Ne
sais encore quelle forme lui donner, dérisoire, ou recherche ?
Penche plutôt vers une nouvelle formule, d'apparence plate.
Montherlant
à Matzneff, en 1971:
— Vous
avez plus de quarante ans de moins que moi, mais ne vous rendez-vous
pas déjà compte que tout est éphémère, que tout est appelé à
disparaître: l'amour, l'amitié, nous-mêmes, nos livres ?
Cela
fait echo à une drôle de sensation hier, quelques secondes pendant
lesquelles j'ai senti que même si je vivais cent-cinquante ans, ce
ne serait pratiquement rien. Je me suis laissé emmener par Trinh
Xuan Thuan la semaine dernière dans l'espace, grâce à son
magnifique Le
cosmos et le lotus, et
j'ai dû percevoir les choses à une autre échelle. D'autre
part, au mois de septembre, j'ai été pris dans un mouvement
d'anéantissement du moi assez profond, qui m'a permis de juger
des événements que j'avais vécus en août avec une distance
incroyable. Je ne suis plus le même que celui qui a été remis en
question par une personne qui se sentait l'année précédente très
proche de moi. Nous étions profondément unis, cela ne s'est pas
reproduit, c'est dommage, elle a beaucoup de qualités et je
croyais, étant largement son aîné, l'aider dans son travail, qui
concerne aussi «les prises de conscience». Je n'ai rien à
redire, car je suis le seul «maître» qui défende la liberté
becs et ongles. J'étais totalement identifié à elle, et donc à
son réquisitoire varié pendant son numéro devant le groupe d'une
dizaine de personnes. Je me suis mal défendu, puisque j'étais
juge et partie. Peut-être reviendra-t-elle à de meilleurs
sentiments, ne serait-ce que pour être logique avec elle-même, et
la reconnaissance dont j'ai fait l'objet de sa part. Bref, entre
l'anéantissement du moi en septembre, et cette curieuse impression
d'hier, qu'une vie de cent-cinquante ans équivalait celle d'un
papillon, je me demande s'il n'y a pas quelque chose en moi qui
veut s'ouvrir à un dépassement total des frontières de la
perception. D'un autre côté, je demeure un type très simple, qui
subit encore des attractions «sexuelles» sur le moment, mais plus
rien ne s'y accroche, et au lieu de me sentir humilié, comme cela
m'arrivait parfois, je saisis la puissance de la vie dans son
essence. Les frustrations sont devenues légères, presque douces,
car derrière elles, je trouve l'amour du féminin intact, et qui
doit pouvoir se passer d'objet.
Ma
capacité de connaissance par identité s'accroît encore, je ne
sais pas si j'ai bien fait de dire dans le
blog
que j'aimais Jean-Marie le Pen, mais ce n'était pas de la
provocation. Je me sens lui, autant que je me sens être Gabriel
Matzneff, ce prototype de l'homme si reconnaissant de vivre qu'il
ne sait s'empêcher de séduire, alors même qu'il vient
d'épouser une jeune fille remarquable, à trente-quatre ans.
Sincère mais jamais authentique. Pour Gabriel, honte de soi après
les coucheries, mais ça recommence quand même. J'ai dit
quelquefois en consultation astrologique à certaines personnes,
qu'elles avaient «trop reçu», et qu'elles ne savaient donc
pas rendre à Dieu ne serait-ce qu'une partie de leurs dons. C'est
le cas pour l'auteur d'Elie
et le Phaeton, par
ailleurs un livre comique, puisque l'écrivain passe son temps
entre les ecclésiastiques et les hommes de lettres d'un côté, et
la drague sur fond de mariage dont il attend trop, de l'autre. Un
tel mélange de genres confine au génie pur ou à la perversité
absolue. Je n'en sais rien encore, je ne suis qu'à la moitié du
livre, d'ailleurs excellent. Tout l'homme «générique» est
là: les bonnes résolutions, puisque chacun de nous sait que
l'univers entier attend de nous la droiture — de nos proches à
Dieu himself, contre l'imposture du désir aussi immédiat
qu'insatiable. Mais l'imposture tient bien la route:
la nouveauté est le tyran de mon âme,
dixit Casanova cité par G M.
Trop
recevoir peut être un cadeau empoisonné, cet homme était très
beau, d'une taille imposante, mince, et abordé pour son apparence
aussi bien par de jeunes garçons que par les filles et les femmes.
Avec son tempérament mystique bien entendu, pour être certain
d'avoir une vie bien remplie sur tous les plans, il ne savait pas
se priver de quoi que ce fût (contrairement à moi, ce qui explique
que le Divin ne m'ait pas abandonné). Son admiration pour Byron
laisse entendre une communauté d'âmes précise. Les adorateurs,
extrêmement évolués, de la Beauté, et qui n'en sortent pas. Sri
Aurobindo dit lui aussi que la beauté constitue un des derniers
obstacles, le palier presque infranchissable, et j'ai perdu
moi-même plusieurs années de sadhâna à la suite d'une
expérience de quelques minutes seulement, qui m'a mis en contact
avec le Désir éternel... (2005). Les fleurs étaient des symboles
sexuels évidents, le frottement du vent sur le scooter était
presque orgasmique, la vibration était une contrefaçon du
supramental, par sa beauté, profondeur, largeur et hauteur, mais
sans le vibrion énergétique. Traduit en «conscience», cette
énergieforce, par sa seule présence tentait de m'acheter. Mon
ascendant Taureau était d'accord (plaisirs plus impunité) mais je
ne suis pas dépositaire que de l'énergie astrale du moment précis
de mon premier inspir. Un Saturne fort veille à tenir en laisse
Vénus, aussi puissante, autant dire que si je parle des dualités,
c'est parce que je les connais. Pourtant Miss Beauté existe et
saute à la gorge, alors il faut pouvoir être saisi par elle dans
d'autres domaines, l'art, la reflexion, la création, pour lui
tenir tête sur le plan du désir sexuel qu'elle inspire, sans
vergogne, quand il s'agit de la beauté incarnée en homme ou
femme. Rechercher un
ananda
dépourvu de toute sensualité est contraire à la vie, le plaisir
peut se réfugier avec noblesse dans le sommeil, l'action physique,
l'alimentation sobre et diététique, que je découvre enfin.
Vouloir complètement l'éradiquer est une erreur, qui expulse de
la vie. Gare aux compensations dans le pouvoir sur les autres, au nom
des vérités absolues, ce qui pend au nez des vertueux
obsessionnels, qui finissent dans le fiel et la haine des femmes pour
les hommes, et le mépris pour les hommes chez les femmes. Il y avait
à boire et à manger chez les jansénistes, et pourtant dans
l'ensemble, leur culte de la droiture constituait le contre-pouvoir
nécessaire à la licence des moeurs royales et de la cour. Quand le
désir blesse profondément, le moi peut se raccornir ou en vouloir à
la vie, trop triviale. Pourquoi ne pas citer Schopenhauer, lui-même
évoqué par un excellent romancier anglais Hanif Kureishi:
«L'instinct
sexuel est l'essence même de la volonté de vivre. On pourrait
ainsi dire que l'homme est un désir sexuel fait chair puisqu'il
est né d'un acte de copulation, que son souhait le plus intime est
un acte de copulation, et que cette tendance à elle seule perpétue
et concentre toute son existence phénoménale. L'instinct sexuel
est la manifestation la plus parfaite de la volonté de vivre.»
Freud, Nietszche, et ce dernier penseur attaquent en même temps le
déni de notre condition «biologique», et Darwin n'y est pas
allé de main morte non plus. L'homme occidental consent enfin à
reconnaître qu'il est une bête, et espérons que ce sera autant
dans le but de s'en affranchir en la connaissant que de s'y
soumettre, par la grâce obscure du matérialisme pur et dur et de la
divinisation de l'objet. Effroyable lucidité de Matzneff, il
reconnaît même la valeur du jansénisme, et continue à butiner les
femmes, alors que cela mine son épouse, et le culpabilise. La
sophistication du moi, la vie urbaine poussée jusqu'au génie des
rencontres faciles avec des humains «sortis du lot» dont l'amitié
tient plus à un partage corporatiste de prestige qu'à une
sincérité profonde (il assiste à la fin de Montherlant); la
complaisance du moi triomphal-triomphant qui a sorti son épingle du
jeu par le succès, tout cela a fait son temps pour l'Evolution, ce
système
plafonne
dans des vies de privilégiés, qui souffrent quand même de l'amour
et d'être dépassés par les événements, et qui sont torturés
par la dérobade de leurs attentes, alors qu'ils ont l'habitude
de tout obtenir sans coup férir. L'éducation princière de
Bouddha a sans doute quelque chose à voir avec sa doctrine.
Suffit-il de tout s'accaparer en claquant des doigts pour jouir de
l'existence ? Peut-être s'il n'y avait ni la vieillesse ni la
mort — cette entropie
qu'aujourd'hui le Supramental attaque de front, comme l'agenda
de Mère l'atteste.
Des
vies pleines de satisfaction d'accord, mais qui souffrent de ne pas
acheter la compréhension absolue des choses, que seul le renoncement
prodigue. Matzneff le sait, mais n'a pas la force de l'appliquer.
Combien d'hommes comme lui, qui passent leur temps à fuir Dieu qui
les appelle, car Il n'est pas une femme désirable ? Je me sens
très proche de lui, j'ai réussi peut-être ce qu'il a échoué,
car moi aussi j'étais très sensible à la beauté, à la
littérature et au voyage, mais comme j'étais dévoré par mon
aspiration à la Vérité: je n'ai jamais été vraiment complice
de mes seuls désirs. Il fallait qu'il s'y mêlât une sorte de
reconnaissance de l'autre qui se produisait rarement. Puis à
partir de la réalisation du soi, à vingt-quatre ans, l'érotisme
m'a paru un jeu plus qu'autre chose, et j'ai eu une liaison
quelques mois avec une fille, une ouvrière, et souvent je sentais
monter la kundalini dans mon dos, pendant l'amour. J'ai été
triste de la quitter, mais le devoir m'appelait dans une histoire
invraisemblable que je compte raconter un jour, où je me suis mesuré
à de drôles de forces «cosmiques», et là, comme si c'était
un héritage karmique, j'ai sacrifié une aventure qui se dessinait
et m'appelait vraiment très fort pour rester droit dans mes
bottes. L'enjeu était trop important pour que je pense à moi:
magie, faux christ et compagnie.
Je
sais que j'en énerve plus d'un quand je dis qu'il ne peut y
avoir de vie hautement spirituelle sans sacrifices, mais c'est vrai
si l'on se voue au Divin. Si l'on se contente du
soi impersonnel,
aucun sacrifice particulier n'est demandé. Un éveillé vous dira
même, s'il n'est pas dans la
bhakti,
que le sacrifice est un calcul, et qu'il ne vaut pas un clou...
Mais l'évolution insiste aujourd'hui pour aller plus loin, et
deux raisons principales nous y poussent, la mystique pure ou le
besoin urgent et dévorant, à la Rimbaud, de changer la vie. Ce
n'est ni la faute de Sri Aurobindo, ni la mienne si aujourd'hui
est différent d'hier. C'est un décret qui tombe d'En-Haut, et
nous prenons le train ou non. Je l'ai pris et je verrai bien où
cela mène. Les choses vont très lentement mais je ne m'en plains
plus. Je m'identifie avec plaisir également à Darwin, à
Sheldrake, à ceux qui pistent le pouvoir transformateur du présent,
et le déchiffrent. Teilhard de Chardin bien sûr. Mais nous sommes
définitivement entrés dans l'ère de l'orgueil humain, du
petit singe debout qui veut tout résoudre par lui-même,
et croit encore à ses lamentables miracles scientifiques, à ses
droits de l'homme aussi vite bafoués qu'exportés, à sa
technologie qui crée un monde de schizophrènes béats ne vivant
plus que pour communiquer avec du semblable identique. (Le semblable
similaire n'est déjà plus un assez bon miroir de sa propre
complaisance.)
Depuis
Bergson, je ne vois plus en France de grands esprits capables de
reconnaître le Divin sous une forme ou une autre. Après le grand
nivellement marxiste, l'humiliation de la Shoah et la philosophie
consécutive de l'absurde, la fuite en avant de la mondialisation
pratique entraîne tout sur son passage. Il reste un renouveau
spirituel d'un côté, mais déjà rempli de nombreuses formes de
bien-pensance exotiques ou locales, ou d'un intellectualisme
moribond, quand ce n'est pas du narcissisme transcendantal. J'ai
noté aussi que tout ce qui est noble disparaît mystérieusement, la
poésie n'intéresse plus personne, et Canal
Plus
trouve drôle de parler de De Gaulle «allant aux putes», ce qui
est non seulement injurieux et hors de propos, mais d'un mauvais
goût suprême qui n'a rien de comique. C'est l'ère de
l'excrément joyeux partagé par tous, une régression dans le
petite enfance. Cacaboudin c'est hilarant. C'est à ce genre de
signes qui me laminent une seconde, que je mesure l'état de la
planète et sa détoriaration. Comme quand j'étais à Sri Lanka et
que j'avais appris que Berlusconi, l'as des bunga-bunga, avait
été élu. Feu vert pour la dégringolade historique, qui parfois
accélère soudain, comme en 2011, avec les nippons qui ne regrettent
même pas de constuire de l'atomique sur leur terre exposée aux
tremblements, et Poutine qui empêche qu'on détrône le Syrien. Et
qui profite du chaos lybien, bien entendu...
Ce
nivellement vers la médiocrité me fait apprécier Bali, où il
s'avère que je vais peut-être résider finalement, la vie y étant
charmante, joyeuse, religieuse et sans drame, dans la fête des
cérémonies propitiatoires. Je mérite cette vie-là. C'est de
justesse que je récupère de plusieurs années abominables, avec un
appareil respiratoire quasiment foutu, une acidité gastrique qui me
réveillait la nuit, alors j'apprécie ce qui m'est donné
puisque je remonte la pente. Je continue de faire de mon mieux, car
j'ai horreur de toute forme de sabotage, et Dieu sait si j'ai vu
l'inconscient tenter de me dévier de mon chemin. Il n'a jamais
pu le faire longtemps, et chaque fois je suis revenu à la rectitude
avec plus de conviction. Mais je comprends Casanova et Matzneff,
Sollers, les chantres de l'existence à la fois cultivée, raffinée
et sensuelle, sans doute à cause des gènes de mon père d'une
part— un adorateur forcené de la vie, qui trouvait même la mort
«injuste», à cause de mon ascendant Taureau d'autre part, et
d'expériences karmiques fusionnelles très probablement. Mais la
supramentalisation ne peut s'effectuer dans le prolongement de la
nature générique, il faut faire lâcher le maximum d'appétits
contingents, et c'est là qu'on se rend compte que certains ne
sont même pas individuels, mais ancrés dans la force de vie
elle-même. C'est une excuse, bien sûr, pour ceux qui retombent
toujours dans les passions érotiques, ou bien celles du pouvoir, qui
frappe parfois des personnes remarquables à travers un karma de
«supériorité» qui les autorise à toutes sortes de fantaisies
et d'injustices. Les déviants
peuvent prétendre être manipulés par la survie de l'espèce, le
besoin d'affirmation personnelle, le besoin de sécurité animal
quand ils thésaurisent. Il y a du vrai bien entendu, sinon
nous serions davantage d'humains à nous êtres débarrassés des
survivances dynamiques primordiales.
C'est un combat à couteaux tirés, qui n'intéresse pas grand
monde.
Il
faut donc avouer que la volonté de fer est nécessaire sur ce
chemin, comme d'ailleurs l'a dit Sri Aurobindo dans ses lettres
sur le yoga.
Je m'y suis fait, je l'ai développée. Mais j'ajouterais que
la chute n'est pas forcement mortelle quand la volonté n'est pas
assez forte et que l'ancien reprend le dessus. Car tout se
renverse, et un besoin de rectitude puissant peut succéder à un
abîme. Ce jeu est néanmoins le plus dangereux qui soit, et
il ne peut être prémédité.
Me
voilà donc revenu dans ma petite île, avec une provision de livres
nourrissants, qui me permettent de mieux juger l'Histoire. Faire
les bouquineries reste le seul rite de mon existence, et me déplacer
à Versailles en bus pour dénicher le journal de Matzneff et celui
de Ernst Jünger, depuis saint-Germain en Laye, reste un privilège.
Peut-être que je m'approche ainsi de ce que devrait être le style
de ce genre, le «journal», qui est des plus difficiles. Il s'agit
de parler de soi sans ambages, sans complaisance ni fausse humilité,
sans même vouloir faire vrai. C'est peut-être le seul moyen de
comprendre les auteurs de lire leurs notes prises
sur le vif,
puisqu'ils trichent forcément dans leurs romans. Enfin, comme ils
parlent du temps qui passe, les grands écrivains sont aussi des
chroniqueurs dans leur journal intime. Des tranches de passé
insoupçonnées apparaissent, des surprises parfois vous tombent
dessus et c'est la douche froide, ainsi, qu'Heidegger soit resté
de son vivant considéré et apprécié par des hommes remarquables,
comme s'ils lui pardonnaient ou ignoraient son antisémitisme
«philosophique». C'est un sujet qui me tient très à cœur,
celui du décalage entre les idées et les actes. Bizarrement, les
personnes qui m'attaquent sur ce chapitre sont bien plus mal loties
que moi-même, mais bon, tout le monde possède ses propres
contradictions, et je dois en posséder, même si elles s'amenuisent
grâce au supramental. C'est lui qui peut «m'améliorer», pas
moi. Je dois prendre les bonnes décisions, et Il s'occupe du
reste.
Une
vie ne peut pas être pleine sans Dieu, mais pour Le faire venir, il
faut vider le grenier des rêves et des attentes, et les caves des
nostalgies et des héritages, ce qui fait qu'il n'y a personne ou
presque qui Le rencontre vraiment. L'on peut aussi tendre vers Lui,
et s'y prendre mal. Le Divin m'a d'ailleurs permis de créer
une nouvelle science, que j'enseignerai peut-être, qui permet aux
âmes blessées par l'incarnation de retrouver le sens de leur vie,
et de leur corps.
Cette méthode s'appuie sur une pratique «spéciale» de
l'astrologie de Rudhyar, révisée déjà en 1990, et permet de
réintégrer en huit séances à peu près, la
logique dynamique des énergies du moment de la naissance.
Elle s'accompagne d'exercices pratiques durant la consultation,
que j'ai mis longtemps à trouver et que je ne tiens pas à
dévoiler maintenant. J'ai obtenu des résultats extraordinaires
sur les deux premiers patients, mais je ne m'en attribue pas
spécialement le mérite. Il y a une intelligence infinie derrière
ce travail, la même d'ailleurs que celle qui me permet parfois
d'intercepter des scories karmiques négatives, alors
je coupe leur champ de forces.
Ma
méthode de «réintégration
gravitationnelle»
ne peut fonctionner correctement que pour ceux qui ont soif du Divin,
car ils sentent que mon discours traverse leur mental, ne les accuse
pas, et leur demande seulement d'acter leur aspiration et leur
besoin de changement. Le Divin d'un côté, l'être psychique de
l'autre, cela permet de réorganiser les fonctions psychologiques
dont je vois l'entrelacement intuitivement, grâce à cette bonne
vieille astrologie millénaire, rectifiée
éveillé du vingtième,
avec ce cher Rudhyar secondé par Alexandre Ruperti (et des
informations tirées des techniciens, Volguine et Ebertin). Tout en
m'accusant de paresse, l'idée mûrit d'une défense de
l'astrologie que je tarde à entreprendre, c'est quelque chose de
compliqué à écrire, puisque la validité de cet art repose
davantage sur des expérimentations sans cesse rectifiées que sur un
paradigme rationnel, mais le projet avance quand même. La
non-séparativité quantique, l'univers comme un hologramme
fractal, les vibrations électromagnétiques inconnues, les facteurs
lisibles finiront par se révéler et «prouver» l'astrologie,
en tout cas celle que je défends, et non pas la prévisionnelle, qui
n' a d'intérêt que sur le plan matériel. Si on voit le futur,
on ne peut plus le changer, il devient imprescriptible.
Il
vaut mieux chevaucher le présent comme un tigre, et le moduler à
chaque instant en tenant compte des fluctuations de la totalité.
C'est ce qu'ont voulu dire Tchouang-Tseu et Héraclite, qui
avaient largement dépassé le mental. Voir le présent «conforme»
dispense de se projeter psychologiquement dans l'avenir. Le présent
est le creuset, mais nul ne peut le ressentir comme l'autre, à
cause des déterminations individuelles qui s'accumulent, hérédité
(ou caractère), éducation (ou conditionnement socio-culturel),
passé de l'âme (ou mémoires karmiques), modèle
énergétique biologique
(ou conditionnement du moment de la naissance). Je suis capable
aujourd'hui de travailler sur ces quatre plans. Si cela doit se
développer, je passerai davantage de temps en France, je crois que
ce travail est vraiment utile, et une percée dans les sciences
humaines. Encore toute ma gratitude à Alexander Ruperti, parti il y
a peu, dont le contact et les écrits m'ont donné confiance dans
l'usage «transcendantal» de l'astrologie, même si notre
contact est resté froid. Et à mon grand père paternel, fils de
paysan de Lozère, repéré par les curés pour ses dons
intellectuels, qui fera grâce à eux des études, puis remboursera
le séminaire, et fondera à Lyon une «boite à bachot» privée.
Peut-être qu'une partie de mon amour de l'étude provient de
cet être qui s'est démarqué, a créé son propre destin en
partant de rien, par la reconnaissance de l'intelligence et du
travail qu'elle exige. Du côté de mon père, deux autodidactes,
son père fait fortune puis faillite, roulé par son associé, dans
la biscuiterie, et mon papa parvient quand même à faire des études
d'ingénieur tout en aidant ses parents ruinés, au «laboratoire»
de la boulangerie où il lui arrive de porter des sacs de cent kilos
sur l'épaule. Il parviendra également à être formé par l'armée
de l'air, et la guerre s'arrêtera juste avant qu'il ne soit
aux commandes de son chasseur. Et moi j'arrive et profite du
travail de mes ascendants. Vie extrêmement facile, et protection
absolue par ma mère. Mais toujours obsédé par la vérité, jusqu'à
une crise assez grave à vingt-deux ans... Le manque, je devais avoir
la nostalgie du soi, je souffrais beaucoup, mais j'ai commencé à
vivre des choses extraordinaires dans le sommeil, et j'ai entrepris
la traversée du bardo.
Cela m'a pris deux ans. C'était terrifiant, mais chaque fois je
progressais sur la peur. Je ne sais pas enseigner cette voie, qui est
la plus rapide de toutes. A la fin, j'ai vu ma propre réalisation,
je cueillais une pomme d'or après avoir lutté contre le diable
qui ne m'effrayait plus, en m'approchant il avait ma propre
figure, et à ce moment-là j'ai réalisé l'adage tibétain, que
tous les phénomènes sont produits pas l'esprit. Je me suis libéré
du samsarâ et moins de deux mois plus tard, au moment où j'ai
décidé de laisser tomber la Voie, exténué, le samadhi s'est
produit...
Tandis
que je déplore le nivellement général de la société,
l'éradication de la noblesse d'âme dans la culture actuelle,
j'observe en contrepoids des découvertes très prometteuses, qui
ne touchent il est vrai qu'une élite pour le moment, celle des
intuitifs purs, voués de près ou de loin à la connaissance ou à
la guérison. Les transmissions transgénérationnelles
sont bien vivantes, au demeurant fort différentes les unes des
autres, certaines se déclenchent comme des bombes à retardement
lors d'anniversaires d'événements terribles arrivés à un
père, une mère ou un ancêtre, d'autres remontent
systématiquement pour empêcher l'ascension, une fois qu'on a
déblayé le terrain personnel. J'ai été privé de mon identité
véritable pendant des années, de 2008 à 2012, tant j'étais
dépendant des souffrances de mes ancêtres, qui ressortaient en
particulier dans le poumon droit.
Voilà
pourquoi juger l'Histoire est impossible: tandis qu'on déplore
certaines pertes, qu'on jugerait bientôt irréparables, d'un
autre côté surgissent des avancées qui chamboulent en profondeur
les représentations du monde. Je me sens tout petit devant
l'accélération de l'Histoire, et il est possible que les
lumières perdues soient remplacées par d'autres, d'un autre
genre, mais la collaboration à l'avenir vrai, à l'avenir divin,
est encore extrêmement faible. Je ne me sens plus capable de juger
si cela est suffisant ou non. Nous
avançons à l'aveuglette,
déplorant des morts nouvelles par ici, fêtant des naissances par
là, et mesurer le progrès s'avère difficile. Ce qui est
rassurant en quelque sorte, ce sont les moments pendant lesquels un
autre «moi» perçoit que l'ensemble se tient, du quark, brique
de l'atome, à la totale humanité prisonnière du temps, qu'elle
parvient quand même à transcender parfois, par des états de
conscience supérieurs, rattachés à l'Esprit. D'ailleurs, la
perte de cette vision une, quand elle m'afflige, me rend malheureux
et je retrouve des états de conscience manichéens que je sais avoir
abandonnés depuis longtemps. La conscience de l'Un libère des
réactions du mental vital, l'adversaire, humain ou circonstanciel
du moment devient autre: une image du Divin très en retard, et il
suffit de s'en protéger, sans même lui en vouloir d'être
contre soi.
L'amour
chrétien mène donc au même résultat que le détachement
bouddhiste, mais il n'est pas plus facilement «praticable». En
tout cas, libérer l'esprit des réactions contingentes, toujours
sources de malheur, d'accusations et de jugements qui ne résolvent
rien, semble bien être un des premiers travaux nécessaires à
l'ascension. Pourtant, certains l'oublient et font encore leur
miel des reproches qu'ils adressent à d'autres, une politique
que j'ai pour ma part complètement abandonnée cette existence-ci.
Tout au plus ai-je tapé sur les doigts de personnes engagées,
incapables de s'astreindre à un minuscule travail que je leur
avais demandé (10 lignes par e-mail
sur un sujet poignant: l'ignorance, à rédiger en deux mois).
M'en voilà débarrassé par la même occasion, ce qui est une
aubaine pour chacun, puisque c'était un engagement de paccotille à
mon égard. Puisque la liberté mène le monde, et que j'ai déjà
beaucoup donné en stages, écrits, facilitation de la Voie,
abandonner mon pseudoséminaire est bienvenu, à moins que je sois à
nouveau appelé et que je sente une vraie détermination. Il sera
donc convenu au départ que je pourrai interpréter les structures du
thème natal pour révéler le travail à effectuer, et personne ne
s'imaginera donc qu'à travers cette connaissance, je cherche à
inférioriser ou juger quiconque. Mais l'ego demeure vivace même
chez certains chercheurs, qui ne cherchent pas la Voie mais croient
pouvoir l'inventer, et ceux-là ne me pardonnent pas de leur
révéler leurs difficultés. Ils n'ont pas compris les exigences
de l'Evolution divine, et s'ils n'en s'ont pas capables,
qu'ils le reconnaissent, au lieu de me prêter leurs propres
intentions (ils n'ont pas abandonné le jugement de valeur et je
suis dans la ligne de mire quand je cesse de flatter). Mon but est
qu'on puisse se passer de moi rapidement, et j'ai peut-être
réussi avec certains, qui ne tomberont pas sous la coupe de
personnages charismatiques cherchant des suiveurs, et qui défendront
ce qu'ils sont contre l'emploi qu'on voudra faire de leur
orientation mystique.
La
vision une est donc fragile et vulnérable. Une fois atteinte, même
installée, un choc l'abolit, et c'est dans cet esprit que j'ai
animé cet été un séminaire sur la nécessité de l'enracinement,
vu comme devant être proportionnel à l'élan vers le Divin. Cet
équilibre ciel/Terre a toujours prévalu dans les doctrines qui ne
veulent pas abandonner la terre à la Matière. Mais la plupart des
êtres spiritualisés ne sont pas assez enracinés, et se laissent
déstabiliser par de simples impressions, parfois subjectives,
profondes et éphémères, qui leur font faire des erreurs
d'appréciation sur les autres, sur leurs propres capacités, et
qui, c'est le pire, leur impose des postures fallacieuses de
supériorité. Un moyen comme un autre de rattraper magiquement
l'unité qu'ils ont perdue en faisant comme si elle était encore
là. Tandis qu'ils s'enferment dans un cercle que nul n'a plus le droit de
contester, et qui est censé être celui de la Vérité, certains
représentants de la Spiritualité agissent encore avec des moyens
archaïques, comme l'autorité, qui pour moi ne veut rien dire.
Soit elle est reconnue intuitivement, et le gourou est donc à l'abri
des critiques vaines, car on sait qu'il agit pour le bien des
disciples, soit elle est exigée par le meneur, et n'a aucun sens
à ce moment-là. La spiritualité n'est pas un art militaire, sauf
si l'on considère que chacun peut devenir un guerrier en
choisissant ses propres armes. Dans tous les cas de figure, une
obéissance obligatoire contrecarre l'involution divine de chacun.
Je ne tombe pas dans ce panneau d'être reconnu ou obéi,
contrairement à plusieurs connaissances qui m'ont débusqué sur
le
net,
car j'y suis souvent moi-même tombé dans des vies antérieures.
Mais aujourd'hui cela n'intéresse ni le Divin ni moi-même que
je joue au Messie.
Il
y a dix-huit mois, j'ai fait une expérience extraordinaire,
répartie sur plusieurs jours, mais je ne sais pas encore comment en
parler, tant c'est invraisemblable. Mais il est bon qu'on sache
que le supramental
agit
de cette manière. Je lisais le second tome des essais
sur la guîtâ,
une œuvre que j'apprécie au plus haut point, et voilà que je me
félicite d'être capable de voir le bien comme le mal sortir du
Divin lui-même, une sorte de contrainte inévitable dans la
manifestation matérielle. Mais tandis que je me vois avoir résolu
ce problème, la
dualité cosmique,
une perception venue du fond de moi-même monte à la surface,
déclenche une émotion violente et je me vois au contraire, dans le
passé, établir une distinction très nette, pour ne pas dire
absolue,
entre le bien et le mal. Je me vois même descendre plusieurs fois
sur la Terre «pour combattre le mal», me faisant fort de
remporter des victoires en utilisant chaque fois des armes nouvelles,
connaissance pure, occultisme, création de doctrines, etc... Je me
retrouve donc dans l'univers quantique avec deux moi simultanés,
l'un encore embourbé dans la dualité cosmique contre laquelle il
s'insurge, l'autre délivré de cette dualité par le
supramental.
Je
n'en reviens pas, c'est imprévu, d'une grande beauté, d'une
profondeur incommensurable, et voilà que je sens l'énergie divine
qui supprime, qui efface le moi quantique du passé, cette identité
qui «combattait le mal». C'est comme un arrachement, et
j'éclate en sanglots et me voilà en train de constater que je
n'ai plus aucune «raison d'être»: je ne suis plus rien.
Si
l'on m'enlève mon combat contre le mal, il n'y a plus
personne, voilà la vérité.
Et
c'est si profond que je reste dans un no
man's land,
comme vidé de tout ressort dans la matinée, mais je sais également
que c'est une action directe du Divin qui vient d'avoir lieu, et
qu'Il me trouvera une nouvelle «raison d'être». Mais
l'arrachement est tel que j'ai une sorte de malaise intérieur et
physique tout l'après-midi. Je parviens quand même à aller jouer
aux échecs avec des chauffeurs de taxi à Nusa Dua, devant un
palace, c'est mieux que rester prostré. Il y a là le joueur qui
tient le coup, mais dans un état lamentable, un fantôme qui semble
agonir — ma vieille «raison d'être» qui décline en
provoquant une petite douleur répartie dans tout le corps, et un
troisième larron, spectateur attendri et vigilant de ce moment
incroyable, et qui se tient comme au-dessus des deux autres.
Certaines
mémoires tenaces se dissolvent, mais celle-ci devait être une
trame
qui recoupait plusieurs existences et elle était très présente au
fond de moi, une véritable seconde nature, un
axe.
Me l'enlever a produit sur le moment, plusieurs heures, un tel
manque que mon corps était dans un état étrange, un mal-être
diffus partout, mais largement supportable. Il m'est arrivé trois
ou quatre fois depuis de tomber d'un seul coup dans l'abîme
d'être là «sans raison d'être», mais cela n'a pas duré
( impression de tituber quelques secondes), et doit sans doute
appeler, par le signal du vide, la nécessité de combler ce manque
par une nouvelle raison d'être. Et comme je n'ai pas envie de
l'inventer, c'est au Divin de me la remplacer.
C'est
peut-être justement parce qu'il reste de moins en moins de «moi»
que je suis autant pénétré par les autres, et que je sens ce qu'il
y a de légitime dans leur existence. Même si c'est peu, chaque
être appartient au Divin par un trait de caractère positif, par une
approche particulière avec laquelle il ne triche pas, par un type de
conscience qui reste propre dans un secteur donné. Il y a toujours
quelque chose d'incorruptible, même si c'est peu, et c'est par
là que le Divin agit, et que le dharma
grandit. La force de conviction d'un Le Pen, même au service
d'idées mauvaises, est une qualité, ce qui explique d'ailleurs
le succès de son mouvement, quand les hommes de gauche, installés
dans leurs privilèges d'administrateurs, ne donnent plus du tout
l'impression de croire en leurs idées, à moins qu'elles soient
de droite. De même, l'extravagante sensibilité de Matzneff est
une qualité, même s'il a rarement su l'utiliser autrement que
pour cultiver, simultanément, jouissance
et souffrance.
Bien sûr, si l'on ne voit pas l'expérience du Divin Himself
dans nos petites vies individuelles et égoïstes, et enfin uniques,
nous ne pourrons pas, comme je l'ai fait, dépasser tous les
jugements de valeur et absorber à leur place l'essence de l'autre,
— petite fleur sur la montagne de l'évolution, exposée aux
saisons de l'amour et du désespoir, cible de l'accident et de
l'occasion.
Mais
je suis bien obligé d'assister à la métamorphose tranquille de
ma perception, et comme je sais que je ne me confondrai plus jamais
avec l'autre (j'ai assez donné dans le sentiment fusionnel),
plus rien ne m'empêche d'être l'autre sans crainte. Il s'agit
là d'un modèle universel de perception, pressenti par Jésus avec
la voie du plein, et révélé par Bouddha avec la voie du vide. Se
jeter dans la vie et y décider l'amour, coûte que coûte, jusqu'à
voir l'autre comme soi-même, ce qui dispense de lui faire du mal,
of
course,
et de le juger, of
course;
ou se jeter dans le recul et la distance, dans le retrait
exponentiel, jusqu'à se mettre à l'abri de la séduction et de
l'hostilité, de la recherche d'approbation et du complexe
d'abandon, et bien sûr de la relation dominant/dominé,
bourreau/victime etcetera...
Car
nous ne cherchons rien d'autre qu'une perception qui nous délivre
du mal, ou si l'on préfère de la souffrance, ou encore de
l'illusion. Ces concepts recouvrent une seule réalité, l'approche
très approximative de ce qui nous arrive, avec le décalage
inévitable du souhaité et du vécu, qui signe notre morphologie
verticale. L'animal dans son éternité fallacieuse et tranquille
ne peut guère souhaiter,
tout au plus apprend-il à se repérer pour obtenir plus facilement
ce qu'il veut, mais cela ne va quand même pas très loin. Mais
l'homme, c'est le souhait, consolidé ou non par la volonté,
c'est l'avenir, rarement conforme aux efforts déployés pour
l'obtenir. L'Homme, c'est marcher de travers ou tourner en rond
car les possibles et les contraires s'arrachent son consentement.
Et nous nous vengeons tous de ne pas savoir marcher comme il faut, en
dénonçant les faux pas des autres, réels ou imaginaires. C'est
une vengeance.
Accuser
dédouane de nos propres travers, et rien n'est plus facile que
projeter du mal, même là où il fait défaut. C'est notre
histoire, celle de la bête lancée sur les traces de l'ange, et
qui croit bien faire en décidant de l'obscurité des autres pour
oublier la sienne. Toutes les œuvres surmentales, qui dénoncent
l'accusation systématique de l'autre, se heurtent à la même
difficulté et y succombent. Toute parole est récupérée, très
rapidement, et non seulement travestie, mais encore utilisée à
l'envers. Aimer l'autre ne signifie pas aimer SEULEMENT le
semblable, et pourtant c'est ce qui a eu lieu, les chrétiens
d'Alexandrie ne se sont pas privés de persécuter les juifs et les
philosophes sacrés, l'Eglise a donné dans l'Inquisition
plusieurs siècles, et mon âme en a fait l'expérience. On voit
aujourd'hui que l'Islam comporte certains paragraphes à
double-sens, qui peuvent cautionner, interprétés d'une certaine
manière, formelle dirons-nous, un impérialisme mondial de cette
religion, obtenu par la force, la violence et le terrorisme. J'ai
été trop travaillé par le supramental dans les trois cerveaux pour
miser gros sur un retour du christ, bien que cela doive sans doute se
produire, et changera beaucoup de choses. Pas tout. L'Orient et
l'Occident ne sont pas la même chose, il y a une âme particulière
pour chaque continent, et il n'est pas question de niveler
l'ascension en en faisant le monopole d'un seul intercesseur.
Chacun
son travail. Je suis déjà
dans le cycle suivant, dans lequel les «envoyés» ne sont plus
nécessaires pour guider l'humanité. Mon avance n'est pas
reconnue par ceux qui «croient savoir» et veulent changer le
monde à partir de plans moins élevés, et pourtant déjà
puissants. Dès que l'on pénètre l'hémisphère
supérieur,
comme le dit Sri Aurobindo pour parler du Supramental, se déversent
toutes sortes d'expériences subtiles. Parmi elles, le contact avec
toute une gamme d'énergies fines, certaines d'entre elles
commençant à toucher les corps subtils, mais toutes ne sont pas
supramentales. Il y a des
spandas
védiques, tantriques, christiques avec la Lumière de grâce, très
puissante et fort difficile à canaliser. Il y a même des spandas
vides,
et c'est très amusant. A vingt ans, en ne faisant que passer
devant Kalou Rimpoche bénissant avec son dorje, j'ai été projeté
trois
jours
dans la claire lumière bouddhiste, le sunyata,
antichambre du Brahman.
Mais
cette pauvre espèce vit encore au niveau de la pensée symbolique,
et non de la réceptivité pure, et elle a donc besoin de
personnifier, c'est-à-dire d'ajouter une sentimentalisation
aux principes supérieurs. Certains ne peuvent pas s'approcher du
Divin directement, ils doivent adorer un homme qui le représente, et
comme plusieurs humains Le représentent depuis trois mille ans, les
fidèles se combattent à cause du nombre des personnifications. Si
nous prenons les sociétés post-industrielles dans lesquelles, à
part les immigrés, la population abandonne croyances et liturgie, la
personnification divine se porte sur l'objet. J'en veux pour
preuve l'incroyable contagion concernant l'achat du dernier
téléphone de la pomme américaine, qui touche même des personnes
pauvres qui s'achètent ainsi une identité magique, en sacrifiant
une grosse somme d'argent, et je préfère ne pas énumérer le
nombre de jeunes prêts à voler pour se payer cet accessoire.
Or,
tant que l'espèce personnifiera, que ce soit Jésus fils de Dieu,
ou Krishna avatar de Vishnou, Ou Mahomet seul prophète d'Allah, ou
même Sri Tathâta le nouveau grand intercesseur, nous n'aurons
toujours affaire qu'au même processus grégaire d'obédience à
des valeurs. Et il faudra aller beaucoup plus loin pour se réaliser,
car ni le Soi ni le supramental ne tombent tout cuits tout rôtis
dans le cœur ou l'intelligence des disciples de tel ou tel. Il est
vrai que l'on peut recevoir de l'aide des darshans,
mais dès que cela devient un passeport, une assurance, une garantie
d'évolution, l'entropie a déjà récupéré le bénéfice: la
suite n'est plus qu'une illusion. Qui
cesse d'être sur la brèche,
qui reste dorloté par l'image d'un maître, régresse au niveau
du bébé, et bien des facteurs nous poussent à nous reposer sur
l'épaule d'un grand maître qui devrait au contraire nous
pousser devant.
Je
prépare un nouveau cycle, sans personnification aucune, au plus
profond de moi-même je veux libérer les hommes des dieux.
D'ailleurs, il y a quatre ans à peu près, en lisant l'Agenda,
quelques lignes sur ce même thème, j'ai été projeté près de
quarante-huit heures dans la légitimité absolue de ce dharma.
Tout me répondait, c'était tranquille. Le Divin veut manifester
une vérité infalsifiable, et c'est encore possible sur le plan
surmental de la dériver outre mesure. Normalement, le supramental se
retire si l'instrument ne le suit pas correctement, ce qui fera la
différence avec toutes les autres «spiritualités», mais il
faudra sans doute plusieurs siècles pour établir ce «pouvoir de
vérité», et se libérer des leaders charismatiques. Je me
souviens chaque fois avec un sourire, si ce souvenir est appelé par
quelque circonstance (ce qui est au demeurant fort rare), de cette
belle et grande américaine d'une trentaine d'années qui venait
se coucher sur la tombe de Sri Aurobindo, en 1978, et qui tâchait
d'y rester un bon quart d'heure, avant de sentir l'opprobre
silencieuse des ashramites, qui la faisait se relever avec une grâce
magnifique: nul n'osait lui interdire de recommencer, et elle
partait avec une allure royale. J'ai eu la tentation de l'aborder,
pour lui demander si cela était vraiment nécessaire, mais j'avais
d'autres chats à fouetter, remonter la pente après être tombé
au fond du trou, et je me suis contenté de sourire. Je ne supporte
plus l'infantilisme, bien que j'y consente car il est le cœur de
notre psychologie humaine, quand je le vois se manifester. Des
centaines de personnes chantant Sri Tathâta avec une dévotion
touchante et ce ton débile qu'on prend pour faire faire risette à
un bébé, pitié! Je trouve ça complètement rétrograde. La
liturgie de la personnification divise, et le Moi est un, le Divin
est un, l'univers est non-séparatif. Les administrateurs de Sri
Tathâta ont commencé à faire pression sur le public pour qu'il
abandonne toute autre référence spirituelle, et ils invitent à une
fidélisation exclusive. Pour ne pas tourner en secte, — c'est
ici que ça se passe et nulle part ailleurs,
ce sera difficile. (Auroville était déjà imbuvable à cette
époque, à cause de ce parti-pris ici
et nulle part ailleurs,
et les sionistes sont pris aussi là-dedans: c'est l'Histoire, la
monstrueuse Histoire des rivalités locales et des frontières qui
sont des fleuves de sang).
C'est
l'Unité qui doit être visée et, malheureusement pour les
psycho-rigides, l'unité est panoramique. La direction du Divin est
la plus difficile à trouver, car Il siège aux quatre points
cardinaux, en bas et au-dessus. Il faut donc savoir avancer dans
toutes les directions simultanément pour se réaliser, et regarder
parfois en arrière, pour laver un moment sans authenticité. Penser
que certains indices
sont meilleurs que d'autres, telle est l'illusion suprême. Il y
a moins d'indices dans une doctrine que dans le simple flux du
temps: le malheur est que nul ou presque ne sait observer la durée.
Il faut savoir la mettre à quelque distance, et le Désir n'aime
pas ça du tout, pourtant, c'est le chemin même. On se soumet au
présent qui avance, comme les pervers sensuels et les libertins, ou
bien on le contrôle comme les pervers narcissiques, les chefs, les
battants, mais bien peu savent observer le temps qui passe en-dehors
de leurs attentes et des déceptions qu'elles produisent. Il
s'ensuit que l'humanité reste dupe, soit de l'abandon aux
passions, soit de la volonté de contrôle, qui interdit tout lâcher
prise. Pendant ce temps-là, ce qui se déroule demeure à très
grande distance de ce que nous prévoyons, souhaitons, voulons, ou,
si nous y parvenons pour nous-mêmes, notre impuissance à changer le
cours des choses peut nous désarçonner. Pourtant nous sommes
quelques-uns à vouloir en sortir, et à ne plus miser sur les mêmes
chevaux. Les paris sont truqués depuis longtemps. L'énergie
mentale revient au mental, et l'on peut tourner en rond dans
l'ésotérisme sans se réaliser, tout en jonglant avec Platon et
Spinoza, pour montrer qu'on a du répondant, dans l'illusion que
le sens de la vie peut tenir dans des représentations correctes.
L'énergie vitale ne parvient pas à s'évader de son cercle, et
le tantrisme finit parfois en orgies ou grande licence; l'énergie
du cœur reste ce qu'elle est, et une idéalisation farouche
continue d'habiller le réel de mirages enchanteurs, l'immortalité
achetée à crédit par des soupirs qui montent, tandis que le
précepte ultime: aime
tes ennemis,
fait défaut. Chacun de ces trois mondes reste attaché à trouver du
semblable, et bute sur le différent. Le mental n'aime pas
l'inexplicable et s'enferme dans des catégories, l'énergie
vitale n'aime ni la frustration ni le sacrifice, et entretient avec
le désir des liens sado-masochistes, l'énergie du cœur est trop
amoureuse de «ce qui devrait être» pour tolérer, accepter, et
enfin consentir totalement, à ce qui est, dans la brutalité magique
de l'évolution, qui justifie la haine autant que l'amour, pour
la survie du specimen.
L'univers
exige davantage. Un passage à l'acte, un abandon au Divin, — le
dépôt de sa propre personne au cycle éternel des jours supervisé
par l'Esprit. C'est alors que le sujet qui va du moi au moi
commence à se dissoudre en partie, et que la perception s'améliore.
Nous devenons l'objet de l'univers, sa pression s'exerce sur
nous, et le Verbe transperce les couches de conditionnement
individuel. Rien n'est plus agréable que de se sentir le pur objet
de la totalité, sans la moindre trace d'un moi qui revendique quoi
que ce soit :
c'est un ananda
qui sera la source d'une nouvelle humanité. Avant, nous
continuerons de croire que nous sommes ce que nous sommes, sans
l'aval du Divin, et nous devrons recommencer chaque fois l'œuvre
manquée, soit
s'affranchir des gunas,
jusqu'à ce que nous acceptions d'être sculptés par le Divin au
lieu de nous acharner à défendre notre propre forme, empreinte de
tout l'orgueil humain et de toute la mémoire obscure de
l'évolution. Je ne sache pas de chantier plus noble.
3 Décembre 2014
J'éprouve le besoin de me pencher sur moi-même, ce que je n'ai jamais eu le
temps de faire jusqu'à présent, emporté par la vitesse de la
transformation supramentale. Je sais certes me réfugier à
l'intérieur, mais je n'ai guère récapitulé mon existence,
alors que je vais sur les soixante-cinq. D'abord, je n'en reviens
pas, de la fuite du temps. Ensuite, je me rends compte que j'ai
passé toute ma vie à improviser, trouvant obscène de chercher à
voir loin devant, comme si cela hypothéquait le présent, et en
faisait l'esclave d'un devenir préconçu. La formule m'a bien
réussi, mais aujourd'hui je me rends compte que derrière
l'improvisation, qui est un art, se cachent des structures
sous-jacentes. C'est vrai pour le blues, qui a vu des centaines de
morceaux surgir de mi septième, la septième, mi septième, si
septième, et c'est exact pour les échecs, un jeu qui m'enchante
et me possède, car il permet une approche magistrale du yin et du
yang. Il y a des parties pendant lesquelles le jeu de l'adversaire
pousse à sortir des sentiers battus, et on se retrouve dans une
ouverture fantaisiste, qui demande encore davantage de ressources que
si une voie plus conventionnelle avait été suivie. Il y a donc
proportion entre l'improvisation et les principes derrière elle
qui la soutiennent, ce qui est encore plus parlant dans la stratégie
militaire, l'art très difficile de tuer le moins d'adversaires
possible tout en perdant le minimum de troupes, pour parvenir à la
victoire. L'idée d'épargner l'adversaire n'apparaît pas au
premier coup d'oeil, mais comme il y a forcément une proportion
entre les morts de chaque côté, plus on vise l'économie générale
de cadavres, plus on peut se vanter d'être un bon stratège, et
d'épargner ses soldats. Certains gagnent parce qu'ils protègent
leurs troupes, quitte à faire peu de morts de l'autre côté, et
ils attendent ainsi la fatigue adverse. Ceux qui croient qu'il faut
pourfendre à tout va peuvent très bien perdre en disséminant les
furieux guerriers, la bave aux lèvres tous azimuths. Bref, en ce qui
me concerne, les deux choses que je n'ai pas improvisées, sont des
textes venus d'ailleurs, et parmi eux, deux on été travaillés et
retravaillés. Une inspiration soudaine m'a saisi en Inde, qui m'a
permis de simplifier l'astrologie en la rendant plus opérative, et
je me suis astreint à écrire un livre complet, dont les bases me
permettent aujourd'hui de pratiquer la «réintégration
gravitationnelle».
De la même manière, il m'est arrivé à Sri Lanka, en 1991 me
semble-t-il, de me réveiller le matin avec un autre mental (qui
avait réponse à tout). J'ai donc commencé à prendre des notes
laconiques au stylo, avec la concision d'un Lao-Tseu, — de
tous petits chapitres d'une trentaine de lignes, et j'ai ainsi
accumulé je ne sais pas entre cinquante et quatre-vingt pages, que
je n'ai cessé de reprendre pendant des années, neuf ans, avec
bien sûr des interruptions parfois de deux ou trois ans, jusqu'à
aboutir «aux principes de la Manifestation». (Solaris a essayé
de s'emparer de ce manuscrit à travers son lieutenant,
naturellement j'ai refusé).
C'est
un livre dont je suis particulièrement fier, que j'ai recomposé
cent six fois, et dans lequel j'exprime avec une économie de
moyens surprenante des choses extrêmement profondes. Mon style étant
dépouillé de toute complaisance émotive, sentimentale et
narcissique, il m'arrive de dire en quelque lignes ce qui
demanderait à d'autres plusieurs pages. Je m'en félicite. Il y
a ainsi une exécution de l'eros
spirituel que
peu me pardonnent. Les êtres humains se font briller les yeux quand
ils manipulent les concepts transcendants et ils en ont plein la
bouche. Certains ont l'esprit qui bande quand ils prononcent le mot
méditation, ou Dieu, et c'était très important pour moi de
désosser le jargon spiritualiste, car il agit comme un effet
placebo. C'est facile de s'imaginer en «méditation» parce
que l'on accroche à ce mot un moment particulier, investi d'un
grand nombre de finalités préconçues, ce qui fait tricher
l'esprit. J'ai rencontré une multitude incroyable de gens qui
croient pratiquer la méditation alors qu'ils ne se posent que dans
une position narcissique qui consiste à ne rien faire, et à se
persuader qu'il va se passer quelque chose. J'étais donc, déjà
à l'époque, sur la piste de l'immense distance entre le
signifiant et le signifié, une piste qui n'a fait que se
confirmer, et qui m'enchante.
Et
j'ai vécu une grande surprise avant de revenir à Bali, comme si
le Tao me prouvait une fois de plus que je fonctionne à la
synchronicité absolue. J'ai trouvé un matin dans le
vide-poubelles de l'immeuble que j'occupe à Saint-Germain, deux
belles piles de livres qu'on venait de déposer. J'étais
certainement le premier à passer par là, et j'ai fait mon choix.
Bouquinerie à domicile. J'ai récolté une dizaine d'ouvrages.
J'ai trouvé un Gallimard bleu, Nietzsche commenté par Heidegger,
qui ne doit pas être piqué des hannetons, auquel je ne me suis pas
encore mesuré. Mais surtout, un livre merveilleux sur ma bête
noire, Jacques Lacan. Une psychanalyste qui a suivi son séminaire.
Et ne voilà-t-il-pas que cet homme que j'abhorrais jusqu'à
présent m'apparaît, grâce au développement de la connaissance
par identité, justement au même carrefour que moi. Et dans le livre
de cette madame Clément, je découvre que ce cher Jacques est
amoureux de l'improvisation d'une part, comme s'il
reconnaissait à chaque journée une âme propre à laquelle on ne
peut rien surimposer de préétabli, tandis qu'il s'avère
également qu'il ne peut pas vraiment prendre au sérieux ce qu'il
dit, et ce pour deux raisons.
La
première nous la connaissons tous, dès que nous avons une certaine
culture. C'est un argument qui nous vient de la tradition juive, et
qui laisse entendre que n'importe quel verset, qu'il comporte ou
non de la vérité et qu'elle qu'en soit sa proportion, peut
s'interpréter indéfiniment. Mon Jacques savait donc, ou même
sentait intuitivement, qu'il pouvait gloser des heures sur
n'importe quel concept freudien
sans jamais en faire le tour, tout en pouvant le rattacher à
n'importe quel autre, en créant de belles symphonies peut-être,
mais de quel intérêt pratique ? Cela ne l'intéressait sans doute
pas, d'autant que sur les traces de Freud, il cherchait une parole
«transformatrice» et non pas à noyer le poisson, à moins que
l'explication soit tellement en plein dans le mille qu'elle
résolve le mal-être du consultant, ce qui n'est pas monnaie
courante, loin de là. Mais plus important, il avait pressenti que le
«mot» n'allait pas renvoyer à la même représentation pour
ses auditeurs que celle qu'il possédait lui-même, comme s'il
avait été touché par une grâce divine susceptible de l'avertir
sans cesse du risque qu'il prendrait à jeter en l'air des
«demi-vérités» — qui deviendraient peu ou prou n'importe
quoi. Lacan n'était donc pas un imposteur, (contrairment à ce que
j'ai «cru» jeune), il ne brouillait pas les pistes à dessein,
il savait qu'elles étaient de toute façon brouillées dès le
départ par les interprétations subjectives et délétères autant
que par le
consensus mou
autour de lui, puisqu'il était ni plus ni moins, en ces années
enchantées, juste après mai 68,
le pape de Paris.
Car il faut être pénétré par le sens des choses au lieu de faire
semblant. Et rien n'est plus facile que de hocher la tête et de faire
semblant de comprendre Lacan, alors qu'on ne retient rien pour sa
praxis,
tandis que c'est du dernier snobisme de le suivre et montrer qu'on
est là
— le must sans
lequel vous ne jouez pas dans la cour des grands. D'autre part,
Lacan ne «cédait jamais sur le désir», et encourageait ses
ouailles à l'expérience sexuelle et amoureuse, maudissait la
frustration, que l'héritage millénaire catholique avait institué
en règle et qui rendait l'âme. Dans le sillage de la révolution
commencée en 1965 en Occident, qui brisa les murs du racisme convenu
aux Etats-Unis, avant de déferler en Europe avec un certain
romantisme, et une politisation individuelle invraisemblable, Lacan
représentait la culture de ceux qui acceptaient la manipulation de
l'Inconscient, tout en cherchant à s'en sortir. Que le bonhomme
ait cultivé les mêmes penchants que Freud, il s'agit là d'une
tradition bourgeoise, aimer les objets d'art, ne pas pouvoir rendre
les livres qu'on lui prêtait tant il aimait les collectionner... Sans
parler de son rapport aux femmes, aussi sophistiqué que celui de
l'ange Gabriel (Matzneff). Voilà donc que la complexité nous
saute aux yeux, un Lacan honnête dans son travail, mais aux prises
comme bien d'autres avec les
attachements,
aux objets, aux plaisirs, aux femmes, à l'argent (ne sachant pas
non plus «rompre» une relation avec une femme). C'est cet homme
approximatif et par conséquent blessé,
génial mais incomplet en dépit de sa créativité, que l'évolution
veut dépasser. Elle a le temps, ce que nous oublions toujours, car
une génération pour nous est une période déjà longue, une sorte
de mesure historique, tandis que pour la Nature, et même l'Histoire,
vingt-neuf ans, soit un cycle de Saturne environ, demeure ce
battement de cil pendant lequel seule une transformation
infinitésimale pourra être produite. Les modèles avant-coureurs de
l'homme évolutionniste, sont sans doute le saint et le sage, le
partisan accompli du plein (l'amour) et le partisan accompli du
vide (le Soi), mais même ces «réalisations» rares sont de
faibles résultats pour un univers qui a trois milliards sept cents
millions d'années. Le flux évolutif veut aller plus loin pendant
les cinq milliards d'années qui restent à vivre à notre soleil,
sinon Sri Aurobindo se serait cassé la figure en chemin, et ce n'est
pas ce qui s'est produit. Et je n'aurais pas pu prendre la suite.
La shakti supramentale est d'une puissance renversante, si le
maintien se poursuit, nous avons le levier absolu, encore plus
profond que la
lumière de Grâce,
qui cherche elle aussi à se manifester.
La
plupart des croyants s'égarent davantage que les agnostiques, ce
qu'on oublie trop souvent de dire. Le succès du bouddhisme tient
justement à ce qu'il ne permet aucune extrapolation. Contrairement
aux religions du Livre où l'on s'amuse à faire croire à un
nombre incalculable de présupposés douteux, comme la vie éternelle,
la résurrection des morts, le paradis pour l'âme méritante, tous
ces grands mythes auxquels s'accrochent les peurs de l'espèce
pour pouvoir s'endormir, le bouddhisme et les voies de
l'Impersonnel
cherchent
la libération sans rien y ajouter autour d'affriolant. Parmi les
éveillés, peu se permettent de parier que leur existence présente
est la dernière. Il faut donc se libérer de «Dieu» et de toutes
les casseroles qu'il traîne pour revenir au Divin, et c'est ce
pas que certains ne parviennent pas à franchir. Dans une perspective
différente, aussi bien Freud que Nietzsche et Marx, ont réglé son
compte au père noël du Dieu éternel que l'Eglise a imposé
pendant des siècles, et comme par hasard, quand le barbu sur son
nuage est détrôné, la puissance du subconscient est enfin avouée.
Il n'y a plus de péché, mais la force de la nature qui embobine
l'humain dans les passions, avec Rajas, ou dans la paresse et la
résignation, avec Tamas, le remplace.
Dieu
est mort,
disait le martyr du sens, mais de quoi ! L'avons-nous tué ? Sans
doute, car c'est son image que l'on idolâtrait et non son Etre
que nous cherchions à découvrir, —exception faite de quelques
centaines de bipèdes par siècle. Il fallait effacer le mirage et
commencer par là. Maintenant, il reste à opérer une substitution.
Pour le moment Dieu est assimilé à un «créateur», alors que ce
mot est beaucoup plus large, et renvoie à de nombreux autres
signifiés. Dieu, c'est avant tout la Conscience suprême, ou
divine, le
Purushottama,
qui est aussi Satchitananda sous sa forme manifestée. Dieu est
conscience, ni plus ni moins. Esprit si l'on veut, un infini
conscient de Lui-même qui peut traverser toutes les couches de la
Vie si la voie qui lui est dévolue est correcte. Et même, cet
Infini mérite vraiment bien son nom puisque des aspects fort
différents du Divin agissent, comme les quatre Pouvoirs
supramentaux, ou les différents aspects de la grande Mère, Aditi,
dont certaines manifestations, de quelques minutes seulement,
changent le cours d'une vie, tant la Présence, inimaginable, est
puissante. Pourquoi ce monde incroyablement riche, nous échappe-t-il
? La vérité est que le moi ne s'y intéresse pas assez pour
l'appeler, ou qu'il s'y intéresse avec un interêt, un calcul,
l'attente de rentabiliser le capital investi, alors que le Divin
procède autrement.
Il
s'avère donc que se donner à la Conscience n'implique plus
aucune croyance religieuse à respecter. Elle ne peut pas être
représentée non plus à travers des personnifications, qui n'en
livrent que certains aspects. Jésus, Krishna, Sri Aurobindo, sont
des phares sans doute, mais c'est inutile de les prendre pour
modèle, chaque homme est trop intimement différencié
pour
devenir le clone parfait d'un christ ou d'un krishna.
4 Décembre 2014
Il
m'appartient donc de continuer à travailler d'arrache-pied sur
la différenciation individuelle, puisque toute ma vie intellectuelle
se borne finalement à avoir exploité cette mine d'or sans le
faire exprès d'ailleurs. C'est parce que j'étais bloqué, à
l'âge de trente-quatre ans, dans une impasse matérielle, mes
conférences audio-visuelles ne suffisant pas à me libérer de
l'aide familiale, que je me suis lancé à fond dans l'astrologie,
avec un «associé» plus âgé, qui bénéficia longtemps d'un
local mis à sa disposition par ma mère, contre une sorte de
formation intensive à mon égard, assortie de la création d'une
«école» en ce lieu. Je me souviens avec ravissement d'une
table traçante révolutionnaire, son bras allait chercher une des
quatre couleurs fondamentales et l'on voyait se dessiner le
Zodiaque, et les corps planétaires venaient s'inscrire,
relativement rapidement dans le cercle. Pour l'époque, c'était
nouveau et vraiment pratique. Enchanteur. Etant peu enclin à
détailler, disons que trois ans plus tard j'enseignai l'astrologie
humaniste à Cannes dans un centre de Yoga, étant aussi le
photographe attitré de la revue Sources publiée par son directeur.
Et à Antibes, par relations, faisant fuir dès la fin du premier
trimestre plus de la moitié des élèves. La plupart étaient venus
jouer avec des concepts pour se donner des airs et bichonner leur
ego, alors que je poussai, violemment à l'époque et je m'en
excuse aujourd'hui, chacun vers l'évolution suprême, en ne
cessant de souligner la difficulté qu'il y avait à être à la
hauteur du schéma du thème natal. Puis trois ans plus tard, j'écris
et publie astrologie
supramentale,
et les choses se font à nouveau toutes seules. Une astrologue de
Lyon me demande de prendre la suite de la formation qu'elle
donnait, et je vérifie sur le terrain si ma théorie est bonne, un
samedi par mois, sur un groupe, pendant deux années scolaires
consécutives. Puisque je m'étais permis de changer certaines
clés du système, à la suite d'une révélation dans l'ashram
de Sri Aurobindo en montagne, au nord de Delhi, il fallait voir si la
théorie tenait la route dans les faits. Je n'ai rien eu à
corriger, j'ai simplement supprimé une approche trop compliquée,
à trois niveaux, que monsieur Ruperti m'avait d'ailleurs
reprochée, quand je lui avais remis mon tapuscrit pour qu'il le
juge. Il me l'a annoté avec soin, ne m'a pas beaucoup critiqué,
mais il m'a fait sentir quand même que je ne faisais pas partie de
sa bande. Il était déjà âgé, et rabâchait que l'astrologue
devait faire prendre conscience du
nouveau,
avec une telle insistance que je me suis demandé s'il ne me
prenait pas pour un benêt. Il n'a pas vraiment «reconnu» mon
travail, mais ne m'a pas fait douter de ce que j'avais accompli.
L'arborescence binaire des pouvoirs psychologiques qui m'était
tombé dessus, et que nul n'avait présenté encore avec autant de
concision, est employée aujourd'hui par quelques astrologues
capables de ne pas pinailler.
Je
dois maintenant préciser une chose importante, qu'on ne se trompe
pas de personnage. J'étais content d'avoir poussé plus loin
l'astrologie, mais je ne me voyais toujours pas identifié
totalement à cette activité, cette parution était surtout pour moi
l'occasion d'espérer que ma famille cesse de me considérer
comme un
bon à rien.
C'était l'année de mes quarante ans, et il se passait enfin
quelques chose pour moi dans le social. Ma mère a été fière
quelques mois, puis est revenue dans son ancien travers, de toute
façon j'étais sa chose chérie, enfin, nous nous adorions, et que
je fusse socialement reconnu sans que cela ne changeât pour autant
son image
de moi,
ne fut pas si lourd à porter: je resterais son bébé, point barre.
Mon père, cela lui est passé largement au-dessus de la tête, étant
donné le mépris qui était le sien pour tout ce qui est de l'ordre
de la réflexion, qu'il abhorrait. (Un instinctif intuitif, doué
qui plus est d'une survivance dynamique de base terrible: la haine
de ce qui est supérieur à soi). Pour moi, l'astrologie n'existait
pas vraiment, ce que j'ai d'ailleurs dit texto
dans une conférence à Paris l'année du grand tsunami, à des
femmes scotchées aux concepts. C'était plutôt un moyen
d'expliquer notre condition, avec une simplicité déconcertante,
et de tâcher de la dépasser, en tenant compte de quelques
déterminations inamovibles, peu nombreuses au demeurant. Je ne fais
d'ailleurs toujours que très peu de cas de l'astrologie tant
elle employée par des personnes qui ne sont pas à la hauteur. Si
l'on était honnête sur cette terre, cet art serait réservé
uniquement aux éveillés, ceux qui jouissent du Soi, du Brahman, ou
à des personnes qui en ont l'expérience karmique, et qui n'ont
plus l'esprit pollué par les concepts, ou encore aux rares
hommes-femmes
qui possèdent consciemment l'autre pôle que celui de leur
détermination sexuelle, et qui peuvent donc manier conjointement
l'analyse rigoureuse et l'intuition, les deux étant
indispensables dans cet art. Je suis d'ailleurs convaincu que
Rudhyar était parvenu à l'Impersonnel, Ruperti, c'était tout
comme. De fil en aiguille, j'ai continué à pratiquer un peu, et
j'ai rendu la consultation obligatoire pour ceux qui voulaient
participer à mes séminaires en 1998. J'ai donc affiné mon
jugement par l'expérience, et parfois par des intuitions pures.
Enfin, en 2001, sans le faire exprès j'intercepte des vibrations
karmiques chez des stagiaires, en particulier à partir de la
position de Kiron, qui, comme par hasard, a été découvert en 1977,
l'année où je suis monté jusqu'à la Conscience Suprême.
(C'est un corps qui se déplace entre Saturne et Uranus).
C'est
donc avec un naturel déconcertant et cette désinvolture que peu me
pardonnent que j'ai continué mon chemin sur la différenciation
individuelle, que nul autre approche n'explique mieux
que
l'astrologie. Enfin, suite à l'expérience du 2 janvier dernier,
et grâce au passage d'un jeune homme à Bali qui suivait mes
séminaires et a pris la dictée de mon discours, j'ai rédigé en
28 séances de travail une sorte de «rapport» qui constitue la
base d'une formation en «réintégration
gravitationnelle»,
ce qui pourra devenir un jour ou l'autre un métier pour certains,
si Dieu le veut, puisque je n'ai plus l'impression d'agir mon
propre destin. J'ai rattaché l'échec des doctrines spirituelles
à leur péché majeur, la
généralisation.
Un costume en prêt-à-porter ira à tous ceux qui ont le même
gabarit, mais il ne sera seyant que sur quelques-uns. Seul le
sur-mesure assure l'élégance, le confort, l'aisance, le respect
intégral des formes morphologiques particulières. Il en est de même
pour le développement spirituel, et je pourrais même faire une
liste caricaturale des enseignements conformes aux tempéraments.
Seules les personnes à dominante vénusienne sont proches de sentir,
sans effort ni contorsions intellectuelles, le message du Christ,
avec peut-être les neptuniens. Le jnana-yoga ne peut convenir qu'à
ceux qui disposent d'une bonne confiance naturelle dans
l'intelligence, les mercuriens, certains jupitériens, les
uraniens. Le bouddhisme et le Judaïsme conviennent bien aux
saturniens pour des raisons différentes, les martiens peuvent
avancer par la seule pratique et l'action, en faisant fi des
dogmes, mais ils manquent parfois les nombreux raccourcis que
l'intelligence indique. Le shivaïsme et le tantrisme sont faits
pour les plutoniens, qui ne se doutent de rien et adorent se
confronter à leurs limites, quitte à se brûler les ailes dans
toutes sortes d'expériences. Les personnes solaires doivent suivre
une voie très personnelle. Le taoïsme étant la voie holistique par
excellence, il s'adresse aux neptuniens en particulier, ou comme je
le dis parfois, à ceux qui adorent le grand angle et n'utilisent
jamais le zoom. Les personnes lunaires doivent impérativement
accorder moins d'importance aux sensations et aux émotions, et
doivent sans doute, plus que les autres, commencer par une voie
structurée susceptible de leur permettre de se libérer de leur
complaisance. S'il n'y a pas deux grains de sable identiques sur
toutes les plages du monde, a
fortiori
il ne peut exister deux humains qui se ressemblent, à part les
jumeaux monozygotes. L'ironie du sort, ou le Tao, allons savoir, a
fait que je suis né dans le pays le plus respectueux au
monde
de la différenciation individuelle. Deux français trouvent honteux
d'être d'accord sur tout, ce qui explique la trentaine de
candidats au premier tour des élections présidentielles et la
faillite prochaine de notre pays, dans lequel l'on préfère ne
rien faire qu'agir ensemble s'il faut faire la moindre concession
au partenaire pour bâtir quelque chose. Nous finirons par le payer
très cher, mais là n'est pas la question.
Trente
ans d'astrologie cette année me permettent de voir les linéaments
de
cette différenciation individuelle: des patterns différents
surgissent, par le seul écoulement de la durée, du même dispositif
respecté depuis bien longtemps. Le septenaire alchimique, plus
Neptune, Uranus et Pluton, Noeuds lunaires, Lune noire et Kiron,
suffisent pour lire le thème et amorcer
des
transformations profondes, le tout réparti sur deux cercles de douze
segments, celui des signes et celui des Maisons. Par rapport aux
équations de la mécanique quantique, il n'y a pas à se plaindre
de la complexité du système, qui pourtant comporte de nombreux
pièges, les aspects (les distances) entre les signifiants (planètes
et luminaires) étant très difficiles à interpréter. Bref, nous
reproduisons cette énergie du moment de naissance dans notre
approche de la réalité extérieure autant qu'intérieure. Je
devrai sans doute développer ce thème, car il est peu évoqué. En
général l'astrologue montre comment le moi perçoit le non-moi,
mais grâce à ma vision non conceptuelle, je vois aussi comment le
moi se voit lui-même, et c'est sur ce chapitre que mes découvertes
enrichissent le paradigme, avec l'approche du narcissime
secondaire.
Distribué équitablement dans les signes, sous différentes formes,
c'est une sorte de pouvoir psychologique semi-conscient, qui prend
en charge le discours pour justifier le moi, d'une manière le plus
souvent fallacieuse.
Et
quand un bel esprit vient me rétorquer que deux personnes qui sont
nées au même moment n'ont pas le même «destin», ni le même
caractère, je rappelle tout simplement que l'hérédité,
l'éducation, le karma et l'âme sont des facteurs aussi
déterminants dans notre vie que celui du moment de la naissance.
Mais le thème natal révèle la manière de fonctionner dans
cette incarnation-ci,
— image du monde et image de soi — et il y a tant de
variables qu'il y a peu de chances que deux êtres humains
«pensent» tant soit peu de la même manière. Voilà le nœud du
problème humain, la différenciation individuelle est bafouée,
reniée, puisqu'il faut faire partie de la famille, du clan, du
milieu, de la corporation, de la classe ou caste, de la religion ou
de la bien-pensance idéologique. Bien sûr, en ce moment nous
assistons à l'éclatement des normes obligatoires, initié en 68
(Lacan, M.L.F, P.H.A.R, Guattari, Deleuze, université de Vincennes
condamnée en 78, le début de l'agonie française), mais il s'en
crée autant par affinités d'intérêts, par affinités
sélectives, des normes — ce qui donne lieu à des milliers de
communautarismes «facebookiens», et à cette nouvelle
bien-pensance qui veut nous faire passer en trente ans du mépris du
pédé
à l'estime obligatoire du gay.
Ces nouvelles identités groupusculaires ne font que déplacer le
problème de la différenciation individuelle, au lieu de le
résoudre. Choisir en quelques clics à quel clan appartenir, au lieu
de subir «son» cercle, ce qui fut la règle jusqu'au début du
vingtième siècle, ne fait que noyer le poisson. Davantage de
complicité peut-être et de partage, mais au sein de bulles
homogènes réfractaires à l'hétérogène. Idolâtrie du
semblable, indifférence et mépris du «pas pareil». Nous n'avons
pas, dans ce cas, avancé d'un pas, et Renaud l'emporte,
«casse-toi tu pues, t'es pas de ma bande». Tourner en rond en
choisissant sa file, au lieu d'être obligé de marcher derrière
papa-maman, déguise l'aliénation en liberté. Mais on suit quand
même le même itinéraire du groupe-miroir, qui revient toujours sur
lui-même, dans la complaisance partagée de la danse des canards
exécutée semblablement par tous. L'ivresse du partage facile
s'empare du monde entier, les pianotages de S.M.S occupent un
calendrier conséquent, des adolescents aux septuagénaires parfois.
Les rédactions d'emails
se
multiplient pour des échanges d'informations anodines qui
deviennent liturgiques, prégnantes, essentielles. Philippe Muray
avait raison. Le mot solitude disparaîtra-t-il du dictionnaire, ou
les personnes seules finiront-elles à l'asile, dénoncées par les
bandes, comme des délinquants en puissance, ou des «fous» ?
L'approfondissement
«absolu» du moi n'est possible qu'au prix d'une longue
période de sevrage de l'autre, comme toutes les traditions
l'affirment, comme les Ordres reclus et les ashrams en témoignent.
Quelques mois d'affilée seul dans son lit, me paraît être une
condition sine
qua non
d'évolution. Suis-je rabat-joie, ou faut-il se mesurer à la
Nature, pour départager les choses ? Nous sommes «uniques» à un
point tel que très peu d'êtres humains s'en rendent compte, ce
qui ne facilite pas la tolérance. Notre écart, notre différence,
notre ipséité
est
cachée par un nombre conséquent d'identités partagées, la
langue qui nivelle les signifiés dans les signifiants, les deux
sexes réduits à des identités générales, les idées-forces
culturelles communes, les traits de caractère identiques transmis
d'une génération à l'autre, et finalement, toutes ces
similitudes partagées «en surface» dissimulent l'incroyable
secret de notre identité à nulle autre pareille, au tréfonds de
nous, à la racine de la pensée. Comme Rudhyar, je suis entré dans
le saint des saints du «fonctionnement» particulier de chacun,
grâce à l'astrologie étudiée dans l'esprit de pouvoir enfin,
un jour ou l'autre, «gagner ma vie», chose qui a toujours été
la dernière de mes préoccupations jusqu'à l'impasse à
trente-trois ans, et le peu d'avenir des conférences-diaporama.
Nous
pouvons donc accomplir notre incarnation, si nous suivons le
feng-shui de
la France: nous
sommes faits pour pousser plus loin l'identité individuelle que si
nous étions nés partout ailleurs.
Peut-être que les Pays-bas et une bonne partie de l'Allemagne ne
sont pas loin derrière nous, mais notre capacité réfractaire est
hors du commun, et c'est elle qui nous pousse à creuser le sens du
moi, sans le poids des «appartenances» que l'on trouve chez les
peuples dont l'identité est plus consistante et précise, dont la
culture est plus dense. Voltaire a tracé la voie de l'insolence
intelligente, elle se poursuit dans chaque chercheur de feu qui
s'évade du dogmatisme, fût-il le meilleur, pour s'inventer sa
propre loi. En France, les traditions pèsent peu, ce qu'on ne
découvre qu'après avoir parcouru le monde, et qui fait apprécier
le retour et l'air du pays, comme le chantait Jean Ferrat, avant
notre chute dans la mondialisation (1983, avec François Mitterrand
qui ne peut pas changer grand chose dans le fonctionnement
économique).
5 Décembre 2014
Il
n'y a pas un seul grand écrivain qui ait éludé la question de la
virgule déplacée, qui change le sens entier du livre.
— Si
je n'avais pas traversé Meudon à 12H34 et si tu ne m'avais pas
souri en sortant de chez la boulangère, nous n'aurions pas passé
trente ans ensemble, mon amour, car il n'y aurait jamais eu la
moindre chance après ça que je retraverse Meudon.
— Ne
m'en parle pas. Si Mémé n'avait pas insisté pour que j'aille
lui acheter une livre de chouquettes, je ne me serai jamais pointé à
ce qui fut notre...premier rendez-vous.
— Pas
prémédité le rendez-vous ! Et pourquoi me souriais-tu, Angèle?
— Je
n'ai jamais osé te le dire, mais je souriais à René qui passait
derrière toi, et puis voilà que tu m'abordes...
Dans
le genre, il me semble me souvenir d'un Romain Gary, dans lequel il se
plaignait d'avoir pu assassiner Hitler, et de ne pas l'avoir
fait. Et si j'avais intégré Normale Sup, je n'aurais pas été
pris pour un bon à rien par mes parents, peut-être que ça aurait
été ça de gagné, mais pour le reste, le yoga et compagnie, hein ?
Peut-être devrai-je remercier l'abruti qui m'a mis 4 sur 20 en
composition, mon 17 en dissertation ne risquait pas de compenser,
même avec son énorme coefficient, étant donné que l'anglais et
l'histoire étaient très bas de gamme, mais si Dieu l'avait
voulu, peut-être qu'un autre correcteur m'aurait mis 18, pour
l'originalité, et j'aurais fait Saint-Cloud. Ouah, la fierté de
mes parents ! Au lieu de ça, honte jusqu'à mes trente-trois ans,
quand je fabrique un diaporama sur l'Inde et commence à gagner mon
propre argent. Astrologie l'année suivante, avec un investissement
absolu dans l'apprentissage pendant trois ans. Oui, le déroulement
de notre vie tient à rien, une rencontre statiquement très
aléatoire, et c'est la raison pour laquelle j'ai voulu me
démarquer dans mes œuvres des grandes architectures
totalitaires,
qui parlent toujours de la vie comme s'il s'agissait là d'un
continuum, d'un flux dans lequel les causes et les effets se
tiennent.
C'est
parfaitement faux.
Sinon,
nos prévisions fonctionneraient et tel n'est pas le cas.
Si
Natarajan se paie donc le luxe de toujours revenir sur «l'occasion
et l'accident», c'est parce que c'est là que réside le
véritable fonctionnement du réel. Ce n'est pas parce que nous
sommes capables de structurer l'imprévu en catégories, qu'il se
passe autre chose que de l'imprévu — tout le temps. Quel fait
anticipons-nous qui se déroule exactement comme nous l'avons pensé
ou souhaité ? Aucun, il y a toujours plus ou moins de «conformité»,
ce qui vient de la chair de la vie. Quand il y a moins de conformité
que prévu, c'est
la déception,
quand il y en a davantage, c'est la
surprise et l'euphorie.
Ce n'est pas parce que l'on sait qu'on va se marier, que la
cérémonie va se dérouler comme on s'y attend, certaines en
profitent même pour tomber amoureuses d'un invité qui s'est mis
sur son trente-et-un. Mais peu en tiennent compte et elles restent,
prononcent des faux oui, plutôt que partir en courant, sous prétexte
que la cérémonie serait «ratée».
Le
virtuel, l'imaginaire, ne sera jamais conforme à l'actuel, au
factuel. (Demandez cent euros immédiatement à vos trois cents sept
amisfacebook,
vous allez voir les contacts fondre comme neige au soleil, mais l'un
d'entre eux vous dira sans doute comment les obtenir à condition
de partager la mise.)
Le
mépris dans lequel est tenu le hasard dans l'esprit occidental est
pathologique.
Seule l'Asie le reconnaît comme partie prenante du réel, et elle
ne perd pas son temps à établir des prévisions fumeuses, car
l'humus spirituel est là dans le mental, et savoir que les choses
ne se passent jamais comme prévu fait partie du fonctionnement
normal de l'esprit. En Inde, c'est une institution, puisque il
est même suspect d'être à l'heure à un rendez-vous. Cela
suppose qu'on ne laisse pas à l'autre la liberté d'arriver en
retard: ce doit être une grave faute de goût dans certains
quartiers. Il faudrait trouver une juste mesure entre le déni du
hasard (ou des paramètres cachés) qui caractérise l'occident et
le voue à sa perte par les dommages collatéraux qui ne sont jamais
anticipés, et la louange du hasard, qui engendre laxisme,
renoncement, fatalisme, abandon de l'initiative, attente magique du
favorable et du sauveur. François Hollande n'a même pas compris
que l'échec dans le renversement de la courbe du chômage dans
le délai qu'il
nous avait promis, devait l'amener à la démission. «Je
me suis trompé, I am sorry».
Nous vivons donc dans un monde de «signifiants» dans lequel cela
n'a plus aucune importance que les signifiés se dérobent. Nous
n'en étions pas là sous Mitterand. Il suffit de parler de la
vérité aujourd'hui même, peu importe si elle ne se manifeste
pas, on a fait comme si on y croyait. L'escroquerie a commencé
avec Jacques Chirac et son numéro sur «la fracture sociale». La
justice avance qu'on se le dise, peu importe si les réformes
traînent, et qu'un viol est quasiment sur le même plan qu'un
cambriolage de bicyclette. L'atteinte à la propriété, vestige de
la culture bourgeoise, n'a pas encore vraiment cédé le pas.
L'atteinte à l'intégrité physique, bien plus grave, est
considérée sur le même plan. Dérober une virginité et voler une
voiture ne laissent pourtant pas les mêmes traces. Horrible système
de pénalités, qui veut défendre becs et ongles la «propriété
matérielle» et ferme les yeux ou presque sur le viol. Parlons
plutôt du pouvoir d'achat, le nouveau christ crucifié.
L'occasion
pas plus que l'accident n'est prévu(e) au programme. C'est
assez croquignolet que l'occasion soit du genre féminin, draguons
dans la rue comme Gabriel on ne sait jamais, et que l'accident soit
du genre masculin, à quand la prochaine guerre bande de lâches, nos
frontières sont trop étroites. La vie nous donne des coups de pouce
parfois, sans qu'on puisse en fixer l'horaire, et nous met des
bâtons dans les roues sans qu'on lui demande. Si tel n'était
pas le tao — «le fonctionnement» — dites-vous bien que les
médecins, les charlatans du futur, faux astrologues et voyants
borgnes feraient faillite. Si le temps ne passait pas son temps à
nous faire dévier de notre route, nous ne serions pas au bord du
gouffre. Qu'ils seraient beaux les plans quinquennaux, comme
l'Europe se construirait dans l'harmonie des sphères nationales,
sans débat sur les attributions financières, mais oui seulement
voilà, il y a des tempêtes qui détruisent les récoltes, des
tsumanis financiers comme en 2008: nous sommes toujours foncièrement
en retard sur le réel. Il faudrait donc commencer de cesser de
croire que nous avons autant de pouvoir sur le présent. La moitié
des paramètres qui le structurent nous échappe complètement. Les
réactions émotionnelles, les
survivances dynamiques
sabotent en permanence les projets d'envergure, les alliances. Les
compromis qui rabotent les exigences particulières éhontées mais
permettent un travail d'ensemble satisfaisant ne vont pas jusqu'au
bout et on se fâche pour des motifs d'étiquette. J'avais
traité cette question avec délice dans «la fin du monde», où
je me suis vraiment moqué de l'Europe, c'est un continent d'un
orgueil incommensurable. Qui se targue pêle-mêle d'avoir récupéré
le juif sauveur délaissé par ses pairs, d'avoir inventé la
mécanique, l'industrie et la démocratie, alors que les yankees
nous ont battu d'une courte tête. Au bout du compte, tout le monde
dit moi-je comme s'il était empereur, et les asiatiques rigolent.
Ils montent en puissance, les chinois, lucides et humbles, efficaces,
et rachètent autant que les émirs tout ce qui leur tombe sous la
main, Paris appartiendra bientôt aux bienheureux possesseurs du
pétrole, Inch'Allah. L'Inde progresse et ajoute le veau d'or à
ses trente-trois millions de dieux, et lui donne une place d'honneur
pour avoir été méprisé si longtemps. Il remplace Nandi, et Ganesh
a du souci à se faire. Et nous, nous implosons dans notre coquet
confort carte vitale et vins de terroir, bien-pensance humanitaire,
pourvu que le rom ne s'installe pas en bas de chez moi. J'aime
les pauvres et je pense à eux quand je mange du caviar. Je ne sache
pas un seul sage qui ait oublié de dénoncer les méfaits émollients
du confort. Sans faire
le jaïn ni
dormir sur des clous, chacun sait que la complaisance, une fois
installée, n'a plus de limites.
Un
peu trop
de sexe en appelle davantage, voir ce cher Gabriel et bien d'autres,
un peu trop
d'argent rend insatiable, un
peu trop
de pouvoir rend autoritaire et d'une ambition effrénée. Ces
choses de la vie —fondamentales— sont oubliées aujourd'hui.
L'excès est devenu la norme. Le prochain pas c'est que la
transgression devienne norme elle aussi. On essaiera l'homosexulaité
par principe, même un peu dégoûté si ça continue... ( Belle pièce
de théâtre à écrire: vas-y, mais non, ça ne me dit pas, mais de
quoi auras-tu l'air, vas-y je te dis, non, je trouve ça dégradant,
alors tu préfères que ta réputation soit dégradée, hein, c'est
ça, vas-y je te l'ordonne, non maman, etc...) Tout est surenchère,
le meilleur est périmé à vitesse grand V, attendons avec
impatience le prochain smartphone, fabriquons notre vie personnelle
sur mesure, et tout le reste ne compte pas. Voilà la position de
l'Occident. L'hypersubjectivisme matérialiste, la continuation
logique de l'homo
festivus.
Mr Moutontondu, contribuable de son état, monte en épingle sa vie
irremplaçable avec quantités d'images et de sons. Il peaufine les
miroirs de son ego et les embellit, avec des moyens considérables,
inconnus jusqu'ici.
L'accident
et l'occasion font la loi, c'est pour cette unique raison qu'une
volonté de fer est nécessaire, aussi bien pour se remettre des
accidents (chutes, trahisons, faillites, deuils, et tutti quanti) que
pour ne pas se dissoudre dans les occasions (facilités en tous
genres de satisfaire l'ego). L'occasion est corruptrice par
définition, dès qu'elle s'installe, dès qu'on veut la faire
durer outre mesure, puisque pour en conserver les privilèges, il est
parfois nécessaire de tricher. L'accident est déstructurant par
définition, et c'est un grand art de ne pas l'appeler, car une
certaine attitude d'esprit l'attire comme l'aimant le fer.
(Voir Saturne et Jupiter en astrologie). Il y a des personnes comme
Matzneff dont le destin est d'attirer sans cesse les occasions:
irrésistible, écrivain adulé à trente-quatre ans, grande
intelligence, grande sensibilité... et d'autres dont le destin est
d'attirer les accidents, maladies à répétition, mauvaises
affaires, mauvaises rencontres, etcetera. Le processus d'évolution
s'effectuera donc de manière inverse dans les deux cas. Commencer
à se prendre en considération pour ceux qui ne font qu'attirer la
malchance, et approfondir le statut de leur positionnement vis-à-vis
de la totalité, car s'ils sont sous une menace perpétuelle, cela
indique un karma. A trouver. Pour les enfants gâtés pourris comme
Matzneff, qui trouve aussi naturel d'avoir plusieurs partenaires
sexuelles que de se lever le matin, il faut peut-être qu'ils
apprennent à prier Dieu pour avoir moins de chance. C'est
difficile de cracher dans la soupe quand les beautés féminines vous
harcèlent, et que vous avez «la vie devant vous». (Mais pourquoi
renforcer encore le tableau avec de l'homosexualité ? Parce que la
beauté transcende le sexe, sans doute, pour les adorateurs du beau.)
Le
Divin est donc complètement fou, et c'est fondamental de
l'admettre. C'est une porte qui ouvre un nouveau statut
spirituel. La «vie divine» semble consacré à ça: faisons
ce que nous pouvons, et si nous ne pouvons pas davantage,
acceptons-le, c'est le Divin d'en-bas qui résiste à celui
d'En-Haut, éliminons les coups d'épée dans l'eau.
Qu'en est-il de notre vrai pouvoir sur les chose et nous-mêmes,
pour améliorer l'ensemble? C'est un livre extraordinaire. Ceux
qui réussissent trop, qui jouissent trop, et ceux qui rampent
quoiqu'ils fassent, voilà les bords du tableau de la société,
tandis qu'au milieu la norme qui ne mène nulle part et vit sans
contrastes, domine. C'est vertigineux. Et cela doit être établi:
c'est
incompréhensible.
Notre mental est dépassé par l'efflorescence de la vie. La petite
planète bleue court à toute vitesse dans le ciel, portant sur son
corps si ancien des centaines de sous-races, des milliers de
dialectes, des dizaines de classes sociales, sans qu'aucun
nivellement ne demeure possible pour le moment, ce qui agace les
intellectuels. Si la misère a largement diminué au vingtième
siècle, les inégalités progressent quand même. Quand au
caractère, les dispositions de l'intelligence, de la santé, de la
beauté et de la sensibilité, elles sont extrêmement variables. Il
a fallu que je sente le mental cellulaire de mon père à Shanghaï
il y a quelques années, (une expérience top niveau) pour que je
devienne lui, complètement
lui
— et je me suis vu alors tel qu'il me voyait: il manquait les
trois-quarts de mon identité. J'étais pour papa un «impossible»,
et il n'a cessé de me le faire payer. Aujourd'hui grâce au
Divin, il est toujours avec moi, comme ma mère, un lien d'amour
impensable autant qu'absolu nous unit.
Génies
et abrutis habitent la même terre, creusent leur trou de leur côté,
certains dans la reconnaissance, d'autres dans l'opprobre. Des
génies finissent mal, comme Gabriel Marcel, qui sans la pension que
Malraux lui avait alloué, aurait fini dans la misère. §GM. Et des
abrutis pavoisent, comme certains artistes au vocabulaire de
charretier qui baragouinent des chansons de haine, dans une
chorégraphie si vulgaire qu'on a envie de les frapper, au moins
une seconde. Comme par hasard, ils braillent des textes débiles sans
mélodie. Ils sont distribués (il y a un marché), tandis que de
nouveaux Brel et Ferrat restent en rade, dédaignés par les majors.
En ce qui me concerne, seul le Divin me permet d'accepter tout
cela, —l'inversion des valeurs annoncée déjà par R
Guénon — seul le Divin me chuchote qu'Il
n'est pas pressé,
qu'Il ne peut pas faire autrement. Qu'il faut accepter le champ
de bataille, autrement dit l'évolution des espèces, et par
extension du même principe, la rivalité des nations. Puis des
individus entre eux, car telle est la loi, dont seul le
Brahman délivre.
Cela commence par le bourbier, comme le lotus pousse dans la vase. Si
l'avenir de l'Europe n'est plus rose, si le géant teuton
tenant par la main notre François Mitterrand dans une réconciliation
solennelle et quasi mystique n'est plus qu'une icône rongée par
les asticots, cela entérine l'arrogance et l'orgueil des
souverainetés nationales. Nous nous sommes faits les dents avec
notre «liberté», avec notre démocratie, avec notre suffrage
universel qui permet aux plus médiocres de choisir leur chef, il
serait temps de voir où mène la flagornerie intellectuelle, le
mensonge politique, l'idolâtrie de l'homogène, alors que chaque
instant fabrique de l'hétérogène. Il est temps de voir en face
tout ce qui échappe aux investigations mentales, et fait la loi, par
en-dessous,
de l'Histoire. Il est temps de voir le dessous des cartes, de
quitter les rangs des spectateurs et d'entrer en coulisses observer
de près les agents de la grande mise en scène.
Mais
est-ce seulement possible? Voilà bien longtemps que la profondeur
est muselée quand elle pointe le bout de son nez. Le dix-neuvième
a commencé à méchamment salir l'âme humaine, qui d'un seul
coup n'en revenait pas que des objets apparaissent de partout,
Rimbaud a d'ailleurs flairé le complot, deviné le déracinement
de l'âme française qui se jette alors dans un tourbillon
d'utopies farfelues, métaphysiques, communautaires, sociales, à
la fois filandreuses et sectaires, une sorte de poussée naïve du
libre arbitre, comme les dents poussent dans la bouche du bébé et
le font souffrir, mais au moins il grandit. Et puis ça a continué,
ça s'est aggravé avec les années folles, folies bergères, gros
sous, empire de la bourgeoisie industrielle bavant devant les
plaisirs renouvelables par l'argent, et c'était déjà trop
tard. Deleuze rappelle dans ses entretiens que Bergson a vraiment
suscité de la «haine» quand il a commencé à être lu. Puis
quelques esprits incontestables l'ont défendu. Et c'est alors
devenu une mode d'aimer Bergson. Mais ni ses détracteurs ni ses
thuriféraires ne l'ont jamais compris, à part quelques-uns. Il
faut être dans le feeling du troupeau. Un nul ce Bergson, et sans
doute un juif. Et bientôt: quel merveilleux esprit ! Or qu'a fait
Henri, en-dehors de bien savoir écrire ? Il nous a rappelé à tous
notre impuissance, comme le signale Merleau-Ponty dans signes,
cette impuissance qui provient du fait imprescriptible que le temps
fait partie de nous-mêmes, que notre psyché est soumise à l'élan
du bébé vers la vie autant qu'à celui du vieillard vers la mort.
Dans une société dans laquelle le déni est la loi, — car tout
sentiment d'impuissance est tabou (telle une menace sur le fantasme
de toute-puissance partagé par les élites), Bergson ne pouvait pas
s'imposer. On ne pouvait pas le lire et sortir indemne — en
chantant
tout va très bien madame la marquise,
que cet empêcheur d'illusionner en rond disparaisse. Qu'il cesse
de nous humilier!
Si
donc Bergson, qui va moins loin que Sri Aurobindo et moi, est déjà
pestiféré pour ses audaces, mis de côté ou encore déformé pour
oublier qu'il nous mettait face à notre impuissance pleine et
entière devant le temps faisant partie de nous-mêmes (charge
peut-être à nous de le filtrer d'une manière essentielle avant
qu'il ne soit trop tard), il n'y a pas lieu de s'étonner qu'un
Sri Aurobindo, qui stipule que tout ce que fait l'homme sans le
Divin est soit voué à l'échec, soit largement insuffisant, n'ait
pas droit de cité. Mon maître et moi-même commettons un crime de
lèse-majesté contre l'empereur mental, qui a horreur, oui, qui a
vraiment horreur d'admettre que l'être humain est avant tout un
être vulnérable.
Bien que tout nous le rappelle en permanence, les adultères dont on
se repent avant de récidiver, les colères qu'on regrette, les
accusations exagérées qu'on profère, les blessures inutiles
qu'on inflige pour une égratignure d'amour-propre, bien que
toute notre vie repose sur la
vulnérabilité,
comme nous le voyons encore dans l'échec de nos politiques qui ne
nous préservent d'aucune calamité, ni d'aucune déchéance
historique; en dépit de tous ces facteurs qui devraient nous faire
plier le genou devant l'univers insécable, et nous faire avouer
notre incurie, pour
trouver le salut dans la bifurcation,
nous continuons de plastronner et de marcher droit devant, comme ces
soldats de 1914 allant se faire massacrer fleur au fusil, persuadés
d'accomplir une simple formalité en entrant dans la guerre. Le
record vient d'être battu avec François Hollande, prêchant la
bonne parole du renversement de la courbe du chômage, pour entériner
le déni de la débandade économique de la France. En mélangeant
deux devises, laissez-moi créer un nouveau dicton:
il ne suffit pas de se tromper, encore faut-il ne jamais le
reconnaître.
Oui,
moi, Natarajan,
prêtre de l'Intelligence,
puisque je dois bien finir par me définir, j'ai souffert de la
bêtise humaine, dans cette vie et bien d'autres. Je ne me bats
plus contre elle: la grande Shakti
m'a
enlevé «ma raison d'être» qui m'accompagnait sur Terre
depuis bien des descentes, et Elle ne l'a pas encore remplacée. Le
champ de bataille est implacable, certes, et pour mon être
contingent, pour ma chair, il est toujours là comme une injure au
Divin, et il m'arrive encore, comme hier, d'être terrassé par
une émotion fulgurante, la vision de ce que les hommes ont fait de
la Terre en ne cessant de la maltraiter à des fins économiques sans
souci des conséquences. La pollution des nappes phréatiques me
touche durement, car je suis profondément identifié à l'élément
liquide... Mais pour mon être intérieur, qui grandit de jour en
jour, ce champ de bataille, pour aussi douloureux qu'il demeure,
n'est plus que la genèse de Dieu dans la matière, l'origine de
l'Eternel dans le temps, le balbutiement du Verbe dans les
signifiants vides qui relient les hommes par des illusions partagées
qui les cimentent entre eux: liberté, amour, justice, Dieu, don,
bonheur... Et c'est en tant que prêtre de l'Intelligence que je
consens à la transformation divine, puisque, en-dehors de tout ce
qui concerne la «transformation du corps», la shakti
Mahasaraswati
permet également, sur un plan très subtil, de développer la
connaissance par identité, — cette merveille sans second que
j'attendais sans doute depuis bien des existences. C'est cette
perception
qui me fait dire que je suis Matzneff ou Le Pen, non pas que je
puisse me mettre à leur place, mais parce qu'ils sont possédés,
exactement comme moi-même, par les mêmes principes fondamentaux, ce
que je vois dorénavant comme le nez au milieu de la figure.
Seulement ils n'en ont pas encore la connaissance. L'un serait
pour l'autre «un monstre» ou une énigme, une erreur de la
création, un pur contraire,
chacun
pourrait être révulsé
par
cette rencontre.
Or,
cette vision, pour autant que je m'en souvienne, était
inaccessible dans le Soi. Certes, je n'avais déjà plus guère de
jugements de valeur à fabriquer, mais je restai relativement
messianique, et dénonçai à tour de bras. Mais je n'avais pas
accès à cette unité qui traverse tout, à cet amour qui aime tout
avec ferveur, de mon pauvre chat balinais pas fûté pour un chat, à
l'amour indistinct pour les autres, à l'amour irréfragable pour
le jeu d'échecs, l'écriture, la peinture, la lecture, la
musique que j'improvise, mes parents, ma soeur suicidée qui reste
à adjoindre en guérissant les dernières blessures profondes
qu'elle m'a infligées, parce que c'était elle, parce que
c'était moi. Cela m'est donné, cela me remplit. Je ne veux pas
m'approprier quoi que ce soit, simplement continuer d'aimer et de
comprendre ad
infinitum.
6 Décembre 2014
Quand
Hallaj a dit: je
suis la vérité créatrice,
c'était parfaitement vrai, un plan du surmental qui enivre de
Dieu. Cela lui a valu d'avoir les mains coupées. Quelques siècles
plus tard, soit quelques battements de cil de Shiva, Sri Aurobindo
dit: «mon
yoga commence là où les autres finissent».
Il y a moins de deux ans, en passant un matin devant l'étagère
qui contient quelques-uns de ses livres à Bali (avec un échantillon
de Mère bien entendu), expérience fulgurante: je reçois la haine
concentrée de centaines de pandits et de brahmanes à son encontre,
car il leur a interdit de s'endormir dans le Vedanta. C'est comme
si je voyais des centaines d'hommes se donner la main pour maudire
cet empêcheur de tourner en cercle (ils sont trop distingués pour tourner en rond). Simultanément, je ne dirai jamais
à quel point «mon» monde est quantique, j'ai l'impression
qu'Il est là, qu'Il sourit et que ça L'amuse, ce sont ses
enfants qui l'accusent. La vérité, c'est que j'ai été
enchanté par mon «exécution» cet été. Comme c'était un
record d'hétérogénéité, ça m'a plu. Ah, quel spectacle.
Dans le fond, sous des airs qui étaient presque efféminés
longtemps (la trouille de papa!), je suis comme maman. Plus
l'adversité est grande, plus je me sens dans mon élément, le
Divin n'a pas été avare (si j'évoque la guerre, peu
interrompue, que je mène depuis 1977) de m'envoyer du lourd.
Maman, cette femme magnifique était à l'aise pendant la guerre, à
cacher des juifs (trois médailles). Elle ne s'est jamais remise
que la vie redevienne plate. Alors elle s'est inventé une vie
imaginaire, dans laquelle le mensonge prenait beaucoup de place. Elle
avait décidé de voir la vie comme elle le voulait, indépendemment
de toute réalité. Cela n'a pas si mal marché, et la maladie
d'Alzheimer n'a été que l'apothéose de cette politique.
J'étais si proche qu'elle m'a fait savoir quand elle avait
décidé de se laisser mourir. Des images sont arrivées
d'elles-mêmes, elle ne mangerait plus, plus que jamais j'ai su
que j'étais elle et qu'elle était moi, une identité telle
qu'elle a brisé la famille, mon père et ma soeur étant à la
traîne de cet amour, dans les seconds rôles, ce qui ne pouvait que
les humilier, les deux débordant de narcissisme.
Il
y a beaucoup d'expériences intéressantes que je n'ai pas notées
depuis 2008, car j'étais devenu un zombie. Je n'ai mentionné
que les «top niveau», mais il y a eu bien d'autres choses. Cela
va mieux depuis deux ans, mais c'est comme une remontée pas-à-pas
depuis. Je dis cela pour le sentiment général, car j'ai subi
trois expériences d'une ampleur inouïe depuis 2012. Je dois en
parler, car chacune de ces expériences était très différente des
deux autres, et pourtant, même combat. C'est ahurissant. Je
comprends qu'on ferme l'Agenda ou qu'on me prenne pour un fou.
Normal. Récapitulons. A Phukhet, un aspect inconnu de la Mère des
Mondes me tombe dessus, totalement écrasant, à l'improviste, et
même ma perception physique change. L'air devient d'une densité
presque équivalente à celle de l'eau, tout en restant, bien
entendu, ce qu'il est. Je suis envahi absolument sur tous les plans
par la même chose, soit des sensations physiques indiscutables,
chaleur et compression, tandis que mon esprit capte le message qui
s'inscrit avec une telle violence que j'éclate en sanglots.
Cette Présence divine me fait savoir que tout se tient dans ma vie:
que mes maladies, mes douleurs, mes souffrances c'est kif-kif
bourricot avec tout le gratifiant. La même chose, aucune différence
à établir. Je pleure sous la Révélation et je comprends que je
devrai «essayer» d'encaisser le négatif sans broncher, sur le
même plan exactement que le positif. Tout cela n'a pris que
quelques minutes. Je suis avec Eric, qui arrive de Chine. Nous allons
déjeuner, je vois tout dans une autre dimension, l'air est aussi
consistant qu'un filet de bœuf. Je suis très heureux, mais le
corps commence à prendre peur quand on passe la commande. Je tente
de lui parler, de le rassurer, il semble de toute façon que j'ai
bien réceptionné l'ordre de mission, et l'impression
insoutenable pour le corps s'estompe en quelques minutes.
Bloqué
en France l'hiver 2013 à cause d'infections urinaires, deux à
la suite, une sorte d'acharnement incompréhensible, je fais pas
mal de mantra et travaille beaucoup sur la
pratique intégrale du tao.
Z passe me voir chaque mercredi, car nous venons juste de nous
rencontrer et nous partageons l'évocation de belles expériences.
Une nuit, je deviens du feu et je le reste jusqu'au matin. L'état
d'esprit est positif et le corps supporte. L'investigation de la
force est telle (et pourtant je ne reconnais pas Mahakali qui
descendait parfois dans les années 90, c'est encore dix fois plus
concentré) que tout est pris dedans, le corps, les corps subtils,
l'esprit semble-t-il, ce qui me réveille, les jambes sur des
braises. Mais avec le mantra, ça passe. Moralité, dans les jours
qui suivent, le transgénérationnel de ma grand-mère, bossue,
ressort. La Force a fait ressortir des ondes de forme de la
vieillesse, et mes épaules se cabrent en avant. J'ai quatre-vingt
dix ans. Z m'engueule la fois suivante, deux ou trois jours plus
tard, comme du poisson pourri, quand elle me voit dans cet état, et
me fait une imposition des mains. C'est une guérisseuse
fantastique. Elle n'en revient pas, et me dit qu'elle n'a
jamais extrait quelque chose d'aussi dense: «du goudron». Moi
qui connais le principe action/réaction, je suis très heureux. Pour
faire sortir le schéma du
petit vieux,
il a bien fallu une nuit de flambée.
Onze
mois plus tard, c'est le 2 janvier 2014, et là c'est encore plus
fort. Les organes, les os, tout, toute une nuit. Les «cordes» se
rassemblent. Il n'y en a je ne sais combien dans la théorie
quantique, mais là, elles collaborent toutes. Je suis passé à
autre chose. Le champ unifié a frappé.
Après,
si vous me demandez qui je suis d'un air soupçonneux, je me
contenterai de vous répondre,
le fils de papa et maman.
J'abandonne un grand nombre de prérogatives comme pousser vers
Dieu... J'ai moi-même été un redresseur de torts invétéré
dans d'autres vies, pour faire avancer les choses, «imposer Dieu»
— merci j'ai déjà donné. Entre le flash qui m'a délivré de
mon ancienne «raison d'être» et l'immersion violente de la
Force à Phuket — deux=un —, une piste se crée pour une
nouvelle perception, la
connaissance par identité,
délivrée de toutes les dualités. Je roule dans le meilleur modèle
de Maserati, avec toutes les options, et je l'ai fait repeindre
d'une quinzaine de couches de jaune-orangé curcuma
pour avoir un beau poli (ma couleur préférée), ça m'a coûté
beaucoup plus cher qu'une
twingo d'occasion
et j'ai sué sang et eau pour me la payer. Mais les performances
sont incomparables et pour me rendre où je veux aller, la vieille
Renault n'aurait pas fait le poids. Elle m'aurait laissé en
rade. Je n'ai pas envie de traîner en route, ni de tomber en panne
pour avoir été radin. Il faut que je puisse semer les belles
berlines noires des présidents de multi-nationales, et coiffer sur
le poteau James Bond, dans son Aston Martin.
7 Décembre 2014
Bien
fait de faire un tour par Sanur en revenant d'Ubud où j'étais
allé voir deux connaissances françaises. La belle librairie
m'attendait. J'achète «rencontre
avec des hommes remarquables»
de Gurdjieff, que je ne me souviens pas d'avoir lu auparavant. Je
me reconnais en lui en certains points. Il adorait apprendre, et il
avait une écoute parfaite. Pour le reste, Il savait tout réparer et
j'ai horreur du bricolage, et je n'aurais jamais pensé à
infliger une correction à mon rival amoureux quand j'avais quinze
ans. Mais lui aussi prétend comme moi que c'est la «compréhension»
qui permet de reconnaître ce qui vient «d'En-Haut». Beaucoup
d'anecdotes merveilleuses difficiles à résumer. Mais celle-là,
je ne peux m'en empêcher. Le gars est encore paumé, comme
d'habitude, en Asie mineure, et il n' a plus d'argent. Il
réfléchit. Eurêka ! Il piège des moineaux sans les blesser, les
peint, et les vend cher pour des «canaris américains». Il fait
le coup près de quatre-vingt fois, et se barre avant qu'un client
revienne le tuer, son canari délavé par la pluie. Disons que c'est
vrai, c'est encore plus drôle. Et aussi, il voyage avec son chien,
un beau berger, et le matin Gurdjieff vole des topinambours dans les
champs pour manger. Arrivé en ville, plusieurs matins de suite il
trouve un topinambour devant sa porte. Intrigué, il cherche la
cause. Il suit son chien, et découvre qu'il était capable de
voler le légume au marché et de lui rapporter. J'ai moi aussi
possédé une chienne exceptionnelle, la même que celle de Belmondo.
J'en rêve souvent. Je l'ai aimée autant que ma mère et que ma
compagne karmique adorée ou presque, et je n'en ai pas honte. Elle
était tellement choyée qu'un matin je la trouve dépressive. Elle
se faisait du cinéma comme quoi il lui manquait quelque chose, car
vraiment elle était très gâtée. Je la sortais dès qu'elle le
demandait et nous marchions longtemps dans les pinèdes de Valescure.
Inquiet pour mon bébé, son air de tristesse ne me dit rien qui
vaille, et je fais ni une ni deux, je l'emmène chez le véto.
C'était un lieu qu'elle connaissait et qu'elle a reconnu. En
arrivant, elle m'a fait des fêtes, et des bonds incroyables, pour
me signifier que tout allait bien, et qu'elle ne voulait pas entrer
dans l'établissement. Sa tristesse, c'était de la complaisance,
de la frime. Elle s'était fait une crise narcissique, c'était
purement psychosomatique. Elle allait super bien, on est reparti,
elle était toute contente. Quelques vies plus tard ça donne une
starlette qui ouvre sa garde-robe garnie d'une centaine de tenues
de grand couturier, et qui fait la moue en haussant les épaules:
je n'ai plus rien à me mettre.
Je
suis tout-à-fait dans le style journal, qui est le seul genre
littéraire dans lequel on peut sans arrêt passer du
coq à l'âne,
puisqu'on doit d'une part parler de ce qui est saillant dans les
événements, comme on doit d'autre part confier ses états d'âme
particuliers. Matzneff atteint la perfection, et il m'a fait
comprendre avec une étonnante profondeur, ce qu'est un homme de
Lettres. J'avais bien tourné autour du pot, mais je n'avais pas
VU. C'est un homme, plus rarement une femme, qui absorbe les écrits
des meilleurs auteurs de tous les temps et de toutes les contrées,
et qui, ainsi, se fabrique sa weltaanschung. Il ne croit ni aux
frontières ni aux modes, il dépasse tout chauvinisme et il
s'universalise. Il peut passer de Cicéron à Steinbeck, de Kafka à
Italo Calvino, voire d'Ibn Arabi à Spinoza, ou de Chamfort à
Camus les doigts dans le nez, et même de Descartes à William Reich
sans faire de grand écart. Il est souple comme une trapéziste, et
ses préjugés de classe et de caractère se dissolvent au petit
bonheur la chance. Ce qui le distingue du pédant, c'est qu'il
aime la littérature et s'y adonne, comme on s'adonne à
l'érotisme, avec la même ferveur! Ce qui le distingue du
philosophe, c'est qu'il ne lit pas pour structurer et renforcer
sa vision du monde déjà toute faite et ancrée. Il est beaucoup
plus yin
que le philosophe, et assez souvent homosexuel. Il absorbe les
choses, et recherche l'esthétique, la beauté des jours et du
style. Le philosophe veut se persuader qu'il va faire mieux que
tous ses prédécesseurs, et il a déjà la trouille de savoir qui va
lui succéder, c'est-à-dire
le détrôner.
C'est parfois un amuseur qui finit dans les signifiants, en croyant
avoir tout compris alors qu'un garagiste en sait beaucoup plus que
lui. Nietszche a secoué le cocotier, mais il n'a pas basculé vers
l'effacement, et a indiqué une fausse piste. Sa haine du
christianisme est débile. Tandis que l'homme de Lettres est
holistique,— sensibilité, intelligence, malléabilité. Les
meilleurs ne sont pas vaniteux, et peuvent rester des écrivains
méconnus et pauvres, mais ils ont une vraie raison
d'être.
Le philosophe n'est pas plus profond par définition. Il l'est
parfois. Mais l'intelligence aime aussi s'emparer des hommes sans
en faire des spécialistes du quadrillage en catégories, et des
échafaudages conceptuels. La Fontaine était plus intelligent que la
plupart des philosophes, Retz, la Rochefoucault, Saint-Simon,
Michelet par exemple, n'avaient pas les yeux dans leur poche, ce
qui finit par arriver au philosophe qui ne sort plus de chez lui.
Mais ceux qui adorent les étagères bien rangées, les frigos nickel
et la vaisselle essuyée au torchon, font leur miel avec Kant. Quand
on est friand de hasard... on le trouve un peu borné, Emmanuel... Si
un medium quelconque ou un historien peut me restituer les
conversations entre Leibniz et Spinoza, je suis preneur. J'adorerais
les avoir et les commenter. Ce devait être un moment historique, et
j'aimerais bien remonter le temps, devenir une petite souris,
connaitre leur langue et les écouter, caché derrière la tabatière.
Etait-ce un duel à l'Alexandre Dumas, ou
un five o'clock tea bien
policé, sans esclandre et avec courbettes corporatistes? Mystère et
boule de gomme. Haï le Spinoza, par les juifs ses frères et les
universitaires, encore un qui est allé trop loin pour qu'on lui
pardonne d'avoir oublié le règlement, il n'avait jamais ses
papiers sur lui. Reste à voir s'il ne frimait pas un peu. Mais on
a vu pire. Abelard: châtré parce qu'il aimait une jeune fille.
Matzneff a bien fait de descendre sur Terre aujourd'hui. A la fin
d'Elie
et le Phaéton,
à trente-sept ans, le voilà vivant un amour réciproque absolu avec
une fille de quinze ans qu'il transforme en femme rapidement. Je
n'ai pas la suite et je ne sais donc pas s'il a été inquiété
ou non, ni si l'amour a tenu le coup longtemps. Je chercherai à
connaître le dénouement. Aucune vulgarité, aucune médiocrité
chez l'ange slave, de l'hubris
bien
entendu, mais quel créateur n'est-il pas poussé par la démesure
?
Le
dix-septième, une apothéose selon Merleau-Ponty, la philosophie et
la science ne sont pas encore à couteaux tirés, la vision globale
survit chez Spinoza, Liebniz s'arrache les cheveux avec le Yi-King,
Descartes se trompe beaucoup, mais avec habileté, et a encore besoin
de Dieu. Mais un peu plus tard... Fragmentation, segmentation,
séparation, atomisation, autopsie. Et la religion de la «mesure»
prend le pas sur tout le reste. Arpenter devient culte, quadriller
devient le must, classifier envoûte, nommer l'emporte enfin, le
signifiant commence à prendre le pouvoir et le signifié se dérobe.
L'observation ou l'intuition, choisis ton hémiplégie, penseur !
Fini, les deux en même temps. Les montres et les horloges semblent
pousser comme des plantes d'appartement et s'installent sur les
commodes des gens bien et dans la poche des notables, comme une lente
invasion d'extra-terrestres faisant des petits. Le temps, tyran
qu'il met au pas et qu'il coupe en petits morceaux, — ça
lui apprendra à nous faire crever. Tout ça finira mal. Car on exige
du rendement des heures qui passent. Les négriers et les industriels
s'en donnent à cœur joie. Les poètes commencent à flipper,
et on les regarde de travers, ils refusent d'être productifs, ils
trouvent du hasch
pour apprécier quand même les fumées d'usine. Ils croient encore
que la vie est un don inestimable, que ce n'est pas la peine de
renchérir en faisant fortune, ce sont des traîtres au progrès.
L'argent devient l'hydre exponentielle qu'on combat vainement
aujourd'hui, et commence sa courbe ascendante. La marmite va
chauffer encore longtemps, mais après la seconde guerre mondiale, il
y a une nouvelle donne, dont personne n'a encore vraiment pris la
mesure: l'émancipation des femmes et la fin du cloisonnement
entre les classes sociales. Plus personne ne veut se mettre à plat
ventre devant son supérieur. Il y a bien encore des intimidations
parfois qui viennent d'en-haut, mais dans l'ensemble la
différenciation individuelle commence: je ne suis pas la chose de
mon patron, ni la chose de mon mari, ni la chose de mes parents.
Contagion maximale. C'est parti en 65, aidé par un beau carré
Pluton Jupiter, et ça continue. La concierge portugaise se laissera
de moins en moins marcher sur les pieds, qu'on se le dise dans le
seizième arrondissement, et les jeunes coiffeurs gay
cherchent leur raison d'être et se marient, tandis que de jolies
jeunes filles bien comme il faut se prostituent de temps en temps
pour se payer la vie en fac. Il faut s'y faire, Pluton frappe fort
et c'est pas fini.
Les étiquettes valsent et les catégories s'effondrent. Enfin,
aujourd'hui,
l'imprévu va faire la loi (et Saturne sera encore plus triste).
Quand
je vous dis que l'imprévu mène la danse,
une
fois l'accident, une fois l'occasion,
j'évoque
la reptation reptilienne de la durée. Complicité et hostilité se
tiennent par la main, la chance et la malchance, l'oeil gauche et
l'oeil droit du Sphynx sur le dixième arcane du Tarot. Le temps
distribue le favorable, mais si nous ne le faisons pas fructifier, le
défavorable apparaît et annule les gains. Ce cycle peut durer ad
vitam aeternam,
un cercle vicieux — la roue des morts et des renaissances dans le
mandala tibétain — mais un jour dans un sursaut, le bipède
intelligent apprend à consolider le favorable. Il échappe au
destin, il ne sabote plus rien. Rajas
est devenu un tigre apprivoisé.
8 Décembre 2014
A
la relecture, je me dis que Si Gurdjieff est capable de vendre des
moineaux pour des canaris afin de survivre, pourquoi Gabriel ne
déguiserait-il pas une conquête de dix-huit ou vingt ans en
adolescente de quinze pour vendre dix mille exemplaires de plus grâce
au scandale, et accrocher le lecteur à l'épisode suivant, une
opération rapide, quelques ratures seulement, après que son
banquier aura vociféré au téléphone en lui rappelant qu'il est
dans le rouge, et que l'huissier va arriver. C'est quand même
curieux comme cette histoire arrive juste à la fin pour nous laisser
sur notre faim. Et soupçonner un Lion narcissique (né le 12 août)
de tricher un peu pour s'en tirer, ce n'est pas un crime,
d'autant que Matzneff ne semble pas torturé par les scrupules
(ménage à trois, triolisme avec son épouse qui veut lui piquer le
jeune Apollon qu'ils partagent). Je ne crois plus sur parole qui
que ce soit: je viens de me rendre compte que j'ai grandi. Dernier
paragraphe d'Elie et le Phaëton:
«c'est
si beau, si merveilleux de coucher avec l'être qu'on aime,
qu'après avoir connu cela, on ne devrait plus jamais pouvoir
coucher avec quelqu'un que l'on n'aime pas.»
D'accord
Lapalisse, mais le décalage entre la théorie et la pratique ne nous
menace-t-il pas tous ?
11
février:
«Dîner
chez les Theakston. Serge Pavlovitch me raconte le pianiste Vladimir
Polh qui, jeune homme, vivait à Iasnaïa Poliana et s'était un
jour rendu avec Léon Tostoï aux bains de vapeur. A son habitude,
celui-ci discourait sur la simplicité évangélique, l'amour du
peuple, etc. Soudain, un vieux paysan prenant Tolstoï pour le
masseur, lui lance: «Eh! frotte-moi le dos!» Et Tolstoï,
redevenant barine
d'un
seul coup, de s'exclamer furibard: «Quoi, tu ne sais pas à qui
tu oses parler ainsi! Je suis le comte Tolstoï, et toi tu n'es
que de la merde
(gavno)!»
Je
ne parlerai jamais assez du mental, car, en dépit de ce que
prétendent les petits maîtres perroquets, il n'y a rien de
meilleur dans la Manifestation, puisque c'est le seul passage vers
le Divin. Qu'on me montre un chat ou un chien supramentalisé, et
alors je voudrai bien descendre en flammes le pouvoir de la pensée.
Le mental est parfait, c'est nous qui ne savons pas l'utiliser.
L'on nous fait croire que Bouddha est resté douze ans en
méditation pour finalement obtenir l'illumination, et répandre
les nobles vérités. C'est mettre la charrue avant les bœufs. La
méditation, il l'a plutôt inventée. Il a commencé par
réfléchir, par se jeter dans l'abîme de la pensée. Comment
pourrait-on faire le vide alors qu'on bute sur les fondamentaux, et
que cette résistance vous pourrit l'existence ? La maladie, la
mort, qu'est-ce qu'elles viennent faire alors qu'absentes, la
vie serait somptueuse? Et ce ne sont pas de petits objets
récalcitrants, comme des mouches qu'on pourrait chasser. Ce sont
des murs infranchissables, des réalités fondamentales, des univers
qui nous soumettent. Que Gautama ce soit aperçu en cours de route
que la pensée ne pouvait pas justifier ces réalités, c'est bien
possible. Mais la vérité est que, si l'on ne goûte pas soi-même
l'impuissance de la pensée, elle nous manipulera jusqu'au bout.
Et j'irai même beaucoup plus loin: on peut utiliser la pensée
sans lui faire confiance, et on la voit fabriquer des objets
inutiles, les représentations fausses qui arrangent notre ego, on
voit se former «les projections». Donc, elle est toujours là,
mais moins on y croit, plus elle est efficace. Je vous signale que
Socrate et Pyrrhon l'utilisaient comme ça. Ils n'y croyaient
pas, et n'accordaient pas d'importance à sa survivance. Il y a
alors en nous des parties de l'être qui la tolèrent, comme le
cœur et l'être psychique, ou l'Intellect (intelligence) car
nous découvrons que la pensée n'est pas méchante, elle ne
cherche pas à nous égarer. C'est simplement parce que nous
nous identifions
à ses contenus sans vergogne qu'elle nous égare. Quand on
commence à ne plus croire à la qualité des perceptions, et que
l'on devine qu'il y a anguille sous roche, un trucage, une
déformation, un effet de parallaxe qui nous fait voir la réalité
autrement que ce qu'elle est, alors nous sommes sauvés. Mais
comment donc aimer la pensée puisque nous ne devons pas lui faire
confiance ? C'est un paradoxe qui se résout facilement. La pensée
est une sorte de jaillissement perpétuel de tout et n'importe
quoi, mais en amont, à la source, la pensée est intelligence.
L'intelligence se perd dans l'identification à l'objet, car
l'objet la subjugue et s'en empare. C'est ainsi qu'un homme
qui pense beaucoup finit par se prendre pour un philosophe et qu'il
est phagocyté par la pensée, avalé par elle. Il finit par se
croire l'auteur de ses œuvres, ce qui est faux, car c'est
l'intelligence qui construit l'échafaudage, et ça peut se
terminer mal. C'est le drame de Nietzsche. Cet homme a subjugué
des quantités d'étudiants. C'est de la nitroglycérine, un
mélange explosif de vérité et de mensonge, les deux parfaitement
bien entremêlées, ce qui en fait un cas d'espèce. Mais plus près
de nous, un Jacques Derrida, adulé aux Etats-Unis, et qui n'a
strictement soulevé aucun lièvre tant il pensait au ras des
pâquerettes, n'est pas mort tranquille. Il était aigri. C'est à
partir de nos identifications que nous prenons nos décisions. Si
nous nous imaginons que Marx est dans la vérité, alors que le cœur
du problème est passé à l'as (la subjectivité individuelle),
nous finirons pion social, dans le déni du capitalisme, comme si le
ce
qui devrait être
l'emportait sur ce qui est. On peut très bien résister au
matérialisme d'une autre manière, par d'autres engagements,
écologiques ou humanitaires, et l'on respire bien mieux qu'à
continuer de croire à la lutte des classes, et à se plaindre de son
échec irrémédiable. Pourtant une génération entière a été
emportée dans le marxisme, et donc son échec, car personne n'avait
voulu ou pu voir qu'il manquait un présupposé de taille dans le
système: la personnalité egocentrée de l'individu, qui résiste
à toute transformation sociale. Si une révolution se présentait
aujourd'hui, tant la situation est grave, elle pourrait aussi bien
être chapeautée par l'extrême-droite que par l'extrême
gauche, et les marginaux à la limite de la délinquance
cimenteraient le tout. Ceux dont les dents rayent le parquet
finiraient par la récupérer.
La
pensée ne fonctionne correctement que si elle ne sépare pas les
choses, et nous trouvons alors la notion d'Intellect
ou
buddhi pour évoquer ce potentiel d'assemblage des contraires dans
un principe commun. Autrement dit, un philosophe qui ne parle pas de
la totalité de l'homme est à
côté de la plaque, primo, et,
secundo,
s'il évoque l'ensemble sans dégager un potentiel que j'oserais
qualifier de «parlant», il ne fait que gloser, commenter,
entériner notre echec historique. Et parler de la totalité est
quelque chose de si difficile que presque personne n'y parvient.
C'est qu'il est nécessaire de désirer profondément en finir
avec le statu
quo
humain, et cela demande qu'on juge l'Histoire comme un échec.
C'est trop demander à l'orgueil de la pensée, qui décide que
l'homme va réussir demain sans effacer l'ardoise du passé,
telle la pollution industrielle, la déforestation, la dictature du
capital sur le travail. Minimisons, et reportons la catastrophe le
plus tard possible. Nous y échapperons, les jeunes se
débrouilleront.
En
supposant qu'on énumère correctement les fondamentaux,
corps
physique,
corps
émotionnel et nerveux plus ou moins confondu avec l'astral,
corps
mental comprenant imagination (élasticité de la représentation du
temps), intuition (contact spontané synchronisé à un organe du
Tout), raison (principe de vérification de la validité des objets
reliés),
avec
même d'autres corps plus subtils et moins accessibles (corps
causal, corps d'ananda), qui va pouvoir se prononcer sur la
proportion adéquate des prépondérances de chacun ?
Admettons
que tout cela est trop complexe, d'autant que l'on peut encore
incorporer des parties intermédiaires,
avec
un subconscient générique,
un
subconscient personnel (traces des trauma et des frustrations
absolues),
un
subconscient transgénérationnel (un grand saboteur celui-là).
Je
suis obligé de préciser ces considérations, car il se peut que je
n'ai pas été assez précis dans mon travail avec les quelques
personnes qui m'ont suivi, à partir de deux groupes distincts
successifs, des noyaux, tandis qu'il m'est arrivé de donner
aussi quelques séminaires ponctuels. J'invite à l'exploration
de soi, à
la détection des couches,
et non à une dévotion quelconque en faveur de Sri Aurobindo.
J'invite à plonger dans le mystère et non à s'enticher de
transcendance, ce qui donne toujours les mêmes résultats: une
affiliation rassurante, une bien-pensance certifiée conforme, le
sentiment puéril d'appartenir aux élus. (En revanche, je
reconnais les envoyés qui permettent d'obtenir un soutien, comme
Amma, Sri Tathâta, Mère Meera). Mon travail est autre. Comme un
amoureux de l'automobile doit pouvoir démonter un moteur et le
remonter avec tendresse après en avoir nettoyé les pièces, un
«chercheur spirituel» ou prétendu tel ne peut pas faire
l'économie de comprendre son propre fonctionnement — dans
l'incarnation, ne serait-ce justement que pour nettoyer le passé,
infesté de scories.
Je
rencontre des âmes rebelles, des âmes évoluées, toutes sortes
d'âmes, qui arrivent sur Terre avec un
parti pris
sur ce qui devrait se dérouler, et comme ce n'est pas ce qui se
passe, elles souffrent. C'est nécessaire de revenir à la case
départ au lieu de persévérer dans le mal-être. Je rencontre des
karmas puissamment destructeurs, même chez des humains qui
«reconnaissent» le Divin. Dans presque tout les cas, ces
personnes veulent appartenir à la totalité de la manière dont
elles le décident elles-mêmes, ce qui est d'un orgueil absolument
démesuré. Même Sri Aurobindo, dont l'âme est certainement très
évoluée, a commencé par décider lui-même de son devenir... puis
il est revenu sur cette praxis.
Certains ont même pensé qu'il trahissait la cause de
l'Indépendance indienne. Il en est de même pour moi, c'est le
Divin qui a décidé que je fasse la transformation supramentale, moi
j'avais décidé de m'acharner à découvrir et fabriquer la
pierre philosophale. Trouvant la vie merveilleusement intéressante
et jouissive par définition, l'idée d'obtenir le
soufre rouge
et de l'ingurgiter pour devenir immortel était à la fois un défi
(Fulcanelli n'ayant pas laissé grand chose, et Canseliet étant
douteux) et le moyen parfait d'exercer mon discernement, car
l'alchimie est un casse-tête qui peut rendre fou, tant les fausses
pistes côtoient les vraies. Mais parallèlement, je reconnaissais
infiniment Sri Aurobindo, et passai parfois à Auroville France, car
j'habitais Paris en 1975, et me rendai souvent à la bibliothèque
Mazarine, pour débusquer des manuscrits alchimiques. C'est
d'ailleurs cette année-là que j'ai eu la preuve de la
toute-puissance de Sri Aurobindo. J'avais dû faire un voeu intense,
et la nuit, dans le monde intermédiaire (pendant que je dormais) je
suis descendu jusqu'à
la nescience originelle.
C'était plus que du noir absolu, c'était absolument
indescriptible, une masse de refus absolu de toute vie. Horrible. Je
n'arrivais pas à me remettre de cette expérience et je me
traînais, j'ai même dû interrompre une formation de maitre-nageur
que je venais de commencer, ayant perdu même mes capacites physiques
en apnée. Et puis, par hasard peut-être, je tombe sur le poème de
Sri Aurobindo qui décrit cette sorte d'expérience, alors
j'éprouve une compassion immense pour lui, car je connais
l'affaire, et instantanément, je récupère ! Je me traînais
depuis trois semaines, et hop, la seule lecture de quelques lignes,
et c'est reparti.
Si
la transcendance pure exige donc que nous fassions autre chose que ce
que nous avons «prévu», c'est vraiment une raison de plus pour
prendre encore davantage de recul sur nos prérogatives personnelles,
sur ce que nous avons fait jusqu'à présent, et d'élargir nos
compétences, notre ouverture, notre obéissance à la Vie et au
Divin. Je ne dirai jamais assez que les préférences ne sont
légitimes que si elles nous aident à évoluer, ce qui veut dire que
certaines sont à jeter à la poubelle, encore faut-il les distinguer
de celles qui sont utiles. Cela veut dire qu'un homme qui se rend
compte qu'il n'est pas très intelligent devrait renoncer à
devenir philosophe, et pourtant il ne manque pas d'idiots dans la
profession parce qu'ils l'adoptent pour éprouver un sentiment de
supériorité. De la même manière, les trois-quarts des prêtres
catholiques souffrent le martyre, car leur prestige leur permet de
plaire aux femmes, et ils doivent renoncer à en profiter. Beaucoup
n'ont pas le courage de reconnaître qu'ils ont fait fausse
route, et confondent donc l'amour de Dieu avec la forme qu'ils
ont voulu lui donner, et cela finit souvent dans la dissimulation des
liaisons, alors qu'il s'impose de quitter les Ordres, puisque la
règle du jeu n' a pas été respectée. Et c'est peut-être ce
qui ressort avec le plus d'éclat dans la voie supramentale,
l'incroyable
facilité avec laquelle l'être humain triche sur tout.
L'acharnement
à «préserver les apparences» est la pathologie du bipède, et
mon concept de «narcissisme secondaire» rend définitivement
compte du problème. De François Hollande avec son renversement de
courbe, à Chirac prétendant réduire la fracture sociale et se
mettant dans la peau d'un chirurgien, alors qu'il n' a pas
cessé de remettre au lendemain les réformes urgentes, tout en
passant par Deshimaru qui a enseigné le
zen
sans être lui-même éveillé, sans compter les milliards de petits
mensonges de circonstance pour travestir une réalité qu'on ne
veut pas avouer telle
qu'elle s'est
passée, sauver
les apparences est notre religion.
Les grands esprits qui ont VU cela, soit deviennent cyniques, soit
deviennent joyeux, et appréhendent la réalité comme une magnifique
farce mise en scène par un démiurge qui ne manque pas d'humour.
Le mal tient à se faire passer pour le bien, et le bien est toujours
contraignant ou triste, pénible. Les vertueux «font la gueule»,
et les libertins sourient. Quelle comédie ! Mais le plus admirable
est la cohabitation de tous les contraires dans une apparente
hégémonie. A la grande époque française, Racine et Molière, qui
pourtant ne présentent pas les choses de la même façon, pouvaient
avoir le même public. Solennel et burlesque se tiennent par la main.
La frivolité n'est pas l'adversaire de la profondeur, tandis
qu'il n'est pas dit que la profondeur se préoccupe le moins du
monde de la superficialité. Et nous passons de Phèdre au bourgeois
gentilhomme, car telle est la vie, légère autant que grave, sans
que nous sachions vraiment ce qui l'emportera au jour le jour, avec
ces satanées «circonstances», ces implacables «événements»,
ces trahisons en filigrane des rencontres, ces échecs en conséquence
des succès, ces réussites rares pour casser les habitudes. Non,
nous ne sommes sans doute pas «faits» pour ces contrastes imposés
par la vitesse de la Vie, et sauver
les apparences
est une façon comme une autre d'écrêter le hasard, et de s'en
croire le maître.
9 Décembre 2014
Où
sont passées matière noire et énergie noire ? Aucune trace nulle
part. Soit nos calculs sont faux, et il n'y en a pas besoin (une
médaille Fields pencherait pour cette version) soit ils sont justes,
et il faut trouver une autre matière qui manque à l'appel
et qui devrait représenter 93.5% de l'univers — (le
mécano fondamental des atomes que nous connaissons et qui forme
toutes les étoiles et toute la vie ne représente que quatre et demi
pour cent de l'espace-temps). § Le lotus et le cosmos. Faisons
comme si nous étions propriétaires de la Science, comme si les
énigmes reculaient, faisons comme si nous étions propritéaires de
l'avenir en rejetant
l'omnipotence de l'imprévu,
faisons comme si nous étions propriétaires du partenaire, comme si
ses services sexuels, que nous justifions par l'amour, nous étaient
dus, et punissons-le s'il nous délaisse. Faisons comme si nous
étions propriétaires de l'autre et trouvons-lui des poux sur la
tête pour le condamner dès qu'il n'est plus à notre botte, ou
se trouve en désacord. Faisons comme si nous étions propriétaires
de la Vérité, pour excommunier la différence...
Plus
la Voie est essentielle, moins elle a besoin de correspondre à la
recherche d'un résultat, moins le voyageur cherche les lunettes
sous le réverbère, là où la lumière permettrait de les trouver
si elle n'étaient tombées dans le noir, où c'est fastidieux de
les chercher. C'est ce que révèlent les Upanishads, Lao-tseu, Sri
Aurobindo. Il n'y a rien à cibler, pas même le Dieu créateur,
rien à viser, puisque la cible serait imaginaire. Vouloir s'emparer
de «Dieu» en anticipant sur ce qu'Il est, est un mauvais pari,
pourtant très courant dans l'histoire individuelle des âmes, qui
conservent une part d'ego coriace dans leur besoin d'appropriation
du Divin. Le mélange du don de soi et de la volonté acharnée
d'appropriation de la transcendance produit des
karmas
spéciaux, sympathiques mais pas totalement innocents, qu'il
m'arrive de repérer en consultation. Mais s'il n'y a que le
Divin, comme l'affirme Sri Aurobindo, en particulier dans le tome 2
de la
vie divine,
qui présente même l'ignorance comme une faculté de la
toute-puissance divine, alors nos faux pas karmiques peuvent être
considérés davantage comme des erreurs que comme des fautes, à
condition que l'humilité se présente dans sa splendeur absolue, —
une sorte de renversement radical donc par rapport aux vies passées.
Le
karma peut se dissoudre facilement si l'aspiration à
l'authenticité renait de ses cendres, et se libère des faux
mouvements qui l'accompagnaient. Mais on ne peut s'appuyer sur
les erreurs que si elles se dissolvent. Les types d'erreurs
karmiques ne sont pas très nombreux et, bien qu'il ne s'agisse
pas exactement de la même chose, l'orgueil, tel que décrit dans
les traditions, correspond en partie à ce que je nomme le
narcissisme
secondaire
qui, d'une part donne une force subjective aveuglante, et d'autre
part, fait tricher avec la réalité des faits pour maintenir une
'image de soi' sans défaillance. L'Asie, une fois de plus,
pose le vrai problème: il n'y a qu'une erreur, l'ignorance,
et
elle ne vient pas de nous, c'est notre condition même, et dans
cette mesure, le narcissisme secondaire peut être décrit comme ce
qui s'attache à cette ignorance, et la maintient dans les moments
difficiles, en ajournant les remises en question par la posture
triomphale habituelle.
Ce
thème est repris par Gurdjieff: l'homme
est mécanique tant qu'il ne se remet pas en question.
Et si j'invite la réflexion à repérer et observer les forces
sous-jacentes à la pensée, comme les gunas
ou le couple yin/yang, c'est pour esquisser une feuille de route
évolutive, qui s'adapte au flux des choses, tolère l'accident
sans prier pour l'occasion, en restant au plus près du principe
d'imprévisibilité si nié par l'Occident que cela est en train
de le mener à sa perte. Tant que penser voudra dire:
je suis ouvert à condition que tu sois de mon avis,
les choses péricliteront.
Cette considération tient une place importante dans la méthode de
«réintégration
gravitationnelle»
puisque je repère comment chacun hérite d'une force puissante et
obscure qui s'acharne à préserver les structures mentales
responsables du sentiment de l'identité. C'est un narcissisme
secondaire qui sévit dans chacun des signes astrologiques, un
pouvoir qui donne une fausse image
de soi,
mais qui permet de faire face à la réalité en présentant ce
visage comme un bouclier. Il y a bien là une gangue de
mental subconscient qui caractérise chaque signe solaire,
et sans effort particulier, il est difficile de la traverser et de
s'en affranchir. Les justifications inventées pour conserver la
fausse image de soi sont fallacieuses. Ce pouvoir psychologique
interprète le réel afin de toujours donner raison au moi, hors de
toute objectivité, — exactement comme le loup qui ne veut pas
reconnaître que l'agneau qui boit
en aval n'a
pas pu contaminer son eau. L'amalgame irrationnel permet de se
tirer d'affaire: si
ce n'est toi c'est donc ton frère,
une pensée qui indique une fuite hors de la situation pour
s'échapper des contraintes qui lui sont propres, ce qui permet de
noyer
le poisson. S'il
n'y avait pas ce dispositif, la réalisation spirituelle serait à
la portée rapide des chercheurs. Mais l'incarnation plonge dans la
matière et notre corps de bébé fait
avec
tous les réseaux holographiques de la position de l'espace-temps
au moment de notre naissance. Le cerveau construit ses synapses
originels en conformité avec la configuration d'ensemble du
système solaire, dans des échelles
nano-microscopiques
encore hors d'atteinte. (L'astrologie résiste depuis trois mille
ans aux attaques parce qu'elle saisit certaines déterminations
qu'on ne peut obtenir d'aucune autre manière).
Un
vieux programme de survie nous pousse à inventer de toutes pièces
les représentations qui nous permettent de nous tirer d'affaire ou
de sauver la face, et si nous n'y prenons garde, nous pouvons vivre
dans le mensonge par simple habitude d'édulcorer la portée des
événements, de les tourner en notre faveur, d'en effacer les
aspérités qui exigent des modifications de comportement. Ce que
nous pensons nous permettra toujours de voir la réalité comme
nous l'entendons,
en-dehors de toute saisie objective, pour faire le jeu des
prédilections profondes et inconscientes et des aversions
horrifiques (d'ailleurs certains souvenirs pénibles sont interdits
d'accès à la conscience, mais le moi gagnera à les déterrer,
les affronter avant de s'en libérer). Comme le dit Gabriel
Matzneff, nous
avons le choix entre la schizophrénie et la sainteté.
Ne pas construire notre réalité avec le narcissisme secondaire
constitue le défi évolutif, puisque cette force s'acharne à nous
déterminer selon les caractéristiques les plus brutes de la planète
maîtresse du signe solaire avec une constance de plus en plus habile
et subtile, c'est-à-dire dissimulée et sournoise.
Chacun hérite d'un orgueil démesuré et naïf, d'un envoûtement
martien
ou mercurien, vénusien ou jupitérien, lunaire ou solaire, ou encore
saturnien, qui l'empêchera de plier le genou devant la suprématie
de l'univers et du Divin, afin qu'il puisse exercer le
libre arbitre (son libre arbitre?) sans sentir le poids des millions
de galaxies peser sur son destin, sans sentir l'enjeu des décisions
continuelles auxquelles le passage du temps nous soumet. L'erreur a
ainsi libre cours, car très peu d'êtres humains prennent la peine
de jauger le présent en permanence pour trier parmi les décisions
possibles celles qui sont le plus porteuses de sens. Aucun geste
n'est innocent, aucune pensée n'est sans conséquence, mais il
est fastidieux d'apprendre à voir. L'automatisme de la
perception a quelque chose de rassurant, et d'ailleurs les petits
enfants le vivent dans la joie, contents de sauter d'une découverte
à une autre. La simple croissance individuelle impliquera de plus en
plus de responsabilité et de conscience de soi, d'autonomie et
d'indépendance, et le sujet intervient donc de plus en plus sur
l'orientation de sa perception au fil du temps en grandissant
jusqu'à s'imaginer qu'il doit la maîtriser dans le
prolongement naturel de l'instinct et de l'enfance. C'est faux,
sophistiquer le socle de la personnalité de la naissance, qui plus
est constellée de déterminations héréditaires, ne permet pas
d'embrasser le sens exhaustif de l'incarnation.
Le
non-moi, l'univers, la vie, l'altérité doivent être reconnus —
à un moment ou à un autre, comme indépendants de l'usage que
nous en faisons, comme nous ayant
fabriqués, ce
qui leur donne une autorité, un poids et une présence que l'être
humain générique ignore: il s'invente lui-même avec une
complaisance absolue... Voilà pourquoi abandonner son propre mental
à l'intelligence est le seul moyen de trouver la Voie. Cet
abandon, selon les personnes, est dicté par le cœur ou l'âme, le
besoin d'intégrité ou celui de se dépasser, et sans doute que
des centaines de causes sont susceptibles de produire cet abandon, —
parfois même le repentir comme chez saint-François, et c'est le
seul moyen à disposition pour transformer l'ensemble de notre
fonctionnement.
Sinon
le narcissisme solaire de notre signe amalgamera les puissances
diverses de notre personnalité dans une synthèse triomphaliste,
cette membrane perceptive entre le moi et le tout qui interdit au
Brahman de se manifester. Tant que nous croyons encore être ce que
nous sommes, dans notre sphère subjective, un mur invisible nous
sépare. Le Soi dissout la pellicule subjective et transparente, la
membrane psychologique qui nous sépare de la totalité. Nous pouvons
affirmer également que «comprendre» est un processus purement
objectif, celui qui permet d'emboîter correctement tous les
éléments du puzzle de la réalité, en remontant des petits
principes aux plus grands, jusqu'à vivre consciemment les deux
moteurs de la perception tout en les observant, le fonctionnement
sensible et le fonctionnement intelligible.
Chacun
est autonome, ce qui nous pousse dans nos retranchements. Le moi
sensible juge de la qualité des événements par le seul critère
plaisir/douleur, dans l'immédiateté, et organise les sensations.
Le moi intelligible juge les événements et ce qu'ils procurent
avec le critère abstrait de l'utilité, ce qui fait apparaître le
long terme. Le moi intelligible s'éprend de la permanence qu'il
oppose à l'immédiateté et à ses gains fugaces. Il décline
l'utilité en responsabilité, devoir, précaution, prévision,
préservation du favorable, consolidation des normes pratiques.
Pendant longtemps, la navette subjective entre ces deux moteurs
perceptifs assure l'homogénéité du moi et la jouissance du libre
arbitre.
Quand
le moi se lasse de nourrir empiriquement cet être à deux têtes, et
d'en subir les conflits, l'autorité insécable du Tout devient
un partenaire, puis un guide. L'Esprit s'est stratifié dans la
matière, avec ces nombreux systèmes biologiques et psychologiques
qu'une Magie souveraine coordonne depuis l'Un, mais rien ne nous
empêche de Le rejoindre, en tout cas de vouloir le faire, puisqu'Il
est seul juge du moment du rendez-vous. Mais nous ne saurions y
parvenir si nous ne voyons pas, dans une extrême fulgurance de notre
lucidité, que la guerre et la paix sont la même face d'un ruban
de Moëbius qui nous reste à parcourir. Cela permet de consentir aux
épreuves, et de vaincre ainsi les résistances opaques du système
nerveux qu'un rien dérange. Une «vaste égalité» est
nécessaire, qui permettra de traiter les accidents et les occasions
avec la même ferveur. Le serviteur de l'univers entier est mieux loti que le maître de sa propre existence, séparé des forces universelles par son parti-pris de ne vivre que pour lui, ou selon des valeurs partisanes, insignifiantes dans le grand chaudron magique de la vie si ancienne, si rusée, si adroite, si large qu'elle autorise même le retour au Divin, pour aussi éloigné qu'il apparaisse de la créature.
Une
partie de notre système de défense vis-à-vis du non-moi est codé
dans le signe solaire, ce qui permet, pour les besoins de la survie,
de faire prévaloir notre propre intérêt par rapport à celui de
tous les autres, avec leur coefficient de menaces. Le
narcissisme secondaire est
donc tout-à-fait approprié pour permettre à l'ego de sortir son
épingle du jeu, mais pour les chercheurs, il constitue un obstacle
fondamental. Vivre le potentiel solaire du signe demande une
implication exhaustive dans la gestion de soi-même vis-vis du Tout,
et des efforts considérables pour se rapprocher d'une vision
objective de ce dernier. Quand elle est acquise, que le Tao commence
à se dessiner d'un seul tenant, l'humilité se manifeste
d'elle-même, car la vision objective du Tout nous révèle la
précarité de notre existence, notre place éphémère et
insignifiante et l'impuissance du mental à nous permettre de nous
situer correctement. Et comme de surcroît, la force du grand Serpent
originel apparaît aussi, — avec la stupéfiante avidité du
principe de plaisir, la vision nouvelle et objective de la vie serait
écrasante sans l'humilité — ou l'absolue souplesse,
c'est la même chose.
Le
narcissisme secondaire évite au moi de se lancer dans l'exploration
puisqu' il est suffisamment puissant pour satisfaire l'individu
sans qu'il prête attention au pouvoir de la Totalité. Il se
contente de fournir à l'ego ce qui lui est nécessaire pour que le
sujet obtienne une
image de soi satisfaisante,
sans qu'il ait besoin de s'attaquer à la modification de sa
perception. Tout le monde sait qu'un imbécile qui se trompe et le
reconnait se vante d'avoir eu des raisons de le faire! Tout le
monde sait qu'un pervers accuse l'autre d'être responsable de
des propres erreurs et faux pas. Tout le monde sait qu'il est
facile de s'arranger avec le réel, et de faire porter le chapeau
arbitrairement. La fable du
loup et l'agneau a tout
dit sur la question, et c'est ainsi que le monde fonctionne encore:
c'est toujours de la faute de l'autre, ou des circonstances. Le
sentiment de responsabilité est très peu développé dans la nature
humaine. Jésus a voulu remédier à ce problème. L'Eglise a
compris de travers: ce n'est jamais de sa faute à elle, elle doit
représenter Dieu. Elle a couvert longtemps la pédophilie du clergé.
Le narcissisme secondaire constitue ce palier nécessaire entre
l'animal anonyme et l'individu en quête de son identité. Il est
d'une mauvaise foi absolue, et c'est ainsi qu'il tient tête à
la réalité qui veut le démasquer. Il sauve les apparences, il
sauve la face, — le mensonge est à sa disposition, c'est l'outil
de base, le couteau suisse. C'est peut-être ça le
sâmsarâ.
Une fosse de serpents qui passe pour un essaim d'abeilles fécondant
la forêt.
19 Décembre 2014
«Prêtre
de l'intelligence» est une vocation à laquelle il faut souscrire
pour sortir de l'envoûtement du samsarâ. Cela signifie que nulle
limite n'est permise dans la découverte du Réel, qu'il est
définitivement interdit de s'imaginer qu'on peut faire entrer
dans sa propre échelle de valeurs deux cents milliards de galaxies
avec autant de soleils chacune, que l'on renonce à prédire
l'avenir d'une société fondée sur le consumérisme, la
transgression et l'hubris,
pas plus qu'il n'est permis de se faire accroire que la Vie, avec
ses millions d'années d'expérience, va nous livrer tous ses
secrets parce qu'on y jette un oeil moins distrait. Enfin, qu'il
soit compris que l'esprit plane au-dessus de toutes les formes,
qu'il n'en est nullement prisonnier, comme l'attestent les
milliers de langues qui permettent aux humains de nommer leur
perception. Le
t'chan
préconise un retour aux verbes fondamentaux, qui ne sont pas si
nombreux, l'on peut faire du verbe aimer l'arbre de sa propre
vie, et y voir pousser quelques branches, d'autres verbes comme
respecter, apprécier la différence, souhaiter le meilleur pour soi,
en tant que personne holistique, et non seulement pour soi en tant
que corps et numéro social. Le mot clé du prêtre de l'intelligence
est «comprendre», non pas dans le sens d'expliquer, mais de
voir en quoi un objet appartient à un plus grand, et ainsi de suite
en remontant jusqu'à l'Un. C'est le jeu du grand puzzle, dans
lequel chaque système, découvert, prend place dans un plus grand,
et je ne doute pas que d'autres l'ont pratiqué avant moi, avec
succès, bien que là aussi, les performances diffèrent, Hegel et
Maître Eckaert, Dante et Plotin, Pythagore et Platon ne ressentant
pas de la même manière le secret de leur existence. Ce qui est
certain, c'est que, quand le puzzle est reconstitué en soi, que
l'on fait un avec l'Un, les certitudes n'en sont plus. Ce sont
de simples passages extrêmement provisoires, qui ne s'inscrivent
plus dans aucun schéma préétabli. Elles peuvent donc cesser et se
transformer sans cesse. La vision a remplacé l'étiquetage par
catégories, l'esprit spontané saisit sans mettre en boîte le
moment, il abandonne la pensée qui fait croire que Dieu est différent
du reste, ou que les hommes sont différents des femmes, ou que les
animaux sont différents des plantes, etc... Quand l'Un montre
qu'il tient tout sans discrimination dans sa main éternelle, il
s'ensuit un élargissement considérable de la perception, qui,
certes, ne change pas la densité du réel ni, à bien des égards,
son horreur, mais qui permet de consentir à l'état de fait
terrestre. Il s'ensuit évidemment que l'humanité apparaît
comme un singe debout particulièrement maladroit, étriqué et fier
de l'être, et qui dissimule en permanence ce qu'il ne sait pas
sous le fatras orgueilleux de ce qu'il connaît déjà. Le prêtre
de l'intelligence atteint donc ce plan merveilleux dans lequel le
semblable est vu non dans ses similitudes formelles, mais dans son
principe. Tout ce qui respire est un, voilà tout. D'où l'immense
amour qui peut croître, comme chez certains shamans, pour toutes les
créatures, d'où les scrupules même du jaïn
à écraser les moustiques, si l'on veut s'acharner à appliquer
in
extenso,
sans exception, la grande vision de l'unité de la vie. C'est
donc le projet de l'Intelligence en nous, nous faire percevoir,
par-delà les différences formelles, les principes communs aux
êtres, aux objets, aux sociétés, aux hommes et aux femmes, car
c'est le principe qui articule la structure, qui elle-même
fabrique la forme. Tant que nous ne remontons pas aux principes, aux
moteurs, — aux fonctionnements ou «taos», nous ne pouvons
découvrir ce qui échappe au temps, lui qui joue à transformer les
formes en s'inspirant toujours des mêmes matériaux originels.
L'on aura beau se moquer de ce qui se trouve caché derrière la
durée sous un prétexte ou un autre, et courir derrière son destin
spirituel par de l'acharnement, de la pratique et des prières,
rien ne remplace la vision du «Grand Symbole» de Lao-Tseu, rien
ne remplace l'immersion consciente dans la réalité indivise :
de là l'importance du Brahman,
méprisé par les religions au profit des quêtes des faveurs,
puisque le dévôt est possédé par le temps et ne voit que lui, et
même, il ne s'imagine pas qu'il peut en percer la vitesse, et
contempler depuis derrière le rideau, le drame que se joue la vie.
Il préfère donc s'emparer de l'avenir avec la complicité des
dieux.
Ce
qui ne bouge pas, le Tao, engendre ce qui bouge, et nous ne pouvons
qu'aspirer à cette vision, à cette étape, qui nous fait entrer
dans le cercle assez fermé il est vrai, des initiés. Mais n'est-ce
pas ce que nous demandons? Voir au lieu de croire, comprendre au lieu
de ne pas saisir, se faufiler dans le temps néguentropique qui
remonte vers l'Un et le Divin, au lieu de toujours se précipiter
en aval, vers la corruption et la mort ?
La
lutte contre l'entropie est le propre du supramental, et c'est
lui qui la mettra en œuvre, avec difficultés peut-être, mais cela
lui revient. Il n'a pas d'autre projet que diviniser la matière,
et sa lutte contre le temps et la nature fait partie de son identité
même. Il n'agira pas comme la Lumière de grâce qui poursuit
quelque finalité historique, et nécessite des sortes de nouveaux
avatars pour faire savoir, entériner que le Divin est la source de
la Vie. Différents projets transformateurs «débarquent» donc
sur terre, avec plusieurs Shaktis puissantes que certains et
certaines parviendront à canaliser, et c'est à chacun de suivre
sa propre voie, afin de ne pas être victime des dernières rivalités
possibles entre différents instruments se réclamant du même
avenir, ou du même Pouvoir, ce qui est, naturellement, pratiquement
invérifiable. Dans ce domaine aussi, toute comparaison est inutile,
puisque aucun des «envoyés» ne fait le même travail. Et ils
sont tous nécessaires, sans qu'une scrupuleuse hiérarchie apporte
quoi que ce soit de décisif. C'est beaucoup plus probant d'aller
au-devant de ceux qui prétendent incarner l'avenir et d'éprouver
quelque chose. Que donnent-ils, et peut-on se passer d'eux ?
Sont-il heureux qu'on n'ait plus besoin d'eux, ou veulent-ils
jouer aux parents ad
vitam aeternam,
parce qu'ils ne savent pas faire quoi que ce soit d'autre ? Le
vrai maître aspire à ce que son disciple puisse voler de ses
propres ailes, même s'il consent à soutenir très longtemps celui
qui a mis sa foi en lui. Une fois de plus, je rappelle que, comme Sri
Aurobindo, je considère que les avatars ont échoué, ou si l'on
préfère, réussi si peu, qu'il faut incriminer leur main-mise sur
les esprits, par l'épandange des croyances, qui donnent un levier
pour interpréter le réel, mais un levier général, et qui ne tient
pas compte de la singularité des situations et des moments. Ce thème
a été le cheval de bataille du Krishnamurti le plus connu, mais
supprimer les croyances n'entame en rien l'existence du Divin, et
sa manière d'éluder la question n'en fait pas le grand homme
que certains s'imaginent. Il a largement contribué à «défaire»
l'esprit de catégories, qui constitue la plus grande part de
l'activité mentale, tant que cette dernière n'est pas retournée
vers le sujet, c'est-à dire tant que cette dernière poursuit le
cours des identifications naturelles, au lieu de remettre en question
le processus même de la perception intérieure.
Même
en ce qui concerne les meilleurs témoignages, seul leur principe est
incorruptible, et dès qu'il est oublié, les structures sont
déficientes, et les formes fantaisistes et délétères. D'où la
nécessité d'être un
prêtre de l'intelligence,
affilié à aucune école, aucun clergé, comme certains officiants
en Inde, qui sont en quelque sorte «free-lance», et ont créé
leur propre voie sans dépendre de personne, et qui se permettent le
cas échéant d'officier dans des cérémonies. Oui, décidément,
le principe de l'enseignement natarajanien, est la liberté. Et que
cette liberté mène à la connaissance expérimentale des principes,
qu'ils soient respectés, devinés, ressentis comme des autorités
cachées dont nous devons découvrir la fonction. Et dès que
l'honnêteté s'en mêle, nous savons que ces principes sont peu
nombreux, et nous les validons, nous ne faisons plus semblant d'être
au-dessus des lois. Et il suffit de les observer à l'œuvre en
soi, merci à Bouddha pour la peur et le désir, merci à l'Inde
pour les gounas, à la Chine pour le Yin/yang, merci à l'Occident
pour son amour du devenir, merci aux peuples indigènes pour
l'innocence à sauvegarder, en contrepoids de la complexité
conquérante de notre esprit héritier de l'Histoire. Merci à
l'Egypte pour la grandeur, merci à la Kabbale pour le grand
Organigrame. Merci au Tibet pour sa connaissance des plans
intermédiaires et du Bardo, et pour sa pureté, que certains
rimpoches maintiennent. Merci aux Rose-Croix et aux alchimistes pour
le soleil et la lune, et les cinq régents. Merci à tous ceux qui ne
veulent plus souffrir pour rien, et qui trouvent le chemin des
transformations dans les choses les plus banales de la vie. Il est
temps de mettre la Lune au service du Tao.
10 Février 2015
Parler de moi autour de mes écrits me paraît être une bonne solution pour mieux faire comprendre ce que je raconte. Je prends délibérément ce terme parce qu'il y a dans le supramental un caractère tellement inédit qu'on ne peut que le raconter, en lui donnant une dimension « mythologique » tant il excite l'imagination. Le décrire n'est pas vraiment possible, le justifier non plus. Sri Aurobindo a senti qu'il pouvait aller plus loin, mais il n'a peut-être jamais su pourquoi exactement ce serait le début du vingtième siècle qui verrait apparaître cette possibilité. C'est un des arguments des vieux brahmanes de l'Inde, confits dans leur encens et caramélisés dans le prestige dont ils sont l'objet : pourquoi les choses auraient-elles changé ? À moins d'avoir des peaux de saucisson devant les yeux, l'Agenda de Mère signale un tournant dans l'épopée humaine, et si pour beaucoup c'est trop long à en prendre acte, à cause des treize tomes, le mental des cellules, de Satprem, est un condensé très inspiré de l'aventure « balbutiante » du supramental dans un corps humain. Personnellement je me suis habitué à être malaxé chaque jour depuis près de quarante ans, et pas plus tard qu'hier j'ai encore fait une expérience de premier plan, grâce à cette souplesse dans ma perception. N'attendant rien, il n'y a plus de filtre et ça débarque, des choses toujours nouvelles, et ce depuis bien longtemps. Voilà pourquoi, j'ai jeté à la poubelle de nombreux concepts, pour articuler tous mes écrits autour de la dualité moi-non-moi. Il n'y a que ça et je le répète encore une fois. Il y a le sujet avec son discours intérieur, l'individu, qui emploie tous les verbes qu'il veut et peut à la première personne, et il est face à tout ce qui l'entoure, indistinctement, c'est ça le non-Moi. Couper les cheveux en quatre ne sert à rien, sinon à compliquer le problème. L'autre fait partie du non-moi, même quand il vit en soi, par l'introjection, comme par exemple les enfants dans le cœur de leurs mères, et réciproquement quelques années. Dieu fait partie du non-moi ou le comprend, et ne peut en être séparé. Le temps c'est le non-moi en mouvement, rien d'autre. L'Histoire, c'est la somme des mois(s) face au non-moi pendant des millénaires. Cela est bien suffisant pour aborder toute la réalité que nous vivons, puisque, soit nous absorbons le non-moi, soit c'est lui qui nous absorbe. L'identification normale, moyenne, nous permet d'absorber le non-Moi, et l'identification extrême nous engloutit dedans. Comme dans l'amour au début, ou l'extase mystique qui fait un le deux. Pour ce qui est positif ou lumineux. On peut de le même manière être englouti dans le non-moi, dans l'obscurité pour s'y fondre, cultiver des vices, ou se sentir victime à l'extrême, ce qui mène généralement au suicide. L'identification normale ne va pas loin du tout, et c'est pourquoi certains cherchent une telle identification qu'ils puissent s'oublier dedans, mais cela ne marche pas si l'identification est produite par le Mental. Si l'on est honnête, on sent très bien la différence entre s'imaginer connaître Dieu, et en faire l'expérience, malgré soi en quelque sorte. Alors l'absorption ne fait plus de doute et l'Un est trouvé. Après, il est difficile d'en parler. Saint Thomas d'Aquin a fait une expérience merveilleuse pendant une messe à Naples, après quoi il a décidé de ne pas finir ses œuvres (ouf !) étant donné qu'il était quelque peu intégriste... Il est certain que mystique et sagesse tendent à révéler que le moi peut dissoudre les membranes qui le séparent du non-Moi, et y retourner en se sentant totalement uni. Il va de soi que l'identification active, par l'exercice de la pensée, ne peut pas mener là, même si la pensée parfois cherche à transpercer la membrane, puisque elle est elle-même la membrane qui filtre le non-Moi.
Comme à chaque instant, le non-Moi change de figure par rapport à nous, avec le temps qui en transforme sans cesse les aspects, il est suffisant de savoir comment s'y prendre avec le non-Moi pour savoir comment s'y prendre avec soi-même, ou inversement. Mais comme nous sommes collés au non-Moi par le processus d'identification, il est aussi difficile de l'isoler de soi-même, que de s'isoler soi de lui. La sagesse procède dans le but d'isoler le non-Moi de soi, et de revenir à la racine. La mystique au contraire préfère se noyer dans l'expérience du non-Moi, et trier sans cesse, pour ne garder que l'essentiel, avec la difficulté d'abandonner toutes les satisfactions qui ne sont pas assez profondes pour se concentrer sur le don de soi. Mais en-dehors de ce simple fait, de savoir si l'on commence la Voie par la reconnaissance de soi-même ou par la reconnaissance du non-Moi, et donc du Divin, il n'y a pas de différence majeure dans la voie spirituelle, plutôt des degrès qui se dessinent, ou encore, la reconnaissance de la valeur de la Vie, peut varier, mais dans l'ensemble la Voie s'écarte de l'identification active, produite par la pensée aussi bien que par les sens, et exige qu'on cesse de s'identifier avec complaisance aux objets qui séparent de l'intuition d'appartenir à l'arrière-plan des choses. La passion est vite dénoncée comme s'accaparant le moi et le non-Moi dans un amalgame douteux, comme toutes les obsessions, et comme tous les buts séparatifs, qui demandent de sacrifier l'ouverture au réel à de constantes petites mises en forme du présent. Le moi et le non-Moi sont indissociables pendant l'incarnation, et c'est ce qui m'intéresse dans mon travail. Présenter l'incarnation comme moyen d'accéder au Divin. Je travaille donc pour la personne humaine telle qu'elle se présente, et je ne prétends donc pas l'isoler de sa globalité, et de m'adresser à son âme. J'ai dû m'y prendre de cette manière-là dans d'autres existences, mais le Supramental ne me permet plus de considérer les choses de cette manière-là. Je n'ai rien contre les « sauveurs », et Sri Aurobindo leur a plutôt rendu hommage également. Je choisis mes concepts en fonction de l'effet désiré, et je veux que les êtres humains se confrontent à la Réalité, avant de prétendre la connaître, et je ne vois pas comment quiconque pourrait la connaître sans s'y confronter.
Et pourtant la Voie, l'ascèse, c'est d'abord cela, vivre dans le paradoxe de l'identification, afin d'en voir les limites. Se retirer des identifications, car elles sont multiples, voir à quoi elles servent, si elles servent toutes le même devenir (ça m'étonnerait !) et dans ce barattage, aller plus profond en soi s'impose. Se tourner vers l'essentiel advient, c'est-à-dire cesser de s'identifier n'importe comment à tout ce qui se présente, le désir et la peur pour Bouddha, l'âme charnelle pour les soufis, la société pour Lao-Tseu, l'avenir pour l'occidental moderne, tout ce qu'on voudra ! Puisque de toute façon, nous nous identifions trop, par principe, à des choses qui bouchent la vue. La dualité moi-non-Moi est donc d'une simplicité et d'une richesse infinies, et je ne vois pas comment j'aurais pu articuler les choses autrement. C'est une notion qui renvoie à ce qui est observé et observable, le sujet contre ou avec ce qu'il perçoit, le sujet devant le présent qui se présente et sa faculté-nécessité de s'identifier à ce qui se passe. Tous les autres concepts sont fumeux pour parler de la perception brute, originelle, des choses. Nous ne connaissons pas la nature de l'autre, encore moins celle de Dieu, et nous remplissons le présent de tous nos fantasmes, de toutes nos craintes, et de tous nos espoirs. Tandis que le moi face au non-Moi, c'est notre condition, qui préexiste à tout ce qui peut en découler, c'est donc le mystère de la vie humaine, puisque le moi possède la pensée pour investir le non-Moi. Mais le hic, c'est qu'il investit quelque chose dont il fait partie, intégralement, et qu'il ne sait jamais s'il s'en empare et le mutile en le faisant sien, ou bien s'il le réintègre quand il l'investit avec sa pensée, ses désirs et ses peurs. Voilà.
Ne me dites-pas qu'il y a autre chose que le moi et le non-Moi, puisque il n'y a que cela dans l'exercice de la réalité. Des êtres qui à chaque instant, par le médium du présent, constituent une présence, une flamme qui brûle dans un champ immense, le non-Moi, qui comprend toutes les autres catégories. L'astuce, naturellement, et je vous la confie, parce que vous êtes des fidèles, c'est de retrouver dans le moi et le non-Moi les mêmes composants. Là c'est l'autoroute vers le Divin. Les gounas, le yin et le yang, le septenaire astropsychologique bien compris. Il n'y a alors plus qu'à faire coïncider l'ordonnancement du moi avec celui du non-Moi, c'est-à-dire à vivre pour les principes, amour, connaissance, intégrité, et se méfier du reste. Il n'y a besoin de rien d'autre, l'amour revient au cœur relié, la connaissance à l'intelligible relié au reste, et l'intégrité est nécessaire dans l'ensemble, pour le corps, pour l'honneteté intellectuelle, et empêcher l'Amour de se perdre dans l'objet. La voie est donc très simple, c'est un jeu décisionnel permanent, et ça demande un courage rare, car pas plus les opportunités que les obstacles ne favorisent a priori les bons choix. Le facile corrompt et l'adversité décourage.
René Guénon a commencé à traiter correctement cette question, celle des « principes ». J'en ai déjà trop dit, comme disait le Trévisan quand il lâchait le quart d'une bribe d'information sur la pierre philosophale. C'est que les mots n'y mènent pas, il faut savoir luter (fermer l'alambic correctement), sinon il explose dans la dernière cuisson, et tout le travail de plusieurs années tombe à l'eau. C'est la même chose dans la Voie, plus on s'ouvre d'un côté, plus il faut savoir devenir étanche de l'autre. J'en sais quelque chose, parce qu'il n'y a pas plus éponge que moi, même astrologiquement parlant, avec la force des Poissons, de Neptune, de Vénus à l'ascendant, par le Taureau, et en Maison 10 en Verseau.
Oui, le Moment est envoûtant et c'est facile d'y succomber, mais se laisser envoûter par le Divin, ce n'est pas mal non plus, et c'est ce qui m'est arrivé. J'en profite pour raconter une expérience récente, il faut dire que depuis une semaine ça déménage beaucoup, que je n'ai pas citée dans le journal supramental, trouvant les autres plus reliées à la transformation proprement dite. Je me retrouve à ne plus pouvoir marcher ou presque, après un claquage musculaire, lui-même conséquence d'une ankylose. Je m'étais mal assis sur une table de massage rudimentaire pour jouer aux échecs, et son bord en bambou m'avait coupé la circulation sans que je m'en aperçoive. Je ne peux plus faire grand chose, surprends le mental physique à souhaiter une phlébite, ou que je ne retrouve plus l'usage de ma jambe droite, et voilà donc que je m'allonge et médite. Houla la la le flash ! Je n'en demandais pas tant. Soudain toute ma conscience se concentre en moi, j'oublie un peu mon corps, et j'éclate en sanglots. « Je suis atteint du syndrome de Stockholm » que je me répète, et toute ma vie s'éclaire. C'est que, oui, j'ai bien été pris en otage par le Divin en 1977. Ma liberté m'a été arrachée, et ma pauvre âme charnelle en a pris plein la patate. J'ai tout changé dans ma vie, et oui, finalement je me suis mis petit à petit du côté de mon ravisseur. Mais j'ai tellement souffert à certaines époques, que j'étais obligé de voir les choses comme cela pendant cette illumination : Je suis tombé amoureux de mon gêolier, souvent il y a eu des hauts et des bas, je me suis échappé pendant un an (mai 82 à mai 83) mais Il m'a récupéré en faisant travailler la Shakti dans les jambes d'un seul coup, sans prévenir, et j'ai repris le collier. J'ai parfois oublié ma condition par habitude, et puis voilà que ma situation s'aggrave à nouveau, je suis en train d'être reconnaissant (comme pendant les années sans résistance de 78 à mai 82), au Divin de m'avoir enlevé, et fait prisonnier. Toutes ces questions s'éclaireront bientôt pour les autres puisque j'écris sur l'énorme résistance de l'âme charnelle au Supramental, tout en affirmant que le passage existe pour qu'elle se soumette. C'est peut-être mon meilleur livre, qui sait. Profitez-en pour méditer sur ce que représente le non-Moi pour vous, comment le percevez-vous ? Chez ma mère, ce n'était qu'un jouet, cela a été une des plus belles expériences de mon existence. M'identifier totalement à la manière dont maman voyait les choses. Cela m'est arrivé à la fin des artifices génétiques, sans doute en avril 2001, en début d'après-midi. D'un seul coup ma perception a totalement changé, aussi sûrement que sous l'effet d'une drogue, c'était dans le parc près de la mer, à Nice. Je n'étais pas encore très brillant à cette époque, mais toujours aussi réceptif et confiant quand même. C'est comme si je devenais un autre. Tout est beau et magnifique, le parc, les fleurs, les gens n'ont aucune importance, et j'ai juste envie de les saluer, les interpeller, les provoquer, ils sont un peu comme des animaux domestiques inconnus, mais dépourvus de l'existence propre qui vaudrait la peine qu'on s'y attarde. Tout n'existe que pour moi et pour que je m'en amuse ! C'était vraiment aux antipodes de ce que je suis, mais une vie là-dedans pourquoi pas, ça ne peut pas être vraiment triste. Maman était encore vivante et ce n'est donc pas une possession, sans doute que les gènes se sont reconfigurés un moment, il m'est arrivé la même chose avec papa plusieurs années plus tard. Ces expériences n'ont pas lieu de durer longtemps, mais ça décoiffe et c'est vraiment d'une beauté ahurissante. Maman était cyclothimique, et très désagréable pendant la phase dépressive, mais dans la phase d'euphorie, elle était vraiment quelqu'un de remarquable, et toute le monde le reconnaissait. Le non-Moi n'est pas perçu de la même manière par chacun. Pour moi, c'est immense, ça me dépasse, et je lui appartiens de A à Z, et par définition il est merveilleusement merveilleux. J'ai horreur de devoir me forcer à distinguer les choses. Bien sûr, je ne confonds pas les chats et les chiens, mais les catégories me font vraiment braire. Il n'y a que Lui, et, tombé dans la Matière, c'est déjà pas mal qu'il y ait des êtres humains qui veuillent revenir à Lui, Il commence à se souvenir de Lui-Même. Non pas que la mystique doive devenir obligatoire, mais sans elle, la terre sera détruite par l'homme envoûté par les gounas, et donc je témoigne. Ni plus ni moins.
11 Février 2015
Mais la mystique ne part pas forcément de la reconnaissance du Divin, elle peut surgir d'un amour intense de la Vie, si elle demeure mystérieuse pour l'esprit, et c'est là le problème. Le Mental nivelle tout ce qu'il touche. Quand il a opposé le haut et le bas, il est si fier qu'il ne veut plus prendre les escaliers, et il place en haut les choses qui sont en bas, et qui lui plaisent, et en bas, les choses qui sont en haut, et qui sont difficiles à vivre. Il n'est pas fait pour tricher, mais c'est ainsi qu'il fonctionne à moins qu'un principe supérieur lui impose l'honnêteté, et lui rappelle que la subjectivité est davantage une plaie qu'autre chose. Les hommes et femmes qui aiment l'objectivité sont souvent rejetés par les autres, leur regard est trop dur, trop acéré, ils ne se vautrent pas, et cela devient de plus en plus suspect de ne pas se vautrer. Soit dans le sexe, soit dans le narcissisme, soit dans le pouvoir, soit dans l'argent. Je ne sais pas comment nous traverserons la phase plutonienne qui s'avance, toujours est-il que Pluton, symbole astrologique, représente cette force qui dévoile la puissance de la matière, l'attrait du concret, et elle est donc terriblement dangereuse, et comme la planète en question a été découverte en 1930, je suis partisan de dire qu'elle agit beaucoup depuis ce moment-là, ou plutôt que l'espèce est prête à reconnaître en elle cette attraction pour valider la matière. Ce n'était pas aussi net avant. Bien sûr, le dix-neuvième siècle s'est débattu comme un beau diable entre le haut et le bas, et il a merveilleusement particularisé la question du devenir, qui s'est éparpillé comme un vol d'hirondelles, comme le montre le grand Muray, avec le dibbouk de Debord sur l'épaule, mais le vingtième a bifurqué à la fin de la première guerre mondiale vers autre chose. Tout est devenu obscène d'un seul coup, les prétentions ont monté de partout, une ivresse existentielle a commencé à poindre, toute la terre a été prise dans le phénomène d'ensemble et d'un côté le nazisme a monté tandis que l'autre le Supramental descendait. Je n'utilise pas les concepts au hasard, et ma vision de Pluton m'a été inspirée par le supramental. Quelques personnes veulent me rencontrer quand elles se sont reconnues dans les difficultés existentielles qui sont les leurs et correspondent à ma division de Pluton en Maisons, sur mon site astrologique. Je n'ai pu écrire tout cela, qu'à partir d'une position rare, très rare, même en astrologie, qui consiste à dire que nous avons des comptes à rendre à la réalité, à la Vie, au Divin, en échange de notre libre arbitre. Dans l'obscénité actuelle du culte du moi, c'est une vision soit archaïque, qui fait penser aux Pères de l'Eglise moralisateurs, soit une vision en avance, et alors il est souhaitable que ce sentiment d'avoir des comptes à rendre au Divin se développe dans l'avenir sans qu'il soit contraignant, un peu comme en Amour en tenant beaucoup compte de l'autre, auquel cas nous tombons sur la notion d'un respect vis-à-vis du Divin qui n'est pas si contraignant que cela, mais qui impose d'en finir avec la complaisance vis-à-vis de soi-même, le nouveau fléau historique. C'est encore une histoire de balancier, car il y a eu tant de générations écrasées avant le vingtième siècle, que la revanche s'est prise dans le fil de l'Histoire, et qu'elle continue sur sa lancée sur les progrès du matérialisme. Le supermarché est la nouvelle église, je l'ai vu souventes fois, avec ce que cela représente de sérieux et de cérémonial de s'approvisionner et de conclure ainsi un petit pacte agréable avec l'avenir. Commencer à aimer Dieu en (le) mangeant, il me semble que c'est ça le début de l'évolution biologique, et Jupiter est d'accord. La reconnaissance du ventre peut mener à celle du Divin. La satisfaction est le grand principe de la montée évolutive, et même si plus de la moitié de ses formes sont toxiques, quelques-unes ne le sont pas. Tout ça demande à être nuancé. Le problème c'est que si nous vivons un retour de refoulé historique, tant nous avons souffert pendant des millénaires de la précarité et des abus de pouvoir, il faudra bien le dépasser un jour ou l'autre. L'espèce se défoule, mais il n'y a pas que ça, les traces de notre passé sont à effacer.
Je sais que l'astrologie peut me discréditer auprès de certaines personnes, mais ce sont justement des êtres imbus d'eux-mêmes, qui se croient libres, qui croient avoir vu ce que d'autres ne font que pressentir ( ils ont pensé la raison !) et qui marchent sur des échasses, ou bien ce sont des esprits si influencés par la culture ambiante qu'ils ne sont toujours pas passé à la devise socratique connais-toi toi-même, et ils hurlent donc avec les loups, toute cette bien-pensance rationaliste qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, et qui est fière de ses oeillères. Pour ne pas être sensible à l'intelligence de Dane Rudhyar, soit il faut l'ignorer, soit l'éviter, soit le lire et s'imaginer que toute forme de vision des choses qui n'est pas semblable à la sienne est inférieure, ce que je nomme personnellement le complexe de Descartes, qui possède plusieurs fédérations en France, surtout parmi les élites... Il me paraît plus facile d'utiliser « Pluton » que parler de ce que j'entends par là avec d'autres termes, mais c'est clair que l'esprit humain a commencé à regarder vers le bas en Occident, alors qu'il se l'interdisait plus ou moins avant, et tout cela est arrivé en même temps à l'échelle de l'Histoire, avec Lamarck, Darwin, Nietszche et Freud, qui arrivent dans un mouchoir de poche, et font tomber l'idole de son piédestal.
La psychanalyse, c'est le strip-tease de la réalité, et il fallait passer par là pour savoir que nous étions nus, le mental, orgueilleux par nature, n'étant pas parvenu à enterrer définitivement ce scandale malgré tous ses efforts, et plusieurs siècles d'Inquisition...
L'homme est en route vers autre chose, il tient de plus en plus compte de facteurs qui lui échappaient auparavant, mais c'est dans une euphorie aveugle qu'il avance, et il ne veut donc pas payer l'ardoise de l'industrialisation, la pollution démoniaque tous azimuths. Je suis donc un auteur « plutonien » qui ne cesse de chanter la confrontation à la Matière, en dépit des nombreux dangers qui guettent celui qui regarde vers le bas, et qui sera absorbé dans les forces chtoniennes ou régressives s'il n'oppose pas à ce regard qui descend vers les ténèbres une aspiration verticale plus forte encore. A égalité de force, c'est le bas qui triomphe : nous sommes dans un monde gravitationnel.
L'hypothèse plutonienne est la suivante : nous ne pouvons pas nous libérer de la fascination de la Matière avant de l'avoir éprouvée. Toucher un peu à l'argent, au sexe, ou au pouvoir, pourquoi pas ! En général, une de ces trois choses-là nous titille et nous travaille de l'intérieur, alors pourquoi ne pas aller voir de plus près ? Après s'être fait les dents, passons à autre chose. Mépriser la Nature, avide de satisfactions sensibles, ne sert à rien. Mère disait déjà dans les entretiens de 1950/51 à quel point il est difficile d'harmoniser le vital. L'écraser, non, lui laisser libre cours, non. Alors quoi ? C'est une bonne question et je vous remercie de me l'avoir posée. Dans le tarot, la liberté mène à la reconnaissance de l'Amour. L'amoureux succède au pape, le 6 au 5. La liberté n'aura été que de courte durée... Elle finit par accumuler les choix à faire et quand elle devient un fardeau, la soumission au Divin peut faire l'affaire. Sept, le chariot, réintègre la liberté dans l'Ordre. Être libre, c'est chercher la piste. Voyager en maîtrisant sa monture.
13 Février 2015
Je n'en ai pas fini avec l'opposition du moi et du non-Moi. Elle implique, sous-entend plutôt que la réalité est insécable. Le non-Moi est vu comme l'ensemble de ce que le moi peut percevoir, avant les distinctions, les divisions, les catégories, les étagères conceptuelles. Le simple fait d'utiliser cette expression est un rappel au mytère de l'existence, et c'est ce que je voulais obtenir. Si l'on prend à la place l'opposition du sujet et de l'objet, la formulation est déjà narcissique, l'objet étant à la merci du sujet, existant pour lui. C'est une mauvaise notion pour la vision ouverte que je veux donner de la perception pure. Elle peut convenir au contraire en psychanalyse, puisque dans ce « travail » le sujet doit l'emporter sur l'objet de toute façon, pour en guérir. Mais dans la vision supramentale, c'est l'humilité qui mène loin, et laisser entendre que le moi est face, non pas à l'objet dans lequel il peut se mirer tout à son aise, mais face à l'univers entier, présent par le présent. C'est un excellent rappel à l'ordre, de la raison, dont je ne dirai jamais assez jusqu'à quel point elle peut être prétentieuse, s'enfermant dans ses prédicats toute honte bue. C'est ainsi que toute la philosophie ontologique est parcourue depuis Platon par l'affirmation de vérités éternelles à découvrir, au-delà de la juridiction des sens, accessibles par la fonction intelligible. La chose se promène pratiquement chez tous, et ça pinaille d'un auteur à l'autre, la chose se fend parfois d'une défense du christ ou non, mais c'est là en permanence, très mal exprimée chez Descartes, mais fidèle au rendez-vous, chez bien d'autres aussi, avec toutes sortes d'entourloupettes géniales, comme les monades de Leibniz, le leitmotiv de Hegel sur l'identité entre la raison et Dieu, les affirmations de Spinoza, mais qui dit que ces vérités éternelles conduisent à Dieu ? Ce n'est pas évident que ces auteurs si intelligents ont fait de vraies expériences d'unité, qu'ils aient vraiment brisé la coquille de l'œuf, comme si, cachés derrière cette raison souveraine, ils s'étaient empêché l'intensité absolue, qui se moque des « vérités éternelles » et relativise la raison, ce qu'on trouve plutôt chez Augustin, et Nicolas de Cuse. Déjà, Malebranche avait accusé Descartes de ne pas avoir poussé assez loin son cogito ergo sum, pour ressentir derrière ce pouvoir l'amour de Dieu. Les « preuves » cartésiennes de l'existence de Dieu sont toutes froides, métalliques, formelles pourrions-nous dire, et n'engagent strictement à rien, sinon supposer qu'un Esprit qui nous dépasse nous autorise à penser. La belle affaire ! L'ontologie rationnelle est donc trompeuse, on ne sait pas jusqu'où elle est ou n'est pas un jeu de miroir de l'intelligible, jouissant de construire en abîme son pouvoir de voir autrement que par les yeux physiques. Ainsi Leibniz qui dit que si Dieu est possible, il est nécessaire, reprend à son compte un vieux sophisme d'Anselme, qu'il tourne bien mieux, tout ça pour des résultats peu convaincants. Le pire est naturellement tout ce que Descartes attribue à Dieu, on sent que le Divin n'a qu'à bien se tenir... à cette perfection octroyée par ce malade (il ne voyait pas que les animaux souffraient). Tout cela est pour moi d'une telle puérilité que j'en ai été longtemps profondément blessé. C'est en train de guérir, car le supramental me montre, spontanément bien sûr, dès que j''y réfléchis, le génie de l'Occident. J'en parlerai beaucoup dans mon nouveau « testament » Après l'Histoire...
Pour éviter ce genre de dérives, je m'en tiens donc généralement à des concepts qui, pour un cartésien, « noient le poisson ». C'est bien mon intention, pour renvoyer le lecteur à sa propre perception de la réalité. Ce n'est pas à moi de lui dire ce qu'il doit faire de sa perception, je l'amène seulement à considérer l'insuffisance d'attention qu'il pose entre lui et le monde, entre le moi et le non-moi... Donc, je suggère que le présent s'enfuit n'importe comment de tout être qui n'en revient pas à la base, à la fondation, vivre le présent en le recevant autant qu'en l'actant, le leitmotiv rabâché par les taoïstes et les auteurs des Upanishads. Bien sûr qu'il y a un présupposé, à savoir que le présent bien utilisé, mène au Divin, of course. Mais je m'interdis de trop m'avancer sur ce « bien utilisé », pour ne pas reproduire les erreurs ontologiques, qui contraignent le sujet à être vertueux, moral, éthique, croyant, etc... Je témoigne donc, et ouvre la Voie d'une manière si indisctincte, comme Lao-Tseu, que chacun peut s'imaginer la suivre, à partir du moment où il ne suit pas un itinéraire préétabli. Je me sens fidèle à un nombre incroyable de témoins qui m'ont précédé, Bouddha, Nagarjuna, Sankara, l'ensemble des maîtres de l'impersonnel d'ici ou d'ailleurs. Il y a autant de chances que le Divin se manifeste dans un esprit qui n'y croit pas, mais qui est apaisé dans le Soi, que chez un croyant qui ne sait pas comment s'y prendre avec lui-même, et patine dans la dévotion. Le chemin de l'impersonnel au Divin est aussi légitime que celui qui part de la croyance en praxis, la bhakti : tout dépend de la personne, de son karma, parfois de son genre. Le non-moi peut tout représenter, et c'est ça l'avantage. Il n'y a que vous-même face à vos processus d'identifications. C'est à vos risques et périls que vous croyez en Dieu si vous ne Le recherchez pas, ou que vous n'y croyez pas alors que votre intuition vous pousse à vous embarquer sur la Voie. Le non-Moi reste longtemps à l'abri de toute caractéristique objective, puisque, dans un premier temps, c'est notre propre structure psychologique que nous projetons dans les événements.
14 Février 2015
En ne m'avançant pas sur ce qu'est le non-Moi, je caractérise le mouvement de la perception qui va du moi à l'extérieur, et de l'extérieur au moi, c'est largement suffisant pour ouvrir tous les possibles, et témoigner que la navette peut devenir fructueuse à certaines conditions. Et tous les philosophes ontologiques de toutes les époques peuvent aller à Mykonos tenir leur congrès sur les vérités éternelles, je maintiendrai qu'il n'en est pas besoin, et qu'il suffit de savoir se placer correctement face au non-Moi pour traverser tous les cercles jusqu'au Divin. D'ailleurs, même en partant d'une approche seulement intellectuelle et ouverte, certains se rendent compte de l'immense imposture des distinctions que le mental impose aux choses. Sans connaître ses œuvres, il se trouve que je suis d'accord avec Merleau-Ponty sur l'identité de la sensation et de la pensée. Ce ne sont pas des choses différentes, mais deux degrés différents de la perception, ce qui change tout. Nous pouvons jeter l'idéalisme à la poubelle, si elle veut bien le contenir, ce qui n'est pas certain, l'excès de propreté pouvant déplaire à toute poubelle fière de ses prérogatives. La pensée est une sensation comme une autre, sauf qu'elle n'est pas rattachée, par principe, à l'immédiateté. Qu'elle possède toute une gamme de produits, comme un supermarché qui se respecte, c'est la moindre des choses. Okay pour l'induction, la déduction, les opérations arithmétiques, God bless toutes ces choses, bien entendu, mais à quel moment un mathématicien est-il véritablement séparé de son corps, qui lui se contente des sensations primaires, de la saveur du café chaud qui va remonter ses neurones, comme de parfaites petites horloges ? Nous voyons bien que le moi n'a pas à être caractérisé davantage, il se déploie dans une homogénéité infaillible qui lui permet de naviguer, selon les moments et ce qu'ils apportent, entre la sensation pure et l'idée abstraite le plus loin possible de la chair, sans qu'il y ait la moindre rupture dans ce processus. La bicéphalité est entièrement dissimulée dans le fonctionnement homéostatique du libre arbitre, et elle n'apparaît qu'au moment où la régulation est en désordre, que le moi souffre du non-Moi, ce qui sépare les deux âmes. La philosophie de la non-dualité est donc également juste, puisqu'à aucun moment nous ne pouvons séparer le corps et l'esprit dans la saisie du présent, mais la bicéphalité apparaît dans les états de crise, de chaos, de maladie, de souffrance. Par conséquent il n'y a pas à opposer l'idéalisme et le matérialisme, chacune de ces branches philosophiques traite d'un aspect de notre constitution. Le matérialisme donne confiance dans le présent et le changement, en présupposant l'unité du corps et de l'esprit, l'idéalisme veut creuser la question de la difficulté d'être et l'attribue à la rivalité entre les âmes sensible et intelligible. Finalement, la vision matérialiste est pleine de préjugés favorables, et souffre d'insouciance systématique comme l'idéalisme souffre de peurs imaginaires associées à des projets grandioses, qui surpombent le cours du présent.
C'est donc cela qui nous intéresse, qu'on puisse passer d'un coup de téléphone à la résolution d'une équation qui ferait peur à Poincaré, tout en ayant regardé distraitement les nouvelles en faisant l'amour. Tout cela se tient, et à aucun moment plusieurs moi alternent. C'est le même moi entier. Qu'on l'appelle sujet, individu, être humain, specimen de l'homo sapiens sapiens, personne, peu importe. Une homogénéité indécidable nous emmène d'une partie de nous-mêmes à une autre, le présent apportant les objets stimulants toutes les zones de notre cerveau, quasi régulièrement, par la simple distribution de nos activités. On ne peut donc pas penser par-dessus le corps, sous prétexte que nous avons une âme, par exemple, ou mépriser les développements de l'intelligible sous prétexte que nous sommes avant tout une créature biologique, soumise à des règles précises, et pour laquelle l'intelligence ne jouerait qu'un rôle minime, donner au moi le sens de son ipséité continue, ce que les sensations ne peuvent pas produire, étant donné leur diversité. Une certaine mode fait un pied de nez au Divin la conscience tranquille, tout en s'appuyant, soi-disant, sur la biologie, pour niveler notre mystère d'être, et nous inviter à n'être que des egos surpuissants. Mais on ne peut pas faire confiance davantage à Blaise Pascal qu'à Jean-Pierre Changeux, qui se met au sommet d'un édifice qu'il croit avoir compris et intégré par de simples recherches scientifiques, dans cette mare aux canards de l'idolâtrie de la raison, bien française, et qui survit depuis Descartes pour donner à nos intellectuels le sentiment de savoir de quoi il en retourne, sentiment lui aussi gastronomique, et qui convient bien à l'âme de notre pays.
On ne peut pas mettre l'incarnation au service du post mortem, pas plus que le sujet pensant ne peut se résumer à un singe supérieur socialisé, capable de tout faire cadrer dans son existence, de répondre à tous ses besoins, sans ressentir l'abîme et la promesse de l'être. Voilà pour le moi, mystère et boule de gomme, et c'est fait pour, comme disait Fernand Raynaud, pour ceux qui s'en souviennent. La finalité du moi est dans l'ouverture au monde, et non pas dans son traitement a priori sociétal, moral, éthique, ou transcendantal. Toutes ces options sont des pièces rapportées sur l'humain, cette créature extraordinaire qui souffre d'une homogénéité obligatoire entre différentes parties de son être qu'il ignore, ou n'approche qu'à regret, ou n'investit que s'il peut en tirer du plaisir et du profit. Voilà le moi : un sac de nœuds qui paraît, par la magie de l'univers, une belle corde enroulée sur elle-même et qui pourra se dérouler selon les circonstances. Or, cela est faux. Les émotions, les affects, les idées occupent le même espace et ne servent pas un moi unique, mais différentes parties du moi. Sinon, eh bien sinon, il y aurait cent fois moins de plaques de cuivre dans nos beaux quartiers. Nous ne pouvons donc pas caractériser le moi outre mesure, sinon justement dans l'exercice du présent, là où il apparaît entier, puisque pensée et corps sont indissolublement unis et prêts à ressentir le fait d'être, ce qui diffère de l'état du sommeil. Mais comme l'a fait remarquer Gurdjieff, sans une décision d'être là maintenant aussi bien avec la pensée qu'avec le corps, le moi ne s'expose pas entièrement au présent, et il se mutile. Il rêvasse sa présence au monde, car il ne s'est pas fermement attaché au présent comme à une réalité objective. Je l'ai vu et répété à de nombreuses reprises : pour beaucoup d'êtres humains, le temps, le devenir n'est que le prolongement de soi-même.
Quant au non-Moi, c'est une belle expression. L'objet n'est pas encore là. Le non-Moi peut tous les fournir, comme il peut être distinct si nous le considérons comme l'ensemble du monde extérieur se déroulant sans nous. C'est un concept d'une objectivité absolue. Le non-moi n'est pas plus récupérable par un psychologue que le zéro ne l'est par un mathématicien. Si par la suite, le moi se demande quelle est l'identité possible entre lui et le non-Moi, il a une chance d'entrer dans la Voie. S'il est incapable de percevoir le non-Moi en tant que tel, comme indépendant de tous les objets qu'il peut présenter à la perception, alors bien sûr ce moi-là n'a aucune chance de parvenir au moindre développement spirituel. Le non-Moi est immense, et même infini, et si aucune mesure intérieure ne s'effectue, il ne s'avère pas plus prégnant, plus significatif, plus présent, plus valide que l'immédiateté, et en voie de conséquence, la vie évolutive n'est pas possible. La vision de la pertinence du non-Moi doit s'inscrire dans la fonction intelligible et prévaloir, ne serait-ce que de peu, sur l'importance que le moi s'attribue à lui-même, pour que des prises de conscience ascendantes s'effectuent, sociétale, morale, éthique, métaphysique. Le non-Moi comprend l'invisible, les principes, c'est le fond de sa nature, et le monde phénoménal est son épiderme. Le non-Moi supporte d'être qualifié de Tao, de Divin, de réalité, d'infini, d'espace-temps, d'Histoire, de somme de tous les individus, de tous les signifiants, innombrables, qui en dévoilent une partie ou veulent l'embrasser dans une totalité. Ainsi, pour Sri Aurobindo, le non-moi est le Divin, d'autant qu'il ne cesse d'affirmer que tout est le divin. Mais je n'ai pas choisi ce terme, car il fait systématiquement regarder vers le haut, alors que le non-Moi ouvre l'intelligence dans toutes les directions, et librement, alors qu'avec le Divin, le problème est que l'esprit s'imagine toujours qu'il attend quelque chose de nous, la trace quasi cellulaire du judéo-christianisme et de son œil inquisiteur. C'est dans les gènes de la culture, si j'ose m'exprimer ainsi. Donc, on peut appeler le non-Moi comme on veut, et le moi comme on veut, de toute façon, la seule chose vraie qui existe vraiment, c'est à chaque seconde l'interface entre l'humain et ce qu'il perçoit face à lui, dans le visible ou l'invisible, par les sens ou l'intelligible. Peut-être qu'hier existe encore et que demain s'est déjà produit, pourquoi pas, mais ce genre de préoccupations est inutile dans le yoga supramental, puisque la shakti joue dans le pur présent, ce qui touche parfois le passé (nous en avons fait l'expérience) et ce qui peut-être touche aussi l'avenir, en déroutant certaines flux de leur lit... dans le temps. Ce qui compte, c'est le présent, quelle que soit l'image que le moi se fait de lui-même, et quelle que soit l'image qu'il se fait du non-Moi. Le présent renseigne sans cesse et permet de modifier chacune des deux images en fonction de l'évolution de l'autre. Désolé que toute la Voie tienne en deux phrases seulement, c'est encore un coup du Divin.
J'ai donc été extrêmement prudent dans mes écrits pour parler de la réalité, de peur de la souiller de tout ce qui pourrait la déchirer. Or, toute mon expérience me prouve que rien n'est séparé de rien, ce qui ne veut pas dire que nous ne devions pas établir des distinctions. C'est d'ailleurs ce que je fais en ce moment même en reprenant à mon compte le vieux casse-tête philosophique de la relation entre le corps et l'esprit. Je finis par avouer, sur le tard, que le moi, même s'il se présente dans cette homogénéité trompeuse dans le présent qui superpose sensation et pensée, est au moins composé de deux moteurs perceptifs, qui travaillent différement. C'est déjà beau que depuis cent cinquante ans, notre culture reconnaisse enfin l'autonomie de l'âme sensitive, ou charnelle, disons l'ensemble de la perception animale, qui serait nôtre, même sans la pensée. Le supramental révèle une puissance incroyable de la partie animale en nous, répartie d'ailleurs dans tellement de mouvements qu'on finit par s'incliner devant la perfection de la nature, si nous la voyons dans sa juridiction. Si nous acceptons que la nature n'est pas faite pour durer, alors notre corps devient une chose observable qui n'en finit pas de révéler qu'il n'est que cela, de la viande organisée, mais si bien organisée qu'il pourrait se passer de nous en tant qu'esprit, en tant qu'âme, en tant qu'intelligence. L'âme sensitive plonge dans le passé de la vie elle-même, y nourrit ses racines, et plus on descend plus c'est obscur, mais cela reste vivant, et bien coriace. Et enfin, on finit par comprendre la puissance du désir, c'est que l'âme sensitive sait peut-être qu'elle n'a pas l'éternité devant elle pour jouir de la vie, et la manière dont le désir sexuel est capable de s'accrocher au moindre indice d'une satisfaction dans l'immédiateté laisse pantois, l'humiliation passée, et cela force l'admiration.
Il est donc difficile de caractériser le moi, ou bien il faudrait le faire d'une manière exhaustive, et même cela ne donnerait pas le mode d'emploi de la chose. D'ailleurs, de nombreux systèmes ont décrit avec suffisamment de précision l'organisation du moi pour fournir des clés, mais comme il faut par la suite trouver les serrures qui vont avec, il y a peu d'êtres humains qui se jettent dans le présent en reconnaissant qu'ils ne savent pas nager. Il faut démécaniser l'intelligible qui évapore les faits (le complexe de Ponce Pilate), et démécaniser le moteur sensitif qui est très, très attaché à l'immédiateté. Le moi demeure donc infiniment mystérieux, d'autant que les êtres humains varient considérablement. C'est aussi une raison qui m'a fait renoncer à « des précisions trompeuses » comme dirait Sri Aurobindo. Le besoin vertical n'est pas réparti équitablement dans l'espèce, les besoins des êtres humains ne sont pas les mêmes, d'où l'inanité de déclarer l'âme obligatoire (une erreur que j'ai dû faire dans des vies éloignées), ou de vouloir convaincre quiconque qu'il a besoin de ce qui ne lui manque pas. Ce serait beau si les lecteurs de Bergson pouvaient changer leur vie, sous la révélation que le temps fait partie de nous-mêmes, mais le sens intelligible ne pénètre pas forcément l'esprit pour incrémenter le moindre changement dans le fonctionnement cérébral. Sinon, déjà, Platon, Jésus, Plotin, auraient pratiquement suffi à produire des épidémies de verticalisation, mais là n'est pas la vérité. Si donc nous disons que le moi est divin, déjà divin, et qu'il suffit en quelque sorte de trouver le chemin et de le laisser croître, même si cela est fondamentalement vrai et juste (voir la vie divine), c'est entièrement contestable par tous ceux que ce chemin n'intéresse pas. L'échec de la philosophie, de la religion, de l'éthique provient tout simplement du fait que chaque incarnation suit au petit bonheur la chance ce qui se présente à elle, et qu'elle ne peut obéir aveuglément sans abjurer sa liberté. Ce problème est absolument impossible à résoudre. Comme les mathématiques possèdent des problèmes qui ne sont toujours pas résolus deux siècles après avoir été posés, et qui excitent les « médailles Fields », n'importe quel esprit philsophique tombe un jour sur l'équation :
Ma liberté n'étant pas celle de l'autre, pourquoi l'obliger à suive un chemin, même meilleur que le sien, et de quel droit ? La vérité peut elle être coercitive ?
A cette question, la vérité peut-elle être coercitive, la réponse est non. Nous avons laissé quatre mille ans d'histoire en faire le preuve. L'identité du moi et du non-Moi est possible, c'est celle de l'être avec Dieu, mais l'autre, l'autre être humain, demeure identique à lui-même, ipso facto, et même si je me moque de Leibniz, je dois reconnaître que ses monades sans fenêtre coupent court à la discussion. Je ne sais si cela est dû à son éducation, son propre génie, ou à son thème astral, mais Leibniz a jeté un sacré pavé dans la mare, et trois siècles plus tard, il semble avoir raison. S'il y avait la possibilité d'une véritable contamination des valeurs d'une monade à l'autre, d'un esprit à un autre, l'Histoire aurait sans douté été meilleure. L'hypothèse que le moi est donc emmuré dans sa propre perception des choses, toute particulière, n'est pas idiote du tout. Cela n'infirme pas le fait que le moi de la nature soit le même chez tous, et que nous partagions les mêmes survivances dynamiques. Rares sont les personnes qui n'ont jamais connu un moment de colère, aussi n'y a-t-il pas la moindre opposition entre le particulier et le générique. Notre moi est fait d'une part d'ipséité, celle à qui je m'adresse, et pour le reste, il n'est que combinaisons de structures, génétiques, biologiques, psychologiques, ce que l'on pourrait appeler le mégasystème du moi, sur lequel Sri Aurobindo s'est déjà penché.
J'ai donc rédigé les principes de la manifestation dans un état très étrange, qui se voulait purement descriptif. L'ultime vérité, la voilà, le Divin tire les ficelles, d'un côté il descend, de l'autre, la nature monte vers Lui, vous êtes à l'intersection, qu'est-ce que vous faites de cette position ? Que cela vous plaise ou pas, c'est comme ça, le Divin est au-dessus du dieu créateur s'il existe bien une sorte de coordonateur des puissances angéliques. Vous n'êtes pas obligé d'adhérer à la chose. Si maintenant, vous êtes touché par les trois abimes,
celui du moi, c'est-à-dire de vous-mêmes,
celui du non-Moi,
et celui du présent qui les abouche l'un à l'autre à chaque moment,
c'est que vous allez entrer joyeusement dans le grand puzzle, et être capable de vous voir comme un élément du dit puzzle en question, mon cher Watson. Vous êtes cerné par l'infini. Point barre. J'ai ouvert, ouvert, ouvert... C'était l'intention du livre, faire semblant d'établir des choses, et en établir quelques-unes quand même pour avoir des repères, et travailler en douce sur l'intelligible, implicitement, pour lui dire, « eh mon vieux, tu as des ailes, qu'est-ce que tu attends pour monter ? Tu pourras redescendre avec des intuitions maousse costaud. Suppose qu'il y ait une organisation dans le déploiement, une évolution, ta vie pourrait changer ! » J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire, développer, modifier ce livre. Et je me vante d'y avoir présenté une vérité non coercitive. Le Divin tolère de ne pas être reconnu, bien mieux que les hommes envoûtés par leur religion. Fini la vérité obligatoire. Cela a échoué. C'est très difficile de montrer le Divin comme étant absolument nécessaire, c'est beaucoup plus facile de le présenter comme obligatoire. C'est ce qu'a voulu faire l'Histoire, et elle s'est lamentablement trompée. Hegel est une des plus belles fleurs du champ philosophique, mais le grand dévorateur en a déjà fait sa pitance. Ce sera plus difficile avec Sri Aurobindo, là c'est du lourd. Quant à la manière dont l'esprit sale recycle la propreté, c'est absolument ahurissant. Déprimant, donc monter vers la stabilité du moi, sinon ... Exposition Debord à Paris, il y a peu. Les accusés célèbrent leur accusateur en toute bonne conscience, se prosternent et lui rendent hommage. Record de récupération à battre. Allons, allons, t'affole pas pour si peu, le grand tout est large, les abîmes ne lui font pas peur. Il y avait paraît-il, des photos de mère et de Sri Aurobindo dans les derniers bordels de Pondichéry (vieux auroviliens dixit de visu). C'est peut-être ça la fonction du samsarâ,
de tout mélanger,
cela nous permet de remettre les choses à leur place. Pas moyen de s'ennuyer. Les vérités qui capotent en mensonges, c'est tous les jours, et ça va vite.
« La vérité peut-elle être coercitive ? Bien que les philosophes s'en défendent, ils ont tous été attachés à convaincre les autres de leur propre vision. Cette attitude est-elle véritablement compatible avec l'énoncé d'une vérité ? Faut-il se soumettre à la vérité, sous prétexte qu'elle est énoncée telle, alors même que l'esprit n'en a pas fait l'expérience ? S'il est loisible de suggèrer à l'autre que certaines vérités lui manquent, peut-on, pour autant, par amour de la vérité elle-même, le convaincre de se soumettre à quelque chose qui demeure hors de lui, quand bien même cela serait le souverain bien ? Peut-on faire le bien de l'autre contre son gré ? Ou son bien à lui peut-il différer du nôtre à ce point que cela nous dispense d'exercer la moindre pression, même argumentaire ? Sur quel sentiment intérieur fondons-nous l'identité de l'autre comme étant la même que la nôtre, ce qui nous autorise à lui imposer nos croyances ? Font-elles partie d'une raison universelle, qui en tant que telle pourrait aussi concerner qui nous voulons embrigader, à un moindre degré de connaissance que la nôtre ? Si la vérité est la vérité, pourquoi renchérir pour qu'elle soit reconnue, admise, par quiconque qui n'en fait pas l'expérience ? Ne se suffit-elle pas à elle-même ? Peut-il y a voir un autre moyen de parvenir à la vérité que l'exercice de la liberté ? La vérité peut-elle être transmise, comme par exemple une transfusion sanguine permet de jouir d'un sang neuf ? Ou n'est-elle qu'une parole qui se perd dans l'autre, alors que nous la dépeignons ?
15 Février 2015
Si nous prenons la vérité dans sons sens algébrique, c'est-à-dire quel que soit son contenu, l'Histoire occidentale nous montre qu'à chacune de ses étapes, la vérité a été imposée. Il est assez pitoyable de voir Saint-Thomas d'Aquin pourfendre tout ce qui n'est pas la foi catholique, et pourant c'était un grand homme. Son exemple nous montre les limites du mental, quand il ne sait pas s'abandonner réellement à l'Inconnaissable. Mon âme a fait l'expérience de l'Inquisition, la torture à l'écrou, et mon cou, du côté droit, en souffre encore, ce qui me met dans une tristesse abominable, d'où travail spécial, plusieurs heures d'affilée. La vérité marxiste a été imposée à la grande nation russe, qui a toujours été un peu excentrique, et cet équarissage ne pouvait pas fonctionner. L'avenir de cette région pose une question géopolitique grave. Enfin, bien sûr, un événement récent en plein Paris nous fait savoir que certains veulent imposer la vérité qui est la leur, et qu'ils ne reculent devant rien quand cetté vérité leur paraît bafouée. Une partie de l'amour que je voue à l'Est vient justement qu'on n'y trouve pas, ou beaucoup moins, l'intransigeance et l'ostracisme. Comme j'étais ému en Inde, de prendre des photos, par exemple celle de la caisse d'un réparateur de vélos installé dans la rue, avec des petites représentations, genre cartes postales, de dieux les uns à côté des autres, avec mon Jésus entre Shiva et Ganesh. Mais il est vrai aussi que si cette tolérance est telle que toutes les réalités sont acceptées et justifiées, et légitimes, il n'y a guère de progrès possible, en tout cas à la vitesse du reste du monde, et je maintiens donc, comme P Bruckner, que l'Inde n'est pas le joli conte de fées des maharadjas qui chassent le tigre et des ashrams encensant la bakti, — mes considérations s'abîment dans la réflexion bien sûr, puisque la « raison » peine à faire le lien entre la merveilleuse tolérance et l'horrible condition sociale de ce subcontinent, qui a recueilli les Védas, et fait naître les Upanishads, dont la profondeur, à mon avis, n'a pas d'égal à l'ouest, sauf peut-être avec Héraclite et Plotin, au rayonnement bien moindre, bien entendu.
Mais il n'y a que peu de temps que l'âme de l'Europe, vraiment naïve, s'est avouée que la vérité ne pouvait pas être coercitive. Il a fallu l'échec de la seconde Allemagne pour purger nombre d'intellectuels de leur foi absurde dans le communisme, et aujourd'hui encore la philosophie des droits de l'homme est cette dernière tentative de s'illusionner en ayant bonne conscience sur la capacité d'imposer « la vérité », dans son sens algébrique. Pourtant, ces tentatives ne sont pas vaines, et il faut donc en revenir au gaspillage du samsarâ, puisque en lui nous ne cessons de trouver de bonnes intentions dont le passage à l'acte reste inefficace, ou pire, amène des résultats contraires. Sri Aurobindo commente largement ce gaspillage, et moi-même j'y ai été confronté de nombreuses fois, car la raison patine. D'un côté il devient manifeste, évident, que seul l'Esprit, le Divin, manipule tout, et de l'autre, dans cette manipulation exhaustive, apparaissent des séries d'erreurs, de malheurs, de faux pas, que l'intelligence ne peut pas rattacher à la Vision de la perfection originelle. Il faut donc envisager que l'échec soit une forme de réussite lui aussi, soit qu'il prépare une amélioration, soit qu'il signale une impasse et permette une bifurcation. Il n'y a pas d'autre explication au paradoxe du Divin parfait à l'origine et de l'imperfection humaine, qui est ce qu'il y a de plus éclatant dès que nous touchons un plan spirituel fondamental. Même s'il ne s'en plaint pas, l'éveillé sait bien qu'il est différent, et s'il ne se juge pas supérieur, il considérera néanmoins être un homme amélioré par le soi impersonnel.
Imposer la vérité la transforme, presque immédiatement, en mensonge. La suggérer peut-être ? Mais qui est assez détaché pour la suggérer, sa vérité algébrique, sans prendre ombrage qu'elle ne soit pas écoutée, reconnue, validée ? La plupart des hommes punissent ceux qui ne veulent pas reconnaître leur vérité, ce qui fait de l'attachement à la vérité quelque chose de pire que de s'en moquer totalement. Diderot a même fait trois mois de prison en 1749, trop libre le bonhomme, subversif en diable pour l'époque. Mais l'Histoire peut-elle avancer autrement qu'en brûlant ce qu'elle a adoré et en adorant ce qu'elle a brûlé ? Va-t-elle suivre les plans que nous voudrions lui voir adopter ? A qui obéit-elle ? J'oserais dire à Pluton. À l'incoercible montée de la conscience dans la matière, dont nous sommes, ici et maintenant, messieurs-mesdames, les otages. Vous pouvez mettre toutes les guirlandes que vous voulez sur le sapin de noël de votre libre arbitre, ce qui dépend vraiment de vous est encore plus mince que tout ce que vous imaginez. Voilà pourquoi Natarajan, en évoquant le non-Moi, a suggéré la chose. A vous de voir si le sujet et l'objet suffisent. Cela serait rassurant et laisse entendre qu'implicitement le sujet choisit l'objet, or, là n'est pas la question. Les identifications que nous sélectionnons ne constituent pas l'ensemble de notre activité psychologique. En arrière-plan, il y a les réalités profondes auxquelles nous aimerions bien nous identifier instantanément, mais ce n'est pas possible, en premier lieu, bien sûr, Dieu, ou le sens exhaustif de la vie, et partant de la nôtre. Et en premier plan, il y a les événements historiques détestables et imprévus que nous n'avons vraiment pas demandés, et qui détruisent les vies, comme si cétait normal de finir à Auschwitz. Et c'est bien l'impression qu'ont eu de nombreux rescapés juifs les années qui ont suivi la guerre. On n'en parlait plus de tout ça, Vichy, la collaboration, tournons la page, nous n'y sommes pour rien. Jankélévitch avait été stupéfié par le silence assourdissant sur les horreurs nazies dès la libération, circulez y a rien à voir. La question n'est pas de s'en plaindre, mais de savoir si oui on non nous pouvons tirer la moindre leçon de l'Histoire pour ne pas répéter les mêmes erreurs, surtout quand ce mot cosmétique dissimule des crimes abominables.
Ce n'est pas si facile de dire des choses, y compris sur le Divin, qui pour moi demeure avant tout une expérience personnelle que je veux poursuivre, car je ne crois plus en l'humanité. J'ai assez donné. Mais si je ne suis pas le seul à vouloir Le rejoindre, alors oui, je témoigne pour ceux-là. Il y a des bribes de l'universel en chacun de nous. C'est une belle possibilité du devenir, la manifestation supramentale. Elle dépend aussi de chacun de nous, c'est ce que je sous-entends dans mes œuvres, mais la liberté demeure le principe premier. Peu importe qu'on me suive ou non. Je ne peux pas donner la même image du supramental que Sri Aurobindo, il est pour moi autant un moyen qu'une fin. C'est la raison pour laquelle je ne me penche pas outre mesure sur mes « expériences », l'Agenda a dit la chose proprement, et moi je ne veux communiquer que ce qui peut constituer la suite de l'expérience de Mère, et en ce qui me concerne c'est vraiment le nettoyage de l'ashvatta. Cela va aussi loin, peut-être davantage depuis quelques années, et je sais bien qu'on peut tiquer quand j'évoque ce moment où je me retrouve dans la conscience de ma mère (un soliton génétique qui s'est formé quelques dizaines de minutes, après le nettoyage des gènes qui a pris plusieurs mois) ou dans celle de mon père quelques années plus tard. Pourtant ce n'est pas difficile à comprendre, toute la matière vivante est codée et quand le supramental met le doigt là-dessus, il y a forcément des prises de conscience. J'ai été reformaté dans ma perception biologique, comme maman, puis comme papa, quelques heures, et bon dieu de bon sang de bois ! j'ai appris, j'ai vu, j'ai compris, j'ai avancé, et bien sûr, je ne suis pas resté là-dedans, il y avait le spectateur derrière tout ça, mais je voyais bien en même temps que je percevais tout différemment... Pour maman, je ne sais même pas si cela a dépassé la demi-heure, je ne me souviens plus. Pour papa, c'était plus fort, plus long, et beaucoup plus émouvant. Je me suis retrouvé dans l'esprit d'un mystique de la vie, qui par conséquent n'avait nullement besoin de Dieu, et encore moins d'un fils dans mon genre... En plus, je rappelle que j'ai usé de quelques drogues étant jeune, comme Arthur Rimbaud et Michaux, sans me laisser aller, et que j'ai donc l'expérience des états modifiés de conscience. Et bien, les solitons génétiques, ça n'a strictement rien à voir, c'est merveilleux. Indescriptible...
Deux critiques qui ont bien voulu me « recommander » dans leur michelin des associations spirituelles sont mitigés à mon égard, et s'avancent quelque peu en prétendant que mes expériences ne correspondent pas à celles de Mère et de Sri Aurobindo, ce qui les fait douter de ma « supramentalisation ». En-dehors de cette question épineuse, ils reconnaissent mes talents, et ont compris l'essentiel, une vision presque à la Spinoza, qui ouvre vers le Tout, et élimine toute religiosité. Ils pressentent aussi que je m'y connais en arts divinatoires, ce qui n'est pas faux, sauf que c'est purement technique chez moi l'utilisation de l'astrologie, et je les remercie donc de m'avoir suffisamment reconnu pour m'inscrire dans la rubrique correspondant à mes prétentions, même si je me sens dévalué, et je leur réponds par la même occasion, on ne sait jamais. D'abord je considère que le supramental a été validé par Mère, et que c'est donc suffisant. Des tombereaux de notes journalières sur ce qui m'arrive ne ferait pas mieux, et je n'ai jamais pensé qu'il fût obligatoire de faire comme Mère avec l'Agenda et comme Satprem avec ses carnets pour être validé par des tiers, d'autant que je ne bénéficie d'aucun soutien pour publier ce genre de choses. Autrement dit, messieurs, vous avez posé vous-mêmes les conditions de « ma supramentalisation » par rapport à un simple procédé comparatif, qui est largement insuffisant pour voir de quoi il en retourne. Pour être supramentalisé Natarajan aurait dû faire comme Mère et Satprem, soit : parler de lui, c'est un peu court, et je m'étonne que, diplômés comme vous l'êtes, vous ne vous soyez pas rendu compte que vous vouliez m'évaluer à partir de vos propres présupposés. Je revendique au début du journal exactement la même expérience que celle de Sri Aurobindo à Alipore, qu'il nomme Vasudeva. Pourquoi, la chose étant nommée et décrite, serais-je tombé dans la complaisance de répandre dix pages sur les merveilleux moments pendant lesquels, possédé par Vasudeva, je voyais le Divin concrètement et totalement dans chaque être ? Cela était régulier, près d'un an, une fois par mois environ (surtout quand je me déplaçais ... pour une raison inconnue, et cela pouvait durer une demi-journée !) Le supramental s'est implanté en moi, dans la nuque et les jambes, à cette époque-là, c'est-à-dire en 1978, et ça aussi je l'ai dit. La « supramentalisation » a commencé, et quand je me suis astreint, bien plus tard il est vrai, à tenir un journal à Bali, à Padang Bay, reporté sur le site, je ne me suis pas privé de décrire de nombreuses expériences purement supramentales... puisque j'étais systématiquement terrassé par les attaques psychologiques de la mort involuée ! Plusieurs heures, deux ou trois fois par semaine, à me traîner comme un moribond, rejet de la vie, honte du corps, tristesse infinie, et j'en passe. Près de deux ans là-dedans, avec il est vrai très peu de rapports sur la chose, parce que c'est déjà assez diffcile comme ça, alors encore en rajouter, pour dégoûter du yoga supramental, non ! D'autre part, l'énoncé de ces expériences est si intime qu'il est hors de question, pour quiconque, « de se mettre à ma place ». Ce qui est donc important, ce n'est pas la chose en elle-même, une certaine forme de torture en vérité, mais que cette torture prouve que la shakti divine est capable de descendre jusque-là, dans l'inconscient générique. Ça c'est une nouvelle !
Et pourquoi, d'autre part, serait-il obligatoire de détailler ce genre d'opérations du Divin, dont le descriptif ne va aider personne à évoluer, mais simplement à « savoir » ou « comprendre » que les choses se passent ainsi. Il n'y a vraiment rien d'incitatif dans le récit de la plupart des expériences autour du nettoyage de l'ashvatta, et pendant longtemps, je voulais être incitatif. Il est vrai que la chose diminue ou prend une autre forme. Sri Aurobindo n'a jamais fait preuve du moindre lyrisme sur ce qu'il « ressentait », jamais ! Alors, nous nous calmons. Il n'y a pas de cahier des charges à tenir quand on la chance de parvenir jusqu'au supramental, j'en parle comme ça se présente, sans me soucier de savoir ce que Mère ou Sri Aurobindo aurait fait à ma place.
Je n'ai jamais rencontré quiconque vivant cela à cinquante-trois ans, et à moins de l'assimilier à une psychose (voir le bénéfice secondaire de la chose), cela ne peut que s'interpréter dans l'exact fil des œuvres de Sri Aurobindo : c'est dans le physique que ça se passe ! Et si cela ne vous suffit pas, je suis vraiment désolé : je ne peux pas vous présenter le supramental que vous attendiez et qui serait dans la pure analogie de ce que vous en avez saisi avec la mère de Pondichéry. Nous ne sommes pas des clones les uns des autres. Ceci dit, si pour augmenter ma « crédibilité », un éditeur me demandait une récapitulation de la perçée du supramental dans le physique, telle que je l'ai vécue, je ferais ce travail volontiers. Il se trouve que je suis marginalisé et que je ne fais l'objet d'aucune reconnaissance de la part des français très engagés dans l'aurobindisme, que les éditeurs refusent systématiquement mes ouvrages de telle manière que je considère que le yoga que je vis est beaucoup plus important que le fait de le faire connaître, ce qui pourrait qui sait, m'en distraire !
Enfin, je parle de mon expérience non pas en tant qu'individu, ce dont je me contrefiche, mais en tant que maillon de la chaîne, en souhaitant of course, qu'elle ne s'interrompe pas. En revanche je reconnais qu'il n'y a pas de liaison immédiate entre les expériences du corps et le contenu de mes écrits, bien que cela puisse bientôt transparaître rassurez-vous. Je suis à la fois témoin spectateur du travail que je subis, et qui est parfois même violent figurez-vous, et acteur d'une nouvelle vision, d'un nouveau paradigme qui attribue au Divin, conçu d'une nouvelle manière, une suprématie absolue sur la vie humaine. Une élaboration doit trouver le jour, relativement compliquée puisqu'elle ne doit pas rabâcher l'aurobindisme, mais apporter quelque chose qui correspond à notre époque. C'est du travail. Je m'y emploie, avec les moyens qui sont les miens, une absorption sidérante des choses, de l'Histoire, un amour pathologique de la réflexion, et j'en dégage des points de vue. Je fais passer cela avant la consigne méthodique de tous les événements que je vis, pourtant journaliers, et qui complèteraient l'Agenda. C'est peut-être une erreur, une lacune, nous verrons bien. Leibniz dirait que je suis pas à pas mon conatus, un hindou dirait que je suis mon dharma, peu importe, la vérité est que je m'expose avec des thèses invraisemblables dans une culture qui est très éloignée de ce que je peux représenter, mais je ne vois pas comment faire autrement. Et je n'ai pas à me plaindre, voyez Socrate...
Mais l'Europe est en avance sur de nombreux points, et c'est donc un lieu privilégié pour faire passer l'hypothèse supramentale et consolider le travail qui a déjà été fait. Je vois les choses différemment grâce au travail de la shakti dans mon cerveau d'abord et maintenant dans le reste du corps, et il semble qu'il s'agisse là d'un gain considérable, puisque l'unité de la vie me paraît de plus en plus possible. Les conditions de cette unité apparaissent spontanément, d'elles-mêmes en quelque sorte. Cela va beaucoup plus loin que Plotin, Spinoza, Hegel, Bergson, que je peux considérer aussi bien comme des maîtres que comme mes prédécesseurs, et ça dépasse aussi christianisme, bouddhisme et taoïsme ! Et je n'y peux rien ! C'est le mouvement de l'Histoire, que Sri Aurobindo a fait bifurquer. J'étais là. J'ai senti au printemps 1967 quelque chose d'extraordinaire dans l'air, sur les rochers blancs au-delà du port de Nice, et j'en suis resté comme deux ronds de flanc... C'est comme si c'était hier... et ma vie a changé. J'avais dix-sept ans. Je ne savais pas ce que c'était.
21 Juin 2015
Zéro heure quinze.
Flash, des chiens qui vivent dans l'ouverture du cœur, mieux que la plupart des passants. Mais grande euphorie à Saint-germain-en-Laye, l'atmosphère en France impulse plus de conscience, enfin. Les français, un peuple gentil, mais lâche. Belle bourgade qui déborde d'opticiens et de marchands de lunettes dans une superficie étroite. Plein de pharmacies aussi, la maison de Debussy, une autre qui a accueilli le Maréchal Liautey, une autre Nerval. Et plein de chocolatiers dans un périmètre minuscule, des boites belges et françaises avec franchise, jusqu'à des gradés, meilleur ouvrier de France, et trois cents mètres plus loin, l'un des dix meilleurs... J'en profite pour dire aux gourmands que ça peut marcher: deux ou trois carrés de chocolat pur, cent pour cent, sans sucre donc, peuvent couper l'appétit. Je pioche dans mon propre assortiment avec un raffinement de dandy, de décadent, mais bon, quelques miettes jetées au vital permettent d'être tranquille, ou alors il faut que je pousse l'ascendant Taureau ailleurs, mais je n'y suis jamais parvenu malgré des efforts conséquents... Ce qu'on appellera peut-être un jour le « socle biologique » ne cesse de poser des problèmes à l'évoluteur, tout finit par se passer là, le reste étant résolu. Alors le moi s'expose à la maladie et à la vieillesse, et à tous ces miasmes dynamiques de la nature, indépendants de la perception intelligible, qui veulent du plus par principe, davantage de quoi au fait ? Une augmentation du gratifiant, bien entendu, ce qui fait qu'on a beau diminuer les prétentions « inférieures », elles s'éliminent peu à peu, lentement. Je progresse dans l'alimentation, mais je sais bien que plus c'est naturel mieux c'est. Je peux m'interdire un macaron à la framboise quand le désir est suscité parce que je passe devant le magasin qui me le propose et que ce jour-là j'en ai envie, mais le mieux of course c'est de pouvoir regarder la vitrine et de ne pas en avoir envie ... de cette incroyable pâte moelleuse et croustillante, admirablement parfumée. C'est peut-être un progrès de savoir « se priver », bien que les retours de manivelle guettent des mouvements de fatigue pour rétablir l'ordre naturel, mais le fin du fin, c'est de ne même pas avoir envie de ce qui est inutile dans la Voie. Là, bien sûr, une place immense est libérée pour le Divin, c'est normal d'aspirer à cela. Prétendre s'y trouver déjà, laissez-moi rire, n'auriez-vous pas une arrière-pensée si Taylor Swift, tombée en panne devant chez vous, vous demandait de la loger une nuit, fatiguée qu'elle serait des palaces, et toute ouverte à une conversation avec un français? Au fait, il m'arrive aussi de ne pas m'interdire le macaron en question si j'en ai vraiment vraiment envie, mais j'apprécie que la fréquence du désir diminue... D'ailleurs, je le rappelle parce que ce n'est pas si anodin que ça, je me suis parfois retapé « en partant du bas », avec un repas, et cela était tellement contraire à toute mon expérience que je n'en suis pas revenu. Il y avait même une formation intérieure qui est montée à la surface et pendant trois secondes « j'ai eu honte »... et cette impression s'est superposée sur la prise de conscience qu'un simple plat de spaghettis avait remis les pendules à l'heure, puisqu'avant j'avais été totalement cassé, plusieurs heures, par une descente dans « la mort involuée » en 2004.
Que la nature soit un plan parallèle à la conscience, et sans beaucoup de relations avec, j'en ai acquis la conviction, et je continue à travailler sur ce sujet d'arrache-pied, ce qui me permettra aussi de créer la philosophie supramentale, mon dernier violon d'Ingres. Bien que je sois tout sauf mondain, et que j'ai eu finalement peu d'amis, j'en ai quand même perdu déjà deux. Le cancer a eu raison de leur existence. Je ne sais pas si cette maladie possède des critères sélectifs, mais ces deux hommes étaient particulièrement intelligents et ouverts. Le supramental voudra régler ce problème: soumettre le corps physique à la Conscience, c'est sans doute encore plus difficile que soumettre le vital, je le vis et c'est très rock n'roll. Ras le bol de voir des humains fauchés par des maladies, qui plus est beaucoup d'êtres verticalisés n'ont jamais su accorder l'importance que méritait leur corps, et ils ont un jour été rattrapés. La liste est extrêmement longue. Parfois ça me fait mal, comme pour Maurice Merleau-Ponty, qui aurait pu aller plus loin, et éclairer l'élite de cette pauvre France, il est mort à cinquante-trois ans. Le destin, allez savoir. Et pascal, et bien d'autres, jusqu'à Hegel, mais lui, il est emporté par le choléra. Ironie du sort, après tout ce qu'il a concocté sur l'identité de la raison et du réel, la conquête de l'esprit absolu, et j'en passe, il meurt comme le dernier des imbéciles, pas même immunisé, pas même triomphant de la maladie. C'est là qu'on se rend compte que son système était du vent. En tout cas dans l'avenir, la matière devra suivre, c'est finalement le seul message vraiment opérant de Sri Aurobindo pour moi. Aimer Dieu, nul n'a besoin du supramental pour ça, le servir non plus. Mais la chimie (le corps) qui s'adapte au Divin, désolé, ça le fait. Bon, et oui, tout notre corps est chimique, de a à z, avec des courants électriques qui se baladent à travers les nerfs. Après, en remontant vers les corps subtils, on ne sait pas trop qui se passe, il est vrai.
Flash encore, une énorme publicité pour la Ford Mustang, de plusieurs mètres de haut sur le château qui a vu la naissance de Louis XIV. Quand j'avais dix-neuf ans, deux frères d'une bonne famille de saint-Raphaël nous promenaient, ma petite amie et moi-même, à l'arrière de ce cabriolet rouge, qui semblait nous promettre de réussir dans la vie. Très belle époque, pour d'autres et moi. Mais en fait, je n'ai plus qu'un souhait: redevenir aussi heureux qu'entre cinq et dix ans. J'en ai pleuré un peu hier, de me rendre compte qu'en dépit de tout ce que j'ai traversé, acquis, découvert, créé, le bonheur absolu était celui de mon plus jeune âge en fusion totale avec tout. Tout ça pourquoi Watson ? Parce que justement je me retrouvai totalement dans le même état d'esprit: insouciance absolue, confiance absolue, chaque moment vécu comme une merveille.
Tandis qu'une émission télévisée parle du nouveau Sénéquier, qui trouve (quarante peut-être) preneurs à 70 euros la minuscule portion de langouste au caviar, je me souviens que c'est là, à deux pas du port de Saint-Tropez, sur son aile droite après avoir gagné le bout, que j'ai eu un des premiers contacts décisifs avec la mer, sur de petits rochers. Je me rappelle surtout une petite étoile de mer assez souple bardée de stries orange, à quelques centimètres sous la surface. A six ans. Je fus émerveillé, et un peu plus tard, grâce à un masque et un tuba, j'ai commencé à mener une double vie. Je ne saurai probablement jamais pourquoi j'ai aimé autant regarder sous la mer, mais c'était plus fort que moi. A neuf ans, je passai des heures en été avec une fouine à élastique à tirer de petits poissons de roche, minuscules, mais c'était passionnant de « cibler » en un éclair un rouquier qui passait. A l'adolescence, l'achat du magazine l'aventure sous-marine scandait d'extases régulières ma croissance. C'était tiré sur du papier glacé et l'odeur était magnifique. Mon père, qui me trouvait efféminé, sauta sur l'occasion de me laisser faire de la plongée à l'âge de quinze ans, j'en rêvais. Je me souviens aussi avec un sentiment de reconnaissance absolue des hivers pendant lesquels je panachais le ski et la chasse sous-marine un jeudi sur deux. Ce rituel me permettait de tenir le coup, car j'avais été traumatisé de devoir redoubler une classe et j'ai été dépressif de quinze à dix-sept ans. ( Mon père, par pure jalousie, m'a fait redoubler ma troisième, alors que j'aurais pu passer en seconde en restant dans le même établissement. Je crois qu'il n'avait pas digéré que je puisse passer dans la classe supérieure en ayant manqué tout le second trimestre à cause d'une hépatite. Il a profité d'un déménagement pour m'emmener avec lui alors que j'aurais pu rester interne et continuer ma route sans redoubler.)
Me souviens aussi d'avoir surpris ma mère et ma soeur, je devais avoir dix-huit ans, en insistant pour faire de la chasse sous-marine en plein hiver à Antibes, sans combinaison. J'avais mis un collant de ski, deux tee-shirt et mon vieux pull de scout rugueux, pour avoir un peu de temps à regarder, rempli de silence, les couleurs sous-marines. Pas question de sortir avant de grelotter. Comme ce souvenir était arrivé de je ne sais où il y a quelques jours, je m'habitue à chercher si ce type de retour mémoriel veut me renseigner. En fait, il m'enseigne... Il se dessine que j'ai un rapport particulier avec l'immanence, je fais partie de ces mystiques qui n'ont jamais craché dans la soupe de la vie. J'embête les hédonistes avec ma reconnaissance du Divin, et je provoque les idéalistes avec mon amour de la vie. Désolé, je ne peux plus faire machine arrière. Les deux clans, gourmands, attendent ma chute. Il y a encore beaucoup d'envie dans l'homme, et l'inconscient de nombre de mes partenaires humains voudrait me priver de ce qu'ils ne peuvent obtenir eux-mêmes.
Car cela devient presque quotidien: sans prévenir je me retrouve dans un moment de ma vie, avec une intensité qui dépasse le feeling du souvenir, sans être forcément, comme je l'ai vécu parfois et j'en parle, un voyage dans le passé. Ces irruptions ne sont pas désagréables du tout. Elles ont tendance à se multiplier, ce n'est pas gênant, je soupçonne la Force de créer des connexions néguentropiques par la même occasion. Ce n'est plus du seul souvenir, mais c'est ardu à expliquer, en tout cas, le fait que ce soit « passé » n'entre pas en ligne de compte. Autrement dit, c'est seulement du moi qui revient vers lui-même, apparemment sans distance, ce qui fait que les souvenirs lointains et proches sont exactement dans le même plan. Le temps est aboli par la même occasion. Ce n'est pas désagréable pour une autre raison, j'ai tellement vécu dans le présent, sans aucune considération ni pour le passé ni pour l'avenir, que ces retours inopinés forment comme des radicelles, un rhizome pour m'ancrer dans une existence qui déborde le moment présent. Je dois en avoir besoin, tout cela me prouve que j'existe vraiment au-delà de l'instant, que je ne suis pas qu'un sujet promené par le Tout dans un présent ultra-rapide, un torrent que j'adore déchiffrer, comme si seul il méritait d'exister.
29 Juin 2015
Beaucoup des découvertes produites par le supramental sont très douloureuses, et c'est la raison pour laquelle la transformation opère lentement. Etre confronté à toutes les couches sédimentaires de l'évolution, à tous les crimes humains peut être facilement toléré par la perception intelligible qui sait que c'est le Divin quand même qui tâtonne dans le mal et l'horreur, mais pour toute la constitution organique, émotionnelle, affective, l'addition est trop salée, et en plus les énergies correspondant aux plans régressifs peuvent essayer d'entamer la perception supérieure. Autrement dit, ce qui est vu comme mauvais n'est pas seulement un constat intellectuel, la force qui accompagne ces réalités mauvaises peut se manifester et attaquer, et provoquer des perceptions émotionnelles néfastes. Et comme le Divin ne peut pas séparer le sensible de l'intelligible (sinon le corps ne suit pas l'ordre divin et reste extérieur au processus de transformation), il faut être bien enraciné pour supporter la condition historique actuelle. J'ai la chance d'être assez avancé aujourd'hui pour encaisser les multiples hérésies contemporaines, sans qu'elles me laissent indifférent pour autant. Mais elles sont « assimilables ». Je bute encore beaucoup sur la pollution de l'eau et le nucléaire, en revanche le réchauffement climatique n'est pas catastrophique, la terre peut s'habituer à ce genre de choses, mais la forte radio-activité et les eaux de source et minérales elles aussi impures, cela me touche profondément. La ruse c'est de laisser passer le sanglot quand la vision attaque, et laisser l'émotion être ce qu'elle est, sans qu'aucune récupération ne s'effectue dans le mental. C'est un des arts fondamentaux de la sadhâna.
Un des moments importants de ma vie a été d'assister à une cérémonie de l'opium dans le Rajashtan en 1982, le « roi » visitait ses terres et ses serfs en jeep, c'était cool, avec une sorte de respect réciproque des plus réjouissants. Un récipient circulait dans la troupe d'une trentaine de personnes, moi je n'ai pas goûté. L'atmosphère était d'une légèreté extraordinaire, même avant la prise de la drogue, bref la vie allait son cours, et c'est là que j'ai réalisé que ces personnes vivaient dans un monde quasi immuable et propre. J'ai alors pensé à l'Occident et à la destruction méthodique de la Terre, et j'ai su que je ne pourrais pas avoir pendant cette vie-ci la même confiance que celle que j'avais ressentie dans beaucoup d'autres incarnations. J'ai eu le même sentiment il y a quelques jours en lisant Valéry: les dernières années du dix-neuvième siècle étaient encore innocentes. On pouvait consacrer sa vie à de petites choses très belles et très pures en croyant que c'était important et juste d'agir ainsi. Mallarmé a eu une grande influence sur Paul, qui lui rend un hommage très profond, avec beaucoup de nuances. Le poète de l'absolu meurt en 1898. Peut-être a-t-il toujours existé une foi en l'homme instinctive qui permettait de vivre sa vie en toute légitimité dès qu'on cherchait à être soi, et elle fut même vivace pendant deux siècles environ, le dix-huitième et le dix-neuvième. Il n'y avait pas d'angoisse majeure quand le grand Mystère appelait, c'était même l'inverse, mais cette foi inconsciente, cette racine, n'a pas cessé de s'effilocher dès 1914 en Europe. Elle n'a plus eu le temps de réapparaître ensuite, et après les années maudites de 1930 à 1945, ce fut la soif de l'oubli qui a pris le pas sur l'optimisme. Le consumérisme a été encouragé par la « désillusion », et pour beaucoup d'intellectuels, le cynisme est devenu une marque de fabrique. Cynisme et lucidité se sont confondus, dans tout l'occident finalement, dans les gouvernements, chez les faiseurs d'opinion se rabattant sur le rêve marxiste pour ressusciter en vain cette foi instinctive. La pression hétérogène des innombrables faits de société poussant à l'individualisme, donc à l'égoïsme et au repli identitaire pour ceux que l'individuation (jungienne) n'attire pas, n'a pas cessé de s'accroître. Chacun se différencie de l'autre à vitesse supersonique, par les choix époustouflants des possibles alimentaires, culturels, professionnels, et même sexuels... Si l'identité subjective ainsi constituée n'est pas assez profonde pour s'adapter, elle se donne le change dans la culture narcissique de l'identique en se rattachant par les réseaux sociaux à du Même. C'est ainsi que, selon le génial Bauer, se forme un lumpen terrorisme à travers internet. Pas même la peine d'aller en Syrie, trouver les bons sites, acheter une arme à un dealer, et le tour est joué, on dézinque dans son quartier, rien de plus facile! C'est d'une logique imparable: internet a été conçu par un militaire.
Aujourd'hui même la France est sans doute le pays le plus « généreux » de tous, si l'on en croit Bruno Le maire, ministre, ne voulant pas lâcher en 2011 un budget européen pour les démunis que l'Allemagne voulait abandonner... Il n'en demeure pas moins que la France tient le coup par la vente d'armes, et que la suspicion psycho-culturelle règne partout, avec ces histories sordides d'espionnage entre alliés, et la mode qui régale les journalistes : la stigmatisation. L'homme occidental a perdu la foi en l'homme. Elle était sans doute injustifiée, mais elle a été remplacée par quelque chose de pire. Il s'ensuit probablement que seul un écroulement de la civilisation pourra remettre les pendules à l'heure: Nous ne formons qu'une seule espèce, et il faudra retrouver ce paradigme en s'y prenant d'une autre manière que par la seule dictature de la croissance, de la production, de l'économie, tout cela ne faisant qu'un, ce corps du veau d'or dont la Finance est la tête. La mondialisation, c'est quoi au juste ? Heureusement, par en-dessous en quelque sorte, une nouvelle affectivité surgit, il y a même aujourd'hui une génération de parents qui ne considèrent plus leurs enfants comme leur propriété... Alors, s'ils ne se font pas bouffer par leurs rejetons parvenus à l'adolescence, nous pouvons déclarer qu'une nouvelle humanité est en marche, avec d'autres types de transmission... Il faut bien que dans cette débandade presque absolue, surgisse une autre forme de mentalité, enfin propre, et qui pourra agir et être et s'affirmer, sans passer par les instances politiques ou idéologiques. Un sursaut évolutif pour retrouver l'amour.
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