VERS LA NOUVELLE ESPECE
1 Témoin du devenir divin
Jusqu'au soleil vivant j'ai
marché Immortel
Au travers de mes vies
étouffées une à une.
Celui qui m'étouffait était
joyeux farceur :
Quand tout semblait fini,
tout recommençait,
Avec la certitude des faits
inéluctables.
Combien de corps brûlés
dans le feu de la Vie
M'a-t-il fallu laisser pour
modeler mon âme ?
Et qu'ai-je fait vraiment,
de naissance en naissance,
Sinon me contenter d'être
goutte de feu ?
Je sais que j'ai souffert
de mes limites floues
Quand bien même je
jouissais d'immensités médiocres,
Et j'ai enfermé Dieu dans
des prisons célestes
Au-delà de la Vie. La mort
était la porte.
Mais la mer de silence
soutient les deux passages,
Et, consciente de sa propre
intemporalité,
Elle contient l'arbitraire,
le juste, et le sacré.
Car la règle du jeu de la
Vie est enfouie,
Trésor introuvable pour le
chercheur cupide,
Mais que peut débusquer le
nomade innocent
Ou l'ascèse ludique d'un
jongleur infini.
Combien de vies depuis ma
droiture lancinante
Avant de m'éveiller pour la
quête suprême ?
Je suis devenu Lui en
endurant des vies
A moitié contrefaites par
le pouvoir du singe
Qu'une lourde hérédité
transmet en grimaçant.
A chaque fois captif dans
un corps corrompu
J'étais un homme mûr quand
je me souvenais
D'avoir embrassé Dieu dans
un corps différent.
Le corps était la gangue,
maladroite, exigeante,
Et l'esprit un esclave des
mouvements précaires.
L'âme était endormie au
fond de la matière,
Ou bien des artifices la
faisaient transparaître
Sur les sommets hautains
d'une solitude bleue.
Ceux qui connaissaient Dieu
étaient des fous sublimes,
Dévoreurs des chimères
engendrées par les hommes.
Ils traversaient les mondes
des illusions pensées
Pour enfin découvrir dans
le temps qui s'enfuit
L'immobile point central,
sang de l'éternité.
Ils méprisaient le corps
pour ses faiblesses ardentes
Et ses souffrances vaines
qui aiguisaient l'esprit.
Mais ils ne pensaient pas
que le dessein suprême
Pût être sur la Terre, la
mal-aimée des hommes.
Ils voulaient s'échapper
d'ici-bas et des cieux
En sacrifiant leur âme au
Non-Manifesté
Ou bien en rejoignant un
indicible monde
Que même les plus beaux
dieux ne pouvaient visiter.
Ils avaient tout compris,
mais n'osaient deviner
Qu'un jour l'ultime clef
nous serait révélée.
Nous vîmes la Mère des
mondes infiniment rapide
Faire tourner les atomes
sur l'axe des galaxies,
Manifestant l'Amour, calme
supraconscience.
Sempiternels amants, ils
constituent le Monde
Et tout ce qui existe est
une image d'eux.
Et quand ils se rencontrent
dans le corps d'un humain,
Alors ce corps se met à
vibrer consciemment.
Les vieux démons
s'enfuient, les ménageries tremblent,
Et la mort dérisoire essaie
de ricaner
A chaque résistance de
l'antique machine.
Car tout veut s'opposer à
ce nouveau Pouvoir
Qui vient bouleverser les
privilèges acquis.
Mais la source finit par
raviner le roc
Comme le mouvement s'élance
de l'inertie.
Tout semblait être fait
pour que la vie ne soit
Qu'un éternel couloir
tombant abruptement
Sur des promesses vaines et
des rêves consacrés.
L'ignorance et la Mort, le
mal et la souffrance
Minaient de l'intérieur
l'éclatante beauté
Des corps parvenus à leur
apothéose.
Chaque sommet semblait conduire
à la vallée,
Même pour ceux qui
résidaient seuls sur les hauteurs.
Chaque épanouissement
semblait se résorber
Dans le pouvoir latent d'un
futur nonchalant.
Chaque joie exultante
attirait la menace
D'une force secrète
obscurément puissante.
Même les plus hauts
bonheurs parfois se retiraient
Avec la violence d'un
châtiment injuste.
Quand Dieu parlait aux
saints, aux sages et aux yogis,
Il les laissait ensuite
méditer des années
Dans quelque sèche extase
détachée de la Vie.
Même la cruauté servait l'espèce
humaine.
Elle permettait aux peuples
de s'affirmer chacun,
De construire des empires
sur le dos des esclaves,
Et la peur des gens d'armes
entérinait la Loi.
Seule la force brute
libérait des contraintes
Mais peu se révoltaient
contre l'ordre établi.
La seule exactitude était
celle de la Mort,
Frappant isolément ou par
des guerres multiples
Les armées de Conscience
incarnées dans des corps.
Le sens de la vie
s'effilochait toujours
Vers quelques paradis gardé
par les Ancêtres,
Comme si toute la vie
tendait à disparaître
Pour remettre les âmes à la
mémoire du Ciel.
Les rites s'accumulaient
sur des tabous stupides
Qui maintenaient l'espèce
dans des ornières profondes.
Les belles vérités,
révélées par les dieux,
Jonchaient un jour le sol,
déformées par les prêtres
Malins ou démagogues,
ambitieux ou sournois.
Le singe persistait sous
forme d'orateur
Car les mots transportaient
la magie de la peur.
C'était un grand pouvoir de
subjuguer les foules
En les orientant vers des
demains meilleurs.
La seule liberté était
celle de l'ermite
Qui brisait les structures
de sa propre pensée
Pour associer les mots dans
un cadre inconnu.
Il aimait la musique
mystérieuse et lointaine
Qui conjuguait les verbes à
la première personne,
En suivant des chemins
obscurément lucides
pour traquer le hasard dans
ses moindres recoins.
Le Verbe se retrouvait dans
le cerveau usé
Du vieillard qui avait
démêlé tous les fils,
et pouvait par Amour
retrouver l'origine
De l'Infini Conscient en
suivant la pensée
tout en la remontant.Elle
est torrent limpide
Mélangé à la boue des
rouges circonstances,
mais elle se confond avec
l'objet qu'elle prend.
Or, celui qui retourne à la
source consciente
Découvre un Océan de
Présence Infinie,
Calme, inaltérable,
pénétrant chaque chose.
Quelques-uns seulement
transpercent l'illusion...
Mais qui aspire à la
Divinité ?
On veut mourir en paix, à
défaut de comprendre
Ce qu'on faisait ici à
poursuivre le temps.
Ou bien l'on s'en remet à
l'ombre d'un sauveur
Qui envoûte la Mort avec
quelques miracles.
Mais elle est toujours là,
larvée dans le sommeil,
Parasite d'une vie
immortelle et joyeuse.
Ou bien l'on cherche encore
dans la Nature parfaite
L'absence d'un architecte
justifiant le Mal.
On voit bien un chaos qui
hésite dans l'Homme,
Mais les plantes et les
bêtes savent ce qu'elles ont à faire.
On se demande alors ce que
l'on a perdu
En arrosant sans cesse la
plante du langage
Avec l'eau des larmes et la
rosée dorée
Des idéaux nouveaux. Il
pousse ses racines,
le verbe qui nous conjugue
à la première personne,
Dans l'instinct mémoriel
touchant à l'inconscience,
Puis il grimpe et s'aère,
Ramifie ses idées dans un
seul tronc commun,
Avant d'atteindre les
Idées-Forces, où le mot et le sens
Sont déjà confondus. Alors
le Nom évoque
La Force qu'il représente
et les Mystères commencent.
L'esprit cherche son âme,
le moi doute de lui-même,
Et la naissance semble
fausse quand la souffrance frappe.
Les êtres rarement
parviennent jusqu'aux rameaux
Où des fleurs désinvoltes
enivrent la Lumière.
Plus rarement encore ils
parviennent jusqu'aux fruits
Dont la douce saveur donne
l'illumination.
Et pourtant chaque regard
offert à la Conscience
Est un hymne doué d'une
éternelle vie
En dépit des douleurs qui
entravent la marche.
Une longue procession
depuis le premier homme
Avance péniblement vers un
monde libéré.
Chaque obstacle a sa place
sur cet itinéraire
Qu'aucune direction ne
saurait limiter.
Les entraves stimulent, les
poids accumulés
sont jetés en chemin et le
retard s'annule.
Le chagrin est utile tout
autant que la joie
Et la moindre des peines
louange la Lumière.
L'ignorance elle aussi sert
la cause suprême,
C'est de là que s'en va
l'unique pèlerinage
Des âmes apprenties dans
des corps éphémères.
Mais l'homme ne voit le
sens des choses et des gestes
Que par rapport à lui et ne
se doute pas
Que ses échecs aussi le
mènent à la victoire.
Il voudrait avancer dans
des vergers bénis
Indéfiniment loin comme des
rêves d'enfant,
Mais Nature le soumet à des
pressions puissantes
Qu'il cherche à contourner,
ou bien ce qui l'attire
C'est l'évasion aveugle
vers un esprit subtil
Ou dans la bête brute, ou
les deux à la fois.
Héritier du désir, des
craintes ancestrales,
Le corps piège la Mort dans
les plaisirs des sens
Comme pour la déjouer dans
ce défi brûlant.
Son gêne fatidique sous-tend
les gestations,
et ce qui croît ici bientôt
diminuera.
Mais qui peut mesurer ce
qui reste du cœur
Au bout du temps qui passe
dans le corps d'un humain
Et qui fait de sa vie
passée à l'intérieur
Le grain d'or éternel d'une
âme libérée ?
Les secrets sont profonds
comme une suite d'abîmes
Ou bien plus évidents que
le jour le matin.
Et l'on passe à côté, sûr
de son lendemain,
Content de son passé,
aveugle à aujourd'hui
Qui traverse les cieux, les
hommes, et la Matière
De son silence plein d'inaudibles
possibles.
Et tout ce monde marche, en
dépit de nos doutes...
Vers l'accomplissement
secret de l'Impossible,
De même que la chenille
ignore le papillon.
Rien n'a été perdu si tout
semble trop lent,
Les malheurs inutiles
barattaient l'Imprévu.
Tout semblait insane à
celui qui ignore
Mais l'amant du Seigneur
savait même déceler
Dans chaque infime chose le
signe
de sa transformation.
Tout attendait encore sa
pérennité propre.
Seule la Mort semblait
compromise à long terme
Quand Elle n'aurait plus
rien à enseigner à l'Homme.
Elle lui avait appris il y
a déjà longtemps
A vouloir conquérir son
Immortalité
Car quelquefois les êtres
souffraient de disparaître
Devinant dans leur chute
quelque malédiction.
Les hommes aimaient la Vie
sans s'en douter vraiment
Pour ce qu'Elle leur
donnait d'inextricable joie,
Et malgré les défauts du
corps et de l'esprit
Ils préféraient penser
qu'ils ne finiraient pas.
La mort fut entourée
d'officielles louanges
Comme pour encourager le
défunt à survivre
Dans le monde inconnu
peuplé d'esprits curieux,
Différents, innombrables,
démons, génies ou dieux.
Mais le Roi qui cherchait
l'absolue transparence
Ne voulait pas partir dans
le ciel le plus bleu,
Il voulait revenir observer
la démarche
De la longue caravane
traversée par le temps.
Pour aimer tout son peuple
de races colorées
Qui marchait dans la boue
souriant au soleil.
Les hommes transportaient
avec eux les bagages
De leurs convictions
frêles, de leurs doutes hautains,
Et trop de souvenirs
embellis par l'orgueil
Traînaient dans la
poussière, ralentissant le pas.
Ils allaient, par affinités
de préjugés,
Formant des groupes avec
leurs femmes et leurs enfants.
Les tribus haïssaient ce
qui les séparait,
Chacune aurait voulu être
universelle,
Et que les autres clans adorassent
les mêmes dieux,
Et le sang coulait aux
frontières linguistiques
Pour préserver les
différences et faire durer le passé.
La Mort, comme un chien de
berger perspicace,
Aboyant à tue-tête, les
rassemblait en peuples.
Ils musardaient sans doute
chantant le long voyage,
Et ceux qui commandaient
étaient les plus chargés.
Ils avaient des porteurs
pour porter leurs souffrances
Et jouir d'un confort qui
en privait les autres.
Ils savaient exploiter la
créature faible
Par la magie du verbe ou la
simple menace.
Les nations avançaient vers
l'Aurore indicible
Traversant les charniers
des guerres économiques
Et l'animal craintif
veillait encore dans l'homme.
La peur engendrait
d'innombrables désastres,
Cautionnait le massacre,
prônait le génocide.
Mais qui savait déjà qu'un
suprême décret
Transformerait l'humain en
une divine chair ?
On voulait un surhomme
puissant et sanguinaire
Marchant sur les étoiles
pour son propre plaisir.
Mais le Seigneur Suprême
choisit une autre voie
Pour se manifester dans
l'Infini de l'Homme.
Peu nombreux étaient ceux
qui pouvaient sans douter
Envisager l'ampleur du
dessein exhaustif.
On croyait que l'espèce
était presque parfaite
Malgré quelques bavures qui
menaçaient le Monde
Et les écrits obscurs des
Sauveurs adulés
S'interprétaient toujours
de la même façon.
Personne n'avait pensé que
la Force Suprême
Pût s'abattre sur celui qui
L'avait acceptée
Et chasser de son corps
l'esprit de la Nature
Pour y substituer en
quelques décennies
La Pure Lumière du Monde
qui crée les galaxies.
On aurait préféré de beaux
contes de fées
A ce projet concret que nul
ne peut sonder.
Car le salut viendra du
travail cellulaire
Et non pas d'une fuite ou
d'un super cerveau
Qui laisserait intacte la
matière souillée.
Tout est à racheter par un
don de soi-même
Qui transforme à la longue
les obstacles en alliés
Pour que la Mort conduise à
l'Immortalité.
L'avenir évitera cette
espèce simiesque,
Devenant peu à peu une
grande termitière
Où toutes les différences
seraient normalisées.
Oui, l'homme changera de conscience
Car son corps vibrera au
rythme des atomes,
Transformant dans les
muscles, les nerfs et la cervelle
Une perception des sens en
Ananda Divin.
Mais si nous refusons ce
changement d'espèce
Les Asouras vaincront les
peuples embourbés,
Prendront la forme humaine
pour vivre de jouissances.
Ou bien parce que levier
d'une lente évolution
La Terre disparaîtra, au
terme de ses œuvres.
Avant de repartir -qui
sait ?- vers la Supraconscience.
Mais un manteau d'Amour
chatoie dans l'atmosphère
Et soudain favorise ce
changement de cap
Pour que l'homme abandonne
son vêtement usé
Et accepte pour la joie
cette nouvelle espèce
Qui seule peut triompher de
l'animalité.
Combien de millénaires
avons-nous attendu
L'éveil de l'Esprit au fond
de la Matière ?
Et combien de détours
a-t-il fallu subir ?
Combien de tentatives se
sont avérées vaines
Avant que les Rishi n'aient
trouvé le grand roc ?
Où était-il écrit qu'il
fallait s'abîmer
Par la vision de l'âme
jusqu'au fond du chaos
Pour percer l'inconscience
et découvrir en elle
Le pouvoir du Suprême qu'il
fallait réveiller ?
Car c'est en descendant
dans la chair de la mort,
Dans l'inertie compacte qui
refuse la Vie,
Que l'âme du héros traverse
tous les enfers
Avant de découvrir au
centre de toute chose
Le Pur Esprit d'Amour et la
Shakti Suprême.
La clef du grand passage
est cachée quelque part
Dans les égouts du Monde où
nul n'ose descendre.
Puisqu'on préfère planer
sur les cimes enneigées
Comme des aigles
orgueilleux à l'affût du mensonge.
Mais nous portons en nous
la mémoire douloureuse
Des premières survivances
sous un soleil brûlant.
Quand nous étions encore
des animaux fragiles.
Opaques, récalcitrants,
lourdement concentrés
Sur la seule survie. Nous
portons en nous-mêmes
La douleur de la Terre
accouchant de la Vie
Pendant des millénaires de
siècles, c'est pourquoi
Tout est écrit dans nos
fringales:
Le long cheminement d'une
conscience aveugle
Vers la demi-lumière d'une
pensée de l'instinct.
Nous sommes la Terre
entière rassemblée dans un cri
Conscient de son appel jaillissant
de lui-même
Et nos âmes d'amants sont
encore enfermées
Dans un minerai sombre,
bourbeux mais disponible.
Car nous sommes aussi
l'immensité du Ciel,
La vastitude claire des
océans solaires,
L'amoureuse merveille
minuscule et profonde
Qui entend le silence des
grands espaces vides.
Le Soi est un mantra qui
épelle la Vie,
Qui n'a pas d'origine et
qui pourtant emplit
Les archipels oranges des
rêves rédempteurs
Et les navires altiers des
civilisations.
Et le Soi est conscient
dans l'esprit des Yogis
Qui s'éloignent du singe
comme des rameurs adroits
S'éloignent de la rive, les
yeux sur l'horizon.
Dans l'océan scabreux de la
vie foisonnante
De naissance en naissance
ils apprennent à nager
Jusqu'à devenir l'eau, et
le courant de l'eau
Et la vague martelant
l'unique Eternité.
La Lumière traverse les
profondeurs sacrées
Des couches de conscience
jusqu'à l'instinct avide
Où nagent entre deux eaux
les pouvoirs de la Vie.
Mais nous avons dormi sur
les flots scintillants
Là où l'eau et le feu, la
terre et le ciel mêlés,
Engendrent à jamais
l'esprit de découverte.
Nous sommes d'obscures
bêtes capables de s'élancer
Vers des splendeurs muettes
pour enfermer le Ciel,
Saisir l'Eternité, manger
l'Intemporel.
Et nous ne savons pas ce
qui nous pousse avant.
Certains croient qu'il
s'agit d'une envie de bien faire
Qui viendrait contredire
nos tendances astringentes,
Mais il s'agit plutôt d'une
évidence d'or
Qui connaît que la Mort
n'est pas faite pour l'homme.
L'esprit est l'embryon
d'une conscience infinie
Et c'est Elle qu'il
retrouve quand il meurt à lui-même.
Cela est le mystère
innocemment caché,
Et la seule clef utile au
serrurier de l'âme
Qui croit ouvrir des portes
qui n'ont pas de serrure
Avec des clefs forgées dans
des métaux tranchants.
Il n'y a rien à fermer, il
n'y a rien à ouvrir.
Tout est là confondu dans
le moment suprême
D'où chaque itinéraire
s'écoule en permanence.
Car ceux qui le pouvaient
ont refait le parcours
Depuis le lourd basalte
jusqu'au Pur Absolu
Et ils ont découvert un
pont d'or reliant
La Force à la Matière, un
pont d'or Omniscient.
Ils ont ouvert la voie aux
pionniers immortels
Et tracé des séries de
causes improbables.
Aucune loi ancienne policée
par l'usage
Ne pourra supporter le Fiat
de l'Amour.
Ils ont fait de la grâce
l'outil le plus parfait
Pour celui qui connaît
l'Eros du Sacrifice,
La Joie de l'Action juste
et la Beauté du Corps.
Car nous avons conquis dans
nos vies chancelantes
Les différents degrés des
choses qui existent,
Et tandis que les dieux
sont prisonniers de l'Air
Nos vies sont le creuset
d'une alchimie totale.
Nous avons hérité du pays
de nos âmes
L'ineffaçable soif d'une
expansion tranquille
Quand l'esprit de nos corps
tente d'ingurgiter
La saveur délicieuse de
tout ce qui l'entoure.
Nous sommes une femme douce
marchant vers ses enfants,
Voyageant par l'esprit dans
leurs demeures lointaines
Et nous sommes aussi cet
homme entreprenant
Qui convoque chez lui des
Magiciens d'Orient.
Quelque chose tire à soi
les étoiles tranquilles
Et quelque chose émane
comme une main tendue
Qui s'étend jusqu'au Ciel
en un petit moment.
Le singe est dépassé, mais
des pouvoirs sublimes
Lui servent à imiter des
modèles surannés.
Il se caricature au lieu de
s'élancer
Vers ce qui le dépasse et
fait battre son cœur.
Balbutiant le langage, il
s'envoûte lui-même
Par des formules creuses et
des sorts pointilleux
Qui circonscrivent le Soi
au cercle de l'esprit.
Il interpose sans cesse
entre le monde et lui
La substance trompeuse des
formations mentales
Qui livre le Réel fermé
dans un paquet
Analogue à l'image qu'il
cherche à obtenir.
Les hommes sont des
enfants, des monstres, des anges, des dieux
Des démons, des génies, ils
vivent pour eux-mêmes
Mais ils sont des étoiles
prévues depuis toujours
Et qui cherchent leur
course dans le grand univers
Qu'aucune n'atteindra avant
que toutes les autres
Ne sachent exactement leur
place respective.
Le temps est peu de chose
pour le long processus
Qui commençait déjà avant
le premier jour,
Sachant que nulle limite
n'entraverait sa route.
Même l'opacité des choses
les plus compactes
Est mue par l'énergie
consciente d'elle-même
Et le mur de basalte est un
voile diaphane
Pour celui qui connaît la
Vérité Suprême.
Elle n'est pas dans le
Bien, dans la vertu tendue,
Elle n'est pas dans les
temples où s'enferment les hommes
Pour oublier ensemble que
chacun mourra seul.
Elle est dans l'expérience
d'une conscience élastique,
Elle est dans la souplesse
d'un esprit sans naissance.
Clairvoyant, spontané,
débarrassé de tout,
Même des idéaux, même des
buts élevés,
Et qui n'éprouve plus
aucune nostalgie
Des illuminations quand
elles s'en sont allées.
Et quand à l'avenir, celui
qui en dépend
Manque le vrai futur tout
en le prévoyant.
Alors comment marcher sur
l'arête indicible
Entre l'abîme sombre et le
gouffre doré ?
Demain n'est pas ici,
quelle que soit sa merveille,
Mais l'esprit anticipe pour
pouvoir embrasser.
C'est sa force coutumière
qui le pousse à construire,
Bâtir, prévoir et modifier.
C'est aussi sa faiblesse
Car la raison abstraite
évite l'Inconnu,
Ecarte l'Imprévu, et
décrète aujourd'hui
Ce que sera demain. Mais
seul le Divin sait
Le plan de la Nature et la
persévérance
Des graines oubliées qui
tout à coup éclatent
A la fin de l'été en des
fleurs jamais vues.
L'Homme aussi mutera pour
briser ses limites.
L'énigme lui sourit qui
l'avait enfermé.
Elle le sollicite pour
qu'il s'échappe enfin
Et qu'il cherche fermement
le langage secret
Dont l'énoncé ferait
s'ouvrir les forteresses.
Mais la désespérance comme
une sentinelle
Maudit la liberté sans
laquelle ses chaînes
L'enchanteraient encore. Ô,
vouloir s'évader
C'est souffrir davantage
quand on est prisonnier.
Alors l'homme s'accommode
de l'étroitesse d'esprit.
Il aime sa prison, ou bien
se l'imagine,
Et finira par croire
qu'elle est le monde entier.
Ainsi sans risque il vit,
somnolant son bonheur.
L'initiative vraie qui
brise les tabous
Lui inspire de la peur
comme le feu aux loups.
Il respecte l'usage et se
méfie du neuf
Et se plaint en pleurant de
toutes les habitudes
Comme s'il était coincé
entre deux univers
Dont chacun souhaiterait le
posséder entier.
Alors il tergiverse et mime
sa souffrance
Au lieu de la comprendre en
cherchant dans ses larmes
L'origine de l'eau. Quand
le désir le brûle
Il applaudit hilare son
corps qui se consume
Au lieu de rechercher dans
son impulsion brute
L'origine du feu, et s'il
voit l'impossible,
Au lieu de l'attirer, il
lui tourne le dos.
La terre lui a donné la
gravité puissante
Des matrices solides qui
élaborent les formes
Dans la lenteur secrète des
sèves qui se combinent.
Mais il a hérité beaucoup
trop de royaumes
Ce prince naturel qui s'est
inféodé
A l'ambition amère de tout
organiser.
Ce n'est pas son pouvoir
qui fit l'autorité,
Ce n'est pas son esprit qui
créa la conscience,
Ce ne sont pas ses rêves
qui créèrent l'étendue,
Et même ses conflits
n'inventent pas la guerre.
Ce qu'il nomme contraires
sont de riches comètes
Qui traversent le Ciel sans
jamais s'opposer,
Mais quand leurs chevelures
se croisent pendant la nuit
Les hommes superstitieux y
voient quelque présage
Car leur venue ressemble à
un duel des dieux.
Les tendances s'élancent
dans chaque direction,
Chacune suit son mouvement
sans nuire à son semblable,
Toute préoccupée de
poursuivre sa loi,
Mais l'homme s'imagine
l'univers trop petit
Pour contenir des forces
qui se différencient.
Il est vrai que parfois des
choses se transforment
Et qu'on nomme combat la
synthèse nouvelle
D'une fusion difficile qui
change l'un des termes.
Il est vrai que des forces
absorbent d'autres forces,
Que toute séparation est
forme de violence,
Car l'homme est fait pour
vivre baignant dans l'Unité.
Les longs couloirs du temps
ont des intersections
Avec l'Eternité qui enroule
les Ages,
Dans sa spirale creuse,
silencieuse et chantante.
Une note très aigue,
délicieuse et vivante,
Remplit tous les espaces de
sa vaste existence,
Et celui qui l'entend
écoute l'Univers
Lui faire la confidence
d'une paix vivifiante.
L'homme s'approche du
Secret gardé par l'ignorance,
Démystifie la mort par le
pouvoir de l'âme,
Apprend l'exactitude d'un
esprit immortel
En laissant s'échapper
l'hypocrisie du singe
De son corps magnifié par
la métamorphose.
Mais avant de partir
conquérir le Nouveau,
Il accepte le lot de sa vie
mutilée
Par des espoirs déçus et
des traditions mortes.
Et sans faire le malin, il
observe le Mal
Au lieu de condamner ce qui
gêne son esprit.
Aussi découvre-t-il que les
choses nuisibles
Portaient secrètement
l'utilité divine,
Si d'autres enfermaient la
vérité sensible,
L'insaisissable Verbe dans
des cages dorées.
Et la vision honnête de
l'être qui s'avance
Dépouillé de son moi vers
sa propre demeure
Voit de vastes prisons
succéder aux cachots
Où les premiers ancêtres
entassaient le sacré.
Un progrès invisible va
délibérément
conduire la Conscience
jusqu'au Soleil Vivant.
Même les régressions sont
des pas en avant
Pour l'Architecte-Enfant
qui ne peut pas vieillir.
L'immensité menace les
idéologies
Qui peaufinent l'erreur
dans une vision d'ensemble,
Et le Palais des dieux sera
un jour sur Terre
Pour celui qui connaît
l'appel irrésistible.
Nous avons édifié des
châteaux de chimères
Dans des empires fondés sur
l'erreur triomphante,
Mais chaque erreur nouvelle
stimule davantage
L'Aspiration divine à la
Félicité.
Les principes mesquins, les
dédains bien-pensants,
Les mépris justifiés, les
doutes supérieurs,
L'amour-propre cocardier,
le chauvinisme coi
Etaient les tentatives du
cerveau de l'instinct.
Un cortex mystérieux
intègre bizarrement
Les douleurs incomprises et
les révoltes vaines.
Il offre en sacrifice le
dément au néant,
Jette son ancre de seiche
dans toute la matière grise
Dès que les circonstances
énervent l'individu.
Il aime la colère et attend
qu'elle s'éveille
Afin de déchaîner son
torrent impromptu.
Une force l'habite qui
lutte contre la Mort
Avec des armes vieilles
comme la Malédiction.
C'était déjà cela dans la
bête frémissante
Qui survivait peureuse
parmi les prédateurs.
C'est comme une carapace
intelligente, bornée,
Ce bulbe qui survit depuis
la Préhistoire.
Car si l'homme vraiment
était ce qu'il croit être
Depuis des millénaires nous
serions des enfants
Jouant à cache-cache dans
l'Eternel Matin.
Tristesse serait un jeu,
comme l'appel spontané
D'une joie encore plus
grande, de même que la faim
Présage de l'appétit. La
Mort serait
Le signe d'une nouvelle naissance
et non pas
La voleuse d'un être qu'on
aimait
Dont on vénère l'image que
la mémoire nourrit.
Nous sommes verticaux comme
les arbres immobiles
Mais nos pieds nous
entraînent sur des sols inconnus.
La marche nous est donnée
pour parcourir le monde,
Comme l'esprit traverse par
le jeu des Idées
Les îles fantastiques et
les quotidiens lourds.
Bien plus que l'animal nous
pouvons affronter
D'innombrables
circonstances et de multiples rôles,
Et nous nous adaptons à
l'extraordinaire
Pour engendrer toujours de
nouvelles données.
Et rien n'est monotone pour
celui qui pressent
Dans la routine grise un
éveil de l'élan.
Il faut accumuler des actes
dérisoires,
Des séries répétées de
gestes qui se perdent
Pour réveiller au fond la
force inattendue
Qui d'un seul mouvement
bouleverse les modèles.
Alors les vieux symboles
brûlent comme de l'encens
Donnant au sacrifice sa
saveur éternelle
Tandis que prennent vie de
nouvelles lumières
Qui guident le pèlerin
au-delà des étoiles.
Nos secrets s'échelonnent
sans autre hiérarchie
Que la distance nulle qui
sépare le Présent,
Mais dans le monde humain
l'espace régit la forme
Et le temps manipule le
moindre mouvement.
Cependant il arrive qu'une
pulsion absolue
Echappe aux fausses lois
qui ordonnent les choses
Et découvre des voies qu'on
ne soupçonnait pas
Et qui préparent le monde à
une autre existence.
D'où provient le ressort
qui brise tous les moules
Pour animer un être d'une
nouvelle façon
Et produire un mutant dans
l'espèce servile ?
Nous sommes les conquérants
d'une perfection d'or
Qui se dérobe encore quand
nous l'avons étreinte
Jusqu'à ce que nous
sachions que cet embrassement
N'était que les prémisses
d'un contact léger.
Nous avançons sans cesse
vers ce qui nous dépasse
Inutiles marchands de
souvenirs brisés,
Pointilleux commerçants de
plaisirs rapiécés
Dans le désir mouvant d'un
bonheur superflu.
Las ! Aucune misère ne se
peut éviter
Si elle fond sur l'homme
comme un patient vautour,
C'est qu'elle flaire la
charogne dans l'être déguisé.
Et le malheur arrive non
pas pour nous punir
Mais pour nous faire vomir
une vile obscurité
Dont la présence aveugle
empêcherait le corps
De marcher plus avant vers
les sereins espaces.
Il n'y a rien à
craindre ! Les épreuves ressemblent
A de vaillants tournois
entraînant les guerriers
A s'affranchir d'eux-mêmes.
L'habileté
Contient la croissance
joyeuse qui prévient les angoisses.
Et Dame Connaissance ne se
laisse séduire
Que par qui la situe
au-dessus de lui-même.
Tous nos combats écrivent une
seule épopée
De chevaliers errants dans
des plaines faciles
Et qui pour se distraire
s'inventent des ennemis
Pour les poursuivre ensuite
de leurs imprécations.
Certes, le diable est
mauvais puisque il nous porte à croire
Qu'il détient à lui seul la
riche malfaisance.
Alors on se dispense de
chercher en soi-même
L'espion obscur caché qui
adore l'inconscience.
Il épie le courage et le
trouve malsain
Ou bien taxe d'orgueil
l'aspiration latente
Qui brisera un jour la
bulle de l'ignorance.
Rien ne peut se cacher. Nos
soi-disant péchés
Révèlent les limites qu'on
aimerait dépasser.
Nos chutes radicales
trahissent la suffisance
Pour qu'un enfant en nous
puisse ressusciter,
Protégé par la grâce et
l'envie de servir.
Nous ne sommes qu'un point
de conscience qui se cherche
Et qui voudrait soumettre
la Terre à ses caprices
Pour se prouver qu'il s'est
trouvé. Vive la prétention !
Elle ravit quelquefois au
Destin le bonheur
Qui échouera ensuite sur
des rivages gris.
Etrange prétention qui se
demande encore
Comment appâter Dieu ou
diriger l'Histoire.
Sans doute que sans la ruse
l'homme n'aurait survécu
Alors on l'utilise pour
prendre la Vérité
En l'attirant au piège des
belles intentions.
Comme une femme, Elle
résistera à l'amant exalté
Dont l'exagération le rend
bientôt odieux
Mais Se donne parfois à
l'être détaché
Qui ne lui en veut pas de
se faire répudier.
Ô ! Nous fûmes blessés
par chaque maladresse
Quand nous avons souffert
en ignorant comment
Elles seraient rachetées
par un divin pouvoir.
L'Amour que l'on bafoue
dans les conversations
Devient le seul principe de
notre évolution.
Il nous torture bien sûr en
Se montrant si peu
Mais nous ne pourrions pas
apprécier Sa joie
Sans notre sacrifice
librement consenti.
Nous ne pouvons Le fuir
dans aucun ciel magique,
Dans aucune extinction des
sens dans le Vide,
Nous sommes ses esclaves et
Il est notre maître
Mais tu ne peux
souffrir : son joug est éternel.
Et il nous faut sortir du
grand envoûtement
De l'espèce bipède qui
s'occupe d'elle-même,
Car tout lui est prétexte à
se bien réfléchir.
Elle utilise Dieu comme une
notion abstraite
Quand cela lui paraît
conforme à sa démarche.
Mais dès qu'elle se lasse
de seulement En parler
Comme elle s'étonne qu'Il
n'ait pas pu par un miracle
Abolir l'ignorance, elle
Lui fait son procès.
Ou bien elle Le vénère
pourvu qu'Il soit Lointain
Et ne mette pas trop Son
nez dans ses affaires.
Ou bien s'Il vous promet de
vivre avec nos morts
Quand nous-mêmes aussi nous
aurons disparu,
Nous demandons d'avoir une
place sur Son bateau.
Ou bien pourvu qu'Il n'ait
qu'un seul Ambassadeur
Si possible pour le même
prix du coté de chez nous
Nous Lui vendons notre âme
s'Il s'occupe de nous.
Car si trop de Jésus
parlaient en Son nom propre,
Comment s'y reconnaître
parmi Ses fils uniques ?
Et quel est donc celui qui
demande le moins
Pour que la Mort explique
la misère de la Vie ?
Les premiers hommes-singes
venaient autour du feu
Adorer la Lumière, source
de sécurité.
Et quand ils se brûlaient
aux flammes rapprochées
Ils partaient en courant se
cacher dans la nuit
Honteux de leur offense à
la divinité.
L'humanité depuis sa
première cachette
Qui la libère vraiment de
l'animalité
A un compte à régler avec
l'autorité.
Et elle n'a jamais su qui
du fort ou du juste
Elle devait écouter les
belles paroles bleues,
Car le fort avec lui
possède le pouvoir
De transformer les choses
en modifiant les causes.
Et dans son cœur aussi
l'individu hésite
Entre l'action d'éclat et
la sincérité.
L'homme nouveau aura la
Justice et la Force,
L'Amour, la Connaissance,
le Courage et la Foi
Pour supporter l'exil de sa
mission divine
Dans un monde où les hommes
ne le comprendront pas.
Car si chacun aspire à
l'Unité Vivante
Celui qui doit Le dire
n'ose pas le cacher
Quand il voit le Suprême
dans chaque aspect des choses.
Il ne célèbre plus les
scandales à la mode
Car il connaît pourquoi le
Mal s'attarde ici
Tandis qu'il est jugé par
la bonne conscience
De ceux qui sans savoir
animent le maléfice.
Un grand malentendu
complice de la Mort
Joue en faveur encore de
l'étroitesse d'esprit.
Il sera hérétique pour les
Manichéens
Celui qui sourira en toutes
circonstances,
Qui verra poindre Dieu dans
les bouleversements.
L'homme n'est plus menacé
par un seul déluge
Ou par un cataclysme venant
de l'extérieur,
Mais par toutes les armes
qu'il a cru fabriquer
Pour rehausser la Paix d'un
bel éclat fragile.
Le drame nous est utile
comme pour donner le jour
Au plaisir invincible qui
trouvera le calme
Sans pouvoir se lasser de
son aura tranquille.
A grands coups de malheur
nous décimons l'espoir
Comme pour compenser nos
fugues vers l'évasion
Et découvrir soudain pour
le monde immédiat
Une ressource d'action
qu'on ne soupçonnait pas.
Comme des bêtes blessées
l'agonie nous fournit
Un sursaut impossible qui
décuple nos forces,
Tandis que le Destin, ce
prédateur stupide,
Transformait secrètement
nos renoncements stériles
En pouvoir colossal pour
rétablir la Vie.
Sans l'aiguillon du Mal, le
grand singe debout
Serait encore repu de ses
festins magiques
Où le pouvoir des mots
servirait le Désir,
Goguenard empereur des
peuplades béates.
Bien sûr, un jour plus
aucune douleur
Ne nous servira plus à
sortir de nous-mêmes,
La Perfection sera
recherche spontanée
D'une ribambelle d'enfants
à l'esprit enjoué.
Mais aujourd'hui que faire
pour conjurer le sort
De plusieurs millénaires
concoctant un poison
Mortel et délicat, subtil
et nuancé ?
Car la pensée n'est pas la
panacée.
Elle croit voir le Réel
mais n'en touche qu'un bout
Et ne veut pas admettre
qu'une petite partie
N'est pas le tout entier.
Elle hait l'invisible
Ou ce qui lui échappe, car
elle voudrait régner
Sur la Nature entière. Elle
se croit supérieure
A l'instinct infaillible
alors qu'elle n'en est
Qu'une forme élaborée, un
prolongement bancal
Qui perd l'automatisme avec
la pureté.
Si elle pouvait laisser
couler le temps léger
Au lieu de le tirer avec
ses lourds concepts
Au lieu de le classer selon
ses préférences
Au lieu de le ranger dans
des catégories
Elle s'annulerait elle-même
en explosant de joie
Et trouverait le Soi,
Seigneur Intemporel.
Toutes ses hiérarchies
fondées sur des limites
Sont viciées au départ,
mais comme le défaut
Précède le système, il
demeure cohérent,
Et l'on ne sait comment
pouvoir s'en libérer.
Il nous aura fallu triturer
le Mental,
Ce pont vertigineux sur
l'abîme du Temps,
Pour en avoir assez d'être
encore l'animal
Qui éprouvait la peur tout
en le traversant.
De l'autre côté, sublime et
inimaginable
Nous attend le pouvoir
d'une Nouvelle Conscience
Qui travaillera le corps
pour élargir les sens.
Les neurones sentiront un pointillement
d'or
Masser tout doucement le
cerveau archaïque,
Et l'esprit changera sans
partir tout là-haut
Se réfugier là où plus rien
ne l'attaque.
Au contraire, il verra que
tout est la lumière,
Que la Terre vaut autant
que les cieux très sacrès,
Que tout ce qui existe est
le Seigneur Suprême
Déguisé par l'opaque et
masqué par l'objet.
Plus aucune blessure ne
tranchera les faits.
Tout sera relié par
l'Absolu Courant :
Chaque chose sera vue avec
la force propre
Qui en fait l'instrument du
Devenir Divin.
Rien ne pourra plus être
inférieur, supérieur,
Inutile ou utile, laid,
beau, ou élégant.
Les choses seront vues en
elles-mêmes parfaitement,
Sans être déformées par les
grilles de pensée
Ni par l'avidité ou
l'aversion faciles.
Elles émaneront de leur force
spécifique
Toutes les relations
qu'elles tissent avec l'ensemble,
Avec chacune des autres.
Elles sembleront conscientes
Offrant leur être propre
avec sincérité.
Aucun regard n'est prêt
pour une telle entreprise
Qui demande à nos corps de
s'élargir sans cesse
Vers une vision cosmique,
éternelle, agissante,
Qui dépassera même la
condition des Dieux.
Les muscles sentiront un
pétillement étrange
S'infiltrer peu à peu dans
les fibres anciennes
Quand le nez humera d'une
façon nouvelle
La nourriture subtile dont
la demeure est l'air.
Et celui qui fera cette
expérience folle
Dira anachronique la race
qui l'a produit,
Mais il verra en elle le
Purusha Suprême
Jouant à S'ignorer pour
jouir de la douleur.
Et s'il souffre Lui-même ce
sera symbolique
Ce sera pour marquer le
vieux moule à jamais
De l'empreinte du Vrai qui
devient matériel
En s'emparant du corps
meurtri par le mensonge.
Car l'élargissement passera
par des tortures
Qui finiront un jour par
achever la Mort,
Et elles seront sans doute
encore plus délicieuses
Que les jouissances usées
qui détendaient le Corps.
Des obstacles redoutables
voudront s'interposer
Pour arrêter le pas de
l'ouvrier divin
Mais ils insinueront au
mutant libéré
La façon d'être vaincus par
sa sincérité.
Ils ne pourront cacher
leurs failles dissimulées,
La limite par laquelle ils
seront terrassés.
Car il ne peut s'agir que
d'un duel sublime
Entre les deux géants qui
se disputent l'Homme :
Le Fini, l'amoureux de la
forme achevée,
De tout ce qui sépare,
enferme, mesure et tranche
Et l'Infini, Seul, Unique,
qui embrasse en Lui
L'achèvement et l'origine,
la Vie, la Mort,
Le simple et le complexe,
l'infime, le relatif,
Et l'incommensurable
Harmonie de l'ensemble.
Ainsi nous sommes sûrs de
ne jamais finir
La saga immortelle de
l'évolution d'or,
Puisque les résistances
indiqueront ensemble
Une limite à dissoudre, un
pouvoir à créer.
Et si vraiment l'obstacle
amène la délivrance
Nous convierons nous-mêmes
nos ennemis intimes
A discuter nos actes pour
nous encourager.
Leur malveillance elle-même
nous permettra d'aller
De perfection légère en
perfection profonde
Sans que puisse cesser la
Rédemption du corps.
Car si l'Obscur paraît pour
être illuminé
Nous n'avons pas fini
d'avoir besoin du diable
Ni des forts Asouras pour
que tout se transforme.
Dans quel égout cosmique
pourrions nous enterrer
Tout le péché du Monde et
ses vicissitudes ?
Un jour, il reviendrait
purulent de vengeance
Contaminer la Terre à
moitié lumineuse,
Et la Divinité promise par
le Décret
Se verrait compromise par la
désespérance.
Rien ne peut s'oublier, pas
même l'oubli des âges
Qui pèse lourdement dans le
sommeil de l'homme
Et rien ne s'escamote par
un brillant miracle.
Les dents, les ongles, les
poils témoignent d'un passé
Qui s'accroche fermement
aux songes du futur.
Les puissants appétits ont
toujours faim d'eux-mêmes,
Les doutes doutent de leurs
doutes amoureusement
Cherchant un espace vide
pour y faire du néant.
Et la haine terrible se
hait terriblement.
Narcissique, elle a honte
d'elle-même
Et tire de son remords des
renaissances tragiques
Qui scarifient le Monde de
ses stigmates hideux.
Le désir s'édulcore,
assiège la Beauté
Et pour la séduire, il lui
parle doucement
Déclarant qu'il désire ne
plus la désirer.
L'abîme du Miroir construit
des univers
Peuplés par des fantômes de
la même origine
Sortant du vide et se
différenciant
De reflet en reflet
jusqu'aux dernières glaces
Où la Lumière se perd dans
la mémoire des cimes.
Chaque monde a sa loi et
qui veut La changer
Paraît en ennemi, quand
bien même il viendrait
Pour l'élargissement
conforme à l'avenir,
Quand bien même il
viendrait abolir la misère
En révélant aux êtres un
penser moins étroit.
Mais la Terre a toujours
vécu dans tous les sens
Adoré le Mensonge, aimé la
Vérité.
Elle fut la réception de
toutes les tendances
Qui poussèrent librement
pour parvenir enfin
A l'Alchimie suprême qui
comporte chaque aspect.
Chaque force particulière
qui poussait pour elle seule
Se heurtait un matin à
chaque autre croissance
Et le Mal et la Mort
tiraient leur origine
De l'égoïsme utile à la
survie de l'être,
Que ce fût une puissance,
un homme ou une idée.
Chaque chose pour grandir
informe la substance
Informelle, l'attire et
l'accapare, et lui donne
Son propre caractère. Nous
traînons avec nous
Des cristallisations qui édifièrent
l'empire
Des premiers animaux ivres
de reproduction.
Nous portons la mémoire de
chaque événement
Assimilé sous forme de
jouissance ou douleur
Et l'esprit malhabile
imprégné d'habitudes
Interprète toujours le
langage de la Vie
Selon ce qui procure la
joie ou la souffrance...
Mais un autre principe
régit l'Evolution
Et qui ne tient pas compte
des molles préférences
Et brise ainsi sans cesse
les conforts de l'esprit,
Les prisons arrangées qu'on
trouvait suffisantes.
Nos nerfs servaient
toujours la tension primordiale
D'un animal profond qui se
sent menacé
Et sans le corps précaire,
vulnérable et pesant,
Nos yeux seraient encore
accrochés aux étoiles,
Extatiquement vides,
envoûtés par l'espace
Ensevelis vivants dans nul
mouvement.
Mais, nous avons reçu
l'investiture suprême
Qui doit tout rassembler,
le lourd et le léger,
L'espace et la mesure, le
volume et la forme,
L'Action et le Repos dans
un seul véhicule.
Et nous devons unir
l'Intemporel au temps
Pour construire un vaisseau
digne de l'Eternité.
Peut-être existe-t-il des
mondes supraconscients
Pour qui la Terre n'est
qu'un creuset minuscule
Les hommes douloureux des
gemmes ignorants
Du pouvoir de leur forme
qui capte la Lumière.
Nous n'avons pas appris à
devenir nous-mêmes
Si ce n'est en copiant des
modèles
Comme pour souffrir
longtemps de se trahir soi-même
Avant de découvrir dans
notre cœur unique
Le ressort éternel qu'on ne
peut pas voler
A l'image qu'on copie. Il
nous aura fallu
Connaître les impasses des
mythes ravaudés,
Emprunter mille chemins
qu'on n'avait pas choisis,
Et suivre autant de pistes
falsifiées par la lettre
Qui ne tarde jamais à
marchander l'esprit.
Nous aurons traversé des
marécages bleus,
Et qui semblaient propices
à l'amoureux des formes,
Mais qui piégeaient le
temps dans des bulles d'avenir
A jamais enfermées dans
l'errance stellaire.
Nous aurons accompli des
haltes prometteuses
Qui au dernier moment avant
de repartir
Voulaient paralyser celui
qui voyageait.
Et nous aurons appris la
vigilance suprême
Dans un sommeil conscient
qui s'étendra serein
Dans n'importe quel monde
vivant en autarcie.
Car les forces se disputent
l'humaine destinée
Quand elles pénètrent
subtiles dans l'esprit hésitant,
L'entraînant peu à peu dans
leur logique propre.
La bouche se souvient, l'esprit
ne sert à rien,
Mais l'âme clairvoyante
finit par transpercer
Le fossile du corps qui vit
sur le passé.
Alors l'esprit travaille
d'une nouvelle façon,
Il se croyait le maître, il
devient l'instrument,
Dissout ses concrétions,
chevauche librement
Des idées nouveau-nées
issues du vrai futur.
Une lutte magique
s'instaure spontanément
Entre les vieux schémas,
patinés, racornis
Et le motif léger des
vérités vivantes
Qui ne s'imposent pas, mais
passent comme des oiseaux.
Alors l'instant devient
l'ultime laboratoire
Où viennent se réunir les
survivances fières
Du passé révolu et les
premières touches
D'une Conscience Intégrale,
trop extraordinaire.
Le souple funambule chante
éternellement
Sur le fil élastique des
devenirs sublimes
Que sa peur de tomber tente
de trancher net.
Quand il aura vaincu les
tensions et la crainte,
Et l'appréhension bleue de
pouvoir échouer,
Quand il pourra marcher sur
l'arête présente
Sans faire le moindre drame
avec ses souvenirs,
Le sourire éclatant d'une
joie sans appel
Guidera chaque pas
automatiquement.
Il saura parfaitement ce
qu'il aura à faire
Pour marcher Invincible sur
l'Eternel Présent.
Aucune hésitation ne
viendra compromettre
Sa démarche lucide, légère
et spontanée.
Aucune mécanique ne le
conduira plus,
Aucun instinct aveugle
produira son exploit,
Il sera infini dans le
moindre de ses gestes
Et c'est l'Eternité qui
soutiendra ses pas.
Mais aucune parole ne
transmet la Vision
Sans limite et parfaite qui
anime l'avenir
Et qui cherche ici-bas de
consentants cobayes.
Nos corps peuvent devenir
un imprévu chaînon
Entre le grand Soleil de
l'Indicible paix
Et les astres errants des
hommes qui se cherchent.
Une harmonie complète
intègre les désaccords,
La Mort et les impasses
dans un corps inconnu
Dont chaque semence ici est
presque encore sous terre.
L'esprit, brillant
critique, a calomnié la boue
Et loué l'or magique,
symbole universel.
Mais il ne pouvait voir que
le même Pouvoir
Coagulait les deux pour
varier la Matière,
Et il ne pressent pas que
la vertu altière
Est masque de la honte
éprouvée d'être nu.
Il ne voit pas comment le
vice tant abhorré
Est la franchise brute d'un
être qui ne veut rien
Et qui pour déchiffrer
l'énigme de la Vie
Commence par briser
l'espace du puzzle.
L'homme qui cherche
l'Obscur souffre de la distance
Entre le Maître et lui. Il
tente de ravir
Son sceptre à la Lumière en
jouant puissamment
Qui l'a déjà acquis. C'est
le rite du mensonge,
Cette façon de croire que
rien de Ce Qui Est
Ne résiste à celui qui veut
le posséder.
L'épaisse volonté n'est pas
l'aspiration,
Et le viol rarement une
preuve d'amour.
Pour capturer le Soi,
découvrir la Conscience,
Les danses amoureuses sont
souvent mécaniques
Et les défis guerriers
semblent des pantomimes.
Et les lourds sacrifices
qui marchandent le Vrai
Contre un renoncement aux
choses de la Vie
N'abusent pas l'Enfant qui
joue avec Lui-même
Et ne trouve pas beau qu'on
souffre exprès pour Lui.
On se protège encore en
passant quelquefois
Pour ce que l'on n'est pas.
C'est ainsi que l'insecte
Ressemble à la brindille,
que le caméléon
Epouse la couleur de
l'arbre où il s'accroche.
Nous n'avancerons jamais si
nous faisons semblant
De ne pas avoir peur quand
elle est au-dedans.
Nous n'avancerons jamais si
nous faisons semblant
De savoir Ce Qui Est.
Mais la peur reconnue
s'enfuit à toutes jambes,
L'illusion acceptée, sa
tâche diminue.
Et se tapit dans l'ombre
l'angoisse prolifique.
La bête cherchait toujours
à se réconforter
En pratiquant des rites
faussement efficaces
Mais qui lui permettaient
d'aller dormir en paix.
Et nous avons encore
l'habitude sournoise
D'imiter le futur pour
vaincre le présent.
Or l'avenir toujours se
cache à celui qui
Evite le Moment. Et tout se
recommence:
Nos illusions perdues
engendrent les nouvelles
Illusions de demain, car
tout se multiplie
Selon sa propre espèce. La
vérité vivante,
Aussi infime soit-elle,
attire vers son soleil
Des étoiles vivantes. Ainsi
le monde va,
Peu soucieux des faiblesses
et des volontés propres
Que croient avoir les
hommes qui vivent leurs fantasmes.
Leurs imaginations sont
l'image cosmique
D'un délice éclaté qui
cherche sa propre source,
En caricaturant ce qui la
constitue
Pour s'humilier devant la
force qui l'anime.
Tout est écrit dans tout,
et l'être perspicace
Lira l'histoire du monde
dans les symboles clairs
Qui jalonnent le temps, et
dont la collection
Est comme l'alphabet
initiant Dieu à l'Homme.
Les coquillages adorent la
spirale du temps.
Les formes géométriques
président à la structure
Qui des atomes entre eux
forment les molécules
Liquides ou cohérents,
dilatés ou compactes.
Les animaux s'exercent à
des œuvres complexes
Déployant une joie qui
comble la Nature.
Un dynamisme fou pour la
pensée de l'homme
Se cache dans le silence et
élabore sans cesse
Des procédés nouveaux et
des actes uniques.
Des milliards de possibles
mélangent à tout jamais
Des causes aussi nombreuses
que des graines endormies
Dans la terre transparente
de l'Indéterminé.
Et pour des potentiels
innombrables et parfaits
Une seule chose advient,
fragile mais puissante
Dans l'éclosion nouvelle
d'un cas particulier.
Et le pouvoir suprême se
transmet invisible
Dans la moindre parcelle du
plus petit objet
Avant même que l'esprit
chevauchant son désordre
Essaie de ralentir son
magnifique coursier
Qui foule innocemment
l'Harmonie intégrale
Sans connaître la Force qui
le fait galoper.
Et nous cristallisons la
vibration suprême
Qui perd de son pouvoir
quand nous la réduisons
Pour inventer des cadres
qui répètent les faits.
Même pour la même espèce,
il n'y a pas de série.
Las ! Notre esprit est
avide de beaux points de repère,
Et décrète qu'une chose
pour devenir elle-même
Doit ressembler à d'autres
ou bien se répéter.
C'est l'erreur catholique
du dogme universel
Qui réduit le Réel à
l'ensemble des lois
Et qui condamne avec un conscient
fanatisme
La chose qui arrive
en-dehors de ces règles.
Mais rien ne se soumet à
qui juge le Monde
Sinon la Terre entière
serait déjà détruite.
L'Amour n'est pas un
censeur tout-puissant.
Et le pouvoir découle d'une
vision transparente
Qui voit l'acte de Dieu
même chez l'Iconoclaste
Qui bafoue Son visage quand
il a trop vieilli.
Et si tu vois dans
l'idolâtre
Le sourire du Seigneur qui
s'enfuit de lui-même,
Alors tu peux comprendre
son éternelle action
Dans le jeu infini aux
Principes cachés.
Se donner, telle est la loi
pour vivre l'Univers.
Ce serait trop facile si
pour quelques offrandes
Dieu nous prenait en charge
comme un papa-gâteau
Nous offrant des bonbons
roses et acidulés
Pour nous donner le change
et nous apprivoiser.
Renonce à prendre et tout
te sera donné.
L'Univers t'a créé, ne lui vole pas ton existence.
2 Un combat merveilleux contemporain de Tout
Quelle que soit la
splendeur que nous découvrions,
Tout demeure un combat
tacite, omniprésent
Entre des survivances
qui connaissent leur goût
Pour différents
délices qu'elles ont approfondi
Et de légères
ivresses qui demeurent sans objet
Quand bien même elles
savourent l'ineffable Beauté
D'un monde où rien
ne meurt mais où tout se transforme.
Et comme par notre
corps nous sommes reliés
Aux différents espaces
qui assument la vie,
Nous recevons sans
cesse nombre d'informations
Hostiles et
pénétrantes, médiocres ou lumineuses.
Nous absorbons aveugles
des repas éthérés
Qui viennent réveiller
quelque assoupie tristesse,
Relancer un soupir
d'esthétique fatigue,
Briser sans faire de
bruit l'aurore d'un matin
Qui dévoilait sa loi
dans sa danse limpide.
Toutes ces suggestions
viennent sans doute du dehors,
Mais tant qu'au fond
de nous survit une accointance
Avec la fière essence
du Malheur obsédant,
Il prend autant de
formes qu'il peut pour épuiser
Sa façon de nous
vendre un de ses avatars.
A diverses reprises,
selon les circonstances
Nous recevons en nous
ses puissants émissaires,
De petites flèches
noires pénétrant le nombril
Qui se fichent dans le
cœur d'une mystérieuse cible,
Un chakra, une roue, un
centre d'énergie.
Mais nous pouvons aussi
ouvrir dans l'invisible
D'imperceptibles yeux
au regard transperçant
Les couches successives
qui cachent l'authentique.
Et nous pouvons capter
l'effluve d'un secret,
Un parfum intrépide
entre deux idées mortes
Qui venaient d'une
époque remplie de tragédies
Et qui cherchent encore
dans le cerveau loquace
Un miroir de sorcière
où tout s'enorgueillit.
Mais s'il est vrai
que fondent sur le chercheur aimant
Un tas de projectiles
venant de l'Inconscient,
Quand l'opacité fond
ils ne rencontrent rien
Et traversent sans
blesser l'âme au malheur dissous.
Ainsi le pas travaille
concentré sur lui-même,
Et voici que le corps
s'emplit d'un souffle juste
Qui disperse aussitôt
les produits de l'esprit
Et révèle une joie
dans les pores de la vie,
Exultant pour qu'elle
cherche seulement à durer
En assumant ses tâches
au travers des saisons.
Tout devient
l'organisme d'une parfaite conscience
Jouant dans les
cellules des plantes et des bêtes
A respirer un feu
humide et pénétrant
Qui corrompt le passé
et sert de matériau
Pour édifier la forme
d'une prochaine étape
Aspirant à pousser ses
éléments fragiles
Vers la structure
qu'ils cherchent infailliblement.
Et quand l'être
demeure dans cette perception
Son corps ne fait plus
qu'un avec l'air qu'il respire,
Avec cette cascade qui
chante le saumon,
Ou avec ce manguier
près d'un marigot sombre
Où des fleurs de lotus
expliquent le marécage.
Or un dégoût survient
quand l'enchantement part,
Car soudain l'homme
privé de ses racines,
Ne foule que le sol de
ses chimères bleues
Dont il fait un tapis
pour assurer son pas
Ou le guider là-bas
vers un futur scabreux
Plein de sécurité et
de bureaux de vote.
Il nous revient alors
l'image des génocides
Perpétrés notamment
pour de nouvelles races,
Meilleures, bien
fabriquées, autoritaires et raides,
Et comme un goût de
sang picote notre palais.
Comment avons-nous fait
pour passer à coté
De cette transparence
qui dessine les branches
De cet arbre prochain
encore tendre arbrisseau ?
Comment avons-nous fait
pour oublier le souffle,
Inventer la contrainte,
légiférer l'Unique ?
Quel démon habitait
notre engeance fantastique
Capable d'inventer
des outils admirables,
Des instruments précis,
des relations multiples ?
Et tandis que soudain
comme une honte vient
Dans le cœur humilié
par des sanglots lointains,
Une évidence neuve
comme un sourire d'étoile
Dans un ciel sans nuage
comme recommencé
Délivre une vision que
le corps reconnaît.
Non, rien n'est isolé
dans l'immense chaos
Des rêves fratricides
aux buts hétéroclites
Qui semble aussi porter
d'immenses portiques d'or
Qui encadrent les
signes des Illuminations.
Nul ne peut affirmer
qu'il y a d'un coté
Les fauteurs de
massacres et leur méchanceté
Tandis que l'autre
embaume des louanges des saints,
Des conquêtes de
l'espèce sur son obscur destin.
Non !Comme le
lotus nécessite la boue
Pour traverser la vase
vers ses fleurs admirables,
L'humanité contient
la trahison sordide,
La chute vers un abîme
de pouvoirs ricanants,
La stagnation médiocre
des rêves pourrissant
Pour que pousse la
fleur d'une aspiration d'or
Annonçant l'éclosion
d'une espèce meilleure.
Et nulle intelligence
ne peut trancher le Monde,
Décider arbitraire que
le Mal est ici,
Et que le Bien est là
et qu'un abîme entre eux
Doit se creuser sans
fin pour sauver les élus
Et protéger les bons
des feintes des méchants.
Car ceux qui
s'essayèrent à cette opposition
Croyaient toujours
avoir le monopole du Vrai
Et partaient à la
chasse d'innocentes sorcières,
Et jetaient l'anathème
saoulés par leur pouvoir,
Et engendraient des
crimes passant pour des exploits.
Une seule humanité
possède un corps unique
Où les hommes
inconscients, superstitieux, barbares,
Vivent au même rythme
que les sages et les saints.
Car qui pourrait gêner
l'envol vers le Divin,
Et qui pourrait se
plaindre d'un homme transformé ?
Non, un seul corps
prépare des fééries diaphanes
Comme exilés sans fin
de reflet en miroir,
Non, un seul corps
possède des intrigues sans gloire,
Des élans mirifiques
vers un sens retrouvé
A partir de complots
sanctifiant un chemin
Plus étroit que les
autres et plus propre à dicter
Des lois irréfutables,
des pas obligatoires.
Mais comme une
Proportion équilibre les choses
Le chercheur qui
s'avance d'un monde naturel
Sent qu'il porte en
lui-même l'univers extérieur.
Il découvre en son
être des résistances cachées
Qui sans doute
correspondent à des êtres vivants.
Elles trament des
ethnocides au nom d'un Idéal,
Dénoncent des espions
qui ne sont que sourires,
Car elles légifèrent
ou se croient tout permis
Dans ce vaste chaos
d'électriques neurones.
Mais en silence une âme
aperçoit dans l'aurore
Des expressions dorées
aux visages futurs,
Surprend quelques
sommeils qui capturent l'inertie
En concoctant des
songes aux avenirs figés.
Et de la même façon
que l'Evolution trie
Parmi l'entassement
des forces entremêlées
Celles qui s'offrent
pour ouvrir les progrès,
Ainsi l'homme qui
cherche un autre itinéraire
Rencontre à chaque
fois un allié inconnu
Qui se met à trancher
l'ombilic ténébreux
Par où les forces
adverses pénètrent le yogi
Et le tiennent lié aux
autres, endormis.
Mais bien souvent l'on
tire sur ce fil mortuaire
Qui nous rattache
encore aux peuples sanguinaires,
A l'inertie puissante
du chaos primordial
A la douleur apprise
par les générations,
Et pour le trancher net
ou bien s'en dépêtrer
Tous les moyens
s'essaient car nul ne sait s'y prendre.
Quand la panique
s'installe on court dans tous les sens,
la haine, la rébellion
aveuglent l'espérance
et triomphe davantage
cette mémoire malfaisante
Qui s'attache en
secret aux entrailles du ventre.
Marche dans la chair du
temps que nul n'a entaillée
Sur ce chemin sans
piste aux transparents appels
Qui mène dans le
silence aux gisements de lumière,
Ineffables soleils
d'une infinie Conscience,
Immobiles îlots de
l'océan du Temps
Parsemé ça et là du
plancton des étoiles,
Intime phosphorescence
dans l'ambre ténébreuse
Du vide illimité
mangeant les galaxies
Avec ses grands trous
noirs qui incurvent l'espace,
Et leur densité folle
qui avale la lumière.
Ce que t'enseigne
l'Homme n'est pas la Vérité,
Ce ne sont que les lois
d'un cauchemar pervers
Ou des visions divines
sans aucun mode d'emploi.
Mais ton corps
minuscule contient tout l'univers,
De multiples secteurs
échangent des énergies
Qui peuvent tout aussi
bien collaborer pour l'Un
Que se livrer bataille
à travers des organes,
Des zones d'influence
où chacune règne en maître
Selon la loi secrète
des vraies correspondances.
Et tout à chaque
instant se modifie sans fin,
Les alliances des
forces, le pouls de l'Infini,
Comme si un équilibre
existant par lui-même
Instaurait dans le
corps des vases communicants
Pour que la maladie
évacue infaillible
Un mal bien plus
profond dont elle est le symptôme.
Dans cet inaccessible
laboratoire secret
Qu'aucune
intelligence ne semble diriger,
S'échafaudent sans
cesse des lois compensatoires,
S'étalonnent des
poids mystérieux et vivants
Qui gagnent les
plateaux d'une Balance invisible
Où se pèsent le
Destin et l'envol de la Vie
Vers une architecture
consciente de l'architecte.
Chaque émotion légère,
chaque pensée ou chaque acte
Apporte son offrande
ficelée à la hâte,
Ou bien indifférente à
l'autel mystérieux,
Ou bien reconnaissante
comme un heureux présage.
Et tous nos états
d'âme sont un certain reflet
De forces intangibles
dans le doux réceptacle
D'un infaillible
corps envoûté par l'esprit.
Mais tout pourrait
servir à l'unique Harmonie...
Le malaise réveille
l'aspiration divine
A vivre dans la fête
d'une ivresse enchantée,
Quintessence tranquille
d'une sobriété d'or
Quand la Nature
découvre son éternel amant.
Et comme nulle formule
ne mène à l'Infini,
Les excès peuvent
aussi être une approche sûre
D'une fringale
monstrueuse ancrée dans l'être humain,
Que l'on découvre un
jour assoupie, rassasiée,
Prête à récupérer
la soif de connaissance
Pour en faire bientôt
l'immatériel objet
D'une nouvelle
convoitise déguisée en ascèse.
Et comme nulle recette
ne révèle le Vaste
Aucun peut essayer de
vivre absolument
Pour une seule force,
puissante et exclusive.
C'est un moyen habile
pour masquer le conflit
Entre diverses
tendances brûlant pour l'Harmonie.
Ou bien ne faire du
corps qu'un vêtement de fortune
— Qu'on a du
dérober comme un déguisement
Dans les sombres
coulisses d'un théâtre forcé —
Et ne toujours chercher
qu'un céleste salut
Est un moyen adroit de
s'enfuir du problème.
Car l'homme n'est
rien d'autre qu'un paquet d'appétits
et ne peut isoler le
mal dans un recoin.
Il ne peut par magie
vaincre la maladie
Rien qu'en la
subjuguant par un ordre précis.
Profitant un matin
d'une quelconque faiblesse
Elle s'élancerait
plus forte pour le vaincre sans pitié.
Il ne sait pas non plus
oû cacher ses faiblesses.
Dissimuler ses propres
résistances échoue.
Il s'agit d'avancer
comme un être tout entier
Vers une force nouvelle
venant tout racheter,
Et une seule partie de
l'ensemble ne peut
Venir se prosterner aux
pieds de l'Infini.
Il convient d'accepter
cette part d'obscurité
Non pour la condamner
mais l'offrir en silence
Au sacrificateur de
l'éternelle offrande.
Car le Mal n'est pas
une essence immortelle,
c'est une simple
béquille provisoire, maladroite.
Et nous ne pouvons plus
ici nous promener
Mais celui qui observe
l'obscurité tenace,
— Comme un guerrier
découvre son adversaire chéri,
Son partenaire sacré,
son champion favori —
Engendre la démarche
qui découvre les armes
Terrassant dans la joie
l'esprit du maléfice.
Et chaque fois qu'il
débusque en lui un ennemi,
Le chercheur sent
bientôt une pénétrante grâce
Qui l'apprivoisera,
qui lui dérobera
Son mal coagulé,
fermera la blessure
D'un souvenir ancien
qui refusait le Beau
Pour s'être laissé
prendre aux mystères de l'horreur,
Tous ficelés ensemble
par une magie puissante.
Elle se rit de l'ascèse
aux intentions sublimes
Qu'un simple nu de
femme peut venir dérouter,
Comme elle se moque
aussi du culte du Désir
Et de ses partisans qui
souffriront encore
De ne pouvoir goûter
tous les plaisirs du Monde.
Et quant à l'ignorance
qui cherche son bien-être
Dans une routine bleue
de plus en plus parfaite,
Elle peut difficilement
tenir lieu de modèle,
Face à toute démarche
tant soit peu naturelle
tuant le formalisme, ce
dieu de l'apparence,
Pour découvrir un saut
qui s'envole innocent
Au-delà du Connu où
gît l'académisme.
Mais un monstre
impavide se cache quelque part.
Il est toujours avide
de son intérêt propre,
Et ramène au conflit
le désintéressement.
Il endort le présent
et courtise la mort.
Il recherche le gain
dans la moindre pensée,
Recourt à des mobiles
pour être disponible,
Cherche le détachement
par des voies pragmatiques,
Ne voit le mouvement
qu'en termes de réussite.
Avocat avisé, il agit
dans le corps,
Guérit par des
mensonges qui paraissent rassurants,
Et met un point
d'honneur à éviter la peur
Dont il est le produit,
l'exact prolongement,
Le nourricier fidèle,
subtil, pervers,
Efficace, obséquieux,
érudit, ancestral.
Dans les chakras
subtils, il navigue tempêtant,
Il inspecte les zones
des pouvoirs de la Vie,
Profite des
circonstances pour faire ses arguments,
Dénonce les menaces
pour faire sa politique,
Corrompre des gardiens
qui se mettent à douter,
Décourage la fièvre
de battre la maladie.
Il achète des
alliances dans différents secteurs
Qu'il reniera bientôt
si elles sont compromises.
Et comme un vieux
shaman d'une tribu animiste
Il soumet quelquefois
des esprits diaboliques
— D'indécises
blessures refusant de guérir.
Mais connaît-il
vraiment l'insaisissable dieu
Qui monte et qui
descend dans la moelle épinière,
Transmet à la Matière
les messages de l'Amour,
Soutient l'épine
dorsale de l'univers entier
Depuis la sombre terre
des naissances inconscientes
Jusqu'à la fleur
sublime de l'Infini conscient,
Depuis le sexe obscur
jusqu'au sommet du crâne
Qui s'ouvre vers l'évolution des âges ?
D'immémoriaux
empires échelonnent leurs cités
De vertèbre en
vertèbre, de frontière en frontière,
Coagulant chacun
l'Energie Primordiale
Selon son rôle unique,
parfait, irremplaçable.
Mais quand l'âme
cachée aimante jusqu'à son cœur
L'or éthéré du
Monde qui poudroie de gaîté,
La force du désir
devient une survivance,
La saveur du plaisir un
souvenir étrange,
Et une vive euphorie
comme un torrent tranquille,
Fraîche comme une
aurore, remplace les sensations
Par une altière santé,
une activité Juste.
Une unique Puissance
parcourt l'allée royale
Des mondes de la vie
dans le corps étonné
De sentir dans ses
centres un feu parfois brûler,
Consumant de
l'angoisse, amendant la Nature,
Purifiant l'habitude
des animaux réflexes,
Transcendant l'héritage
d'une espèce accomplie
Pour amorcer l'élan
vers l'avenir certain.
Et tout ne fut pas vain
dans l'équilibre instable
D'un instant attaché
à ses sombres racines
Epousant quelquefois
l'évasion de l'esprit
Pour voyager peut-être,
pour se déraciner,
Pour entrevoir là-bas
une autre destinée
Que celle qui le liait
à ses prérogatives.
Mais quand l'esprit
voulait avec sa gourmandise
Trouver dans le ciel
bleu d'immuables racines,
Il en faisait bientôt
l'objet de sa passion,
Lui sacrifiant la vie,
l'amour, l'évolution
Pour séduire à jamais
un but édulcoré,
Délectable, incertain,
une superbe maîtresse,
Une mort définitive,
une vérité brillante
Abandonnant la Terre à
son destin tragique.
Mais si par la vision
qui embrasse toutes choses
L'être vient à
saisir l'éternelle relation
Entre la vie, la mort,
et ce qui les contient,
Il devient amoureux de
descendre et monter
Dans les chakras du
Monde pour y naître et mourir,
Dont chacun établit
les symboles sacrés
Comme un code cachant
l'ultime Réalité
Dans des signes écrits
avec l'encre du sang.
Et comme dans le corps
la Shakti Primordiale
Distribue le pouvoir
aux zones d'influences,
Une âme illuminée
rachète la mémoire,
Anticipe le futur par
son aura divine
Et travaille au-delà
des querelles sectaires
Et le grand corps des
hommes est comme un corps humain,
Malade ici et là au
nom des traumatismes,
Espérant par endroits
des panacées truquées,
Appliquant sur des
plaies des remèdes toxiques,
Triomphant quelquefois
dans des cellules d'or
Un peu plus réceptives
à la Force Première
Que les pouvoirs en
place assoiffés de durer.
Mais voici
qu'aujourd'hui tout peut se réveiller
Telle une chrysalide
s'ouvrant vers la lumière,
Protectrice un moment
d'une mutation cachée,
Mais parfaite prison
quand l'insecte s'éveille.
Et comme le papillon
arrive à la briser,
Peut-être l'humanité
pourra-t-elle dépasser
Tous les voiles de soie
qui l'enrubannent encore
Et dont chacun
ressemble à l'interprétation
De l'univers entier
par un esprit habile :
Tissant comme
l'araignée une toile géométrique
Dans laquelle sans
doute il devait s'enfermer
Pour avoir un matin
envie d'en réchapper.
Et il n'est pas
meilleur que l'engeance des hommes,
Ce mutant non prévu
par les savants égaux,
Ce voyant éternel aux
roues incandescentes,
Marche à coté du
singe qu'il vient juste de quitter,
Embrasse dans son
regard le contingent des hommes
Embrigadés de force ou
presque sur le navire
Qui s'en va conquérir
de lointains archipels,
Quand les marins
ignorent quelle est sa destinée.
En silence, il côtoie
des divinités d'or
Qui tiennent dans leurs
mains l'évolution des âges.
Alors le bien n'est
plus qu'une décision ultime
Qui condamne de haut
ceux de la même espèce,
Le mal est un souffleur
épelant un faux texte
Pour rire sournoisement
du trac des comédiens
Contraints d'improviser
pendant tout le spectacle.
Mais tout habite
ensemble sur une même Terre,
Comme le rêve familier
d'une infinie Conscience
Qui morcelle son âme
dans une mosaïque
Dont n'importe quel
fragment, en dépit de lui-même,
Cherche quelle est sa
place dans cet imbroglio,
Ou feint par fantaisie
de l'avoir découverte.
Trop de couleurs s'arc-boutent sur
l'arc en ciel
Pour un œil rempli
d'une teinte préférée.
Trop de langues sans
doute chantent le même ciel
Pour que l'esprit
comprenne qu'à travers toutes formes,
C'est un même
mouvement qui chante le dynamisme,
Et un même mobile qui
lutte pour demain,
Maladroit, contingent,
mais qui voudrait bien faire,
— Etreindre
l'arc-en-ciel sans dénigrer la pluie —
Et se cache toujours
derrière ses intentions
Pour planifier l'erreur
et rendre hommage à Dieu.
Mais parfois il arrive
qu'une démarche vienne,
La seule qui demeure
quand les autres s'épuisent,
La seule qui persiste
en dépit des obstacles,
La seule qui fasse
corps avec le Monde entier,
La seule qui sans
crainte révèle tous les conflits,
Souligne l'impuissance
du chercheur fatigué
Pour annoncer la joie
des conquêtes futures.
Alors plus rien dans
l'être ne cherche à s'échapper
Des dilemmes profonds
et des contradictions,
Et l'univers révèle
qu'il comporte chaque chose,
Et que c'est pour
cela qu'une lutte éternelle
Est le puissant moteur
d'une seule Evolution,
Empruntant le chemin
joyeux des écoliers
Pour grappiller
l'aurore d'une malice légère
Que pourraient
compromettre les amants du Pouvoir.
Et un sourire nouveau
veut la lucidité,
Qu'elle montre les
laideurs enfouies dans l'Inconscient,
Ou trouve des beautés
dans des élans perdus,
Ou des essais fragiles
pas toujours fructueux...
L'imbroglio devient
un puzzle ordonné
Dont chaque aspect
indique l'affinité secrète
Qui fait qu'il
coïncide avec l'autre caché.
Et dans l'éparpillement
des valeurs relatives,
Le nomade immortel
glane des lignes de force,
Découvre sous des
vestiges des inscriptions dorées,
Et parfois ne voit rien
dans la bleue prospective
Surchargée de motifs
aux chiffres économiques.
Ou bien c'est
l'étendue des villes quotidiennes
Qui cache dans sa
grisaille des aspirations d'or,
Encore ensevelies dans
l'utopie du rêve.
Et maintenant qu'il
voit que tout antagonisme
Est le fruit douloureux
de forces complémentaires
Qui mettent en demeure
de résoudre les énigmes,
Le chercheur s'aperçoit
que dans le corps aussi
Il ne peut isoler le
mal dans un recoin.
3 La transfiguration des lois
Chaque monde voyait les
époques antérieures
Non point comme elles
étaient mais par rapport à lui,
Comme si la différence
était impénétrable,
Ou prétexte à juger
d'un progrès accompli,
Evacuer un art qu'on
ne comprenait pas,
Rejeter quelque chose
qu'on n'avait pas chez soi.
Mais celui qui s'élève
au-dessus des époques
N'a nul besoin du
prisme de sa propre culture
Pour voir la
signifiance des lois et des coutumes.
Il voit toutes les
races, tous les âges en eux-mêmes,
Presque tous contenus
dans une même perspective
Où l'apogée bientôt
engendre la décadence,
A moins que lentement
une civilisation
S'étale sans progrès
rapide ou apparent.
Elles s'alignent
presque toutes dans un même paysage,
Semblent comme des
cellules s'engendrer l'une l'autre,
Pouvaient toutes tenir
dans un unique musée
Dont l'âme peut
faire le tour en une matinée.
Car enfin elles sont
courtes, quelques générations,
Et partout se
retrouvent les mêmes composantes :
Un pouvoir politique
plus ou moins consenti,
Avec ses fabricants de
lois, de privilèges,
Qui exhorte la guerre,
la justice, et la paix,
Un pouvoir religieux
défigurant les dieux
Pour tenir dans ses
mains l'aimable stupidité,
Un pouvoir de l'élite
qui peut ou non parler
Selon le caractère de
chaque société.
Et tandis que certaines
ne vivent qu'en tribus
Avec leurs traditions
pratiques, indiscutables,
D'autres se mettent à
construire des cités redoutables
Dans lesquelles les
structures des relations humaines
Se heurtent ou
s'effilochent et bondissent en avant,
Entraînant derrière
elles des empires répressifs,
Des tyrannies violentes
ou des révolutions.
Mais elles formaient
toutes des hommes préconçus,
Des femmes attachées
aux gestes millénaires,
Des notables assoiffés
de stagnation servile,
Un peuple douloureux,
occupé à jamais
Par des travaux
grossiers profitant aux marchands.
Et elles donnaient
toutes les mêmes valeurs aux choses,
Partout ce qui
comptait, toujours, c'était la loi.
On disait quelquefois
qu'elle nous venait d'en-haut,
D'une puissance
mystérieuse inventant les étoiles,
qui façonnait les
hommes comme des poupées d'argile,
A qui elle prescrivait
un unique mode de vie.
Ou bien on la disait le
fait des grands ancêtres,
Qu'à force de
légendes on prenait pour des dieux.
Où que ce soit, la loi
ressemblait à la loi :
L'enfreindre était
un crime, la remettre en question,
La préméditation de
ce crime inouï.
La loi était la loi,
la déesse de l'esprit
Qui lui offrait des
règles à chaque sacrifice.
L'idole sanguinaire
brisait les volontés,
Divinité de pierre à
qui chaque royaume
Elevait quelquefois
d'effrayantes statues,
Des totems titanesques
protégeant les tabous.
Et nulle règle, nulle
loi ne pouvait comporter
Ce petit addendum qui
aurait tout changé :
« N'utiliser
que dans des cas particuliers
N'étant jamais
valable en règle générale. »
Elle cherchait à
cacher sa nature véritable.
Tout le monde la
voulait seulement obligatoire
Sans pour autant
qu'elle soit vraiment une contrainte.
Mais comme il suffisait
de la dire nécessaire
Pour le bien de l'Etat,
la loi entérinait
La contrainte
innombrable, et la bavure normale,
Et le lourd appareil
des abus de pouvoir,
Et l'admirable loi
était impraticable,
Elle était trop
abstraite pour épouser la vie,
Conçue pour le pouvoir
et non pas pour le peuple,
Elle ne savait pas
embrasser d'un coup d'œil
Toutes les composantes
d'une situation.
Car l'esprit l'avait
faite, lui qui n'embrasse rien,
Sauf sa crainte
éternelle qui veut tout régenter.
Mais quelle que fût la
loi, elle était à l'image
De ceux qui la
faisaient, de ceux qui subissaient
Jusqu'à ce qu'ils
s'insurgent et en créent de nouvelles,
Pour régir
l'ignorance, et contenir la haine.
Protéger tant soit peu
l'exécrable Différence,
Et pour organiser au
sein de l'égoïsme
Des structures
reconnues qui le ramifieraient.
Mais celui qui découvre
une nouvelle conscience
N'a plus besoin de
lois pour régler sa démarche,
Ne croit plus aux
morales, pas même aux interdits,
Et sourit des valeurs
qu'on lui soumet encore
Car il connaît que
l'Homme peut marcher sans tuteur.
Et il ne préconise ni
doctrine ni méthode,
Car il sait – ô
combien – que l'esprit récupère
Pour son propre marché
les fruits du lendemain
Qui tombent quelquefois
d'un grand arbre éternel
Sur le chemin nouveau
d'un chercheur tâtonnant.
C'est chaque individu
qui doit chercher sa loi,
Avancer par lui-même
vers l'inédit ouvrage
D'une vie accomplie
dans le secret du cœur.
Mais dès que l'on se
penche sur l'histoire des humains,
Une vérité horrible
s'avère universelle :
L'homme est trop peu
de chose pour se fier à soi,
Il ne peut pour marcher
qu'obéir à la loi,
Ou bien se conformer à
la première venue
Ou bien choisir entre
elles celle qui donne le plus.
Il faut passer par elle
ou bien par l'une d'elles,
Choisir si on le peut
celle qui convient le mieux.
Mais la Loi véritable
n'est écrite nulle part,
Elle ne punit pas, ne
récompense pas,
Mais donne à chaque
moment ce qui convient le mieux
Pour avancer encore
dans son unique voie.
Ainsi l'homme n'est
rien, s'écrie la tradition,
Puisqu'au sein des
menaces il doit toujours mendier,
Il doit vite marchander
à ses divinités
Un moment de répit
contre trois sacrifices,
Ou bien c'est au
Futur qu'il marchande l'instant
Contre quelques
promesses qui justifient ses crimes,
Mais nul n'a jamais
dit, ou sa voix s'est perdue,
Qu'il suffisait sans
doute d'aimer la Vérité
Pour parvenir au bout
des créations humaines
Qui ont fait du grand
Rythme un rouage Mécanique,
Qui ont fait de la Loi
un système blafard
Où toute récompense
cautionne le châtiment,
Où toute erreur petite
pénalise la grâce,
Et où le formalisme
engendre la contrainte,
Et où l'interdiction
sanctionne la liberté.
Car ce n'est pas cela
le principe de la vie,
Mais l'homme ne vit
encore que par coercition :
C'est le temps qui
s'enfuit qui le pousse à miser
Sur une mort tranquille
à laquelle il demande
De répondre aux
questions qu'il n'a pas su poser.
C'est l'instinct
qui le pousse vers toute gourmandise
Pour les attraits du
sexe, du pouvoir, et du rêve.
C'est un cœur
mystérieux tout au fond de lui-même
Qui le pousse à aimer,
à lutter, à combattre
Pour un bonheur plus
vaste, une liberté mythique.
Et parce qu'il est
contraint par l'ardente Nature
L'homme produit des
contraintes pour imiter sa mère
Dans le champ de la vie
où l'Histoire la reflète.
Mais dès qu'il
s'affranchit de ses propres limites
En découvrant en lui
la conscience-témoin,
Toutes les lois
deviennent l'image du mensonge
Car elles ne sont pas
faites pour l'aider dans sa quête,
Mais pour toute autre
chose : le culpabiliser
Aux moindres
défaillances, le tenir enfermé
Dans un filet absurde
d'idées invérifiables.
Ou bien elle sert
encore à maintenir un ordre
Qui n'est jamais un
ordre, mais un chaos grimmé.
Et elle est toujours là
pour mettre des œillères,
Brider l'individu, le
tenir en respect,
Le faire douter de lui,
l'humilier si besoin
Pour qu'il sache
accepter sa parfaite impuissance.
Et même si nous rêvons
de l'abolir soudain,
Nous savons sans erreur
que dès le lendemain,
N'importe qui par
force serait législateur,
Remplacerait les lois
par des choses nouvelles :
Des licences forcées,
des fêtes obligatoires,
Et une mise en demeure
d'être heureux sans délai.
Et toute barbarie
possède sa distinction :
Grâce à elle, elle
voit la barbarie partout,
Sauf en son propre
empire où il n'y en a pas.
Voilà ce qu'aperçoit
le voyageur solaire
Quand il parcourt un
peu le grand panorama
Des millénaires bleus,
fastidieux, rutilants.
Et s'il lui semble
parfois qu'une obscure conscience
Favorise sciemment
l'ignorance et le mal,
C'est là qu'il la
pressent, dans la magie des lois,
Dans cette façon
immonde de ne parler des choses
Que pour en un clin
d'œil les rendre inaccessibles.
Elles suscitent
l'appétit de la chose qu'elles éloignent,
Qu'il s'agisse de
Dieu – dans toutes les religions
Perverties par l'église
et la bureaucratie –
Qu'il s'agisse
plutôt de l'unique Liberté
Qu'on présente
toujours comme le fruit ultime
D'un système de
contraintes qui ne peuvent finir.
Là est l'étrangeté
et la source de l'horreur,
Là se cache le diable,
dans cet enfer de lois,
Qui font de l'homme
un être soumis à son destin,
Et astreint sans merci
au cycle du mental,
A moins qu'il ne
parvienne à être un rebelle
Qui finira un jour par
forger d'autres lois
— Aussi rébarbatives,
odieuses, intransigeantes,
Pour s'opposer à
celles contre lesquelles il s'insurge.
Le bruit mouillé des
rêves sur l'horizon du temps,
A toujours apporté les
nuages et la pluie
Sur les institutions
aux tribunaux avides.
On attendait sans cesse
des déluges d'Esprit
Pour remplacer les lois
par un ordre léger,
Et pour changer les
grades des hiérarchies mentales
Par une belle cascade
de fonctions imbriquées
Dans une unique joie
qui embrasse l'ensemble.
Et tous les prisonniers
gardés arbitrairement
— Parce qu'ils
s'étaient un jour élancés vers le Vaste
Menaçant quelquefois
les pouvoirs établis,
Imploraient en silence
une juste Divinité,
Ni céleste, ni
humaine, et encore dans l'enfance
Qui seule pourrait un
jour abroger des bourreaux
L'investiture sacrée
dans les cités obscures.
Pourquoi tant de
douleur, était-elle arbitraire ?
Non, l'homme
souffrait toujours de ne pas voir le Fait,
Il en faisait sans
cesse un prétexte à juger,
Soit parce qu'il
l'approuvait étant dans ses idées,
Soit parce qu'il
condamnait sa marginalité.
Mais il n'aimait pas
voir que rien d'accidentel
Ne pouvait subvenir
dans toute politique,
Que la moindre
rébellion était une expansion
Revendiquant le sens
d'une liberté nouvelle,
Que le moindre scandale
et la moindre critique
Visaient obscurément
la cible de l'avenir
Plutôt qu'être
conformes aux structures déplacées,
Maintenues dans les
faits par la loi répressive
Flattant habilement la
paresse de l'esprit,
Le vice de l'habitude,
le sommeil routinier,
L'apriorisme bleu des
conforts indigènes,
Et le triomphalisme des
règles bafouées.
Non, l'homme n'aimait
pas voir du Fait la signifiance,
Telle qu'elle se
présentait à l'impartial témoin:
Décidé à comprendre
plutôt qu' interpréter.
Celui qui embrassait en
son sein innocent
Cette conscience
immobile par-delà l'arbitraire.
Celle qui fait de vous
un fou aux yeux des hommes
Parce que vous agissez
rempli d'autres motifs.
Celle qui donne à
toute chose une place différente
Que celle octroyée par
les mobiles courants.
Et il fallait partout
rechercher les filières
Par lesquelles
remplacer l'unique valeur des choses
Et leur secret, par
l'invention bavarde
Qui ravissait les
trafiquants du Sens
Et excitait l'envie
des acheteurs d'espoirs.
Et partout
s'inventaient des significations
Qui ne révélaient
plus l'orientation des choses,
Mais qui les emballait
dans un discours facile,
Edifié à l'avance
pour ne retenir d'elles
Que ce qui convenait à
une faible logique.
Ainsi chaque mouvement
était récupéré
Par une vision
d'ensemble qui l'avait précédé
Afin que s'élabore
un consensus flou,
Une grammaire commune
concernant les valeurs
Une mode obligatoire
bannissant l'exception,
et méprisant les actes
surgissant hors des lois.
Ainsi se dessinait une
prédominance.
Ainsi s'échafaudait
une Conformité
Issue d'accords
vieillots sur la marche du peuple,
De coutumes usées par
trop de rituels,
Crachée par
l'empirisme des structures politiques,
Et les secrets mélanges
des influences entre elles
Qui unifient un jour,
divisent le lendemain,
A l'insu des rêveurs
du même quotidien.
Alors les mêmes choses
changeraient-elles de visage
Selon qu'elles
étaient vues d'ici ou bien de là,
Et plutôt que chercher
leur véritable sens,
Les hommes justifiaient
leur propre point de vue
Au lieu de faire le
tour des choses discutées
Afin d'appréhender
un nouveau contenu,
Qui ne pouvait entrer
dans aucun plan prévu.
Le passé ligotait le
présent et creusait l'avenir.
Ou bien rien n'existait
selon sa propre essence.
Mais tout apparaissait
selon le seul usage
Que l'on pouvait en
faire pour épouser la ligue
D'une doctrine à la
mode. Renforcer une main-mise,
Dénoncer un obstacle,
étayer une thèse.
Tout était rétrograde,
tout était subversif,
Selon qu'on approuvât
les choses établies,
Selon qu'on fût
soumis ou qu'on s'interrogeât.
Et tout était une arme
pour se mettre à lutter :
La parole, la révolte,
l'ascèse, la réflexion,
L'exil, ou le dégoût
ou bien l'aspiration.
Tout était bouclier
pour parer au futur :
La norme, la crainte,
la volonté des dieux,
L'habitude, la
raison, le danger, l'incertain.
Ainsi s'équilibrait
la friction éternelle
Entre un seul mouvement
qui avance sans frein
Et l'insistant
pouvoir qui dure par force d'inertie.
Et par ce heurt
constant le monde évoluait,
Toujours obnubilé par
ses hésitations
Entre un risque nouveau
attaquant l'étroitesse
Et le goût des
formules qui préservent les lois,
Accréditant le passé,
réveillant son cadavre,
Et justifiant un dogme
en dépit des symboles
Qui s'en sont
échappés pour élargir leurs sens.
Dans la rigidité des
structures établies
Couvait l'aspiration
pour un pouvoir flexible,
Capable de régner sans
se faire redouter,
Susceptible d'aider
plutôt que de punir,
Prêt à toute critique
et à l'auto-censure. — Ce qui manque au régimes politiques.
Jouant aux matadors
dans l'arène des âges,
Applaudis par la foule
des peuples opprimés,
Pour jouir du temps qui
passe dangereusement,
Tous les tyrans étaient
des enfants trop gâtés.
Et que la haine fût
entretenue ou non,
Elle était l'étincelle
issue de la friction
Entre le marbre noir
des règles policées
Et les pierres
pragmatiques des nouvelles Idées
Qui annonceraient vite
les modifications
Dans la loi du Futur
qu'on voulait maîtriser,
Avec des procédés
archaïques ou simplistes.
Mais elle était aussi,
la loi rébarbative,
Le chemin par lequel le
groupe s'édifiait
En inventant un code du
partage souhaité
sur la base enfantine
reconnue par l'ensemble
Donnant la cohérence
aux mouvements du clan,
Aux grands
rassemblements dans les cités bruyantes
Qui cherchaient un
langage qui fût connu de tous.
C'est dans une loi
juste imaginée sans fin
Qu'on poursuivait
sans cesse le sentiment altier
D'une identité d'or,
d'une race rassemblée
Par la saveur commune
d'une vision de la vie
Mélangeant à l'obscur
destin patriarcal
Le goût du sacrifice
accompli dans la joie
Et la satisfaction du
devoir sanctifié.
Car la nomenclature des
choses à accomplir
Apportait avec elle le
sens d'une perfection,
L'image rassurante de
cibles quotidiennes,
L'enfantine émotion
de chercher à bien faire
En dépit d'une
conscience néophyte ou distraite.
Et quand les choses à
faire viennent de s'accomplir,
Sans hâte ni emphase,
sans drame ni amertume,
L'individu peut jouir
d'une satisfaction claire,
Tel un oiseau planant
dans une heure éternelle
Suspendue au-dessus des
routines dressées,
Grossières mais
nécessaires à la survie de l'homme.
Un repos, éperdu d'une
minute sublime
Jaugeant l'inaccessible
à travers un progrès,
Couronnait le labeur
déployé dans le jour,
Et comme la liberté
pousse dans les contraintes,
L'homme au-delà des
lois poussait dans l'homme soumis
Que ses tâches
épuisaient en s'y perfectionnant.
Il en cherchait
toujours de plus invraisemblables,
plus complètes et
risquées, aiguisant le génie,
Demandant des
ressources de plus en plus profondes.
Car celui qui connaît
par son calme, trouvait
L'exactitude des
règles qu'il suivait
Peut déboucher un jour
sur un autre chemin:
Au-delà des
contraintes, au-delà des licences,
Où aucun garde-fou n'a
lieu de fonctionner,
Car il connaît du pas
la totale mécanique
Et peut alors créer
une nouvelle gymnastique
Au diapason d'un
souffle qui connaît l'air entier
Dans un corps
merveilleux à l'esprit dépassé.
Alors plus rien
n'empêche le conquérant du Vrai
Qui s'en va au-delà
des préceptes établis
Parce qu'ils sont
parcourus et ont tiré leur sens
De s'en aller là-bas
vers d'autres libertés,
Ou vers d'autres
contraintes, ou d'autres choses encore,
Sur le seuil interdit
d'un monde inexploré
Où sans danger
s'avance le vainqueur de la mort.
A jamais ineffables,
déterminées par rien,
Nous attendent encore
des contraintes magiques,
Des épreuves
charmantes que nous lance notre Dieu,
Qui nous hisse parfois
avec notre liberté
au-dessus des chimères
obligatoires des lois.
Et si celui qui a chéri
une obédience,
Peut un jour s'en
défaire comme d'une simple opinion
Devenue inutile dans le
cours de la vie,
Soit pour en prendre
une autre, soit pour la dépasser,
Et devenir son maître,
son guide, et son ressort,
Ce qui l'attend
bientôt est au-delà des règles,
Comme une simple
évidence qui ne démontre rien.
Mais il arrive aussi
que d'insolents rebelles
Se mettent à marcher
dans l'Harmonie entière
Car ils ont évité de
la Loi le fardeau,
Ont cru vivre sans
principes au-delà des valeurs,
Mais ils peuvent
rarement sans bientôt trébucher
Rester sur le fil d'or
d'un suprême équilibre.
La patience leur
manque, ou le respect civil,
Ou bien le sens caché
qui dans la discipline
Anime la liberté dans
le for intérieur,
Et toute soumission à
un ordre plus grand
Est un moyen rapide
pour pouvoir l'embrasser,
Si cette soumission
commet le sacrifice.
Et celui qui peut faire
à une loi divine
Une offrande attentive
d'actes insignifiants
La connaîtra bientôt
sans s'être révolté
Contre l'aspect
obscur de l'entité des lois :
Cette générale
autorité rigide,
Indépendante de la
vie, incoercible,
Comme le prolongement
de la puissance brute
Dans la matière
subtile d'un Mental figé
Qui du singe debout
organise les peurs.
Elle avait sa fonction,
cette loi toute-puissante,
Celle de chien de
berger, de greffier inlassable,
Qui rassemblait des
êtres autour du même jeu,
Transmettait les
valeurs qui cimentait le groupe
A travers les époques
par l'image du sang,
Comme pour entretenir
la santé de la race
Et sa pérennité en
chantant les tabous,
Et en louant les ordres
d'un dieu inaccessible.
La loi sortait du mythe
pour qu'il soit efficient
Ou bien elle
l'engendrait pour rester efficace.
Et elle était miroir
pour tous les caractères.
Certains l'utilisaient
remplis de rectitude
Et parfois ils allaient
au-delà de ses formes
Découvrir son principe
caché dans l'invisible :
La loi n'était rien
d'autre qu'une façon décisive
Un type de relations
qu'il faut entretenir
Avec le monde entier
pour vous donner la place
Qui doit vous revenir
tout au bout des contraintes.
La loi voulait montrer
mais elle emprisonnait.
Et les hommes toujours
défigurant les choses
Avaient foulé aux
pieds son véritable sens.
Car la loi véritable
se découvre elle-même,
Elle est à l'intérieur
des choses qu'elle anime,
Infaillible secret
caché au plus profond.
Et la loi de l'oiseau
est dans son vol muet,
Et la loi du soleil est
dans le soleil chaud,
Comme la loi de l'Homme
est dans l'homme lui-même,
Délivré des palais
habités par ses dieux,
Délivré des chimères
aux ordres de ses rêves,
Délivré des prisons
aux ordres de l'esprit.
Et qui voit dans le
corps un tas de lois anciennes
Désespère, légitime,
de pouvoir le changer,
Tant de rites
ancestraux ont établi la crainte
Au cours des
millénaires envoûtés par la soif,
Tout le désir aveugle
a logé son empire
Pendant dix millénaires
dans le sexe et l'esprit.
Mais il peut arriver au
précurseur sincère
De sentir une grâce
abolir les décrets
Qui présidaient encore
aux réactions multiples
D'un corps
héréditaire au cerveau reptilien,
Aux calcifications d'un
squelette si ancien
Qu'il semble
anachronique au temps électronique
Où l'homme dans une
chaise vit par son seul cerveau.
D'immémoriales
séries peuvent un jour s'effriter,
Révèlent dans le
corps une perception nouvelle,
Un arcane qui s'ébauche
pour plus de complétude
Un ananda qui germe
vers plus de plénitude.
Car des lois plus
petites débouchent sur de plus grandes,
La vie ne se révèle
qu'au-delà des formules,
Dans l'expérience
d'or d'un bain divin et chaud.
Là, si rien n'est
prescrit, si rien n'est interdit,
Une liberté complète
fixe ses propres limites
Pour être reconquise
par l'ascèse personnelle
Qui cristallise le sens
d'une démarche infinie.
L'errance serait
mortelle, l'automatisme aussi,
Dans un homme
lourdement héritier de l'Histoire.
Mais là, un sourire,
inexprimable, immortel,
Désigne sans équivoque
l'unique obligatoire :
S'élancer à jamais
vers de nouvelles lois,
Provisoires, éphémères,
simples comme des trajets,
De plus en plus
profonds dans un temps sans limites,
Et de plus en plus
vastes comme de grandes racines
De lumière éternelle
dans l'espace sans fond.
Elles contiennent
chaque fois une bleuté plus grande,
Acceptant en leur sein
plus de diversités,
Et comprennent en leur
ordre les ordres plus petits
Tous superposés dans
le Moment Suprême
Qui n'obéit à rien,
à qui tout obéit,
Obscurément peut être
ou bien secrètement
Pour permettre une
vaste variété de contraires.
Là, un mouvement
immobile embrasse à tout jamais
Les errances, les
contraintes, les déterminations,
Et les élans sacrés
venus de l'Improbable
Qui permettent aux
espèces d'évoluer sans fin.
4 Les deux voluptés
Deux voluptés puissantes se partagent le Monde
Dont l'une lutte vaillamment pour sa cause et sa gloire
Tandis que l'autre n'embrasse que l'Immensité.
L'une sort de la Nature et s'élance et capture
Des jouissances variées, insoumises, rassurantes.
Et ce besoin construit une panoplie d'armes
Pour arracher au temps, miroir de l'Infini,
Des morceaux de plaisir et des lambeaux d'extase.
L'autre cherche à fondre comme un morceau de miel
Dans la bouche du soleil pour s'étendre à jamais.
L'une s'émousse facilement et pour durer encore
Doit s'inventer sans cesse des raccourcis plus longs,
L'autre n'a pas de poids et elle vagabonde
De silence en silence jusqu'au rythme éternel,
S'identifiant sans cesse à des choses nouvelles
Jusqu'à ce qu'elle devienne son propre mouvement
Et embrasse l'Inconnu comme s'il était elle-même.
Notre corps nous enjoint de goûter la première
Révélant des abîmes de plaisirs corporels,
Impérieux et discrets qui plagient l'Harmonie
Par des bonheurs violents menacés par un rien.
L'autre ne prend plaisir qu'à servir la Lumière,
A chercher sans méthode la faille du mensonge
Pour découvrir sans cesse d'insoupçonnés élans
De l'âme mystérieuse vers l'esprit versatile.
L'une poursuit des images de plus en plus puissantes
Qui l'attirent à jamais vers des luxures distantes,
L'autre souffle dessus le Désir et la Peur
Jusqu'à ce qu'elle retrouve l'aspiration tranquille
D'épouser par Amour l'éternelle conscience.
L'une bondit sans cesse vers de nouvelles proies
Qui semblent contenir la forme de la Vie,
Cette insolente Beauté qui joue à s'échapper
Dans un passé meurtri ou un futur blessé.
L'autre attend silencieuse l'embrassement suprême
Détachée de son but, éprise du moment,
Contente de goûter l'infime vérité
Ou la symphonie d'or d'une extase impeccable
révélant un sourire au fond des désespoirs.
La première a servi les beaux envoûtements
Des bonheurs amoureux arrachés à l'espoir,
Elle a concrétisé des destinées sublimes
Parvenues à sortir des étouffements bleus
Des règles du milieu, du code de l'esprit.
Elle a porté aux nues l'épanouissement
De l'ego astucieux dans la clairière du temps.
Elle a permis de jouir dans l'Univers sensible
D'idéaux arrachés à la soif de l'amour.
Elle encourage le goût des délices divers
Qui scellent parfois entre eux d'étranges pactes d'alliance.
Mais elle fit du bonheur une denrée supérieure
une frontière moelleuse entre le Vrai et l'Homme,
Sur qui ont spéculé les marchands d'illusion.
Cet amour de la vie, cette volupté du corps
élargit quelque peu le champ de la conscience
En démocratisant le droit à la jouissance,
Mais quand certains s'arrêtent aux bulles enivrantes
Des bonheurs sur mesure et des vices normaux,
D'autres poussent plus loin le goût du sans-limites.
De l'infini figé séduit le faux dévot
Des jouissances profondes, déçu par ses idoles.
Il se met à vouloir franchir l'Infranchissable
Dans l'ascèse du Mal qui devient sa maîtresse.
Des phantasmes cosmiques agitent les puissants
Qui s'ennuient à mourir dans leurs licences usées
Et les meilleures maniaques défient la Création
Dans leurs crimes magiques qui servent la terreur.
Tout s'articule autour d'une soif inassouvie
D'éternelle transparence pour qui chacun éprouve
Une nostalgie divine. Et toutes nos bassesses
Sont une invocation, comme un chantage fou à la Divinité
A qui par amertume nous aimons reprocher
D'avoir caché les règles du Jeu de la Conscience.
Des plus fervents péchés jusqu'aux péroraisons
Sur l'avenir divin, une seule aspiration
— Comme une mélopée somnolente ou brûlante,
Comme une incantation capricieuse ou rêveuse,
Exigeante ou timide, enthousiaste ou forcée,
Cherche à brûler d'un feu que rien ne peut éteindre.
Les débauches essayaient d'arracher par excès
Le suprême repos aux fatigues inlassables,
Les ivresses chimiques cajolaient la Matière
Pour lui faire avouer un secret déroutant,
Les guerres accomplissaient le grand rite de l'action
Qui offre la violence en sacrifice au Mal
Dans l'espoir insensé qu'il se rassasiera.
L'ambition du bonheur frappait à tout jamais
Les monnaies disparates dans le moule du Progrès.
Chaque veule ambition trouvait des alibis
Dans l'avenir sacré ou le sens de la Vie.
Une énorme méprise sur le pouvoir humain
Permettait aux drapeaux de justifier le Ciel,
Et à la charité d'accepter la misère,
Et à l'intention juste de tolérer le crime.
L'homme se gavait toujours de vains desseins grandioses
Qui masquaient à jamais sa franche inaptitude
A vivre pour autre chose que sa propre personne.
Et le temps impartial nourrissait magnanime
Les haines rébarbatives et les âmes chétives
Distribuant aux hommes une voie sous leurs pieds
Pour qu'ils s'amusent sans cesse à de nouveaux chemins.
Mais chaque chose bifurquait vers son propre contraire
Dès qu'elle parvenait à sa maturité
Pour qu'elle puisse repartir vers un plus grand élan
Dès sa chute subie comme pour l'encourager.
Ainsi tous les désirs et toutes les frustrations
Viennent d'une seule source qui dans son mouvement
Recherche son origine. Parfois les doux plaisirs
Ont apaisé le corps, quelquefois ils l'entraînent
Vers de nouvelles jouissances encore inaccessibles
Qui requièrent un esprit tendu comme un archer
Juste avant de tirer pour être possédées.
Et rare est l'équilibre qui n'arrête pas la Vie
Aux plaisirs répétés du corps et de l'esprit.
Le bonheur diminue dès qu'il cherche à s'accroître
En convoitant encore quelque chose qui lui manque,
Inutile la veille, maintenant désirable,
Demain indispensable comme un fait accompli.
Mais toutes ces douleurs engendrées par l'espoir
D'étreindre davantage finissent par disloquer
Le mythe du futur, l'image du besoin
Quand elles aperçoivent un repos spontané
Dans la calme jouissance d'une vie pondérée.
Alors le temps s'annule en un moment parfait
Qui brûle les vieilles choses et appelle les nouvelles
Et s'étend clairvoyant jusqu'aux aubes prochaines.
Une autre volupté qui n'a pas d'origine
Et qui n'a pas de fin commence à apparaître.
Elle ne vit que pour Lui, Mystère conscient du monde
Dont elle sent la présence même dans l'Insaisissable
Et malicieuse elle jouit de ne plus éprouver
Pour les belles tentations qu'une tendresse maternelle.
Intrépide, une délicate ivresse l'anime
Qui puise sa gaîté dans la limpidité
De sa vision d'ensemble où chaque acte est perçu
Comme l'effet unique de tous les autres ensemble.
Alors tout se remplit du nectar primordial,
Une atmosphère pleine d'inépuisable joie
Comme la cause suprême de toute l'existence.
L'amant devient le bien-aimé, un seul Etre
Eternel se contemple Lui-même à travers
Le cristal d'un minuscule point parvenu
Par le don de soi-même à connaître l'Amour.
C'est une volupté immense, inaltérable,
Elle aime se rendre compte qu'elle ne pourra jamais
Imposer de limites à son propre mouvement.
Elle aime l'Infini qu'elle n'épuisera pas,
Et elle Le reconnaît sous des formes multiples
Qu'Il a improvisées pour se laisser trouver
Par sa jeune maîtresse, l'âme de l'homme sincère
Joyeusement tournée vers le mouvement vierge.
Ô Douleur! Tu prépares d'intolérables extases
Qui viendront assister à ta fière agonie.
Ô Jouissance! Tu annonces d'intolérables délices
Qui se passeront des émotions des sens.
Nous serons tous bercés par un flot d'intuition
Qui nous redonnera une confiance d'enfant
Dans l'inconnu multiple aux vives séductions
Qui nous appellera hors des sentiers battus.
La volupté sera d'être conscient de tout.
Une lucidité spontanée et sans but
Sans aucune limite enchantera sans cesse
Les neurones réceptifs libérant les mémoires
Pour trouver d'autres goûts à la saveur du jour
Que celui que connaissent les nerfs héréditaires.
Jouir était leur idole et souffrir leur enfer
Et l'esprit mécanique dépendait de la peur
Enfouie dans l'inconscient comme une mémoire brute.
Où il imaginait des sensations subtiles
Qui transmettaient aux nerfs des désirs mirifiques
S'installant sans vergogne dans l'appétit sournois
Des lendemains étranges. Et le désir malin
Savait changer de forme pour pouvoir subsister
Quand l'esprit arrogant osait lui imposer
D'abandonner le corps. Il semblait acquiescer...
Puis revenait soudain frapper à notre porte
Déguisé en ascète, en moine ou en mendiant.
Fidèle à lui-même, il jouait bien son rôle
Pour qu'il soit impossible qu'on puisse le reconnaître,
Sous ses airs de censeur jouissant de censurer,
Sous ses airs puritains jouissant de se frustrer,
Sous ses airs détachés jouissant médiocrement.
Il est superbe et souple Le Maître de l'Illusion.
Il nous fait adorer un Dieu qui nous ressemble,
qui nous fait désirer des lendemains meilleurs
Afin que leur image nous masque aujourd'hui même,
Qui nous fait désirer des Illuminations
Pour en faire des conforts garantis immortels,
Qui nous fait désirer l'absence de désir
pour voir si nous aimons tricher autant que lui.
Ô douce volupté, ô ardente compagne,
Tu fus le feu chétif aspirant à brûler
D'une flamme sereine qui t'est inaccessible
Car tes plus beaux élans jouissent toujours trop d'eux-mêmes
Pour aller au-delà du Ciel des étoiles.
Tu fus charmante et fière, insolente et têtue
Et tu donnais au corps des leçons d'Infini
Mais qu'il prenait sans doute pour une récompense
Des cours impitoyables qu'il faisait à la Vie.
Car nous sommes guidés vers la Béatitude
Et les plaisirs des sens l'anticipent à jamais,
Mais un jour ils deviennent des vases trop petits
Pour contenir le miel de l'Unique Volupté
Qui s'empare du yogi pour ne plus le quitter.
C'est ainsi que la Terre a pu séduire le Ciel
En lui donnant des hommes détachés des passions
Et qui trouvaient en eux l'impersonnelle force
Qui voit les relations exactes entre les choses.
Mais la Terre est active comme une mère au foyer
Et elle demande au Ciel d'envoyer de ses fils
Pour qu'ils trouvent leur âme enfouie dans la Matière
Et se décident enfin à transformer la Terre.
Ils ont appris là-haut la volupté tranquille
Des immensités blanches, immobiles et sereines.
Mais la Terre éprouve toutes les intransigeances
Des mouvements brutaux, des passions dévorantes,
Des cœurs n'en pouvant plus d'émotions douloureuses,
Des nerfs déchiquetés par des chagrins cosmiques,
Et sa seule volupté c'est de tendre à jamais
Vers la propre explosion de toutes ses limites.
Epanouie alors, reposée, bienveillante,
Elle découvrira qu'elle portait en son sein,
La clef des gestations qui mènent à l'Eternel.
Elle ne regrettera plus ses immondes souffrances
Ni ses rêves de bonheurs restés inachevés,
Elle ne rougira pas de toutes ses bassesses
Ni de ses caprices gauches et insensés.
Elle n'aura qu'un sourire compatissant
Pour tous ses holocaustes destinés par mégarde
A quelques dieux obscurs qu'elle a imaginés.
Et tous les souvenirs des anciennes jouissances
Viendront lui rappeler son enfance docile
Attachée à la Vie, attachée à la Mort.
Alors elle s'élancera vers de nouveaux abîmes
Qui lui révèleront une autre volupté,
Sans mélange, sans contraire, et sans prédilection.
Amoureuse de Dieu et L'étreignant sans cesse
Sans même Le retenir. Pour jouer avec Lui,
Elle Lui fera comprendre qu'Il peut même S'en aller,
Qu'elle L'aime pour Lui-même, non pas pour Sa Présence,
Mais Il restera là, la couvrant de baisers
Appréciant son sophisme comme une vérité.
Le Désir est l'amant de la Mort si ancienne
Qu'on la croit à jamais souveraine de la Terre,
Mais une volupté neuve qui ne vit que pour Lui
Pourra bientôt changer la destinée du Monde
Si les hommes se penchent sur leur propre conscience
Au lieu d'énumérer les étoiles du ciel.
Car toujours vers dehors nos rêves nous attirent
Comme si l'esprit têtu cherchait à s'évader
Au lieu de reconnaître ses profondes limites
En osant pratiquer l'insondable regard
Dirigé vers lui-même par la concentration.
Celui qui peut plonger dans ses propres abysses
Observant impartial ses mouvements fantastiques
Découvre une joie austère mais pleine d'imprévus
Qui le porte à connaître d'inexprimables moi
Qui se tenaient cachés comme des épouvantails
Dans le champ de la nuit, intelligences grises
Effrayant les oiseaux des petites vérités
Qui viennent becqueter dans la terre de l'oubli
Des souvenirs anciens pour les transfigurer.
Car tout peut se revivre d'une façon nouvelle
Qui libère le passé assis sur la douleur
Et soigne les blessures souvent dissimulées
Dans des recoins obscurs où l'esprit n'ose aller.
Une fuite en avant innombrable et perplexe
Caractérise l'esprit voluptueux du moi.
Mais quand tout cela cesse par un baiser divin
Ou par le clair travail d'une seule aspiration
Les anciennes souffrances se revivent plaisamment
Et l'être découvre enfin un mystère fabuleux:
Elles étaient le chemin imposé mais précieux
Pour arriver serein au calme Intemporel.
La Vie ne fait plus peur, plus aucune menace
Ne peut se présenter et effrayer l'esprit
Puisqu'il sait reconnaître dans l'épreuve imprévue,
Le difficile obstacle, la fatigue sans mesure
Un sentier scintillant qui livrera plus tard
Les cimes inattendues des sommets enneigés.
Car il y a toujours un signe à déchiffrer
Dans l'implacable fait qui fait semblant de nuire.
Une absolue confiance engendre d'autres jouissances.
Et rien n'a jamais nui, si ce n'est l'esprit qui ne pense qu'à lui.
Une seule chose le déroute,
Une volupté plus grande que celle qu'il imagine,
Une seule chose le soumet, qu'on lui sourie sans cesse
Sans croire à ses chimères, sans croire à ses angoisses.
Alors il abandonne ses tergiversations
Et se tourne désoeuvré vers son maître sublime,
Une âme minuscule qui passe inaperçue
Dans le grand brouhaha des idées au galop.
Elles aussi aiment jouir de ce qui leur est propre
Et se laissent caresser par l'esprit hésitant
Jusqu'à ce qu'elles lui donnent des mobiles pointus,
Des doctrines acérées, des armes de combat
Pour conquérir la gamme des bonheurs cohérents,
Autarciques, bien-pensants, caricatures abstraites
Déformées, perverties, d'un Infini vivant.
Mais peut-être qu'à travers ces miroirs infidèles
Le mental archaïque se détourne de lui-même
Et commence humblement à aspirer au Tout.
L'esprit n'est pas le lac, il en est le reflet
Il transpose les choses qui viennent toujours d'ailleurs
Et il hésite encore entre les refuser ou bien les arranger,
Affairé et mesquin, zélé, inefficace.
Parfois il lui arrive de salutaires folies
Parce qu'il se prend au piège d'être conscient de lui.
Abyssale jouissance! Il tourne en rond, inquiet,
Comme une bête sauvage enfermée dans la cage,
Ne sachant toujours pas s'il s'en veut de tourner
Sans espoir évident ou si par liberté
Il s'en prend aux barreaux. Ô délicieux conflit!
Il souffre d'imaginer qu'il pourrait s'envoler
Car il ignore le vol, mais l'image de l'envol
Est comme la promesse d'une jouissance indomptable.
L'esprit est l'animal sans corps, puissant et souple
Qui veut toujours saisir des territoires plus grands
Qui nourrissent sa soif, son délire et sa joie.
Mais il ne touche rien sinon son impuissance
Et si, brillant vaincu il accepte son sort,
Il voit que l'Infini, son vainqueur délicat,
Lui offre à tout jamais son grand terrain de jeux.
Délivré des cuirasses inutiles et pesantes
Oublieux des concepts ces flèches sans cible
Il court comme un enfant amoureux du mystère
Et il le percera en jouant, bienveillant et candide,
Abandonnant enfin ses savantes cabrioles
Pour la simplicité d'un mouvement sans limites.
Aussi évolue-t-il de jouissance arbitraire
En dévotion profonde jusqu'à ce qu'il découvre
L'Itinéraire sacré d'une volupté sans bornes,
Parfum d'une conscience qui embrasse les mondes
Dans son immensité éclatante, effroyable
Pour l'homme, trop petit, trop étroit, trop rapide.
Mais le parfum est là, nectar de connaissance,
Vibration infinie d'un futur reculé
Qu'il suffit d'attirer par l'ascèse solaire,
Sur la Terre douloureuse qui commence à sourire.
Partout se lèveront d'impeccables yogis
Adorateurs lucides d'un Infini croissant,
Détachés de la Mort, de l'Immortalité,
En un instant seulement ils pourront transformer
Le visage du Monde et le ressusciter.
Car ils sauront vraiment que Dieu est aussi l'Homme,
Gravissant les époques, chantant les millénaires,
Utilisant le temps comme outil primordial
D'une Perfection en marche qui s'avance d'elle-même,
Apprenant sa démarche toujours de mieux en mieux
Afin d'être certaine de cesser nulle part son ascension magique
Pendant sa longue route qui traverse les cycles.
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