir une simple thérapie, un élargissement, une stratégie de vie moins formelle, bien qu'encore attachée à une finalité trompeuse. Le moi qui n'est pas suffisamment d'accord avec lui-même pour s'apprécier et apprécier le Tout, tombe facilement dans le bouddhisme, où il est facile de s'enfermer dans des dualités supérieures, avec la certitude d'être sur le bon chemin, ce qui est plus difficile à obtenir comme illusion suprême dans la voie du Tao, libérée de nombreux présupposés, puisqu'à ma connaissance, il n'en reste que trois ou quatre, que j'ai d'ailleurs mentionnés dans mon dernier atelier. A ce propos, le meilleur Tao-tê_King me semble encore celui de Stephen Mitchell, même s'il provient de l'anglais. Les doctrines qui laissent une prise à l'ego sont donc, tout simplement, mauvaises. A éviter, sauf auprès d'un maître...

 

Aimer avec innocence la vérité qui se dérobe, avoir soif de la Conscience elle-même, c'est le seul chemin rapide et radical pour que le Divin se penche sur l'humain. Les autres voies emberlificotent le sujet dans des stratégies rassurantes, qui posent des pièges pour capturer la Vérité, mais Elle ne se laisse pas prendre à ces jeux là...

 

Alors, pas d'attaques personnelles en ce lieu. Je vise plutôt les limites des cercles qui finissent par se refermer sur eux-mêmes, méprisant la spirale, car ils sont auto-suffisants. Et un lieutenant du dalaï-lama est finalement tellement absorbé par sa tâche, qu'il risque de plafonner et de rajouter sur sa propre expérience perso —la seule authentique — des médailles héritées qui décoreront son plastron.


Je ne dis pas qu'ils restent "ordinaires", les pro, mais qu'il s'agisse des trois quarts des rimpochés et autant des soi-disant maîtres zen, c'est du pipeau ce qu'ils racontent.

 

Cultiver, c'est bidon.

 

Non seulement celui qui cultive peut être un ego prétentieux ou craintif, qui de toute façon se rassure par le yin ou le yang, yin s'il cultive par peur, yang s'il cultive par audace, mais encore ces qualités à cultiver ne sont pas nécessaires du tout. Il n'y a rien à cultiver. Rien. Désolé cher moine.

 

C'est élaguer qui mène au soi, et les mystiques en parlent, avec leur épreuve de la nuit, où ils se rendent compte qu'une partie de leur mouvement ne constitue, finalement, qu'une "volonté d'appropriation de la Vérité", une volonté à laquelle il faudra également renoncer, car Dieu ne s'achète pas. Donc, cultiver la monnaie qui en rapproche, c'est inutile. L'idée d'assurer ses arrières en cultivant des qualités, est soit un truc carrément faux, soit un archaïsme.

 

La conscience est présente sur terre, et exige seulement d'être écoutée.

Se donner des moyens d'aller vers elle en cultivant, quoi que ce soit, c'est préhistorique. Apprendre c'est encore autre chose, et comme le disent aussi bien Lao-tseu que Krishnamurti, apprendre à désapprendre, c'est le fin du fin, et cela nettoie la perception.

 

Il suffit de "voir" où le moi est faible, où il y a des failles, où les limites empêchent, et de rectifier. Cultiver quoi? Contraire en tout cas au Tao. Vivre sans calcul, la base qu'on trouve étonnamment décrite par un autre chemin chez ma chère tête de turc, mon dandy préféré, reste la fondation de la voie.

 

Cultiver, c'est déjà calculer.

 

Ce qu'on cultive provient d'avant l'illumination, comment l'ignorance peut-elle cultiver ce qui mène à la connaissance? C une bonne question et je vous remercie de me l'avoir posée. Mais si vous en avez assez du chemin sans repères extérieurs, cultivez des illusions dorées sur tranche, collectionnez les bouées de sauvetage de différents calibres, et trimballez-les tout le temps, okazu l'abîme vous guette. Se sentir démuni, impuissant, constitue la clé, et c'est le seul moment où l'orientation peut vraiment changer ! Comme Parazar, le grand Sri Aurobindo, homme d'action exceptionnel, a été ravi par Dieu, et quand ça siouplait? Quand il ne pouvait plus rien faire, qu'il était en prison. A méditer quand m'aime, le temps est parfois favorable alors que tout semble bouché, qu'on se le dise. Ce sentiment d'impuissance dans le mental est bienvenu, et ne contamine pas la foi du cœur, il remet à sa place la pensée, qui veut tout régenter.

 

Bénissez l'humiliation, l'offense et l'échec, ou bien courez après ce meilleur vous-mêmes que vous n'êtes pas, maintenez votre superbe posture, et finissez donneur de leçons, sans avoir rien transformé, tout en étant bouffé par le ressentiment quand vous baissez la garde, et que votre obscurité vous rattrape, le temps de la faire taire par une neuvaine ou une médit... ou un sentiment de culpabilité.

 

Mais ça mène où tout ça?

 

Le fait est que l'amour indistinct pour tout et rien, dès qu'il est vraiment ancré, suffit largement pour évoluer. L'amour de la vie, of course, ne doit pas prévaloir sur l'amour du Mystère ou de la Conscience, et c'est là que nous ne sommes pas si nombreux que cela pour faire basculer ipso facto la terre dans la cinquième dimension.

 

Un manque d'abandon au réel, au Divin, c'est ça le problème. Conquérir, c'est encore lutter, et combattre ne peut pas constituer l'ensemble de la voie. Il y a aussi le reste, la gratitude, la reconnaissance, l'amour pour le Principe, quelles que soient nos faiblesses.

 

Sacrifier, oui, résister peut-être à certains mouvements, comme le stipule Sri Aurobindo dans lettres sur le yoga, d'accord. Lâcher prise et se laisser aller n'ont rien à voir, ok. Mais "cultiver" ne peut être qu'un processus mental. Dire non au vital inférieur, passer outre la plupart des désirs, oui, cela est recommandé, car la nature doit servir et non commander, mais s'imaginer que le mental peut établir des points à cultiver, non. C'est une ruse pour se rassurer, se persuader qu'on est sur la bonne voie. Or, il n'y a pas de bonne voie avant l'illumination. Avant, on tâtonne avec les moyens du bord, et ériger ce "tâtonnement" en stratégie, lui fait tout bonnement perdre la part d'innocence vigilante qui le guide. La meilleure image de la voie demeure quand même, tout bêtement, celle d'une petite escalade en varappe, sur une pente pas trop difficile, mais où il demeure impossible d'aboutir sain et sauf si l'attention se relâche. Ceux qui établissent des escaliers font l'aveu qu'ils veulent contrôler la montée sans peine, et procéder pas à pas sans se soucier davantage de l'itinéraire. En vérité je vous le dis, les doctrines sont des escaliers, mais le terrain n'en comporte pas, ça monte et ça distribue à chaque instant ce qui peut faire choir. Aimez le terrain, les cartes deviennent inutiles.

 

Fausses lueurs contre obscurité à accepter,

découvrir,

traverser,

racheter.

 

Cultivez, cultivez,

la bonne conscience de votre ego façonne ses médailles militaires, décorez votre plastron (cliquez sur google au lieu de me reprocher d'employer des termes savants) avec vos méditations bourgeoises qui ciblent la réussite "spirituelle", avec votre jardin de qualités à cultiver, comme de braves petites plantes aromatiques, Dieu se rie de vous, et moi par la m'aime occasion, tandis que le Nouvel-Age s'épuise dans sa rotondité de nanti.

 

(Ceci dit, il existe des outils, des techniques, que je respecte si l'on sait leur accorder la place qu'elles méritent, j'ai même moijeperso inventé la méditation quantique, mais "cultiver des qualités" c'est de l'onanisme, le petit moi qui se regarde sous son meilleur profil dans la psyché de SA méditation... )

 

La méditation n'appartient à personne, et surtout pas à celui qui la pratique.

 


5 Juillet 2010


 

Magnifique meurtre de Freud par Onfray.

 

J'attendais ça depuis longtemps.

 

Assassiner un mort, ils ne craignent rien ni l'un ni l'autre. Mais le cadavre se débattait furieusement quand même, c'était un mort magique, Sigmund. Ils ne le savent pas, mais Elizabeth Roudinesco et Onfray sont aussi intelligents l'un que l'autre, même si leur parcours est fort différent. Il est scandaleux qu'ils ne puissent pas "se reconnaître". Quant à elle, parler de haine pour qualifier le sentiment d'Onfray vis-à-vis du Sigmund, elle se trompe. L'étude est bien menée, et l'on sent tout du long que le texte est inspiré par le seul décalage entre la personnalité du mec en question et tout ce qu'il a voulu faire accroire. Je n'y vois pas d'attaque personnelle, le Michel en question étant au-dessus de ça, ce qu'on subodore dans son journal. Il défend la liberté de penser d'un hédoniste éclairé, pas du tout obsédé par le plaisir, ce qui veut bien dire qu'il vit dans la reconnaissance d'exister, et que je le vois mal jouer au redresseur de torts, étant donné qu'il s'est prouvé qu'il était bien lui-même, qu'il ne défend pas grand chose, et qu'il utilise justement son immense culture pour malaxer avec son intelligence les rapports entre les mythes et la réalité. C'est justement à cela que peut servir la philosophie, évaluer les trajets entre le signifiant et le signifié, et voir comment se bâtissent des cathédrales de croyances et d'obédiences à partir d'une chaîne toute bête de présupposés. Le parcours d'Onfray le prédisposait donc à être un des seuls à pouvoir s'emparer du mythe freudien en refaisant le parcours fastidieux de la collecte des sources, jusqu'à trouver les pièces manquantes, qui ont permis d'embellir, par leur défaut, outre mesure de chez Jaixajair, la vie assez merdique du fondateur de la psychanalyse. Que le burin ait été employé, que la sculpture textuelle soit très aiguisée et comme inachevée par manque de nuances et de rondeurs, cela était absolument nécessaire pour garantir au discours une force inversement proportionnelle à la complaisance historique qui faisait baigner Freud dans un bénitier qu'aucune grenouille digne de ce nom n'aurait osé disqualifier.

 

Bravo Michel. Je sais qu'on te reproche ta "violence", mais qui te reproche ça exactement? Sans doute ceux qui n'ont jamais eu à se battre, et qui vivent endormis, épargnés par Pluton.

 

Qu'un certain travail ait pu néant moins être effectué avec la psychanalyse, c'est indubitable AUSSI, sans compter que c'est peut-être une "felix culpa" cette invention, dans la mesure où Jung et d'autres ont évasé le paradigme et démoli la suprématie de la théorie sexuelle comme cause quasi-unique de tous les troubles névrotiques. Le pauvre Freud n'a pas pu endiguer l'intelligence des autres penseurs en spéléologie pour qu'elle respecte ses propres attachements au rouge et au noir. Qu'il ait été un homme obsédé, soucieux de généraliser ses propres conflits intérieurs, il fallait l'écrire noir sur blanc. Que ce fût un must snob de passer chez lui, à plus de quatre cents euros la séance si le calcul est exact, il fallait le savoir aussi. Rien ne devait être plus chic à Vienne qu'aller s'allonger sur son divan, et lui se tenait derrière pour pouvoir roupiller un peu. C'est fait. Déboulonner Freud, ça ne veut pas dire que tout le mouvement issu de son génie chaotique ( c'est loin d'être un oxymore, voire Nietzsche) est faux. L'intelligence n'a jamais été autre chose qu'un orpailleur, et elle passe au crible ce qui se passe, ce qui se croit, ce qui s'établit, et elle lance de nouvelles idées, en dénonçant les archaïsmes. Il y a un déchet plus que considérable dans la psychanalyse, comme dans la médecine et la religion, où est le problème? Il fallait s'approcher du subconscient oui ou merde !

 

Les modes ont toujours existé, elles tiennent le temps que l'effet placebo les sert docilement, puis avec le recul, on fait le bilan. Il est toujours inférieur aux premières espérances. Vrai pour la psychanalyse, Auroville, le krishnamurtisme. Le brahmane du sud m'a toujours été antipathique, hors de tout jugement, d'une manière sensitive, et enfin je sais pourquoi. Voir Nouvelles Clés de l'été. Justement, le supramental permettra de réduire le décalage entre le discours et le vécu. Car rien n'est plus facile que les paroles fleuries pour l'éveillé ordinaire, mais dans les coulisses, hein, il y a des forces qui n'entrent pas dans les théories, ni dans les solutions posées comme de beaux couverts ouvragés sur une nappe sublimissime. Il faut regarder ce qu'il y a dans les assiettes, l'argenterie ne rend pas meilleur un poisson pas frais nappé de sauce dégoulinante... Dire des merveilles, facile, vivre avec, plus complexe.

 

On s'en tire comme toujours pour fermer les yeux sur ce genre de choses, l'enseignement est bon, c'est ce qui compte, ne chipotons pas sur la vie privée, nul n'est parfait. Ce n'est pas le fait qu'il ait conservé le processus sexuel qui me dérange, mais qu'il ait dû le cacher si longtemps, et que ce fût la femme de celui qui était sans doute le plus proche de lui, qui lui servait de partenaire — en catimini. Et qu'il n'ait pas craché le morceau. (Et qu'il ait dénoncé une certaine sexualité toxique... )

 


15 Juillet 2010


 

A qui le tour? Pluton en Capricorne fait s'écrouler les superstructures et les autorités, que va-t-il rester? (Pauvre ministre, qu'est-ce qu'il y peut si sa femme travaille pour la plus grande fortune de France depuis peu, c'est la faute à pas de chance. Et profiter de cette coïncidence pour supposer une hypothèse de collusion, faut vraiment être malveillant !Ils ne parlent jamais du travail pendant les repas: assez de chiffres derrière leurs bureaux, à la maison motus et bouche cousue. Quelle bande de brutes, les soupçonneux, conflits d'intérêts, et puis quoi encore, à quand les taxes sur les abattements?)

 

Alors bâtir un système? Difficile, mais bâtir un antisystème, c'est pire. Dénoncer les gourous comme inutiles, oui, à condition de ne pas le devenir soi-même, bref l'auteur de l'éveil de l'intelligence a eu dû mal à se dépêtrer de certaines choses. Un discours parfait, mais des contradictions quand même dans la vie... Les gourous sont indispensables, même ceux qui refusent leur propre personnification, comme Krishnamurti et moi-même. On ne peut plus se taire, une fois éveillé, même si c'est pour vanter le silence. On ne peut pas disposer de plus de conscience que les autres,

 

et ne pas déclarer que la conscience est possible,

 

et qu'elle se manifeste à certaines conditions. Mon cher dandy a quand même fait du bon boulot. Et tant que la nature ne sera pas entièrement transformée, même un mec comme lui ne parviendra pas à être entièrement conforme à son propre discours. D'où qu'on vote pour le Supramental quand on a compris les limites de l'éveil.

 

Ascendant Taureau (comme Myself), la sexualité était chez lui naturelle de comme quand j'ai faim, et rivée à l'énergie du signe ascendant. Avec un côté "embellissement", dû à la gouverne de Vénus. Ne jetons pas la pierre à la femme adultère, le maître est derrière.

 

Les aimer les précurseurs, oui, personnifier le Divin en eux, ça sert à quoi, pas grand chose. Sri Tatata tolère encore cela, et ce n'est pas si méchant que ça, il y a toute une tradition derrière, et il fait avancer ses groupes. Mais le kali-yoga c'est fini quand même, ou alors il chevauche encore le nouveau cycle, et il y a donc des mélanges, comme des passerelles finalement entre le neuf pur jus et the best du passé.

 

L'émotionnel purifié, le mental doit s'élaguer, trouver sa racine dans le Soi, et ce n'est pas fini... Aimons, oui, sans admirer. Voir "Dieu" dans son gourou... C'est obsolète. L'humain est faillible. Et puis on finit par prendre le symbole pour ce qu'il symbolise, et c'est fini de chez trop tard. Même problème qu'entre le signifiant et le signifié. Le gourou est avant tout le signifiant, il désigne la connaissance, l'Amour, le Divin, et même s'il est de la nature du signifié, il n'en représente qu'un fragment. Et puis les sentiments sont-ils seulement possibles vis-à-vis des plus grands? Ils méritent un amour non émotionnel et même non affectif, soit l'amour rare et pur, sans attachement, sans appropriation, sans récupération, sans bénéfice secondaire de protection ou de sentiment de sécurité.

 

Qui admire méprise, je l'ai dit cent fois déjà.

 

****

 

Quarante personnes venues m'écouter à Paris, tous âges, tous milieux, toutes curiosités confondues. Je commence à déblayer le terrain pour le Divin, et à développer quelques principes d'une économie extrême pour remplacer toutes les inféodations à des voies particulières. On s'enferme dans le krishnamurtisme comme dans n'importe quelle autre secte, dans une autosuffisance narcissique. Qu'on n'aime pas les "dieux", je l'admets, surtout si l'on est un éveillé indou, et que l'on voit son peuple entier soumis à la superstition et à la dévotion barbe à papa amoureux d'un rahat loukoum.

 

Mais le Divin, hein !Où est passé le Divin chez Krishnamurti ! Dans le vent qui agite les arbres. Un peu faiblard. Ou alors nous avons probablement un karma ensemble, mais pour moi il continue de "détourner" plus qu'autre chose. Il détourne de la vie ordinaire et sous-estime le Divin, mais il guide le mental vers le renoncement à lui-même, ce qui n'est peut-être déjà pas si mal dans notre monde de brutes. Reste à se douter qu'au bout du mental, il n'y a pas que le non-mental, mais aussi la dynamique divine, les shaktis supérieures, qui transformeront l'humain.

 




10 Août 2010


 

J'ai mis ma connaissance à la disposition des autres à Lyon et Paris, grâce à deux organisatrices motivées, mais rien ne dit que cela se développe. J'ai un programme conséquent, et chaque atelier me permet d'améliorer le discours sur le sujet, indépendamment de ce qu'il apporte aux autres. Pourtant, quand la force malaxe le corps comme depuis trois jours, pour faire sortir cette étrange "maladie" qui n'est maintenant concentrée que dans la gorge et le poumon droit, mes interventions me paraissent assez secondaires. J'ai quand même eu l'impression que le Divin me commandait un nouveau travail d'approche de l'esprit, et je me suis procuré un livre important, les nouveaux psys, que je vais passer au crible, au cours de mon voyage à Pekin, chez mon "alter-ego", qui vient de retrouver un job là-bas.

 

Et comme la synchronicité fonctionne, à défaut de repasser par le yi-king, je propose deux stages avec tirage, un purement taoïste, déjà créé, qui comprend deux tirages (un chemin et un allié) et le second dérivera de mon tarot, dont on commence à me réclamer le jeu, alors que je ne l'ai toujours pas fait imprimer.

Je ne sais pas comment feront les suivants avec la sexualité, mais sa puissance est formidable, son exigence si terrible qu'il y aura encore beaucoup de souffrances quel que soit le côté choisi, frustrations et manques par omission, ou conflits et poids quand elle est entretenue, avec cette ambiguïté sournoise qui l'emberlificote avec "l'amour"... La non-dualité à sang pour sang, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, oui, dans une tour, d'ivoire, of course. Dans la vie sociale, la sympathie cherche parfois à améliorer ses performances, avec la bénédiction du vital, si tu vois ce que je veux dire. Vénus et Mars, une très vieille légende, qui a encore de beaux jours devant elle, enfin, il paraît qu'il y a d'authentiques maîtres de la non-dualité, qui pourraient s'endormir quelques secondes seulement après avoir accueilli dans leur lit Miss Univers, demandant humblement à partager leur couche pour recevoir leur darshan. Il y en a qui ont vraiment de la chance, tout compris, tout dépassé, tout résolu... "Dans mes bras?"

 

"Pas de problème, mais ne vous frottez pas trop quand même, chère amie", et le voilà qui croit qu'il va s'endormir tout de suite, avant son érection, qui ne lui a pas demandé son avis, mais s'est basée sur une sensation de chaleur reconnaissable entre toutes pour un corps vieux de trois cent mille ans. Il faut parler de ces choses-là: tout ce qu'on prétend avoir dépassé, sous prétexte que la situation qui pourrait démentir cette prétention ne s'est pas présentée...à moins qu'on la tienne à distance, of course, d'accord, il n'y a pas de petit profit pour le mensonge. La non-dualité absolue, sans procédures d'évitement, être dans l'Un, totalement insubmersible, voilà un beau projet. Dépasser toute tentation, c'est à dire que plus rien ne "tente", au lieu de simplement refouler ou consentir, ce qui revient quelque part au même, on en reparlera. Absorber le non-moi sans jamais la moindre éraflure, allons-y !

 

Allons donc ! Ah qu'ils sont rassurants les concepts ! Les éveillés représentent la non-dualité, allez voir dans les coulisses ! Leur relationnel intime, leurs micro-réactions quand on les turlupine, sans compter le pire du pis de la vache sacrée, les rivalités qui les animent. Leurs évaluations réciproques... Beurk ! Enfin, il y a des exceptions, et des maîtres de la non-dualité qui méritent cette appellation contrôlée, je n'en disconviens pas. N'allez pas les chercher forcément dans le cheptel des plus connus. Perso, pour moi cette appellation est nulle et non avenue, because la dualité est justement évoquée à partir de son absence, ce qui est sémantiquement obscène. Dit-on qu'on est non-végétarien quand on bouffe de la viande, qu'on est non-athée quand on est croyant, qu'on est non-hétéro quand on est homo, la non-dualité c'est quoi, puisqu'il n'y en a plus de dualité, à quoi bon en parler? Et keski la remplace, si ce n'est pas trop vous demander? Là, attendez-vous à des rixes transcendantales propres sur elles comme des glaciers de l'Himalaya qui fondent trop vite, plutôt que de se salir, le monoxyde de carbone ne rencontrant aucune frontière. Oui, des batailles verbales qui deviendront peut-être légendaires... avec de bons bretteurs, qui potassent la question tous les matins, mais bon, la question est insoluble, et elle a été déjà résolue par Nagarjuna. Quand il y a non-dualité, le samsara et le nirvana c'est la même chose. Le flux du réel, c'est tout ce qui reste, un flux sans catégories. Le pur au sens de Jankélévitch. Le pur qui n'a pas de contraire, pas d'impur. Le secret des tantriques. L'union peut-être de Vénus et Mars, si rare, si exceptionnelle, si inattendue, mythique... Ah l'amour, ne m'en parlez pas. Et puis de Jupiter et Saturne, et puis de soleil et lune, et même la réconciliation de Neptune et Uranus, la fusion sans confusion aucune, l'identité sujet-objet, mais qui n'annule pas l'objet non plus...Il faut sept ans pour se débarrasser de la puanteur de l'illumination, aurait dit un jap, rachetant tous ses congénères fixés dans des postures impeccables par cette simple phrase...

 

Ambigüité sournoise : pléonasme? Finalement Tao et tantra ont peut-être raison, aimer la condition "animale" tout en parvenant à s'en détacher (le surf existe pour les héros) vaut peut-être mieux que vouloir s'abstraire de cette base biologique indépendante de l'esprit, en la maudissant, ou en la haïssant. Elle revient toujours par en-dessous, la force vitale rejetée, il y autant de risques à sublimer, qu'à assumer le désir, s'il vient vraiment du corps, s'il n'est pas complaisant, cultivé ni entretenu. D'où l'immense liberté de la voie, le poids des choix, la tentation d'obéir, celle de désobéir dans le même miroir du conflit. Le rôle castrateur des règlements, la mousse au chocolat de la bonne conscience quand on a résisté, mais qui ne vaut quand même pas la découverte d'un autre corps consentant, oui le règlement rassurant contre parfois de vraies satisfactions inexprimables, pleines de gratitude pour le fait d'être vivant, et qui sont passées miraculeusement par une histoire d'amour et de corps. N'en déplaise aux grenailles de bénitiers, et aux élèves dociles. Vous me voyez donc dans l'obligation de ne pas trancher le débat sur la sexualité, ce qu'on me demande parfois. Tout ce que je peux dire, et tant pis si je me répète, c'est que je n'ai eu strictement aucune activité sexuelle pendant les sept ans consécutifs à l'illumination supramentale, et que je suis certain que c'est cela qui a permis un départ foudroyant vers la transformation du corps. Peut-être que dans mes Mémoires je dirai pourquoi je suis repassé par là, si je le découvre vraiment. (Il paraît que Mère Meera s'est marié, entre parents thèses.)

 

Vous ne me verrez jamais réduire la réalité à ce qui m'arrangerait, d'autant que rien ne m'arrange vraiment. Il y a des héros de l'abstinence, et des laissés pour compte de la même chose, pleins de rigidité cadavérique avant l'heure, comme il y a des héros de l'amour, qui ne se laissent pas enliser, surtout chez les femmes, et qui ne luttent pas contre la nature, à laquelle elles ne se soumettent pas... La non-dualité, kesako?

 

Quoi se trouve, derrière la dernière médaille à la mode chez les plus branchés tu meurs? (Je plaisante, je plaisante).

 

La non-dualité commence par assumer ses propres dualités. Je vais d'ailleurs peut-être me fendre bientôt d'une glose là-dessus, pour en finir avec les miroitements trompeurs de la formule. On verra plus tard ce qui reste vraiment, une fois le processus accompli de résoudre la dualité. Le langage fonctionne dans la substance même de la dualité, et se forme même à partir des contraires. C'est-à-dire qu'il y a toujours le noir derrière le blanc qui se pense, et que le oui n'a pas de sens sans le non. Okay. La non-dualité, il est donc impossible d'en parler. Même dans le terme il y a déjà deux choses. Le négatif, qui coupe l'herbe sous les pieds, et l'évocation: dualité. Cela fait beaucoup de poids pour quelque chose censé en libérer.

 

Transmettre son chemin quand même?

 

Oui, j'encourage tous les éveillés à le faire, d'ailleurs ils n'ont pas besoin de mon approbation, mais ça veut bien dire que le Soi peut mener au Supramental autant que la voie de l'être psychique, englobante, et qui coupe cent fois moins les cheveux en quatre que la voie du Soi. Qu'on procède par absorption absolue (du non-moi), la voie de la bakti; ou par la désidentification absolue, la voie traditionnelle qui mène à l'Impersonnel, ça revient au même. Le problème est seulement que presque personne ne tient une voie radicale jusqu'au bout, et que les mélanges sont eux aussi difficiles à intégrer, puisqu'ils fabriquent des amalgames, fournissent des identifications inutiles et des réserves de principe qui se trompent parfois d'objets. A ma connaissance seul Sri Aurobindo ouvre une voie non réductrice, et je me suis engouffré dans la brèche, grâce au travail du Supramental qui exige à la fois détachement et implication, distance et spontanéité, puisque le corps physique finit par faire presque tout le boulot, une fois que la "réalisation" est acquise et mise de côté pour permettre le "barattement" dans la trame biologique et subconsciente de la vibration de la Mère des Mondes.

 

Vous ai-je raconté l'histoire suivante? En 1994, j'étais resté seul à Sri Lanka, après y avoir emmené ma "conquête" dont j'étais éperdument amoureux, et qui était répartie en France travailler ( "la femme de ma vie pendant quelques années"). Elle m'y attendait chez moi, mais je trouvai qu'un peu de distance entre nous, nous ferait du bien, tant nous nous étions identifiés l'un à l'autre au cours de ce voyage. J'avais atterri à son départ dans la maison d'une femme très séduisante, qui me louait une chambre, et je travaillai mon roman "retour à la source". Or cette femme s'était mise dans la tête de me séduire, et se couchait derrière la porte le soir, quand je revenais après dîner, bien en travers, pour ne pas manquer mon arrivée, et je ne pouvais pas entrer à moins qu'elle se lève. Elle se levait donc et me faisait des avances... Je restai chez elle plus d'un mois dans ce contexte, en la repoussant. Avant de repartir en France, je me retrouvai dans une auberge, et tout en récapitulant en vrac mon voyage, je fis une expérience extraordinaire. Je fus soudain littéralement attaqué par le pur Rajas, le guna proprement dit, l'intelligence cosmique du désir, qui s'était sans doute rassemblée dans mon cerveau pour me tirer dessus à bout pourtant. Une boule de désir se forma dans le bas-ventre, et la voix me reprocha vertement mon attitude... J'étais le dernier des idiots : je ne comprendrais jamais rien à la vie, j'aurais pu profiter de l'estime et du désir de cette femme pour moi, que je désirais si j'osais me l'avouer, alors pourquoi ne pas avoir écouté ce désir? Je vivais vraiment