Saint-Germain en Laye.
Ce "journal
de recherche" va remplacer le journal blog spontané, qui avait
laissé la parole à mon enfant intérieur. J'ai renoncé à
l'indifférence absolue du maître de l'extinction, et je ne souscris
pas à la non-dualité (quelquefois béate) que permet l'Impersonnel,
car ce n'est pas le Soi éternel qu'il faut sauver, il se suffit à
lui-même, mais la vie. Ce "journal de l'éveil" vous
permettra de vous synchroniser avec mes découvertes, mes coups de
cœur, mes "insights". J'ai donc le loisir d'étudier ce
qui me passe sous la main, toujours dans la même et seule optique:
comprendre. Je regrette que cette base de l'éveil soit parfois
reléguée au profit de nombreuses stratégies, et je ne sais
pourquoi cela se passe maintenant, mais vraiment, il m'apparaît
aujourd'hui carrément obscène d'être sur la Voie et d'en attendre
quelque chose. Bien sûr, l'aspiration peut être considérée comme
le souhait de la connaissance de Dieu, et donc elle est légitimement
"tournée vers", oui, mais ce mouvement d'être tourné
vers n'attend rien, et se suffit au jour le jour des quelques pépites
quotidiennes.
Le premier
flash que je vous transmets provient d'une lecture dans le magazine
Lire, que j'emprunte à la bibliothèque magnifique de Saint-Germain
en Laye. Je tombe sur un concept que je cherchais depuis longtemps,
et il me saute aux yeux. Il s'agit de la lecture symptomatique. Cette
expression désigne la faculté de prendre dans un corpus ou un texte
ce dont a besoin et d'ignorer le reste. J'ai alors vu défiler sans
le moindre effort quelques visages d'Aurobindiens, qui, sans le
savoir, avaient fait de la lecture symptomatique avec le
révolutionnaire de Pondichéry. Je n'ose pas évaluer leur nombre.
Etant donné tout ce que couvre l'œuvre de Sri Aurobindo, chacun
peut y puiser un morceau qui l'intéresse, et oublier le reste, qui
lui demande trop d'efforts, ou dérange un de ses gunas; (Wikipedia.)
Image subliminale du visage d'une femme assez perdue, qui attendait
depuis longtemps une dimension nouvelle débarquée de nulle part,
mais qui était incapable de faire la moindre sadhana, sous prétexte
de fusionner avec tout. Tombée dans le piège "solaire" de
son signe des Poissons. Pas de nouvelles depuis la conférence. Me
souviens des hindous qui ne cherchent qu'une chose: adorer Sri
Aurobindo comme un dieu ultime, en se moquant éperdument de
s'attaquer à leur propre nature, et qui s'imaginent qu'un jour le
supramental va leur tomber dessus, croyance qui me blessait quand
j'étais à Auroville en 78, car ceux qui s'appuyaient dessus en
profitaient pour être odieux. Ces êtres humains se débrouillent
pour confondre lâcheté et humilité: seul le Divin peut faire
quelque chose pour moi, pas question de m'impliquer dans un
changement radical dont l'orientation serait aléatoire. Pauvre
esprit de l'Inde, trop souvent saturnisé à mort. Sans compter les
laissés pour compte, possédés par l'angélisme, et qui se sont
attachés au caractère historique de la manifestation du
Supramental, et qui ne s'en remettent pas, ni de la mort de Mère, ni
de celle de Satprem, dont certains ont même cru qu'il fallait
devenir comme lui un misanthrope pour faire ce yoga. Qu'ils relisent
les aphorismes de Sri Aurobindo.
"Je suis
saturé de cette impatience enfantine qui crie et blasphème et nie
l'idéal sous prétexte que les Montagnes dorées ne peuvent
s'atteindre dans notre petite journée ni en quelques siècles
momentanés". (Aphorisme 315)
Je pourrais
aussi citer les thuriféraires de Mère qui sous-estiment Sri
Aurobindo, parce que l'Agenda les a envoûtés, et qui considèrent
que c'est elle qui a vraiment "commencé"; et
naturellement dénoncer l'inverse, les addicted au bengali réfugié
en comptoir français, et qui cherchent des poux sur la tête de
Mère, qui devrait tout à l'auteur de la vie divine. Par
anticipation, je me vois déjà coupé en morceaux dans dix, vingt ou
trente ans, approprié de différentes manières, c'est la loi et
c'est amusant, ce qui compte c'est ce que l'on retire de mon
témoignage, et je sais déjà être utile, ce qui me réjouit.
Certains resteront fans du soixante-huitard épanoui du journal, et
s'arrêteront là, sous-estimant sans doute ce que j'ai accompli dans
le yoga, tout en prenant leur démarche avec trop de désinvolture,
croyant se référer à une autorité pour traîner en chemin.
L'effort n'est pas toujours de mise, mais la vigilance, elle, se doit
d'être permanente. D'autres me considéreront comme un génial
détenteur de la pensée chinoise, capable de transmettre la voie du
tao s'ils ont suivi le séminaire, et ils ne verront qu'une sorte de
Maître vivant, écartelé par la dualité taoïsme/supramental,
alors que l'un mène à l'autre (Il restera à départager les
clichés qui enrobent le Soi des exigences supramentales qui
démentent en partie la non-implication (dans le samsâra) chère aux
petits maîtres et aux bouddhistes du Theraveda). D'autres
apprécieront que je crée de très belles représentations, des
cartes quoi, auxquelles ils se fieront, sans doute outre mesure, et
ils me verront comme une sorte de mage s'ils s'attachent par exemple
aux "Inconnaissables" et à Cosmophilosophie, destinée aux
astrologues. D'autres resteront dans l'esprit du Soi, considérant
que la racine de l'éveil est finalement suffisante à tout
expliquer, et que je suis un maître de la non-dualité, qui a trahi
la tradition pour se compromettre et finir dans la défense de la
vision supramentale, qui contredit certains canons certifiés
conformes et réputés imprescriptibles...D'autres se moqueront de
tout ça, considérant que certains de mes tableaux numériques sont
inspirés, ou qu'ils ont besoin de ma musique pour se lever, quitte à
s'imaginer que l'art peut mener au Supramental. Il y en a même qui
m'admirent déjà comme romancier, et se moquent éperdument du
reste...Enfin, bien sûr, certains reliront "les principes de la
manifestation" et se diront que ce type, quand même, n'est rien
d'autre qu'un philosophe d'un nouveau type, un simple prophète, un
vulgarisateur intellectuel de la "théorie" aurobindienne,
et la lecture les enchantera et les gênera tour à tour, puisqu'elle
ne fournit pas le Divin clés en mains. Mais tout cela est prévu,
tout avance et tout résiste en même temps. Vous êtes tous déjà
le Soi, et il reste à vous en apercevoir, briser les barrières
entre le moi et le non-moi.
Je dois dire
qu'en ce qui me concerne, cela ne me dérange pas du tout d'être
récupéré. Etre récupéré ou se taire. D'ailleurs, venons-en au
fait du journal de recherche. Debord a été récupéré, chacun le
sait. La question qui se pose aujourd'hui même, vu que ce monsieur
passe de l'anonymat réservé aux génies à la médiatisation à
outrance: est-ce qu'on va pouvoir récupérer Philippe Muray ? Si
oui, c 'est que nous sommes vraiment au bout du rouleau. Dans le
fétichisme de l'échec, et sa célébration bien-pensante. Car Muray
ne laisse rien passer, rien. Il dépèce l'esprit de notre temps,
voit ce que n'importe quel "chercheur" aperçoit, sauf que
chez lui c'est systématique et professionnel, construit,
pourrions-nous dire. On pourrait affirmer qu'il nous "mâche le
travail". Mais ce n'est pas un saint, et il ne propose rien. Il
"voit" en quelque sorte tout ce qui ne va pas, sans se
plaindre comme Cioran, et sans bâton idéologique comme Debord, qui
avait quand même besoin de Marx. Ce que je voulais dire, c'est qu'il
a fallu qu'il meure en 2006, et sans doute qu'il y ait la crise
d'octobre 2008 pour qu'on s'avoue qu'il avait raison, grosso-modo, et
en long en large et en travers. Je ne vais pas le décortiquer pour
extraire des erreurs ou des exagérations. Dans l'ensemble Muray a vu
le problème, l'espérance molle qui aveugle l'horreur du présent,
ces espérances molles possédant autant d'alibis que de couleurs,
que de sectes, que de bien-pensants de tous bords. Et la vérité
c'est que personne ne l'a suivi. Il aurait survécu en écrivant des
polars, sans jamais se compromettre dans une école d'espoir à
cacher la poussière sous le tapis. Une fois de plus, je reçois un
coup de poignard dans le dos. Ce n'est pas que la vérité manque, si
l'on entend par là la découverte de ce qui améliore notre
condition, ou les causes de ce qui nous aliène. Non, elle ne manque
pas, mais soit on la fait taire, soit on l'évite, parce qu'elle
dérange vraiment trop. Il fallait le célébrer tout de suite, tenir
compte immédiatement de ses analyses, et que ça fasse boule de
neige. On n'en serait pas là. Mais en l'ignorant le plus longtemps
possible, ses découvertes sont d'autant plus amères que l'on ne
peut plus les utiliser pour "changer le monde". C'est trop
tard. Qu'on n'ait pas écouté ce penseur tout de suite, signe la
faillite de notre société, et prouve par A+B qu'il avait raison,
sur presque toute la ligne. Il a résisté à tous les politiquement
correct de gauche ou de droite, on l'a laissé de côté, mais c'est
lui le voyant, pas les opportunistes qui vivent sur le cadavre de la
vérité marxiste, ou sur l'agonie impossible du Capitalisme.
Et c'est le
même magazine qui remue chez moi une vieille plaie, la bêtise de
l'intelligence quand elle fait cavalier seul, se coupe des faits,
oublie le bon sens, tourne en rond dans sa soi-disant raison, où les
signifiants parfaitement bien ordonnés finissent par masquer les
signifiés. Le pauvre Althusser, considéré comme un demi-dieu par
les normaliens pendant toute sa carrière, étrangle sa femme en lui
massant le cou. Interné pendant trois ans, il est libéré et finit
sa vie dans un appartement du nord de Paris. Il apostrophe les
passants "Je suis le grand Althusser". Je voudrais qu'on
médite un peu-là-dessus, comme sur la fin de Nietzsche, qu'on
comprenne définitivement que le génie philosophique, en Occident,
n'est la moitié du temps qu'une apothéose du mensonge, une
construction édifiante qui récupére des attentes collectives, qui
joue sur des frustrations, qui exploite la part de l'enfant qui
survit, refoulée, en chacun de nous. Avec des scandales
terrorisants, si Onfray a raison, Kant aurait dit que supprimer un
enfant sans état-civil n'était pas un infanticide. À vérifier.
Une architecture de tourbillons de vent, et qui s'égare dans une
sorte de Merveilleux mécanique, si l'on me pardonne cet oxymore, un
Merveilleux mécanique, précurseur de l'échange virtuel sur le web,
où des inconnus s'imaginent se connaître, parce qu'ils échangent
simplement quelques phrases codées par leurs illusions partagées.
(A croire que Muray se tient sur mon épaule et me dicte cette
dernière considération). En dérivant le principe, qu'on se méfie
donc des stratégies qui ont réponse à tout. Se libérer du
bouddhisme envahissant, le grand Paternaliste, ne pas voir dans Sri
Aurobindo l'Alpha et l'Omega, qui gave le besoin de réponse jusqu'à
satiété qui finit dans la torpeur et la bonne conscience d'avoir
tout compris (le fléau qui frappe cette immense secte dispersée et
libre), mais subodorer le passage difficile au-delà de toute
dualité, non dans le statique, ce qui est la non-dualité
impersonnelle, mais dans la dynamique de la vie, ce qui est une autre
paire de manches que l'Absolu de Nisaggardhatta ou que le soi créatif
d'Andrew, le cher petit, le plus fat de tous les éveilleurs d'
aujourd'hui. Enfin, la connaissance exige de nous la compréhension,
et inversement. J'ai pour ma part conclu de tous les abus de pouvoir
et de toutes les récupérations laïques ou saintes, que chacun fait
ce qu'il peut, et que chacun en rajoute et se surestime, — c'est
la loi de la "lentille individuelle", la règle du moi qui
se différencie et qui a besoin de croire en ce qu'il fait. C'est
profond, et pas si méchant que ça.
Comprendre
davantage, c'est-à-dire absorber le réel conformément à ce qu'il
est. Je m'attelle à 800 pages sur les nouveaux psys américains, et
tout ça ne débouche pas vraiment loin. Le seul qui ait dit la même
chose que Krishnamurti, mais en termes professionnels de psychologue,
n'a jamais été traduit en français. Il s'appelle Ellis, et fait du
verbe "accepter" la clé de toute guérison. Accepter au
sens holistique, naturellement, ce qui n'a rien à avoir avec
approuver, je le répète. Bien sûr quelques lueurs, mai si peu.
Comme si la Conscience était toujours abordée par les côtés,
j'oserais même dire sournoisement, sans oser l'appeler par son nom,
pour la manipuler, la voir comme une mécanique complexe, dont on se
gargarise de trouver quelques pistons, des erreurs de fonctionnement
obligées, des pistes toujours extérieures, des pistes écologiques,
avec pratiquement l'impossibilité d'établir la Conscience hors
d'un contexte, et toujours cette pente réductrice: l'esprit, un
pouvoir quasi chaotique qui pousserait différemment selon la famille
et l'éducation, et se permettrait d'énormes anomalies. Pas
d'intuition de l'intelligence démystificatrice, ou alors seulement
chez les plus réceptifs. Chez les autres, c'est toujours la même
"adaptation" au monde contingent qui est visé. C'est assez
ahurissant que personne ne remarque le côté "subversif"
de la conscience supérieure, mais il est vrai que c'est une étude
qui porte sur la psycho américaine, et que ce peuple est scotché
émotionnellement au non-moi, depuis son origine. Le circonstanciel y
est sanctifié, l'événementiel y fait la loi davantage que partout
ailleurs, et depuis la disparition d'Alan Watts, et en-dehors de
l'école de Palo Alto, ça reste pragmatique sans aller chercher trop
loin, la psycho américaine, ce qui est sans doute voulu par les
circonstances, une tradition de la violence insane dans les familles,
qui survit encore, une préoccupation majeure qui l'emporte sur la
question de luxe de l'ego spirituel. Coup de chapeau quand même à
Steven Hayes, qui récupère une partie de la "sensibilité
bouddhiste" et l'attache à des axes concrets de dialogue qui
permettent des prises de conscience évolutives, à partir de six
évaluations différentes. Tout est dit avec accepter, choisir, agir.
Pas traduit pour le moment, lui non plus. Sur l'ensemble, les
professionnels qui reconnaissent une évolution non dirigée par un
besoin de réussite ne me semblent pas les plus nombreux. Etre et
réussir, ce n'est pas la même chose. Une guérison qui sert le Soi
et non le recouvrement de l'ego, tel est le but de la souffrance.
Cette vérité commence quelque peu à se partager. Elle a été
longtemps le signe distinctif du bouddhisme, antagoniste sur ce point
du christianisme, dans lequel la souffrance a toujours été
valorisée, dans le sillage de la crucifixion rédemptrice, scénario
que je suis prêt à démolir devant Jésus lui-même, si j'avais le
bonheur de le rencontrer et qu'il vienne achever sa mission, on ne
sait jamais. Il semble qu'il l'ait cherché...cette fin, problème
insoluble. Comme celui des "sectaires chrétiens", qui
rachètent en quelque sorte leurs martyrs en s'emparant du pouvoir à
Alexandrie, et en persécutant les juifs et les philosophes. Et la
misogynie de saint-Paul ! A nous de sortir de plusieurs milliers
d'années de dictature du yang. En ce moment, je dois encore nettoyer
des mémoires transgénérationnelles de souverain mépris de la
femme, quatre générations en amont du côté de mon père. Où tout
cela est-il logé pour jouer en "résistance", je n'en sais
rien, mais je souffre encore physiquement de ces choses-là; comme si
je devais déprogrammer mes corps subtils in extenso. Enfin, le Divin
devrait s'y retrouver, il est aussi présent dans mes douleurs que
dans mes extases, j'ai la chance extrême de le savoir et de
supporter des choses difficiles grâce à cette vision, qui n'est pas
de la méthode Coué, mais de l'expérience pure.
Toujours dans
le même cadre "recherche", satisfaction de voir que René
Guénon est un des seuls occidentaux à avoir compris la profondeur
du taoïsme. Beaucoup d'autres, avides de glose, rassurés par les
considérations, les collections de principes, les architectures de
représentations, et les chorégraphies de postures, s'imaginent
l'Inde loin devant...Guénon ne tombe pas dans le panneau, autant
dire qu'il comprend la pensée chinoise, une pensée systémique,
holistique avant la lettre, ce dont j'ai abreuvé les très rares
séminaristes de l'atelier de Lyon, en leur avouant les différents
sens de l'idéogramme tao, et de nombreuses fractales du yin et du
yang, qui s'appliquent à notre vie psychologique. A transmettre
oralement, pour vérifier que c'est bien compris. En revanche, Guénon
me paraît toujours indispensable pour passer de trois fois rien à
Sri Aurobindo, qui écrase tout le monde de sa suprématie. Selon le
principe natarajanien bien connu qu'il vaut mieux monter un escalier
quatre à quatre, que huit à huit, ne forcez pas. Quatre à quatre
sans s'essouffler ce n'est déjà pas si mal, au-delà, n'oubliez
pas que vous risquez l'entorse, de vous tordre la cheville en
manquant la cinquième, sixième, septième, ou même huitième
marche si vous êtes un athlète, que vous risquez de retomber tout
en bas de l'escalier au moment où vous croyez que le saut est
acquis, mais que votre corps, le traître, fatigue au trois-quart,
avec le risque de se rompre le cou, que vous risquez de vous écraser
le genou sur l'arête d'une marche intermédiaire, que vous risquez
la crise cardiaque si sous parvenez quand même au sommet sans
tomber, terrassé par l'effort. A l'impôt cible, nul n'est tenu,
n'oubliez pas cette vérité premièreAperçus sur l'ésotérisme islamique et le Taoïsme, tradition, NRF, Gallimard. (Quatre à quatre, j'exagère
peut-être pour le fun, en tout cas, sauter une marche est souvent
moins fatigant qu'une par une si elles sont courtes et peu élevés,
le pinaillage ralentit).
Content de
vous avoir appris que vous étiez peut-être guetté, par
inadvertance, par la
lecture symptomatique.
On en revient aux préférences et aux aversions. La préférence
choisit ce qui vous botte, l'aversion détourne son regard de ce que
vous préférez ne pas voir. Et pourtant, c'est l'ensemble qui
compte, car l'ensemble est insécable dans une vision
transcendantale. Sri Aurobindo sans les lettres sur le yoga, c'est de
l'envoûtement. Heureusement les lettres rabâchent les conditions
nécessaires, justifient les difficultés, expliquent les seuils,
rendent compte des acharnements des résistances, bref, le yoga de
Sri Aurobindo n'est pas Merveilleux, ni merveilleux mécanique, on ne
trouvera jamais la formule qui scotche au Supramental, ni merveilleux
onirique: aucun angélisme, aucun idéalisme, aucune bonne
conscience, et même aucune sainteté ne mêne au Supramental,
puisque la sainteté plafonne dans sa connivence avec Dieu...Alors
peut-être l'amour, oui, l'amour de la
terre, qui ne sera pas possible sans l'amour
du ciel, qui le purifie.
Tandis que
j'écris ces lignes, en toile de fond, la voix basse de la télé, et
j'entends distinctement Jerphagnon, Professeur émérite des
Universités, répondre à Elkabbach: "toute personne qui se
prend au sérieux relève de la psychiatrie lourde". Je suis
tout à fait d'accord, le plus difficile étant de transmettre que la
voie la plus profonde est légère et attentive, volatile et
permanente, spontanée et distante. Nous en revenons donc au mariage
des contraires, et non à leur confusion, et non à leur amalgame.
L'équanimité n'est pas le nivellement de la joie et de la
souffrance, ce qui ressortirait de leur combat se finissant avec la
mort de l'une et de l'autre dans une moyenne remplie de neutralité,
mais bien la capacité de recevoir dans le sensible, sans en être
affecté, le plaisir et la douleur. C'est ce nivellement idéologique
qu'un mental peu développé, peu arrimé au moi profond, recherche
dans les mythologies insanes comme celle du bonheur, de la réussite,
et en dérivant, de l'illumination et de la délivrance, — comme
apothéose mettant un terme à tous les problèmes. Toutes ces
projections proviennent de l'état d'ignorance, attablé à ses
manques à gagner. Le bonheur ne peut pas être stable sans se
mortifier dans la routine et s'effondrer dans sa propre obsession de
se maintenir, la réussite appelle toujours davantage de réussites
et donc de menaces, et l'illumination, à moins qu'on veuille la
chauffer à blanc, la conserver pour la pousser jusqu'à
l'extinction, ne résout strictement rien dans la Manifestation, et
propose chaque jour une nouvelle journée. Que le moi jouisse d'un
regard neuf, et qu'on n'ait plus besoin de se caractériser soi-même,
tant le flux est continu entre soi et le non-moi, je n'en disconviens
pas, mais si le Soi doit faire cesser l'évolution spirituelle, il se
présente dans ses vêtements archaïques. J'espère que les
"éveillés" — au demeurant peu nombreux — finiront par
tomber sur Sri Aurobindo sans se détourner de leur propre chemin,
sans rien attendre, si ce n'est peut-être de voir que c'est Lui qui
propose le changement le plus naturel de l'Histoire, même si c'est
le plus difficile. À côté des prophètes galactiques, des menaces
et des promesses extra-terrestres, il propose une vision saine,
féconde, absolue, une libération complète vis-à-vis de toutes les
autorités, à condition de se soumettre à l'autorité suprême, la
Conscience Suprême. C'est quelque chose de merveilleux. Et même de
simple si l'on comprend profondément la complémentarité de la
shakti et du purusha, c'est à dire du mouvement qui organise,
l'énergie, et de la conscience qui n'a pas besoin de bouger, qui
jouit de son être, mais se déploie quand même, mystère qui
échappe au Mental, et qui ne peut se justifier, mais mystère qu'on
peut embrasser quand même. Le Soi, Le Tao, et dans une certaine
mesure le supramental, peuvent faire partie de nous car nous faisons
partie d'eux — ce qui est l'objet de la connaissance, puisque la
"séparation" a bien eu lieu, et qu'elle se manifeste par
le libre arbitre. Le fait d'avoir le choix montre que plusieurs
chemins sont possibles, alors qu'il n'en existe qu'un seul, celui qui
réunit le marcheur et son itinéraire. Voilà pourquoi Sri Aurobindo
a parlé d'un "automatisme conscient". Savoir toujours
naturellement, ce que l'on a à faire, en étant inspiré, la raison,
l'intuition, l'empathie fonctionnant de concert. Il s'agira là d'un
résultat décisif. Pour moi, l'automatisme conscient fonctionne à
certaines époques, à d'autres non. On en trouve naturellement le
germe dans le Taoïsme, puisque ce système ne se sépare jamais des
événements, sous prétexte qu'ils appartiennent au Samsâra. Les
taoïstes vivent donc reliés à la Terre, ce que le maître du Soi
impersonnel indou trouve en général vulgaire. Je l'ai dit dans le
vrai tao, les peuples fondamentaux (puisqu'il n'existe qu'une seule
race) possèdent une sorte d'âme qui leur est propre. Le même
éveil, le même "niveau" sera vécu différemment par un
chinois, un indou, un occidental. Le cerveau joue un rôle
considérable dans la perception, et celui dont nous héritons n'est
pas innocent. Mais tous les éveillés, d'où qu'ils proviennent,
sont aujourd'hui les premiers "terriens". Voilà. Les
premiers et les seuls, si j'entends par terrien le moi qui débouche
sur la transcendance du patrimoine culturel dans l'état
non-conditionné du Soi.
Devenez des
terriens, ou des éveillés, c'est la même chose.
Mais le
terrien n'abolit pas les frontières, ne souhaite pas une
mondialisation anonyme, ni la fin des particularismes. Il les aime,
dans la mesure où il ne retient de chacun que sa lumière, celle qui
justement manque peut-être au voisin. Comme je l'ai déjà abordé
dans les "principes de la Manifestation", destiné aux
siècles futurs, et que le web sauvera peut-être, le développement
de la conscience se présente aussi comme un développement de
l'intelligence, jusqu'à ces zones impénétrables pour le commun des
mortels, où l'hétérogène apparaît confirmer l'homogène, au lieu
de le combattre ou même de l'atténuer. Il s'ensuit que l'esprit
abandonne complètement la technique de la comparaison, et se
contente d'absorber la vérité de chaque objet qu'il perçoit, sans
effort, spontanément. Il n'y a plus rien à opposer, ce qui est
déjà renversant dans le Soi, après l'illumination, où "tout"
se révèle d'un seul tenant, et ce principe se développe encore
avec le supramental. Toute la culture humaine coule de source, le
rite du papou n'est pas meilleur ou pire qu'une remise de la légion
d'honneur, la prière du chrétien vaut l'intégrité du bouddhiste
athée etc...les faits révèlent l'unique esprit qui se perd et se
complaît dans des milliers de formes, jusqu'au retour à son état
originel...Guénon aussi reconnaît un Intellect, dégraissé des
perceptions subjectives, et opérant une saisie universelle et
informelle des événements, qui ne sont plus que des formes...Je ne
cesserai d'insister sur la complémentarité de l'Intellect et du
cœur, ayant trop vu des croyants stupides et des adeptes supérieurs
secs.
Etre terrien
ce n'est donc pas s'affranchir de sa propre culture, mais l'ouvrir à
toutes les autres, accepter un mélange qui ne procure aucun
amalgame, mais enrichit et complète, tandis qu'il est loisible de
continuer à agir avec l'âme de son propre "terrain de jeu".
Les éveillés occidentaux sont aujourd'hui moins enfermés dans les
traditions que les hindous, par exemple, à moins que justement ils
ne les imitent, ce qui est différent de transmettre une tradition,
qui doit rester pure, et résister à son exportation. Voilà
pourquoi pour ma part, bien que "je" dans mon corps
représente simultanément la voie de Lao-tseu et les balbutiements
de la voie supramentale, ainsi que la voie de l'astrologie
transformatrice, j'accepte que tout éveillé témoigne de l'éveil à
sa guise, sans référence autre que son affirmation personnelle, son
trajet, à moins qu'il s'imagine, ce qui semble être le cas parfois,
qu'il "faut faire comme lui". Certains leaders prétendent
qu'il est inutile de passer par l'orient sous prétexte que leur
propre expérience les en a dispensé. D'autres ne jurent plus que
par l'éveil sauvage, — comme si s'imprégner des vérités
traditionnelles pouvait se retourner contre l'adepte ! On voit ici
même les limites de l'éveil, ou en tout cas ses degrés, puisque
certains généralisent leur propre expérience, et veulent donc
imposer le même itinéraire étriqué aux autres. Que
certains suivent et d'autres non, c'est évident. Mais si l'éveillé
veut devenir un maître, avec une aspiration qui finalement s'impose
et le dépasse, et ne lui "appartient" même plus, il doit
s'atteler à faire comprendre que l'éveil est possible. Prétendre
en indiquer le chemin, c'est largement en aval. Et balancer des
clichés pour se justifier, c'est ridicule, mais certains ne s'en
privent pas, "il n'y a plus personne en ce moment pour vous
répondre, je parle d'un autre lieu", ça fait quand même
petite sœur des pauvres distribuant des bonbons dans les
bidonvilles, à l'époque où la survie de l'espèce est en question.
Ce qui compte, c'est de transmettre que c'est possible, et que
l'éveillé devient un instrument cosmique, un réparateur. Et plus
cela sera transmis, moins il sera nécessaire d'insister sur la
forme, et d'utiliser des accessoires pour étayer le fait lui-même.
Et si l'on redoute d'avoir été subjugué par un éveillé néophyte,
il reste à revenir aux sources les plus sublimes, Sri Ramakrishna,
Sri Aurobindo, et Mâ Ananda Moyi, dont la clarté mentale illumine
le monde des femmes, et asseoit définitivement l'égalité
spirituelle entre les deux sexes, qui semble contestée si l'on
compte le nombre extravagant de Maîtres du Soi impersonnel
masculins. Et rabâcher que le Soi impersonnel n'est même pas la
moitié de Dieu, mais son antichambre. L'amour prend le relais quand
le discernement a abouti, et c'est là le secret suprême. Gloire aux
femmes !
"Faites
l'impossible pour ne jamais succomber à l'influence de quelqu'un.
Pour devenir ferme, calme, profondément sérieux, plein d'héroïsme,
si l'on veut par sa propre force garder sa personnalité parfaitement
intacte pure et sainte, il faut se centrer sur Dieu."
Mâ Ananda
Moyi, collection Spiritualités vivantes. Albin Michel.
S'enfermer
dans l'errance pour ne pas tomber sous une autorité revient au même
que s'emprisonner dans une voie tracée d'avance, qui voudrait
commander aux événements. Car il faut bien quelques principes pour
avancer vers l'immuable, réduire le mouvement et sa coercition
naturelle, qui nous empêchent de saisir ce qui est hors de
l'emballage éphémère des apparences. Mais ceux qui veulent rester
"dans le mouvement", pour aussi intelligents qu'ils soient,
comme Philippe Muray par exemple, ne peuvent apporter aucune solution
à la dérive sociétale. Leur lucidité est exceptionnelle, leur œil
voit au laser, perce toutes les illusions sociales, demembre les
relations fondées sur les vices collectifs, l'opportunisme, yin, et
l'abus de pouvoir, yang, mais cela n'avance à rien. Aucune sortie,
parce que le repos, l'immuable, le non-mouvement, n'a pas été saisi
comme l'œil du cyclone, le seul lieu de survie possible, le seul
bien, bien paradoxal finalement, puisque pour l'acquérir, il est
nécessaire d'avoir renoncé à toute "possession".
Il nous
manque peut-être le philosophe qui montrerait avec facilité que ce
sont les pires tares humaines qui mènent le monde, et que rien ne
peut les remplacer, ce qui obligerait au retour sur soi radical. Mais
jusqu'à présent, on a toujours cru qu'un nouveau système viendrait
à bout des vices. On a cru que l'orgueil des rois une fois abattus,
le peuple gouvernerait, mais c'est la vanité des politiciens qui a
mené le monde, de mèche avec les financiers. Puis on a cru que la
vanité des élites disparaîtrait et que le prolétariat vivrait
dans la justice, mais les pays communistes ont accumulé au contraire
les privilèges pour les puissants, et nous voilà aujourd'hui aux
prises avec le parachuté doré et la dictature des multinationales.
Quel nouveau mouvement historique va-t-il nous donner confiance dans
l'avenir pour nos enfants ? Quel changement de décor nous
permettra-t-il de renouveler les mêmes illusions ? Une
mondialisation honnête peut-être ? Il n'y a jamais eu d'avenir,
c'est ce que vit l'éveillé: le présent n'a jamais bougé d'une
seule semelle. Il est sans doute traversé par des formes, oui, il y
a bien succession des événements, mais le présent lui, reste
immobile. Et tant qu'on n'y est pas, on mise sur l'avenir, mais c'est
un très mauvais cheval. Et maintenant, il n'y en a même plus, et
c'est peut-être ce que chacun sait, que construire sera toujours,
non seulement provisoire, mais miné par le vice humain, les
rivalités, les ego, les intérêts matériels. Alors on profite, on
tire à soi la couverture, on se bat pour arracher quelques miettes
de ciel bleu à un plafond blafard, pollué, à un climat
récalcitrant, et on le fait n'importe comment, on s'abreuve des
sketchs de comiques, c'est un fait de société, la décompression
hilare, on met en scène de fausses rencontres d'amour, on s'invente
toutes sortes de spectacles pour faire parler de soi, on lance de
fausses rebellions, on joue aux victimes catégorielles, on se plaint
en grande pompe, du passé, de l'avenir condamné, et on hurle au
présent comme les chiens aboient à la lune, hypnotisés par
l'absence de sens de la vie, et l'ivresse perverse que cette
sensation aux confins de l'inconscient autorise, en célébrant sous
des milliards de formes "le tout est permis" des cultures
agonisantes, seul recours à la fuite de toutes les espérances. La
dernière mode: ne pas être gentil, de peur de passer pour un
"con"...
Intéressant
de voir que quelques personnes ne sont pas dupes. Mais quel "pouvoir"
ont-elles ? On pourrait même dire qu'une lecture dépressive de
Muray, au lieu d'être utile, décourage définitivement de
participer à ce monde qui se perd. Il révèle la passation de
pouvoir.
Je
n'avais pas encore complètement saisi qu'après l'orgueil des rois,
la vanité des élites, la corruptibilité des dirigeants du peuple,
le même principe finirait atomisé, vulgarisé et à la disposition
de tous, ce que m'apprend Muray. Aujourd'hui c'est la complaisance
qui mène le monde. Ce n'est plus l'orgueil du sommet, mais la
lâcheté de tous. L'homo festivus a gagné. Il danse sur le cadavre
de l'homo criticus, qui croyait encore, le naïf, à quelques valeurs
intemporelles. (France culture, Répliques, Finkielkraut/ Muray).
Muray est
mort en 2006, il laisse pas mal d'écrits, et ses essais décapants
sont encensés. Il a dépecé le cadavre de l'idéologie bourgeoise,
tandis que l'élite des fous continue de lui faire du
bouche-à-bouche.
Ce
besoin de se connecter à la totalité, je suis né avec, et c'est
cela qui m'a emmené sur la piste des "états de conscience",
et beaucoup d'êtres humains sont appelés aujourd'hui par le même
besoin...Je suis passé là avant, et je sème des pierres comme le
petit Poucet...Rien de plus. Je me réclame de la voie du Tao parce
qu'il m'a parlé pendant sept ans (90 à 97), parce que ses principes
sont applicables pour tous et par tous de la manière dont je le
présente, et que c'est une voie qui, parce qu'elle ne néglige
jamais la perception et le corps physique, prépare au Supramental
telle que je la développe. Oui, comprendre, sans recherche du
résultat, c'est ce qui fait que les trajectoires bifurquent vers le
Sens (qui contient notre propre itinéraire, notre propre tao), à
moins qu'on attende pour cela les dommages collatéraux qui, eux
aussi, poussent à changer l'itinéraire, merci Pluton. Suivre
intelligemment une voie n'a strictement rien d'intellectuel, parce
qu'il n'y a rien à construire, — c'est simplement que la
remise en question de soi-même s'utilise comme un système de
prévention pour éviter certains comportements, puisque nous sommes
attirés à chaque instant par l'identification (visqueuse) aux
objets que le non-moi nous présente... Faut-il vérifier par la
pratique tout ce qu'il y a derrière les attirances sexuelles, la
promesse de l'amour, évanescente et fragile ? Faut-il
systématiquement déménager pour un meilleur salaire, si d'un autre
côté l'on perd de nombreux avantages ? Faut-il compter sur des
procédures pour atteindre ce qu'il y a au-delà d'elles, la question
par excellence qui divise les éveillés ?
Qu'est-ce
qu'un critère décisionnel ? Pour quelle partie de nous
agissons-nous ? Est-il possible d'agir pour toutes les instances sans
en sacrifier une au passage ? Toute la condition humaine repose
là-dessus, faire ou ne pas faire, croire ou ne pas croire, choisir
ou non, s'impliquer ou passer son chemin. Aucun progrès décisif ne
s'est accompli historiquement. Soit l'avenir dérange le passé, soit
le passé dérange l'avenir, des bataillons de représentations
empêchent la saisie du c'est cela, qui est tout et rien, indistinct,
non-né, non représentable, et qui libère aussi bien du mental que
de s'appesantir sur sa propre personne. Les choix sont truqués par
la peur et le désir, à l'intérieur, et par les modes sociales
au-dehors. Les conditionnements choisissent à notre place, et la
tension de vouloir se libérer peut même empêcher la libération,
ce que disent les tantriques s'attirant ainsi les foudres de ceux et
celles qui veulent disséquer le réel en bien et en mal, et chercher
la posture de la bonne conduite, pour choisir avec leur ego ce qui
serait le bien et le "bon chemin". Le conditionnement est
là jusqu'à l'illumination. Dans le domaine spirituel archaïque,
c'est l'obéissance au maître qui prévaut sur le ressenti, un
conditionnement supérieur (le maître n'enjoint pas n'importe quoi)
l'emportant sur la spontanéité, qui n'a jamais été l'adversaire
de l'étude de soi, et qui en est même la condition. Dans le
tantrisme et le taoïsme et le tch'an, ainsi que dans les voies
ésotériques du bouddhisme, l'observation véritable doit
s'installer en conservant la spontanéité révélatrice, sinon le
but de l'éveil impose une censure, une tension, et tient à distance
l'esprit naturel. Opposer la spontanéité à la recherche de la
libération, c'est donc le non-sens absolu, l'acharnement saturnien à
plier la réalité, puisque ce sont les mouvements naturels qui
indiquent aussi bien le besoin de se ramifier correctement, par
l'ouverture, que les mécanismes construits de défense, de
convoitise et d'appropriation, qui, parce qu'ils se manifestent,
révèleront leur nature étriquée pour être dépassés, par
aspiration et non par contrainte.
L'instrumentalisation
à outrance du temps, dans la méditation, dans la prière, dans la
pratique, n'est que l'aveu d'un manque de confiance, autant dans le
Divin qu'en soi-même, une manière impie, par son opportunisme, de
se prouver, — parce que l'on n'en est pas si convaincu dans le
fond, que l'on est consacré à la vérité. Mais si la consécration
est parfaite, même le besoin de se réaliser finit par se présenter
comme une ambition personnelle et s'estompe alors dans le Mystère,
— ce qui clôt les débats sur l'accès à l'Impersonnel. La
sincérité tranche, l'univers homologue ou non le mouvement du
retour. Abuser le Soi est impossible. Une pléthore de pratique, une
culture obsessionnelle de l'engagement, masque l'insincérité autant
que toute absence de retour sur soi. Car il est stupide de dénigrer
l'état même de l'esprit, le fait qu'il soit ouvert au moment, par
définition, et il est inutile de se méfier du fait qu'il puisse
passer d'une réflexion profonde à une simple émotion puis à une
attention consacrée à une tache manuelle, tout cela est homogène
et holistique, et il fait donc son travail, qui est de renseigner.
L'idée de dresser le fonctionnement de l'esprit consiste à le nier
avec véhémence, mais où peut-on se placer pour en faire son
adversaire, alors qu'il est l'organe perceptif par excellence ?
L'esprit n'est pas mauvais, bien qu'il ne soit pas bon pour autant.
Il est, et c'est à lui de se découvrir en profondeur, mais lui
imposer des buts, comme l'éveil, est peine perdue, car il a toujours
été éveillé. C'est le moi qui est persuadé de dormir, parce
qu'il envisage maladroitement un état supérieur qui lui échappe,
le Soi, et il lui court après alors qu'il est déjà là... L'amour
de la connaissance accepte l'observation de soi, humiliante au début,
le besoin d'intégrité accepte la navette entre la spontanéité et
le retour sur soi, l'amour accepte ce que le chemin impose de retard,
de souffrances, et de raccourcis trompeurs.
La voie de
l'éveil est donc celle du déconditionnement, toujours menacée par
de simples substitutions d'influences, les "voies" pouvant
mener à tout sauf à la libération. Voilà pourquoi le chemin est
si long: pendant longtemps on ne fait qu'améliorer la carte
topographique qu'on utilise, en jetant l'une pour une autre, jusqu'à
ce que, ce qui était traditionnel autrefois, la rencontre avec le
maître vivant se produise. Son rôle est justement de permettre à
son disciple une autonomie paradoxale, tout en arbitrant sa conduite.
C'est un "métier" qui se perd, et je ne peux pas affirmer
que tout "éveillé" soit capable d'être un "maître",
loin de là, aussi faut-il savoir à quoi s'en tenir quand on
"fréquente" des éveillés, et même si l'on ne s'attend
pas à grand chose, comprendre dans quelle optique il se situe. La
mode est à l'éveil sans voie, on ne peut rien caractériser de
précis qui pourrait être suivi et garantir l'éveil. Alors à quoi
bon en parler ? Et c'est vrai que certains thuriféraires de cette
optique se contentent d'être là, dans le silence, sachant qu'ils
peuvent quelquefois déclencher une contagion non-mentale chez
quelques-uns, par de longs moments immobiles, ponctués de quelques
aphorismes polis par des millénaires. A l'inverse, certains veulent
faire croire qu'ils "possèdent le chemin", et qu'il faut
passer par eux, adopter ce qu'ils préconisent, mais cela est
insuffisant, à moins justement qu'ils traitent également "les
résistances" rencontrées par les disciples dans l'application
des exercices, ou des orientations nouvelles prescrites. C'est là en
quelque sorte que l'on peut établir un parallèle entre le rôle du
maître et celui du thérapeute ou psy, le suivi s'avérant la clé
d'une transformation spontanée et sinueuse, qui tient compte de la
dialectique imprescriptible entre le favorable et l'adverse, qui
jaillissent spontanément l'un et l'autre du quotidien même, et qui
d'ailleurs se transforment souvent l'un dans l'autre. L'obstacle est
souvent la planche de salut de l'âme, comme un excès de chance
installe orgueil, flagornerie et suffisance. Ce n'est pas le cadre
ici pour développer outre mesure ces allégations. Disons que la
chimie du cerveau est très opérative, et qu'il est dangereux de
s'installer dans une satisfaction exhaustive, qui va produire une
certaine ivresse existentielle, que l'on sera d'autant peiné de
perdre qu'elle semblait notre propriété.
Même
l'ananda supramental se renverse parfois dans l'exploration, ou tout
simplement s'estompe devant de nouvelles prises de conscience
imprévues qui mettent en jeu l'empathie, et fournissent la vision
plus profonde de l'hydre de la force obscure. Puisqu'il ne s'agit
plus de pavoiser dans la non-dualité, l'absolu, mais de transformer
toute cette nature humaine par la shakti, le yogi se trouve aux
prises avec les menaces de l'espace-temps et la mémoire de
l'évolution.
Quelles que
soient les vérifications à effectuer sur le chemin, la douleur et
la satisfaction n'en sont pas les critères. Des périodes très
difficiles peuvent être conformes au principe, et s'inscrire dans
une démarche particulièrement homogène, qui vient peut-être
souligner les derniers attachements, les ruptures de seuil qui sont
nécessaires, tandis que des périodes faciles peuvent en quelque
sorte suivre une route parallèle à celle qui serait la meilleure.
La "sensation du Divin", le sentiment profond de lui
appartenir ne dépend pas des états émotionnels, mais il est
évident que la joie est le secret, comme le dit Sri Aurobindo. C'est
donc l'alternance des contenus psychologiques qui pose un problème.
S'il suffisait de souffrir régulièrement pour évoluer, les
acharnés trouveraient des méthodes de mortification pour se
perfectionner, en innovant sans cesse. S'il suffisait de vivre dans
une grande désinvolture tombant amoureuse de la négligence, pour
jouir d'une bonne ouverture au non-moi, sans aucune scorie, sans
aucun doute, avec une sorte d'innocence entretenue, cela se saurait
aussi, et l'on pourrait se laisser glisser dans "le yoga qui se
fait tout seul", éviter avec art la souffrance, cultiver avec
grâce les bons sentiments et la gratitude. Mais pas davantage le +
que le — n'ont une valeur en eux-mêmes dans la réalité, qui les
malaxe et les transforme l'un dans l'autre. C'est le mental, le
seigneur factice de l'intemporel, qui s'imagine que la souffrance est
le contraire du plaisir, que la déception est l'inverse de la
satisfaction, que l'échec contrecarre la réussite. Dans les faits,
ils sont indissociables, c'est le sujet qui perçoit et c'est lui le
souverain: et il se doit à lui-même d'acquérir l'unité dans
l'ambivalence, accepter la souffrance autant que la satisfaction,
c'est le même moteur qui les utilise. S'entraîner sans calcul à
leur alternance, savoir même que le bas suit le haut, que tout cela
est régi par le système d'homéostasie qui exige que nous ne
puissions pas nous séparer de notre sensibilité, ni de notre
perception. Nous sommes donc pénétrés en permanence par les
flèches du non-moi, ses séductions et ses agressions, comme nous
sommes enfermés dans les bulles homogènes dans lesquelles il nous
attire parfois, et trop de paramètres entrent en jeu pour que nous
puissions nous attendre à contrôler le présent, les bulles
explosent sous les flèches, les facteurs néguentropiques retombent
un jour ou l'autre sur un coefficient entropique, la destruction et
la construction s'enlacent et sont strictement le même procédé sur
le plan physique.
Faire est une
manière de défaire (les femmes entre deux amours connaissent bien
le problème), défaire est une manière de faire, ce que nous
sentons tous quand notre discernement discrimine, disjoint les
matériaux d'un amalgame et rend à César ce qui est à César.
S'adapter
oui, puisque cela autorise l'hétérogène à se manifester, et nous
apprend à ne plus en avoir peur. Contrôler, non, ce serait
interdire à la réalité d'être ce qu'elle est, exiger qu'elle se
conforme à nos attentes. C'est donc bien le principe de plaisir
qu'il faut abandonner dans la voie, tout en conservant la
spontanéité, le seul moyen de faire face à tout événement, pour
tolérer l'inattendu, accepter l'intolérable, et s'élargir jusqu'à
absorber l'hétérogène dans sa propre vastitude. Mais les pulsions
de contrôle se manifesteront encore, —bien après avoir compris
qu'elles étaient néfastes, fidèles à la conscience du territoire
et de la sécurité. Il est dit des vrais sages chinois qu'ils
peuvent prendre du poison sans tomber malades. La guérison de
l'émotionnel est un des travaux nécessaires. Que ce soit chaque
fois de moins en moins grave de souffrir, d'échouer, de manquer,
d'être malade, d'être trompé, d'être empêché, retardé, etc...Le
suivi d'un maître arbitre donc l'impact des événements, aide à
leur dédramatisation, souligne peut-être ce qui manque encore dans
le regard pour qu'il soit rivé sans attente au présent, et sans
posture non plus, et seulement alors la durée peut apparaître comme
l'adversaire qui mérite d'être aimé, car elle est l'outil même de
la transformation. Et ce maître un jour ou l'autre peut se former à
l'intérieur à soi, si certaines conditions sont respectées. Une
sincérité absolue, une reconnaissance du sens cosmique de sa propre
existence, la sensation d'appartenir, au-delà de l'Histoire, au
Mystère infini insécable.
Bien sûr,
nous aimerions mieux cerner les impacts des événements sur le moi,
et jusqu'où il est importun d'imposer à la réalité nos propres
prérogatives, mais ce problème est insoluble pour différentes
raisons. En premier lieu, même si cela rebute au début, nous
découvrons qu'une partie de notre existence intérieure répond à
des cycles extérieurs. Comme la corde d'une violoncelle qui vibre
peut produire un son correspondant sur un instrument analogue dans la
même pièce, nous reflétons parfois, et bien avant de nous en
rendre compte, des contrats entre les fréquences produits par
plusieurs facteurs, dans le monde gravitationnel, et nous subissons
donc des cycles. Ce procédé assure que nous nous ne puissions pas
nous scléroser dans la récupération du non-moi à des fins
personnelles. Des amours se finissent, des compétences s'épuisent
et appellent de nouveaux apprentissages, des images de soi variables
se succèdent, suite à de puissantes prises de conscience, tels des
chocs ou des guérisons, des succès méritoires ou des échecs mal
acceptés. Quelques cours d'astrologie intelligente suffisent à
comprendre le principe, une douzaine de facteurs bien définis,
antagonistes et complémentaires, distribuent aussi bien des faits
que des humeurs, des satisfactions que des déceptions. Certes, la
sensibilité diffère pour chacun, des esprits particulièrement
enracinés dans la conscience de soi fluctuent sans doute moins que
les purs réceptifs, toujours identifiés à leurs sensations, mais
le fait est que nous sommes suffisamment nombreux, nous les
astrologues, et ce depuis deux mille ans, pour jouer avec une
interface cachée de la réalité, qui nous renseigne sur quelques
ressorts secrets de la grande Mécanique. Nous "résonnons"
donc parfois et cela produit des variables dans l'événementiel et
le psychologique. Mais ce n'est pas tout, et plus nous nous enfonçons
dans la connaissance, plus il apparaît aussi que nous attirons
nous-mêmes les événements, comme s'ils étaient davantage notre
prolongement (on récolte ce que l'on a semé) que des faits arrivant
au hasard, chanceux s'ils nous favorisent, adverses s'ils nous
pénalisent. Bien sûr, il reste une marge fatale, l'accident dont
nous ne sommes absolument pas responsables, et qui peut frapper, bien
que cette prédisposition soit également variable pour chacun,
certaines personnes attirant les obstacles quelle que soit leur
position, en tout cas jusqu'à un rétablissement d'ordre karmique,
qui libère de la fatalité héritée.
Autrement
dit, la part de "responsabilité" dans ce qui nous arrive
est très difficilement mesurable, nous pouvons nous faire complice
de la fatalité, par exemple en vivant une relation toxique que nous
ne sommes pas aller chercher mais qui se présente et qu'on ne laisse
pas passer, comme nous pouvons nous prémunir des mauvaises
coïncidences, en refusant les tentations délétères, mais il est
difficile d'établir la part du hasard, puisqu'il est en quelque
sorte absorbé par l'opportunité, si nous la suivons, et dénié si
nous passons notre chemin. D'où la formule, c'était écrit, pour
les expériences qui s'imposent avec une telle force que nous n'y
coupons pas, même si par la suite "nous nous mordons les
doigts". Nous mettons souvent en cause "Pluton" pour
symboliser ce processus, et il est vrai que depuis sa découverte en
1930, la terre accélère son évolution. On ose "vivre",
l'inhibition n'est plus à la mode, le refoulement non plus, aussi
nous explorons parfois trop loin, pour nous sentir vivre...Tout un
éventail de possibilités défile dans ce domaine, accepter
l'autorité d'une personne dont on n'est pas sûr, sous prétexte
qu'il faut attendre pour voir, entamer une relation dont la nature
est discutable, rester trop longtemps dépendant d'une autre
personne, car c'est plus facile, ou au contraire, sur le coup d'une
blessure narcissique, se réfugier dans une solitude hautaine, qui va
justement limiter l'occurrence des possibles, diminuer le besoin de
s'identifier aux objets extérieurs et culturels, tout en faisait le
vide autour de soi. Mais qu'il s'agisse d'élaguer ou de se
disperser, le procédé est toujours le même, trop fermer ou trop
s'ouvrir, utiliser "le hasard" pour s'en débarrasser, ou
au contraire pour le récupérer... Ce qui montre à quel point,
après avoir "répondu" nous-mêmes aux sollicitations du
monde extérieur, nous sommes capables d'exiger que ce soit lui qui
"réponde" à ce que nous sommes. (Ah mais ! On va voir ce
qu'on va voir ! ). Il est donc délicat de choisir ses attentes, et ce
pour deux raisons distinctes. Interdire au réel de nous soumettre à
des faits hétérogènes constitue un pari orgueilleux, qui donne un
caractère étriqué à notre réceptivité, quant à faire en sorte
que la réalité, sous prétexte que nous savons mieux quoi en
attendre, s'emboîte dans nos exigences, il y a là aussi un pari
difficile. Beaucoup de voies "spirituelles" ne sont que des
entonnoirs, qui créent une personnalité parallèle et factice.
Voilà pourquoi l'abandon des stratégies mentales s'opère
nécessairement à un moment donné, et qu'il ne reste que des
souhaits dans l'ouverture, et qu'une aspiration à l'intérieur. (Je
n'évoque pas ici les contraintes professionnelles qui méritent des
anticipations précises, je parle de la Voie).
L'idée de
fléchir le non-moi, la stratégie du contrôle disparaît, et, selon
les taoïstes, ce sont des coïncidences (taoBeaucoup de sens selon le contexte, c'est un concept fractal, ramification, coïncidence, et d'autres qui dérivent d'ordonnancement.) qui se mettent en
place. Les mouvements conformes du moi appellent une réponse
conforme de l'univers. Si l'accident se produit, il révèle quelque
manque, si le succès apparaît, il sanctionne quelque progrès, puis
se dissout pour appeler un nouveau mouvement passif (une écoute
supérieure) qui va livrer les indices d'un nouvel emboîtement dans
un ordre plus large. Le fait de manquer les taos (mouvements
conformes) provient de deux sources principales, la plus courante est
de les imaginer plutôt que de les découvrir, c'est-à-dire de
s'attendre à ce qu'ils prennent exactement la forme que nous
prévoyons, auquel cas notre adaptation n'est pas assez plastique,
tandis que dans l'autre cas, nous refusons notre propre part pour
nous "emboîter", dans l'espoir d'être littéralement
capturés, engloutis dans un monde supérieur, avec donc
l'impossibilité de se tromper, puisque la coïncidence devrait
s'opérer sans aucune participation de notre côté. Ce danger est
très courant dans les voies spirituelles. Finalement, sous prétexte
que tout revient à Dieu, ou que la karma se libère à son heure,
toute interférence personnelle est considérée comme superflue par
certains, et même parfois comme une trace d'orgueil, à vouloir
faire son salut par soi-même. Si cette variante supérieure du tamas
s'installe, il est clair que l'attention spontanée ne peut pas se
maintenir, et que de nombreuses qualités s'émoussent, l'amour du
discernement, le besoin de vivre chaque jour dans une sorte
d'offrande qui captera, comme une fleur le soleil, des saveurs
différentes d'une heure à l'autre, tandis que l'image de soi aussi
se ternit, puisqu'il n'y a plus rien à attendre de soi-même, dans
une sorte d'amalgame pratique où ce soi-même, par un tour de
passe-passe, devient l'ego, dont il faudra attendre le jugement de
Dieu pour le voir aboli.
Mais le
danger inverse n'est pas moindre. Car l'esprit est tout puissant, et
comme l'effet placebo fonctionne, il est facile de s'imaginer
"relié", simplement parce que l'époque en cours est
facile, qu'on pratique la pensée positive, et que, oui, l'on
considère que ce qui arrive est bien un emboîtement dans une
réalité supérieure, alors qu'il ne pourra s'agir, bien entendu,
que d'un processus gratifiant qui mélangera l'auto-hypnose avec
quelques ingrédients favorables, tirés du monde extérieur, et qui
produiront une contrefaçon d'éveil. S'emboîter dans le tao
constitue une opération spéciale, d'envergure certes, mais demande
une profonde humilité, et l'idée au contraire que l'on peut attirer
le Tao à soi en le séduisant en quelque sorte, conduit à de
nombreux faux-semblants, à des univers factices, où les
demi-mesures l'emportent, comme par exemple dans le cas de Confucius.
Ce lettré aventurier admet ne pouvoir être radical, et décide de
représenter pour le plus grand nombre une sorte de tao inférieur,
d'ordre social et moral, qui ne peut naturellement produire que de
petits emboîtements de conformité dans l'ordre suprême, sans
permettre la grande immersion que représentait Lao-Tseu, et que l'on
retrouve dépeinte en Inde et au Tibet avec d'autres termes. L'idée
même que l'on va trouver soi-même comment correspondre à l'attente
de l'univers ne produit jamais que des impératifs moraux, des
conduites, des valeurs, autant de mouvements qui structurent
l'identité contingente, mais qui butent sur le mystère suprême:
la grande réunion au Principe. Tout dépend donc des limites que
nous imposons à notre identité, et, si nous les récusons toutes,
il faudra bien passer au non agir, l'abandon des prérogatives
personnelles et sentir par où notre moi s'évase dans ce processus,
en dépassant toutes sortes d'identifications, aussi bien à soi-même
qu'à l'autre, qu'à l'objet, jusqu'à souhaiter, — et tant
pis si le chemin n'apparaît pas continu, une identité du sujet et
de l'objet, forcément indistincte, puisqu'il aura fallu dépasser
les cristallisations projetées sur les autres, projetées sur soi,
projetées sur des "visions du monde" comme des cartes
empêchant encore de vivre intégralement le territoire.
Il faudra
peut-être quelques garde-fous pour éviter une voie si large qu'on
se perdrait dans l'avenant, et quelques points de repère, pour
rectifier parfois le cap, le hasard comportant étymologiquement au
moins six faces, puisque c'est le nom du dé en arabe. Et il est vrai
que l'imprévu, qu'il vaut mieux accueillir qu'accuser, peut être
ramené à six directions, le haut et le bas, la droite et la gauche,
devant et derrière. Il pourrait s'ensuivre une sorte de feng shui de
l'adversité, en fonction de l'orientation des obstacles, et une
ontologie de la chance également... Oui, nous sommes au centre de
l'Infini, rien n'empêche de s'emboîter, le tao ne nous ramène à
lui que si nous sommes entiers, avec un cœur pur, un corps physique
accepté, une réceptivité développée, une intelligence qui
s'appuie sur elle-même, en court-circuitant la référence de l'ego,
le grand "préservateur" du passé, le maître du
territoire, le récupérateur du sens à des fins étroites et
subjectives. Les six directions nous manipulent, puis nous les
apprivoisons, jusqu'à ce que des hasards soient si révélateurs
qu'ils nous fondent dans le ciel/terre enfin réconciliés. Alors le
yoga supramental apparaît comme ce qui manquait au royaume spirituel
pour tout embrasser sans angles morts.
1 Novembre 2010
Il m'apparaît
de plus en plus qu'il y a fondamentalement deux choses à changer
pour se rapprocher du Tao. Mais elles n'ont pas à être changées
simultanément, et cela peut commencer dans n'importe quel ordre.
Changer l'image de soi est nécessaire, changer l'image du monde, ou
du réel, est nécessaire. Beaucoup de candidats à l'éveil manquent
l'accomplissement parce qu'ils se contentent d'agir sur eux-mêmes,
ils ne sont pas assez curieux de ce qui cache derrière la vie, et
c'est donc la capacité de dépendre du cosmos puis du Divin qui n'a
pas été assez poussée. Le "retour" ne s'effectue donc
pas facilement, ou s'arrête en chemin, car le chercheur ne saisit
pas suffisamment qu'il fait intégralement partie de la totalité, et
qu'il cultive encore des barrières entre elle et lui. Car ce n'est
pas à nous d'imposer au Tao la manière par laquelle nous voulons
lui appartenir. Bien que nous puissions développer de nombreuses
approches vers lui correctement, elles sont en général
insuffisantes, et il est donc possible de pratiquer une nouvelle
attitude, une sorte d'écoute qui nous ferait ressentir en quoi le
Tout est déjà en nous, mais sous une forme inconnue, à côté de
laquelle nous passons, parce que nous "courons" après le
sens des choses, au lieu de le laisser se former tout seul. Si nous
sommes conscients de cette petite friction pemanente entre nous et
l'extérieur, au lieu de toujours la faire parler, on peut observer
comment elle s'estompe, comment elle se renforce, et si nous
participons consciemment à son augmentation et à son atténuation.
De nombreux phénomènes de "crispation" s'effectuent sans
notre consentement, comme leurs contraires, les relâchements, qui
produisent soudain des états d'osmose sans amalgame avec le non-moi.
Beaucoup sont
tout prêts de l'illumination, parce que leur reconnaissance de la
totalité est poussée, leur connaissance véritable, leur respect
pour la réalité, impeccable, mais en dépit de ces transformations,
l'éveil se dérobe indéfiniement. Ils n'auront pas porté sur
eux-mêmes un regard suffisamment appuyé. Ils n'auront pas su exiger
de leur personne quelques sacrifices parfois nécessaires, ou ils
auront mal pris la souffrance, ou bien n'auront pas éradiqué
certains poisons comme celui de se sentir victime ou supérieur,
décalé ou incompris, ou encore l'amour de soi se sera toujours
dérobé au profit d'un amour reporté sur des objets, sur la nature
et les animaux, sur la culture ou l'art, sur la durée prometteuse,
sur le gourou ou même sur "Dieu", mais tout cela peut être
néanmoins insuffisant si le besoin d'être soi est enseveli sous
celui de correspondre aux normes célestes. Cela me rappelle
l'aphorisme 338 "Pends-toi plutôt que d'appartenir à la horde
des imitateurs triomphants." Bien que l'effacement soit le moyen
le plus rapide pour atteindre l'éveil, il ne peut pas s'effectuer
dans n'importe quelles conditions, son processus engendre de
nombreuses confrontations intérieures, et c'est à nouveau la
manière dont elles sont acceptées qui va déterminer la suite.
Aussi l'effacement qui ne s'accompagne pas d'une reconnaissance de
soi, plus profonde, mène à ce que j'ai baptisé un "ego
passif", qui se dissimule facilement, et qui survit souvent à
l'éradication de l'ego actif, celui qui voulait plier la réalité
et le temps aux désirs du moi. Quand l'ego est considéré comme un
fardeau, il peut s'acharner d'autant plus, vouloir s'en débarrasser
peut surenchérir sur la dualité qui reste à dépasser.
Maintenant
nous pouvons replacer ces considérations dans un contexte plus
général, et étendre la notion de recadrage, chère à l'école de
Palo Alto (Wikipedia), à ces deux transformations. Peut-être même
que l'ouverture spirituelle, et la remise en question de soi-même
pleine et entière, constituent-ils les deux recadrages les plus
naturels dans notre espèce, bien avant que ce terme n'ait servi à
certains psychothérapeutes. "Recadrer" signifie
grosso-modo ne plus s'y prendre de la même façon pour régler un
problème, soit qu'on trouve une manœuvre paradoxale pour en sortir
(utiliser l'obstacle lui-même), soit qu'on trouve une issue
en-dehors de l'alignement problème-solution. Et c'est justement cela
qui se passe quand l'appel de l'éveil se fait sentir, on sent qu'on
ne peut plus s'y prendre comme avant, on accepte d'être attiré par
la réalité, au lieu de la construire selon ses propres schèmes, ou
les schèmes hérités, ou leur contraire, qui ne fabriquent qu'une
fausse autonomie. Toute la vie consciente s'accompagne de recadrages
au sens large, et ils s'imposeront de plus en plus naturellement dans
l'avenir, pour différentes raisons. En premier lieu, les démocraties
avancées donnent à chacun la possibilité de changer de valeurs
"quand ça lui chante", c'est-à-dire que les concepts de
transformation, d'innovation, de renouvellement, sont devenus actifs
dans la psychologie même des masses. Chacun est invité à changer
de partenaire, de métier, de médecin, de lieux de vacances, le
changement portant en soi une sorte de valeur ajoutée, comme on le
voit par exemple avec l'industrie automobile, qui a imposé la mode
de changer de voiture bien avant que cela ne s'impose, pour
symboliser la réussite sociale. Le changement est donc devenu un
mème, une idée-force contagieuse, partagée par tous, qui valorise
"ce qui ne dure pas". Cela est naturellement à
double-tranchant, puisque la nouveauté pour la nouveauté n'a pas de
valeur spirituelle en soi. Ce qui est nouveau est meilleur dans le
domaine industriel et technologique, mais dans bien d'autres
registres, la nouveauté n'a pas de caractère supérieur par
elle-même. Sri Aurobindo a été bien inspiré de consacrer une
partie de ses ouvrages à une exploration de la tradition
spirituelle indoue, pour la compléter en une synthèse transcendentale. Mais le changement s'impose aussi dans tous les domaines
parce que l'atmosphère terrestre a été barattée, et que de
nombreuses nouvelles fréquences entrent en jeu, permettant de
nouveaux aiguillages psychologiques en permanence. Il est donc
souhaitable désormais que le besoin d'éveil s'opère de moins en
moins contre le monde social, et se développe, même timidement,
mais sans rencontrer les immenses obstacles qui caractérisent
aujourd'hui encore la reconnaissance profonde de la réalité, du
tao, puis du Divin, et qui réservent la Voie à une sorte d'élite.
Peut-être que des bouleversements seront nécessaires, qu'il faut
s'attendre à des conflits violents, tant le
contentieux s'est accumulé entre l'homme et l'homme, entre l'homme
et la terre.
Nous ne
pouvons pas aborder toutes les raisons pour lesquelles l'appel de
l'éveil est aussi rare, ni prétendre qu'il suffit de transformer
l'image de soi et celle de la réalité pour aboutir dans cette voie,
mais notre propos demeure de faciliter le passage jusqu'au Tao. Cela
dépend de nous en partie, et de la totalité, de l'autre, puisque
l'illumination constitue une sorte d'homologuation de l'humain par
les principes supérieurs, celle-ci ne s'obtenant jamais sans
l'accord implicite de la totalité. L'illumination permet d'entrer
dans une autre dimension, jusque-là voilée, et c'est donc toujours
une erreur de ne la ramener qu'à une sorte d'expérience subjective
supérieure. C'est déjà la totalité qui utilise un être humain
pour jouir d'elle-même, ce qui explique que certains éveillés
perdent totalement la notion d'être des individus. Ils peuvent
perdre aussi le sentiment de la corporalité, et il n'y a rien à
redire à cela, sinon que dans l'avenir la réalisation pourra
parfois mener au Supramental, qui lui, imposera automatiquement que
le corps reste aussi en avant que l'esprit dans l'économie générale,
puisqu'il recevra la shakti, et pendant certaines périodes, le corps
sera même plus réceptif au supramental que le moi, grâce à cette
interface mystérieuse, citée par Gurdjieff, et dont on comprend
aujourd'hui qu'elle était le souvenir ou la prémonition d'une
"conscience atomique", ce qui recouvre en partie le
supramental.
La totalité
peut se reconnaître en l'homme, c'est le sens fondamental des
traditions, qui chantent la jouissance de la conscience, et non pas
le dépassement du mal par le bien, qui ne constitue qu'une approche
enfantine, mais déjà symbolique, des matériaux de la
Manifestation. Le grand pas spirituel s'accomplit quand le moi est
prêt à trouver l'origine du mal en lui plutôt qu'à l'extérieur,
et à s'atteler à l'identifier puis à s'en affranchir. Ignorance,
péché, mal, égoïsme, sommeil, indifférence, sont autant de
signifiants qui s'originent dans le même signifié: une nature
obscure que l'on souhaite ou décide de quitter, pour différentes
raisons, besoin de conformité cosmique pour les chinois, amour de la
vérité pour l'Inde, besoin d'améliorer la vie pour les
monothéismes de l'Occident, désir de découvrir le sens des choses,
sans jamais s'arrêter en chemin, pour les Grecs de l'Antiquité, et
dans certaines cultures qui semblent primitives, on trouve également
le besoin d'être digne des dieux, ou une préfiguration de la
conscience systémique, avec le besoin de vivre en harmonie, d'éviter
tout conflit, sauf menaces subies. Il y a donc une intuition dans
l'homme de l'unité de l'ensemble des choses, c'est-à-dire un
frémissement fragile de l'intelligence pour absorber l'hétérogène,
lui donner sa place dans un cercle plus grand, mais le développement
de cette intelligence holistique se heurte à d'innombrables
obstacles dans le moi. La préservation du moi dans son contexte, la
préservation du caractère sont des processus psychologiques qui
chassent l'hétérogène comme un ennemi mortel, et c'est donc le
propre de la démarche spirituelle de cesser de voir des adversaires
partout, des attaques permanentes, des obstacles dans les freins, des
ennemis dans les erreurs, des manigances dans les incertitudes, des
subterfuges dans les empêchements, qui de toute façon ne peuvent
être qu'extérieurs. Le moi ne peut subir aucune pression, c'est
donc bien l'identification au non-moi qui est toujours trop ample, ou
mal dirigée, puisque seul l'arrière-plan est souverain, avec le Soi
et le Divin.
Plus la
conscience s'élève, plus l'hétérogène disparaît, ou devient
juste un accent particulier, un accord particulier (comme les
treizième ou quinzième en musique) qui n'effraient plus l'amateur
d'unité, le musicien spirituel. Car nous ne pouvons pas d'un côté
nous réclamer par principe, par respect des traditions, de la
recherche (passive) de l'unité, et passer notre temps à être
affectés par des désagréments, des retards, des échecs, des
pièges, des ruptures, des maladies, bref, de tout ce qui pendant une
période va donner un caractère hétérogène à notre ressenti. Il
ne s'agit pas de faire semblant de ne pas voir ce qui nous dérange à
un moment donné, c'est nécessaire au contraire de le prendre en
compte, mais il est nécessaire de s'interroger sur ce que cela
dérange vraiment en nous. Et si l'aspiration à la vérité ne
survit pas à ce genre de choses, aux épreuves produites par le
monde contingent, c'est tout simplement qu'il s'agit d'un luxe de
l'ego, cette prétendue "voie spirituelle".
Aucun
contexte n'a jamais favorisé la voie. C'est la leçon de l'Histoire,
même les monastères et les ashrams recèlent peu d'éveillés,
l'enfance de certains enfants tibétains, saturés de bouddhisme
initiatique, jouera comme un bourrage de crâne pour la plupart, et
ne favorisera que les âmes avancées, de retour, et qui continuent
leur quête. Il s'ensuit que la création factice de mondes
homogènes, censés favoriser l'accès à la vérité, privent la
réalité de ce qu'elle est par nature,
duelle,
une rivalité
d'antagonismes, un défilé d'imprévus, une aventure du chaos
originel, qui mélange matière, vie et esprit, dans un monde de
structures fragiles ou cachées, de gains et de pertes rapides,
d'itinéraires rarement pérennes, tout étant soumis à l'érosion
et à la vitesse. C'est donc bien l'entrelacement du yin et du yang
qui doit être pris en compte avant toute chose, et accepté comme la
structure dynamique et essentielle de la Manifestation. Et cet
entrelacement est aussi bien, selon sa forme, conflictuel
qu'harmonieux, déstructeur qu'épanouissant, fécond ou stérile.
Mais l'esprit
aime "fermer les yeux" sur ce qui le dérange, c'est une
des leçons les plus tragiques du passé universel, d'où les
"postures" qui s'imposent aux chercheurs spirituels peu
avertis, qui ne veulent pas s'avouer leurs faiblesses, qui
culpabilisent pour des broutilles, à l'affût d'une lumière qui
serait détachée du reste, qui ne plongent pas dans leur propre
obscurité, qui courtisent une transcendance éthérée, — comme
un deux ex machina dont on pourrait se rapprocher en se présentant à
elle sous son meilleur profil. Cette vieille habitude de vouloir
"séduire Dieu" en masquant ses infirmités avec des
agenouillements mécaniques, apparaît fréquemment au yogi
supramental, dans les phases d'exacerbation positive, où, possédé
par les plus hauts plans spirituels, il aperçoit des foules d'êtres
humains qui prétendent Le chercher en tant que Seigneur, alors qu'il
s'agit d'une simple mise en scène collective, un spectacle partagé
par tous, une mise aux enchères des besoins d'obtenir des faveurs,
tandis que chacun est chargé de persuader son voisin de sa
sincérité, à partir de son propre mensonge. Sur des temps infinis,
la dévotion rendue obligatoire apparaît comme une erreur, et dans
le meilleur des cas, comme un pis-aller, et il est donc question
aujourd'hui de remplacer cette loi par une autre. C'est le travail
qu'a effectué Sri Aurobindo. Une bhakti inconsistante sans le
discernement, un discernement qui ne mène qu'au vide, sans l'amour
pour le Divin, c'est terminé !
Même si nous
ne savons pas exactement pourquoi le Supramental a choisi la première
moitié du vingtième siècle pour Se manifester, sa venue met un
terme aux anciens dharmas. Les religions devront disparaître ou se
transformer, et les dieux eux-mêmes devront renoncer à leurs
prérogatives sur les humains. Les êtres humains n'ont pas voulu
connaître l'Esprit, mais séduire des entités supérieures pour
obtenir l'immortalité par-ci, la fin des réincarnations par-là, le
paradis, bref, les êtres humains trouvent normal que la vie leur
soit donnée, mais il ne vient qu'à l'idée d'une minorité qu'il
faut rejoindre son sens universel, hors de l'appropriation
subjective. Il est nécessaire de remonter à l'origine pour se
ramifier au Tout, ce qui dépasse infiniement le sentiment que le moi
obtient de lui-même quand il n'abouche pas sa vie et son temps au
Mystère exhaustif, au Tao, qui échappe à toute représentation,
contenant de toutes parts celui qui l'évoque. Mais certains y
parviennent, et c'est à contre-courant dans nos contrées. Les
saints sont chassés de l'Eglise, les initiés doivent échapper à
l'Inquisition, les sages qui remettent en question l'ordre établi
doivent s'enfuir, Jésus et Hallaj sont condamnés, comme Giordano
Bruno. C'est dire à quel point tout esprit ordinaire, tout esprit
conditionné résiste à l'hétérogène: il ne le supporte pas, il
y voit une menace, un danger. Il y projette même de la folie alors
que c'est de la sagesse, et, en développant cette analyse, nous
parviendrions presque à établir que le Vrai passe pour le faux dans
les cultures humaines, et que le faux parvient à s'ériger en vérité,
ce qui, dans le domaine qui nous intéresse, s'applique
particulièrement à la fausse dévotion, plaie de l'Inde et des
cultures monothéistes. Faire semblant d'aimer Dieu est chose facile,
il suffit de transférer les survivances de l'esprit enfantin attaché
à ses parents ou à l'un des deux, sur le grand signifiant vide de
Dieu, et le tour est joué. Car la vraie dévotion est d'un autre
ordre, elle implique une voie constante, un service permanent, un
amour qui n'attend rien du Divin et ne se plaint donc pas de son
absence, de sa discrétion, des rendez-vous manqués, et j'ai donné
les trois meilleurs exemples de cette consécration au début de ce
texte, si vous souhaitez bénéficier de ces modèles. C'est donc un
processus rare, que peu éprouvent, mais que Sri Aurobindo a pu
suivre jusqu'au bout, comme Mère, et ni l'un ni l'autre ne peuvent
artificiellement provoquer une contagion de ce processus, profond et
exclusif, qui subordonne tout le reste à sa cause.
Ce serait une
erreur de présenter la voie supramentale comme différente de
n'importe quelle voix mystique, mais elle est encore plus exigeante,
bien que cela soit compensé par des satisfactions elles aussi
supérieures, et qui varieront pour chacun. L'intelligence, ou
l'action, le rayonnement ouvert et direct, ou caché et dispersé,
guidés d'en haut, représentent de nouvelles possibilités
terrestres. Et dans le monde de la Manifestation, fondé sur les
antipathies du délire et de l'inspiration, de l'ordre et du chaos,
du oui et du non, de l'avorté et du périmé, du trop et du pas
assez, bref, dans l'ordonnancement entropique de la Terre, il est
évident qu'il y a un prix à payer, encore exorbitant, pour
permettre à l'être psychique de soumettre les autres plans, et
d'irradier la connaissance, l'amour, l'intégrité, qui sont les
planches de salut de l'humanité si elle veut survivre. C'est la
sadhana, la consécration exhaustive, dans l'abandon, sans recherche
du résultat, l'éveil ou davantage encore, l'imagination aime
imaginer.
23 Novembre 2010
Pékin.
Je me sens
chez moi. Confortablement installé chez mon ami et webmaster, je lis
ce que j'ai apporté, et j'apprécie Frédéric Lenoir, dans Socrate,
Jésus et Bouddha. J'en profite donc pour faire un peu de systémique
avec vous, créons un ensemble, combinons des paramètres qui
s'épaulent, et voilà que nous établissons une fonction. C'est un
système, une théorie, ce qu'on trouve aussi bien en philosophie
qu'en sciences, et même en spiritualité, sous forme de doctrine.
Comme chacun sait, il faut un départ, un ou plusieurs axiomes, des
fondations, ce qu'on appelle en philosophie des "présupposés".
Tout le reste en découle. Et les présupposés peuvent toujours être
remis en question. Les présupposés les plus connus sont "Dieu
existe" sous-entendu, il va venir me manger dans la main si je
le siffle correctement, ou "Dieu n'existe pas",
sous-entendu, pourquoi m'encombrer d'un truc aussi inutile. Primo,
pas besoin de se farcir une doctrine ou une philosophie dont on ne
reconnaît pas les présupposés. En ce qui me concerne, l'existence
précède l'essence, je suis contre. Donc, je n'ai pas besoin de lire
Jean-Paul, dont le dernier bouquin est quand même intéressant.
Alors venons-en aux fées. Et bien, tout bêtement, tout le
bouddhisme s'écroule d'un seul tenant si nous réfutons sa base, à
savoir que la vie est souffrance. Perso, je n'ai jamais pu concevoir
en quoi la vie pouvait procéder de la souffrance, ou la constituer,
et je ne peux donc pas être bouddhiste, bien que je reconnaisse que
certains de ses éléments demeurent pérennes et vrais dans
n'importe quelle voie, en tout cas le détachement. Et si le
détachement n'est pas une invention de Bouddha, alors il aura
simplement mis l'accent dessus pour le présenter comme la condition
sine qua non de l'obtention de la délivrance définitive: celle qui
permet d'échapper à la roue des naissances et des morts, celle qui
permet à l'âme de ne plus revenir dans le samsâra, voire de
se dissoudre complètement. Le plus simple serait donc pour chacun de
s'en tenir à ses propres présupposés, et de faire un meccano avec
ça. Depuis les présupposés, tombent automatiquement des
considérations qui orientent, certaines bases découlent, par la
force des choses, des cibles, des espaces à connaître, des
expériences à faire, des choses à éviter et d'autres à
approfondir. Voilà, dis-moi quels sont tes présupposés, et je te
dirai quelle voie te concerne.
Il y a donc
pléthore de voies.
1/
Non-croyance en Dieu Créateur mais avec illumination en vue:
A/ pour
sortir du samsâra, bouddhisme, et quelques lignées du Soi
impersonnel.
B/ par
principe et sans augurer du résultat, Taoïsme, Tch'an, Zen
C/ par
principe et jouir de la connaissance de Dieu en tant que Brahman,
hindouïsme.
2/ Croyance
en un Dieu personnel avec salut de l'âme,
nos trois
monothèismes locaux, et quelques dérives du Krishnaïsme, du
Shivaïsme, et équivalents (Culte poussé de l'Ishta Devata).
3/ Croyance
en un Dieu Suprême, l'Esprit, au-dessus du Dieu créateur (attention
aux contrefaçons en la matière ! ), avec illumination et davantage,
pour transformer la vie:
Les Veda et
Sri Aurobindo, et l'Advaïta. Quelques rares mystiques toutes
religions confondues, quelques lignées tantriques qui reconnaissent
la Mère divine, la Shakti, quelques branches du Shivaïsme, et les
plus éclairées des voies de la bakti. Theilard de Chardin,
explosant le christianisme.
4/ Besoin
absolu de la vérité, indépendant d'une hypothèse sur l'existence
de Dieu, soit l'agnosticisme transcendantal, qui procède par le
doute et la discrimination, sans présupposés:
Héraclite,
Socrate, Krishnamurti, remplaçant la souffrance originelle du
bouddhisme par l'aliénation de l'espèce à la violence.
5 / Croyance
en un au-delà régi par la Loi de Justice, avec culte des ancêtres:
cosmogonies
primitives, animisme.
6 / Croyance
en un Dieu où l'immanent et le transcendant se confondent:
Spinoza, de
nombreux polythéismes, les formes supérieures ou inférieures du
Panthéisme.
7/ Croyance
en l'unité de toutes les religions et dans la liberté de chacun:
Tradition
Primordiale, mouvement Bahia, et certaines sociétés secrètes.
8/ Croyance
dans l'opposition irréductible du bien et du mal, réduite par
l'expérience morale ou spirituelle: Manichéïsme, Mazdéïsme,
Occultisme, et par dérivation toutes les formes d'intégrisme.
9/ Croyance
en la spiritualité de la Matière:
hédonisme
supérieur, humanisme athée, véritable épicurisme, les sceptiques
sereins, Démocrite.
10/ Croyance
à une vie sans aucune finalité:
satanisme et
diabolisme pour "chauffer à blanc" le sentiment de la
liberté individuelle dans l'intensité du désir.
11/ RIEN DU
TOUT, la vie à la va comme je te pousse !
12/ les
différentes formes de nihilisme mises en scène par les victimes du
mental:
Schopenhauer,
Cioran, Nietzsche, les sceptiques désabusés, les libertins amers,
les cyniques.
Croyance ou
présupposé, on ne va pas pinailler sur la différence. La croyance
est peut-être plus globale, tandis que le présupposé est davantage
mental, mais cela revient quand même au même: la carte de la
Manifestation, Lîlâ pour les snobs, propose différents
plats, et si l'on ne prend pas le temps de se connaître soi-même,
on peut commander un mets indigeste, qui fera des milliers de petits
mais, — pas de chance, le moment de la mort est important ! Et il
est déconseillé de regretter à ce moment-là de s'être trompé de
gamelle (Unanimité des guides sur cette question de Bouddha à
Gurdjieff en passant par Jésus, et de mon côté, révélation sur
le sens de Kiron en astrologie).
Pour la
petite histoire, je suis passé automatiquement de 4 à 3. Je n'avais
jamais cru en Dieu avant l'expérience de la Conscience suprême de
1977. Le soi impersonnel m'avait simplement libéré de toute pensée
trois ans avant, et je ne voyais rien de divin dans cette expérience,
d'autant qu'en 1967 j'avais vécu "mieux", une illumination
dynamique d'une puissance incroyable, qui s'est entièrement retirée
au bout d'une semaine. Ceux qui n'ont pas encore compris que Dieu
joue avec nous comme un chat avec une souris peuvent aller se rat
biller.(L'enfant intérieur n'a pas dit son dernier mot ! ).
24 Novembre 2010
La conscience
est la chose la plus importante de l'univers, elle rachète le néant,
et tout le monde s'en moque ou presque. On hérite des croyances de
papa/maman, ou l'on prend au contraire à son compte les valeurs
inverses, pour se faire accroire une certaine autonomie. Ceux et
celles qui vont vraiment vers le mystère, sans s'arrêter à des
pratiques rassurantes, comme le yoga gymnastique, le Taï chi de
salon de thé, le végétarisme et l'écologie, l'accolade du
compagnon franc-maçon, constituent encore une part très faible de
la population. Karma ou pas, peu importe, le fait est là. Sept pour
cent, avec une marge d'erreur possible, d'êtres humains que ne
vivent vraiment plus pour eux-mêmes, mais pour emboîter leur
existence dans le Mystère ineffable. Ceux-là seulement franchissent
les barrières interdites, affrontent la souffrance, traversent les
incertitudes grandiloquentes des redresseurs de tort qui baissent les
bras et lèvent des armées, et parviennent enfin, il est vrai, à ce
qui est indépendant du samsâra: une foi de feu, ou une
consécration impeccable, une passion pour la vérité, ou une
immersion dans le Soi, ou bien encore à une intégrité parfaite qui
permet au yin de ne pas se compromettre dans la confusion et au yang
de "ne pas se la péter" dans l'affirmation créatrice.
Pourtant, tout cela est dans l'ordre absolu des choses, il n'y a pas
à se plaindre, favoriser sans doute l'éveil discrètement, c'est
possible, sans exercer de pression, et continuer à vivre pour
l'Absolu de l'absolu, non pas le Soi vide étranger à la vie, mais
le vrai Brahman, ou le Tao, qui contient en son sein, sans aucune
séparation, tout ce qui semble être différent de lui, et qui
pourtant ne l'est pas: la vie, le samsâra, et comme dirait
l'autre, la souffrance. Mais il est vrai que réintégrer le samsâra
dans le nirvana ou le samadhi n'est pas à la portée
de tous, et que c'est sur ce point que les degrés de l'éveil se
positionnent. Les éveillés néophytes croient que le Soi
impersonnel est différent de la manifestation et ils l'encensent,
les éveillés mûrs deviennent incapables de faire la moindre
différence entre le nirvana et le samsâra. Comme s'ils avaient
absorbé la vie et ses cortèges bariolés de surprises glacées et
brûlantes dans le grand Silence. Nagarjuna, le premier, a dénoncé
l'illusion du Soi s'il sépare le non-mental de la vie, mais il est
normal qu'on leur préfère, sans une compréhension profonde des
choses, les obscènes déclarations de Nisagardatta, qui fait mousser
l'identité du sujet et de l'Absolu, — comme une adolescent part
dans les vapes en regardant la photo de sa bien-aimée. Qu'un
discours aussi pompeux puisse passer pour une référence, face à la
profondeur d'un Sri Aurobindo, d'un Vivekananda, d'un Gnénon, laisse
entrevoir la misère spirituelle de notre monde. Les paroles
qui flattent le petit moi rêvant d'être un grand moi ne sont pas
les mêmes que celles qui s'adressent au vrai Moi, et qui n'a pas été
encore découvert. L'absolu de Nisagardatta c'est de la barbe à
papa, je n'ai rien contre les amateurs de barbe à papa, c'est doux,
sucré et chaud, que demande le peuple !
Mais la plus
profonde vérité n'est jamais à chercher du côté gratifiant,
c'est-à-dire du côté du sujet, mais dans l'appartenance du moi à
ce qui le dépasse. Et comme tous les néophytes du Soi, le cher
Nisagardatta fait jeu égal avec l'absolu. "Vous êtes cet
absolu". Et puis quoi encore ? Sri Aurobindo était allé
beaucoup plus loin, bien avant ses trois jours avec Lele, et il n'en
a pas fait toute une hisoire ! Cette phase n'a duré pour moi que
trois mois, et c'est vrai que c'est la lune de miel : juste
après l'illumination, car le souvenir d'avant est encore à portée
de main, et par contraste, ce que l'on vit depuis le Satori
est extraordinaire. Je me souviens même de ces moments
provisoirement divins où j'avais envie de me rouler parterre de rire
en me demandant bien ce qui pouvait rester à "trouver" ou
à "dé-couvrir"...Je pensais aussi «Je suis Dieu», et
c'était assez amusant ! Apparemment, toutes les énigmes avaient été
découvertes, il ne restait strictement rien à chercher ni à
trouver, c'est pour cela qu'il semble qu'on puisse dire,
effectivement, je suis l'absolu... Le temps de passer à autre chose,
bien entendu. Mais quelle impression: rien de plus à connaître !
Rien,
absolument rien: tout était là...
Qui a déjà
vu une lune de miel s'éterniser ?
Je ne juge
pas, je ne critique pas, je dis seulement que se fier aux textes des
éveillés est peine perdue, car l'évolution continue à partir de
l'éveil, et que les paroles fleuries ne font que bénir
l'illumination, mais si par exemple l'empathie continue, vous voyez
bien que votre satori ne sert pratiquemert à rien contre la
souffrance du monde, et vous continuez donc la route, en vous disant
que l'absolu, ça ne peut pas être la fin, le terme, et comme par
hasard, vous tombez sur des types pour qui Nisaggardata est un
débutant éloquent, et qui, eux, ont continué à demander des
comptes à la réalité, Vivekananda et Sri Ramakrishna par exemple,
substituant à l''extinction des bons élèves, la
résurrection de la religion universelle qui suit le progrès
humain, renaît de ses cendres, et agit pour le bien de tous, et non
pour le salut de luxe de l'éveillé moyen. Et ils sont là, bien
décidés à changer l'existence au lieu de se féliciter d'être l'absolu, comme les plus nuls de tous les éveillés, ceux qui ne s'en
remettent pas d'être arrivés jusque-là, dans le rêve sublime du
Soi. Mais comme la plupart des éveils avaient lieu assez tard dans
la vie par le passé, l'expérience était rapportée rapidement,
avant que l'éveillé lui-même ne transforme son vécu. Prudence,
nul n'est infaillible. Quand Ramana dit que la réincarnation
n'existe pas, il ne se fie qu'à sa propre expérience, peut-être
n'a-t-il jamais eu de réminiscence, peut-être veut-il dire tout
simplement que seul le Soi est essentiel, et donc que tout ce qui est
de l'ordre karmique est illusoire. Peu importe ! Mais certains se
fient à son jugement, alors comment font-ils face aux retours des
rimpochés tibétains reconnaissant des objets de leur vie
antérieure, qu'opposent-ils aux dires de Gautama, font-ils les
farots face à Ma Ananda Moyi, face à la Mère de Pondichéry, ou
face à moi-même, qui ai contacté le supramental à la simple suite
de la lecture d'un nom de sage, "mon nom ! ", mentionné par
Mère dans les entretiens de 1957 ? Quelle postion prendre face à
Edgar Cayce ou Patrcik Drouot, comment nier les témoignages
d'enfants parlant de leur vie précédente sur les mêmes lieux, et
dont quelques vidéos tournent dans le monde entier ?
D'accord, se
pencher sur les traces «karmiques» dérange beaucoup de
personnes, c'est une responsabilité supplémentaire s'il faut aller voir encore plus loin de quoi il en retourne, mais pour cela,
pourquoi ne pas attendre tout simplement d'être appelé à se
pencher sur la question, sans préjugés intellectuels ? Pas
question de croire ou non, mais un jour, des événements étranges
peuvent indiquer la piste d'un passé qui remonte loin, très loin...
Oui, je suis
parvenu au satori sans avoir saisi la moindre trace de mémoire
antérieure, et je n'ai rien contre la perspective de Ramana, quel
que soit le sens dans lequel on la comprenne. Ce n'est pas nous qui
nous nous réincarnons, et le Brahman est plus important que
notre propre existence. Néanmoins, nous portons en nous-mêmes un
être qui va et vient dans la Manifestation, et pour lequel une vie
n'est qu'un habit, mais un habit si épais qu'il détermine la
qualité des mouvements. L'enveloppe charnelle est comparable à un
scaphandre, — indispensable mais contraignant, qui gêne aux
entournures cette âme, ce principe, car le scaphandre en question
est entêté, rigide, il manque de souplesse... Il est doué d'une
telle autonomie mécanique qu'il a tendance à produire les
mouvements de l'ensemble s'il n'est pas fermement maintenu par la
volonté et la détermination, yang, et par le souhait et
l'aspiration, yin, ce que nous transposons sous le terme de
sadhana, soit le logiciel de pilotage.
Si le
scaphandre n'en fait qu'à sa tête, il va où il veut, et s'il tombe
en panne, son occupant est asphyxié. Il n'y a pas de voie
spirituelle, seule existe la consécration à l'être, et cela a
toujours engendré, à certains moments, des sacrifices (pour
maîtriser le scaphandre). C'est-à-dire des choix positifs qui sur
le moment, paraissent négatifs puisqu'on en souffre un tantinet.
25 Novembre 2010
Comment en
finir avec les vérités ultimes, ces médailles pailletées sur la
boutonnière des bourgeois cosmiques ?
Il est tout
simplement indécent de circonscrire les pouvoirs de la conscience,
de considérer qu'un de ses états peut être définitif ou
supérieur. La non-dualité est une perspective prometteuse,
mais seuls ceux qui la vivent peuvent en parler, et, étant donné
l'infini de l'univers et la qualité de la différenciation de chaque
âme particulière, même la non-dualité se vit dans toute
une gamme de possibles. Le plus renversant, c'est que le sentiment
absolu de l'unité se décline de nombreuses manières, ce
qu'expérimentaient les rishis, et que Mère et moi-même vivons dans
un champ expérimental d'une largeur invraisemblable (comme Sri
Aurobindo qui n'a pas inventé le monde de Savitri). Il serait temps
d'en finir avec toutes
les
réductions ontologiques,
les
équarrissages transcendantaux,
les
sophistications verticales,
les
synthèses atrophiées,
les
tautologies cosmiques,
les
spirales qui s'avèrent des vis sans fin.
Fini, les
risques en pantoufles des suiveurs de doctrines, les progrès
jetables du Nouvel Age, quand la prospérité flirte par principe
avec l'éveil, ou que le sexe est le tremplin de la conscience
cosmique. Il serait temps de brûler toutes les bondieuseries
nouvelles, les photos des cibles absolues, les portraits définitifs
du Vrai, les canons qui tirent a boulets rouges sur l'absolu, tous
ces clichés évanescents et filandreux comme de la barbe à papa,
qui donnent le change au vieil animal qui ne changera jamais, et
lui permettent de faire semblant pour s'acheter une bonne conscience,
celle de son meilleur profil dans la glace, étant donné qu'il ne se
regarde jamais sous son autre angle, l'obscur, l'inharmonieux, le
boutonneux, le disgracieux, le tordu.
Il serait
temps de se donner à la totalité sans rien en attendre d'autre que
cette offrande qui rachète les péchés du monde, qui rachète donc
"les cibles manquées" si nous nous piquons d'étymologie.
Aimer l'indivisible réalité — quel que soit le nom qu'on lui
donne, dans un moment où l'ange parle en nous, et comprendre que les
mots la blessent, et qu'aucun moment ne supporte d'étiquette.
Savoir que
l'absolu nous guette, que l'Amour nous appelle, que le Supramental
constitue la puissance de l'Esprit en acte, c'est suffisant.
Tout le reste
devrait être de la pratique. Commenter les Ecritures dispense de les
appliquer, c'est Jésus face aux pharisiens, Bouddha face à la
liturgie mécanique, ce sont les brahmanes confits dans la
suffisance, et les cardinaux qui couvrent les prêtres pédophiles
pour ne pas faire de vagues. Dès que la vérité dérange, il vaut
mieux rebrousser chemin. C'est peut-être cela le mal: savoir ce
qu'il y a faire, mais s'en dispenser pour conserver un ordre qui est
déjà périmé, qui va bientôt pourrir, et maintenu par le
mensonge.
Je parle du
Supramental parce qu'il me transforme depuis plus de trente ans, et
du Soi impersonnel parce qu'il m'est tombé dessus quand j'avais
vingt-trois ans, me transformant en orphelin: personne pour me
comprendre alors que je comprenais tout. Que certains se gargarisent
d'arriver là, je n'en disconviens pas, mais ils ne donnent pas
l'exemple. Au bout de trois mois, j'avais fait le tour de la chose,
et il n'y avait qu'une seule connaissance qui m'échappait encore, la
pierre philosophale, le moyen de l'immortalité physique. Je me suis
lancé là-dedans à corps perdu, me réveillant la nuit pour lire le
Trévisan et d'autres. Je jetais parfois un oeil sur les œuvres de
Sri Aurobindo, et j'avais déjà compris que lui, avait trouvé la
clé, et qu'il était bien le seul.
Par humilité,
je n'osais pas me voir gagner le Supramental, je faisais tout
simplement de mon mieux, célébrant la vie avec modération. J'étais
beaucoup plus passionné par ma quête alchimique que par la
recherche des plaisirs, et je voyais déjà sombrer notre société.
Tout ce qui se passe aujourd'hui, je le pressentais déjà en 1975,
parce que j'avais saisi que 68 s'était refermé, comme un insondable
mystère, un peu comme cette illumination qui avait duré une
semaine, à partir du 27 décembre 67, et qui s'en était allée
comme elle était venue, sans prévenir. Je vis donc dans des
contrastes époustouflants depuis mon adolescence, que la drogue à
la Michaux n'a fait que banaliser, puisque j'ai pris du haschich, et
très rarement des champignons et du L.S.D. Je sais que tout peut
arriver, et c'est pour cela que je vous préviens.
J'aime
l'astrologie, où l'accidentel peut se décomposer en structures et
en cycles, c'est aussi pour cela que j'affectionne la pensée
traditionnelle chinoise, qui n'escamote pas le non-moi, et qui
répugne à l'ontologie pour lui préférer l'alternance du
fluide et du ferme, du solide et de l'impondérable, du prévu et de
l'imprévu, du succès et de l'échec, de l'attaque et de la
retraite, du repos et du mouvement. On ne s'étonnera donc pas que
je récuse toutes les finalités, atteindre le Soi, connaître Dieu,
trouver son être psychique, puisque ces choses-là ne peuvent pas
être des buts, mais constituent seulement la conséquence d'autre
chose:
savoir
percevoir,
savoir
observer,
savoir
ressentir,
savoir
être malléable,
savoir
s'effacer,
découvrir
l'intégrité qui seule permet au yin de ne pas se perdre dans
l'adhérence
et au yang
de ne pas se perdre dans le contrôle,
et tous ces
différents savoirs voient leurs règles évoluer en permanence.
Rouler dans
les vagues avec confiance au lieu de se noyer à vouloir les
traverser pour aller vers le large. Comme Papillon qui s'évade,
comme n'importe quel surfeur, vous devez savoir maintenant qu'il vaut
mieux attendre une vague faible, et tant pis si elle traîne à se
présenter pour passer la barre, que s'acharner quand le cycle est
haut. C'est souvent la précipitation qui conduit à l'échec,
car la précipitation est la concentration du yang, qui se déploie
narcissiquement, et se piège dans sa propre libération excessive.
Ce qui ne veut pas dire que l'atermoiement mène à la
réussite: il constitue la concentration excessive du yin, qui se
perd en absorbant outre mesure. Oui, des cycles nous remuent, et
c'est le jeu gravitationnel, tout se répond, Vénus à Mars, Jupiter
à Saturne, la lune au soleil, et Pluton joue à l'avenir avec
Uranus, le grand Incandescent, et Neptune le grand Absorbeur.
Le feu et
l'eau à réconcilier,
de s'être
trop noyé
de s'être
trop brûlé
La
non-dualité ne sera jamais le nivellement des contraires,
mais leur parfait équilibre. (Je souhaite bon courage à ceux qui
prétendront en témoigner, car rien n'est plus difficile. La moindre
trace d'hétérogénéité dans leur discours permettra d'achopper,
alors qu'ils fassent attention aux expressions comme "oui mais"
ou "ce n'est pas ce que je voulais dire" qui laissent des
effluves comparables aux pets de l'esprit, puisqu'ils seront censés
baigner dans le réel sans qu'aucune remarque, sans qu'aucune
critique ou attaque, ne les prive, ne serait-ce qu'un instant, de
leur fameuse non-dualité, où tout doit être reçu sans la moindre
réaction.)
Décalage ?
Vous avez dit décalage ! Vous êtes décalé, sans doute...
La vitesse
rassure les actifs et les battants, la lenteur rassure les
contemplatifs et les réceptifs, mais c'est la cadence le secret, et
nul ne marche au même pas. Jetez Bouddha et la non-dualité à la
poubelle, brisez le miroir de la voie, elle viendra à votre
rencontre, le vrai n'est pas votre reflet. Il n'y a pas de boussole
panoramique, et le Soi fait le tour des choses. La seule carte
authentique de la Voie: une page blanche, celle de chaque journée
offerte humblement au Mystère, en acceptant tout ce qui se présente.
Pour les
choses essentielles, les signifiants sont ni plus moins que des
pièges, ce que Socrate savait déjà, et que Platon a bien compris.
Cela fait des milliers d'années que l'élite sait que la justice
n'est qu'un mot, et que le seul moyen de la caractériser, c'est de
s'en tenir aux faits. Socrate dénonçait déjà les promesses
électorales d'un avenir lointain pour lui, Platon subodorait
l'immense spectacle stupide des représentations, mais aujourd'hui
les grands avocats obtiennent des peines minimales pour de grands
criminels, en jouant sur les vices de forme. Les sophistes ont gagné,
c'est le sens de l'histoire. La vérité n'existe pas, elle n'est que
le regard que tu portes sur le monde, et tous les regards
s'équivalent, Internet permet les regroupements rapides des
collectionneurs de bouchons de champagne, des cuirs déjantés, des
amateurs de chiens électroniques, très aimables puisqu'ils ne
salissent pas, des pourfendeurs des racistes, nickel chrome, des
joueurs de poker jaloux de Patrick, des radins en compétition
échangeant leurs yaourts périmés, des acheteurs milliardaires en
salle des ventes, des abonnés au cristal Roderer, bref, des millions
de petits mondes cloisonnés s'épanouissent indépendamment les uns
des autres, dans le culte unique qui les constitue. Sa majesté la
complaisance virtuelle. Le verbe mousseux et le vide du hobby creux
deviennent des religions particularisées. Les rituels jetables
s'inventent et se détrônent. Les S.M.S font la loi, déciment les
couples et se soumettent à Eros. Dieu option de base se cherche dans
le semblable, le semblable qui n'aime que le semblable, le principe
de la réalité constructive, le meccano autosuffisant.
Aimer vos
ennemis, cette sentence a vraiment fait désordre en bénissant
l'hétérogène, et pourtant c'est la solution. Je l'applique
aujourd'hui sans aucune difficulté. J'aime l'ignorance humaine,
sinon il y a belle lurette que je serais devenu fou.
26 Novembre 2010
Paroles
fleuries et bouquets fanés
sur la
même étagère.
LA REVOLUTION QUANTIQUE
En quittant le vingtième
siècle, nous avançons vers un monde incertain. En jouant sur les
deux sens du mot échelle, notre intelligence s'est perdue dans de
nouveaux paradigmes. D'un côté nous sommes montés dans
l'infiniement grand, de l'autre nous sommes descendus dans
l'infiniment petit. Nous sommes tombés sur de nouvelles grilles
d'évaluation qui ont vu se démultiplier les quantités. D'un seul
coup d'un seul, notre univers commun est devenu simultanément
beaucoup plus petit et beaucoup plus grand.
Les Mathématiques sont
définitivement tombées amoureuses de la physique avec Einstein, et
juste après, l'astronomie en progrès exponentiel, en apportant ses
observations, a fait exploser nos capacités mentales. Alors que nous
nous réjouissions d'avoir résolu le problème central, E= Mc2,
cette joie fut de courte durée. La mécanique quantique se mit à
déranger énormément Einstein, tout en limitant la portée de ses
découvertes. Tandis que nous espérions que l'ouverture à
l'immensité nous apporterait des certitudes, elle nous emmena au
contraire dans un labyrinthe de possibilités, toutes aussi légitimes
les unes que les autres, nous laissant orphelins de la raison. Nos
différents types de logique ne suffisaient plus à rendre compte de
la création de l'univers. Aujourd'hui même plusieurs théories
s'affrontent, toutes aussi pertinentes les unes que les autres, et le
fameux « big-bang » n'est qu'un des scénarios possibles.
Et qui plus est, des sommités comme J.P Luminet se demandent même
si ce ne serait pas pertinent d'envisager un avant big-bang...
Et puis, n'oublions pas
que le système solaire a été relativisé, et ramené à des
proportions ridicules. Face aux quasars et aux trous noirs, notre
« environnement sidéral » est soudain devenu un petit
quartier de banlieue. La voie lactée, une anonyme galaxie. Face au
vertige, pour nous en venger peut-être, nous nous sommes penchés
simultanément sur l'infiniement petit, et là aussi, il a fallu
déchanter. Difficile de « savoir ». Ou alors à moitié
: la lumière, onde ou particule, pas moyen de combiner les deux
choses. Et puis de fil en aiguille, le Réel a continué de se
débiner, toujours plus loin encore. Plus on s'imagine le rattraper,
plus il s'éloigne, de quoi s'arracher les cheveux. Quelle
humiliation pour le mental. Plus il s'approche d'elle, plus la
Réalité s'échappe encore comme pour le narguer. D'autant que les
clubs de savants n'ont cessé de partir à l'aventure, d'échanger
leurs recherches, de comparer leurs conclusions. Et voilà que toutes
nos certitudes s'écroulent, depuis Heisenberg et son énorme pavé
dans la mare des espoirs naïfs. Les convictions s'effondrent. Aussi
bien sur les propriétés de l'univers sidéral, et, naturellement
ses limites, que sur les ultimes caractéristiques de la Matière
ultra-microscopique.
Ah, comme c'était
rassurant d'imaginer une analogie consistante entre le modèle de
l'atome et celui du système solaire. Nous en faisions des gorges
chaudes jusqu'aux années soixante. Tout tournait en rond, à
différentes échelles, autour de centres de calibres variés, et
notre tête aussi tournait, ivre d'avoir démystifié le grand
secret. Nous avions l'impression de posséder la vérité, les
savants arboraient toujours une mine fière et noble, comme s'ils
faisaient surgir l'avenir de leurs éprouvettes, de leurs microscopes
et téléscopes, de leurs calculs interminables et hermétiques. Nous
possédions enfin la vérité — en tout cas celle de la réalité
matérielle, et nous avions tendance à nous croire les « rois
du monde », à la proue scientifique du grand navire terrien.
« Scientifique », ce mot, tout le monde le prononçait
avec une intonation quasi religieuse. Les énigmes devaient se
soumettre, l'impuissance agoniser, l'ignorance serait terrassée par
la démultiplication des pouvoirs de l'oeil et de la raison.
Mais que nenni. L'atome
s'est soudain révélé un objet très mystérieux, et peut-être
même qu'il n'est plus seul, qu'il n'est plus le centre, ni le modèle
de toutes les séries d'agglutinement de la matière. Un tas de
particules existeraient bel et bien, qui navigueraient en free-lance,
sans but peut-être. Presque indécelables, — et avec un
coefficient d'utilité extrêmement difficile à évaluer, on se
demande si elles ne tricotent pas des trames furtives à l'intérieur
des combinaisons atomiques connues, les traversant peut-être, ni
vu ni connu, jouant à on ne sait quel jeu, modifiant des normes
qu'on croyait invariables. Les quarks, les bosons, que sais-je
encore, jusqu'aux « anges » pour de pures virtualités
énergétiques, fort élégantes au demeurant.
L'univers s'échappe à
grande vitesse vers l'inconnu, aussi bien dans les grandes largeurs,
où s'arrête-t-il vraiment, son expansion peut-elle se renverser,
que dans ses intimes recoins: Rien n'empêche d'imaginer que des
« choses » puissent se déplacer plus vite que la
lumière. Comment, pourquoi ? Cela reste à élucider, parce qu'elles
n'auraient aucune masse peut-être, comme le neutrino, et
emprunteraient, allez savoir, des trous de vers, qui, en déchirant
l'espace-temps, le raccourcirait, se jouant de l'interdiction de
rouler à plus de trois cents mille kilomètres seconde. Einstein
était très embêté par cette question. La vitesse indéformable de
la lumière donnait une cohérence parfaite à l'ensemble de la
physique, et partant, à l'image globale de l'univers encadré par un
ordre imprescriptible et... Connu !( Dieu ne joue pas aux dés). Mais
si cette « constante » n'en est plus une, ou bien si elle
dissimule d'autres facteurs qui compromettent la théorie unitaire,
tout est à refaire. De patentes contradictions, inconciliables pour
le moment, sont peut-être complémentaires dans une nouvelle théorie
qui manque aujourd'hui, et rassemblerait sans déchirure toutes les
vérités de la physique, qui aujourd'hui encore s'affrontent et
s'excluent bêtement. Il y a des fissures dans la vision globale.
Alors, il faudra désormais donner des ailes à l'imagination pour
qu'elle se rapproche autrement de ce qui semble réel. La théorie
des cordes superpose des dimensions, combine des principes d'une
manière extravagante, et nous patinons intellectuellement pour nous
rapprocher de ce nouveau paradigme, par son degré d'abstraction et
de complexité. Difficile à valider, le détruire ne permettrait pas
pour autant de le remplacer. Autant dire que les hypothèses se
portent bien concernant le fin du fin de la réalité de la
Matière, et elles se concurrencent.
Et si nous ajoutons à
cela que certains pensent que les électrons sont remplis de
mémoires, comme un célèbre physicien français, et voilà que nous
en sommes réduits, question science, à faire des pâtés dans le
sable, comme les enfants sur la plage. Une théorie chasse l'autre.
Une direction prometteuse en oublie d'autres. Une avancée clôt une
question épineuse enfin résolue, mais ouvre sur plusieurs nouvelles
portes qu'on aimerait pousser en même temps. Les théories font un
défilé de mode pour une poignée de spectateurs qui peut suivre
leur démarche altière et sophistiquée, et parler un jargon que
moins de mille personnes sur terre partagent. Les plus ouverts
avouent sans vergogne qu'ils pataugent, qu'ils ont renoncé au
définitif, et se contentent de petits progrès successifs, ce qui
n'est déjà pas si mal. Les énigmes fondamentales les narguent.
L'énergie noire doit se
trouver quelque part, mais où, pour expliquer certaines mesures.
Sans elle, l'ensemble ne tiendrait pas la route. L'antimatière, où
se cache-t-elle ? Pourquoi la gravitation équilibre-t-elle l'espace,
alors qu'elle n'est pas grand chose ? (Construire des engins
antigravitationnels est déjà, ou presque, à portée de la
technologie). De question en problème, l'ouverture aux deux
infinis ne résoud strictement rien, ni le mystère de la vie, ni
celui de l'étendue de l'espace, ni celui de la rapidité du temps,
avec cet étalon-lumière. Plus les mesures s'affinent, plus elles en
appellent d'autres. Il fut une époque où le millimètre était
petit, le voici devenu gigantesque, il se passe peut-être quelque
chose dans le volume ou le point d'un micron.
Il serait temps de
comprendre que la résistance de la Réalité à finir en équations
et en quota, et même en quanta virtuels, est légitime. La réalité
proprement dite n'a jamais eu besoin de représentations pour
exister. Autrement dit, les soleils peuvent très bien se déployer
sans savoir à quoi ils servent, sans se demander s'ils mourront. Et
les atomes peuvent se combiner entre eux parfaitement bien sans pour
autant poursuivre le moindre but. Ou bien, dans un univers dans
lequel rien n'est séparé de rien, leur trajet évolutif se fait
automatiquement, et la Matière apprend à se spiritualiser, comme la
vie l'indique, en faisant émerger de nouvelles structures.
Les représentations
servent à nous guider. Les plus fondamentales sont les codes
sociaux, puis elles se sont diversifiées, jusqu'aux dogmes
scientifiques, politiques, économiques et religieux. Elles sont
toujours plus ou moins acoquinées avec des « valeurs »,
parce qu'elles se veulent être des points de repère fiables face à
l'entropie. Et elles s'imaginent, naïves, qu'elles peuvent durer...
Mais nous sommes bien les seuls à demander à être guidés. Les
galaxies s'en foutent et s'éloignent de toute façon, les molécules
s'arrangent toutes seules « intuitivement » en quelque
sorte, et sans subir le moindre débat, les particules tolèrent leur
indétermination. Les animaux suivent leur instinct et n'aiment pas
délibérer, sauf peut-être ceux qui rêvent déjà de
l'atermoiement propre au primate debout, parce qu'ils le côtoient.
Les chiens, par exemple, sont fiers, quand ils se paient le luxe
d'hésiter: le mental vient les frôler !
Il n'y a donc que
l'homo sapiens sapiens qui éprouve le besoin de se fabriquer les
petits miroirs des représentations pour décider de son
chemin. Il produit ainsi des lois qui enserrent et contraignent des
espaces à se séparer les uns des autres, et qui mettent hors-la-loi
le hasard, sans succès évidemment, mais on continue quand même
pour la beauté du geste de vouloir tout contrôler. Héraclite,
Tchouang-Tseu et enfin Henri Bergson ont pourtant définitivement
établi que le temps pond des possibles à chaque seconde, sans
répit, que les bifurcations se chevauchent à toute vitesse. Qu'il
est donc vain de chercher les millions d'œufs des faits qui se
cachent dans le défilement continu de la durée, ou de vouloir
s'emparer des innombrables métamorphoses des mouvements se
mélangeant entre eux. Saisir le mouvement, non, s'y faufiler
peut-être.
Le temps se déroule et
il déploie nécessairement l'indéterminé, affirme Henri.
Les semences pleuvent, les circonstances s'enchevêtrent, les causes
convergentes coulent vers des abîmes de faits nouveaux, d'occurences
inattendues, de combinaisons inévitables. Autant dire, en
transposant, que les lois morales, sociales, politiques, sont vouées
à l'échec parce qu'elles méprisent l'indéterminé, ne prévoient
pas les dommages collatéraux du hasard, butent sur le surgissement
du neuf, oublient la péremption de la règle, passent à côté de
la spirale émergente, ce processus qui produit un effet supérieur à
l'action de toutes les causes en présence et les transcende. L'idée
de se débarrasser de l'accident et de l'occasion, qui surgissent des
combinaisons aléatoires des événements, pour planifier la vie
humaine et l'enfermer dans des structures inamovibles, constitue la
tentation permanente des cultures pour faire face au destin. Etablir
et s'y tenir. Comme si le présent était une menace parce qu'on ne
sait pas où il mène ! Même la physique voulait savoir à tout
prix, mais depuis un siècle, elle a dû rabattre ses prétentions.
C'est le mental aujourd'hui qui est contraint de reconnaître ses
limites, ou d'être de mauvaise foi. Avec la symbolique que toute
intelligence peut tirer de l'effet papillon, il faut aujourd'hui
désirer demeurer stupide pour continuer de croire que l'avenir peut
être prédit.
La réalité résistera à
l'esprit tant qu'il ne la fera pas sienne, tant qu'il voudra qu'elle
ne soit qu'un objet, alors qu'elle est tout sauf un objet. Elle est
le Tao, le grand ordonnancement, elle est Dieu, ou bien la cause
première, ou l'univers illimité, ou encore l'Etre suprême: la
voir comme un objet, c'est décider qu'un cube n'a qu'une seule face,
et s'acharner à le caractériser par cette seule surface. Voir la
réalité comme un objet, — ce qui est propice bien sûr à
créer un éventail de représentations fragmentaires, c'est d'abord
et avant tout oublier qu'on en fait partie.
Et s'imaginer naïvement
qu'on peut s'en abstraire pour l'observer.
Mais nous savons depuis
peu que le regard de l'observateur modifie l'expérience. Bohr,
Heisenberg, Shrodinger ont porté l'estocade. Confirmé Tchouang-Tseu
par le chemin des écoliers de la pensée logique, plus de deux mille
ans plus tard. Si tout nous échappe aujourd'hui, si tout s'échappe,
—autant dans la science devenue religieuse que dans la politique
devenue économique, c'est tout simplement que notre territoire est
beaucoup plus vaste que ce que nous imaginions un siècle en arrière
seulement.
La révolution quantique
est en marche.
Plus aucune perspective
ne pourra plus être totalitaire, et séparer le réel du réel, sous
prétexte que nous pouvons le découper en zones étanches les unes
aux autres. Le « contrôle » a échoué (politique,
économique, moral), il faudra bien se résoudre, pour survivre, à
prendre le chemin de la coïncidence, de la synchronicité, de
l'harmonie. L'homme moderne veut embrigader les centaines de
millions d'emboîtements des forces universelles entre elles dans un
petit paquet conceptuel, mais il doit maintenant s'y prendre
autrement. La folie des grandeurs du Mental ne l'a mené nulle part.
En dépit de toutes les mises en scène de ses projets historiques,
en dépit de ses prétentieuses découvertes, l'homme reste
infiniement blessé par son impuissance à maîtriser correctement le
temps. C'est que, pour faire corps avec lui, il convient de ne pas
l'amputer de ce qu'il apporte d'indéterminé à chaque seconde, car
c'est là que la grâce fonctionne. Là que l'intuition souveraine
inspire. Quand l'esprit est libre de tout contrôle, présent au lieu
d'être projeté en avant dans quelque projet, il reçoit le
chuchotement bienveillant de l'univers, et, bien qu'avançant vers
aucun point précis, il marche avec l'ensemble, sans heurts, sans
tambour ni trompette, sans même vouloir se rendre où que ce soit,
puisque tout est là, rassemblé dans l'ouverture exhaustive, le
souffle qui donne. Si tout se répond au micron près et à la
nano-seconde près, — l'étanchéité n'existant tout
simplement pas dans l'univers quantique, nous sommes encore loin
d'une seule approche qui combinerait l'astrophysique et la
nanophysique, séparées toutes les deux par la biologie et ses
effarents mystères, dont le plus redondant est celui de
l'embryogenèse: 1 spermatozoïde + 1 ovule + 9 mois = 1 bébé !
Des transformations
atomiques à l'expansion des galaxies, il n'y a pas lieu de supposer
qu'il y ait le moindre interstice, que les univers soient
indépendants les uns des autres. Mais le Mental rechigne à oublier
ses calculs (de simples projectiles) pour se fondre dans l'illimité,
sans aucun mode d'emploi. Et pourtant, certains l'ont dit, qui ont
laissé des traces. Oubliées, ou réservées aux questionneurs
d'abîmes. Pérennes, ils obnubilent, envoûtent, ou font école,
ceux qui ont transgressé la tyrannie de la pensée. Et bien avant
Heisenberg, ils avaient compris que le combat entre les certitudes et
les incertitudes était voué à l'échec. Ils se sont postés
au-delà du oui et du non, dans un consentement absolu, qui peu à
peu a eu raison des nerfs agités, des émotions duelles, des pensées
qui, pour mener quelque part, doivent éliminer tout le reste. Ils
ont rejoint l'unité insécable, si totale, si absolue que lui donner
un nom, c'est déjà la perdre de vue.
Le Tao que tu dépeins
n'est pas le premier ordonnancement.
Lao-Tseu
Bien sûr, il est
nécessaire de pouvoir imaginer l'infinitésimal et ses
réseaux de transformations spontanées pour parvenir à cette
conclusion, mais c'est justement l'un des objets de la mécanique
quantique, — l'interaction absolue. Dans l'immensité, tous les
rapports qui existent entre le vide et les corps sont multiples. Les
« objets » qui émanent et ceux qui attirent se
dispersent, ceux qui donnent de l'énergie et ceux qui semblent la
manger, comme les trous noirs, « obéissent-ils » aux
règles que certains aimeraient bien inventer à défaut de découvrir
? La flexibilité de ces lois est telle qu'elles ne peuvent donner, en
toute logique, que sur des cas particuliers, grossièrement inféodés
aux mêmes règles. L'astro-physique, comme tout le reste,
n'échappera pas au développement exponentiel de la complexité,
nécessitant de nombreuses théories aux champs d'application fort
limité pour chacune.
Comme dans le jeu
d'échecs, dans lequel le nombre de parties est illimité alors qu'on
suit exactement les quelques règles fort simples à chaque nouvelle
confrontation. Obtenir donc des modèles dynamiques de la réalité,
ce qui est grosso-modo l'objet de la physique, qui aime investir
toutes les transformations possibles de la Matière, a jusqu'à
présent donné des résultats fiables dans le monde assez carré de
notre vie humaine. Au-delà, l'Infini règne. S'acharner à
considérer qu'une vision intellectuelle juste des lois de l'univers
ouvre les portes de la conscience, et met le meilleur avenir à notre
disposition, voilà la nouvelle illusion dont nous devons faire le
deuil. La réalité, de toute façon, nous glisse entre les doigts,
quels que soient les noms qu'on lui donne. Tant mieux pour les
quelques progrès, et encore! Le développement anarchique de la
chimie industrielle a contaminé le sang de la terre, aujourd'hui
empoisonnée. La physique a percé le secret de l'atome, et la bombe
atomique a suivi. Les illusions futures qui procèdent du même
mental gourmand tendent à imaginer des croisements de cellules
nerveuses avec des circuits nanotechnologiques. L'apprenti-sorcier
meurt et ressuscite tour à tour, aveugle au suprême secret de
l'intelligence: transformer le « sujet » lui-même,
comme n'ont jamais cessé de le chanter les « sages » de
l'Orient, et quelques saints exemplaires bien de chez nous.
La complexité ne peut
cesser de se dévoiler. Plus on la reconnaît, plus on l'approche,
plus elle révèle de nouvelles combinaisons, structures et
processus. Et il n'y a pas de raison que cela s'arrête. Et quand
cela est compris et intégré, le mental ne part plus à la pêche de
la vérité extérieure, mouvante, éphémère, accordée aux lois
des cycles, aux us et coutumes des hommes alentour, accordée au
passé. La révélation d'une vérité intérieure se fait jour, qui
n'aura plus besoin « d'explications » pour trouver son
chemin. Etre, c'est être au diapason du Tout, et pour cela, il est
nécessaire bien longtemps de cesser de vibrer au seul diapason des
ambitions, ou des objets de prédilection gratifiants. Quand ce
chemin se poursuit, une indignation peut survenir.
Cela vaut-il vraiment la
peine de dépenser des milliards dans des cyclotrons, pour créer des
particules qui « vivent » une milliseconde ? Des fusées
d'exploration, pour quoi faire ? Pour fuir l'exploration du cœur, de
la générosité, de la solidarité humaine-terrestre. Le
développement spécialisé d'une certaine recherche ne
constitue-t-il pas une fuite en avant destinée à cacher sous le
tapis les vrais problèmes de l'homos sapiens sapiens ? La
paupérisation des masses, la pollution industrielle et le
réchauffement climatique, la fragilité des démocraties, l'erreur
partielle de la compétition économique, l'anarchie financière ?
Après tout, qu'il s'agisse des investigations scientifiques qui
établissent avec amertume que l'incertitude constitue le modèle le
plus approprié du mouvement initial, ( « contrôler »
n'est pas une mince affaire dans l'infinitésimal), ou qu'il s'agisse
du monde historique, le même type de recherches échoue
systématiquement. Auguste Comte s'est trompé autant que Karl Marx.
L'avenir est indéterminé, et le piéger dans des équations, des
lois ou des règles, dans des codes ou des impératifs, c'est se
moquer de la réalité: Elle ne se laisse pas mettre en boîte. Elle
va trop vite pour cela. Elle entrelace des millions de paramètres
qui se combinent et provoquent des dommages collatéraux autant que
des émergences inattendues. La réalité historique est
imprévisible, de la même manière que le principe d'incertitude
régit le potentiel éphémère et toujours renouvelé de l'infime
réalité insécable.
Nous devrions donc tirer
des leçons du vingtième siècle, et renoncer à l'arrogance de la
pensée.
La première serait de
relativiser le pouvoir des découvertes. Elles n'ont qu'un impact
limité, le plus souvent récupéré par le pouvoir en place.
Autrement dit, l'intelligence n'est pas libre. Elle est
surveillée de près par le politique, elle doit servir tout d'abord
l'armée et la Défense, puis le profit. D'où les irrémédiables
perversions comme la bombe atomique, les recherches paranormales dans
les services secrets, les laboratoires qui fabriquent des virus, la
surveillance technologique absolue, un scénario fort plausible sans
le réveil des masses ou de grandes catastrophes.
La seconde leçon serait
de relativiser le pouvoir des représentations, qui sont toutes, à
différentes échelles également, de la loi tribale à la théorie
du big-bang, des modèles de la réalité. Qui tour à tour ont
imposé leur dictature aux peuples. Dictature de la loi de l'Eglise,
puis dictature de la Raison, enfin la dictature de la Finance
mondiale, qui elle aussi repose sur la représentation de l'économie,
comme alpha et omega du progrès universel. Mais, me direz-vous, si
les représentations s'effondrent, qui nous guidera ? Je vous demande
d'abord de répondre à cette question: quelles représentations
nous ont-elles guidé dans la bonne direction ?
La morale, la religion,
la Science, la démocratie ? Autant de systèmes bien ficelés qui
ordonnent chacun une conduite et un ensemble de croyances. Voyez-vous
vraiment du progrès de l'arc à la Kalachnikov, du sabre au missile
? Quelle avancée, des dix commandements de Dieu à la dictature du
prolétariat ? Du poisson frais au surgelé ? N'y aurait-il pas
seulement une efflorescence du même pouvoir, une expansion brute de
la même chose, dénuée de tout caractère évolutif ? De simples
substitutions qui maintiennent le même ordre exactement: la guerre
pour les armes, des plus primitives aux plus sophistiquées. La
manipulation de l'homme par l'homme, des multiples décrets divins
aux innombrables ismes qui sévissent encore. L'adoration de
l'alimentation, du simple troc de denrées aux hypermarchés qui,
rendant l'obésité obligatoire, sont indirectement au service des
industries pharmaceutiques, des multinationales de la distribution et
des chirurgiens esthétiques.
Certes, les
représentations évoluent, et depuis qu'elles ont incorporé la
complexité dans leur déploiement, elles deviennent à la fois plus
précises et plus limitées. C'est à la conclusion à laquelle sont
arrivés de brillants physiciens, avec la question de cerner le champ
d'application exact d'une théorie, souvent bien moindre que prévu,
d'autres paradigmes empiètant dans le cadre convenu. C'est à cette
conclusion également que parvient Edgar Morin, thuriféraire d'une
philosophie du cœur, et qui se garde de recommander la moindre
généralisation, alors qu'il continue d'espérer, contrairement à
d'autres, en particulier les éveillés de la non-dualité, que les
«systèmes » seront un jour efficaces pour guider l'approche
de la réalité, afin d'améliorer le politique. Enfin, l'extrême
complexité a été commentée en long, en large et en travers par Sri
Aurobindo dans la vie divine, puisqu'il affirme que tous les
plans de conscience transcendantaux peuvent s'épauler, correspondre
à différents types d'approche, et qu'ils n'ont pas à être séparés
de la réalité sensible et phénoménale: la Matière étant de
l'énergie sous une forme dense, qui lui donne l'apparence de la
stabilité. Il s'ensuit une vision d'ensemble époustouflante et
confondante, qui donne un champ de réalisations infinies à
l'Esprit, notre source cachée. Un moyen simple et efficace, cette
lecture, de prendre du recul sur l'Histoire qui, plus que jamais,
déçoit.
L'ultime leçon à tirer
du vingtième siècle, c'est donc que les représentations ne sont
que des représentations: il demeure impossible de prévoir leur
pouvoir dans le monde phénoménal. Quant aux nouvelles
représentations, leur but est justement de connaître leurs propres
limites d'application, ce qui commence, enfin! — à sourdre dans
le développement des études sur les systèmes complexes, aussi bien
que dans les transmissions des « nouveaux éveillés ».
Ceux qui préfèrent témoigner plutôt que développer des modèles
de saisie de la réalité intérieure ou extérieure. Avons-nous
encore le temps de nous libérer des représentations tyranniques et
totalitaires, autant de celles qui, quelles que soient leur beauté,
ne donnent strictement aucun mode d'emploi de la réalité alors
qu'elles feignent de produire des pistes ? Oui, en consentant à
l'Indéterminé, le fossoyeur du passé.
Natarajan
Shanghai,
Décembre 2011.
« Le chaos ouvre la voie. »
La « chute » culturelle en marche est proportionnelle à une nouvelle donne historique. Il faut en quelque sorte « posséder » la vision naturelle et aboutie du yin et du yang pour voir que les choses se passent ainsi et donc ne pas s'inquiéter. La descente fait forcément de la place pour une remontée, mais sans une pratique assez intense de la méditation, on se laisse avoir par les apparences. Ce redressement spirituel ne sera ni politique ni économique, mais psychologique quand nous pourrons éviter le déni de réalité. Cela peut prendre du temps, et sera sans doute jalonné par des batailles. Je ne peux pas dater l'ascension collective, mais je ne vois pas pourquoi elle n'aurait pas lieu. Une époque comme le cinquième siècle avant Jésus-Christ peut se reproduire, à partir d'une nouvelle donne. Nous devrons avant épuiser les erreurs, afin qu'il ne reste plus qu'une possibilité: la vérité. C'est à quelque chose près une citation de Sri Aurobindo, mais c'est aussi une impression personnelle que m'impose le supramental, et qui me donne la force de poursuivre. Toujours est-il que le procédé de mort et de renaissance a toujours existé dans bien des domaines, le seul problème, c'est qu'il s'effectue à l'insu de notre plein gré. Nous ne voulons pas des crises, et pourtant elles nous sauvent. Bref, je ne me sens pas d'épiloguer sur le sujet clé du moment, la Grèce et ses mensonges, la manière dont elle a profité de l'Europe sans y croire, pas plus que je ne saurais préconiser de solution, n'étant pas expert en matière politique. J'ai simplement l'impression qu'une fois de plus la référence est La Fontaine, avec même un cocktail de fables à emboîter les unes dans les autres, le corbeau et le renard, Perette et le pot au lait, les grenouilles qui demandent un roi... Je souffre plutôt de l'impéritie humaine, de ce manque de lucidité qui attaque souvent les peuples aux vies envoûtées par le soleil, et qui ne savent pas, par conséquent, prévoir. Bien sûr que les allemands sont les fourmis et les grecs les cigales, mais cela ne fournit aucun débouché. En supposant que le laxisme soit possible en Grèce, et constitue même une manière de gouverner, pourquoi pas ! L'Europe en revanche ne peut pas fonctionner de cette manière-là. Donc, même sans porter de jugement de valeur sur les difficultés administratives de la Grèce, chroniques, le problème est qu'aujourd'hui ces difficultés débordent de la nation et affectent les pays alentour. Il n'est donc pas stupide d'imaginer que l'Europe s'est construite davantage sur une croyance quasi religieuse, cette idolâtrie de l'avenir qui signe l'esprit occidental, que sur des analyses et des jugements rationnels. On en revient toujours là, à la prétention du mental de créer les univers homogènes qui l'arrangent, du dessus, avec des collages artificiels. L'hétérogène résiste, car il est ancré dans la matière et l'Histoire, dans les singularités, les particularismes et les différences, et la manière d'estomper les barrières avec des idéologies survolant les frontières, ça ne fonctionne pas. Mais le mental ne sait pas tirer de leçons de l'Histoire, et il perpétue les mêmes erreurs, en changeant seulement le contexte et la forme, pour oublier les échecs passés. Le hamster court sur sa roue qui tourne, il se dépense mais ne se déplace pas.
Alors je me réjouis d'autre chose, de cette incroyable synchronicité qui prouve enfin que l'intelligence de la Terre avance. C'est très lent, je veux bien le reconnaître. Quelques intellectuels sont en train de tomber sur le pot-aux-roses que nul n'osait regarder de près: le cerveau ne fonctionne pas de la même manière selon le lieu de naissance et l'époque, et même s'il n'existe que quelques types fondamentaux, ils sont indiscutables. Au moment même où, après des mois de travail d'écriture sur « le présent », j'avais la révélation des matrices conceptuelles, François Jullien jette un pavé dans la mare, publié à la nrf, un lexique euro-chinois de la pensée, qui développe ce que j'avance moi-même : la perception globale du réel ne s'effectue pas de la même manière dans l'esprit chinois et l'esprit occidental. Je ne vous cacherai pas la surprise qui m'attendait quand, me rendant, au retour de Bali, au marché aux livres de Brancion (la foire aux bouquinistes de Paris) je suis tombé sur cet ouvrage. Enfin! Cessons de nous imaginer qu'il n'existe qu'un modèle de perception, non, il y en a plusieurs et le nôtre n'est ni meilleur ni pire que les trois autres que j'ai identifiés et décrit dans les vidéos. Notre matrice conceptuelle est dévorée par le devenir, et quand le devenir s'arrête, elle tombe en panne. C'est ce qui va se produire. L'ordre, à son terme, produit du chaos.
L'intelligence avance aussi parce que beaucoup de citadins ouverts et « branchés » se lassent de l'esprit analytique, cette fausse panacée qui voulait s'approprier le réel en le décomposant, et en le rebâtissant avec des concepts créateurs. Il y a un retour à l'intuition, à l'intelligence émotionnelle, au respect de l'altérité qui s'effectue, et ces trois aspects qui se combinent vont permettre une nouvelle éducation dans certains milieux. Le clivage va finalement se renforcer aussi entre les tempéraments narcissiques et les caractères ouverts, ce qui promet des grincements de dents dans les familles et les ménages. Que les choses nous échappent, que l'Histoire s'essouffle et s'effrite, voilà l'occasion de s'ouvrir à de nouvelles alternatives, pour ceux qui savent s'adapter, tandis que les autres vont s'accrocher à leurs privilèges. Il faut y voir le Divin dispersé dans le fragment individuel pour supporter ce spectacle terrible qui s'avance. Un système faux va s'écrouler, que nous ne savons pas encore comment remplacer. Raison de plus pour se tourner vers les ressources intérieures, vers le moi qui résiste à toutes les identifications au non-moi, qui se sait présence, qui sent sa légitimité absolue, quels que soient les avanies de l'Histoire, les grimaces du singe pensant prétendant être homme sans en avoir les moyens.
L'intelligence avance aussi parce que les vérités deviennent relatives à toute vitesse. Les contradictions de la mécanique quantique nous rappellent que nous ne savons presque rien, en tout cas rien de définitif, avec cette matière noire invisible... certains commencent à se douter que l'échelle de l'atome est déjà considérable, et qu'il peut se passer des processus totalement inconnus bien au-delà du milliardième de millimètre, pour lesquels nous n'avons ni théorie convaincante, ni moyens d'observation bien entendu. L'échafaudage de Planck, qui regroupe un nombre homogène de concepts et de données, donne le vertige. Il existe peut-être un monde si infinitésimal, mais sans doute homogène, que la gravité ne s'y manifesterait pas ou d'une manière paradoxale, inconnue, ce qui serait une entorse, naturellement, à cette vision de l'espace-temps unique d'un seul tenant. Il en sort les théories des supercordes, ou celles des boucles, que l'intelligence peut à peine supposer, à peine deviner, sans pouvoir appréhender tout ce que cela implique. Bref, l'atome n'est plus ce point minuscule qui symbolisait l'engendrement de la matière. Nous remontons encore plus loin, dans du plus petit, de l'inexprimable, voire du non quantifiable pour des décennies encore. Relativisons, c'est notre seule chance de nous en sortir.
28 Juillet 2015
Tous les vieux pouvoirs refusent et condamnent la relativisation. Parce qu'ils ont une peur bleue du mouvement, du mouvement en soi qui attaque les vieux dictats. Ainsi, Ratzinger, avant d'être élu pape, n'était ni plus moins qu'un idéologue de l'Église. Ce brave Umberto Eco nous le rappelle dans « construire l'ennemi » chez Grasset, qui comporte deux articles très inspirés, construire l'ennemi et la flamme est belle.
Homélie du 18 avril 2005 :
L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure : le Fils de Dieu, l'homme véritable.
Non, le relativisme sert aussi à remettre en question les certitudes obsolètes, c'est le mouvement de Newton à Einstein, et d'Einstein à la mécanique quantique. Le relativisme, c'est ce qui permet à toute âme sans orgueil de comprendre que le musulman sincère vaut bien le juif sincère qui vaut bien le chrétien sincère, et l'hindou sincère, et l'humaniste engagé et athée. Le relativisme est simplement le chemin de l'absolu lui-même, puisque le vainqueur du temps, à force de souffrir de tout ramener à des valeurs relatives, à force de voir sa pensée épouser tout et n'importe quoi avec la même ferveur — s'élance dans le vide. Mais Ratzinger, comme tous ceux qu'il représente, avait besoin de certitudes imaginaires pour vivre. Il a cru que la foi avait besoin d'un objet, ce qui est faux dans l'absolu, et qu'il fallait trouver dans le Christ l'objet de la foi. Mais pour ceux qui peuvent se passer d'objet et de personnification, ceux que j'appelle les évoluteurs, et qui dépassent les racines de leur milieu, la foi en le seul Divin, même inexprimable, surtout inexprimable, absolument inexprimable, est un fait intérieur largement suffisant pour s'élancer dans la vie spirituelle. Une vie spirituelle balisée par des valeurs morales n'est rien de plus qu'une superstition, et, encadrée par un dogme « régional », elle manque l'aventure du carmel intérieur. Il faut se savoir ange et bête, ange et démon, et commencer à départager les adversaires pour s'impliquer dans une voie. Vivre dans le déni de la dualité finit plus souvent qu'à son tour par fabriquer des prêtres pédophiles, les maillons faibles de la lignée des partisans du dogme de l'Église. Etre humain n'est pas une petite histoire qu'on récupère avec des mots d'ordre, quels qu'il soient. Mais l'habitude est encore là, profondément ancrée. Les mots d'ordre demeurent, seulement ils s'inversent. Ratzinger avait sans doute peur d'une société qu'il voyait venir, dans laquelle il aurait été suspect de ne pas être homosexuel... C'est vrai que bientôt tout le monde y sera encouragé, par de fallacieux discours sur le « choix personnel du genre »... Il craignait sans doute d'autres maux, provenant du relativisme, c'est-à-dire, pour parler vrai, de l'accélération de l'Histoire, comme un scientisme tyrannique, avec des clones jumeaux pour les plus riches, ou comme une islamisation générale qui relèguerait Jésus, fils de Dieu, à n'être que l'avant-dernier prophète, incapable de « faire la loi » sur la terre. Mais le fait est que toutes les peurs nous viennent seulement de notre incapacité à faire confiance à la liberté de l'autre, comme si elle empiétait déjà —sui generis— sur la nôtre... Non, s'il nous attaque, le libre arbitre de l'autre, plantons notre bivouac ailleurs. Chacun a droit à vivre ses valeurs, chacun est déjà l'amorce du Divin, et je dois le répéter pour ceux qui n'ont pas eu la chance, comme Sri Aurobindo et moi-même, de passer par l'expérience de « Vasudeva ». Le chaos va grandir, c'est le garant de l'évolution, le progrès passe toujours par des phases hétérogènes et destructrices, la nature nous le dit avec l'oisillon qui brise sa coquille, la chrysalide qui stagne avant l'essor du papillon nous prévient. Pluton nous impose l'hétérogène mordant avec « la crise incontournable ». A ce propos, vive la synchronicité, nous approchons de Pluton et le prenons en photo de près juste au moment des signatures (pourries) avec la Grèce. Encore un complot du hasard, qui en dit long sur l'univers fractal.
En ce qui me concerne, je ne vois rien d'autre que la liberté humaine s'exprimer de millions de manières différentes, et je n'ai pas l'intention de réglementer ça. L'Histoire attendait ça depuis plus de trois mille ans... La subjectivité triomphale est bonne ici, mauvaise là, elle entraînera ce qu'elle devra entraîner de désordres, mais bien des chaos l'emportent, par leur intégrité et leur force, sur des systèmes ordonnés et fermés qui croupissent dans des idées toutes faites, et somnolent dans des dictats envoûtants. Une lente révolution alternative est en marche.
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