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Journal de recherche
2010

Saint-Germain en Laye.

Ce "journal de recherche" va remplacer le journal blog spontané, qui avait laissé la parole à mon enfant intérieur. J'ai renoncé à l'indifférence absolue du maître de l'extinction, et je ne souscris pas à la non-dualité (quelquefois béate) que permet l'Impersonnel, car ce n'est pas le Soi éternel qu'il faut sauver, il se suffit à lui-même, mais la vie. Ce "journal de l'éveil" vous permettra de vous synchroniser avec mes découvertes, mes coups de cœur, mes "insights". J'ai donc le loisir d'étudier ce qui me passe sous la main, toujours dans la même et seule optique: comprendre. Je regrette que cette base de l'éveil soit parfois reléguée au profit de nombreuses stratégies, et je ne sais pourquoi cela se passe maintenant, mais vraiment, il m'apparaît aujourd'hui carrément obscène d'être sur la Voie et d'en attendre quelque chose. Bien sûr, l'aspiration peut être considérée comme le souhait de la connaissance de Dieu, et donc elle est légitimement "tournée vers", oui, mais ce mouvement d'être tourné vers n'attend rien, et se suffit au jour le jour des quelques pépites quotidiennes.

Le premier flash que je vous transmets provient d'une lecture dans le magazine Lire, que j'emprunte à la bibliothèque magnifique de Saint-Germain en Laye. Je tombe sur un concept que je cherchais depuis longtemps, et il me saute aux yeux. Il s'agit de la lecture symptomatique. Cette expression désigne la faculté de prendre dans un corpus ou un texte ce dont a besoin et d'ignorer le reste. J'ai alors vu défiler sans le moindre effort quelques visages d'Aurobindiens, qui, sans le savoir, avaient fait de la lecture symptomatique avec le révolutionnaire de Pondichéry. Je n'ose pas évaluer leur nombre. Etant donné tout ce que couvre l'œuvre de Sri Aurobindo, chacun peut y puiser un morceau qui l'intéresse, et oublier le reste, qui lui demande trop d'efforts, ou dérange un de ses gunas; (Wikipedia.) Image subliminale du visage d'une femme assez perdue, qui attendait depuis longtemps une dimension nouvelle débarquée de nulle part, mais qui était incapable de faire la moindre sadhana, sous prétexte de fusionner avec tout. Tombée dans le piège "solaire" de son signe des Poissons. Pas de nouvelles depuis la conférence. Me souviens des hindous qui ne cherchent qu'une chose: adorer Sri Aurobindo comme un dieu ultime, en se moquant éperdument de s'attaquer à leur propre nature, et qui s'imaginent qu'un jour le supramental va leur tomber dessus, croyance qui me blessait quand j'étais à Auroville en 78, car ceux qui s'appuyaient dessus en profitaient pour être odieux. Ces êtres humains se débrouillent pour confondre lâcheté et humilité: seul le Divin peut faire quelque chose pour moi, pas question de m'impliquer dans un changement radical dont l'orientation serait aléatoire. Pauvre esprit de l'Inde, trop souvent saturnisé à mort. Sans compter les laissés pour compte, possédés par l'angélisme, et qui se sont attachés au caractère historique de la manifestation du Supramental, et qui ne s'en remettent pas, ni de la mort de Mère, ni de celle de Satprem, dont certains ont même cru qu'il fallait devenir comme lui un misanthrope pour faire ce yoga. Qu'ils relisent les aphorismes de Sri Aurobindo.

"Je suis saturé de cette impatience enfantine qui crie et blasphème et nie l'idéal sous prétexte que les Montagnes dorées ne peuvent s'atteindre dans notre petite journée ni en quelques siècles momentanés". (Aphorisme 315)

Je pourrais aussi citer les thuriféraires de Mère qui sous-estiment Sri Aurobindo, parce que l'Agenda les a envoûtés, et qui considèrent que c'est elle qui a vraiment "commencé"; et naturellement dénoncer l'inverse, les addicted au bengali réfugié en comptoir français, et qui cherchent des poux sur la tête de Mère, qui devrait tout à l'auteur de la vie divine. Par anticipation, je me vois déjà coupé en morceaux dans dix, vingt ou trente ans, approprié de différentes manières, c'est la loi et c'est amusant, ce qui compte c'est ce que l'on retire de mon témoignage, et je sais déjà être utile, ce qui me réjouit. Certains resteront fans du soixante-huitard épanoui du journal, et s'arrêteront là, sous-estimant sans doute ce que j'ai accompli dans le yoga, tout en prenant leur démarche avec trop de désinvolture, croyant se référer à une autorité pour traîner en chemin. L'effort n'est pas toujours de mise, mais la vigilance, elle, se doit d'être permanente. D'autres me considéreront comme un génial détenteur de la pensée chinoise, capable de transmettre la voie du tao s'ils ont suivi le séminaire, et ils ne verront qu'une sorte de Maître vivant, écartelé par la dualité taoïsme/supramental, alors que l'un mène à l'autre (Il restera à départager les clichés qui enrobent le Soi des exigences supramentales qui démentent en partie la non-implication (dans le samsâra) chère aux petits maîtres et aux bouddhistes du Theraveda). D'autres apprécieront que je crée de très belles représentations, des cartes quoi, auxquelles ils se fieront, sans doute outre mesure, et ils me verront comme une sorte de mage s'ils s'attachent par exemple aux "Inconnaissables" et à Cosmophilosophie, destinée aux astrologues. D'autres resteront dans l'esprit du Soi, considérant que la racine de l'éveil est finalement suffisante à tout expliquer, et que je suis un maître de la non-dualité, qui a trahi la tradition pour se compromettre et finir dans la défense de la vision supramentale, qui contredit certains canons certifiés conformes et réputés imprescriptibles...D'autres se moqueront de tout ça, considérant que certains de mes tableaux numériques sont inspirés, ou qu'ils ont besoin de ma musique pour se lever, quitte à s'imaginer que l'art peut mener au Supramental. Il y en a même qui m'admirent déjà comme romancier, et se moquent éperdument du reste...Enfin, bien sûr, certains reliront "les principes de la manifestation" et se diront que ce type, quand même, n'est rien d'autre qu'un philosophe d'un nouveau type, un simple prophète, un vulgarisateur intellectuel de la "théorie" aurobindienne, et la lecture les enchantera et les gênera tour à tour, puisqu'elle ne fournit pas le Divin clés en mains. Mais tout cela est prévu, tout avance et tout résiste en même temps. Vous êtes tous déjà le Soi, et il reste à vous en apercevoir, briser les barrières entre le moi et le non-moi.

Je dois dire qu'en ce qui me concerne, cela ne me dérange pas du tout d'être récupéré. Etre récupéré ou se taire. D'ailleurs, venons-en au fait du journal de recherche. Debord a été récupéré, chacun le sait. La question qui se pose aujourd'hui même, vu que ce monsieur passe de l'anonymat réservé aux génies à la médiatisation à outrance: est-ce qu'on va pouvoir récupérer Philippe Muray ? Si oui, c 'est que nous sommes vraiment au bout du rouleau. Dans le fétichisme de l'échec, et sa célébration bien-pensante. Car Muray ne laisse rien passer, rien. Il dépèce l'esprit de notre temps, voit ce que n'importe quel "chercheur" aperçoit, sauf que chez lui c'est systématique et professionnel, construit, pourrions-nous dire. On pourrait affirmer qu'il nous "mâche le travail". Mais ce n'est pas un saint, et il ne propose rien. Il "voit" en quelque sorte tout ce qui ne va pas, sans se plaindre comme Cioran, et sans bâton idéologique comme Debord, qui avait quand même besoin de Marx. Ce que je voulais dire, c'est qu'il a fallu qu'il meure en 2006, et sans doute qu'il y ait la crise d'octobre 2008 pour qu'on s'avoue qu'il avait raison, grosso-modo, et en long en large et en travers. Je ne vais pas le décortiquer pour extraire des erreurs ou des exagérations. Dans l'ensemble Muray a vu le problème, l'espérance molle qui aveugle l'horreur du présent, ces espérances molles possédant autant d'alibis que de couleurs, que de sectes, que de bien-pensants de tous bords. Et la vérité c'est que personne ne l'a suivi. Il aurait survécu en écrivant des polars, sans jamais se compromettre dans une école d'espoir à cacher la poussière sous le tapis. Une fois de plus, je reçois un coup de poignard dans le dos. Ce n'est pas que la vérité manque, si l'on entend par là la découverte de ce qui améliore notre condition, ou les causes de ce qui nous aliène. Non, elle ne manque pas, mais soit on la fait taire, soit on l'évite, parce qu'elle dérange vraiment trop. Il fallait le célébrer tout de suite, tenir compte immédiatement de ses analyses, et que ça fasse boule de neige. On n'en serait pas là. Mais en l'ignorant le plus longtemps possible, ses découvertes sont d'autant plus amères que l'on ne peut plus les utiliser pour "changer le monde". C'est trop tard. Qu'on n'ait pas écouté ce penseur tout de suite, signe la faillite de notre société, et prouve par A+B qu'il avait raison, sur presque toute la ligne. Il a résisté à tous les politiquement correct de gauche ou de droite, on l'a laissé de côté, mais c'est lui le voyant, pas les opportunistes qui vivent sur le cadavre de la vérité marxiste, ou sur l'agonie impossible du Capitalisme.

Et c'est le même magazine qui remue chez moi une vieille plaie, la bêtise de l'intelligence quand elle fait cavalier seul, se coupe des faits, oublie le bon sens, tourne en rond dans sa soi-disant raison, où les signifiants parfaitement bien ordonnés finissent par masquer les signifiés. Le pauvre Althusser, considéré comme un demi-dieu par les normaliens pendant toute sa carrière, étrangle sa femme en lui massant le cou. Interné pendant trois ans, il est libéré et finit sa vie dans un appartement du nord de Paris. Il apostrophe les passants "Je suis le grand Althusser". Je voudrais qu'on médite un peu-là-dessus, comme sur la fin de Nietzsche, qu'on comprenne définitivement que le génie philosophique, en Occident, n'est la moitié du temps qu'une apothéose du mensonge, une construction édifiante qui récupére des attentes collectives, qui joue sur des frustrations, qui exploite la part de l'enfant qui survit, refoulée, en chacun de nous. Avec des scandales terrorisants, si Onfray a raison, Kant aurait dit que supprimer un enfant sans état-civil n'était pas un infanticide. À vérifier. Une architecture de tourbillons de vent, et qui s'égare dans une sorte de Merveilleux mécanique, si l'on me pardonne cet oxymore, un Merveilleux mécanique, précurseur de l'échange virtuel sur le web, où des inconnus s'imaginent se connaître, parce qu'ils échangent simplement quelques phrases codées par leurs illusions partagées. (A croire que Muray se tient sur mon épaule et me dicte cette dernière considération). En dérivant le principe, qu'on se méfie donc des stratégies qui ont réponse à tout. Se libérer du bouddhisme envahissant, le grand Paternaliste, ne pas voir dans Sri Aurobindo l'Alpha et l'Omega, qui gave le besoin de réponse jusqu'à satiété qui finit dans la torpeur et la bonne conscience d'avoir tout compris (le fléau qui frappe cette immense secte dispersée et libre), mais subodorer le passage difficile au-delà de toute dualité, non dans le statique, ce qui est la non-dualité impersonnelle, mais dans la dynamique de la vie, ce qui est une autre paire de manches que l'Absolu de Nisaggardhatta ou que le soi créatif d'Andrew, le cher petit, le plus fat de tous les éveilleurs d' aujourd'hui. Enfin, la connaissance exige de nous la compréhension, et inversement. J'ai pour ma part conclu de tous les abus de pouvoir et de toutes les récupérations laïques ou saintes, que chacun fait ce qu'il peut, et que chacun en rajoute et se surestime, — c'est la loi de la "lentille individuelle", la règle du moi qui se différencie et qui a besoin de croire en ce qu'il fait. C'est profond, et pas si méchant que ça.

Comprendre davantage, c'est-à-dire absorber le réel conformément à ce qu'il est. Je m'attelle à 800 pages sur les nouveaux psys américains, et tout ça ne débouche pas vraiment loin. Le seul qui ait dit la même chose que Krishnamurti, mais en termes professionnels de psychologue, n'a jamais été traduit en français. Il s'appelle Ellis, et fait du verbe "accepter" la clé de toute guérison. Accepter au sens holistique, naturellement, ce qui n'a rien à avoir avec approuver, je le répète. Bien sûr quelques lueurs, mai si peu. Comme si la Conscience était toujours abordée par les côtés, j'oserais même dire sournoisement, sans oser l'appeler par son nom, pour la manipuler, la voir comme une mécanique complexe, dont on se gargarise de trouver quelques pistons, des erreurs de fonctionnement obligées, des pistes toujours extérieures, des pistes écologiques, avec pratiquement l'impossibilité d'établir la Conscience hors d'un contexte, et toujours cette pente réductrice: l'esprit, un pouvoir quasi chaotique qui pousserait différemment selon la famille et l'éducation, et se permettrait d'énormes anomalies. Pas d'intuition de l'intelligence démystificatrice, ou alors seulement chez les plus réceptifs. Chez les autres, c'est toujours la même "adaptation" au monde contingent qui est visé. C'est assez ahurissant que personne ne remarque le côté "subversif" de la conscience supérieure, mais il est vrai que c'est une étude qui porte sur la psycho américaine, et que ce peuple est scotché émotionnellement au non-moi, depuis son origine. Le circonstanciel y est sanctifié, l'événementiel y fait la loi davantage que partout ailleurs, et depuis la disparition d'Alan Watts, et en-dehors de l'école de Palo Alto, ça reste pragmatique sans aller chercher trop loin, la psycho américaine, ce qui est sans doute voulu par les circonstances, une tradition de la violence insane dans les familles, qui survit encore, une préoccupation majeure qui l'emporte sur la question de luxe de l'ego spirituel. Coup de chapeau quand même à Steven Hayes, qui récupère une partie de la "sensibilité bouddhiste" et l'attache à des axes concrets de dialogue qui permettent des prises de conscience évolutives, à partir de six évaluations différentes. Tout est dit avec accepter, choisir, agir. Pas traduit pour le moment, lui non plus. Sur l'ensemble, les professionnels qui reconnaissent une évolution non dirigée par un besoin de réussite ne me semblent pas les plus nombreux. Etre et réussir, ce n'est pas la même chose. Une guérison qui sert le Soi et non le recouvrement de l'ego, tel est le but de la souffrance. Cette vérité commence quelque peu à se partager. Elle a été longtemps le signe distinctif du bouddhisme, antagoniste sur ce point du christianisme, dans lequel la souffrance a toujours été valorisée, dans le sillage de la crucifixion rédemptrice, scénario que je suis prêt à démolir devant Jésus lui-même, si j'avais le bonheur de le rencontrer et qu'il vienne achever sa mission, on ne sait jamais. Il semble qu'il l'ait cherché...cette fin, problème insoluble. Comme celui des "sectaires chrétiens", qui rachètent en quelque sorte leurs martyrs en s'emparant du pouvoir à Alexandrie, et en persécutant les juifs et les philosophes. Et la misogynie de saint-Paul ! A nous de sortir de plusieurs milliers d'années de dictature du yang. En ce moment, je dois encore nettoyer des mémoires transgénérationnelles de souverain mépris de la femme, quatre générations en amont du côté de mon père. Où tout cela est-il logé pour jouer en "résistance", je n'en sais rien, mais je souffre encore physiquement de ces choses-là; comme si je devais déprogrammer mes corps subtils in extenso. Enfin, le Divin devrait s'y retrouver, il est aussi présent dans mes douleurs que dans mes extases, j'ai la chance extrême de le savoir et de supporter des choses difficiles grâce à cette vision, qui n'est pas de la méthode Coué, mais de l'expérience pure.

Toujours dans le même cadre "recherche", satisfaction de voir que René Guénon est un des seuls occidentaux à avoir compris la profondeur du taoïsme. Beaucoup d'autres, avides de glose, rassurés par les considérations, les collections de principes, les architectures de représentations, et les chorégraphies de postures, s'imaginent l'Inde loin devant...Guénon ne tombe pas dans le panneau, autant dire qu'il comprend la pensée chinoise, une pensée systémique, holistique avant la lettre, ce dont j'ai abreuvé les très rares séminaristes de l'atelier de Lyon, en leur avouant les différents sens de l'idéogramme tao, et de nombreuses fractales du yin et du yang, qui s'appliquent à notre vie psychologique. A transmettre oralement, pour vérifier que c'est bien compris. En revanche, Guénon me paraît toujours indispensable pour passer de trois fois rien à Sri Aurobindo, qui écrase tout le monde de sa suprématie. Selon le principe natarajanien bien connu qu'il vaut mieux monter un escalier quatre à quatre, que huit à huit, ne forcez pas. Quatre à quatre sans s'essouffler ce n'est déjà pas si mal, au-delà, n'oubliez pas que vous risquez l'entorse, de vous tordre la cheville en manquant la cinquième, sixième, septième, ou même huitième marche si vous êtes un athlète, que vous risquez de retomber tout en bas de l'escalier au moment où vous croyez que le saut est acquis, mais que votre corps, le traître, fatigue au trois-quart, avec le risque de se rompre le cou, que vous risquez de vous écraser le genou sur l'arête d'une marche intermédiaire, que vous risquez la crise cardiaque si sous parvenez quand même au sommet sans tomber, terrassé par l'effort. A l'impôt cible, nul n'est tenu, n'oubliez pas cette vérité premièreAperçus sur l'ésotérisme islamique et le Taoïsme, tradition, NRF, Gallimard. (Quatre à quatre, j'exagère peut-être pour le fun, en tout cas, sauter une marche est souvent moins fatigant qu'une par une si elles sont courtes et peu élevés, le pinaillage ralentit).

Content de vous avoir appris que vous étiez peut-être guetté, par inadvertance, par la lecture symptomatique. On en revient aux préférences et aux aversions. La préférence choisit ce qui vous botte, l'aversion détourne son regard de ce que vous préférez ne pas voir. Et pourtant, c'est l'ensemble qui compte, car l'ensemble est insécable dans une vision transcendantale. Sri Aurobindo sans les lettres sur le yoga, c'est de l'envoûtement. Heureusement les lettres rabâchent les conditions nécessaires, justifient les difficultés, expliquent les seuils, rendent compte des acharnements des résistances, bref, le yoga de Sri Aurobindo n'est pas Merveilleux, ni merveilleux mécanique, on ne trouvera jamais la formule qui scotche au Supramental, ni merveilleux onirique: aucun angélisme, aucun idéalisme, aucune bonne conscience, et même aucune sainteté ne mêne au Supramental, puisque la sainteté plafonne dans sa connivence avec Dieu...Alors peut-être l'amour, oui, l'amour de la terre, qui ne sera pas possible sans l'amour du ciel, qui le purifie.

Tandis que j'écris ces lignes, en toile de fond, la voix basse de la télé, et j'entends distinctement Jerphagnon, Professeur émérite des Universités, répondre à Elkabbach: "toute personne qui se prend au sérieux relève de la psychiatrie lourde". Je suis tout à fait d'accord, le plus difficile étant de transmettre que la voie la plus profonde est légère et attentive, volatile et permanente, spontanée et distante. Nous en revenons donc au mariage des contraires, et non à leur confusion, et non à leur amalgame. L'équanimité n'est pas le nivellement de la joie et de la souffrance, ce qui ressortirait de leur combat se finissant avec la mort de l'une et de l'autre dans une moyenne remplie de neutralité, mais bien la capacité de recevoir dans le sensible, sans en être affecté, le plaisir et la douleur. C'est ce nivellement idéologique qu'un mental peu développé, peu arrimé au moi profond, recherche dans les mythologies insanes comme celle du bonheur, de la réussite, et en dérivant, de l'illumination et de la délivrance, — comme apothéose mettant un terme à tous les problèmes. Toutes ces projections proviennent de l'état d'ignorance, attablé à ses manques à gagner. Le bonheur ne peut pas être stable sans se mortifier dans la routine et s'effondrer dans sa propre obsession de se maintenir, la réussite appelle toujours davantage de réussites et donc de menaces, et l'illumination, à moins qu'on veuille la chauffer à blanc, la conserver pour la pousser jusqu'à l'extinction, ne résout strictement rien dans la Manifestation, et propose chaque jour une nouvelle journée. Que le moi jouisse d'un regard neuf, et qu'on n'ait plus besoin de se caractériser soi-même, tant le flux est continu entre soi et le non-moi, je n'en disconviens pas, mais si le Soi doit faire cesser l'évolution spirituelle, il se présente dans ses vêtements archaïques. J'espère que les "éveillés" — au demeurant peu nombreux — finiront par tomber sur Sri Aurobindo sans se détourner de leur propre chemin, sans rien attendre, si ce n'est peut-être de voir que c'est Lui qui propose le changement le plus naturel de l'Histoire, même si c'est le plus difficile. À côté des prophètes galactiques, des menaces et des promesses extra-terrestres, il propose une vision saine, féconde, absolue, une libération complète vis-à-vis de toutes les autorités, à condition de se soumettre à l'autorité suprême, la Conscience Suprême. C'est quelque chose de merveilleux. Et même de simple si l'on comprend profondément la complémentarité de la shakti et du purusha, c'est à dire du mouvement qui organise, l'énergie, et de la conscience qui n'a pas besoin de bouger, qui jouit de son être, mais se déploie quand même, mystère qui échappe au Mental, et qui ne peut se justifier, mais mystère qu'on peut embrasser quand même. Le Soi, Le Tao, et dans une certaine mesure le supramental, peuvent faire partie de nous car nous faisons partie d'eux — ce qui est l'objet de la connaissance, puisque la "séparation" a bien eu lieu, et qu'elle se manifeste par le libre arbitre. Le fait d'avoir le choix montre que plusieurs chemins sont possibles, alors qu'il n'en existe qu'un seul, celui qui réunit le marcheur et son itinéraire. Voilà pourquoi Sri Aurobindo a parlé d'un "automatisme conscient". Savoir toujours naturellement, ce que l'on a à faire, en étant inspiré, la raison, l'intuition, l'empathie fonctionnant de concert. Il s'agira là d'un résultat décisif. Pour moi, l'automatisme conscient fonctionne à certaines époques, à d'autres non. On en trouve naturellement le germe dans le Taoïsme, puisque ce système ne se sépare jamais des événements, sous prétexte qu'ils appartiennent au Samsâra. Les taoïstes vivent donc reliés à la Terre, ce que le maître du Soi impersonnel indou trouve en général vulgaire. Je l'ai dit dans le vrai tao, les peuples fondamentaux (puisqu'il n'existe qu'une seule race) possèdent une sorte d'âme qui leur est propre. Le même éveil, le même "niveau" sera vécu différemment par un chinois, un indou, un occidental. Le cerveau joue un rôle considérable dans la perception, et celui dont nous héritons n'est pas innocent. Mais tous les éveillés, d'où qu'ils proviennent, sont aujourd'hui les premiers "terriens". Voilà. Les premiers et les seuls, si j'entends par terrien le moi qui débouche sur la transcendance du patrimoine culturel dans l'état non-conditionné du Soi.

Devenez des terriens, ou des éveillés, c'est la même chose.

Mais le terrien n'abolit pas les frontières, ne souhaite pas une mondialisation anonyme, ni la fin des particularismes. Il les aime, dans la mesure où il ne retient de chacun que sa lumière, celle qui justement manque peut-être au voisin. Comme je l'ai déjà abordé dans les "principes de la Manifestation", destiné aux siècles futurs, et que le web sauvera peut-être, le développement de la conscience se présente aussi comme un développement de l'intelligence, jusqu'à ces zones impénétrables pour le commun des mortels, où l'hétérogène apparaît confirmer l'homogène, au lieu de le combattre ou même de l'atténuer. Il s'ensuit que l'esprit abandonne complètement la technique de la comparaison, et se contente d'absorber la vérité de chaque objet qu'il perçoit, sans effort, spontanément. Il n'y a plus rien à opposer, ce qui est déjà renversant dans le Soi, après l'illumination, où "tout" se révèle d'un seul tenant, et ce principe se développe encore avec le supramental. Toute la culture humaine coule de source, le rite du papou n'est pas meilleur ou pire qu'une remise de la légion d'honneur, la prière du chrétien vaut l'intégrité du bouddhiste athée etc...les faits révèlent l'unique esprit qui se perd et se complaît dans des milliers de formes, jusqu'au retour à son état originel...Guénon aussi reconnaît un Intellect, dégraissé des perceptions subjectives, et opérant une saisie universelle et informelle des événements, qui ne sont plus que des formes...Je ne cesserai d'insister sur la complémentarité de l'Intellect et du cœur, ayant trop vu des croyants stupides et des adeptes supérieurs secs.

Etre terrien ce n'est donc pas s'affranchir de sa propre culture, mais l'ouvrir à toutes les autres, accepter un mélange qui ne procure aucun amalgame, mais enrichit et complète, tandis qu'il est loisible de continuer à agir avec l'âme de son propre "terrain de jeu". Les éveillés occidentaux sont aujourd'hui moins enfermés dans les traditions que les hindous, par exemple, à moins que justement ils ne les imitent, ce qui est différent de transmettre une tradition, qui doit rester pure, et résister à son exportation. Voilà pourquoi pour ma part, bien que "je" dans mon corps représente simultanément la voie de Lao-tseu et les balbutiements de la voie supramentale, ainsi que la voie de l'astrologie transformatrice, j'accepte que tout éveillé témoigne de l'éveil à sa guise, sans référence autre que son affirmation personnelle, son trajet, à moins qu'il s'imagine, ce qui semble être le cas parfois, qu'il "faut faire comme lui". Certains leaders prétendent qu'il est inutile de passer par l'orient sous prétexte que leur propre expérience les en a dispensé. D'autres ne jurent plus que par l'éveil sauvage, — comme si s'imprégner des vérités traditionnelles pouvait se retourner contre l'adepte ! On voit ici même les limites de l'éveil, ou en tout cas ses degrés, puisque certains généralisent leur propre expérience, et veulent donc imposer le même itinéraire étriqué aux autres. Que certains suivent et d'autres non, c'est évident. Mais si l'éveillé veut devenir un maître, avec une aspiration qui finalement s'impose et le dépasse, et ne lui "appartient" même plus, il doit s'atteler à faire comprendre que l'éveil est possible. Prétendre en indiquer le chemin, c'est largement en aval. Et balancer des clichés pour se justifier, c'est ridicule, mais certains ne s'en privent pas, "il n'y a plus personne en ce moment pour vous répondre, je parle d'un autre lieu", ça fait quand même petite sœur des pauvres distribuant des bonbons dans les bidonvilles, à l'époque où la survie de l'espèce est en question. Ce qui compte, c'est de transmettre que c'est possible, et que l'éveillé devient un instrument cosmique, un réparateur. Et plus cela sera transmis, moins il sera nécessaire d'insister sur la forme, et d'utiliser des accessoires pour étayer le fait lui-même. Et si l'on redoute d'avoir été subjugué par un éveillé néophyte, il reste à revenir aux sources les plus sublimes, Sri Ramakrishna, Sri Aurobindo, et Mâ Ananda Moyi, dont la clarté mentale illumine le monde des femmes, et asseoit définitivement l'égalité spirituelle entre les deux sexes, qui semble contestée si l'on compte le nombre extravagant de Maîtres du Soi impersonnel masculins. Et rabâcher que le Soi impersonnel n'est même pas la moitié de Dieu, mais son antichambre. L'amour prend le relais quand le discernement a abouti, et c'est là le secret suprême. Gloire aux femmes !

"Faites l'impossible pour ne jamais succomber à l'influence de quelqu'un. Pour devenir ferme, calme, profondément sérieux, plein d'héroïsme, si l'on veut par sa propre force garder sa personnalité parfaitement intacte pure et sainte, il faut se centrer sur Dieu."

Mâ Ananda Moyi, collection Spiritualités vivantes. Albin Michel.

S'enfermer dans l'errance pour ne pas tomber sous une autorité revient au même que s'emprisonner dans une voie tracée d'avance, qui voudrait commander aux événements. Car il faut bien quelques principes pour avancer vers l'immuable, réduire le mouvement et sa coercition naturelle, qui nous empêchent de saisir ce qui est hors de l'emballage éphémère des apparences. Mais ceux qui veulent rester "dans le mouvement", pour aussi intelligents qu'ils soient, comme Philippe Muray par exemple, ne peuvent apporter aucune solution à la dérive sociétale. Leur lucidité est exceptionnelle, leur œil voit au laser, perce toutes les illusions sociales, demembre les relations fondées sur les vices collectifs, l'opportunisme, yin, et l'abus de pouvoir, yang, mais cela n'avance à rien. Aucune sortie, parce que le repos, l'immuable, le non-mouvement, n'a pas été saisi comme l'œil du cyclone, le seul lieu de survie possible, le seul bien, bien paradoxal finalement, puisque pour l'acquérir, il est nécessaire d'avoir renoncé à toute "possession".

Il nous manque peut-être le philosophe qui montrerait avec facilité que ce sont les pires tares humaines qui mènent le monde, et que rien ne peut les remplacer, ce qui obligerait au retour sur soi radical. Mais jusqu'à présent, on a toujours cru qu'un nouveau système viendrait à bout des vices. On a cru que l'orgueil des rois une fois abattus, le peuple gouvernerait, mais c'est la vanité des politiciens qui a mené le monde, de mèche avec les financiers. Puis on a cru que la vanité des élites disparaîtrait et que le prolétariat vivrait dans la justice, mais les pays communistes ont accumulé au contraire les privilèges pour les puissants, et nous voilà aujourd'hui aux prises avec le parachuté doré et la dictature des multinationales. Quel nouveau mouvement historique va-t-il nous donner confiance dans l'avenir pour nos enfants ? Quel changement de décor nous permettra-t-il de renouveler les mêmes illusions ? Une mondialisation honnête peut-être ? Il n'y a jamais eu d'avenir, c'est ce que vit l'éveillé: le présent n'a jamais bougé d'une seule semelle. Il est sans doute traversé par des formes, oui, il y a bien succession des événements, mais le présent lui, reste immobile. Et tant qu'on n'y est pas, on mise sur l'avenir, mais c'est un très mauvais cheval. Et maintenant, il n'y en a même plus, et c'est peut-être ce que chacun sait, que construire sera toujours, non seulement provisoire, mais miné par le vice humain, les rivalités, les ego, les intérêts matériels. Alors on profite, on tire à soi la couverture, on se bat pour arracher quelques miettes de ciel bleu à un plafond blafard, pollué, à un climat récalcitrant, et on le fait n'importe comment, on s'abreuve des sketchs de comiques, c'est un fait de société, la décompression hilare, on met en scène de fausses rencontres d'amour, on s'invente toutes sortes de spectacles pour faire parler de soi, on lance de fausses rebellions, on joue aux victimes catégorielles, on se plaint en grande pompe, du passé, de l'avenir condamné, et on hurle au présent comme les chiens aboient à la lune, hypnotisés par l'absence de sens de la vie, et l'ivresse perverse que cette sensation aux confins de l'inconscient autorise, en célébrant sous des milliards de formes "le tout est permis" des cultures agonisantes, seul recours à la fuite de toutes les espérances. La dernière mode: ne pas être gentil, de peur de passer pour un "con"...

Intéressant de voir que quelques personnes ne sont pas dupes. Mais quel "pouvoir" ont-elles ? On pourrait même dire qu'une lecture dépressive de Muray, au lieu d'être utile, décourage définitivement de participer à ce monde qui se perd. Il révèle la passation de pouvoir.

Je n'avais pas encore complètement saisi qu'après l'orgueil des rois, la vanité des élites, la corruptibilité des dirigeants du peuple, le même principe finirait atomisé, vulgarisé et à la disposition de tous, ce que m'apprend Muray. Aujourd'hui c'est la complaisance qui mène le monde. Ce n'est plus l'orgueil du sommet, mais la lâcheté de tous. L'homo festivus a gagné. Il danse sur le cadavre de l'homo criticus, qui croyait encore, le naïf, à quelques valeurs intemporelles. (France culture, Répliques, Finkielkraut/ Muray). Muray est mort en 2006, il laisse pas mal d'écrits, et ses essais décapants sont encensés. Il a dépecé le cadavre de l'idéologie bourgeoise, tandis que l'élite des fous continue de lui faire du bouche-à-bouche.

Ce besoin de se connecter à la totalité, je suis né avec, et c'est cela qui m'a emmené sur la piste des "états de conscience", et beaucoup d'êtres humains sont appelés aujourd'hui par le même besoin...Je suis passé là avant, et je sème des pierres comme le petit Poucet...Rien de plus. Je me réclame de la voie du Tao parce qu'il m'a parlé pendant sept ans (90 à 97), parce que ses principes sont applicables pour tous et par tous de la manière dont je le présente, et que c'est une voie qui, parce qu'elle ne néglige jamais la perception et le corps physique, prépare au Supramental telle que je la développe. Oui, comprendre, sans recherche du résultat, c'est ce qui fait que les trajectoires bifurquent vers le Sens (qui contient notre propre itinéraire, notre propre tao), à moins qu'on attende pour cela les dommages collatéraux qui, eux aussi, poussent à changer l'itinéraire, merci Pluton. Suivre intelligemment une voie n'a strictement rien d'intellectuel, parce qu'il n'y a rien à construire, — c'est simplement que la remise en question de soi-même s'utilise comme un système de prévention pour éviter certains comportements, puisque nous sommes attirés à chaque instant par l'identification (visqueuse) aux objets que le non-moi nous présente... Faut-il vérifier par la pratique tout ce qu'il y a derrière les attirances sexuelles, la promesse de l'amour, évanescente et fragile ? Faut-il systématiquement déménager pour un meilleur salaire, si d'un autre côté l'on perd de nombreux avantages ? Faut-il compter sur des procédures pour atteindre ce qu'il y a au-delà d'elles, la question par excellence qui divise les éveillés ?

Qu'est-ce qu'un critère décisionnel ? Pour quelle partie de nous agissons-nous ? Est-il possible d'agir pour toutes les instances sans en sacrifier une au passage ? Toute la condition humaine repose là-dessus, faire ou ne pas faire, croire ou ne pas croire, choisir ou non, s'impliquer ou passer son chemin. Aucun progrès décisif ne s'est accompli historiquement. Soit l'avenir dérange le passé, soit le passé dérange l'avenir, des bataillons de représentations empêchent la saisie du c'est cela, qui est tout et rien, indistinct, non-né, non représentable, et qui libère aussi bien du mental que de s'appesantir sur sa propre personne. Les choix sont truqués par la peur et le désir, à l'intérieur, et par les modes sociales au-dehors. Les conditionnements choisissent à notre place, et la tension de vouloir se libérer peut même empêcher la libération, ce que disent les tantriques s'attirant ainsi les foudres de ceux et celles qui veulent disséquer le réel en bien et en mal, et chercher la posture de la bonne conduite, pour choisir avec leur ego ce qui serait le bien et le "bon chemin". Le conditionnement est là jusqu'à l'illumination. Dans le domaine spirituel archaïque, c'est l'obéissance au maître qui prévaut sur le ressenti, un conditionnement supérieur (le maître n'enjoint pas n'importe quoi) l'emportant sur la spontanéité, qui n'a jamais été l'adversaire de l'étude de soi, et qui en est même la condition. Dans le tantrisme et le taoïsme et le tch'an, ainsi que dans les voies ésotériques du bouddhisme, l'observation véritable doit s'installer en conservant la spontanéité révélatrice, sinon le but de l'éveil impose une censure, une tension, et tient à distance l'esprit naturel. Opposer la spontanéité à la recherche de la libération, c'est donc le non-sens absolu, l'acharnement saturnien à plier la réalité, puisque ce sont les mouvements naturels qui indiquent aussi bien le besoin de se ramifier correctement, par l'ouverture, que les mécanismes construits de défense, de convoitise et d'appropriation, qui, parce qu'ils se manifestent, révèleront leur nature étriquée pour être dépassés, par aspiration et non par contrainte.

L'instrumentalisation à outrance du temps, dans la méditation, dans la prière, dans la pratique, n'est que l'aveu d'un manque de confiance, autant dans le Divin qu'en soi-même, une manière impie, par son opportunisme, de se prouver, — parce que l'on n'en est pas si convaincu dans le fond, que l'on est consacré à la vérité. Mais si la consécration est parfaite, même le besoin de se réaliser finit par se présenter comme une ambition personnelle et s'estompe alors dans le Mystère, — ce qui clôt les débats sur l'accès à l'Impersonnel. La sincérité tranche, l'univers homologue ou non le mouvement du retour. Abuser le Soi est impossible. Une pléthore de pratique, une culture obsessionnelle de l'engagement, masque l'insincérité autant que toute absence de retour sur soi. Car il est stupide de dénigrer l'état même de l'esprit, le fait qu'il soit ouvert au moment, par définition, et il est inutile de se méfier du fait qu'il puisse passer d'une réflexion profonde à une simple émotion puis à une attention consacrée à une tache manuelle, tout cela est homogène et holistique, et il fait donc son travail, qui est de renseigner. L'idée de dresser le fonctionnement de l'esprit consiste à le nier avec véhémence, mais où peut-on se placer pour en faire son adversaire, alors qu'il est l'organe perceptif par excellence ? L'esprit n'est pas mauvais, bien qu'il ne soit pas bon pour autant. Il est, et c'est à lui de se découvrir en profondeur, mais lui imposer des buts, comme l'éveil, est peine perdue, car il a toujours été éveillé. C'est le moi qui est persuadé de dormir, parce qu'il envisage maladroitement un état supérieur qui lui échappe, le Soi, et il lui court après alors qu'il est déjà là... L'amour de la connaissance accepte l'observation de soi, humiliante au début, le besoin d'intégrité accepte la navette entre la spontanéité et le retour sur soi, l'amour accepte ce que le chemin impose de retard, de souffrances, et de raccourcis trompeurs.

La voie de l'éveil est donc celle du déconditionnement, toujours menacée par de simples substitutions d'influences, les "voies" pouvant mener à tout sauf à la libération. Voilà pourquoi le chemin est si long: pendant longtemps on ne fait qu'améliorer la carte topographique qu'on utilise, en jetant l'une pour une autre, jusqu'à ce que, ce qui était traditionnel autrefois, la rencontre avec le maître vivant se produise. Son rôle est justement de permettre à son disciple une autonomie paradoxale, tout en arbitrant sa conduite. C'est un "métier" qui se perd, et je ne peux pas affirmer que tout "éveillé" soit capable d'être un "maître", loin de là, aussi faut-il savoir à quoi s'en tenir quand on "fréquente" des éveillés, et même si l'on ne s'attend pas à grand chose, comprendre dans quelle optique il se situe. La mode est à l'éveil sans voie, on ne peut rien caractériser de précis qui pourrait être suivi et garantir l'éveil. Alors à quoi bon en parler ? Et c'est vrai que certains thuriféraires de cette optique se contentent d'être là, dans le silence, sachant qu'ils peuvent quelquefois déclencher une contagion non-mentale chez quelques-uns, par de longs moments immobiles, ponctués de quelques aphorismes polis par des millénaires. A l'inverse, certains veulent faire croire qu'ils "possèdent le chemin", et qu'il faut passer par eux, adopter ce qu'ils préconisent, mais cela est insuffisant, à moins justement qu'ils traitent également "les résistances" rencontrées par les disciples dans l'application des exercices, ou des orientations nouvelles prescrites. C'est là en quelque sorte que l'on peut établir un parallèle entre le rôle du maître et celui du thérapeute ou psy, le suivi s'avérant la clé d'une transformation spontanée et sinueuse, qui tient compte de la dialectique imprescriptible entre le favorable et l'adverse, qui jaillissent spontanément l'un et l'autre du quotidien même, et qui d'ailleurs se transforment souvent l'un dans l'autre. L'obstacle est souvent la planche de salut de l'âme, comme un excès de chance installe orgueil, flagornerie et suffisance. Ce n'est pas le cadre ici pour développer outre mesure ces allégations. Disons que la chimie du cerveau est très opérative, et qu'il est dangereux de s'installer dans une satisfaction exhaustive, qui va produire une certaine ivresse existentielle, que l'on sera d'autant peiné de perdre qu'elle semblait notre propriété.

Même l'ananda supramental se renverse parfois dans l'exploration, ou tout simplement s'estompe devant de nouvelles prises de conscience imprévues qui mettent en jeu l'empathie, et fournissent la vision plus profonde de l'hydre de la force obscure. Puisqu'il ne s'agit plus de pavoiser dans la non-dualité, l'absolu, mais de transformer toute cette nature humaine par la shakti, le yogi se trouve aux prises avec les menaces de l'espace-temps et la mémoire de l'évolution.

Quelles que soient les vérifications à effectuer sur le chemin, la douleur et la satisfaction n'en sont pas les critères. Des périodes très difficiles peuvent être conformes au principe, et s'inscrire dans une démarche particulièrement homogène, qui vient peut-être souligner les derniers attachements, les ruptures de seuil qui sont nécessaires, tandis que des périodes faciles peuvent en quelque sorte suivre une route parallèle à celle qui serait la meilleure. La "sensation du Divin", le sentiment profond de lui appartenir ne dépend pas des états émotionnels, mais il est évident que la joie est le secret, comme le dit Sri Aurobindo. C'est donc l'alternance des contenus psychologiques qui pose un problème. S'il suffisait de souffrir régulièrement pour évoluer, les acharnés trouveraient des méthodes de mortification pour se perfectionner, en innovant sans cesse. S'il suffisait de vivre dans une grande désinvolture tombant amoureuse de la négligence, pour jouir d'une bonne ouverture au non-moi, sans aucune scorie, sans aucun doute, avec une sorte d'innocence entretenue, cela se saurait aussi, et l'on pourrait se laisser glisser dans "le yoga qui se fait tout seul", éviter avec art la souffrance, cultiver avec grâce les bons sentiments et la gratitude. Mais pas davantage le + que le — n'ont une valeur en eux-mêmes dans la réalité, qui les malaxe et les transforme l'un dans l'autre. C'est le mental, le seigneur factice de l'intemporel, qui s'imagine que la souffrance est le contraire du plaisir, que la déception est l'inverse de la satisfaction, que l'échec contrecarre la réussite. Dans les faits, ils sont indissociables, c'est le sujet qui perçoit et c'est lui le souverain: et il se doit à lui-même d'acquérir l'unité dans l'ambivalence, accepter la souffrance autant que la satisfaction, c'est le même moteur qui les utilise. S'entraîner sans calcul à leur alternance, savoir même que le bas suit le haut, que tout cela est régi par le système d'homéostasie qui exige que nous ne puissions pas nous séparer de notre sensibilité, ni de notre perception. Nous sommes donc pénétrés en permanence par les flèches du non-moi, ses séductions et ses agressions, comme nous sommes enfermés dans les bulles homogènes dans lesquelles il nous attire parfois, et trop de paramètres entrent en jeu pour que nous puissions nous attendre à contrôler le présent, les bulles explosent sous les flèches, les facteurs néguentropiques retombent un jour ou l'autre sur un coefficient entropique, la destruction et la construction s'enlacent et sont strictement le même procédé sur le plan physique.

Faire est une manière de défaire (les femmes entre deux amours connaissent bien le problème), défaire est une manière de faire, ce que nous sentons tous quand notre discernement discrimine, disjoint les matériaux d'un amalgame et rend à César ce qui est à César.

S'adapter oui, puisque cela autorise l'hétérogène à se manifester, et nous apprend à ne plus en avoir peur. Contrôler, non, ce serait interdire à la réalité d'être ce qu'elle est, exiger qu'elle se conforme à nos attentes. C'est donc bien le principe de plaisir qu'il faut abandonner dans la voie, tout en conservant la spontanéité, le seul moyen de faire face à tout événement, pour tolérer l'inattendu, accepter l'intolérable, et s'élargir jusqu'à absorber l'hétérogène dans sa propre vastitude. Mais les pulsions de contrôle se manifesteront encore, —bien après avoir compris qu'elles étaient néfastes, fidèles à la conscience du territoire et de la sécurité. Il est dit des vrais sages chinois qu'ils peuvent prendre du poison sans tomber malades. La guérison de l'émotionnel est un des travaux nécessaires. Que ce soit chaque fois de moins en moins grave de souffrir, d'échouer, de manquer, d'être malade, d'être trompé, d'être empêché, retardé, etc...Le suivi d'un maître arbitre donc l'impact des événements, aide à leur dédramatisation, souligne peut-être ce qui manque encore dans le regard pour qu'il soit rivé sans attente au présent, et sans posture non plus, et seulement alors la durée peut apparaître comme l'adversaire qui mérite d'être aimé, car elle est l'outil même de la transformation. Et ce maître un jour ou l'autre peut se former à l'intérieur à soi, si certaines conditions sont respectées. Une sincérité absolue, une reconnaissance du sens cosmique de sa propre existence, la sensation d'appartenir, au-delà de l'Histoire, au Mystère infini insécable.

Bien sûr, nous aimerions mieux cerner les impacts des événements sur le moi, et jusqu'où il est importun d'imposer à la réalité nos propres prérogatives, mais ce problème est insoluble pour différentes raisons. En premier lieu, même si cela rebute au début, nous découvrons qu'une partie de notre existence intérieure répond à des cycles extérieurs. Comme la corde d'une violoncelle qui vibre peut produire un son correspondant sur un instrument analogue dans la même pièce, nous reflétons parfois, et bien avant de nous en rendre compte, des contrats entre les fréquences produits par plusieurs facteurs, dans le monde gravitationnel, et nous subissons donc des cycles. Ce procédé assure que nous nous ne puissions pas nous scléroser dans la récupération du non-moi à des fins personnelles. Des amours se finissent, des compétences s'épuisent et appellent de nouveaux apprentissages, des images de soi variables se succèdent, suite à de puissantes prises de conscience, tels des chocs ou des guérisons, des succès méritoires ou des échecs mal acceptés. Quelques cours d'astrologie intelligente suffisent à comprendre le principe, une douzaine de facteurs bien définis, antagonistes et complémentaires, distribuent aussi bien des faits que des humeurs, des satisfactions que des déceptions. Certes, la sensibilité diffère pour chacun, des esprits particulièrement enracinés dans la conscience de soi fluctuent sans doute moins que les purs réceptifs, toujours identifiés à leurs sensations, mais le fait est que nous sommes suffisamment nombreux, nous les astrologues, et ce depuis deux mille ans, pour jouer avec une interface cachée de la réalité, qui nous renseigne sur quelques ressorts secrets de la grande Mécanique. Nous "résonnons" donc parfois et cela produit des variables dans l'événementiel et le psychologique. Mais ce n'est pas tout, et plus nous nous enfonçons dans la connaissance, plus il apparaît aussi que nous attirons nous-mêmes les événements, comme s'ils étaient davantage notre prolongement (on récolte ce que l'on a semé) que des faits arrivant au hasard, chanceux s'ils nous favorisent, adverses s'ils nous pénalisent. Bien sûr, il reste une marge fatale, l'accident dont nous ne sommes absolument pas responsables, et qui peut frapper, bien que cette prédisposition soit également variable pour chacun, certaines personnes attirant les obstacles quelle que soit leur position, en tout cas jusqu'à un rétablissement d'ordre karmique, qui libère de la fatalité héritée.

Autrement dit, la part de "responsabilité" dans ce qui nous arrive est très difficilement mesurable, nous pouvons nous faire complice de la fatalité, par exemple en vivant une relation toxique que nous ne sommes pas aller chercher mais qui se présente et qu'on ne laisse pas passer, comme nous pouvons nous prémunir des mauvaises coïncidences, en refusant les tentations délétères, mais il est difficile d'établir la part du hasard, puisqu'il est en quelque sorte absorbé par l'opportunité, si nous la suivons, et dénié si nous passons notre chemin. D'où la formule, c'était écrit, pour les expériences qui s'imposent avec une telle force que nous n'y coupons pas, même si par la suite "nous nous mordons les doigts". Nous mettons souvent en cause "Pluton" pour symboliser ce processus, et il est vrai que depuis sa découverte en 1930, la terre accélère son évolution. On ose "vivre", l'inhibition n'est plus à la mode, le refoulement non plus, aussi nous explorons parfois trop loin, pour nous sentir vivre...Tout un éventail de possibilités défile dans ce domaine, accepter l'autorité d'une personne dont on n'est pas sûr, sous prétexte qu'il faut attendre pour voir, entamer une relation dont la nature est discutable, rester trop longtemps dépendant d'une autre personne, car c'est plus facile, ou au contraire, sur le coup d'une blessure narcissique, se réfugier dans une solitude hautaine, qui va justement limiter l'occurrence des possibles, diminuer le besoin de s'identifier aux objets extérieurs et culturels, tout en faisait le vide autour de soi. Mais qu'il s'agisse d'élaguer ou de se disperser, le procédé est toujours le même, trop fermer ou trop s'ouvrir, utiliser "le hasard" pour s'en débarrasser, ou au contraire pour le récupérer... Ce qui montre à quel point, après avoir "répondu" nous-mêmes aux sollicitations du monde extérieur, nous sommes capables d'exiger que ce soit lui qui "réponde" à ce que nous sommes. (Ah mais ! On va voir ce qu'on va voir ! ). Il est donc délicat de choisir ses attentes, et ce pour deux raisons distinctes. Interdire au réel de nous soumettre à des faits hétérogènes constitue un pari orgueilleux, qui donne un caractère étriqué à notre réceptivité, quant à faire en sorte que la réalité, sous prétexte que nous savons mieux quoi en attendre, s'emboîte dans nos exigences, il y a là aussi un pari difficile. Beaucoup de voies "spirituelles" ne sont que des entonnoirs, qui créent une personnalité parallèle et factice. Voilà pourquoi l'abandon des stratégies mentales s'opère nécessairement à un moment donné, et qu'il ne reste que des souhaits dans l'ouverture, et qu'une aspiration à l'intérieur. (Je n'évoque pas ici les contraintes professionnelles qui méritent des anticipations précises, je parle de la Voie).

L'idée de fléchir le non-moi, la stratégie du contrôle disparaît, et, selon les taoïstes, ce sont des coïncidences (taoBeaucoup de sens selon le contexte, c'est un concept fractal, ramification, coïncidence, et d'autres qui dérivent d'ordonnancement.) qui se mettent en place. Les mouvements conformes du moi appellent une réponse conforme de l'univers. Si l'accident se produit, il révèle quelque manque, si le succès apparaît, il sanctionne quelque progrès, puis se dissout pour appeler un nouveau mouvement passif (une écoute supérieure) qui va livrer les indices d'un nouvel emboîtement dans un ordre plus large. Le fait de manquer les taos (mouvements conformes) provient de deux sources principales, la plus courante est de les imaginer plutôt que de les découvrir, c'est-à-dire de s'attendre à ce qu'ils prennent exactement la forme que nous prévoyons, auquel cas notre adaptation n'est pas assez plastique, tandis que dans l'autre cas, nous refusons notre propre part pour nous "emboîter", dans l'espoir d'être littéralement capturés, engloutis dans un monde supérieur, avec donc l'impossibilité de se tromper, puisque la coïncidence devrait s'opérer sans aucune participation de notre côté. Ce danger est très courant dans les voies spirituelles. Finalement, sous prétexte que tout revient à Dieu, ou que la karma se libère à son heure, toute interférence personnelle est considérée comme superflue par certains, et même parfois comme une trace d'orgueil, à vouloir faire son salut par soi-même. Si cette variante supérieure du tamas s'installe, il est clair que l'attention spontanée ne peut pas se maintenir, et que de nombreuses qualités s'émoussent, l'amour du discernement, le besoin de vivre chaque jour dans une sorte d'offrande qui captera, comme une fleur le soleil, des saveurs différentes d'une heure à l'autre, tandis que l'image de soi aussi se ternit, puisqu'il n'y a plus rien à attendre de soi-même, dans une sorte d'amalgame pratique où ce soi-même, par un tour de passe-passe, devient l'ego, dont il faudra attendre le jugement de Dieu pour le voir aboli.

Mais le danger inverse n'est pas moindre. Car l'esprit est tout puissant, et comme l'effet placebo fonctionne, il est facile de s'imaginer "relié", simplement parce que l'époque en cours est facile, qu'on pratique la pensée positive, et que, oui, l'on considère que ce qui arrive est bien un emboîtement dans une réalité supérieure, alors qu'il ne pourra s'agir, bien entendu, que d'un processus gratifiant qui mélangera l'auto-hypnose avec quelques ingrédients favorables, tirés du monde extérieur, et qui produiront une contrefaçon d'éveil. S'emboîter dans le tao constitue une opération spéciale, d'envergure certes, mais demande une profonde humilité, et l'idée au contraire que l'on peut attirer le Tao à soi en le séduisant en quelque sorte, conduit à de nombreux faux-semblants, à des univers factices, où les demi-mesures l'emportent, comme par exemple dans le cas de Confucius. Ce lettré aventurier admet ne pouvoir être radical, et décide de représenter pour le plus grand nombre une sorte de tao inférieur, d'ordre social et moral, qui ne peut naturellement produire que de petits emboîtements de conformité dans l'ordre suprême, sans permettre la grande immersion que représentait Lao-Tseu, et que l'on retrouve dépeinte en Inde et au Tibet avec d'autres termes. L'idée même que l'on va trouver soi-même comment correspondre à l'attente de l'univers ne produit jamais que des impératifs moraux, des conduites, des valeurs, autant de mouvements qui structurent l'identité contingente, mais qui butent sur le mystère suprême: la grande réunion au Principe. Tout dépend donc des limites que nous imposons à notre identité, et, si nous les récusons toutes, il faudra bien passer au non agir, l'abandon des prérogatives personnelles et sentir par où notre moi s'évase dans ce processus, en dépassant toutes sortes d'identifications, aussi bien à soi-même qu'à l'autre, qu'à l'objet, jusqu'à souhaiter, — et tant pis si le chemin n'apparaît pas continu, une identité du sujet et de l'objet, forcément indistincte, puisqu'il aura fallu dépasser les cristallisations projetées sur les autres, projetées sur soi, projetées sur des "visions du monde" comme des cartes empêchant encore de vivre intégralement le territoire.

Il faudra peut-être quelques garde-fous pour éviter une voie si large qu'on se perdrait dans l'avenant, et quelques points de repère, pour rectifier parfois le cap, le hasard comportant étymologiquement au moins six faces, puisque c'est le nom du dé en arabe. Et il est vrai que l'imprévu, qu'il vaut mieux accueillir qu'accuser, peut être ramené à six directions, le haut et le bas, la droite et la gauche, devant et derrière. Il pourrait s'ensuivre une sorte de feng shui de l'adversité, en fonction de l'orientation des obstacles, et une ontologie de la chance également... Oui, nous sommes au centre de l'Infini, rien n'empêche de s'emboîter, le tao ne nous ramène à lui que si nous sommes entiers, avec un cœur pur, un corps physique accepté, une réceptivité développée, une intelligence qui s'appuie sur elle-même, en court-circuitant la référence de l'ego, le grand "préservateur" du passé, le maître du territoire, le récupérateur du sens à des fins étroites et subjectives. Les six directions nous manipulent, puis nous les apprivoisons, jusqu'à ce que des hasards soient si révélateurs qu'ils nous fondent dans le ciel/terre enfin réconciliés. Alors le yoga supramental apparaît comme ce qui manquait au royaume spirituel pour tout embrasser sans angles morts.


1 Novembre 2010


Il m'apparaît de plus en plus qu'il y a fondamentalement deux choses à changer pour se rapprocher du Tao. Mais elles n'ont pas à être changées simultanément, et cela peut commencer dans n'importe quel ordre. Changer l'image de soi est nécessaire, changer l'image du monde, ou du réel, est nécessaire. Beaucoup de candidats à l'éveil manquent l'accomplissement parce qu'ils se contentent d'agir sur eux-mêmes, ils ne sont pas assez curieux de ce qui cache derrière la vie, et c'est donc la capacité de dépendre du cosmos puis du Divin qui n'a pas été assez poussée. Le "retour" ne s'effectue donc pas facilement, ou s'arrête en chemin, car le chercheur ne saisit pas suffisamment qu'il fait intégralement partie de la totalité, et qu'il cultive encore des barrières entre elle et lui. Car ce n'est pas à nous d'imposer au Tao la manière par laquelle nous voulons lui appartenir. Bien que nous puissions développer de nombreuses approches vers lui correctement, elles sont en général insuffisantes, et il est donc possible de pratiquer une nouvelle attitude, une sorte d'écoute qui nous ferait ressentir en quoi le Tout est déjà en nous, mais sous une forme inconnue, à côté de laquelle nous passons, parce que nous "courons" après le sens des choses, au lieu de le laisser se former tout seul. Si nous sommes conscients de cette petite friction pemanente entre nous et l'extérieur, au lieu de toujours la faire parler, on peut observer comment elle s'estompe, comment elle se renforce, et si nous participons consciemment à son augmentation et à son atténuation. De nombreux phénomènes de "crispation" s'effectuent sans notre consentement, comme leurs contraires, les relâchements, qui produisent soudain des états d'osmose sans amalgame avec le non-moi.

Beaucoup sont tout prêts de l'illumination, parce que leur reconnaissance de la totalité est poussée, leur connaissance véritable, leur respect pour la réalité, impeccable, mais en dépit de ces transformations, l'éveil se dérobe indéfiniement. Ils n'auront pas porté sur eux-mêmes un regard suffisamment appuyé. Ils n'auront pas su exiger de leur personne quelques sacrifices parfois nécessaires, ou ils auront mal pris la souffrance, ou bien n'auront pas éradiqué certains poisons comme celui de se sentir victime ou supérieur, décalé ou incompris, ou encore l'amour de soi se sera toujours dérobé au profit d'un amour reporté sur des objets, sur la nature et les animaux, sur la culture ou l'art, sur la durée prometteuse, sur le gourou ou même sur "Dieu", mais tout cela peut être néanmoins insuffisant si le besoin d'être soi est enseveli sous celui de correspondre aux normes célestes. Cela me rappelle l'aphorisme 338 "Pends-toi plutôt que d'appartenir à la horde des imitateurs triomphants." Bien que l'effacement soit le moyen le plus rapide pour atteindre l'éveil, il ne peut pas s'effectuer dans n'importe quelles conditions, son processus engendre de nombreuses confrontations intérieures, et c'est à nouveau la manière dont elles sont acceptées qui va déterminer la suite. Aussi l'effacement qui ne s'accompagne pas d'une reconnaissance de soi, plus profonde, mène à ce que j'ai baptisé un "ego passif", qui se dissimule facilement, et qui survit souvent à l'éradication de l'ego actif, celui qui voulait plier la réalité et le temps aux désirs du moi. Quand l'ego est considéré comme un fardeau, il peut s'acharner d'autant plus, vouloir s'en débarrasser peut surenchérir sur la dualité qui reste à dépasser.

Maintenant nous pouvons replacer ces considérations dans un contexte plus général, et étendre la notion de recadrage, chère à l'école de Palo Alto (Wikipedia), à ces deux transformations. Peut-être même que l'ouverture spirituelle, et la remise en question de soi-même pleine et entière, constituent-ils les deux recadrages les plus naturels dans notre espèce, bien avant que ce terme n'ait servi à certains psychothérapeutes. "Recadrer" signifie grosso-modo ne plus s'y prendre de la même façon pour régler un problème, soit qu'on trouve une manœuvre paradoxale pour en sortir (utiliser l'obstacle lui-même), soit qu'on trouve une issue en-dehors de l'alignement problème-solution. Et c'est justement cela qui se passe quand l'appel de l'éveil se fait sentir, on sent qu'on ne peut plus s'y prendre comme avant, on accepte d'être attiré par la réalité, au lieu de la construire selon ses propres schèmes, ou les schèmes hérités, ou leur contraire, qui ne fabriquent qu'une fausse autonomie. Toute la vie consciente s'accompagne de recadrages au sens large, et ils s'imposeront de plus en plus naturellement dans l'avenir, pour différentes raisons. En premier lieu, les démocraties avancées donnent à chacun la possibilité de changer de valeurs "quand ça lui chante", c'est-à-dire que les concepts de transformation, d'innovation, de renouvellement, sont devenus actifs dans la psychologie même des masses. Chacun est invité à changer de partenaire, de métier, de médecin, de lieux de vacances, le changement portant en soi une sorte de valeur ajoutée, comme on le voit par exemple avec l'industrie automobile, qui a imposé la mode de changer de voiture bien avant que cela ne s'impose, pour symboliser la réussite sociale. Le changement est donc devenu un mème, une idée-force contagieuse, partagée par tous, qui valorise "ce qui ne dure pas". Cela est naturellement à double-tranchant, puisque la nouveauté pour la nouveauté n'a pas de valeur spirituelle en soi. Ce qui est nouveau est meilleur dans le domaine industriel et technologique, mais dans bien d'autres registres, la nouveauté n'a pas de caractère supérieur par elle-même. Sri Aurobindo a été bien inspiré de consacrer une partie de ses ouvrages à une exploration de la tradition spirituelle indoue, pour la compléter en une synthèse transcendentale. Mais le changement s'impose aussi dans tous les domaines parce que l'atmosphère terrestre a été barattée, et que de nombreuses nouvelles fréquences entrent en jeu, permettant de nouveaux aiguillages psychologiques en permanence. Il est donc souhaitable désormais que le besoin d'éveil s'opère de moins en moins contre le monde social, et se développe, même timidement, mais sans rencontrer les immenses obstacles qui caractérisent aujourd'hui encore la reconnaissance profonde de la réalité, du tao, puis du Divin, et qui réservent la Voie à une sorte d'élite. Peut-être que des bouleversements seront nécessaires, qu'il faut s'attendre à des conflits violents, tant le contentieux s'est accumulé entre l'homme et l'homme, entre l'homme et la terre.

Nous ne pouvons pas aborder toutes les raisons pour lesquelles l'appel de l'éveil est aussi rare, ni prétendre qu'il suffit de transformer l'image de soi et celle de la réalité pour aboutir dans cette voie, mais notre propos demeure de faciliter le passage jusqu'au Tao. Cela dépend de nous en partie, et de la totalité, de l'autre, puisque l'illumination constitue une sorte d'homologuation de l'humain par les principes supérieurs, celle-ci ne s'obtenant jamais sans l'accord implicite de la totalité. L'illumination permet d'entrer dans une autre dimension, jusque-là voilée, et c'est donc toujours une erreur de ne la ramener qu'à une sorte d'expérience subjective supérieure. C'est déjà la totalité qui utilise un être humain pour jouir d'elle-même, ce qui explique que certains éveillés perdent totalement la notion d'être des individus. Ils peuvent perdre aussi le sentiment de la corporalité, et il n'y a rien à redire à cela, sinon que dans l'avenir la réalisation pourra parfois mener au Supramental, qui lui, imposera automatiquement que le corps reste aussi en avant que l'esprit dans l'économie générale, puisqu'il recevra la shakti, et pendant certaines périodes, le corps sera même plus réceptif au supramental que le moi, grâce à cette interface mystérieuse, citée par Gurdjieff, et dont on comprend aujourd'hui qu'elle était le souvenir ou la prémonition d'une "conscience atomique", ce qui recouvre en partie le supramental.

La totalité peut se reconnaître en l'homme, c'est le sens fondamental des traditions, qui chantent la jouissance de la conscience, et non pas le dépassement du mal par le bien, qui ne constitue qu'une approche enfantine, mais déjà symbolique, des matériaux de la Manifestation. Le grand pas spirituel s'accomplit quand le moi est prêt à trouver l'origine du mal en lui plutôt qu'à l'extérieur, et à s'atteler à l'identifier puis à s'en affranchir. Ignorance, péché, mal, égoïsme, sommeil, indifférence, sont autant de signifiants qui s'originent dans le même signifié: une nature obscure que l'on souhaite ou décide de quitter, pour différentes raisons, besoin de conformité cosmique pour les chinois, amour de la vérité pour l'Inde, besoin d'améliorer la vie pour les monothéismes de l'Occident, désir de découvrir le sens des choses, sans jamais s'arrêter en chemin, pour les Grecs de l'Antiquité, et dans certaines cultures qui semblent primitives, on trouve également le besoin d'être digne des dieux, ou une préfiguration de la conscience systémique, avec le besoin de vivre en harmonie, d'éviter tout conflit, sauf menaces subies. Il y a donc une intuition dans l'homme de l'unité de l'ensemble des choses, c'est-à-dire un frémissement fragile de l'intelligence pour absorber l'hétérogène, lui donner sa place dans un cercle plus grand, mais le développement de cette intelligence holistique se heurte à d'innombrables obstacles dans le moi. La préservation du moi dans son contexte, la préservation du caractère sont des processus psychologiques qui chassent l'hétérogène comme un ennemi mortel, et c'est donc le propre de la démarche spirituelle de cesser de voir des adversaires partout, des attaques permanentes, des obstacles dans les freins, des ennemis dans les erreurs, des manigances dans les incertitudes, des subterfuges dans les empêchements, qui de toute façon ne peuvent être qu'extérieurs. Le moi ne peut subir aucune pression, c'est donc bien l'identification au non-moi qui est toujours trop ample, ou mal dirigée, puisque seul l'arrière-plan est souverain, avec le Soi et le Divin.

Plus la conscience s'élève, plus l'hétérogène disparaît, ou devient juste un accent particulier, un accord particulier (comme les treizième ou quinzième en musique) qui n'effraient plus l'amateur d'unité, le musicien spirituel. Car nous ne pouvons pas d'un côté nous réclamer par principe, par respect des traditions, de la recherche (passive) de l'unité, et passer notre temps à être affectés par des désagréments, des retards, des échecs, des pièges, des ruptures, des maladies, bref, de tout ce qui pendant une période va donner un caractère hétérogène à notre ressenti. Il ne s'agit pas de faire semblant de ne pas voir ce qui nous dérange à un moment donné, c'est nécessaire au contraire de le prendre en compte, mais il est nécessaire de s'interroger sur ce que cela dérange vraiment en nous. Et si l'aspiration à la vérité ne survit pas à ce genre de choses, aux épreuves produites par le monde contingent, c'est tout simplement qu'il s'agit d'un luxe de l'ego, cette prétendue "voie spirituelle".

Aucun contexte n'a jamais favorisé la voie. C'est la leçon de l'Histoire, même les monastères et les ashrams recèlent peu d'éveillés, l'enfance de certains enfants tibétains, saturés de bouddhisme initiatique, jouera comme un bourrage de crâne pour la plupart, et ne favorisera que les âmes avancées, de retour, et qui continuent leur quête. Il s'ensuit que la création factice de mondes homogènes, censés favoriser l'accès à la vérité, privent la réalité de ce qu'elle est par nature,

duelle, une rivalité d'antagonismes, un défilé d'imprévus, une aventure du chaos originel, qui mélange matière, vie et esprit, dans un monde de structures fragiles ou cachées, de gains et de pertes rapides, d'itinéraires rarement pérennes, tout étant soumis à l'érosion et à la vitesse. C'est donc bien l'entrelacement du yin et du yang qui doit être pris en compte avant toute chose, et accepté comme la structure dynamique et essentielle de la Manifestation. Et cet entrelacement est aussi bien, selon sa forme, conflictuel qu'harmonieux, déstructeur qu'épanouissant, fécond ou stérile.

Mais l'esprit aime "fermer les yeux" sur ce qui le dérange, c'est une des leçons les plus tragiques du passé universel, d'où les "postures" qui s'imposent aux chercheurs spirituels peu avertis, qui ne veulent pas s'avouer leurs faiblesses, qui culpabilisent pour des broutilles, à l'affût d'une lumière qui serait détachée du reste, qui ne plongent pas dans leur propre obscurité, qui courtisent une transcendance éthérée, — comme un deux ex machina dont on pourrait se rapprocher en se présentant à elle sous son meilleur profil. Cette vieille habitude de vouloir "séduire Dieu" en masquant ses infirmités avec des agenouillements mécaniques, apparaît fréquemment au yogi supramental, dans les phases d'exacerbation positive, où, possédé par les plus hauts plans spirituels, il aperçoit des foules d'êtres humains qui prétendent Le chercher en tant que Seigneur, alors qu'il s'agit d'une simple mise en scène collective, un spectacle partagé par tous, une mise aux enchères des besoins d'obtenir des faveurs, tandis que chacun est chargé de persuader son voisin de sa sincérité, à partir de son propre mensonge. Sur des temps infinis, la dévotion rendue obligatoire apparaît comme une erreur, et dans le meilleur des cas, comme un pis-aller, et il est donc question aujourd'hui de remplacer cette loi par une autre. C'est le travail qu'a effectué Sri Aurobindo. Une bhakti inconsistante sans le discernement, un discernement qui ne mène qu'au vide, sans l'amour pour le Divin, c'est terminé !

Même si nous ne savons pas exactement pourquoi le Supramental a choisi la première moitié du vingtième siècle pour Se manifester, sa venue met un terme aux anciens dharmas. Les religions devront disparaître ou se transformer, et les dieux eux-mêmes devront renoncer à leurs prérogatives sur les humains. Les êtres humains n'ont pas voulu connaître l'Esprit, mais séduire des entités supérieures pour obtenir l'immortalité par-ci, la fin des réincarnations par-là, le paradis, bref, les êtres humains trouvent normal que la vie leur soit donnée, mais il ne vient qu'à l'idée d'une minorité qu'il faut rejoindre son sens universel, hors de l'appropriation subjective. Il est nécessaire de remonter à l'origine pour se ramifier au Tout, ce qui dépasse infiniement le sentiment que le moi obtient de lui-même quand il n'abouche pas sa vie et son temps au Mystère exhaustif, au Tao, qui échappe à toute représentation, contenant de toutes parts celui qui l'évoque. Mais certains y parviennent, et c'est à contre-courant dans nos contrées. Les saints sont chassés de l'Eglise, les initiés doivent échapper à l'Inquisition, les sages qui remettent en question l'ordre établi doivent s'enfuir, Jésus et Hallaj sont condamnés, comme Giordano Bruno. C'est dire à quel point tout esprit ordinaire, tout esprit conditionné résiste à l'hétérogène: il ne le supporte pas, il y voit une menace, un danger. Il y projette même de la folie alors que c'est de la sagesse, et, en développant cette analyse, nous parviendrions presque à établir que le Vrai passe pour le faux dans les cultures humaines, et que le faux parvient à s'ériger en vérité, ce qui, dans le domaine qui nous intéresse, s'applique particulièrement à la fausse dévotion, plaie de l'Inde et des cultures monothéistes. Faire semblant d'aimer Dieu est chose facile, il suffit de transférer les survivances de l'esprit enfantin attaché à ses parents ou à l'un des deux, sur le grand signifiant vide de Dieu, et le tour est joué. Car la vraie dévotion est d'un autre ordre, elle implique une voie constante, un service permanent, un amour qui n'attend rien du Divin et ne se plaint donc pas de son absence, de sa discrétion, des rendez-vous manqués, et j'ai donné les trois meilleurs exemples de cette consécration au début de ce texte, si vous souhaitez bénéficier de ces modèles. C'est donc un processus rare, que peu éprouvent, mais que Sri Aurobindo a pu suivre jusqu'au bout, comme Mère, et ni l'un ni l'autre ne peuvent artificiellement provoquer une contagion de ce processus, profond et exclusif, qui subordonne tout le reste à sa cause. Ce serait une erreur de présenter la voie supramentale comme différente de n'importe quelle voix mystique, mais elle est encore plus exigeante, bien que cela soit compensé par des satisfactions elles aussi supérieures, et qui varieront pour chacun. L'intelligence, ou l'action, le rayonnement ouvert et direct, ou caché et dispersé, guidés d'en haut, représentent de nouvelles possibilités terrestres. Et dans le monde de la Manifestation, fondé sur les antipathies du délire et de l'inspiration, de l'ordre et du chaos, du oui et du non, de l'avorté et du périmé, du trop et du pas assez, bref, dans l'ordonnancement entropique de la Terre, il est évident qu'il y a un prix à payer, encore exorbitant, pour permettre à l'être psychique de soumettre les autres plans, et d'irradier la connaissance, l'amour, l'intégrité, qui sont les planches de salut de l'humanité si elle veut survivre. C'est la sadhana, la consécration exhaustive, dans l'abandon, sans recherche du résultat, l'éveil ou davantage encore, l'imagination aime imaginer.


23 Novembre 2010


Pékin.

Je me sens chez moi. Confortablement installé chez mon ami et webmaster, je lis ce que j'ai apporté, et j'apprécie Frédéric Lenoir, dans Socrate, Jésus et Bouddha. J'en profite donc pour faire un peu de systémique avec vous, créons un ensemble, combinons des paramètres qui s'épaulent, et voilà que nous établissons une fonction. C'est un système, une théorie, ce qu'on trouve aussi bien en philosophie qu'en sciences, et même en spiritualité, sous forme de doctrine. Comme chacun sait, il faut un départ, un ou plusieurs axiomes, des fondations, ce qu'on appelle en philosophie des "présupposés". Tout le reste en découle. Et les présupposés peuvent toujours être remis en question. Les présupposés les plus connus sont "Dieu existe" sous-entendu, il va venir me manger dans la main si je le siffle correctement, ou "Dieu n'existe pas", sous-entendu, pourquoi m'encombrer d'un truc aussi inutile. Primo, pas besoin de se farcir une doctrine ou une philosophie dont on ne reconnaît pas les présupposés. En ce qui me concerne, l'existence précède l'essence, je suis contre. Donc, je n'ai pas besoin de lire Jean-Paul, dont le dernier bouquin est quand même intéressant. Alors venons-en aux fées. Et bien, tout bêtement, tout le bouddhisme s'écroule d'un seul tenant si nous réfutons sa base, à savoir que la vie est souffrance. Perso, je n'ai jamais pu concevoir en quoi la vie pouvait procéder de la souffrance, ou la constituer, et je ne peux donc pas être bouddhiste, bien que je reconnaisse que certains de ses éléments demeurent pérennes et vrais dans n'importe quelle voie, en tout cas le détachement. Et si le détachement n'est pas une invention de Bouddha, alors il aura simplement mis l'accent dessus pour le présenter comme la condition sine qua non de l'obtention de la délivrance définitive: celle qui permet d'échapper à la roue des naissances et des morts, celle qui permet à l'âme de ne plus revenir dans le samsâra, voire de se dissoudre complètement. Le plus simple serait donc pour chacun de s'en tenir à ses propres présupposés, et de faire un meccano avec ça. Depuis les présupposés, tombent automatiquement des considérations qui orientent, certaines bases découlent, par la force des choses, des cibles, des espaces à connaître, des expériences à faire, des choses à éviter et d'autres à approfondir. Voilà, dis-moi quels sont tes présupposés, et je te dirai quelle voie te concerne.

Il y a donc pléthore de voies.


1/ Non-croyance en Dieu Créateur mais avec illumination en vue:

A/ pour sortir du samsâra, bouddhisme, et quelques lignées du Soi impersonnel.

B/ par principe et sans augurer du résultat, Taoïsme, Tch'an, Zen

C/ par principe et jouir de la connaissance de Dieu en tant que Brahman, hindouïsme.

2/ Croyance en un Dieu personnel avec salut de l'âme, nos trois monothèismes locaux, et quelques dérives du Krishnaïsme, du Shivaïsme, et équivalents (Culte poussé de l'Ishta Devata).

3/ Croyance en un Dieu Suprême, l'Esprit, au-dessus du Dieu créateur (attention aux contrefaçons en la matière ! ), avec illumination et davantage, pour transformer la vie: Les Veda et Sri Aurobindo, et l'Advaïta. Quelques rares mystiques toutes religions confondues, quelques lignées tantriques qui reconnaissent la Mère divine, la Shakti, quelques branches du Shivaïsme, et les plus éclairées des voies de la bakti. Theilard de Chardin, explosant le christianisme.

4/ Besoin absolu de la vérité, indépendant d'une hypothèse sur l'existence de Dieu, soit l'agnosticisme transcendantal, qui procède par le doute et la discrimination, sans présupposés:

Héraclite, Socrate, Krishnamurti, remplaçant la souffrance originelle du bouddhisme par l'aliénation de l'espèce à la violence.

5 / Croyance en un au-delà régi par la Loi de Justice, avec culte des ancêtres: cosmogonies primitives, animisme.

6 / Croyance en un Dieu où l'immanent et le transcendant se confondent:

Spinoza, de nombreux polythéismes, les formes supérieures ou inférieures du Panthéisme.

7/ Croyance en l'unité de toutes les religions et dans la liberté de chacun:

Tradition Primordiale, mouvement Bahia, et certaines sociétés secrètes.

8/ Croyance dans l'opposition irréductible du bien et du mal, réduite par l'expérience morale ou spirituelle: Manichéïsme, Mazdéïsme, Occultisme, et par dérivation toutes les formes d'intégrisme.

9/ Croyance en la spiritualité de la Matière:

hédonisme supérieur, humanisme athée, véritable épicurisme, les sceptiques sereins, Démocrite.

10/ Croyance à une vie sans aucune finalité:

satanisme et diabolisme pour "chauffer à blanc" le sentiment de la liberté individuelle dans l'intensité du désir.

11/ RIEN DU TOUT, la vie à la va comme je te pousse !

12/ les différentes formes de nihilisme mises en scène par les victimes du mental:

Schopenhauer, Cioran, Nietzsche, les sceptiques désabusés, les libertins amers, les cyniques.

Croyance ou présupposé, on ne va pas pinailler sur la différence. La croyance est peut-être plus globale, tandis que le présupposé est davantage mental, mais cela revient quand même au même: la carte de la Manifestation, Lîlâ pour les snobs, propose différents plats, et si l'on ne prend pas le temps de se connaître soi-même, on peut commander un mets indigeste, qui fera des milliers de petits mais, — pas de chance, le moment de la mort est important ! Et il est déconseillé de regretter à ce moment-là de s'être trompé de gamelle (Unanimité des guides sur cette question de Bouddha à Gurdjieff en passant par Jésus, et de mon côté, révélation sur le sens de Kiron en astrologie).

Pour la petite histoire, je suis passé automatiquement de 4 à 3. Je n'avais jamais cru en Dieu avant l'expérience de la Conscience suprême de 1977. Le soi impersonnel m'avait simplement libéré de toute pensée trois ans avant, et je ne voyais rien de divin dans cette expérience, d'autant qu'en 1967 j'avais vécu "mieux", une illumination dynamique d'une puissance incroyable, qui s'est entièrement retirée au bout d'une semaine. Ceux qui n'ont pas encore compris que Dieu joue avec nous comme un chat avec une souris peuvent aller se rat biller.(L'enfant intérieur n'a pas dit son dernier mot ! ).


24 Novembre 2010


La conscience est la chose la plus importante de l'univers, elle rachète le néant, et tout le monde s'en moque ou presque. On hérite des croyances de papa/maman, ou l'on prend au contraire à son compte les valeurs inverses, pour se faire accroire une certaine autonomie. Ceux et celles qui vont vraiment vers le mystère, sans s'arrêter à des pratiques rassurantes, comme le yoga gymnastique, le Taï chi de salon de thé, le végétarisme et l'écologie, l'accolade du compagnon franc-maçon, constituent encore une part très faible de la population. Karma ou pas, peu importe, le fait est là. Sept pour cent, avec une marge d'erreur possible, d'êtres humains que ne vivent vraiment plus pour eux-mêmes, mais pour emboîter leur existence dans le Mystère ineffable. Ceux-là seulement franchissent les barrières interdites, affrontent la souffrance, traversent les incertitudes grandiloquentes des redresseurs de tort qui baissent les bras et lèvent des armées, et parviennent enfin, il est vrai, à ce qui est indépendant du samsâra: une foi de feu, ou une consécration impeccable, une passion pour la vérité, ou une immersion dans le Soi, ou bien encore à une intégrité parfaite qui permet au yin de ne pas se compromettre dans la confusion et au yang de "ne pas se la péter" dans l'affirmation créatrice. Pourtant, tout cela est dans l'ordre absolu des choses, il n'y a pas à se plaindre, favoriser sans doute l'éveil discrètement, c'est possible, sans exercer de pression, et continuer à vivre pour l'Absolu de l'absolu, non pas le Soi vide étranger à la vie, mais le vrai Brahman, ou le Tao, qui contient en son sein, sans aucune séparation, tout ce qui semble être différent de lui, et qui pourtant ne l'est pas: la vie, le samsâra, et comme dirait l'autre, la souffrance. Mais il est vrai que réintégrer le samsâra dans le nirvana ou le samadhi n'est pas à la portée de tous, et que c'est sur ce point que les degrés de l'éveil se positionnent. Les éveillés néophytes croient que le Soi impersonnel est différent de la manifestation et ils l'encensent, les éveillés mûrs deviennent incapables de faire la moindre différence entre le nirvana et le samsâra. Comme s'ils avaient absorbé la vie et ses cortèges bariolés de surprises glacées et brûlantes dans le grand Silence. Nagarjuna, le premier, a dénoncé l'illusion du Soi s'il sépare le non-mental de la vie, mais il est normal qu'on leur préfère, sans une compréhension profonde des choses, les obscènes déclarations de Nisagardatta, qui fait mousser l'identité du sujet et de l'Absolu, — comme une adolescent part dans les vapes en regardant la photo de sa bien-aimée. Qu'un discours aussi pompeux puisse passer pour une référence, face à la profondeur d'un Sri Aurobindo, d'un Vivekananda, d'un Gnénon, laisse entrevoir la misère spirituelle de notre monde. Les paroles qui flattent le petit moi rêvant d'être un grand moi ne sont pas les mêmes que celles qui s'adressent au vrai Moi, et qui n'a pas été encore découvert. L'absolu de Nisagardatta c'est de la barbe à papa, je n'ai rien contre les amateurs de barbe à papa, c'est doux, sucré et chaud, que demande le peuple !

Mais la plus profonde vérité n'est jamais à chercher du côté gratifiant, c'est-à-dire du côté du sujet, mais dans l'appartenance du moi à ce qui le dépasse. Et comme tous les néophytes du Soi, le cher Nisagardatta fait jeu égal avec l'absolu. "Vous êtes cet absolu". Et puis quoi encore ? Sri Aurobindo était allé beaucoup plus loin, bien avant ses trois jours avec Lele, et il n'en a pas fait toute une hisoire ! Cette phase n'a duré pour moi que trois mois, et c'est vrai que c'est la lune de miel : juste après l'illumination, car le souvenir d'avant est encore à portée de main, et par contraste, ce que l'on vit depuis le Satori est extraordinaire. Je me souviens même de ces moments provisoirement divins où j'avais envie de me rouler parterre de rire en me demandant bien ce qui pouvait rester à "trouver" ou à "dé-couvrir"...Je pensais aussi «Je suis Dieu», et c'était assez amusant ! Apparemment, toutes les énigmes avaient été découvertes, il ne restait strictement rien à chercher ni à trouver, c'est pour cela qu'il semble qu'on puisse dire, effectivement, je suis l'absolu... Le temps de passer à autre chose, bien entendu. Mais quelle impression: rien de plus à connaître !

Rien, absolument rien: tout était là...

Qui a déjà vu une lune de miel s'éterniser ?

Je ne juge pas, je ne critique pas, je dis seulement que se fier aux textes des éveillés est peine perdue, car l'évolution continue à partir de l'éveil, et que les paroles fleuries ne font que bénir l'illumination, mais si par exemple l'empathie continue, vous voyez bien que votre satori ne sert pratiquemert à rien contre la souffrance du monde, et vous continuez donc la route, en vous disant que l'absolu, ça ne peut pas être la fin, le terme, et comme par hasard, vous tombez sur des types pour qui Nisaggardata est un débutant éloquent, et qui, eux, ont continué à demander des comptes à la réalité, Vivekananda et Sri Ramakrishna par exemple, substituant à l''extinction des bons élèves, la résurrection de la religion universelle qui suit le progrès humain, renaît de ses cendres, et agit pour le bien de tous, et non pour le salut de luxe de l'éveillé moyen. Et ils sont là, bien décidés à changer l'existence au lieu de se féliciter d'être l'absolu, comme les plus nuls de tous les éveillés, ceux qui ne s'en remettent pas d'être arrivés jusque-là, dans le rêve sublime du Soi. Mais comme la plupart des éveils avaient lieu assez tard dans la vie par le passé, l'expérience était rapportée rapidement, avant que l'éveillé lui-même ne transforme son vécu. Prudence, nul n'est infaillible. Quand Ramana dit que la réincarnation n'existe pas, il ne se fie qu'à sa propre expérience, peut-être n'a-t-il jamais eu de réminiscence, peut-être veut-il dire tout simplement que seul le Soi est essentiel, et donc que tout ce qui est de l'ordre karmique est illusoire. Peu importe ! Mais certains se fient à son jugement, alors comment font-ils face aux retours des rimpochés tibétains reconnaissant des objets de leur vie antérieure, qu'opposent-ils aux dires de Gautama, font-ils les farots face à Ma Ananda Moyi, face à la Mère de Pondichéry, ou face à moi-même, qui ai contacté le supramental à la simple suite de la lecture d'un nom de sage, "mon nom ! ", mentionné par Mère dans les entretiens de 1957 ? Quelle postion prendre face à Edgar Cayce ou Patrcik Drouot, comment nier les témoignages d'enfants parlant de leur vie précédente sur les mêmes lieux, et dont quelques vidéos tournent dans le monde entier ?

D'accord, se pencher sur les traces «karmiques» dérange beaucoup de personnes, c'est une responsabilité supplémentaire s'il faut aller voir encore plus loin de quoi il en retourne, mais pour cela, pourquoi ne pas attendre tout simplement d'être appelé à se pencher sur la question, sans préjugés intellectuels ? Pas question de croire ou non, mais un jour, des événements étranges peuvent indiquer la piste d'un passé qui remonte loin, très loin...

Oui, je suis parvenu au satori sans avoir saisi la moindre trace de mémoire antérieure, et je n'ai rien contre la perspective de Ramana, quel que soit le sens dans lequel on la comprenne. Ce n'est pas nous qui nous nous réincarnons, et le Brahman est plus important que notre propre existence. Néanmoins, nous portons en nous-mêmes un être qui va et vient dans la Manifestation, et pour lequel une vie n'est qu'un habit, mais un habit si épais qu'il détermine la qualité des mouvements. L'enveloppe charnelle est comparable à un scaphandre, — indispensable mais contraignant, qui gêne aux entournures cette âme, ce principe, car le scaphandre en question est entêté, rigide, il manque de souplesse... Il est doué d'une telle autonomie mécanique qu'il a tendance à produire les mouvements de l'ensemble s'il n'est pas fermement maintenu par la volonté et la détermination, yang, et par le souhait et l'aspiration, yin, ce que nous transposons sous le terme de sadhana, soit le logiciel de pilotage.

Si le scaphandre n'en fait qu'à sa tête, il va où il veut, et s'il tombe en panne, son occupant est asphyxié. Il n'y a pas de voie spirituelle, seule existe la consécration à l'être, et cela a toujours engendré, à certains moments, des sacrifices (pour maîtriser le scaphandre). C'est-à-dire des choix positifs qui sur le moment, paraissent négatifs puisqu'on en souffre un tantinet.


25 Novembre 2010


Comment en finir avec les vérités ultimes, ces médailles pailletées sur la boutonnière des bourgeois cosmiques ?

Il est tout simplement indécent de circonscrire les pouvoirs de la conscience, de considérer qu'un de ses états peut être définitif ou supérieur. La non-dualité est une perspective prometteuse, mais seuls ceux qui la vivent peuvent en parler, et, étant donné l'infini de l'univers et la qualité de la différenciation de chaque âme particulière, même la non-dualité se vit dans toute une gamme de possibles. Le plus renversant, c'est que le sentiment absolu de l'unité se décline de nombreuses manières, ce qu'expérimentaient les rishis, et que Mère et moi-même vivons dans un champ expérimental d'une largeur invraisemblable (comme Sri Aurobindo qui n'a pas inventé le monde de Savitri). Il serait temps d'en finir avec toutes les réductions ontologiques, les équarrissages transcendantaux, les sophistications verticales, les synthèses atrophiées,

les tautologies cosmiques,

les spirales qui s'avèrent des vis sans fin.

Fini, les risques en pantoufles des suiveurs de doctrines, les progrès jetables du Nouvel Age, quand la prospérité flirte par principe avec l'éveil, ou que le sexe est le tremplin de la conscience cosmique. Il serait temps de brûler toutes les bondieuseries nouvelles, les photos des cibles absolues, les portraits définitifs du Vrai, les canons qui tirent a boulets rouges sur l'absolu, tous ces clichés évanescents et filandreux comme de la barbe à papa, qui donnent le change au vieil animal qui ne changera jamais, et lui permettent de faire semblant pour s'acheter une bonne conscience, celle de son meilleur profil dans la glace, étant donné qu'il ne se regarde jamais sous son autre angle, l'obscur, l'inharmonieux, le boutonneux, le disgracieux, le tordu.

Il serait temps de se donner à la totalité sans rien en attendre d'autre que cette offrande qui rachète les péchés du monde, qui rachète donc "les cibles manquées" si nous nous piquons d'étymologie. Aimer l'indivisible réalité — quel que soit le nom qu'on lui donne, dans un moment où l'ange parle en nous, et comprendre que les mots la blessent, et qu'aucun moment ne supporte d'étiquette.

Savoir que l'absolu nous guette, que l'Amour nous appelle, que le Supramental constitue la puissance de l'Esprit en acte, c'est suffisant.

Tout le reste devrait être de la pratique. Commenter les Ecritures dispense de les appliquer, c'est Jésus face aux pharisiens, Bouddha face à la liturgie mécanique, ce sont les brahmanes confits dans la suffisance, et les cardinaux qui couvrent les prêtres pédophiles pour ne pas faire de vagues. Dès que la vérité dérange, il vaut mieux rebrousser chemin. C'est peut-être cela le mal: savoir ce qu'il y a faire, mais s'en dispenser pour conserver un ordre qui est déjà périmé, qui va bientôt pourrir, et maintenu par le mensonge.

Je parle du Supramental parce qu'il me transforme depuis plus de trente ans, et du Soi impersonnel parce qu'il m'est tombé dessus quand j'avais vingt-trois ans, me transformant en orphelin: personne pour me comprendre alors que je comprenais tout. Que certains se gargarisent d'arriver là, je n'en disconviens pas, mais ils ne donnent pas l'exemple. Au bout de trois mois, j'avais fait le tour de la chose, et il n'y avait qu'une seule connaissance qui m'échappait encore, la pierre philosophale, le moyen de l'immortalité physique. Je me suis lancé là-dedans à corps perdu, me réveillant la nuit pour lire le Trévisan et d'autres. Je jetais parfois un oeil sur les œuvres de Sri Aurobindo, et j'avais déjà compris que lui, avait trouvé la clé, et qu'il était bien le seul.



Par humilité, je n'osais pas me voir gagner le Supramental, je faisais tout simplement de mon mieux, célébrant la vie avec modération. J'étais beaucoup plus passionné par ma quête alchimique que par la recherche des plaisirs, et je voyais déjà sombrer notre société. Tout ce qui se passe aujourd'hui, je le pressentais déjà en 1975, parce que j'avais saisi que 68 s'était refermé, comme un insondable mystère, un peu comme cette illumination qui avait duré une semaine, à partir du 27 décembre 67, et qui s'en était allée comme elle était venue, sans prévenir. Je vis donc dans des contrastes époustouflants depuis mon adolescence, que la drogue à la Michaux n'a fait que banaliser, puisque j'ai pris du haschich, et très rarement des champignons et du L.S.D. Je sais que tout peut arriver, et c'est pour cela que je vous préviens.



J'aime l'astrologie, où l'accidentel peut se décomposer en structures et en cycles, c'est aussi pour cela que j'affectionne la pensée traditionnelle chinoise, qui n'escamote pas le non-moi, et qui répugne à l'ontologie pour lui préférer l'alternance du fluide et du ferme, du solide et de l'impondérable, du prévu et de l'imprévu, du succès et de l'échec, de l'attaque et de la retraite, du repos et du mouvement. On ne s'étonnera donc pas que je récuse toutes les finalités, atteindre le Soi, connaître Dieu, trouver son être psychique, puisque ces choses-là ne peuvent pas être des buts, mais constituent seulement la conséquence d'autre chose:

savoir percevoir,

savoir observer,

savoir ressentir,

savoir être malléable,

savoir s'effacer,

découvrir l'intégrité qui seule permet au yin de ne pas se perdre dans l'adhérence

et au yang de ne pas se perdre dans le contrôle,

et tous ces différents savoirs voient leurs règles évoluer en permanence.

Rouler dans les vagues avec confiance au lieu de se noyer à vouloir les traverser pour aller vers le large. Comme Papillon qui s'évade, comme n'importe quel surfeur, vous devez savoir maintenant qu'il vaut mieux attendre une vague faible, et tant pis si elle traîne à se présenter pour passer la barre, que s'acharner quand le cycle est haut. C'est souvent la précipitation qui conduit à l'échec, car la précipitation est la concentration du yang, qui se déploie narcissiquement, et se piège dans sa propre libération excessive. Ce qui ne veut pas dire que l'atermoiement mène à la réussite: il constitue la concentration excessive du yin, qui se perd en absorbant outre mesure. Oui, des cycles nous remuent, et c'est le jeu gravitationnel, tout se répond, Vénus à Mars, Jupiter à Saturne, la lune au soleil, et Pluton joue à l'avenir avec Uranus, le grand Incandescent, et Neptune le grand Absorbeur.



Le feu et l'eau à réconcilier,

de s'être trop noyé

de s'être trop brûlé

La non-dualité ne sera jamais le nivellement des contraires, mais leur parfait équilibre. (Je souhaite bon courage à ceux qui prétendront en témoigner, car rien n'est plus difficile. La moindre trace d'hétérogénéité dans leur discours permettra d'achopper, alors qu'ils fassent attention aux expressions comme "oui mais" ou "ce n'est pas ce que je voulais dire" qui laissent des effluves comparables aux pets de l'esprit, puisqu'ils seront censés baigner dans le réel sans qu'aucune remarque, sans qu'aucune critique ou attaque, ne les prive, ne serait-ce qu'un instant, de leur fameuse non-dualité, où tout doit être reçu sans la moindre réaction.)

Décalage ? Vous avez dit décalage ! Vous êtes décalé, sans doute...

La vitesse rassure les actifs et les battants, la lenteur rassure les contemplatifs et les réceptifs, mais c'est la cadence le secret, et nul ne marche au même pas. Jetez Bouddha et la non-dualité à la poubelle, brisez le miroir de la voie, elle viendra à votre rencontre, le vrai n'est pas votre reflet. Il n'y a pas de boussole panoramique, et le Soi fait le tour des choses. La seule carte authentique de la Voie: une page blanche, celle de chaque journée offerte humblement au Mystère, en acceptant tout ce qui se présente.

Pour les choses essentielles, les signifiants sont ni plus moins que des pièges, ce que Socrate savait déjà, et que Platon a bien compris. Cela fait des milliers d'années que l'élite sait que la justice n'est qu'un mot, et que le seul moyen de la caractériser, c'est de s'en tenir aux faits. Socrate dénonçait déjà les promesses électorales d'un avenir lointain pour lui, Platon subodorait l'immense spectacle stupide des représentations, mais aujourd'hui les grands avocats obtiennent des peines minimales pour de grands criminels, en jouant sur les vices de forme. Les sophistes ont gagné, c'est le sens de l'histoire. La vérité n'existe pas, elle n'est que le regard que tu portes sur le monde, et tous les regards s'équivalent, Internet permet les regroupements rapides des collectionneurs de bouchons de champagne, des cuirs déjantés, des amateurs de chiens électroniques, très aimables puisqu'ils ne salissent pas, des pourfendeurs des racistes, nickel chrome, des joueurs de poker jaloux de Patrick, des radins en compétition échangeant leurs yaourts périmés, des acheteurs milliardaires en salle des ventes, des abonnés au cristal Roderer, bref, des millions de petits mondes cloisonnés s'épanouissent indépendamment les uns des autres, dans le culte unique qui les constitue. Sa majesté la complaisance virtuelle. Le verbe mousseux et le vide du hobby creux deviennent des religions particularisées. Les rituels jetables s'inventent et se détrônent. Les S.M.S font la loi, déciment les couples et se soumettent à Eros. Dieu option de base se cherche dans le semblable, le semblable qui n'aime que le semblable, le principe de la réalité constructive, le meccano autosuffisant.

Aimer vos ennemis, cette sentence a vraiment fait désordre en bénissant l'hétérogène, et pourtant c'est la solution. Je l'applique aujourd'hui sans aucune difficulté. J'aime l'ignorance humaine, sinon il y a belle lurette que je serais devenu fou.


26 Novembre 2010


Paroles fleuries et bouquets fanés

sur la même étagère.



LA REVOLUTION QUANTIQUE


En quittant le vingtième siècle, nous avançons vers un monde incertain. En jouant sur les deux sens du mot échelle, notre intelligence s'est perdue dans de nouveaux paradigmes. D'un côté nous sommes montés dans l'infiniement grand, de l'autre nous sommes descendus dans l'infiniment petit. Nous sommes tombés sur de nouvelles grilles d'évaluation qui ont vu se démultiplier les quantités. D'un seul coup d'un seul, notre univers commun est devenu simultanément beaucoup plus petit et beaucoup plus grand.


Les Mathématiques sont définitivement tombées amoureuses de la physique avec Einstein, et juste après, l'astronomie en progrès exponentiel, en apportant ses observations, a fait exploser nos capacités mentales. Alors que nous nous réjouissions d'avoir résolu le problème central, E= Mc2, cette joie fut de courte durée. La mécanique quantique se mit à déranger énormément Einstein, tout en limitant la portée de ses découvertes. Tandis que nous espérions que l'ouverture à l'immensité nous apporterait des certitudes, elle nous emmena au contraire dans un labyrinthe de possibilités, toutes aussi légitimes les unes que les autres, nous laissant orphelins de la raison. Nos différents types de logique ne suffisaient plus à rendre compte de la création de l'univers. Aujourd'hui même plusieurs théories s'affrontent, toutes aussi pertinentes les unes que les autres, et le fameux « big-bang » n'est qu'un des scénarios possibles. Et qui plus est, des sommités comme J.P Luminet se demandent même si ce ne serait pas pertinent d'envisager un avant big-bang...


Et puis, n'oublions pas que le système solaire a été relativisé, et ramené à des proportions ridicules. Face aux quasars et aux trous noirs, notre « environnement sidéral » est soudain devenu un petit quartier de banlieue. La voie lactée, une anonyme galaxie. Face au vertige, pour nous en venger peut-être, nous nous sommes penchés simultanément sur l'infiniement petit, et là aussi, il a fallu déchanter. Difficile de « savoir ». Ou alors à moitié : la lumière, onde ou particule, pas moyen de combiner les deux choses. Et puis de fil en aiguille, le Réel a continué de se débiner, toujours plus loin encore. Plus on s'imagine le rattraper, plus il s'éloigne, de quoi s'arracher les cheveux. Quelle humiliation pour le mental. Plus il s'approche d'elle, plus la Réalité s'échappe encore comme pour le narguer. D'autant que les clubs de savants n'ont cessé de partir à l'aventure, d'échanger leurs recherches, de comparer leurs conclusions. Et voilà que toutes nos certitudes s'écroulent, depuis Heisenberg et son énorme pavé dans la mare des espoirs naïfs. Les convictions s'effondrent. Aussi bien sur les propriétés de l'univers sidéral, et, naturellement ses limites, que sur les ultimes caractéristiques de la Matière ultra-microscopique.


Ah, comme c'était rassurant d'imaginer une analogie consistante entre le modèle de l'atome et celui du système solaire. Nous en faisions des gorges chaudes jusqu'aux années soixante. Tout tournait en rond, à différentes échelles, autour de centres de calibres variés, et notre tête aussi tournait, ivre d'avoir démystifié le grand secret. Nous avions l'impression de posséder la vérité, les savants arboraient toujours une mine fière et noble, comme s'ils faisaient surgir l'avenir de leurs éprouvettes, de leurs microscopes et téléscopes, de leurs calculs interminables et hermétiques. Nous possédions enfin la vérité — en tout cas celle de la réalité matérielle, et nous avions tendance à nous croire les « rois du monde », à la proue scientifique du grand navire terrien. « Scientifique », ce mot, tout le monde le prononçait avec une intonation quasi religieuse. Les énigmes devaient se soumettre, l'impuissance agoniser, l'ignorance serait terrassée par la démultiplication des pouvoirs de l'oeil et de la raison.


Mais que nenni. L'atome s'est soudain révélé un objet très mystérieux, et peut-être même qu'il n'est plus seul, qu'il n'est plus le centre, ni le modèle de toutes les séries d'agglutinement de la matière. Un tas de particules existeraient bel et bien, qui navigueraient en free-lance, sans but peut-être. Presque indécelables, — et avec un coefficient d'utilité extrêmement difficile à évaluer, on se demande si elles ne tricotent pas des trames furtives à l'intérieur des combinaisons atomiques connues, les traversant peut-être, ni vu ni connu, jouant à on ne sait quel jeu, modifiant des normes qu'on croyait invariables. Les quarks, les bosons, que sais-je encore, jusqu'aux « anges » pour de pures virtualités énergétiques, fort élégantes au demeurant.


L'univers s'échappe à grande vitesse vers l'inconnu, aussi bien dans les grandes largeurs, où s'arrête-t-il vraiment, son expansion peut-elle se renverser, que dans ses intimes recoins: Rien n'empêche d'imaginer que des « choses » puissent se déplacer plus vite que la lumière. Comment, pourquoi ? Cela reste à élucider, parce qu'elles n'auraient aucune masse peut-être, comme le neutrino, et emprunteraient, allez savoir, des trous de vers, qui, en déchirant l'espace-temps, le raccourcirait, se jouant de l'interdiction de rouler à plus de trois cents mille kilomètres seconde. Einstein était très embêté par cette question. La vitesse indéformable de la lumière donnait une cohérence parfaite à l'ensemble de la physique, et partant, à l'image globale de l'univers encadré par un ordre imprescriptible et... Connu !( Dieu ne joue pas aux dés). Mais si cette « constante » n'en est plus une, ou bien si elle dissimule d'autres facteurs qui compromettent la théorie unitaire, tout est à refaire. De patentes contradictions, inconciliables pour le moment, sont peut-être complémentaires dans une nouvelle théorie qui manque aujourd'hui, et rassemblerait sans déchirure toutes les vérités de la physique, qui aujourd'hui encore s'affrontent et s'excluent bêtement. Il y a des fissures dans la vision globale. Alors, il faudra désormais donner des ailes à l'imagination pour qu'elle se rapproche autrement de ce qui semble réel. La théorie des cordes superpose des dimensions, combine des principes d'une manière extravagante, et nous patinons intellectuellement pour nous rapprocher de ce nouveau paradigme, par son degré d'abstraction et de complexité. Difficile à valider, le détruire ne permettrait pas pour autant de le remplacer. Autant dire que les hypothèses se portent bien concernant le fin du fin de la réalité de la Matière, et elles se concurrencent.


Et si nous ajoutons à cela que certains pensent que les électrons sont remplis de mémoires, comme un célèbre physicien français, et voilà que nous en sommes réduits, question science, à faire des pâtés dans le sable, comme les enfants sur la plage. Une théorie chasse l'autre. Une direction prometteuse en oublie d'autres. Une avancée clôt une question épineuse enfin résolue, mais ouvre sur plusieurs nouvelles portes qu'on aimerait pousser en même temps. Les théories font un défilé de mode pour une poignée de spectateurs qui peut suivre leur démarche altière et sophistiquée, et parler un jargon que moins de mille personnes sur terre partagent. Les plus ouverts avouent sans vergogne qu'ils pataugent, qu'ils ont renoncé au définitif, et se contentent de petits progrès successifs, ce qui n'est déjà pas si mal. Les énigmes fondamentales les narguent.


L'énergie noire doit se trouver quelque part, mais où, pour expliquer certaines mesures. Sans elle, l'ensemble ne tiendrait pas la route. L'antimatière, où se cache-t-elle ? Pourquoi la gravitation équilibre-t-elle l'espace, alors qu'elle n'est pas grand chose ? (Construire des engins antigravitationnels est déjà, ou presque, à portée de la technologie). De question en problème, l'ouverture aux deux infinis ne résoud strictement rien, ni le mystère de la vie, ni celui de l'étendue de l'espace, ni celui de la rapidité du temps, avec cet étalon-lumière. Plus les mesures s'affinent, plus elles en appellent d'autres. Il fut une époque où le millimètre était petit, le voici devenu gigantesque, il se passe peut-être quelque chose dans le volume ou le point d'un micron.


Il serait temps de comprendre que la résistance de la Réalité à finir en équations et en quota, et même en quanta virtuels, est légitime. La réalité proprement dite n'a jamais eu besoin de représentations pour exister. Autrement dit, les soleils peuvent très bien se déployer sans savoir à quoi ils servent, sans se demander s'ils mourront. Et les atomes peuvent se combiner entre eux parfaitement bien sans pour autant poursuivre le moindre but. Ou bien, dans un univers dans lequel rien n'est séparé de rien, leur trajet évolutif se fait automatiquement, et la Matière apprend à se spiritualiser, comme la vie l'indique, en faisant émerger de nouvelles structures.


Les représentations servent à nous guider. Les plus fondamentales sont les codes sociaux, puis elles se sont diversifiées, jusqu'aux dogmes scientifiques, politiques, économiques et religieux. Elles sont toujours plus ou moins acoquinées avec des « valeurs », parce qu'elles se veulent être des points de repère fiables face à l'entropie. Et elles s'imaginent, naïves, qu'elles peuvent durer... Mais nous sommes bien les seuls à demander à être guidés. Les galaxies s'en foutent et s'éloignent de toute façon, les molécules s'arrangent toutes seules « intuitivement » en quelque sorte, et sans subir le moindre débat, les particules tolèrent leur indétermination. Les animaux suivent leur instinct et n'aiment pas délibérer, sauf peut-être ceux qui rêvent déjà de l'atermoiement propre au primate debout, parce qu'ils le côtoient. Les chiens, par exemple, sont fiers, quand ils se paient le luxe d'hésiter: le mental vient les frôler !


Il n'y a donc que l'homo sapiens sapiens qui éprouve le besoin de se fabriquer les petits miroirs des représentations pour décider de son chemin. Il produit ainsi des lois qui enserrent et contraignent des espaces à se séparer les uns des autres, et qui mettent hors-la-loi le hasard, sans succès évidemment, mais on continue quand même pour la beauté du geste de vouloir tout contrôler. Héraclite, Tchouang-Tseu et enfin Henri Bergson ont pourtant définitivement établi que le temps pond des possibles à chaque seconde, sans répit, que les bifurcations se chevauchent à toute vitesse. Qu'il est donc vain de chercher les millions d'œufs des faits qui se cachent dans le défilement continu de la durée, ou de vouloir s'emparer des innombrables métamorphoses des mouvements se mélangeant entre eux. Saisir le mouvement, non, s'y faufiler peut-être.


Le temps se déroule et il déploie nécessairement l'indéterminé, affirme Henri. Les semences pleuvent, les circonstances s'enchevêtrent, les causes convergentes coulent vers des abîmes de faits nouveaux, d'occurences inattendues, de combinaisons inévitables. Autant dire, en transposant, que les lois morales, sociales, politiques, sont vouées à l'échec parce qu'elles méprisent l'indéterminé, ne prévoient pas les dommages collatéraux du hasard, butent sur le surgissement du neuf, oublient la péremption de la règle, passent à côté de la spirale émergente, ce processus qui produit un effet supérieur à l'action de toutes les causes en présence et les transcende. L'idée de se débarrasser de l'accident et de l'occasion, qui surgissent des combinaisons aléatoires des événements, pour planifier la vie humaine et l'enfermer dans des structures inamovibles, constitue la tentation permanente des cultures pour faire face au destin. Etablir et s'y tenir. Comme si le présent était une menace parce qu'on ne sait pas où il mène ! Même la physique voulait savoir à tout prix, mais depuis un siècle, elle a dû rabattre ses prétentions. C'est le mental aujourd'hui qui est contraint de reconnaître ses limites, ou d'être de mauvaise foi. Avec la symbolique que toute intelligence peut tirer de l'effet papillon, il faut aujourd'hui désirer demeurer stupide pour continuer de croire que l'avenir peut être prédit.


La réalité résistera à l'esprit tant qu'il ne la fera pas sienne, tant qu'il voudra qu'elle ne soit qu'un objet, alors qu'elle est tout sauf un objet. Elle est le Tao, le grand ordonnancement, elle est Dieu, ou bien la cause première, ou l'univers illimité, ou encore l'Etre suprême: la voir comme un objet, c'est décider qu'un cube n'a qu'une seule face, et s'acharner à le caractériser par cette seule surface. Voir la réalité comme un objet, — ce qui est propice bien sûr à créer un éventail de représentations fragmentaires, c'est d'abord et avant tout oublier qu'on en fait partie.


Et s'imaginer naïvement qu'on peut s'en abstraire pour l'observer.


Mais nous savons depuis peu que le regard de l'observateur modifie l'expérience. Bohr, Heisenberg, Shrodinger ont porté l'estocade. Confirmé Tchouang-Tseu par le chemin des écoliers de la pensée logique, plus de deux mille ans plus tard. Si tout nous échappe aujourd'hui, si tout s'échappe, —autant dans la science devenue religieuse que dans la politique devenue économique, c'est tout simplement que notre territoire est beaucoup plus vaste que ce que nous imaginions un siècle en arrière seulement.


La révolution quantique est en marche.


Plus aucune perspective ne pourra plus être totalitaire, et séparer le réel du réel, sous prétexte que nous pouvons le découper en zones étanches les unes aux autres. Le « contrôle » a échoué (politique, économique, moral), il faudra bien se résoudre, pour survivre, à prendre le chemin de la coïncidence, de la synchronicité, de l'harmonie. L'homme moderne veut embrigader les centaines de millions d'emboîtements des forces universelles entre elles dans un petit paquet conceptuel, mais il doit maintenant s'y prendre autrement. La folie des grandeurs du Mental ne l'a mené nulle part. En dépit de toutes les mises en scène de ses projets historiques, en dépit de ses prétentieuses découvertes, l'homme reste infiniement blessé par son impuissance à maîtriser correctement le temps. C'est que, pour faire corps avec lui, il convient de ne pas l'amputer de ce qu'il apporte d'indéterminé à chaque seconde, car c'est là que la grâce fonctionne. Là que l'intuition souveraine inspire. Quand l'esprit est libre de tout contrôle, présent au lieu d'être projeté en avant dans quelque projet, il reçoit le chuchotement bienveillant de l'univers, et, bien qu'avançant vers aucun point précis, il marche avec l'ensemble, sans heurts, sans tambour ni trompette, sans même vouloir se rendre où que ce soit, puisque tout est là, rassemblé dans l'ouverture exhaustive, le souffle qui donne. Si tout se répond au micron près et à la nano-seconde près, — l'étanchéité n'existant tout simplement pas dans l'univers quantique, nous sommes encore loin d'une seule approche qui combinerait l'astrophysique et la nanophysique, séparées toutes les deux par la biologie et ses effarents mystères, dont le plus redondant est celui de l'embryogenèse: 1 spermatozoïde + 1 ovule + 9 mois = 1 bébé !


Des transformations atomiques à l'expansion des galaxies, il n'y a pas lieu de supposer qu'il y ait le moindre interstice, que les univers soient indépendants les uns des autres. Mais le Mental rechigne à oublier ses calculs (de simples projectiles) pour se fondre dans l'illimité, sans aucun mode d'emploi. Et pourtant, certains l'ont dit, qui ont laissé des traces. Oubliées, ou réservées aux questionneurs d'abîmes. Pérennes, ils obnubilent, envoûtent, ou font école, ceux qui ont transgressé la tyrannie de la pensée. Et bien avant Heisenberg, ils avaient compris que le combat entre les certitudes et les incertitudes était voué à l'échec. Ils se sont postés au-delà du oui et du non, dans un consentement absolu, qui peu à peu a eu raison des nerfs agités, des émotions duelles, des pensées qui, pour mener quelque part, doivent éliminer tout le reste. Ils ont rejoint l'unité insécable, si totale, si absolue que lui donner un nom, c'est déjà la perdre de vue.


Le Tao que tu dépeins n'est pas le premier ordonnancement.

Lao-Tseu


Bien sûr, il est nécessaire de pouvoir imaginer l'infinitésimal et ses réseaux de transformations spontanées pour parvenir à cette conclusion, mais c'est justement l'un des objets de la mécanique quantique, — l'interaction absolue. Dans l'immensité, tous les rapports qui existent entre le vide et les corps sont multiples. Les « objets » qui émanent et ceux qui attirent se dispersent, ceux qui donnent de l'énergie et ceux qui semblent la manger, comme les trous noirs, « obéissent-ils » aux règles que certains aimeraient bien inventer à défaut de découvrir ? La flexibilité de ces lois est telle qu'elles ne peuvent donner, en toute logique, que sur des cas particuliers, grossièrement inféodés aux mêmes règles. L'astro-physique, comme tout le reste, n'échappera pas au développement exponentiel de la complexité, nécessitant de nombreuses théories aux champs d'application fort limité pour chacune.


Comme dans le jeu d'échecs, dans lequel le nombre de parties est illimité alors qu'on suit exactement les quelques règles fort simples à chaque nouvelle confrontation. Obtenir donc des modèles dynamiques de la réalité, ce qui est grosso-modo l'objet de la physique, qui aime investir toutes les transformations possibles de la Matière, a jusqu'à présent donné des résultats fiables dans le monde assez carré de notre vie humaine. Au-delà, l'Infini règne. S'acharner à considérer qu'une vision intellectuelle juste des lois de l'univers ouvre les portes de la conscience, et met le meilleur avenir à notre disposition, voilà la nouvelle illusion dont nous devons faire le deuil. La réalité, de toute façon, nous glisse entre les doigts, quels que soient les noms qu'on lui donne. Tant mieux pour les quelques progrès, et encore! Le développement anarchique de la chimie industrielle a contaminé le sang de la terre, aujourd'hui empoisonnée. La physique a percé le secret de l'atome, et la bombe atomique a suivi. Les illusions futures qui procèdent du même mental gourmand tendent à imaginer des croisements de cellules nerveuses avec des circuits nanotechnologiques. L'apprenti-sorcier meurt et ressuscite tour à tour, aveugle au suprême secret de l'intelligence: transformer le « sujet » lui-même, comme n'ont jamais cessé de le chanter les « sages » de l'Orient, et quelques saints exemplaires bien de chez nous.


La complexité ne peut cesser de se dévoiler. Plus on la reconnaît, plus on l'approche, plus elle révèle de nouvelles combinaisons, structures et processus. Et il n'y a pas de raison que cela s'arrête. Et quand cela est compris et intégré, le mental ne part plus à la pêche de la vérité extérieure, mouvante, éphémère, accordée aux lois des cycles, aux us et coutumes des hommes alentour, accordée au passé. La révélation d'une vérité intérieure se fait jour, qui n'aura plus besoin « d'explications » pour trouver son chemin. Etre, c'est être au diapason du Tout, et pour cela, il est nécessaire bien longtemps de cesser de vibrer au seul diapason des ambitions, ou des objets de prédilection gratifiants. Quand ce chemin se poursuit, une indignation peut survenir.


Cela vaut-il vraiment la peine de dépenser des milliards dans des cyclotrons, pour créer des particules qui « vivent » une milliseconde ? Des fusées d'exploration, pour quoi faire ? Pour fuir l'exploration du cœur, de la générosité, de la solidarité humaine-terrestre. Le développement spécialisé d'une certaine recherche ne constitue-t-il pas une fuite en avant destinée à cacher sous le tapis les vrais problèmes de l'homos sapiens sapiens ? La paupérisation des masses, la pollution industrielle et le réchauffement climatique, la fragilité des démocraties, l'erreur partielle de la compétition économique, l'anarchie financière ? Après tout, qu'il s'agisse des investigations scientifiques qui établissent avec amertume que l'incertitude constitue le modèle le plus approprié du mouvement initial, ( « contrôler » n'est pas une mince affaire dans l'infinitésimal), ou qu'il s'agisse du monde historique, le même type de recherches échoue systématiquement. Auguste Comte s'est trompé autant que Karl Marx. L'avenir est indéterminé, et le piéger dans des équations, des lois ou des règles, dans des codes ou des impératifs, c'est se moquer de la réalité: Elle ne se laisse pas mettre en boîte. Elle va trop vite pour cela. Elle entrelace des millions de paramètres qui se combinent et provoquent des dommages collatéraux autant que des émergences inattendues. La réalité historique est imprévisible, de la même manière que le principe d'incertitude régit le potentiel éphémère et toujours renouvelé de l'infime réalité insécable.


Nous devrions donc tirer des leçons du vingtième siècle, et renoncer à l'arrogance de la pensée.


La première serait de relativiser le pouvoir des découvertes. Elles n'ont qu'un impact limité, le plus souvent récupéré par le pouvoir en place. Autrement dit, l'intelligence n'est pas libre. Elle est surveillée de près par le politique, elle doit servir tout d'abord l'armée et la Défense, puis le profit. D'où les irrémédiables perversions comme la bombe atomique, les recherches paranormales dans les services secrets, les laboratoires qui fabriquent des virus, la surveillance technologique absolue, un scénario fort plausible sans le réveil des masses ou de grandes catastrophes.


La seconde leçon serait de relativiser le pouvoir des représentations, qui sont toutes, à différentes échelles également, de la loi tribale à la théorie du big-bang, des modèles de la réalité. Qui tour à tour ont imposé leur dictature aux peuples. Dictature de la loi de l'Eglise, puis dictature de la Raison, enfin la dictature de la Finance mondiale, qui elle aussi repose sur la représentation de l'économie, comme alpha et omega du progrès universel. Mais, me direz-vous, si les représentations s'effondrent, qui nous guidera ? Je vous demande d'abord de répondre à cette question: quelles représentations nous ont-elles guidé dans la bonne direction ?


La morale, la religion, la Science, la démocratie ? Autant de systèmes bien ficelés qui ordonnent chacun une conduite et un ensemble de croyances. Voyez-vous vraiment du progrès de l'arc à la Kalachnikov, du sabre au missile ? Quelle avancée, des dix commandements de Dieu à la dictature du prolétariat ? Du poisson frais au surgelé ? N'y aurait-il pas seulement une efflorescence du même pouvoir, une expansion brute de la même chose, dénuée de tout caractère évolutif ? De simples substitutions qui maintiennent le même ordre exactement: la guerre pour les armes, des plus primitives aux plus sophistiquées. La manipulation de l'homme par l'homme, des multiples décrets divins aux innombrables ismes qui sévissent encore. L'adoration de l'alimentation, du simple troc de denrées aux hypermarchés qui, rendant l'obésité obligatoire, sont indirectement au service des industries pharmaceutiques, des multinationales de la distribution et des chirurgiens esthétiques.


Certes, les représentations évoluent, et depuis qu'elles ont incorporé la complexité dans leur déploiement, elles deviennent à la fois plus précises et plus limitées. C'est à la conclusion à laquelle sont arrivés de brillants physiciens, avec la question de cerner le champ d'application exact d'une théorie, souvent bien moindre que prévu, d'autres paradigmes empiètant dans le cadre convenu. C'est à cette conclusion également que parvient Edgar Morin, thuriféraire d'une philosophie du cœur, et qui se garde de recommander la moindre généralisation, alors qu'il continue d'espérer, contrairement à d'autres, en particulier les éveillés de la non-dualité, que les «systèmes » seront un jour efficaces pour guider l'approche de la réalité, afin d'améliorer le politique. Enfin, l'extrême complexité a été commentée en long, en large et en travers par Sri Aurobindo dans la vie divine, puisqu'il affirme que tous les plans de conscience transcendantaux peuvent s'épauler, correspondre à différents types d'approche, et qu'ils n'ont pas à être séparés de la réalité sensible et phénoménale: la Matière étant de l'énergie sous une forme dense, qui lui donne l'apparence de la stabilité. Il s'ensuit une vision d'ensemble époustouflante et confondante, qui donne un champ de réalisations infinies à l'Esprit, notre source cachée. Un moyen simple et efficace, cette lecture, de prendre du recul sur l'Histoire qui, plus que jamais, déçoit.


L'ultime leçon à tirer du vingtième siècle, c'est donc que les représentations ne sont que des représentations: il demeure impossible de prévoir leur pouvoir dans le monde phénoménal. Quant aux nouvelles représentations, leur but est justement de connaître leurs propres limites d'application, ce qui commence, enfin! — à sourdre dans le développement des études sur les systèmes complexes, aussi bien que dans les transmissions des « nouveaux éveillés ». Ceux qui préfèrent témoigner plutôt que développer des modèles de saisie de la réalité intérieure ou extérieure. Avons-nous encore le temps de nous libérer des représentations tyranniques et totalitaires, autant de celles qui, quelles que soient leur beauté, ne donnent strictement aucun mode d'emploi de la réalité alors qu'elles feignent de produire des pistes ? Oui, en consentant à l'Indéterminé, le fossoyeur du passé.


Natarajan
Shanghai,
Décembre 2011.



« Le chaos ouvre la voie. »

La « chute » culturelle en marche est proportionnelle à une nouvelle donne historique. Il faut en quelque sorte « posséder » la vision naturelle et aboutie du yin et du yang pour voir que les choses se passent ainsi et donc ne pas s'inquiéter. La descente fait forcément de la place pour une remontée, mais sans une pratique assez intense de la méditation, on se laisse avoir par les apparences. Ce redressement spirituel ne sera ni politique ni économique, mais psychologique quand nous pourrons éviter le déni de réalité. Cela peut prendre du temps, et sera sans doute jalonné par des batailles. Je ne peux pas dater l'ascension collective, mais je ne vois pas pourquoi elle n'aurait pas lieu. Une époque comme le cinquième siècle avant Jésus-Christ peut se reproduire, à partir d'une nouvelle donne. Nous devrons avant épuiser les erreurs, afin qu'il ne reste plus qu'une possibilité: la vérité. C'est à quelque chose près une citation de Sri Aurobindo, mais c'est aussi une impression personnelle que m'impose le supramental, et qui me donne la force de poursuivre. Toujours est-il que le procédé de mort et de renaissance a toujours existé dans bien des domaines, le seul problème, c'est qu'il s'effectue à l'insu de notre plein gré. Nous ne voulons pas des crises, et pourtant elles nous sauvent. Bref, je ne me sens pas d'épiloguer sur le sujet clé du moment, la Grèce et ses mensonges, la manière dont elle a profité de l'Europe sans y croire, pas plus que je ne saurais préconiser de solution, n'étant pas expert en matière politique. J'ai simplement l'impression qu'une fois de plus la référence est La Fontaine, avec même un cocktail de fables à emboîter les unes dans les autres, le corbeau et le renard, Perette et le pot au lait, les grenouilles qui demandent un roi... Je souffre plutôt de l'impéritie humaine, de ce manque de lucidité qui attaque souvent les peuples aux vies envoûtées par le soleil, et qui ne savent pas, par conséquent, prévoir. Bien sûr que les allemands sont les fourmis et les grecs les cigales, mais cela ne fournit aucun débouché. En supposant que le laxisme soit possible en Grèce, et constitue même une manière de gouverner, pourquoi pas ! L'Europe en revanche ne peut pas fonctionner de cette manière-là. Donc, même sans porter de jugement de valeur sur les difficultés administratives de la Grèce, chroniques, le problème est qu'aujourd'hui ces difficultés débordent de la nation et affectent les pays alentour. Il n'est donc pas stupide d'imaginer que l'Europe s'est construite davantage sur une croyance quasi religieuse, cette idolâtrie de l'avenir qui signe l'esprit occidental, que sur des analyses et des jugements rationnels. On en revient toujours là, à la prétention du mental de créer les univers homogènes qui l'arrangent, du dessus, avec des collages artificiels. L'hétérogène résiste, car il est ancré dans la matière et l'Histoire, dans les singularités, les particularismes et les différences, et la manière d'estomper les barrières avec des idéologies survolant les frontières, ça ne fonctionne pas. Mais le mental ne sait pas tirer de leçons de l'Histoire, et il perpétue les mêmes erreurs, en changeant seulement le contexte et la forme, pour oublier les échecs passés. Le hamster court sur sa roue qui tourne, il se dépense mais ne se déplace pas.

Alors je me réjouis d'autre chose, de cette incroyable synchronicité qui prouve enfin que l'intelligence de la Terre avance. C'est très lent, je veux bien le reconnaître. Quelques intellectuels sont en train de tomber sur le pot-aux-roses que nul n'osait regarder de près: le cerveau ne fonctionne pas de la même manière selon le lieu de naissance et l'époque, et même s'il n'existe que quelques types fondamentaux, ils sont indiscutables. Au moment même où, après des mois de travail d'écriture sur « le présent », j'avais la révélation des matrices conceptuelles, François Jullien jette un pavé dans la mare, publié à la nrf, un lexique euro-chinois de la pensée, qui développe ce que j'avance moi-même : la perception globale du réel ne s'effectue pas de la même manière dans l'esprit chinois et l'esprit occidental. Je ne vous cacherai pas la surprise qui m'attendait quand, me rendant, au retour de Bali, au marché aux livres de Brancion (la foire aux bouquinistes de Paris) je suis tombé sur cet ouvrage. Enfin! Cessons de nous imaginer qu'il n'existe qu'un modèle de perception, non, il y en a plusieurs et le nôtre n'est ni meilleur ni pire que les trois autres que j'ai identifiés et décrit dans les vidéos. Notre matrice conceptuelle est dévorée par le devenir, et quand le devenir s'arrête, elle tombe en panne. C'est ce qui va se produire. L'ordre, à son terme, produit du chaos.

L'intelligence avance aussi parce que beaucoup de citadins ouverts et « branchés » se lassent de l'esprit analytique, cette fausse panacée qui voulait s'approprier le réel en le décomposant, et en le rebâtissant avec des concepts créateurs. Il y a un retour à l'intuition, à l'intelligence émotionnelle, au respect de l'altérité qui s'effectue, et ces trois aspects qui se combinent vont permettre une nouvelle éducation dans certains milieux. Le clivage va finalement se renforcer aussi entre les tempéraments narcissiques et les caractères ouverts, ce qui promet des grincements de dents dans les familles et les ménages. Que les choses nous échappent, que l'Histoire s'essouffle et s'effrite, voilà l'occasion de s'ouvrir à de nouvelles alternatives, pour ceux qui savent s'adapter, tandis que les autres vont s'accrocher à leurs privilèges. Il faut y voir le Divin dispersé dans le fragment individuel pour supporter ce spectacle terrible qui s'avance. Un système faux va s'écrouler, que nous ne savons pas encore comment remplacer. Raison de plus pour se tourner vers les ressources intérieures, vers le moi qui résiste à toutes les identifications au non-moi, qui se sait présence, qui sent sa légitimité absolue, quels que soient les avanies de l'Histoire, les grimaces du singe pensant prétendant être homme sans en avoir les moyens.

L'intelligence avance aussi parce que les vérités deviennent relatives à toute vitesse. Les contradictions de la mécanique quantique nous rappellent que nous ne savons presque rien, en tout cas rien de définitif, avec cette matière noire invisible... certains commencent à se douter que l'échelle de l'atome est déjà considérable, et qu'il peut se passer des processus totalement inconnus bien au-delà du milliardième de millimètre, pour lesquels nous n'avons ni théorie convaincante, ni moyens d'observation bien entendu. L'échafaudage de Planck, qui regroupe un nombre homogène de concepts et de données, donne le vertige. Il existe peut-être un monde si infinitésimal, mais sans doute homogène, que la gravité ne s'y manifesterait pas ou d'une manière paradoxale, inconnue, ce qui serait une entorse, naturellement, à cette vision de l'espace-temps unique d'un seul tenant. Il en sort les théories des supercordes, ou celles des boucles, que l'intelligence peut à peine supposer, à peine deviner, sans pouvoir appréhender tout ce que cela implique. Bref, l'atome n'est plus ce point minuscule qui symbolisait l'engendrement de la matière. Nous remontons encore plus loin, dans du plus petit, de l'inexprimable, voire du non quantifiable pour des décennies encore. Relativisons, c'est notre seule chance de nous en sortir.

28 Juillet 2015


Tous les vieux pouvoirs refusent et condamnent la relativisation. Parce qu'ils ont une peur bleue du mouvement, du mouvement en soi qui attaque les vieux dictats. Ainsi, Ratzinger, avant d'être élu pape, n'était ni plus moins qu'un idéologue de l'Église. Ce brave Umberto Eco nous le rappelle dans « construire l'ennemi » chez Grasset, qui comporte deux articles très inspirés, construire l'ennemi et la flamme est belle.

Homélie du 18 avril 2005 :

L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure : le Fils de Dieu, l'homme véritable.

Non, le relativisme sert aussi à remettre en question les certitudes obsolètes, c'est le mouvement de Newton à Einstein, et d'Einstein à la mécanique quantique. Le relativisme, c'est ce qui permet à toute âme sans orgueil de comprendre que le musulman sincère vaut bien le juif sincère qui vaut bien le chrétien sincère, et l'hindou sincère, et l'humaniste engagé et athée. Le relativisme est simplement le chemin de l'absolu lui-même, puisque le vainqueur du temps, à force de souffrir de tout ramener à des valeurs relatives, à force de voir sa pensée épouser tout et n'importe quoi avec la même ferveur — s'élance dans le vide. Mais Ratzinger, comme tous ceux qu'il représente, avait besoin de certitudes imaginaires pour vivre. Il a cru que la foi avait besoin d'un objet, ce qui est faux dans l'absolu, et qu'il fallait trouver dans le Christ l'objet de la foi. Mais pour ceux qui peuvent se passer d'objet et de personnification, ceux que j'appelle les évoluteurs, et qui dépassent les racines de leur milieu, la foi en le seul Divin, même inexprimable, surtout inexprimable, absolument inexprimable, est un fait intérieur largement suffisant pour s'élancer dans la vie spirituelle. Une vie spirituelle balisée par des valeurs morales n'est rien de plus qu'une superstition, et, encadrée par un dogme « régional », elle manque l'aventure du carmel intérieur. Il faut se savoir ange et bête, ange et démon, et commencer à départager les adversaires pour s'impliquer dans une voie. Vivre dans le déni de la dualité finit plus souvent qu'à son tour par fabriquer des prêtres pédophiles, les maillons faibles de la lignée des partisans du dogme de l'Église. Etre humain n'est pas une petite histoire qu'on récupère avec des mots d'ordre, quels qu'il soient. Mais l'habitude est encore là, profondément ancrée. Les mots d'ordre demeurent, seulement ils s'inversent. Ratzinger avait sans doute peur d'une société qu'il voyait venir, dans laquelle il aurait été suspect de ne pas être homosexuel... C'est vrai que bientôt tout le monde y sera encouragé, par de fallacieux discours sur le « choix personnel du genre »... Il craignait sans doute d'autres maux, provenant du relativisme, c'est-à-dire, pour parler vrai, de l'accélération de l'Histoire, comme un scientisme tyrannique, avec des clones jumeaux pour les plus riches, ou comme une islamisation générale qui relèguerait Jésus, fils de Dieu, à n'être que l'avant-dernier prophète, incapable de « faire la loi » sur la terre. Mais le fait est que toutes les peurs nous viennent seulement de notre incapacité à faire confiance à la liberté de l'autre, comme si elle empiétait déjà —sui generis— sur la nôtre... Non, s'il nous attaque, le libre arbitre de l'autre, plantons notre bivouac ailleurs. Chacun a droit à vivre ses valeurs, chacun est déjà l'amorce du Divin, et je dois le répéter pour ceux qui n'ont pas eu la chance, comme Sri Aurobindo et moi-même, de passer par l'expérience de « Vasudeva ». Le chaos va grandir, c'est le garant de l'évolution, le progrès passe toujours par des phases hétérogènes et destructrices, la nature nous le dit avec l'oisillon qui brise sa coquille, la chrysalide qui stagne avant l'essor du papillon nous prévient. Pluton nous impose l'hétérogène mordant avec « la crise incontournable ». A ce propos, vive la synchronicité, nous approchons de Pluton et le prenons en photo de près juste au moment des signatures (pourries) avec la Grèce. Encore un complot du hasard, qui en dit long sur l'univers fractal.

En ce qui me concerne, je ne vois rien d'autre que la liberté humaine s'exprimer de millions de manières différentes, et je n'ai pas l'intention de réglementer ça. L'Histoire attendait ça depuis plus de trois mille ans... La subjectivité triomphale est bonne ici, mauvaise là, elle entraînera ce qu'elle devra entraîner de désordres, mais bien des chaos l'emportent, par leur intégrité et leur force, sur des systèmes ordonnés et fermés qui croupissent dans des idées toutes faites, et somnolent dans des dictats envoûtants. Une lente révolution alternative est en marche.