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Poésie

Vers la nouvelle espèce

VERS LA NOUVELLE ESPECE

1 Témoin du devenir divin


Jusqu'au soleil vivant j'ai marché Immortel
Au travers de mes vies étouffées une à une.
Celui qui m'étouffait était joyeux farceur :
Quand tout semblait fini, tout recommençait,
Avec la certitude des faits inéluctables.
Combien de corps brûlés dans le feu de la Vie
M'a-t-il fallu laisser pour modeler mon âme ?
Et qu'ai-je fait vraiment, de naissance en naissance,
Sinon me contenter d'être goutte de feu ?
Je sais que j'ai souffert de mes limites floues
Quand bien même je jouissais d'immensités médiocres,
Et j'ai enfermé Dieu dans des prisons célestes
Au-delà de la Vie. La mort était la porte.
Mais la mer de silence soutient les deux passages,
Et, consciente de sa propre intemporalité,
Elle contient l'arbitraire, le juste, et le sacré.
Car la règle du jeu de la Vie est enfouie,
Trésor introuvable pour le chercheur cupide,
Mais que peut débusquer le nomade innocent
Ou l'ascèse ludique d'un jongleur infini.
 
Combien de vies depuis ma droiture lancinante
Avant de m'éveiller pour la quête suprême ?
Je suis devenu Lui en endurant des vies
A moitié contrefaites par le pouvoir du singe
Qu'une lourde hérédité transmet en grimaçant.
A chaque fois captif dans un corps corrompu
J'étais un homme mûr quand je me souvenais
D'avoir embrassé Dieu dans un corps différent.
Le corps était la gangue, maladroite, exigeante,
Et l'esprit un esclave des mouvements précaires.
L'âme était endormie au fond de la matière,
Ou bien des artifices la faisaient transparaître
Sur les sommets hautains d'une solitude bleue.
Ceux qui connaissaient Dieu étaient des fous sublimes,
Dévoreurs des chimères engendrées par les hommes.
Ils traversaient les mondes des illusions pensées
Pour enfin découvrir dans le temps qui s'enfuit
L'immobile point central, sang de l'éternité.
Ils méprisaient le corps pour ses faiblesses ardentes
Et ses souffrances vaines qui aiguisaient l'esprit.
Mais ils ne pensaient pas que le dessein suprême
Pût être sur la Terre, la mal-aimée des hommes.
 
Ils voulaient s'échapper d'ici-bas et des cieux
En sacrifiant leur âme au Non-Manifesté
Ou bien en rejoignant un indicible monde
Que même les plus beaux dieux ne pouvaient visiter.
Ils avaient tout compris, mais n'osaient deviner
Qu'un jour l'ultime clef nous serait révélée.
Nous vîmes la Mère des mondes infiniment rapide
Faire tourner les atomes sur l'axe des galaxies,
Manifestant l'Amour, calme supraconscience.
Sempiternels amants, ils constituent le Monde
Et tout ce qui existe est une image d'eux.
Et quand ils se rencontrent dans le corps d'un humain,
Alors ce corps se met à vibrer consciemment.
Les vieux démons s'enfuient, les ménageries tremblent,
Et la mort dérisoire essaie de ricaner
A chaque résistance de l'antique machine.
Car tout veut s'opposer à ce nouveau Pouvoir
Qui vient bouleverser les privilèges acquis.
Mais la source finit par raviner le roc
Comme le mouvement s'élance de l'inertie.
Tout semblait être fait pour que la vie ne soit
Qu'un éternel couloir tombant abruptement
Sur des promesses vaines et des rêves consacrés.
L'ignorance et la Mort, le mal et la souffrance
Minaient de l'intérieur l'éclatante beauté
Des corps parvenus à leur apothéose.
 
Chaque sommet semblait conduire à la vallée,
Même pour ceux qui résidaient seuls sur les hauteurs.
Chaque épanouissement semblait se résorber
Dans le pouvoir latent d'un futur nonchalant.
Chaque joie exultante attirait la menace
D'une force secrète obscurément puissante.
Même les plus hauts bonheurs parfois se retiraient
Avec la violence d'un châtiment injuste.
Quand Dieu parlait aux saints, aux sages et aux yogis,
Il les laissait ensuite méditer des années
Dans quelque sèche extase détachée de la Vie.
Même la cruauté servait l'espèce humaine.
Elle permettait aux peuples de s'affirmer chacun,
De construire des empires sur le dos des esclaves,
Et la peur des gens d'armes entérinait la Loi.
Seule la force brute libérait des contraintes
Mais peu se révoltaient contre l'ordre établi.
La seule exactitude était celle de la Mort,
Frappant isolément ou par des guerres multiples
Les armées de Conscience incarnées dans des corps.
Le sens de la vie s'effilochait toujours
Vers quelques paradis gardé par les Ancêtres,
Comme si toute la vie tendait à disparaître
Pour remettre les âmes à la mémoire du Ciel.
Les rites s'accumulaient sur des tabous stupides
Qui maintenaient l'espèce dans des ornières profondes.
Les belles vérités, révélées par les dieux,
Jonchaient un jour le sol, déformées par les prêtres
Malins ou démagogues, ambitieux ou sournois.
 
Le singe persistait sous forme d'orateur
Car les mots transportaient la magie de la peur.
C'était un grand pouvoir de subjuguer les foules
En les orientant vers des demains meilleurs.
La seule liberté était celle de l'ermite
Qui brisait les structures de sa propre pensée
Pour associer les mots dans un cadre inconnu.
Il aimait la musique mystérieuse et lointaine
Qui conjuguait les verbes à la première personne,
En suivant des chemins obscurément lucides
pour traquer le hasard dans ses moindres recoins.
Le Verbe se retrouvait dans le cerveau usé
Du vieillard qui avait démêlé tous les fils,
et pouvait par Amour retrouver l'origine
De l'Infini Conscient en suivant la pensée
tout en la remontant.Elle est torrent limpide
Mélangé à la boue des rouges circonstances,
mais elle se confond avec l'objet qu'elle prend.
Or, celui qui retourne à la source consciente
Découvre un Océan de Présence Infinie,
Calme, inaltérable, pénétrant chaque chose.
Quelques-uns seulement transpercent l'illusion...
 
Mais qui aspire à la Divinité ?
On veut mourir en paix, à défaut de comprendre
Ce qu'on faisait ici à poursuivre le temps.
Ou bien l'on s'en remet à l'ombre d'un sauveur
Qui envoûte la Mort avec quelques miracles.
Mais elle est toujours là, larvée dans le sommeil,
Parasite d'une vie immortelle et joyeuse.
Ou bien l'on cherche encore dans la Nature parfaite
L'absence d'un architecte justifiant le Mal.
On voit bien un chaos qui hésite dans l'Homme,
Mais les plantes et les bêtes savent ce qu'elles ont à faire.
On se demande alors ce que l'on a perdu
En arrosant sans cesse la plante du langage
Avec l'eau des larmes et la rosée dorée
Des idéaux nouveaux. Il pousse ses racines,
le verbe qui nous conjugue à la première personne,
Dans l'instinct mémoriel touchant à l'inconscience,
Puis il grimpe et s'aère,
Ramifie ses idées dans un seul tronc commun,
Avant d'atteindre les Idées-Forces, où le mot et le sens
Sont déjà confondus. Alors le Nom évoque
La Force qu'il représente et les Mystères commencent.
L'esprit cherche son âme, le moi doute de lui-même,
Et la naissance semble fausse quand la souffrance frappe.
Les êtres rarement parviennent jusqu'aux rameaux
Où des fleurs désinvoltes enivrent la Lumière.
Plus rarement encore ils parviennent jusqu'aux fruits
Dont la douce saveur donne l'illumination.
Et pourtant chaque regard offert à la Conscience
Est un hymne doué d'une éternelle vie
En dépit des douleurs qui entravent la marche.
Une longue procession depuis le premier homme
Avance péniblement vers un monde libéré.
Chaque obstacle a sa place sur cet itinéraire
Qu'aucune direction ne saurait limiter.
Les entraves stimulent, les poids accumulés
sont jetés en chemin et le retard s'annule.
Le chagrin est utile tout autant que la joie
Et la moindre des peines louange la Lumière.
L'ignorance elle aussi sert la cause suprême,
C'est de là que s'en va l'unique pèlerinage
Des âmes apprenties dans des corps éphémères.
Mais l'homme ne voit le sens des choses et des gestes
Que par rapport à lui et ne se doute pas
Que ses échecs aussi le mènent à la victoire.
Il voudrait avancer dans des vergers bénis
Indéfiniment loin comme des rêves d'enfant,
Mais Nature le soumet à des pressions puissantes
Qu'il cherche à contourner, ou bien ce qui l'attire
C'est l'évasion aveugle vers un esprit subtil
Ou dans la bête brute, ou les deux à la fois.
Héritier du désir, des craintes ancestrales,
Le corps piège la Mort dans les plaisirs des sens
Comme pour la déjouer dans ce défi brûlant.
Son gêne fatidique sous-tend les gestations,
et ce qui croît ici bientôt diminuera.
 
Mais qui peut mesurer ce qui reste du cœur
Au bout du temps qui passe dans le corps d'un humain
Et qui fait de sa vie passée à l'intérieur
Le grain d'or éternel d'une âme libérée ?
Les secrets sont profonds comme une suite d'abîmes
Ou bien plus évidents que le jour le matin.
Et l'on passe à côté, sûr de son lendemain,
Content de son passé, aveugle à aujourd'hui
Qui traverse les cieux, les hommes, et la Matière
De son silence plein d'inaudibles possibles.
Et tout ce monde marche, en dépit de nos doutes...
Vers l'accomplissement secret de l'Impossible,
De même que la chenille ignore le papillon.
Rien n'a été perdu si tout semble trop lent,
Les malheurs inutiles barattaient l'Imprévu.
Tout semblait insane à celui qui ignore
Mais l'amant du Seigneur savait même déceler
Dans chaque infime chose le signe
de sa transformation.
 
Tout attendait encore sa pérennité propre.
 
Seule la Mort semblait compromise à long terme
Quand Elle n'aurait plus rien à enseigner à l'Homme.
Elle lui avait appris il y a déjà longtemps
A vouloir conquérir son Immortalité
Car quelquefois les êtres souffraient de disparaître
Devinant dans leur chute quelque malédiction.
Les hommes aimaient la Vie sans s'en douter vraiment
Pour ce qu'Elle leur donnait d'inextricable joie,
Et malgré les défauts du corps et de l'esprit
Ils préféraient penser qu'ils ne finiraient pas.
La mort fut entourée d'officielles louanges
Comme pour encourager le défunt à survivre
Dans le monde inconnu peuplé d'esprits curieux,
Différents, innombrables, démons, génies ou dieux.
Mais le Roi qui cherchait l'absolue transparence
Ne voulait pas partir dans le ciel le plus bleu,
Il voulait revenir observer la démarche
De la longue caravane traversée par le temps.
Pour aimer tout son peuple de races colorées
Qui marchait dans la boue souriant au soleil.
Les hommes transportaient avec eux les bagages
De leurs convictions frêles, de leurs doutes hautains,
Et trop de souvenirs embellis par l'orgueil
Traînaient dans la poussière, ralentissant le pas.
Ils allaient, par affinités de préjugés,
Formant des groupes avec leurs femmes et leurs enfants.
Les tribus haïssaient ce qui les séparait,
Chacune aurait voulu être universelle,
Et que les autres clans adorassent les mêmes dieux,
Et le sang coulait aux frontières linguistiques
Pour préserver les différences et faire durer le passé.
La Mort, comme un chien de berger perspicace,
Aboyant à tue-tête, les rassemblait en peuples.
Ils musardaient sans doute chantant le long voyage,
Et ceux qui commandaient étaient les plus chargés.
Ils avaient des porteurs pour porter leurs souffrances
Et jouir d'un confort qui en privait les autres.
Ils savaient exploiter la créature faible
Par la magie du verbe ou la simple menace.
Les nations avançaient vers l'Aurore indicible
Traversant les charniers des guerres économiques
Et l'animal craintif veillait encore dans l'homme.
La peur engendrait d'innombrables désastres,
Cautionnait le massacre, prônait le génocide.
 
Mais qui savait déjà qu'un suprême décret
Transformerait l'humain en une divine chair ?
On voulait un surhomme puissant et sanguinaire
Marchant sur les étoiles pour son propre plaisir.
Mais le Seigneur Suprême choisit une autre voie
Pour se manifester dans l'Infini de l'Homme.
Peu nombreux étaient ceux qui pouvaient sans douter
Envisager l'ampleur du dessein exhaustif.
 
On croyait que l'espèce était presque parfaite
Malgré quelques bavures qui menaçaient le Monde
Et les écrits obscurs des Sauveurs adulés
S'interprétaient toujours de la même façon.
Personne n'avait pensé que la Force Suprême
Pût s'abattre sur celui qui L'avait acceptée
Et chasser de son corps l'esprit de la Nature
Pour y substituer en quelques décennies
La Pure Lumière du Monde qui crée les galaxies.
On aurait préféré de beaux contes de fées
A ce projet concret que nul ne peut sonder.
Car le salut viendra du travail cellulaire
Et non pas d'une fuite ou d'un super cerveau
Qui laisserait intacte la matière souillée.
Tout est à racheter par un don de soi-même
Qui transforme à la longue les obstacles en alliés
Pour que la Mort conduise à l'Immortalité.
L'avenir évitera cette espèce simiesque,
Devenant peu à peu une grande termitière
Où toutes les différences seraient normalisées.
Oui, l'homme changera de conscience
Car son corps vibrera au rythme des atomes,
Transformant dans les muscles, les nerfs et la cervelle
Une perception des sens en Ananda Divin.
Mais si nous refusons ce changement d'espèce
Les Asouras vaincront les peuples embourbés,
Prendront la forme humaine pour vivre de jouissances.
Ou bien parce que levier d'une lente évolution
La Terre disparaîtra, au terme de ses œuvres.
Avant de repartir -qui sait ?- vers la Supraconscience.
Mais un manteau d'Amour chatoie dans l'atmosphère
Et soudain favorise ce changement de cap
Pour que l'homme abandonne son vêtement usé
Et accepte pour la joie cette nouvelle espèce
Qui seule peut triompher de l'animalité.
 
Combien de millénaires avons-nous attendu
L'éveil de l'Esprit au fond de la Matière ?
Et combien de détours a-t-il fallu subir ?
Combien de tentatives se sont avérées vaines
Avant que les Rishi n'aient trouvé le grand roc ?
Où était-il écrit qu'il fallait s'abîmer
Par la vision de l'âme jusqu'au fond du chaos 
Pour percer l'inconscience et découvrir en elle
Le pouvoir du Suprême qu'il fallait réveiller ?
Car c'est en descendant dans la chair de la mort,
Dans l'inertie compacte qui refuse la Vie,
Que l'âme du héros traverse tous les enfers
Avant de découvrir au centre de toute chose
Le Pur Esprit d'Amour et la Shakti Suprême.
 
La clef du grand passage est cachée quelque part
Dans les égouts du Monde où nul n'ose descendre.
Puisqu'on préfère planer sur les cimes enneigées
Comme des aigles orgueilleux à l'affût du mensonge.
Mais nous portons en nous la mémoire douloureuse
Des premières survivances sous un soleil brûlant.
Quand nous étions encore des animaux fragiles.
Opaques, récalcitrants, lourdement concentrés
Sur la seule survie. Nous portons en nous-mêmes
La douleur de la Terre accouchant de la Vie
Pendant des millénaires de siècles, c'est pourquoi
Tout est écrit dans nos fringales:
Le long cheminement d'une conscience aveugle
Vers la demi-lumière d'une pensée de l'instinct.
Nous sommes la Terre entière rassemblée dans un cri
Conscient de son appel jaillissant de lui-même
Et nos âmes d'amants sont encore enfermées
Dans un minerai sombre, bourbeux mais disponible.
Car nous sommes aussi l'immensité du Ciel,
La vastitude claire des océans solaires,
L'amoureuse merveille minuscule et profonde
Qui entend le silence des grands espaces vides.
Le Soi est un mantra qui épelle la Vie,
Qui n'a pas d'origine et qui pourtant emplit
Les archipels oranges des rêves rédempteurs
Et les navires altiers des civilisations.
Et le Soi est conscient dans l'esprit des Yogis
Qui s'éloignent du singe comme des rameurs adroits
S'éloignent de la rive, les yeux sur l'horizon.
Dans l'océan scabreux de la vie foisonnante
De naissance en naissance ils apprennent à nager
Jusqu'à devenir l'eau, et le courant de l'eau
Et la vague martelant l'unique Eternité.
La Lumière traverse les profondeurs sacrées
Des couches de conscience jusqu'à l'instinct avide
Où nagent entre deux eaux les pouvoirs de la Vie.
Mais nous avons dormi sur les flots scintillants
Là où l'eau et le feu, la terre et le ciel mêlés,
Engendrent à jamais l'esprit de découverte.
Nous sommes d'obscures bêtes capables de s'élancer
Vers des splendeurs muettes pour enfermer le Ciel,
Saisir l'Eternité, manger l'Intemporel.
Et nous ne savons pas ce qui nous pousse avant.
Certains croient qu'il s'agit d'une envie de bien faire
Qui viendrait contredire nos tendances astringentes,
Mais il s'agit plutôt d'une évidence d'or
Qui connaît que la Mort n'est pas faite pour l'homme.
L'esprit est l'embryon d'une conscience infinie
Et c'est Elle qu'il retrouve quand il meurt à lui-même.
 
Cela est le mystère innocemment caché,
Et la seule clef utile au serrurier de l'âme
Qui croit ouvrir des portes qui n'ont pas de serrure
Avec des clefs forgées dans des métaux tranchants.
Il n'y a rien à fermer, il n'y a rien à ouvrir.
Tout est là confondu dans le moment suprême
D'où chaque itinéraire s'écoule en permanence.
Car ceux qui le pouvaient ont refait le parcours
Depuis le lourd basalte jusqu'au Pur Absolu
Et ils ont découvert un pont d'or reliant
La Force à la Matière, un pont d'or Omniscient.
Ils ont ouvert la voie aux pionniers immortels
Et tracé des séries de causes improbables.
Aucune loi ancienne policée par l'usage
Ne pourra supporter le Fiat de l'Amour.
Ils ont fait de la grâce l'outil le plus parfait
Pour celui qui connaît l'Eros du Sacrifice,
La Joie de l'Action juste et la Beauté du Corps.
Car nous avons conquis dans nos vies chancelantes
Les différents degrés des choses qui existent,
Et tandis que les dieux sont prisonniers de l'Air
Nos vies sont le creuset d'une alchimie totale.
Nous avons hérité du pays de nos âmes
L'ineffaçable soif d'une expansion tranquille
Quand l'esprit de nos corps tente d'ingurgiter
La saveur délicieuse de tout ce qui l'entoure.
Nous sommes une femme douce marchant vers ses enfants,
Voyageant par l'esprit dans leurs demeures lointaines
Et nous sommes aussi cet homme entreprenant
Qui convoque chez lui des Magiciens d'Orient.
Quelque chose tire à soi les étoiles tranquilles
Et quelque chose émane comme une main tendue
Qui s'étend jusqu'au Ciel en un petit moment.
Le singe est dépassé, mais des pouvoirs sublimes
Lui servent à imiter des modèles surannés.
Il se caricature au lieu de s'élancer
Vers ce qui le dépasse et fait battre son cœur.
 
Balbutiant le langage, il s'envoûte lui-même
Par des formules creuses et des sorts pointilleux
Qui circonscrivent le Soi au cercle de l'esprit.
Il interpose sans cesse entre le monde et lui
La substance trompeuse des formations mentales
Qui livre le Réel fermé dans un paquet
Analogue à l'image qu'il cherche à obtenir.
Les hommes sont des enfants, des monstres, des anges, des dieux
Des démons, des génies, ils vivent pour eux-mêmes
Mais ils sont des étoiles prévues depuis toujours
Et qui cherchent leur course dans le grand univers
Qu'aucune n'atteindra avant que toutes les autres
Ne sachent exactement leur place respective.
Le temps est peu de chose pour le long processus
Qui commençait déjà avant le premier jour,
Sachant que nulle limite n'entraverait sa route.
Même l'opacité des choses les plus compactes
Est mue par l'énergie consciente d'elle-même
Et le mur de basalte est un voile diaphane
Pour celui qui connaît la Vérité Suprême.
Elle n'est pas dans le Bien, dans la vertu tendue,
Elle n'est pas dans les temples où s'enferment les hommes
Pour oublier ensemble que chacun mourra seul.
Elle est dans l'expérience d'une conscience élastique,
Elle est dans la souplesse d'un esprit sans naissance.
Clairvoyant, spontané, débarrassé de tout,
Même des idéaux, même des buts élevés,
Et qui n'éprouve plus aucune nostalgie
Des illuminations quand elles s'en sont allées.
Et quand à l'avenir, celui qui en dépend
Manque le vrai futur tout en le prévoyant.
Alors comment marcher sur l'arête indicible
Entre l'abîme sombre et le gouffre doré ?
 
Demain n'est pas ici, quelle que soit sa merveille,
Mais l'esprit anticipe pour pouvoir embrasser.
C'est sa force coutumière qui le pousse à construire,
Bâtir, prévoir et modifier. C'est aussi sa faiblesse
Car la raison abstraite évite l'Inconnu,
Ecarte l'Imprévu, et décrète aujourd'hui
Ce que sera demain. Mais seul le Divin sait
Le plan de la Nature et la persévérance
Des graines oubliées qui tout à coup éclatent
A la fin de l'été en des fleurs jamais vues.
L'Homme aussi mutera pour briser ses limites.
L'énigme lui sourit qui l'avait enfermé.
Elle le sollicite pour qu'il s'échappe enfin
Et qu'il cherche fermement le langage secret
Dont l'énoncé ferait s'ouvrir les forteresses.
Mais la désespérance comme une sentinelle
Maudit la liberté sans laquelle ses chaînes
L'enchanteraient encore. Ô, vouloir s'évader
C'est souffrir davantage quand on est prisonnier.
Alors l'homme s'accommode de l'étroitesse d'esprit.
Il aime sa prison, ou bien se l'imagine,
Et finira par croire qu'elle est le monde entier.
Ainsi sans risque il vit, somnolant son bonheur.
L'initiative vraie qui brise les tabous
Lui inspire de la peur comme le feu aux loups.
Il respecte l'usage et se méfie du neuf
Et se plaint en pleurant de toutes les habitudes
Comme s'il était coincé entre deux univers
Dont chacun souhaiterait le posséder entier.
 
Alors il tergiverse et mime sa souffrance
Au lieu de la comprendre en cherchant dans ses larmes
L'origine de l'eau. Quand le désir le brûle
Il applaudit hilare son corps qui se consume
Au lieu de rechercher dans son impulsion brute
L'origine du feu, et s'il voit l'impossible,
Au lieu de l'attirer, il lui tourne le dos.
La terre lui a donné la gravité puissante
Des matrices solides qui élaborent les formes
Dans la lenteur secrète des sèves qui se combinent.
Mais il a hérité beaucoup trop de royaumes
Ce prince naturel qui s'est inféodé
A l'ambition amère de tout organiser.
Ce n'est pas son pouvoir qui fit l'autorité,
Ce n'est pas son esprit qui créa la conscience,
Ce ne sont pas ses rêves qui créèrent l'étendue,
Et même ses conflits n'inventent pas la guerre.
Ce qu'il nomme contraires sont de riches comètes
Qui traversent le Ciel sans jamais s'opposer,
Mais quand leurs chevelures se croisent pendant la nuit
Les hommes superstitieux y voient quelque présage
Car leur venue ressemble à un duel des dieux.
Les tendances s'élancent dans chaque direction,
Chacune suit son mouvement sans nuire à son semblable,
Toute préoccupée de poursuivre sa loi,
Mais l'homme s'imagine l'univers trop petit
Pour contenir des forces qui se différencient.
Il est vrai que parfois des choses se transforment
Et qu'on nomme combat la synthèse nouvelle
D'une fusion difficile qui change l'un des termes.
Il est vrai que des forces absorbent d'autres forces,
Que toute séparation est forme de violence,
Car l'homme est fait pour vivre baignant dans l'Unité.
Les longs couloirs du temps ont des intersections
Avec l'Eternité qui enroule les Ages,
Dans sa spirale creuse, silencieuse et chantante.
Une note très aigue, délicieuse et vivante,
Remplit tous les espaces de sa vaste existence,
Et celui qui l'entend écoute l'Univers
Lui faire la confidence d'une paix vivifiante.
L'homme s'approche du Secret gardé par l'ignorance,
Démystifie la mort par le pouvoir de l'âme,
Apprend l'exactitude d'un esprit immortel
En laissant s'échapper l'hypocrisie du singe
De son corps magnifié par la métamorphose.
Mais avant de partir conquérir le Nouveau,
Il accepte le lot de sa vie mutilée
Par des espoirs déçus et des traditions mortes.
 
Et sans faire le malin, il observe le Mal
Au lieu de condamner ce qui gêne son esprit.
Aussi découvre-t-il que les choses nuisibles
Portaient secrètement l'utilité divine,
Si d'autres enfermaient la vérité sensible,
L'insaisissable Verbe dans des cages dorées.
Et la vision honnête de l'être qui s'avance
Dépouillé de son moi vers sa propre demeure
Voit de vastes prisons succéder aux cachots
Où les premiers ancêtres entassaient le sacré.
Un progrès invisible va délibérément
conduire la Conscience jusqu'au Soleil Vivant.
Même les régressions sont des pas en avant
Pour l'Architecte-Enfant qui ne peut pas vieillir.
L'immensité menace les idéologies
Qui peaufinent l'erreur dans une vision d'ensemble,
Et le Palais des dieux sera un jour sur Terre
Pour celui qui connaît l'appel irrésistible.
Nous avons édifié des châteaux de chimères
Dans des empires fondés sur l'erreur triomphante,
Mais chaque erreur nouvelle stimule davantage
L'Aspiration divine à la Félicité.
Les principes mesquins, les dédains bien-pensants,
Les mépris justifiés, les doutes supérieurs,
L'amour-propre cocardier, le chauvinisme coi
Etaient les tentatives du cerveau de l'instinct.
Un cortex mystérieux intègre bizarrement
Les douleurs incomprises et les révoltes vaines.
Il offre en sacrifice le dément au néant,
Jette son ancre de seiche dans toute la matière grise
Dès que les circonstances énervent l'individu.
Il aime la colère et attend qu'elle s'éveille
Afin de déchaîner son torrent impromptu.
Une force l'habite qui lutte contre la Mort
Avec des armes vieilles comme la Malédiction.
C'était déjà cela dans la bête frémissante
Qui survivait peureuse parmi les prédateurs.
C'est comme une carapace intelligente, bornée,
Ce bulbe qui survit depuis la Préhistoire.
Car si l'homme vraiment était ce qu'il croit être
Depuis des millénaires nous serions des enfants
Jouant à cache-cache dans l'Eternel Matin.
Tristesse serait un jeu, comme l'appel spontané
D'une joie encore plus grande, de même que la faim
Présage de l'appétit. La Mort serait
Le signe d'une nouvelle naissance et non pas
La voleuse d'un être qu'on aimait
Dont on vénère l'image que la mémoire nourrit.
 
Nous sommes verticaux comme les arbres immobiles
Mais nos pieds nous entraînent sur des sols inconnus.
La marche nous est donnée pour parcourir le monde,
Comme l'esprit traverse par le jeu des Idées
Les îles fantastiques et les quotidiens lourds.
Bien plus que l'animal nous pouvons affronter
D'innombrables circonstances et de multiples rôles,
Et nous nous adaptons à l'extraordinaire
Pour engendrer toujours de nouvelles données.
Et rien n'est monotone pour celui qui pressent
Dans la routine grise un éveil de l'élan.
Il faut accumuler des actes dérisoires,
Des séries répétées de gestes qui se perdent
Pour réveiller au fond la force inattendue
Qui d'un seul mouvement bouleverse les modèles.
Alors les vieux symboles brûlent comme de l'encens
Donnant au sacrifice sa saveur éternelle
Tandis que prennent vie de nouvelles lumières
Qui guident le pèlerin au-delà des étoiles.
Nos secrets s'échelonnent sans autre hiérarchie
Que la distance nulle qui sépare le Présent,
Mais dans le monde humain l'espace régit la forme
Et le temps manipule le moindre mouvement.
Cependant il arrive qu'une pulsion absolue
Echappe aux fausses lois qui ordonnent les choses
Et découvre des voies qu'on ne soupçonnait pas
Et qui préparent le monde à une autre existence.
D'où provient le ressort qui brise tous les moules
Pour animer un être d'une nouvelle façon
Et produire un mutant dans l'espèce servile ?
 
Nous sommes les conquérants d'une perfection d'or
Qui se dérobe encore quand nous l'avons étreinte
Jusqu'à ce que nous sachions que cet embrassement
N'était que les prémisses d'un contact léger.
Nous avançons sans cesse vers ce qui nous dépasse
Inutiles marchands de souvenirs brisés,
Pointilleux commerçants de plaisirs rapiécés
Dans le désir mouvant d'un bonheur superflu.
Las ! Aucune misère ne se peut éviter
Si elle fond sur l'homme comme un patient vautour,
C'est qu'elle flaire la charogne dans l'être déguisé.
Et le malheur arrive non pas pour nous punir
Mais pour nous faire vomir une vile obscurité
Dont la présence aveugle empêcherait le corps
De marcher plus avant vers les sereins espaces.
Il n'y a rien à craindre ! Les épreuves ressemblent
A de vaillants tournois entraînant les guerriers
A s'affranchir d'eux-mêmes. L'habileté
Contient la croissance joyeuse qui prévient les angoisses.
Et Dame Connaissance ne se laisse séduire
Que par qui la situe au-dessus de lui-même.
Tous nos combats écrivent une seule épopée
De chevaliers errants dans des plaines faciles
Et qui pour se distraire s'inventent des ennemis
Pour les poursuivre ensuite de leurs imprécations.
Certes, le diable est mauvais puisque il nous porte à croire
Qu'il détient à lui seul la riche malfaisance.
Alors on se dispense de chercher en soi-même
L'espion obscur caché qui adore l'inconscience.
Il épie le courage et le trouve malsain
Ou bien taxe d'orgueil l'aspiration latente
Qui brisera un jour la bulle de l'ignorance.
Rien ne peut se cacher. Nos soi-disant péchés
Révèlent les limites qu'on aimerait dépasser.
Nos chutes radicales trahissent la suffisance
Pour qu'un enfant en nous puisse ressusciter,
Protégé par la grâce et l'envie de servir.
 
Nous ne sommes qu'un point de conscience qui se cherche
Et qui voudrait soumettre la Terre à ses caprices
Pour se prouver qu'il s'est trouvé. Vive la prétention !
Elle ravit quelquefois au Destin le bonheur
Qui échouera ensuite sur des rivages gris.
Etrange prétention qui se demande encore
Comment appâter Dieu ou diriger l'Histoire.
Sans doute que sans la ruse l'homme n'aurait survécu
Alors on l'utilise pour prendre la Vérité
En l'attirant au piège des belles intentions.
Comme une femme, Elle résistera à l'amant exalté
Dont l'exagération le rend bientôt odieux
Mais Se donne parfois à l'être détaché
Qui ne lui en veut pas de se faire répudier.
 
Ô ! Nous fûmes blessés par chaque maladresse
Quand nous avons souffert en ignorant comment
Elles seraient rachetées par un divin pouvoir.
L'Amour que l'on bafoue dans les conversations
Devient le seul principe de notre évolution.
Il nous torture bien sûr en Se montrant si peu
Mais nous ne pourrions pas apprécier Sa joie
Sans notre sacrifice librement consenti.
Nous ne pouvons Le fuir dans aucun ciel magique,
Dans aucune extinction des sens dans le Vide,
Nous sommes ses esclaves et Il est notre maître
Mais tu ne peux souffrir : son joug est éternel.
Et il nous faut sortir du grand envoûtement
De l'espèce bipède qui s'occupe d'elle-même,
Car tout lui est prétexte à se bien réfléchir.
Elle utilise Dieu comme une notion abstraite
Quand cela lui paraît conforme à sa démarche.
Mais dès qu'elle se lasse de seulement En parler
Comme elle s'étonne qu'Il n'ait pas pu par un miracle
Abolir l'ignorance, elle Lui fait son procès.
Ou bien elle Le vénère pourvu qu'Il soit Lointain
Et ne mette pas trop Son nez dans ses affaires.
Ou bien s'Il vous promet de vivre avec nos morts
Quand nous-mêmes aussi nous aurons disparu,
Nous demandons d'avoir une place sur Son bateau.
Ou bien pourvu qu'Il n'ait qu'un seul Ambassadeur
Si possible pour le même prix du coté de chez nous
Nous Lui vendons notre âme s'Il s'occupe de nous.
Car si trop de Jésus parlaient en Son nom propre,
Comment s'y reconnaître parmi Ses fils uniques ?
Et quel est donc celui qui demande le moins
Pour que la Mort explique la misère de la Vie ?
Les premiers hommes-singes venaient autour du feu
Adorer la Lumière, source de sécurité.
Et quand ils se brûlaient aux flammes rapprochées
Ils partaient en courant se cacher dans la nuit
Honteux de leur offense à la divinité.
L'humanité depuis sa première cachette
Qui la libère vraiment de l'animalité
A un compte à régler avec l'autorité.
Et elle n'a jamais su qui du fort ou du juste
Elle devait écouter les belles paroles bleues,
Car le fort avec lui possède le pouvoir
De transformer les choses en modifiant les causes.
Et dans son cœur aussi l'individu hésite
Entre l'action d'éclat et la sincérité.
L'homme nouveau aura la Justice et la Force,
L'Amour, la Connaissance, le Courage et la Foi
Pour supporter l'exil de sa mission divine
Dans un monde où les hommes ne le comprendront pas.
 
Car si chacun aspire à l'Unité Vivante
Celui qui doit Le dire n'ose pas le cacher
Quand il voit le Suprême dans chaque aspect des choses.
Il ne célèbre plus les scandales à la mode
Car il connaît pourquoi le Mal s'attarde ici
Tandis qu'il est jugé par la bonne conscience
De ceux qui sans savoir animent le maléfice.
Un grand malentendu complice de la Mort
Joue en faveur encore de l'étroitesse d'esprit.
Il sera hérétique pour les Manichéens
Celui qui sourira en toutes circonstances,
Qui verra poindre Dieu dans les bouleversements.
L'homme n'est plus menacé par un seul déluge
Ou par un cataclysme venant de l'extérieur,
Mais par toutes les armes qu'il a cru fabriquer
Pour rehausser la Paix d'un bel éclat fragile.
 
Le drame nous est utile comme pour donner le jour
Au plaisir invincible qui trouvera le calme
Sans pouvoir se lasser de son aura tranquille.
A grands coups de malheur nous décimons l'espoir
Comme pour compenser nos fugues vers l'évasion
Et découvrir soudain pour le monde immédiat
Une ressource d'action qu'on ne soupçonnait pas.
Comme des bêtes blessées l'agonie nous fournit
Un sursaut impossible qui décuple nos forces,
Tandis que le Destin, ce prédateur stupide,
Transformait secrètement nos renoncements stériles
En pouvoir colossal pour rétablir la Vie.
Sans l'aiguillon du Mal, le grand singe debout
Serait encore repu de ses festins magiques
Où le pouvoir des mots servirait le Désir,
Goguenard empereur des peuplades béates.
Bien sûr, un jour plus aucune douleur
Ne nous servira plus à sortir de nous-mêmes,
La Perfection sera recherche spontanée
D'une ribambelle d'enfants à l'esprit enjoué.
Mais aujourd'hui que faire pour conjurer le sort
De plusieurs millénaires concoctant un poison
Mortel et délicat, subtil et nuancé ?
Car la pensée n'est pas la panacée.
Elle croit voir le Réel mais n'en touche qu'un bout
Et ne veut pas admettre qu'une petite partie
N'est pas le tout entier. Elle hait l'invisible
Ou ce qui lui échappe, car elle voudrait régner
Sur la Nature entière. Elle se croit supérieure
A l'instinct infaillible alors qu'elle n'en est
Qu'une forme élaborée, un prolongement bancal
Qui perd l'automatisme avec la pureté.
Si elle pouvait laisser couler le temps léger
Au lieu de le tirer avec ses lourds concepts
Au lieu de le classer selon ses préférences
Au lieu de le ranger dans des catégories
Elle s'annulerait elle-même en explosant de joie
Et trouverait le Soi, Seigneur Intemporel.
Toutes ses hiérarchies fondées sur des limites
Sont viciées au départ, mais comme le défaut
Précède le système, il demeure cohérent,
Et l'on ne sait comment pouvoir s'en libérer.
Il nous aura fallu triturer le Mental,
Ce pont vertigineux sur l'abîme du Temps,
Pour en avoir assez d'être encore l'animal
Qui éprouvait la peur tout en le traversant.
De l'autre côté, sublime et inimaginable
Nous attend le pouvoir d'une Nouvelle Conscience
Qui travaillera le corps pour élargir les sens.
Les neurones sentiront un pointillement d'or
Masser tout doucement le cerveau archaïque,
Et l'esprit changera sans partir tout là-haut
Se réfugier là où plus rien ne l'attaque.
Au contraire, il verra que tout est la lumière,
Que la Terre vaut autant que les cieux très sacrès,
Que tout ce qui existe est le Seigneur Suprême
Déguisé par l'opaque et masqué par l'objet.
Plus aucune blessure ne tranchera les faits.
Tout sera relié par l'Absolu Courant :
Chaque chose sera vue avec la force propre
Qui en fait l'instrument du Devenir Divin.
Rien ne pourra plus être inférieur, supérieur,
Inutile ou utile, laid, beau, ou élégant.
 
Les choses seront vues en elles-mêmes parfaitement,
Sans être déformées par les grilles de pensée
Ni par l'avidité ou l'aversion faciles.
Elles émaneront de leur force spécifique
Toutes les relations qu'elles tissent avec l'ensemble,
Avec chacune des autres. Elles sembleront conscientes
Offrant leur être propre avec sincérité.
Aucun regard n'est prêt pour une telle entreprise
Qui demande à nos corps de s'élargir sans cesse
Vers une vision cosmique, éternelle, agissante,
Qui dépassera même la condition des Dieux.
Les muscles sentiront un pétillement étrange
S'infiltrer peu à peu dans les fibres anciennes
Quand le nez humera d'une façon nouvelle
La nourriture subtile dont la demeure est l'air.
Et celui qui fera cette expérience folle
Dira anachronique la race qui l'a produit,
Mais il verra en elle le Purusha Suprême
Jouant à S'ignorer pour jouir de la douleur.
Et s'il souffre Lui-même ce sera symbolique
Ce sera pour marquer le vieux moule à jamais
De l'empreinte du Vrai qui devient matériel
En s'emparant du corps meurtri par le mensonge.
Car l'élargissement passera par des tortures
Qui finiront un jour par achever la Mort,
Et elles seront sans doute encore plus délicieuses
Que les jouissances usées qui détendaient le Corps.
Des obstacles redoutables voudront s'interposer
Pour arrêter le pas de l'ouvrier divin
Mais ils insinueront au mutant libéré
La façon d'être vaincus par sa sincérité.
Ils ne pourront cacher leurs failles dissimulées,
La limite par laquelle ils seront terrassés.
Car il ne peut s'agir que d'un duel sublime
Entre les deux géants qui se disputent l'Homme :
Le Fini, l'amoureux de la forme achevée,
De tout ce qui sépare, enferme, mesure et tranche
Et l'Infini, Seul, Unique, qui embrasse en Lui
L'achèvement et l'origine, la Vie, la Mort,
Le simple et le complexe, l'infime, le relatif,
Et l'incommensurable Harmonie de l'ensemble.
 
Ainsi nous sommes sûrs de ne jamais finir
La saga immortelle de l'évolution d'or,
Puisque les résistances indiqueront ensemble
Une limite à dissoudre, un pouvoir à créer.
Et si vraiment l'obstacle amène la délivrance
Nous convierons nous-mêmes nos ennemis intimes
A discuter nos actes pour nous encourager.
Leur malveillance elle-même nous permettra d'aller
De perfection légère en perfection profonde
Sans que puisse cesser la Rédemption du corps.
Car si l'Obscur paraît pour être illuminé
Nous n'avons pas fini d'avoir besoin du diable
Ni des forts Asouras pour que tout se transforme.
Dans quel égout cosmique pourrions nous enterrer
Tout le péché du Monde et ses vicissitudes ?
Un jour, il reviendrait purulent de vengeance
Contaminer la Terre à moitié lumineuse,
Et la Divinité promise par le Décret
Se verrait compromise par la désespérance.
Rien ne peut s'oublier, pas même l'oubli des âges
Qui pèse lourdement dans le sommeil de l'homme
Et rien ne s'escamote par un brillant miracle.
Les dents, les ongles, les poils témoignent d'un passé
Qui s'accroche fermement aux songes du futur.
Les puissants appétits ont toujours faim d'eux-mêmes,
Les doutes doutent de leurs doutes amoureusement
Cherchant un espace vide pour y faire du néant.
Et la haine terrible se hait terriblement.
Narcissique, elle a honte d'elle-même
Et tire de son remords des renaissances tragiques
Qui scarifient le Monde de ses stigmates hideux.
Le désir s'édulcore, assiège la Beauté
Et pour la séduire, il lui parle doucement
Déclarant qu'il désire ne plus la désirer.
L'abîme du Miroir construit des univers
Peuplés par des fantômes de la même origine
Sortant du vide et se différenciant
De reflet en reflet jusqu'aux dernières glaces
Où la Lumière se perd dans la mémoire des cimes.
Chaque monde a sa loi et qui veut La changer
Paraît en ennemi, quand bien même il viendrait
Pour l'élargissement conforme à l'avenir,
Quand bien même il viendrait abolir la misère
En révélant aux êtres un penser moins étroit.
Mais la Terre a toujours vécu dans tous les sens
Adoré le Mensonge, aimé la Vérité.
 
Elle fut la réception de toutes les tendances
Qui poussèrent librement pour parvenir enfin
A l'Alchimie suprême qui comporte chaque aspect.
Chaque force particulière qui poussait pour elle seule
Se heurtait un matin à chaque autre croissance
Et le Mal et la Mort tiraient leur origine
De l'égoïsme utile à la survie de l'être,
Que ce fût une puissance, un homme ou une idée.
Chaque chose pour grandir informe la substance
Informelle, l'attire et l'accapare, et lui donne
Son propre caractère. Nous traînons avec nous
Des cristallisations qui édifièrent l'empire
Des premiers animaux ivres de reproduction.
Nous portons la mémoire de chaque événement
Assimilé sous forme de jouissance ou douleur
Et l'esprit malhabile imprégné d'habitudes
Interprète toujours le langage de la Vie
Selon ce qui procure la joie ou la souffrance...
Mais un autre principe régit l'Evolution
Et qui ne tient pas compte des molles préférences
Et brise ainsi sans cesse les conforts de l'esprit,
Les prisons arrangées qu'on trouvait suffisantes.
Nos nerfs servaient toujours la tension primordiale
D'un animal profond qui se sent menacé
Et sans le corps précaire, vulnérable et pesant,
Nos yeux seraient encore accrochés aux étoiles,
Extatiquement vides, envoûtés par l'espace
Ensevelis vivants dans nul mouvement.
Mais, nous avons reçu l'investiture suprême
Qui doit tout rassembler, le lourd et le léger,
L'espace et la mesure, le volume et la forme,
L'Action et le Repos dans un seul véhicule.
Et nous devons unir l'Intemporel au temps
Pour construire un vaisseau digne de l'Eternité.
 
Peut-être existe-t-il des mondes supraconscients
Pour qui la Terre n'est qu'un creuset minuscule
Les hommes douloureux des gemmes ignorants
Du pouvoir de leur forme qui capte la Lumière.
Nous n'avons pas appris à devenir nous-mêmes
Si ce n'est en copiant des modèles
Comme pour souffrir longtemps de se trahir soi-même
Avant de découvrir dans notre cœur unique
Le ressort éternel qu'on ne peut pas voler
A l'image qu'on copie. Il nous aura fallu
Connaître les impasses des mythes ravaudés,
Emprunter mille chemins qu'on n'avait pas choisis,
Et suivre autant de pistes falsifiées par la lettre
Qui ne tarde jamais à marchander l'esprit.
 
Nous aurons traversé des marécages bleus,
Et qui semblaient propices à l'amoureux des formes,
Mais qui piégeaient le temps dans des bulles d'avenir
A jamais enfermées dans l'errance stellaire.
Nous aurons accompli des haltes prometteuses
Qui au dernier moment avant de repartir
Voulaient paralyser celui qui voyageait.
Et nous aurons appris la vigilance suprême
Dans un sommeil conscient qui s'étendra serein
Dans n'importe quel monde vivant en autarcie.
Car les forces se disputent l'humaine destinée
Quand elles pénètrent subtiles dans l'esprit hésitant,
L'entraînant peu à peu dans leur logique propre.
La bouche se souvient, l'esprit ne sert à rien,
Mais l'âme clairvoyante finit par transpercer
Le fossile du corps qui vit sur le passé.
Alors l'esprit travaille d'une nouvelle façon,
Il se croyait le maître, il devient l'instrument,
Dissout ses concrétions, chevauche librement
Des idées nouveau-nées issues du vrai futur.
Une lutte magique s'instaure spontanément
Entre les vieux schémas, patinés, racornis
Et le motif léger des vérités vivantes
Qui ne s'imposent pas, mais passent comme des oiseaux.
Alors l'instant devient l'ultime laboratoire
Où viennent se réunir les survivances fières
Du passé révolu et les premières touches
D'une Conscience Intégrale, trop extraordinaire.
 
Le souple funambule chante éternellement
Sur le fil élastique des devenirs sublimes
Que sa peur de tomber tente de trancher net.
 
Quand il aura vaincu les tensions et la crainte,
Et l'appréhension bleue de pouvoir échouer,
Quand il pourra marcher sur l'arête présente
Sans faire le moindre drame avec ses souvenirs,
Le sourire éclatant d'une joie sans appel
Guidera chaque pas automatiquement.
Il saura parfaitement ce qu'il aura à faire
Pour marcher Invincible sur l'Eternel Présent.
Aucune hésitation ne viendra compromettre
Sa démarche lucide, légère et spontanée.
Aucune mécanique ne le conduira plus,
Aucun instinct aveugle produira son exploit,
Il sera infini dans le moindre de ses gestes
Et c'est l'Eternité qui soutiendra ses pas.
Mais aucune parole ne transmet la Vision
Sans limite et parfaite qui anime l'avenir
Et qui cherche ici-bas de consentants cobayes.
Nos corps peuvent devenir un imprévu chaînon
Entre le grand Soleil de l'Indicible paix
Et les astres errants des hommes qui se cherchent.
 
Une harmonie complète intègre les désaccords,
La Mort et les impasses dans un corps inconnu
Dont chaque semence ici est presque encore sous terre.
L'esprit, brillant critique, a calomnié la boue
Et loué l'or magique, symbole universel.
Mais il ne pouvait voir que le même Pouvoir
Coagulait les deux pour varier la Matière,
Et il ne pressent pas que la vertu altière
Est masque de la honte éprouvée d'être nu.
Il ne voit pas comment le vice tant abhorré
Est la franchise brute d'un être qui ne veut rien
Et qui pour déchiffrer l'énigme de la Vie
Commence par briser l'espace du puzzle.
L'homme qui cherche l'Obscur souffre de la distance
Entre le Maître et lui. Il tente de ravir
Son sceptre à la Lumière en jouant puissamment
Qui l'a déjà acquis. C'est le rite du mensonge,
Cette façon de croire que rien de Ce Qui Est
Ne résiste à celui qui veut le posséder.
L'épaisse volonté n'est pas l'aspiration,
Et le viol rarement une preuve d'amour.
Pour capturer le Soi, découvrir la Conscience,
Les danses amoureuses sont souvent mécaniques
Et les défis guerriers semblent des pantomimes.
Et les lourds sacrifices qui marchandent le Vrai
Contre un renoncement aux choses de la Vie
N'abusent pas l'Enfant qui joue avec Lui-même
Et ne trouve pas beau qu'on souffre exprès pour Lui.
On se protège encore en passant quelquefois
Pour ce que l'on n'est pas. C'est ainsi que l'insecte
Ressemble à la brindille, que le caméléon
Epouse la couleur de l'arbre où il s'accroche.
Nous n'avancerons jamais si nous faisons semblant
De ne pas avoir peur quand elle est au-dedans.
Nous n'avancerons jamais si nous faisons semblant
De savoir Ce Qui Est.
Mais la peur reconnue s'enfuit à toutes jambes,
L'illusion acceptée, sa tâche diminue.
 
Et se tapit dans l'ombre l'angoisse prolifique.
La bête cherchait toujours à se réconforter
En pratiquant des rites faussement efficaces
Mais qui lui permettaient d'aller dormir en paix.
Et nous avons encore l'habitude sournoise
D'imiter le futur pour vaincre le présent.
Or l'avenir toujours se cache à celui qui
Evite le Moment. Et tout se recommence:
Nos illusions perdues engendrent les nouvelles
Illusions de demain, car tout se multiplie
Selon sa propre espèce. La vérité vivante,
Aussi infime soit-elle, attire vers son soleil
Des étoiles vivantes. Ainsi le monde va,
Peu soucieux des faiblesses et des volontés propres
Que croient avoir les hommes qui vivent leurs fantasmes.
 
Leurs imaginations sont l'image cosmique
D'un délice éclaté qui cherche sa propre source,
En caricaturant ce qui la constitue
Pour s'humilier devant la force qui l'anime.
 
Tout est écrit dans tout, et l'être perspicace
Lira l'histoire du monde dans les symboles clairs
Qui jalonnent le temps, et dont la collection
Est comme l'alphabet initiant Dieu à l'Homme.
Les coquillages adorent la spirale du temps.
Les formes géométriques président à la structure
Qui des atomes entre eux forment les molécules
Liquides ou cohérents, dilatés ou compactes.
Les animaux s'exercent à des œuvres complexes
Déployant une joie qui comble la Nature.
Un dynamisme fou pour la pensée de l'homme
Se cache dans le silence et élabore sans cesse
Des procédés nouveaux et des actes uniques.
Des milliards de possibles mélangent à tout jamais
Des causes aussi nombreuses que des graines endormies
Dans la terre transparente de l'Indéterminé.
Et pour des potentiels innombrables et parfaits
Une seule chose advient, fragile mais puissante
Dans l'éclosion nouvelle d'un cas particulier.
Et le pouvoir suprême se transmet invisible
Dans la moindre parcelle du plus petit objet
Avant même que l'esprit chevauchant son désordre
Essaie de ralentir son magnifique coursier
Qui foule innocemment l'Harmonie intégrale
Sans connaître la Force qui le fait galoper.
 
Et nous cristallisons la vibration suprême
Qui perd de son pouvoir quand nous la réduisons
Pour inventer des cadres qui répètent les faits.
Même pour la même espèce, il n'y a pas de série.
Las ! Notre esprit est avide de beaux points de repère,
Et décrète qu'une chose pour devenir elle-même
Doit ressembler à d'autres ou bien se répéter.
C'est l'erreur catholique du dogme universel
Qui réduit le Réel à l'ensemble des lois
Et qui condamne avec un conscient fanatisme
La chose qui arrive en-dehors de ces règles.
Mais rien ne se soumet à qui juge le Monde
Sinon la Terre entière serait déjà détruite.
 
L'Amour n'est pas un censeur tout-puissant.
Et le pouvoir découle d'une vision transparente
Qui voit l'acte de Dieu même chez l'Iconoclaste
Qui bafoue Son visage quand il a trop vieilli.
Et si tu vois dans l'idolâtre
Le sourire du Seigneur qui s'enfuit de lui-même,
Alors tu peux comprendre son éternelle action
Dans le jeu infini aux Principes cachés.
Se donner, telle est la loi pour vivre l'Univers.
Ce serait trop facile si pour quelques offrandes
Dieu nous prenait en charge comme un papa-gâteau
Nous offrant des bonbons roses et acidulés
Pour nous donner le change et nous apprivoiser.
Renonce à prendre et tout te sera donné.
L'Univers t'a créé, ne lui vole pas ton existence.



2 Un combat merveilleux contemporain de Tout


Quelle que soit la splendeur que nous découvrions,
Tout demeure un combat tacite, omniprésent
Entre des survivances qui connaissent leur goût
Pour différents délices qu'elles ont approfondi
Et de légères ivresses qui demeurent sans objet
Quand bien même elles savourent l'ineffable Beauté
D'un monde où rien ne meurt mais où tout se transforme.
Et comme par notre corps nous sommes reliés
Aux différents espaces qui assument la vie,
Nous recevons sans cesse nombre d'informations
Hostiles et pénétrantes, médiocres ou lumineuses.
Nous absorbons aveugles des repas éthérés
Qui viennent réveiller quelque assoupie tristesse,
Relancer un soupir d'esthétique fatigue,
Briser sans faire de bruit l'aurore d'un matin
Qui dévoilait sa loi dans sa danse limpide.
Toutes ces suggestions viennent sans doute du dehors,
Mais tant qu'au fond de nous survit une accointance
Avec la fière essence du Malheur obsédant,
Il prend autant de formes qu'il peut pour épuiser
Sa façon de nous vendre un de ses avatars.
A diverses reprises, selon les circonstances
Nous recevons en nous ses puissants émissaires,
De petites flèches noires pénétrant le nombril
Qui se fichent dans le cœur d'une mystérieuse cible,
Un chakra, une roue, un centre d'énergie.
Mais nous pouvons aussi ouvrir dans l'invisible
D'imperceptibles yeux au regard transperçant
Les couches successives qui cachent l'authentique.
Et nous pouvons capter l'effluve d'un secret,
Un parfum intrépide entre deux idées mortes
Qui venaient d'une époque remplie de tragédies
Et qui cherchent encore dans le cerveau loquace
Un miroir de sorcière où tout s'enorgueillit.
Mais s'il est vrai que fondent sur le chercheur aimant
Un tas de projectiles venant de l'Inconscient,
Quand l'opacité fond ils ne rencontrent rien
Et traversent sans blesser l'âme au malheur dissous.


Ainsi le pas travaille concentré sur lui-même,
Et voici que le corps s'emplit d'un souffle juste
Qui disperse aussitôt les produits de l'esprit
Et révèle une joie dans les pores de la vie,
Exultant pour qu'elle cherche seulement à durer
En assumant ses tâches au travers des saisons.
Tout devient l'organisme d'une parfaite conscience
Jouant dans les cellules des plantes et des bêtes
A respirer un feu humide et pénétrant
Qui corrompt le passé et sert de matériau
Pour édifier la forme d'une prochaine étape
Aspirant à pousser ses éléments fragiles
Vers la structure qu'ils cherchent infailliblement.
Et quand l'être demeure dans cette perception
Son corps ne fait plus qu'un avec l'air qu'il respire,
Avec cette cascade qui chante le saumon,
Ou avec ce manguier près d'un marigot sombre
Où des fleurs de lotus expliquent le marécage.
Or un dégoût survient quand l'enchantement part,
Car soudain l'homme privé de ses racines,
Ne foule que le sol de ses chimères bleues
Dont il fait un tapis pour assurer son pas
Ou le guider là-bas vers un futur scabreux
Plein de sécurité et de bureaux de vote.
Il nous revient alors l'image des génocides
Perpétrés notamment pour de nouvelles races,
Meilleures, bien fabriquées, autoritaires et raides,
Et comme un goût de sang picote notre palais.
Comment avons-nous fait pour passer à coté
De cette transparence qui dessine les branches
De cet arbre prochain encore tendre arbrisseau ?
Comment avons-nous fait pour oublier le souffle,
Inventer la contrainte, légiférer l'Unique ?
Quel démon habitait notre engeance fantastique
Capable d'inventer des outils admirables,
Des instruments précis, des relations multiples ?


Et tandis que soudain comme une honte vient
Dans le cœur humilié par des sanglots lointains,
Une évidence neuve comme un sourire d'étoile
Dans un ciel sans nuage comme recommencé
Délivre une vision que le corps reconnaît.
Non, rien n'est isolé dans l'immense chaos
Des rêves fratricides aux buts hétéroclites
Qui semble aussi porter d'immenses portiques d'or
Qui encadrent les signes des Illuminations.
Nul ne peut affirmer qu'il y a d'un coté
Les fauteurs de massacres et leur méchanceté
Tandis que l'autre embaume des louanges des saints,
Des conquêtes de l'espèce sur son obscur destin.


Non !Comme le lotus nécessite la boue
Pour traverser la vase vers ses fleurs admirables,
L'humanité contient la trahison sordide,
La chute vers un abîme de pouvoirs ricanants,
La stagnation médiocre des rêves pourrissant
Pour que pousse la fleur d'une aspiration d'or
Annonçant l'éclosion d'une espèce meilleure.


Et nulle intelligence ne peut trancher le Monde,
Décider arbitraire que le Mal est ici,
Et que le Bien est là et qu'un abîme entre eux
Doit se creuser sans fin pour sauver les élus
Et protéger les bons des feintes des méchants.
Car ceux qui s'essayèrent à cette opposition
Croyaient toujours avoir le monopole du Vrai
Et partaient à la chasse d'innocentes sorcières,
Et jetaient l'anathème saoulés par leur pouvoir,
Et engendraient des crimes passant pour des exploits.
Une seule humanité possède un corps unique
Où les hommes inconscients, superstitieux, barbares,
Vivent au même rythme que les sages et les saints.
Car qui pourrait gêner l'envol vers le Divin,
Et qui pourrait se plaindre d'un homme transformé ?
Non, un seul corps prépare des fééries diaphanes
Comme exilés sans fin de reflet en miroir,
Non, un seul corps possède des intrigues sans gloire,
Des élans mirifiques vers un sens retrouvé
A partir de complots sanctifiant un chemin
Plus étroit que les autres et plus propre à dicter
Des lois irréfutables, des pas obligatoires.
Mais comme une Proportion équilibre les choses
Le chercheur qui s'avance d'un monde naturel
Sent qu'il porte en lui-même l'univers extérieur.
Il découvre en son être des résistances cachées
Qui sans doute correspondent à des êtres vivants.
Elles trament des ethnocides au nom d'un Idéal,
Dénoncent des espions qui ne sont que sourires,
Car elles légifèrent ou se croient tout permis
Dans ce vaste chaos d'électriques neurones.
Mais en silence une âme aperçoit dans l'aurore
Des expressions dorées aux visages futurs,
Surprend quelques sommeils qui capturent l'inertie
En concoctant des songes aux avenirs figés.
Et de la même façon que l'Evolution trie
Parmi l'entassement des forces entremêlées
Celles qui s'offrent pour ouvrir les progrès,
Ainsi l'homme qui cherche un autre itinéraire
Rencontre à chaque fois un allié inconnu
Qui se met à trancher l'ombilic ténébreux
Par où les forces adverses pénètrent le yogi
Et le tiennent lié aux autres, endormis.
Mais bien souvent l'on tire sur ce fil mortuaire
Qui nous rattache encore aux peuples sanguinaires,
A l'inertie puissante du chaos primordial
A la douleur apprise par les générations,
Et pour le trancher net ou bien s'en dépêtrer
Tous les moyens s'essaient car nul ne sait s'y prendre.
Quand la panique s'installe on court dans tous les sens,
la haine, la rébellion aveuglent l'espérance
et triomphe davantage cette mémoire malfaisante
Qui s'attache en secret aux entrailles du ventre.


Marche dans la chair du temps que nul n'a entaillée
Sur ce chemin sans piste aux transparents appels
Qui mène dans le silence aux gisements de lumière,
Ineffables soleils d'une infinie Conscience,
Immobiles îlots de l'océan du Temps
Parsemé ça et là du plancton des étoiles,
Intime phosphorescence dans l'ambre ténébreuse
Du vide illimité mangeant les galaxies
Avec ses grands trous noirs qui incurvent l'espace,
Et leur densité folle qui avale la lumière.
Ce que t'enseigne l'Homme n'est pas la Vérité,
Ce ne sont que les lois d'un cauchemar pervers
Ou des visions divines sans aucun mode d'emploi.
Mais ton corps minuscule contient tout l'univers,
De multiples secteurs échangent des énergies
Qui peuvent tout aussi bien collaborer pour l'Un
Que se livrer bataille à travers des organes,
Des zones d'influence où chacune règne en maître
Selon la loi secrète des vraies correspondances.
Et tout à chaque instant se modifie sans fin,
Les alliances des forces, le pouls de l'Infini,
Comme si un équilibre existant par lui-même
Instaurait dans le corps des vases communicants
Pour que la maladie évacue infaillible
Un mal bien plus profond dont elle est le symptôme.
Dans cet inaccessible laboratoire secret
Qu'aucune intelligence ne semble diriger,
S'échafaudent sans cesse des lois compensatoires,
S'étalonnent des poids mystérieux et vivants
Qui gagnent les plateaux d'une Balance invisible
Où se pèsent le Destin et l'envol de la Vie
Vers une architecture consciente de l'architecte.


Chaque émotion légère, chaque pensée ou chaque acte
Apporte son offrande ficelée à la hâte,
Ou bien indifférente à l'autel mystérieux,
Ou bien reconnaissante comme un heureux présage.
Et tous nos états d'âme sont un certain reflet
De forces intangibles dans le doux réceptacle
D'un infaillible corps envoûté par l'esprit.
Mais tout pourrait servir à l'unique Harmonie...
Le malaise réveille l'aspiration divine
A vivre dans la fête d'une ivresse enchantée,
Quintessence tranquille d'une sobriété d'or
Quand la Nature découvre son éternel amant.
Et comme nulle formule ne mène à l'Infini,
Les excès peuvent aussi être une approche sûre
D'une fringale monstrueuse ancrée dans l'être humain,
Que l'on découvre un jour assoupie, rassasiée,
Prête à récupérer la soif de connaissance
Pour en faire bientôt l'immatériel objet
D'une nouvelle convoitise déguisée en ascèse.
Et comme nulle recette ne révèle le Vaste
Aucun peut essayer de vivre absolument
Pour une seule force, puissante et exclusive.
C'est un moyen habile pour masquer le conflit
Entre diverses tendances brûlant pour l'Harmonie.
Ou bien ne faire du corps qu'un vêtement de fortune
— Qu'on a du dérober comme un déguisement
Dans les sombres coulisses d'un théâtre forcé —
Et ne toujours chercher qu'un céleste salut
Est un moyen adroit de s'enfuir du problème.
Car l'homme n'est rien d'autre qu'un paquet d'appétits
et ne peut isoler le mal dans un recoin.
Il ne peut par magie vaincre la maladie
Rien qu'en la subjuguant par un ordre précis.
Profitant un matin d'une quelconque faiblesse
Elle s'élancerait plus forte pour le vaincre sans pitié.
Il ne sait pas non plus oû cacher ses faiblesses.
Dissimuler ses propres résistances échoue.
Il s'agit d'avancer comme un être tout entier
Vers une force nouvelle venant tout racheter,
Et une seule partie de l'ensemble ne peut
Venir se prosterner aux pieds de l'Infini.


Il convient d'accepter cette part d'obscurité
Non pour la condamner mais l'offrir en silence
Au sacrificateur de l'éternelle offrande.
Car le Mal n'est pas une essence immortelle,
c'est une simple béquille provisoire, maladroite.
Et nous ne pouvons plus ici nous promener
Mais celui qui observe l'obscurité tenace,
— Comme un guerrier découvre son adversaire chéri,
Son partenaire sacré, son champion favori —
Engendre la démarche qui découvre les armes
Terrassant dans la joie l'esprit du maléfice.
Et chaque fois qu'il débusque en lui un ennemi,
Le chercheur sent bientôt une pénétrante grâce
Qui l'apprivoisera, qui lui dérobera
Son mal coagulé, fermera la blessure
D'un souvenir ancien qui refusait le Beau
Pour s'être laissé prendre aux mystères de l'horreur,
Tous ficelés ensemble par une magie puissante.
Elle se rit de l'ascèse aux intentions sublimes
Qu'un simple nu de femme peut venir dérouter,
Comme elle se moque aussi du culte du Désir
Et de ses partisans qui souffriront encore
De ne pouvoir goûter tous les plaisirs du Monde.


Et quant à l'ignorance qui cherche son bien-être
Dans une routine bleue de plus en plus parfaite,
Elle peut difficilement tenir lieu de modèle,
Face à toute démarche tant soit peu naturelle
tuant le formalisme, ce dieu de l'apparence,
Pour découvrir un saut qui s'envole innocent
Au-delà du Connu où gît l'académisme.
Mais un monstre impavide se cache quelque part.
Il est toujours avide de son intérêt propre,
Et ramène au conflit le désintéressement.
Il endort le présent et courtise la mort.
Il recherche le gain dans la moindre pensée,
Recourt à des mobiles pour être disponible,
Cherche le détachement par des voies pragmatiques,
Ne voit le mouvement qu'en termes de réussite.
Avocat avisé, il agit dans le corps,
Guérit par des mensonges qui paraissent rassurants,
Et met un point d'honneur à éviter la peur
Dont il est le produit, l'exact prolongement,
Le nourricier fidèle, subtil, pervers,
Efficace, obséquieux, érudit, ancestral.


Dans les chakras subtils, il navigue tempêtant,
Il inspecte les zones des pouvoirs de la Vie,
Profite des circonstances pour faire ses arguments,
Dénonce les menaces pour faire sa politique,
Corrompre des gardiens qui se mettent à douter,
Décourage la fièvre de battre la maladie.
Il achète des alliances dans différents secteurs
Qu'il reniera bientôt si elles sont compromises.
Et comme un vieux shaman d'une tribu animiste
Il soumet quelquefois des esprits diaboliques
— D'indécises blessures refusant de guérir.
Mais connaît-il vraiment l'insaisissable dieu
Qui monte et qui descend dans la moelle épinière,
Transmet à la Matière les messages de l'Amour,
Soutient l'épine dorsale de l'univers entier
Depuis la sombre terre des naissances inconscientes
Jusqu'à la fleur sublime de l'Infini conscient,
Depuis le sexe obscur jusqu'au sommet du crâne
Qui s'ouvre vers l'évolution des âges ?


D'immémoriaux empires échelonnent leurs cités
De vertèbre en vertèbre, de frontière en frontière,
Coagulant chacun l'Energie Primordiale
Selon son rôle unique, parfait, irremplaçable.
Mais quand l'âme cachée aimante jusqu'à son cœur
L'or éthéré du Monde qui poudroie de gaîté,
La force du désir devient une survivance,
La saveur du plaisir un souvenir étrange,
Et une vive euphorie comme un torrent tranquille,
Fraîche comme une aurore, remplace les sensations
Par une altière santé, une activité Juste.
Une unique Puissance parcourt l'allée royale
Des mondes de la vie dans le corps étonné
De sentir dans ses centres un feu parfois brûler,
Consumant de l'angoisse, amendant la Nature,
Purifiant l'habitude des animaux réflexes,
Transcendant l'héritage d'une espèce accomplie
Pour amorcer l'élan vers l'avenir certain.


Et tout ne fut pas vain dans l'équilibre instable
D'un instant attaché à ses sombres racines
Epousant quelquefois l'évasion de l'esprit
Pour voyager peut-être, pour se déraciner,
Pour entrevoir là-bas une autre destinée
Que celle qui le liait à ses prérogatives.
Mais quand l'esprit voulait avec sa gourmandise
Trouver dans le ciel bleu d'immuables racines,
Il en faisait bientôt l'objet de sa passion,
Lui sacrifiant la vie, l'amour, l'évolution
Pour séduire à jamais un but édulcoré,
Délectable, incertain, une superbe maîtresse,
Une mort définitive, une vérité brillante
Abandonnant la Terre à son destin tragique.
Mais si par la vision qui embrasse toutes choses
L'être vient à saisir l'éternelle relation
Entre la vie, la mort, et ce qui les contient,
Il devient amoureux de descendre et monter
Dans les chakras du Monde pour y naître et mourir,
Dont chacun établit les symboles sacrés
Comme un code cachant l'ultime Réalité
Dans des signes écrits avec l'encre du sang.


Et comme dans le corps la Shakti Primordiale
Distribue le pouvoir aux zones d'influences,
Une âme illuminée rachète la mémoire,
Anticipe le futur par son aura divine
Et travaille au-delà des querelles sectaires
Et le grand corps des hommes est comme un corps humain,
Malade ici et là au nom des traumatismes,
Espérant par endroits des panacées truquées,
Appliquant sur des plaies des remèdes toxiques,
Triomphant quelquefois dans des cellules d'or
Un peu plus réceptives à la Force Première
Que les pouvoirs en place assoiffés de durer.
Mais voici qu'aujourd'hui tout peut se réveiller
Telle une chrysalide s'ouvrant vers la lumière,
Protectrice un moment d'une mutation cachée,
Mais parfaite prison quand l'insecte s'éveille.
Et comme le papillon arrive à la briser,
Peut-être l'humanité pourra-t-elle dépasser
Tous les voiles de soie qui l'enrubannent encore
Et dont chacun ressemble à l'interprétation
De l'univers entier par un esprit habile :
Tissant comme l'araignée une toile géométrique
Dans laquelle sans doute il devait s'enfermer
Pour avoir un matin envie d'en réchapper.
Et il n'est pas meilleur que l'engeance des hommes,
Ce mutant non prévu par les savants égaux,
Ce voyant éternel aux roues incandescentes,
Marche à coté du singe qu'il vient juste de quitter,
Embrasse dans son regard le contingent des hommes
Embrigadés de force ou presque sur le navire
Qui s'en va conquérir de lointains archipels,
Quand les marins ignorent quelle est sa destinée.
En silence, il côtoie des divinités d'or
Qui tiennent dans leurs mains l'évolution des âges.
Alors le bien n'est plus qu'une décision ultime
Qui condamne de haut ceux de la même espèce,
Le mal est un souffleur épelant un faux texte
Pour rire sournoisement du trac des comédiens
Contraints d'improviser pendant tout le spectacle.
Mais tout habite ensemble sur une même Terre,
Comme le rêve familier d'une infinie Conscience
Qui morcelle son âme dans une mosaïque
Dont n'importe quel fragment, en dépit de lui-même,
Cherche quelle est sa place dans cet imbroglio,
Ou feint par fantaisie de l'avoir découverte.

Trop de couleurs s'arc-boutent sur l'arc en ciel
Pour un œil rempli d'une teinte préférée.
Trop de langues sans doute chantent le même ciel
Pour que l'esprit comprenne qu'à travers toutes formes,
C'est un même mouvement qui chante le dynamisme,
Et un même mobile qui lutte pour demain,
Maladroit, contingent, mais qui voudrait bien faire,
— Etreindre l'arc-en-ciel sans dénigrer la pluie —
Et se cache toujours derrière ses intentions
Pour planifier l'erreur et rendre hommage à Dieu.
Mais parfois il arrive qu'une démarche vienne,
La seule qui demeure quand les autres s'épuisent,
La seule qui persiste en dépit des obstacles,
La seule qui fasse corps avec le Monde entier,
La seule qui sans crainte révèle tous les conflits,
Souligne l'impuissance du chercheur fatigué
Pour annoncer la joie des conquêtes futures.
Alors plus rien dans l'être ne cherche à s'échapper
Des dilemmes profonds et des contradictions,
Et l'univers révèle qu'il comporte chaque chose,
Et que c'est pour cela qu'une lutte éternelle
Est le puissant moteur d'une seule Evolution,
Empruntant le chemin joyeux des écoliers
Pour grappiller l'aurore d'une malice légère
Que pourraient compromettre les amants du Pouvoir.
Et un sourire nouveau veut la lucidité,
Qu'elle montre les laideurs enfouies dans l'Inconscient,
Ou trouve des beautés dans des élans perdus,
Ou des essais fragiles pas toujours fructueux...
L'imbroglio devient un puzzle ordonné
Dont chaque aspect indique l'affinité secrète
Qui fait qu'il coïncide avec l'autre caché.


Et dans l'éparpillement des valeurs relatives,
Le nomade immortel glane des lignes de force,
Découvre sous des vestiges des inscriptions dorées,
Et parfois ne voit rien dans la bleue prospective
Surchargée de motifs aux chiffres économiques.
Ou bien c'est l'étendue des villes quotidiennes
Qui cache dans sa grisaille des aspirations d'or,
Encore ensevelies dans l'utopie du rêve.
Et maintenant qu'il voit que tout antagonisme
Est le fruit douloureux de forces complémentaires
Qui mettent en demeure de résoudre les énigmes,
Le chercheur s'aperçoit que dans le corps aussi
Il ne peut isoler le mal dans un recoin.



3 La transfiguration des lois


Chaque monde voyait les époques antérieures
Non point comme elles étaient mais par rapport à lui,
Comme si la différence était impénétrable,
Ou prétexte à juger d'un progrès accompli,
Evacuer un art qu'on ne comprenait pas,
Rejeter quelque chose qu'on n'avait pas chez soi.
Mais celui qui s'élève au-dessus des époques
N'a nul besoin du prisme de sa propre culture
Pour voir la signifiance des lois et des coutumes.
Il voit toutes les races, tous les âges en eux-mêmes,
Presque tous contenus dans une même perspective
Où l'apogée bientôt engendre la décadence,
A moins que lentement une civilisation
S'étale sans progrès rapide ou apparent.
Elles s'alignent presque toutes dans un même paysage,
Semblent comme des cellules s'engendrer l'une l'autre,
Pouvaient toutes tenir dans un unique musée
Dont l'âme peut faire le tour en une matinée.
Car enfin elles sont courtes, quelques générations,
Et partout se retrouvent les mêmes composantes :
Un pouvoir politique plus ou moins consenti,
Avec ses fabricants de lois, de privilèges,
Qui exhorte la guerre, la justice, et la paix,
Un pouvoir religieux défigurant les dieux
Pour tenir dans ses mains l'aimable stupidité,
Un pouvoir de l'élite qui peut ou non parler
Selon le caractère de chaque société.
Et tandis que certaines ne vivent qu'en tribus
Avec leurs traditions pratiques, indiscutables,
D'autres se mettent à construire des cités redoutables
Dans lesquelles les structures des relations humaines
Se heurtent ou s'effilochent et bondissent en avant,
Entraînant derrière elles des empires répressifs,
Des tyrannies violentes ou des révolutions.


Mais elles formaient toutes des hommes préconçus,
Des femmes attachées aux gestes millénaires,
Des notables assoiffés de stagnation servile,
Un peuple douloureux, occupé à jamais
Par des travaux grossiers profitant aux marchands.
Et elles donnaient toutes les mêmes valeurs aux choses,
Partout ce qui comptait, toujours, c'était la loi.
On disait quelquefois qu'elle nous venait d'en-haut,
D'une puissance mystérieuse inventant les étoiles,
qui façonnait les hommes comme des poupées d'argile,
A qui elle prescrivait un unique mode de vie.
Ou bien on la disait le fait des grands ancêtres,
Qu'à force de légendes on prenait pour des dieux.
Où que ce soit, la loi ressemblait à la loi :
L'enfreindre était un crime, la remettre en question,
La préméditation de ce crime inouï.
La loi était la loi, la déesse de l'esprit
Qui lui offrait des règles à chaque sacrifice.
L'idole sanguinaire brisait les volontés,
Divinité de pierre à qui chaque royaume
Elevait quelquefois d'effrayantes statues,
Des totems titanesques protégeant les tabous.
Et nulle règle, nulle loi ne pouvait comporter
Ce petit addendum qui aurait tout changé :
« N'utiliser que dans des cas particuliers
N'étant jamais valable en règle générale. »


Elle cherchait à cacher sa nature véritable.
Tout le monde la voulait seulement obligatoire
Sans pour autant qu'elle soit vraiment une contrainte.
Mais comme il suffisait de la dire nécessaire
Pour le bien de l'Etat, la loi entérinait
La contrainte innombrable, et la bavure normale,
Et le lourd appareil des abus de pouvoir,
Et l'admirable loi était impraticable,
Elle était trop abstraite pour épouser la vie,
Conçue pour le pouvoir et non pas pour le peuple,
Elle ne savait pas embrasser d'un coup d'œil
Toutes les composantes d'une situation.
Car l'esprit l'avait faite, lui qui n'embrasse rien,
Sauf sa crainte éternelle qui veut tout régenter.


Mais quelle que fût la loi, elle était à l'image
De ceux qui la faisaient, de ceux qui subissaient
Jusqu'à ce qu'ils s'insurgent et en créent de nouvelles,
Pour régir l'ignorance, et contenir la haine.
Protéger tant soit peu l'exécrable Différence,
Et pour organiser au sein de l'égoïsme
Des structures reconnues qui le ramifieraient.


Mais celui qui découvre une nouvelle conscience
N'a plus besoin de lois pour régler sa démarche,
Ne croit plus aux morales, pas même aux interdits,
Et sourit des valeurs qu'on lui soumet encore
Car il connaît que l'Homme peut marcher sans tuteur.
Et il ne préconise ni doctrine ni méthode,
Car il sait – ô combien – que l'esprit récupère
Pour son propre marché les fruits du lendemain
Qui tombent quelquefois d'un grand arbre éternel
Sur le chemin nouveau d'un chercheur tâtonnant.
C'est chaque individu qui doit chercher sa loi,
Avancer par lui-même vers l'inédit ouvrage
D'une vie accomplie dans le secret du cœur.
Mais dès que l'on se penche sur l'histoire des humains,
Une vérité horrible s'avère universelle :
L'homme est trop peu de chose pour se fier à soi,
Il ne peut pour marcher qu'obéir à la loi,
Ou bien se conformer à la première venue
Ou bien choisir entre elles celle qui donne le plus.
Il faut passer par elle ou bien par l'une d'elles,
Choisir si on le peut celle qui convient le mieux.
Mais la Loi véritable n'est écrite nulle part,
Elle ne punit pas, ne récompense pas,
Mais donne à chaque moment ce qui convient le mieux
Pour avancer encore dans son unique voie.
Ainsi l'homme n'est rien, s'écrie la tradition,
Puisqu'au sein des menaces il doit toujours mendier,
Il doit vite marchander à ses divinités
Un moment de répit contre trois sacrifices,
Ou bien c'est au Futur qu'il marchande l'instant
Contre quelques promesses qui justifient ses crimes,
Mais nul n'a jamais dit, ou sa voix s'est perdue,
Qu'il suffisait sans doute d'aimer la Vérité
Pour parvenir au bout des créations humaines
Qui ont fait du grand Rythme un rouage Mécanique,
Qui ont fait de la Loi un système blafard
Où toute récompense cautionne le châtiment,
Où toute erreur petite pénalise la grâce,
Et où le formalisme engendre la contrainte,
Et où l'interdiction sanctionne la liberté.


Car ce n'est pas cela le principe de la vie,
Mais l'homme ne vit encore que par coercition :
C'est le temps qui s'enfuit qui le pousse à miser
Sur une mort tranquille à laquelle il demande
De répondre aux questions qu'il n'a pas su poser.
C'est l'instinct qui le pousse vers toute gourmandise
Pour les attraits du sexe, du pouvoir, et du rêve.
C'est un cœur mystérieux tout au fond de lui-même
Qui le pousse à aimer, à lutter, à combattre
Pour un bonheur plus vaste, une liberté mythique.
Et parce qu'il est contraint par l'ardente Nature
L'homme produit des contraintes pour imiter sa mère
Dans le champ de la vie où l'Histoire la reflète.
Mais dès qu'il s'affranchit de ses propres limites
En découvrant en lui la conscience-témoin,
Toutes les lois deviennent l'image du mensonge
Car elles ne sont pas faites pour l'aider dans sa quête,
Mais pour toute autre chose : le culpabiliser
Aux moindres défaillances, le tenir enfermé
Dans un filet absurde d'idées invérifiables.
Ou bien elle sert encore à maintenir un ordre
Qui n'est jamais un ordre, mais un chaos grimmé.
Et elle est toujours là pour mettre des œillères,
Brider l'individu, le tenir en respect,
Le faire douter de lui, l'humilier si besoin
Pour qu'il sache accepter sa parfaite impuissance.
Et même si nous rêvons de l'abolir soudain,
Nous savons sans erreur que dès le lendemain,
N'importe qui par force serait législateur,
Remplacerait les lois par des choses nouvelles :
Des licences forcées, des fêtes obligatoires,
Et une mise en demeure d'être heureux sans délai.
Et toute barbarie possède sa distinction :
Grâce à elle, elle voit la barbarie partout,
Sauf en son propre empire où il n'y en a pas.


Voilà ce qu'aperçoit le voyageur solaire
Quand il parcourt un peu le grand panorama
Des millénaires bleus, fastidieux, rutilants.
Et s'il lui semble parfois qu'une obscure conscience
Favorise sciemment l'ignorance et le mal,
C'est là qu'il la pressent, dans la magie des lois,
Dans cette façon immonde de ne parler des choses
Que pour en un clin d'œil les rendre inaccessibles.
Elles suscitent l'appétit de la chose qu'elles éloignent,
Qu'il s'agisse de Dieu – dans toutes les religions
Perverties par l'église et la bureaucratie –
Qu'il s'agisse plutôt de l'unique Liberté
Qu'on présente toujours comme le fruit ultime
D'un système de contraintes qui ne peuvent finir.
Là est l'étrangeté et la source de l'horreur,
Là se cache le diable, dans cet enfer de lois,
Qui font de l'homme un être soumis à son destin,
Et astreint sans merci au cycle du mental,
A moins qu'il ne parvienne à être un rebelle
Qui finira un jour par forger d'autres lois
— Aussi rébarbatives, odieuses, intransigeantes,
Pour s'opposer à celles contre lesquelles il s'insurge.





Le bruit mouillé des rêves sur l'horizon du temps,
A toujours apporté les nuages et la pluie
Sur les institutions aux tribunaux avides.
On attendait sans cesse des déluges d'Esprit
Pour remplacer les lois par un ordre léger,
Et pour changer les grades des hiérarchies mentales
Par une belle cascade de fonctions imbriquées
Dans une unique joie qui embrasse l'ensemble.
Et tous les prisonniers gardés arbitrairement
— Parce qu'ils s'étaient un jour élancés vers le Vaste
Menaçant quelquefois les pouvoirs établis,
Imploraient en silence une juste Divinité,
Ni céleste, ni humaine, et encore dans l'enfance
Qui seule pourrait un jour abroger des bourreaux
L'investiture sacrée dans les cités obscures.


Pourquoi tant de douleur, était-elle arbitraire ?
Non, l'homme souffrait toujours de ne pas voir le Fait,
Il en faisait sans cesse un prétexte à juger,
Soit parce qu'il l'approuvait étant dans ses idées,
Soit parce qu'il condamnait sa marginalité.
Mais il n'aimait pas voir que rien d'accidentel
Ne pouvait subvenir dans toute politique,
Que la moindre rébellion était une expansion
Revendiquant le sens d'une liberté nouvelle,
Que le moindre scandale et la moindre critique
Visaient obscurément la cible de l'avenir
Plutôt qu'être conformes aux structures déplacées,
Maintenues dans les faits par la loi répressive
Flattant habilement la paresse de l'esprit,
Le vice de l'habitude, le sommeil routinier,
L'apriorisme bleu des conforts indigènes,
Et le triomphalisme des règles bafouées.


Non, l'homme n'aimait pas voir du Fait la signifiance,
Telle qu'elle se présentait à l'impartial témoin:
Décidé à comprendre plutôt qu' interpréter.
Celui qui embrassait en son sein innocent
Cette conscience immobile par-delà l'arbitraire.
Celle qui fait de vous un fou aux yeux des hommes
Parce que vous agissez rempli d'autres motifs.
Celle qui donne à toute chose une place différente
Que celle octroyée par les mobiles courants.
Et il fallait partout rechercher les filières
Par lesquelles remplacer l'unique valeur des choses
Et leur secret, par l'invention bavarde
Qui ravissait les trafiquants du Sens
Et excitait l'envie des acheteurs d'espoirs.
Et partout s'inventaient des significations
Qui ne révélaient plus l'orientation des choses,
Mais qui les emballait dans un discours facile,
Edifié à l'avance pour ne retenir d'elles
Que ce qui convenait à une faible logique.
Ainsi chaque mouvement était récupéré
Par une vision d'ensemble qui l'avait précédé
Afin que s'élabore un consensus flou,
Une grammaire commune concernant les valeurs
Une mode obligatoire bannissant l'exception,
et méprisant les actes surgissant hors des lois.


Ainsi se dessinait une prédominance.
Ainsi s'échafaudait une Conformité
Issue d'accords vieillots sur la marche du peuple,
De coutumes usées par trop de rituels,
Crachée par l'empirisme des structures politiques,
Et les secrets mélanges des influences entre elles
Qui unifient un jour, divisent le lendemain,
A l'insu des rêveurs du même quotidien.
Alors les mêmes choses changeraient-elles de visage
Selon qu'elles étaient vues d'ici ou bien de là,
Et plutôt que chercher leur véritable sens,
Les hommes justifiaient leur propre point de vue
Au lieu de faire le tour des choses discutées
Afin d'appréhender un nouveau contenu,
Qui ne pouvait entrer dans aucun plan prévu.
Le passé ligotait le présent et creusait l'avenir.


Ou bien rien n'existait selon sa propre essence.
Mais tout apparaissait selon le seul usage
Que l'on pouvait en faire pour épouser la ligue
D'une doctrine à la mode. Renforcer une main-mise,
Dénoncer un obstacle, étayer une thèse.
Tout était rétrograde, tout était subversif,
Selon qu'on approuvât les choses établies,
Selon qu'on fût soumis ou qu'on s'interrogeât.
Et tout était une arme pour se mettre à lutter :
La parole, la révolte, l'ascèse, la réflexion,
L'exil, ou le dégoût ou bien l'aspiration.
Tout était bouclier pour parer au futur :
La norme, la crainte, la volonté des dieux,
L'habitude, la raison, le danger, l'incertain.
Ainsi s'équilibrait la friction éternelle
Entre un seul mouvement qui avance sans frein
Et l'insistant pouvoir qui dure par force d'inertie.
Et par ce heurt constant le monde évoluait,
Toujours obnubilé par ses hésitations
Entre un risque nouveau attaquant l'étroitesse
Et le goût des formules qui préservent les lois,
Accréditant le passé, réveillant son cadavre,
Et justifiant un dogme en dépit des symboles
Qui s'en sont échappés pour élargir leurs sens.


Dans la rigidité des structures établies
Couvait l'aspiration pour un pouvoir flexible,
Capable de régner sans se faire redouter,
Susceptible d'aider plutôt que de punir,
Prêt à toute critique et à l'auto-censure.
— Ce qui manque au régimes politiques.
Jouant aux matadors dans l'arène des âges,
Applaudis par la foule des peuples opprimés,
Pour jouir du temps qui passe dangereusement,
Tous les tyrans étaient des enfants trop gâtés.
Et que la haine fût entretenue ou non,
Elle était l'étincelle issue de la friction
Entre le marbre noir des règles policées
Et les pierres pragmatiques des nouvelles Idées
Qui annonceraient vite les modifications
Dans la loi du Futur qu'on voulait maîtriser,
Avec des procédés archaïques ou simplistes.


Mais elle était aussi, la loi rébarbative,
Le chemin par lequel le groupe s'édifiait
En inventant un code du partage souhaité
sur la base enfantine reconnue par l'ensemble
Donnant la cohérence aux mouvements du clan,
Aux grands rassemblements dans les cités bruyantes
Qui cherchaient un langage qui fût connu de tous.
C'est dans une loi juste imaginée sans fin
Qu'on poursuivait sans cesse le sentiment altier
D'une identité d'or, d'une race rassemblée
Par la saveur commune d'une vision de la vie
Mélangeant à l'obscur destin patriarcal
Le goût du sacrifice accompli dans la joie
Et la satisfaction du devoir sanctifié.
Car la nomenclature des choses à accomplir
Apportait avec elle le sens d'une perfection,
L'image rassurante de cibles quotidiennes,
L'enfantine émotion de chercher à bien faire
En dépit d'une conscience néophyte ou distraite.
Et quand les choses à faire viennent de s'accomplir,
Sans hâte ni emphase, sans drame ni amertume,
L'individu peut jouir d'une satisfaction claire,
Tel un oiseau planant dans une heure éternelle
Suspendue au-dessus des routines dressées,
Grossières mais nécessaires à la survie de l'homme.


Un repos, éperdu d'une minute sublime
Jaugeant l'inaccessible à travers un progrès,
Couronnait le labeur déployé dans le jour,
Et comme la liberté pousse dans les contraintes,
L'homme au-delà des lois poussait dans l'homme soumis
Que ses tâches épuisaient en s'y perfectionnant.
Il en cherchait toujours de plus invraisemblables,
plus complètes et risquées, aiguisant le génie,
Demandant des ressources de plus en plus profondes.
Car celui qui connaît par son calme, trouvait
L'exactitude des règles qu'il suivait
Peut déboucher un jour sur un autre chemin:
Au-delà des contraintes, au-delà des licences,
Où aucun garde-fou n'a lieu de fonctionner,
Car il connaît du pas la totale mécanique
Et peut alors créer une nouvelle gymnastique
Au diapason d'un souffle qui connaît l'air entier
Dans un corps merveilleux à l'esprit dépassé.
Alors plus rien n'empêche le conquérant du Vrai
Qui s'en va au-delà des préceptes établis
Parce qu'ils sont parcourus et ont tiré leur sens
De s'en aller là-bas vers d'autres libertés,
Ou vers d'autres contraintes, ou d'autres choses encore,
Sur le seuil interdit d'un monde inexploré
Où sans danger s'avance le vainqueur de la mort.


A jamais ineffables, déterminées par rien,
Nous attendent encore des contraintes magiques,
Des épreuves charmantes que nous lance notre Dieu,
Qui nous hisse parfois avec notre liberté
au-dessus des chimères obligatoires des lois.
Et si celui qui a chéri une obédience,
Peut un jour s'en défaire comme d'une simple opinion
Devenue inutile dans le cours de la vie,
Soit pour en prendre une autre, soit pour la dépasser,
Et devenir son maître, son guide, et son ressort,
Ce qui l'attend bientôt est au-delà des règles,
Comme une simple évidence qui ne démontre rien.
Mais il arrive aussi que d'insolents rebelles
Se mettent à marcher dans l'Harmonie entière
Car ils ont évité de la Loi le fardeau,
Ont cru vivre sans principes au-delà des valeurs,
Mais ils peuvent rarement sans bientôt trébucher
Rester sur le fil d'or d'un suprême équilibre.
La patience leur manque, ou le respect civil,
Ou bien le sens caché qui dans la discipline
Anime la liberté dans le for intérieur,
Et toute soumission à un ordre plus grand
Est un moyen rapide pour pouvoir l'embrasser,
Si cette soumission commet le sacrifice.
Et celui qui peut faire à une loi divine
Une offrande attentive d'actes insignifiants
La connaîtra bientôt sans s'être révolté
Contre l'aspect obscur de l'entité des lois :
Cette générale autorité rigide,
Indépendante de la vie, incoercible,
Comme le prolongement de la puissance brute
Dans la matière subtile d'un Mental figé
Qui du singe debout organise les peurs.
Elle avait sa fonction, cette loi toute-puissante,
Celle de chien de berger, de greffier inlassable,
Qui rassemblait des êtres autour du même jeu,
Transmettait les valeurs qui cimentait le groupe
A travers les époques par l'image du sang,
Comme pour entretenir la santé de la race
Et sa pérennité en chantant les tabous,
Et en louant les ordres d'un dieu inaccessible.
La loi sortait du mythe pour qu'il soit efficient
Ou bien elle l'engendrait pour rester efficace.
Et elle était miroir pour tous les caractères.
Certains l'utilisaient remplis de rectitude
Et parfois ils allaient au-delà de ses formes
Découvrir son principe caché dans l'invisible :
La loi n'était rien d'autre qu'une façon décisive
Un type de relations qu'il faut entretenir
Avec le monde entier pour vous donner la place
Qui doit vous revenir tout au bout des contraintes.
La loi voulait montrer mais elle emprisonnait.
Et les hommes toujours défigurant les choses
Avaient foulé aux pieds son véritable sens.
Car la loi véritable se découvre elle-même,
Elle est à l'intérieur des choses qu'elle anime,
Infaillible secret caché au plus profond.
Et la loi de l'oiseau est dans son vol muet,
Et la loi du soleil est dans le soleil chaud,
Comme la loi de l'Homme est dans l'homme lui-même,
Délivré des palais habités par ses dieux,
Délivré des chimères aux ordres de ses rêves,
Délivré des prisons aux ordres de l'esprit.




Et qui voit dans le corps un tas de lois anciennes
Désespère, légitime, de pouvoir le changer,
Tant de rites ancestraux ont établi la crainte
Au cours des millénaires envoûtés par la soif,
Tout le désir aveugle a logé son empire
Pendant dix millénaires dans le sexe et l'esprit.
Mais il peut arriver au précurseur sincère
De sentir une grâce abolir les décrets
Qui présidaient encore aux réactions multiples
D'un corps héréditaire au cerveau reptilien,
Aux calcifications d'un squelette si ancien
Qu'il semble anachronique au temps électronique
Où l'homme dans une chaise vit par son seul cerveau.
D'immémoriales séries peuvent un jour s'effriter,
Révèlent dans le corps une perception nouvelle,
Un arcane qui s'ébauche pour plus de complétude
Un ananda qui germe vers plus de plénitude.
Car des lois plus petites débouchent sur de plus grandes,

La vie ne se révèle qu'au-delà des formules,
Dans l'expérience d'or d'un bain divin et chaud.
Là, si rien n'est prescrit, si rien n'est interdit,
Une liberté complète fixe ses propres limites
Pour être reconquise par l'ascèse personnelle
Qui cristallise le sens d'une démarche infinie.
L'errance serait mortelle, l'automatisme aussi,
Dans un homme lourdement héritier de l'Histoire.
Mais là, un sourire, inexprimable, immortel,
Désigne sans équivoque l'unique obligatoire :
S'élancer à jamais vers de nouvelles lois,
Provisoires, éphémères, simples comme des trajets,
De plus en plus profonds dans un temps sans limites,
Et de plus en plus vastes comme de grandes racines
De lumière éternelle dans l'espace sans fond.
Elles contiennent chaque fois une bleuté plus grande,
Acceptant en leur sein plus de diversités,
Et comprennent en leur ordre les ordres plus petits
Tous superposés dans le Moment Suprême
Qui n'obéit à rien, à qui tout obéit,
Obscurément peut être ou bien secrètement
Pour permettre une vaste variété de contraires.
Là, un mouvement immobile embrasse à tout jamais
Les errances, les contraintes, les déterminations,
Et les élans sacrés venus de l'Improbable
Qui permettent aux espèces d'évoluer sans fin.

4 Les deux voluptés



Deux voluptés puissantes se partagent le Monde
Dont l'une lutte vaillamment pour sa cause et sa gloire
Tandis que l'autre n'embrasse que l'Immensité.
L'une sort de la Nature et s'élance et capture
Des jouissances variées, insoumises, rassurantes.
Et ce besoin construit une panoplie d'armes
Pour arracher au temps, miroir de l'Infini,
Des morceaux de plaisir et des lambeaux d'extase.
L'autre cherche à fondre comme un morceau de miel
Dans la bouche du soleil pour s'étendre à jamais.
L'une s'émousse facilement et pour durer encore
Doit s'inventer sans cesse des raccourcis plus longs,
L'autre n'a pas de poids et elle vagabonde
De silence en silence jusqu'au rythme éternel,
S'identifiant sans cesse à des choses nouvelles
Jusqu'à ce qu'elle devienne son propre mouvement
Et embrasse l'Inconnu comme s'il était elle-même.


Notre corps nous enjoint de goûter la première
Révélant des abîmes de plaisirs corporels,
Impérieux et discrets qui plagient l'Harmonie
Par des bonheurs violents menacés par un rien.
L'autre ne prend plaisir qu'à servir la Lumière,
A chercher sans méthode la faille du mensonge
Pour découvrir sans cesse d'insoupçonnés élans
De l'âme mystérieuse vers l'esprit versatile.
L'une poursuit des images de plus en plus puissantes
Qui l'attirent à jamais vers des luxures distantes,
L'autre souffle dessus le Désir et la Peur
Jusqu'à ce qu'elle retrouve l'aspiration tranquille
D'épouser par Amour l'éternelle conscience.
L'une bondit sans cesse vers de nouvelles proies
Qui semblent contenir la forme de la Vie,
Cette insolente Beauté qui joue à s'échapper
Dans un passé meurtri ou un futur blessé.
L'autre attend silencieuse l'embrassement suprême
Détachée de son but, éprise du moment,
Contente de goûter l'infime vérité
Ou la symphonie d'or d'une extase impeccable
révélant un sourire au fond des désespoirs.


La première a servi les beaux envoûtements
Des bonheurs amoureux arrachés à l'espoir,
Elle a concrétisé des destinées sublimes
Parvenues à sortir des étouffements bleus
Des règles du milieu, du code de l'esprit.
Elle a porté aux nues l'épanouissement
De l'ego astucieux dans la clairière du temps.
Elle a permis de jouir dans l'Univers sensible
D'idéaux arrachés à la soif de l'amour.
Elle encourage le goût des délices divers
Qui scellent parfois entre eux d'étranges pactes d'alliance.
Mais elle fit du bonheur une denrée supérieure
une frontière moelleuse entre le Vrai et l'Homme,
Sur qui ont spéculé les marchands d'illusion.
Cet amour de la vie, cette volupté du corps
élargit quelque peu le champ de la conscience
En démocratisant le droit à la jouissance,
Mais quand certains s'arrêtent aux bulles enivrantes
Des bonheurs sur mesure et des vices normaux,
D'autres poussent plus loin le goût du sans-limites.


De l'infini figé séduit le faux dévot
Des jouissances profondes, déçu par ses idoles.
Il se met à vouloir franchir l'Infranchissable
Dans l'ascèse du Mal qui devient sa maîtresse.
Des phantasmes cosmiques agitent les puissants
Qui s'ennuient à mourir dans leurs licences usées
Et les meilleures maniaques défient la Création
Dans leurs crimes magiques qui servent la terreur.
Tout s'articule autour d'une soif inassouvie
D'éternelle transparence pour qui chacun éprouve
Une nostalgie divine. Et toutes nos bassesses
Sont une invocation, comme un chantage fou à la Divinité
A qui par amertume nous aimons reprocher
D'avoir caché les règles du Jeu de la Conscience.
Des plus fervents péchés jusqu'aux péroraisons
Sur l'avenir divin, une seule aspiration
— Comme une mélopée somnolente ou brûlante,
Comme une incantation capricieuse ou rêveuse,
Exigeante ou timide, enthousiaste ou forcée,
Cherche à brûler d'un feu que rien ne peut éteindre.


Les débauches essayaient d'arracher par excès
Le suprême repos aux fatigues inlassables,
Les ivresses chimiques cajolaient la Matière
Pour lui faire avouer un secret déroutant,
Les guerres accomplissaient le grand rite de l'action
Qui offre la violence en sacrifice au Mal
Dans l'espoir insensé qu'il se rassasiera.
L'ambition du bonheur frappait à tout jamais
Les monnaies disparates dans le moule du Progrès.
Chaque veule ambition trouvait des alibis
Dans l'avenir sacré ou le sens de la Vie.
Une énorme méprise sur le pouvoir humain
Permettait aux drapeaux de justifier le Ciel,
Et à la charité d'accepter la misère,
Et à l'intention juste de tolérer le crime.


L'homme se gavait toujours de vains desseins grandioses
Qui masquaient à jamais sa franche inaptitude
A vivre pour autre chose que sa propre personne.
Et le temps impartial nourrissait magnanime
Les haines rébarbatives et les âmes chétives
Distribuant aux hommes une voie sous leurs pieds
Pour qu'ils s'amusent sans cesse à de nouveaux chemins.
Mais chaque chose bifurquait vers son propre contraire
Dès qu'elle parvenait à sa maturité
Pour qu'elle puisse repartir vers un plus grand élan
Dès sa chute subie comme pour l'encourager.
Ainsi tous les désirs et toutes les frustrations
Viennent d'une seule source qui dans son mouvement
Recherche son origine. Parfois les doux plaisirs
Ont apaisé le corps, quelquefois ils l'entraînent
Vers de nouvelles jouissances encore inaccessibles
Qui requièrent un esprit tendu comme un archer
Juste avant de tirer pour être possédées.


Et rare est l'équilibre qui n'arrête pas la Vie
Aux plaisirs répétés du corps et de l'esprit.
Le bonheur diminue dès qu'il cherche à s'accroître
En convoitant encore quelque chose qui lui manque,
Inutile la veille, maintenant désirable,
Demain indispensable comme un fait accompli.
Mais toutes ces douleurs engendrées par l'espoir
D'étreindre davantage finissent par disloquer
Le mythe du futur, l'image du besoin
Quand elles aperçoivent un repos spontané
Dans la calme jouissance d'une vie pondérée.
Alors le temps s'annule en un moment parfait
Qui brûle les vieilles choses et appelle les nouvelles
Et s'étend clairvoyant jusqu'aux aubes prochaines.
Une autre volupté qui n'a pas d'origine
Et qui n'a pas de fin commence à apparaître.
Elle ne vit que pour Lui, Mystère conscient du monde
Dont elle sent la présence même dans l'Insaisissable
Et malicieuse elle jouit de ne plus éprouver
Pour les belles tentations qu'une tendresse maternelle.
Intrépide, une délicate ivresse l'anime
Qui puise sa gaîté dans la limpidité
De sa vision d'ensemble où chaque acte est perçu
Comme l'effet unique de tous les autres ensemble.


Alors tout se remplit du nectar primordial,
Une atmosphère pleine d'inépuisable joie
Comme la cause suprême de toute l'existence.
L'amant devient le bien-aimé, un seul Etre
Eternel se contemple Lui-même à travers
Le cristal d'un minuscule point parvenu
Par le don de soi-même à connaître l'Amour.


C'est une volupté immense, inaltérable,
Elle aime se rendre compte qu'elle ne pourra jamais
Imposer de limites à son propre mouvement.
Elle aime l'Infini qu'elle n'épuisera pas,
Et elle Le reconnaît sous des formes multiples
Qu'Il a improvisées pour se laisser trouver
Par sa jeune maîtresse, l'âme de l'homme sincère
Joyeusement tournée vers le mouvement vierge.


Ô Douleur! Tu prépares d'intolérables extases
Qui viendront assister à ta fière agonie.
Ô Jouissance! Tu annonces d'intolérables délices
Qui se passeront des émotions des sens.
Nous serons tous bercés par un flot d'intuition
Qui nous redonnera une confiance d'enfant
Dans l'inconnu multiple aux vives séductions
Qui nous appellera hors des sentiers battus.
La volupté sera d'être conscient de tout.
Une lucidité spontanée et sans but
Sans aucune limite enchantera sans cesse
Les neurones réceptifs libérant les mémoires
Pour trouver d'autres goûts à la saveur du jour
Que celui que connaissent les nerfs héréditaires.


Jouir était leur idole et souffrir leur enfer
Et l'esprit mécanique dépendait de la peur
Enfouie dans l'inconscient comme une mémoire brute.
Où il imaginait des sensations subtiles
Qui transmettaient aux nerfs des désirs mirifiques
S'installant sans vergogne dans l'appétit sournois
Des lendemains étranges. Et le désir malin
Savait changer de forme pour pouvoir subsister
Quand l'esprit arrogant osait lui imposer
D'abandonner le corps. Il semblait acquiescer...
Puis revenait soudain frapper à notre porte
Déguisé en ascète, en moine ou en mendiant.
Fidèle à lui-même, il jouait bien son rôle
Pour qu'il soit impossible qu'on puisse le reconnaître,
Sous ses airs de censeur jouissant de censurer,
Sous ses airs puritains jouissant de se frustrer,
Sous ses airs détachés jouissant médiocrement.
Il est superbe et souple Le Maître de l'Illusion.
Il nous fait adorer un Dieu qui nous ressemble,
qui nous fait désirer des lendemains meilleurs
Afin que leur image nous masque aujourd'hui même,
Qui nous fait désirer des Illuminations
Pour en faire des conforts garantis immortels,
Qui nous fait désirer l'absence de désir
pour voir si nous aimons tricher autant que lui.


Ô douce volupté, ô ardente compagne,
Tu fus le feu chétif aspirant à brûler
D'une flamme sereine qui t'est inaccessible
Car tes plus beaux élans jouissent toujours trop d'eux-mêmes
Pour aller au-delà du Ciel des étoiles.
Tu fus charmante et fière, insolente et têtue
Et tu donnais au corps des leçons d'Infini
Mais qu'il prenait sans doute pour une récompense
Des cours impitoyables qu'il faisait à la Vie.
Car nous sommes guidés vers la Béatitude
Et les plaisirs des sens l'anticipent à jamais,
Mais un jour ils deviennent des vases trop petits
Pour contenir le miel de l'Unique Volupté
Qui s'empare du yogi pour ne plus le quitter.


C'est ainsi que la Terre a pu séduire le Ciel
En lui donnant des hommes détachés des passions
Et qui trouvaient en eux l'impersonnelle force
Qui voit les relations exactes entre les choses.
Mais la Terre est active comme une mère au foyer
Et elle demande au Ciel d'envoyer de ses fils
Pour qu'ils trouvent leur âme enfouie dans la Matière
Et se décident enfin à transformer la Terre.
Ils ont appris là-haut la volupté tranquille
Des immensités blanches, immobiles et sereines.
Mais la Terre éprouve toutes les intransigeances
Des mouvements brutaux, des passions dévorantes,
Des cœurs n'en pouvant plus d'émotions douloureuses,
Des nerfs déchiquetés par des chagrins cosmiques,
Et sa seule volupté c'est de tendre à jamais
Vers la propre explosion de toutes ses limites.


Epanouie alors, reposée, bienveillante,
Elle découvrira qu'elle portait en son sein,
La clef des gestations qui mènent à l'Eternel.
Elle ne regrettera plus ses immondes souffrances
Ni ses rêves de bonheurs restés inachevés,
Elle ne rougira pas de toutes ses bassesses
Ni de ses caprices gauches et insensés.
Elle n'aura qu'un sourire compatissant
Pour tous ses holocaustes destinés par mégarde
A quelques dieux obscurs qu'elle a imaginés.
Et tous les souvenirs des anciennes jouissances
Viendront lui rappeler son enfance docile
Attachée à la Vie, attachée à la Mort.
Alors elle s'élancera vers de nouveaux abîmes
Qui lui révèleront une autre volupté,
Sans mélange, sans contraire, et sans prédilection.
Amoureuse de Dieu et L'étreignant sans cesse
Sans même Le retenir. Pour jouer avec Lui,
Elle Lui fera comprendre qu'Il peut même S'en aller,
Qu'elle L'aime pour Lui-même, non pas pour Sa Présence,
Mais Il restera là, la couvrant de baisers
Appréciant son sophisme comme une vérité.
Le Désir est l'amant de la Mort si ancienne
Qu'on la croit à jamais souveraine de la Terre,
Mais une volupté neuve qui ne vit que pour Lui
Pourra bientôt changer la destinée du Monde
Si les hommes se penchent sur leur propre conscience
Au lieu d'énumérer les étoiles du ciel.


Car toujours vers dehors nos rêves nous attirent
Comme si l'esprit têtu cherchait à s'évader
Au lieu de reconnaître ses profondes limites
En osant pratiquer l'insondable regard
Dirigé vers lui-même par la concentration.
Celui qui peut plonger dans ses propres abysses
Observant impartial ses mouvements fantastiques
Découvre une joie austère mais pleine d'imprévus
Qui le porte à connaître d'inexprimables moi
Qui se tenaient cachés comme des épouvantails
Dans le champ de la nuit, intelligences grises
Effrayant les oiseaux des petites vérités
Qui viennent becqueter dans la terre de l'oubli
Des souvenirs anciens pour les transfigurer.


Car tout peut se revivre d'une façon nouvelle
Qui libère le passé assis sur la douleur
Et soigne les blessures souvent dissimulées
Dans des recoins obscurs où l'esprit n'ose aller.
Une fuite en avant innombrable et perplexe
Caractérise l'esprit voluptueux du moi.
Mais quand tout cela cesse par un baiser divin
Ou par le clair travail d'une seule aspiration
Les anciennes souffrances se revivent plaisamment
Et l'être découvre enfin un mystère fabuleux:
Elles étaient le chemin imposé mais précieux
Pour arriver serein au calme Intemporel.
La Vie ne fait plus peur, plus aucune menace
Ne peut se présenter et effrayer l'esprit
Puisqu'il sait reconnaître dans l'épreuve imprévue,
Le difficile obstacle, la fatigue sans mesure
Un sentier scintillant qui livrera plus tard
Les cimes inattendues des sommets enneigés.


Car il y a toujours un signe à déchiffrer
Dans l'implacable fait qui fait semblant de nuire.
Une absolue confiance engendre d'autres jouissances.
Et rien n'a jamais nui, si ce n'est l'esprit qui ne pense qu'à lui.
Une seule chose le déroute,
Une volupté plus grande que celle qu'il imagine,
Une seule chose le soumet, qu'on lui sourie sans cesse
Sans croire à ses chimères, sans croire à ses angoisses.
Alors il abandonne ses tergiversations
Et se tourne désoeuvré vers son maître sublime,
Une âme minuscule qui passe inaperçue
Dans le grand brouhaha des idées au galop.
Elles aussi aiment jouir de ce qui leur est propre
Et se laissent caresser par l'esprit hésitant
Jusqu'à ce qu'elles lui donnent des mobiles pointus,
Des doctrines acérées, des armes de combat
Pour conquérir la gamme des bonheurs cohérents,
Autarciques, bien-pensants, caricatures abstraites
Déformées, perverties, d'un Infini vivant.


Mais peut-être qu'à travers ces miroirs infidèles
Le mental archaïque se détourne de lui-même
Et commence humblement à aspirer au Tout.
L'esprit n'est pas le lac, il en est le reflet
Il transpose les choses qui viennent toujours d'ailleurs
Et il hésite encore entre les refuser ou bien les arranger,
Affairé et mesquin, zélé, inefficace.
Parfois il lui arrive de salutaires folies
Parce qu'il se prend au piège d'être conscient de lui.
Abyssale jouissance! Il tourne en rond, inquiet,
Comme une bête sauvage enfermée dans la cage,
Ne sachant toujours pas s'il s'en veut de tourner
Sans espoir évident ou si par liberté
Il s'en prend aux barreaux. Ô délicieux conflit!
Il souffre d'imaginer qu'il pourrait s'envoler
Car il ignore le vol, mais l'image de l'envol
Est comme la promesse d'une jouissance indomptable.
L'esprit est l'animal sans corps, puissant et souple
Qui veut toujours saisir des territoires plus grands
Qui nourrissent sa soif, son délire et sa joie.
Mais il ne touche rien sinon son impuissance
Et si, brillant vaincu il accepte son sort,
Il voit que l'Infini, son vainqueur délicat,
Lui offre à tout jamais son grand terrain de jeux.
Délivré des cuirasses inutiles et pesantes
Oublieux des concepts ces flèches sans cible
Il court comme un enfant amoureux du mystère
Et il le percera en jouant, bienveillant et candide,
Abandonnant enfin ses savantes cabrioles
Pour la simplicité d'un mouvement sans limites.
Aussi évolue-t-il de jouissance arbitraire
En dévotion profonde jusqu'à ce qu'il découvre
L'Itinéraire sacré d'une volupté sans bornes,
Parfum d'une conscience qui embrasse les mondes
Dans son immensité éclatante, effroyable
Pour l'homme, trop petit, trop étroit, trop rapide.


Mais le parfum est là, nectar de connaissance,
Vibration infinie d'un futur reculé
Qu'il suffit d'attirer par l'ascèse solaire,
Sur la Terre douloureuse qui commence à sourire.
Partout se lèveront d'impeccables yogis
Adorateurs lucides d'un Infini croissant,
Détachés de la Mort, de l'Immortalité,
En un instant seulement ils pourront transformer
Le visage du Monde et le ressusciter.
Car ils sauront vraiment que Dieu est aussi l'Homme,
Gravissant les époques, chantant les millénaires,
Utilisant le temps comme outil primordial
D'une Perfection en marche qui s'avance d'elle-même,
Apprenant sa démarche toujours de mieux en mieux
Afin d'être certaine de cesser nulle part son ascension magique
Pendant sa longue route qui traverse les cycles.