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Méditation quantique

Présentation parlée
de la Méditation Quantique


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INTRODUCTION
Le paradigme de la méditation quantique.

Sous prétexte de caractériser la voie qui mène à l'Illumination, confondue avec une connaissance ultime, les voies traditionnelles du passé énonçaient des interdits et préconisaient des comportements obligatoires qui maintenaient dans un registre d'expériences convenues. La méditation quantique propose un balayage exhaustif de notre ressenti, de notre vécu, de notre moi et de l'image qu'il se forme de lui-même, et enfin de notre moi subliminal, la partie la plus profonde de notre être où le Divin exerce déjà son pouvoir, bien que nous n'en ayons qu'une expérience limitée.

L'adepte spirituel qui cherche à adopter une conduite trop précise pour se confronter au mystère de l'existence, finit par déterminer lui-même les vérités qui l'arrangent et les erreurs qui le gênent, et, finalement, son esprit ne s'attaque jamais aux angles morts. Il crée des ornières nouvelles, sans doute supérieures, et invente des œillères plus larges, mais cela est insuffisant pour parvenir à un éveil authentique. Jusqu'à présent, les enseignements traditionnels étaient trop détachés de la vie concrète, à laquelle ils opposaient une «vision», et tout le vécu devait se conformer au moule proposé, de gré ou de force en quelque sorte. Enfermé dans une dogmatique, le moi manipule les critères de la méditation, et en manque le pouvoir absolu. Naturellement, cette attitude n'est pas volontaire, mais voulue par le descriptif de l'enseignement à suivre, qui force le mental à louer certains progrès, et à blâmer certaines habitudes, sans pour autant que le centre de l'esprit, ou sa source, le Soi, ne puisse être atteint, à cause, justement, des dualités perpétuelles qui se font jour entre le cheminement supérieur à suivre et le vécu pétri d'habitudes matérielles.

Le pratiquant de la voie intégrale choisit la méditation cardinale, que nous allons exposer dans ses principes, pour épouser l'itinéraire dépouillé de toutes formes particulières, celui qui s'attache à explorer le réel avant d'en juger les caractères, ce qui ne serait fondé que sur le passé. Mû par une aspiration profonde à participer dans une intégrité suprême à la totalité, le méditant commande à son esprit de ne plus s'emparer de ce qu'il saisit pour l'interpréter comme convenu dans le fil de sa mémoire et de ses préjugés. Il commence à se méfier de la pensée, sans pour autant éprouver pour elle le moindre ressentiment, puisqu'elle fait encore partie intégrante de son être, et qu'il doit la considérer à part entière comme un de ses propres organes. Cette méfiance de principe, détachée et sereine, paradoxale mais qui s'apprend, ouvre sur différents univers qui se manifesteront à travers de nouvelles procédures d'intelligence, le cerveau étant tout à fait capable d'interpréter des modes vibratoires plus subtils que ceux de la pensée qu'il génère, et qui produisent des perceptions nouvelles. Pour donner une image simple, la pensée subsistera, mais elle sera perçue par un autre pouvoir au moment de sa manifestation, une conscience difficile à caractériser et à transmettre, mais qui peut se faire jour de l'intérieur.

Sur ce point, la pratique des quatre Mystères, ou méditation quantique, demeure conforme aux prédicats des enseignements traditionnels de l'Orient. Il s'agit bien de mettre l'individu aux prises avec ses propres représentations, puis de le pousser à voir qu'elles sont issues d'un éventail de conditionnements divers, comme autant de filtres empêchant la saisie de la réalité pure dans le moment même. C'est pour assurer la survie du spécimen humain que le cerveau associe la perception vitale, celle de l'énergie de vie, et la perception mentale (pensées ordonnées) pour permettre au Moi de saisir en permanence les dangers et les opportunités qui l'entourent. L'excessive rapidité de la pensée constitue donc une survivance du monde animal dans l'être humain en quête de son devenir spirituel, la production de la pensée abstraite se tissant instinctivement avec la conscience vitale du corps dans la même résultante, qui renseigne sur l'environnement à chaque instant. Si le chercheur ne convient pas que la pensée l'encombre et se mélange aux sensations, ne reconnaît pas qu'elle est une sorte de prison pour le faire réagir en permanence aux sollicitations du monde extérieur, il ne peut pas aspirer à la vastitude du non-mental, ni pressentir les immenses satisfactions que la conscience peut éprouver quand les intuitions supérieures enchaînent les perceptions d'une manière entièrement nouvelle.

Certes, l'exploration du Moi ne guide pas par principe vers le bleu, la nacre et l'or des horizons spirituels avant de plonger le sujet dans la structure du subconscient, où le rouge de la violence et du désir est profondément enraciné dans des territoires archaïques, où le noir de la mort et de l'obscurité ressurgit parfois pour ensevelir les aspirations solaires dans la loi du passé, et c'est justement afin de faciliter ces voyages de la conscience dans les domaines qu'elle a créés que nous mettons à la disposition des chercheurs la méditation quantique, ou cardinale, qui consistera à explorer les quatre champs fondamentaux où s'exprime notre réalité. Bien qu'il s'agisse de la même chose, nous désignerons par méditation quantique le moment passé à se laisser entraîner au fil des associations dans les quatre champs, dans n'importe quel ordre, tandis que la méditation cardinale constitue le projet de s'en tenir à l'exploration d'un seul des quatre Mystères, en adoptant d'ailleurs, la position physique adéquate, différente pour chacun, décrite à la fin de l'ouvrage.

Une fois ces champs décrits, nous comprendrons que chacun possède une juridiction particulière, une finalité qui lui est propre, ce qui nous contraindra à rassembler leurs perspectives singulières en une seule approche, équilibrée par l'investigation. La méditation découvre la lutte plus ou moins avouée ou sournoise entre les quatre zones fondamentales, que nous appelons Mystères, pour comprendre les enjeux et trancher, tout en découvrant un espace illimité de contenus psychologiques tirés du subconscient et du supraconscient.

En fait, il est aujourd'hui certain que la structure de la vie possède ses propres lois dans l'organisme cellulaire, et que ces règles, issues de l'évolution de la matière, ne collaborent pas à l'envol de l'âme vers la connaissance ou le Divin, mais qu'elles déterminent au contraire des types de cristallisation de pensées archaïques, au service de l'appareil biologique, nous forçant parfois à utiliser des réactions animales en guise de réponses, ou nous inspirant de conserver des habitudes dont l'abandon serait propice à une meilleure adaptation. Mettre des bâtons dans les roues, présenter de nombreux obstacles à la démarche solaire afin que celle-ci trouve sa propre force dans le dépassement même des limites qui lui sont imposées par les contraintes de l'enveloppe charnelle, voici le travail des conditionnements divers dont nous héritons, qu'ils soient culturels, éducatifs, ou héréditaires.

Cibler la connaissance est donc peine perdue, mais elle se révèle en désintégrant les filtres qui l'opacifient, et en œuvrant pour décider le cerveau à élargir son mode de fonctionnement. La connaissance s'échappe toujours plus loin que là où on s'imagine l'avoir piégée, ne serait-ce que par la force du mouvement des choses et de l'histoire, qui nous fait participer à chaque instant à un monde déjà différent de celui d'hier. Le seul pouvoir vraiment disponible est celui d'une passivité entièrement attentive, et panoramique, comme n'ont jamais cessé de le chanter aussi bien les grands maîtres de la sagesse que les mystiques accomplis, et que nous apprendrons à mettre en œuvre grâce à la méditation quantique. Comme le dit la Guîta, la bible hindoue en quelque sorte, la connaissance est supérieure aux œuvres, mais la non-action (naïshkarma) est supérieure à la connaissance. Le voyant de la vérité, le chercheur intégral, se dirige vers l'inspiration totale, où ne demeure de la volonté personnelle que le but de servir le Divin, ou, s'il n'en a pas la connaissance, l'intention de parvenir à l'intégrité pure, conforme au plus haut Idéal de vérité et d'amour que nous puissions concevoir. Les autres objets de la volonté sont plus pratiques ou plus subjectifs. La volonté supérieure devient passive, et elle accueille les vibrations supérieures, tandis que l'esprit reste ouvert à tous les événements, et apprend à les traiter en les séparant des émotions qu'ils suscitent. Les buts plus prosaïques que l'individu se forme dans son contexte de vie n'ont pas forcement à être abandonnés, et la volonté contingente et active peut être conservée, mais ils méritent d'être relativisés, et, parfois, sacrifiés à la consécration. C'est d'ailleurs un des pouvoirs de la pratique des quatre Mystères d'ordonner les comportements, de hiérarchiser les valeurs, et d'éliminer rapidement les objets révolus.


Première partie

LA VISION D'ENSEMBLE DE LA MÉDITATION QUANTIQUE




1 Les quatre champs ou mystères

L'activité de l'esprit ne peut rien faire d'autre que de se perpétuer inlassablement, et c'est cela même que nous allons utiliser dans la pratique des quatre mystères, au lieu d'attaquer de front la pensée.

Nul entraînement spécial ne peut terrasser la pensée, et nous allons simplement suivre le cours même de l'esprit tout en le formant à rechercher des significations dans les quatre réalités fondamentales qui nous concernent. Les significations en champ 3 sont limitées, contingentes, pratiques, horizontales. En 4, elles sont ouvertes, pleines, rondes. En 1, elles sont structurelles, non événementielles. En 2, elles sont transcendantes, quasi intemporelles, holistiques.

Ces quatre zones sont si immenses, si primordiales, qu'il est même inutile d'établir l'ordre de leur apparition chronologique, mais au fur et à mesure de l'ouvrage, le lecteur pourra ressentir leurs différences, afin de pratiquer sans coup férir la méditation, à sa guise, avec une liberté qu'aucun système n'offrait auparavant. Selon le point de vue d'où l'on se place, chacun des quatre Mystères peut être considéré comme l'originel, mais il ne s'agit là que d'une convention subjective, qui sera traitée plus tard avec humour, pour souligner la position ponctuelle du moi en devenir au sein de ces quatre infinis. En fait, notre esprit traite nécessairement avec l'une de ces quatre zones à chaque instant, et s'il convient de les distinguer, c'est tout simplement que ces quatre champs possèdent une autonomie qui leur est propre, des intérêts différents, et qu'ils nous représentent chacun à leur façon, tout en se combinant facilement entre eux. Avant même de les définir, je vous invite donc à comprendre qu'à tout moment de votre existence vous pouvez être manipulé par n'importe lequel des quatre mystères, pour peu que la situation qui se présente appelle plutôt l'un que l'autre à se manifester en force, et à prendre le pouvoir. Le pouvoir authentique est au centre, c'est celui du Soi, l'intelligence pure et détachée, mais il n'est pas rare qu'un champ «monte à l'abordage», ou prenne le dessus, et entraîne la conscience du moment dans une expérience nouvelle, enrichissante en tant que telle, mais qui peut être plus ou moins bénéfique ou dangereuse selon le Mystère en question, plus ou moins accueillie ou subie. Des alliances se produisent également entre les champs, au risque de déséquilibrer l'ensemble.

La première intention de la pratique des quatre Mystères est de découvrir l'unité qui est en leur centre: l'esprit inconditionné, l'esprit vide de tout contenu, cette intelligence pure qui ne cherche plus à s'emparer de quoi que ce soit, et qui est à l'origine même du mouvement du mental. En permanence, notre esprit s'identifie à ce qu'il saisit dans une de ces quatre directions, et il est aux prises avec la signification réelle des événements, celle qui survit a toute interprétation subjective.

La portée réelle des événements est faite de leurs conséquences concrètes et objectives, et il est bien rare que nous saisissions les conséquences de nos actes dans leur ensemble.

Description des mystères.

Le Mystère numéro un qualifiera le sujet, le Moi, la conscience individuelle qui cherche à établir sa propre permanence avec le sentiment de l'identité personnelle. Nous pouvons déjà mentionner que cet espace primordial est plus ou moins investi par chaque individu. Beaucoup d'êtres humains, en particulier dans des sociétés tribales restées à l'abri de l'histoire, ne se préoccupent pas de leur individualité propre. Ils se contentent de vivre selon leurs instincts, les lois et les interdits en vigueur, en accord avec la culture ancestrale. Au contraire, tout véritable chercheur spirituel est préoccupé par le mystère de sa propre individualité: il s'en éloigne parfois en cultivant des identifications passagères, en imitant, puis il y revient souvent par la force des choses, la souffrance le poussant dans ses retranchements. Toute personne qui se pose sincèrement la question «qui suis-je?»(que les anciens grecs se sont posés tardivement par rapport aux chinois et aux Hindous) commence à investir consciemment le premier champ, et apprend à y revenir jusqu'à ce que ce mouvement se fasse par lui-même sans effort.

Le troisième Mystère constitue la fondation. C'est la matière animée, c'est-à-dire la vie et, c'est, à notre échelle, le champ du déroulement de notre existence dans son milieu: l'histoire de notre propre enfance censée nous guider vers le Moi intérieur, c'est aussi notre passage entier sur Terre, vu de l'extérieur, cet être animal percevant le milieu à travers ses sens, aux prises avec le temps, son corps et son environnement. Le 3 recouvre donc le 1 d'une enveloppe charnelle. Tandis que dans la conscience du premier Mystère le moi cherche à établir sa permanence indépendamment de ce qui lui arrive, «en tant qu'être», se considérant comme une entité séparée, quand nous partons à l'aventure dans le troisième champ, nous avons affaire à tout ce que nous avons vécu dans le fil du temps. Dans cette zone, nous adhérons donc spontanément à l'accident et à l'occasion, les sensations et les émotions se manifestent dans des schémas éphémères dont le sens nous échappe facilement, dans cette zone nous sommes abouchés au présent. Au cours de notre enfance, alors que le Moi permanent n'est pas foncièrement établi, nous subissons de telles contraintes que des conditionnements se forment pour fausser l'interprétation objective des événements. On pourrait caricaturer l'être humain qui se cantonne dans le Mystère 3 comme une brute essentiellement préoccupée de la défense de son propre territoire, respectueux des seules choses établies et méprisant toute différence de pensée. Le troisième champ est donc celui du corps physique dans son environnement, dans son cycle entier, animé par de multiples étapes qui donnent d'innombrables formes au vécu, mais qui dans le fond rattachent à la condition animale. Nous sommes dans le 3 quand nous sommes normalement nous-mêmes en état de veille, ni portés vers l'intérieur, ni excessivement tournés vers l'extérieur avec une tension particulière, dans le fil ordinaire du temps dans son contexte habituel, les sens naturellement aux aguets, tandis que la conscience du champ 1 reste toujours disponible, légèrement en retrait, pour la réflexion, la décision, la communication. (Nous sommes dans le 1 (sans le 3), quand nous tirons le rideau, effaçons nos identifications, nos sentiments, nos émotions et nos croyances, oublions nos sensations, et que nous cherchons à «être» ou que nous réfléchissons notre rapport au monde.) Dans cette troisième zone, nous nous sentons prisonniers des contraintes extérieures, parfois esclaves des appétits basiques (nourriture et sommeil), soumis à des relations parfois superficielles ou même artificielles, et nous nous sentons dépendre d'un grand nombre de facteurs sur lesquels il est difficile d'agir. Nous participons entièrement à notre environnement.



Une somme considérable d'habitudes mentales peut provenir de ce troisième mystère et être investies par un regard neuf. Toute la mémoire peut être revue et corrigée afin de libérer traumatismes et souffrances, et il est donc tout à fait naturel de s'aventurer souvent et longtemps dans ce mystère pour s'affranchir des influences, des identifications obsolètes, des schémas émotionnels anciens. Ce travail peut permettre de prendre conscience de mauvais plis d'interprétation du ressenti consécutifs à des émotions violentes, en particulier lors des trois premières années d'existence.


2 Diagramme de la structure absolue

Dans un carré divisé en quatre parties égales nous placerons le Mystère numéro 3 en bas et à gauche, et nous y voyons se former un être humain, à partir de l'embryogenèse, sous la dictée impérieuse du code génétique. Nous imaginons notre vie en train de se dérouler dans son contexte, comme dans un film en accéléré. Cet enfant se précipite déjà dans la case à côté à droite,

Soit le Mystère numéro 4, la durée, mais aussi le moment immédiat, le présent, qui va donner forme à notre existence. En traversant cette durée chronologiquement, ou derrière elle, si l'on préfère une vision globale, l'être biologique ou «l'animal pensant» parvient jusqu'au Mystère numéro 1, placé en haut à gauche, et là, il cherche à se découvrir dans une permanence ontologique. Il investit son caractère, son tempérament, sa personnalité, autant de structures similaires qui résistent au vécu, suffisamment plastiques ou élastiques pour jouer avec l'interprétation des événements, et il s'adonne à revoir son passé, à envisager son futur, en souhaitant faire correspondre sa projection instantanée dans le présent, avec ce qu'il ressent de lui-même, en tant qu'individu pourvu de volonté personnelle. Il investit ce qui résiste à la déformation imposée par les occasions et les accidents, les émotions et les sentiments, les échecs et les réussites, les déceptions et les extases. Il élabore un code de valeurs. Il s'attribue des qualités et des traits de caractère.

Une minorité seulement d'êtres humains veut continuer sa route au-delà de cette étape, et elle part à la découverte du Mystère numéro 2 (en haut et à droite), cette partie de nous-même plus grande que ce que nous en savons déjà, et que Sri Aurobindo a appelé le Moi Subliminal.

(Le trajet forme donc un S depuis le départ).

Dans ce Mystère numéro 2, nous trouvons le potentiel de notre avenir solaire, fruit des transformations dans les autres mystères, et nous pouvons naturellement y débusquer l'énergie et la conscience divines, comme il est aussi possible d'entrer en contact conscient avec l'être immortel en nous, appelé âme dans l'ésotérisme occidental et être psychique dans la nouvelle révélation aurobindienne.

Il nous faut revenir avec insistance sur l'essence de la durée, et inviter chacun à la reconnaître comme une matière pure et vierge, comme un flux disponible d'indices permanents dans la quête divine, tel le passage pour transformer sans cesse les relations entre les trois autres Mystères. Il s'agira donc en premier lieu, si l'on veut pratiquer la méditation quantique, de vivre la durée en elle-même, en renonçant à lui attribuer une fin quelconque. Si cela n'est pas possible en permanence, on peut commencer à le faire grâce à ce traité, comme on l'apprend dans un ashram, un monastère, une école initiatique quelconque. Il faut pouvoir arracher le mental au flot mécanique de la pensée, avant de prétendre pouvoir changer les associations d'idées qui livrent le sens des choses d'une manière nouvelle.

Puisque nous établirons par la suite quatre types de méditation différents, chacun correspondant à un des Mystères, il est déjà nécessaire de fonder les caractéristiques de la méditation en zone quatre. C'est là que l'on s'abandonnera au présent sans se préoccuper de quoi que ce soit d'autre. Il ne sera pas question de savoir qui observe quoi, ni à quoi cela peut servir. Cette méditation est d'ailleurs celle que préconisent de nombreux enseignements traditionnels. La pratique dans le quatrième champ est difficile au début. Elle crée un jeu, des variations nouvelles au sein des pièces que constituent les quatre Mystères, puisque le présent apparaît davantage maintenant comme un espace indéterminé et riche, ouvert, tandis que le milieu personnel se révèle construit d'une manière subjective et moins solide qu'auparavant. Le moi semble soudain enseveli sous de nouvelles questions, et la réalité d'ensemble, plus que jamais, se dérobe aux investissements intellectuels. Le jeu qui se produit entre les morceaux du puzzle empêche le contrôle habituel de la pensée et des situations, et menace l'ordre passé pour anticiper un champ beaucoup plus large de conscience en créant un mouvement centrifuge au sein des Mystères, propre à briser leurs limites. Le néophyte voit son cerveau produire sans cesse des pensées surgies de nulle part, puisqu'elles n'ont rien à voir avec le contexte, et il peut se sentir comme agacé par une nuée de mouches. Tandis que l'on est simplement contemplatif, assis tranquillement ou en tailleur, on ne parvient pas à rester dans ce simple état, et s'y adonner complètement. Remontent alors à la surface toutes sortes de préoccupations qui n'ont pas été appelées, et qui viennent réellement parasiter le moment que l'on voulait octroyer à ce simple divertissement, ou cette «recherche du vide». Cette méditation est humiliante par elle-même puisqu'elle démontre que non seulement l'esprit ne contrôle ni ne dirige ses pensées, mais encore qu'il est incapable de les faire cesser. Cette méditation est si fondamentale que différents mérites lui sont attribués selon les cultures qui la préconisent.

L'éloge du présent. (Quatrième mystère).

Dans la plupart des écoles hindoues, la pensée est déficiente en soi, et pratiquer le 4 permet dans un premier temps d'en espacer le rythme, de ralentir la cadence des contenus psychologiques, et dans un second temps, de découvrir le Brahman, la grande réalité vide et indifférenciée dont le seul contact libère définitivement le cerveau de ses projections dynamiques. Dans le tch'an et le zen, cette même méditation s'accompagne en général d'une posture physique, et elle est quelque peu ritualisée, ce qui est à double tranchant, car lui donner trop d'importance peut empêcher le mental de lâcher réellement prise, s'il s'imagine qu'il y a un enjeu, et il reste alors tendu. Elle vise essentiellement le satori, soit l'illumination immédiate qui révèle l'unité de toutes choses et vient à bout de tout sentiment de dualité. Pour les taoïstes, qui ne se méfient pas de la pensée mais en cherchent plutôt la quintessence, cette méditation vise moins la libération du mental que l'accroissement d'une réceptivité illimitée, susceptible de fondre le Moi dans le Tao, de relier le ciel et la terre, ce qui revient finalement au même. Les bouddhistes, bien qu'ils se soient ensevelis sous leur propre glose, mentionnent encore sunyata comme le pas décisif dans l'ascension spirituelle, une expérience qui révèle que l'esprit originel est vide de tout contenu. Compte tenu du fait que les races elles-mêmes imposent aux individus un usage quelque peu différent du cerveau, il demeure remarquable que l'unanimité se soit faite au cours des millénaires sur l'usage spirituel de la durée, en Orient.

Même chez les mystiques soufis ou chrétiens, qui ne partent pas systématiquement en guerre contre la pensée elle-même, mais qui recherchent activement l'âme du monde, ou le contact avec Dieu, nous trouvons de nombreux témoignages où le silence intérieur, enfin conquis, tient lieu d'antichambre avant de pénétrer le secret du Divin lui-même. Nous trouvons aussi chez les Grecs l'ataraxie, qui forme l'intelligence à se tourner vers les principes en se dégageant des formes rapides, les pensées, que l'esprit fabrique.

Tout simplement, en renonçant à ce que la durée soit à notre merci, nous ouvrons le champ réel des possibles. Au contraire, chercher en permanence à parvenir à quelque chose, cela ne fait que perpétuer la mentalité ordinaire, prisonnière des convoitises et des craintes (même parvenir à une «bonne» méditation). On peut toujours s'amuser à intervertir les aiguillages d'un train, cela ne fait que changer sa direction, sans diminuer sa vitesse. Cette même méditation est d'ailleurs censée dans le bouddhisme favoriser le détachement vis-à-vis de la peur et du désir, qui établissent à eux seuls l'ignorance humaine. Cela peut sembler paradoxal que, pour se libérer de l'ignorance, il faille accueillir une ignorance supérieure, celle du moment qui s'ouvre à nous, aléatoire et malléable, avant que nous n'en fassions l'instrument d'une conquête ou d'une appropriation quelconque. Et cependant, comme le disait Lao-Tseu: obscurcir l'obscurité est la porte de l'origine divine. Voir en face l'ignorance de l'esprit, la trouver naturelle, admettre qu'il ne saisit que des bribes éparses de la réalité qu'il colle arbitrairement les unes aux autres: voilà l'aveu de notre condition qui nous ouvre des perspectives insondables. Il suffira d'accueillir l'impuissance de l'esprit à saisir l'Un, à saisir Dieu, à saisir la réalité insécable, pour découvrir d'autres voies que celles de la pensée, les souverains chemins qui font jaillir l'être hors de l'animalité dans le royaume enfin accessible de l'Esprit.


3 Changer d'itinéraire

Si nous considérons que toutes les cultures ou presque nous enseignent dès que nous apprenons à parler à instrumentaliser le temps, nous voyons l'immense travail qu'il faut faire à rebours pour désapprendre. Enfermé dans le troisième Mystère, le Moi sensible au conditionnement s'imagine qu'il doit sans cesse attribuer une fin aux moments de la journée. Le temps sera découpé en rondelles, chacune ayant son utilité propre et la personne restera ainsi entièrement prisonnière d'un tissu programmé d'identifications diverses. Les personnes représentatives des valeurs sociales tenteront même de culpabiliser le jeune adepte de l'Absolu, s'il éprouve parfois le besoin de ne rien faire, pour se laisser aller à une réflexion profonde. Il semble bien que le fond de la mentalité bourgeoise soit le besoin de s'approprier un confort matériel par l'obsession de l'activité sociale, la religion du travail censée donner de la valeur personnelle à ses adeptes, valeur dont ils se gargarisent pour exploiter les faibles. Dans ces conditions culturelles, l'esprit ne saisira que l'extérieur, ne pensera jamais à revenir sur lui-même, sur ce qu'il est, sur le maître intérieur qu'il sert. Le sujet ne vivra rien d'autre qu'un moment présent préconçu par toutes les mémoires et toutes les habitudes et les projets surannés, tandis que l'instant devra s'adapter aux exigences antérieures de conformité à des modèles morts; moment orné, il est vrai quelquefois, par des réactions violentes au milieu écologique, accident qui pourrait montrer le chemin du soleil intérieur s'il était suivi jusqu'au bout, ce qui est rarement le cas. En général, le subconscient récupère les préjudices que le non-moi fait subir au moi, à travers les fers de lance des blessures narcissiques, des accidents, des deuils et des maladies graves, ou des échecs insupportables.

Tandis que ces événements devraient en quelque sorte être conçus comme des éveilleurs dans une véritable culture divine, ils sont au contraire représentés comme des malédictions et des maléfices, des obstacles immérités, des faits injustes. Le mental obsédé par le paradigme que le Réel ne doit pas dépasser le cadre de ses préférences et de ses aversions, rejette les facteurs humiliants au lieu de les intégrer, et ils ne peuvent plus jouer dans notre société le rôle que les initiations spirituelles représentaient dans les cultures traditionnelles. Le passage du Mystère numéro 3 au mystère numéro 1 ne peut donc plus s'effectuer «correctement» au sein des cultures modernes, l'adolescent n'étant plus invité à reconnaître l'autorité souveraine du Tout sur son existence, les religions ayant perdu tout leur sel. Plus personne n'apprend à l'enfant qui a grandi à devenir un adulte capable de se pencher sur lui-même sans se considérer comme une victime des circonstances, quand l'extérieur ne répond pas à ses exigences. Les cultures modernes, en faisant du moi socialisé la seule réalité psychologique, ont oublié, depuis le XVIIIe siècle, que l'être intérieur pouvait prévaloir sur l'être extérieur et le modeler, et elles se sont acharnées à morceler la réalité jusqu'à ce que nul ou presque n'éprouve le besoin de se sentir appartenir à un seul grand Tout, pour forcer seulement à l'identification de surface. Et cependant, parce que nous sommes allés jusqu'au bout de l'impasse, parce que notre soit disant civilisation ne peut plus rien proposer d'autre que la destruction, dans un sursaut d'intégrité peut être instinctive, nous nous tournons à nouveau vers les mystères cachés de notre être, ces secrets qui veulent jaillir de nous-mêmes et nous donner la satisfaction de vivre pour davantage qu'une fonction sociale et un rôle familial. Au terme de cet engloutissement dans la matière perpétré par les forces rationalistes depuis plus de trois cents ans, nous retrouvons le besoin de voir les choses dans leur ensemble, dans leur unité, dans l'homogénéité des systèmes de la nature.


4 Faire table rase

Notre propre vie spirituelle, dans cette immense réalité sans contours, consiste en premier lieu à retrouver les véritables matériaux qui nous composent, et à les examiner pour les comprendre. Ce travail se fait dans l'intimité de sa propre conscience, dans un premier temps, sans autre ambition que celle de nous ouvrir à la réalité suprême. Nous nous pencherons avec innocence sur le pouvoir de la vie, qui fonde le début de notre incarnation dans cette troisième zone nous donnant toujours du fil à retordre, avec toutes les questions du puzzle de notre territoire et ses éléments combinés: appartenance professionnelle, familiale, raciale, régionale, politique et religieuse, appartenance héréditaire, appartenance sexuelle, parfois douloureuse. Qui que nous pensions être dans le Mystère numéro un, nous voilà incarnés dans le troisième champ avec notre enveloppe charnelle soumise aux cycles du temps, imprégnée sans doute de caractères héréditaires dont certains sont des cadeaux empoisonnés, des mémoires fossiles et morbides transportées de génération en génération jusqu'au corps qui nous échoit. La question de savoir ce que nous faisons de notre héritage génétique et psychologique se pose régulièrement, à travers les relations familiales, les difficultés psychologiques personnelles semblables à celles d'autres membres, les prédispositions aux mêmes maladies. L'attention au corps n'a guère été préconisée dans les traditions spirituelles. La plupart des enseignements se sont même compromis à présenter l'enveloppe charnelle comme l'obstacle principal à la réalisation divine. Le corps a été diabolisé de toutes les manières possibles ou abandonné dans de trop nombreuses voies, sous prétexte que, si on laisse libre cours aux sensations, celles-ci s'accaparent l'être entier et le jettent non seulement dans le désir, mais dans la culture des plaisirs des sens. Mais la sensation constitue la base de la perception et il est nécessaire de la transformer. Puisque le Divin veut aujourd'huiAgenda de Mère, tome 1, Institut de recherches évolutives. s'emparer de la Matière elle-même, le corps physique ne peut plus être l'objet de l'opprobre, ni être considéré comme un obstacle. Il est le socle, et dans le yoga supramental, il devient même le levier de l'Ascension divine, en tout cas dans les moments intenses où le corps est réellement «écrasé» (pilonné) par le supramental.

Au cours de la pratique des 4 Mystères, l'approfondissement du rôle du corps mobilise l'intelligence, jusqu'à comprendre par quels mécanismes d'appropriation du Réel il se développe, procédures indépendantes du mental, en particulier dans les moments de crise, de danger, de déception, de souffrance, où le subconscient se mêle davantage au conscient, et le submerge, pour noircir le tableau du vécu tout en cherchant des défenses. Le corps physique deviendra, après le nettoyage émotionnel indispensable, directement réceptif à l'énergie divine. De nombreuses approches éclairées peuvent fournir des matériaux d'investigation, comme une étude du caractère des parents, un retour sur l'enfance et les conditions relationnelles qui ont présidé, une lecture vivante et tournée vers l'avenir transcendant de l'horoscope du moment de la naissanceNatarajan, «astrologie supramentale» éditions Trédaniel, où de nombreuses forces sont représentées dans un contexte psychologique assez précis pour être utile. Se cerner soi-même dans son environnement peut être une des modalités de la méditation en zone 3, qui en comporte beaucoup d'autres.


5 Le champs exploratoire

Dans la mesure où nous pouvons tout contenir dans les quatre zones, le Soi occupant leur centre, la méditation doit débuter avec une représentation très large des quatre espaces primordiaux, afin de permettre à l'esprit d'explorer allègrement dans les directions citées.

Le Mystère 3 contiendra donc n'importe quelle séquence de notre existence depuis l'origine jusqu'à maintenant, comme il comprend notre relation au corps, notre relation aux autres, notre environnement. Il représente notre vécu tourné vers l'extérieur, la somme de nos moments, et donc aussi toute notre mémoire. Ce mystère nous fonde dans le contact avec le monde extérieur, et il peut donc aussi incorporer nos projets, nos craintes de l'avenir, nos échéances, nos déménagements, nos changements de partenaires, tout ce qui forme notre adhérence au non-moi par les structures régissant le milieu.

Le Mystère 4 représente le temps sous différentes formes, la durée qui s'écoule, le maintenant, et, dépouillé de ses objets, il mène au moment pur non instrumentalisé par la pensée ou l'émotion qui le cisaille, le Brahman.
(L'atman, le non-mental, est au centre de la croix des mystères).

Le premier Mystère représente le sentiment de l'identité personnelle, mais il s'agit de quelque chose de très intime et qui vient des profondeurs, aussi nous pouvons y incorporer «ce que nous voulons être», ainsi que «ce que nous croyons être», c'est-à-dire l'image de soi.

C'est finalement le second Mystère le plus difficile à caractériser, puisqu'il regroupe l'ensemble des caractères subtils et divins qui sont à notre portée. Notre être psychique fait donc partie du 2, et c'est à lui que reviennent les aspirations solaires d'intégrité cosmique les plus pures. L'être psychique est une parcelle du monde divin proprement dit, avec l'Esprit d'un côté (Satchitananda) et l'énergie créatrice divine de l'autre (maha Shakti), ou Aditi, la Mère Suprême et ses quatre manifestations supramentales. La méditation dans le Mystère 2 peut revêtir différentes formes, recueillement, prière, besoin de s'abandonner au Divin, mantra, et elle est théoriquement susceptible d'éveiller le moi subliminal, c'est-à-dire de créer des plans de conscience subtils entre l'âme et le Moi. Elle est également propice à développer les centres énergétiques intérieurs supérieurs, les chakras du cœur, de la gorge, de la glande pinéale, et de la fontanelle.


6 La transformation des cadres des mystères

Afin de ne limiter aucune investigation, il est nécessaire de suivre l'évolution de ce que les Mystères représentent au fil de la pratique. C'est un thème essentiel, qui permet de renouveler en permanence les quatre méditations.

Dans le Mystère numéro 3, non seulement nous pouvons opérer des prises de conscience sur notre mémoire et notre passé, mais nous pouvons également agir sur la représentation de notre propre vécu, c'est-à-dire débusquer des images toutes faites de notre histoire pour les transformer.

Dans le Mystère numéro 1, l'accès à ce que nous sommes réellement en tant qu'être est parfois dissimulé par les croyances sur nous-même, par la valeur que nous nous attribuons, souvent trop subjective ou soumise d'une manière excessive à la qualité des événements. La réflexion sur l'image de soi est donc aussi nécessaire que la méditation proprement dite sur ce que nous sommes, quand nous nous désidentifions du monde extérieur.

Dans le Mystère numéro 4, nous ne pourrons nous approcher du moment pur, que si notre intelligence a compris l'intérêt de desinstrumentaliser la durée. Si l'on ne voit pas la nécessité qu'il y a à suspendre le mental, où en tout cas à le laisser agir sans l'orienter, le but de la méditation n'est pas découvert. La réflexion participe donc de la mise en place des procédures méditatives pour que le sens en soit réellement compris, avant la pratique.

La méditation en 2 ne peut s'opérer correctement qu'en rectifiant les images toutes faites que l'on peut se faire sur Dieu, ou le Divin, à partir d'héritages que nous avons subis, ou d'expériences embryonnaires. Cette méditation n'est correcte et pure que dépouillée de nos propres idoles, qui sont souvent des représentations grossières et innocentes de ce que pourrait être une intelligence vraiment supérieure à la nôtre. Il va de soi que la zone 2 contient les énergies supérieures de compassion, d'amour inconditionnel, et que l'on peut en quelque sorte y recevoir des grâces, dans la mesure où les méditations dans les autres zones auront permis un éclaircissement conséquent de notre relation au non-moi, et un approfondissement du contact avec nous mêmes.

NOTA BENE: aucune des quatre méditations n'est meilleure qu'une autre puisque chacune d'elle permet d'opérer des prises de conscience spontanées pour démécaniser le vécu et l'image de soi. Il est même tout à fait indiqué, si l'on ne parvient pas à mener une méditation dans la zone 4, de suivre les informations qui se produisent: nous voilà immédiatement renseignés sur des tensions intérieures qui proviennent d'un autre mystère. S'il est impossible de laisser libre cours à l'esprit, de le laisser «en roue libre» sans qu'il revienne de manière répétitive sur le même objet ou le même groupe d'objets, c'est que nous avons là de la matière psychique à transformer. Si nous ne pouvons y jouir d'un présent fusionnel et sans trace, nous pouvons en revanche y déterminer des contenus psychologiques que le cerveau met à notre disposition, matériaux qu'il va chercher lui-même, puisque nous avons délibérément cessé d'orienter son travail, ce qui lui permet de laisser remonter toutes sortes de ressentis, qui nous caractérisent, mais que nous préférons parfois faire taire, par le contrôle obsessionnel de soi et du discours sur soi. Il est donc clair que la méditation en 4, si elle ne peut perdurer, ouvre une analyse en 3 (circonstances et événements à régler), amorce une réflexion en 1 (mal être, culpabilité, angoisse) ou projette dans une méditation en 2 si l'esprit s'exalte pour remonter vers l'être psychique ou les énergies subtiles et divines.

La pratique des 4 Mystères ne peut donc pas échouer, puisqu'elle ne fait que fournir une somme innombrable d'informations, toujours utilisable, si l'esprit est féru d'intégrité, car dans le moment même, l'intelligence possède une qualité remarquable, qu'il faut laisser s'exprimer, au lieu de la déformer par nos préférences et nos craintes, par le travail de l'ego qui inventerait des arguments préconçus au lieu de laisser faire le vrai travail d'éveil.

La méditation cardinale constitue une voie infaillible pour apprendre à se distancier de son vécu (méditer en 4, en 1 ou en 2 pour s'éloigner du passé et de la mémoire). On peut de la même manière laisser de côté sa personnalité toujours plus ou moins cristallisée en s'abandonnant dans le 4, et dans le 2. L'inspection de la trame du vécu dans le 3 renverra à nouveau vers les autres zones. En se plaçant dans la zone 3, on peut réellement prendre acte de ses responsabilités dans son environnement, par rapport à son corps, repérer des fuites, des compromis ou des habitudes qui proviennent de l'aliénation au milieu. En se rendant dans le mystère 2, qui peut occasionnellement tenir lieu de refuge, toute notre vie peut être considérée d'une manière finale ou évolutive, et l'on peut y ressentir la plus haute participation à la croissance de l'univers. Le vécu, la manière d'utiliser le temps avec moins d'acharnement, le progrès sur la personnalité peuvent parfois apparaître d'une manière synthétique et spontanée dans la méditation 2, qui, cependant, puisqu'elle est la plus haute et la plus profonde, doit être pratiquée avec enthousiasme et sincérité. Je mets donc en garde les pratiquants contre l'immense illusion qui consisterait à abuser du champ 2, car cette outrance déguise systématiquement le travail à faire dans les autres champs.

La méditation quantique vagabonde dans les mystères, et parfois, parvient en leur centre, le soi, si les quatre champs s'équilibrent dans un ordre naturel.

Il est préjudiciable de croire en la valeur préétablie d'une méditation parmi les quatre, qui conviendrait mieux que les autres. Une préférence peut certes être légitime au début, comme je l'ai constaté en séminaire, car les nouveaux participants sentent souvent le besoin de rééquilibrer l'ensemble en s'attaquant au Mystère déficient qu'ils viennent de découvrir, mais l'intuition doit permettre, avec la pratique, de changer d'orientation quand le vide d'attention concernant le mystère le plus faible aura été comblé. Quand le travail suivi a été accompli pour remettre dans «la danse» le champ qui avait été négligé, un nouvel équilibrage subtil se propose, et le progrès de chaque champ peut être réparti équitablement, afin de ne pas s'acharner sur un seul. L'efficacité du système tient plutôt à un ajustement permanent des 4 champs, rapide et léger, fréquent et imprévu, qu'à un plan de pratique préétabli par le mental. Si chacun des domaines est investi correctement, il est probable que l'irruption du Soi commence à se produire dans les meilleurs moments, dans n'importe laquelle des 4 zones, et permette alors une prise de conscience objective de l'activité de l'esprit dans chacune des directions. Nous y reviendrons. En revanche, transformer de manière privilégiée un, deux, trois mystères, tout en en laissant un vide d'attention, cela ne peut pas produire l'harmonie nécessaire à révéler le silence intégral, et cela empêche la spirale évolutive de se produire: une partie de la personne n'avance pas, et, quelles que soient ses performances dans les autres zones, la force d'inertie du champ négligé imposera qu'elle plafonne, indéfiniment, tant qu'elle ne se tournera pas vers le mystère laissé pour compte.


7 Dépasser obédiences et enseignements

C'est un des dangers de l'enseignement traditionnel de ne favoriser l'attention que dans certaines zones. On ne peut pas ramener tout le travail au 4 et au 2 sans risque d'angélisme mièvre, malgré la beauté apparente de la mystique pure, ou bien, comme les Cathares par exemple, l'on perd de vue la légitimité de l'incarnation. Dans d'autres systèmes, le travail se produit dans le 3, le 4 et le 1 mais la dimension divine est oubliée. Depuis Mère et Sri Aurobindo, l'avenir de l'espèce humaine appartient à un ordre supérieur, que les religions et les traditions spirituelles ignoraient, à l'exception des rishis védiques, dont la lumière s'est peu à peu disséminée dans le Vedanta et les Upanishads. Nous avons découvert au XXe siècle la psychologie, et il est maintenant évident que l'éducation enrichit le miroir naturel de l'esprit en le déformant, et que la navette entre les champs 3 et 1 doit être beaucoup plus consciente pour nettoyer le passé qui intercepte l'interprétation du présent. Au fur et à mesure de la pratique des 4 Mystères, le chercheur découvrira la complémentarité de ces champs, leurs interférences réciproques constantes et leurs combinaisons, qui créent le champ global de la perception de l'individu en regroupant toutes les informations, avec les limites morales et émotionnelles qui en découlent. Si le mental est capable de faire des amalgames entre les choses, de combiner le Moi avec le non-moi à travers toutes sortes d'opinions et d'identifications qui lui permettent de saisir les objets, il n'en demeure pas moins que notre identité est stratifiée: en amont et au plus profond, l'être psychique, pour lequel une existence n'est qu'un simple voyage ou un simple vêtement. En dessous, la personnalité permanente, qui est un relais entre l'enveloppe physique (et donc le cerveau) et l'âme. Puis l'animal cellulaire, entièrement enfermé dans la vieCette dénomination drastique m'est venue à la suite d'expériences supramentales profondes. Je me suis rendu compte que certains de mes organes n'étaient pas informés de mon propre esprit, mais de celui de mes parents, ou grands parents, et j'ai commencé à vouloir les investir pour faciliter la transformation du corps. Le corps physique est assez anonyme ou collectif, et lui infuser sa conscience personnelle est un travail qui peut tenter certains, et demande donc une pratique régulière, que ne prétend pas apporter le système des quatre mystères. Le supramental agit spontanément dans les cellules, et libère toutes sortes d'engrammations..


8 Quelques perspectives de base

La personnalité du premier champ donne le sentiment à chacun d'être unique, et nous pousse à nous différencier. Elle crée elle-même des valeurs, c'est-à-dire des repères. En aval, la constitution physique et le subconscient (3) traitent les informations du sujet dans son milieu et par rapport à lui (réactions émotionnelles), et ne se préoccupent pas des valeurs morales ou éthiques. Ce champ possède sa propre autonomie, une sorte de marge de manœuvre qui agit à l'intérieur de nous et à notre insu, créant toutes sortes de nœuds psychologiques, de complexes, qui sont les traces des difficultés que la personnalité a rencontrées avec le monde extérieur, avec la question de savoir si oui ou non le moi permanent, dans le champ 1, peut intégrer ce qui arrive au sujet historique, abouché à l'événement. C'est là aussi où le mutant supramental découvre le mental physique au service de la mort, une petite conscience autonome, en aval du vital, et qui pour sanctionner le manque d'harmonie entre le Moi et le tout organise le processus de somatisation, qui crée des maladies à partir de contenus psychologiques. Il s'agit donc d'une force particulièrement obscure, la plus ténébreuse de la puissance du subconscient, puisque son travail consiste également à incrémenter le vieillissement et la mort dans le corps physique. Plus l'esprit est clair, limpide, vigilant sans effort, plus il est à même de ressentir profondément la nature des relations entre le Moi et le non-moi, et la nature du contact entre la conscience du troisième champ et la conscience du premier.

Cette stratification révèle différentes vitesses à l'œuvre dans les couches. Le moi du 3 s'agite avec une rapidité certaine, la perception reste collée aux émotions et aux événements. C'est en remontant vers la conscience du Moi proprement dit, dans la méditation 1, que l'on trouve une vitesse beaucoup plus lente dans les contenus psychologiques, et avec un certain entraînement, ce sont mêmes des idées qui s'enchaînent, des abstractions pures, dépouillées des particularismes de la forme, et qui peuvent donner du sens à n'importe quel événement. Avec de la pratique, la conscience peut rester immobile au centre, sans penser, confondu avec le soi. Enfin, l'être psychique se tient conscient dans l'immuable, et pour lui le mouvement n'est qu'un des attributs de la vie, qu'une des caractéristiques de son incarnation. La pratique des 4 Mystères permet donc d'utiliser toutes les possibilités de l'esprit sans jamais le contraindre à cristalliser ses efforts dans un seul lieu du réel. Par l'abandon à son exercice dans les 4 directions primordiales qui caractérisent notre incarnation, nous apprenons à chevaucher le présent, sans nous préoccuper d'en faire de l'avenir préconçu, tout en lavant le passé des empreintes négatives ou cristallisées.


Deuxième partie

PRÉPARATION A LA MÉDITATION




1 La carte triche avec le territoire

Les descriptions des Mystères les mutilent en partie, car leur réalité n'est pas faite pour être représentée, et il est donc naïf de s'imaginer qu'une démarche intellectuelle puisse rendre compte intégralement, par une description appropriée, de l'ensemble d'un champ, et permettre ainsi une meilleure méditation. Cela reviendrait à croire que la partition contient le jeu de l'orchestre. Le même morceau possède des variantes formelles ahurissantes, et c'est en se dégageant des signes du solfège que l'on découvre leur contenu et leur richesse, non en s'y collant. L'intuition des quatre zones est suffisante pour pratiquer la méditation, en suivant les lignes générales, soit la création par le diagramme de la croix de quatre champs privilégiés, et, ce qui compte, c'est de les différencier simplement, et de voir comment l'esprit saute d'un mystère à l'autre, s'il le fait dans l'harmonie, ou si des frictions se créent entre les intérêts des champs particuliers. Les chercheurs qui penseraient que le système est «flou» se rendraient compte par là même que l'innocence, qui est un bien précieux pour débouter le mental, leur fait défaut ou qu'ils la sous-estiment, alors qu'elle ramène à «l'esprit de nature», l'intelligence vierge dénuée de but, caractérisé ainsi par quelques maîtres anciens qui savouraient l'instant pur.

C'est à chacun de remplir les Mystères avec ses propres contenus psychologiques, comme on met des poissons dans un aquarium. Puis avec le Soi, une attention immobile et tranquille, on regarde ce qui se passe. Certains «poissons» viennent buter contre le verre, ce sont des contenus psychologiques faciles à comprendre, ils avancent docilement jusqu'à l'observateur, la conscience-témoin, et rendent leurs significations, ce qui peut d'ailleurs susciter des émotions, tandis qu'ils éclairent sur la gestion du champ en question. D'autres sont plus difficiles à observer, et se révèlent plus tard, comme si des aveux se préparaient. Il est probable pour chacun que les espèces de poissons se comportent différemment. Certains pratiquants avancent vite dans la compréhension de la structure d'un mystère, moins vite dans d'autres, et peinent carrément dans le dernier. C'est tout à fait normal, à la lumière de la complexité de notre nature, ouverte sur tous les possibles, et possédée par la durée, et capable de creuser ou de s'envoler, de conserver ou d'innover. Il n'y a rien à réussir par principe, et, si le yoga est l'habileté dans les œuvres, elle provient de l'engagement et non de l'acharnement à bien faire, puisque c'est l'engagement constant qui finira par avoir raison des mécanismes habituels du cerveau, et non des procédures spéciales rapportées sur une vision ordinaire de la vie.

IMAGE DU CHAMP TROIS:

Le corps fonctionne pour lui-même et sans l'approbation du mental, qui ne saisit qu'une petite partie de son principe en action. Le métabolisme incorpore les données du psychisme, puisque les événements de conscience affectent le comportement corporel, modifient le rythme respiratoire, et les échanges entre les endorphines. Le ressenti émotionnel tient lieu de lien entre le corps et la conscience du sujet, et c'est la raison pour laquelle les chinois ont développé depuis six mille ans des techniques qui permettent d'agir du haut sur le bas, ou du bas vers le haut, en créant des émotions douces ou contrôlées censées mettre en harmonie la base physique (3) avec la personnalité (1) par un travail dirigé du corps dans le champ 4.

Le principe qui régule la température du corps, l'homéostasie, est autonome, et nous n'avons pas conscience de ce qui se trame en nous, alors que des centaines de paramètres s'organisent en une seule fin, ce qui ne laisse pas d'interroger les biologistes, puisque l'organisateur central qui regroupe les opérations différentes et spécialisées pour maintenir l'équilibre, n'est pas localisable. Plusieurs centaines de mesures convergent simultanément vers le même but, à notre nez et à notre barbe, pour permettre l'équilibre général à travers de petites variations constantes. Cela confirme qu'une intelligence magnifique parcourt la matière animée, la vie, et synthétise toutes les opérations à chaque seconde, sans pour autant que le mental y soit directement mêlé. La méditation, l'hypnose, certaines pratiques mystiques permettent d'infuser dans le corps, qui semble autonome, des informations dont il tiendra compte. D'une certaine manière, le supraconscient peut compenser le subconscient, qui fait l'inverse: les informations du corps charnel remontent à la conscience, et, si elles sont douloureuses, affectent le sentiment du moi.

IMAGE DU CHAMP QUATRE:

La durée est quasi éternelle, comme le maintenant pur, et n'a pas été inventée pour répondre à un descriptif exigé par une espèce animale un peu folle, qui arrive en dernier tout au bout de l'évolution, et qui s'imagine qu'elle va soumettre le temps à son bon vouloir, sous prétexte qu'elle peut le manipuler mentalement. Il n'existe pas de représentation de la durée qui nous en livrerait les secrets ou le mode d'emploi, qu'on la mesure en fraction de seconde, en minute, en heure, en semaine ou en année. Connaître la vitesse d'une flèche d'arc, ce n'est pas ce qui lui fait rencontrer sa cible. Le temps qui passe ne peut être ni perdu ni gagné, et c'est en apprenant à ne pas lui attribuer de fin qu'il révèle sa véritable nature. Le présent n'est au service de personne, le rencontrer dans son immense virginité intemporelle, indéterminée, et libre de tout concept, nourrit le cerveau d'une manière nouvelle, et fonde une nouvelle conception intuitive de l'existence.

IMAGE DU CHAMP UN:

Quant au moi permanent, s'il s'agissait d'un simple objet à dessiner en trois dimensions, on saurait ce que c'est, et à quoi il sert, mais aucune psychologie n'est exhaustive, et la comparaison des cultures ne nous livre que peu de chose: partout des êtres s'avancent plus loin que d'autres, et détiennent en quelque sorte des secrets, pour lesquels on les bannit ou on les consulte. Ils ne parlent pas un langage ordinaire et leur champ de «vision» mentale dépasse de beaucoup la norme. Ils ont beau expliquer qu'ils ont obtenu leur connaissance ou leur pouvoir parce qu'ils ont sacrifié les valeurs communes, sont sortis des sentiers battus, et ont franchi quelques seuils, on essaie quand même de leur extorquer leur savoir-faire, par la flatterie ou la torture, la menace ou la corruption, comme si la mentalité ordinaire ne voulait pas accepter que «certains» la transgressent complètement en consacrant la vie à autre chose, en l'occurrence le Tout sans jointures, l'Unité. (Vu l'ampleur du projet, il est évident qu'il faille tout sacrifier à cette recherche). Le moi permanent n'est pas forcément accessible dans son ensemble, et il n'est pas non plus délimité par les caractéristiques de l'ego. Cependant, chacun sait qu'il est lui-même, et souffre de s'éloigner de sa propre nature, quand bien même il ne saurait pas la cerner.

IMAGE DU CHAMP DEUX:

Tout ce qui nous fait aspirer à la lumière, à l'intégrité, à la vérité, à l'abolition de la souffrance sur terre, tout ce qui nous dicte des comportements et des idées supérieures, pour élever notre conscience, épouser l'unité, ressentir de l'amour pour notre propre mystère d'exister; tout ce qui nous permet d'envisager des transformations solaires, une plus grande complicité avec l'essentiel, tout ce qui pousse à trouver les chemins d'une conformité plus précise avec l'infini, le Tao, le Divin.

Les plans subtils de notre être qui participent à l'évolution cosmique.


2 Congédier le mental

Le mental défendra avec la même pertinence différentes options, s'il se penche, du haut de son esprit inquisiteur, sur le diagramme des Mystères, dans le but stupide d'en faire le tour. «Pas de conscience de soi s'il y a discontinuité, donc c'est le moi permanent qui l'emporte sur les trois autres champs. Le Mystère premier est le plus important». Et il sera fier de son analyse. Puis il se ravisera, et se contredira avec impatience, fier de trouver une nouvelle perspective: «mais non voyons, tout commence par le corps, le trajet du bébé au vieillard, c'est ça la réalité essentielle, le discours émotionnel et les sensations. Le vécu, voilà ce qui fonde l'être humain. Le Mystère 3 l'emporte.» Il fera passer devant le troisième champ, satisfait, puis continuant sa route, il s'écriera, «suis-je donc bête, c'est le temps qui donne naissance à tout, c'est lui, le mystère essentiel, c'est à lui que revient la première place», et enfin, se penchant sur l'infini possible du champ 2, il déclamera après des heures d'atermoiements: «voyons, voyons, bien entendu, c'est le Divin qui est à l'origine de tout, forcément, ou à défaut, cette intelligence qui ne cesse de mieux s'organiser, qui assemble nature et conscience tout en les traversant avec de l'énergie en dose considérable.» Puis il tournera à nouveau en rond, revenant à ce qui pourrait fonder, avec de nouveaux arguments, la prééminence définitive d'un des champs, sous prétexte que, finalement, «ils sont presque à égalité». Laissons-le discourir. Revenons à la dynamique de la méthode et abandonnons son plan.

Évitons la question de la prééminence, puisque nous infligerions par là, dans la pratique, une coupure hostile aux mystères «inférieurs» par rapport aux mystères «supérieurs», ce qui pervertirait dès le départ la pratique de la méditation cardinale, et empesterait à nouveau avec le poison de la dualité la méthode censée s'en affranchir. La méditation quantique accepte en vrac toutes les pensées, toutes les émotions, toutes les scories, tous les fantasmes, tous les «insights», tous les souvenirs, toutes les compulsions de haine, convoitise, colère, tous les contenus psychologiques donc, sans grille préétablie de lecture qui attribuerait des bons points à certains et des mauvais points à d'autres. Le soi se contente de recevoir tous les matériaux, et il les trie dans le moment même, sans respecter de marche à suivre fondée sur un modèle quelconque, une morale, un enseignement, bref, un parti pris. Les émotions qui surviennent alors, dans le soi, sont libératrices, et, s'il est vrai que parfois les prises de conscience revêtent un aspect «sévère», la saveur des émotions conscientes est différente de celle des émotions instinctives. Les émotions conscientes sont des mouvements du corps qui accompagnent des flashs, des «insights» sur soi-même, des éclairs foudroyants sur la matière psychologique qui se transforme, sur les appropriations à lâcher, sur les erreurs commises ou déceptions infligées, et qui libèrent de nouvelles énergies, que nous qualifierons d'énergies «résolutives». Comme le pardon, par exemple, ou pardon à soi-même, qui est une émotion lumineuse, parfois accompagnée de manifestations physiques, sanglots, respiration rapide, etc.

Les erreurs de parcours qui apparaissent sont vues comme de faux pas seulement, sur un itinéraire objectif et distancié, et, de cette manière, la culpabilité n'est plus nécessaire pour «rectifier le tir» et retrouver son axe, ou bien elle se manifeste et se dissout à travers les émotions conscientes. Le concept d'erreur est en réalité une merveille, puisqu'une chose qui a été accomplie sans bénéfice peut être reconnue comme stérile, ou nuisible, ouvrant ainsi la voie à d'autres stratégies, à d'autres réflexions, à d'autres itinéraires de l'intelligence, et, naturellement, à une déviation des conséquences néfastes. Quand le soi est vraiment présent, il n'y a aucune raison de perpétuer les mêmes erreurs, le sujet devient donc attentif à la qualité de toutes ses initiatives qui se fondent sur des démarches nouvelles, tout en sachant que le risque d'erreur est naturel sur un itinéraire qui n'a pas encore été balisé. La matérialité du champ 4 est acceptée, et l'on sait que le présent est le souverain des occasions et des accidents, qu'il distribue à son gré le favorable apparent et le défavorable apparent dans le champ immense des circonstances entremêlées. L'idée saugrenue de soumettre tous les événements à sa propre stratégie d'ensemble, le dernier fantasme du mental, est abandonnée comme une superstition infantile. Les faux pas sont donc acceptés de bonne grâce, comme dans n'importe quel apprentissage, et rectifiés sans ressentiment, accueillis sans drame s'ils ne peuvent être évités.

C'est le propre des individus qui pratiquent la méditation de se réjouir de découvrir leurs erreurs: maintenant qu'ils vivent dans le présent pur, l'aveu de l'erreur n'est plus humiliant puisqu'elle concerne le passé, un aspect du moi déjà abandonné, et que sa mise à jour ouvre une voie plus juste. Faire des erreurs est une nécessité parce que, primo, le sujet est si petit par rapport à toutes les catégories du non-moi qui le cernent, qu'il ne peut pas faire face en permanence sur tous les fronts et rester quoiqu'il arrive en coïncidence parfaite avec le tout. Secundo, car il est difficile de prendre toujours les décisions à partir de l'être unifié. Le sujet historique (3) peut être opportuniste et engager tout le moi dans une voie de garage, où les intérêts de surface dominent et noient l'être intérieur. Le sujet historique est manipulable par la peur, la menace, la gratification, l'intérêt. La passion du présent (4) peut en de rares occasions masquer certains traits de caractère et pousser le moi à l'aveuglette dans une dimension séduisante mais discontinue, qui devient hétérogène, puis dangereuse, et force enfin à un retour en arrière. Parfois, le moi permanent (1) se referme, manque la saveur du 4 et se méfie du vécu, et renonce à s'impliquer, ce qu'il pourra regretter plus tard s'il est attaché à sa propre image. Quelquefois, un tel travail s'effectue dans le Mystère 2 que toute décision à prendre, d'ordre contingent ou matériel, peut sembler irréelle ou malvenue, voire hostile, sentiment qui impose des ajournements plus ou moins judicieux.

Reconnaître ses erreurs, c'est tout simplement le moyen de retrouver la direction qui nous est propre quand nous l'avons perdue pour une raison quelconque. Beaucoup de choses nous poussent à commettre des erreurs, et, en Occident, l'on a tendance à croire qu'elles proviennent d'un manque de connaissances des données extérieures. En Orient, au contraire, l'on admet que si l'on fait des erreurs, c'est parce qu'on ne se connaît pas soi-même suffisamment bien pour éviter de se compromettre dans des situations hétérogènes. La méditation cardinale accueille donc les observations sur les maladresses événementielles, sur les difficultés relationnelles, mais elle accueille aussi l'hypothèse que les faits en cause, les faits extérieurs, n'ont pu se produire qu'à partir d'une attitude d'esprit les autorisant. Le train qui déraille, c'est un accident, mais sa cause est une erreur d'aiguillage, un acte manqué. Ainsi les échecs dans le champ 3 nous renseignent-ils sur notre propre tempérament, trop lâche ou trop rigide, trop projeté en avant ou trop retenu, par rapport aux exigences de l'environnement.

Si nous nous considérons comme des élèves de l'univers, étrangement confrontés à un moi dont nous ne pouvons pas nous échapper, c'est à chaque moment que nos accomplissements et nos échecs nous renseignent sur le fond de ce que nous sommes, et nous poussent à varier les approches des choses, à transformer notre conscience du territoire, à mettre à l'épreuve nos aspirations solaires, inconditionnellement soumises au Divin, à faire mourir et ressusciter notre image de soi dans un présent étincelant. Un présent si pur qu'il n'est en aucune de ses parcelles le prolongement du passé, ce qui est souverain pour cisailler nos croyances, abolir les représentations périmées de ce que nous sommes et de ce que nous voulons accomplir.

Le corps peut mettre plus longtemps que le soi à se libérer des mémoires inutiles, et la méditation cardinale peut donc adjoindre toutes formes d'exercices qui permettront à l'enveloppe charnelle de se libérer du passé. Un répertoire immense de techniques est disponible à ce jour, mais dans tous les cas de figure le corps physique «travaillé» doit atteindre un état de repos conséquent pour évacuer les toxines des mémoires. La respiration abdominale lente et consciente apporte un soulagement en général immédiat après toutes les réactions émotionnelles qui ont déclenché une rupture radicale d'avec certaines structures ou attachements du passé. Les pleurs sont libérateurs quand ils se présentent d'eux-mêmes, et il n'est pas nécessaire de les abréger quand ils viennent véritablement du corps. En revanche, laisser s'enchaîner des pensées négatives dans lesquelles on tourne en rond jusqu'à appeler des sanglots quasi artificiels est une vieille politique du champ 3, dénuée de toute intelligence, et qui creuse encore davantage les ornières de l'ego en sacrant la vanité par la complaisance.

La méditation enseigne justement à distinguer le discours émotionnel qui est plaintif par définition, de la vision abstraite, celle du problème qui cause la souffrance, et qui, elle, n'a pas à se laisser «embarquer» dans le monologue fermé de la plainte, attestant fidèlement, comme un animal têtu, à son propre niveau biologique, qu'un seuil de rupture a été franchi entre le moi et le non-moi. Les souffrances intérieures sont divinement calculées pour tenir lieu de signal d'alarme quand nous commençons à dériver vers un contrat où le moi et le non-moi s'entrelacent avec confusion. L'émotion est d'une sincérité qui gêne la plupart des êtres humains car elle s'impose à eux pour briser les barreaux de la cage de leurs représentations toutes faites, pour faire éclater le miroir de l'image de soi, souvent une simple idole. Accepter l'émotion, qu'elle nous effraie ou nous enchante, nous permet de respecter l'autorité de l'univers à notre égard, et de comprendre qu'à travers elle, il nous avertit en permanence des structures à transformer entre nous et le tout, aussi bien qu'entre nous-mêmes et ce que nous pensons de notre propre personne, maintenant que sa ligne de conduite a été remise en question par des humeurs intempestives, des débordements faisant soudain du moi un orphelin, sans objet où investir son besoin de sécurité, et sans principe d'autorité - ni intérieur ni extérieur.

Le soi change l'interprétation des choses car il n'a rien à défendre et qu'il ne cherche plus à interpréter. Mais il est simplement là, supportant toute la manifestation tout en lui étant foncièrement étranger, état sans doute que seuls des physiciens chevronnés pourraient établir grâce à des équations sibyllines, tant ce statut est impossible à concevoir pour le mental. Mais si l'évolution s'oriente vers la complexité consciente, nous finirons bien par faire converger les matériaux de notre être global vers l'Être suprême qui les a investis de sa propre Présence, mais en les séparant les uns des autres, ce qui nous fonde dans notre propre position conflictuelle, matérielle et spirituelle, horizontale et verticale, immédiate et permanente. Tous les possibles s'offrent à nous, mais pour une raison mystérieuse, nous les refusons. En faisant le tour de la question, - les éveillés sont unanimes, si nous nous contentons de la nature nous nous délecterons de nos drames et de nos passions et nous trouverons notre bonheur dans une lutte acérée pour l'existence, intense et bariolée, cautionnant à l'emporte-pièce les mouvements de violence, comme s'ils étaient légitimes, et notre haine justifiée pour des peccadilles; tandis que notre ambition religieusement cultivée survivra à toutes sortes d'échecs significatifs, et que notre image de soi inflexible et ténébreuse sera conservée avec acharnement. Nous resterons dans une unité grossière, qui peut être comparée au statut de l'animal, et qui comporte des degrés de tension intolérables, à intervalles irréguliers.

Au contraire, l'idée de partir vers le centre de soi-même, encore infiniment mystérieux, réserve la possibilité de s'affranchir des dualités qui entravent notre route, ces dualités fondamentales que nous exprimons dans les transversales des mystères. L'ensemble du départ sera abandonné, puis détruit, puis l'unité se rebâtira sur de nouveaux critères, de l'intérieur, ce qui donnera un nouveau statut à la perception des sens. L'immédiateté (permanente) du champ 4 s'oppose irréductiblement à cette mystérieuse unité immobile en nous, que nous appelons nous-mêmes, et qui nous accompagne depuis notre enfance, et qui cherche à conjuguer le verbe être. À la conscience du corps physique et des contraintes de survie dans son environnement, à sa fragilité également, à sa lourdeur, s'oppose la majesté du champ 2, où le Divin donne directement les formes qui lui conviennent à l'âme, à l'intellect, aux chakras, au moi subliminal, à travers l'idéal puissant qu'il impose à ceux qui veulent le rejoindre, et qui reçoivent la force d'aimer les obstacles.

Toutes les représentations de la vie autres que celles issues de notre propre expérience dans son aventure infinie, ici et maintenant, sont des présupposés inutiles, et des conditionnements subtils pour traiter le présent dans une tournure préconçue. Les aspirations sont suffisantes pour terrasser les abus de pouvoir du mental, s'emparant des vérités les plus hautes en les tuant par les limites qu'il leur impose. La volonté d'être n'a strictement rien à faire, sinon à aspirer au dévoilement, en empêchant que le mental en fixe les règles, jeu auquel il se livre le plus longtemps possible pour ne pas être chassé de son royaume, en pipant les dés.


3 L'approche quantique de la méditation

Une fois qu'ont été décrits les grands univers de conscience supérieure, il reste plutôt à en chercher le chemin qu'à les enrichir par des considérations inutiles, et la méditation cardinale, ou quantique, représente simplement la mise au point la plus synthétique et la plus ample à ce jour. Sri Aurobindo a repris une quantité importante de termes sanskrits, qui désignent des réalités fondamentales, celles justement que nous avons perdues et que le supramental permet de retrouver, et la lecture de ses œuvres nous paraît être une aide efficace pour comprendre, dans notre propre système, la souveraineté du champ 2, la nécessité du soi ou du Brahman, et la complémentarité de la conscience divine et de l'énergie créatrice des mondes. Nous nous confrontons, pour notre part, au besoin d'établir une méthode spirituelle nouvelle, qui sans renier le florilège du passé, tiendrait compte de l'avancée spectaculaire de la conscience humaine au vingtième siècle, puisque notre espèce vient de retrouver le supramentalLa manifestation supramentale, Sri Aurobindo, éditions Buchet-Chastel., après plusieurs milliers d'années d'éclipse, ce qui lui ouvre des horizons entièrement nouveaux, évoqués par Sri Aurobindo, expérimentés par Mère, et l'auteur de ce livre depuis près de trente ans.

C'est au cours du XXe siècle que l'intelligence s'est développée d'une manière nouvelle, et qu'elle a en quelque sorte appris à faire retour sur ses propres opérations, avec une vigilance et un enthousiasme nouveaux, les physiciens quantiques ouvrant la voie en même temps que les psychologues les plus rigoureux. Une fois qu'il a été admis par l'intelligentsia occidentale que les caractéristiques que nous donnons aux choses ne sont que des représentations provisoires, l'ensemble du Réel est redevenu soudain un insondable mystère. Les meilleurs esprits, dans de nombreuses disciplines, ont pris l'habitude de ne se fier qu'au résultat immédiat, en étant prêts, après qu'une théorie aura vu le jour, à la remettre en question pour l'amplifier le lendemain même de son éclosion.

La fameuse devise: «La carte n'est pas le territoire» a fondé une nouvelle école de pensée dans laquelle les chercheurs les plus intenses se sont retrouvés. Adoptant une sorte de discipline intellectuelle qu'ils ont découverte empiriquement, ils se sont attachés à distinguer sans cesse la manière dont ils appréhendaient la réalité, soit un processus entièrement intérieur, et les groupes d'objets que leur esprit s'efforçait de déchiffrer. Les conséquences de la manifestation de cette nouvelle intelligence n'ont certes pas encore atteint le domaine public, et bien peu d'esprits savent aujourd'hui que ce qu'ils appellent la réalité n'a pratiquement rien à voir avec elle. Cette vision est cependant directement dérivée de la physique des particules, dont le paradigme consiste à établir que la réalité s'éloignera toujours du lieu où l'on aura cru la saisir d'une manière exhaustive.

Ce paradigme constitue la preuve scientifique que le mental n'est pas fait pour saisir la réalité, mais pour simplement en représenter les matériaux immédiats pour le moi, qui est soumis à l'exercice incessant de l'esprit. Plus le moi décide d'élargir le champ spatial de cette immédiateté, plus il trouve naturel de s'intéresser simultanément à des choses qui dépassent le cadre de ses sensations et de son milieu, à l'infini, et plus l'esprit tâtonne dans son exercice de représentation de territoires vierges encore, apparemment distants; mais l'intelligence, elle, jouit d'étendre son domaine, et jubile de retrouver une action libre et ample dans le cerveau humain qui se prête à son essor.

Une nouvelle étape se produit alors, dans laquelle l'intelligence commence à se connaître elle-même, et sait donc éviter ainsi toutes sortes d'opérations inutiles. Elle apprend à renoncer aux représentations des choses trop vastes pour elle, et dont l'image ne serait qu'un masque grimaçant. Ainsi est-il possible d'abandonner le modèle du Divin et, contrairement à ce que pense la majorité des êtres humains, cet abandon ouvre davantage à la présence du Divin que toute modélisation fondée sur les limites du mental, pour peu qu'une aspiration sincère guide la démarche. En effet, dans l'attente d'un divin conforme à un modèle, la perception se tendra pour aller pêcher dans le moment des sentiments en accord avec le modèle envisagé, rejetant toute spontanéité, tout état de grâce qui ne serait pas passé au crible de cette conformité imaginaire, stérile par définition. De la même manière, les maîtres tch'an et taoïstes insistent sur le fait que la Voie ne peut pas être représentée, ce qui n'en infirme pas l'existence. Lao-Tseu va même jusqu'à affirmer dans un chapitre, que l'histoire a mis en tête du Tao-te-King, que la voie qui peut recevoir un nom ne peut constituer l'itinéraire suprême. Dans cette perspective, toutes les religions pourraient être foncièrement dénoncées comme de pures contrefaçons de l'idéal spirituel. Mais si ce point de vue est juste en lui-même, en dehors de tout contexte, il est faux par rapport à l'histoire empirique de l'humanité. Parvenir à se tourner vers le Divin sans l'avoir d'abord enfermé dans une cage de valeurs et d'idées n'est pas une procédure que l'on peut infliger à la culture. Cela équivaudrait à vanter les mérites d'un escalier sans marches qui se dresserait comme un mur, sous prétexte d'être plus rapide, et qui obligerait à un saut impossible. Il est probable que chaque moi attaché à la matière, chaque être doive travailler sur l'usage de son propre cerveau dans le domaine des représentations, pour ne pas confondre ce qu'il ressent avec ses sens de ce qu'il perçoit avec son être intérieur, la pensée s'amusant à s'approprier vainement les objets auxquels l'être aspire, la connaissance, le Bien, le Juste. C'est cette vérité toute simple qui depuis des millénaires fonde la nécessité de la consécration, qui est moins l'offrande complaisante de son existence au Mystère absolu, que la décision ferme de chaque jour faire un travail d'attention, de vigilance, sur l'usage du temps (4) et de son corps (3) pour empêcher le discours de la pensée de s'approprier le réel par les mots qu'il projette dessus.

Voilà pourquoi il n'est pas rare de rencontrer certains maîtres qui puissent considérer comme nécessaire de faire peu de chose pendant toute une journée pour laisser l'esprit travailler sans hâte à tout ce qu'il saisit, et pour qu'il apprenne également à y renoncer. Étape nécessaire pendant la transition vers la vie spirituelle où l'esprit mécanique cherche à combler par n'importe quelle action, ou occupation, le moment même, afin de ne pas se retourner sur lui-même, où l'évidence de son ignorance apparaîtrait dans le miroir. Une fois ce stade franchi, l'orgueil du mental étant terrassé, une lucidité nouvelle se fait jour, où la complexité décisionnelle apparaît, car des tiraillements s'effectuent entre l'instinct, le code moral, le besoin d'expression de la personnalité, sur la toile de fond de la totalité qui devient une sorte de partenaire encore flou, mais dont le rôle ne cessera de croître.

À chaque moment, notre intelligence rencontre les aspérités de l'objet qu'elle investit: nous ne savons pas réellement jusqu'où nous pouvons rassembler les paramètres nécessaires à l'éclosion d'une situation plus favorable, ou bien nous peinons dans l'évaluation de savoir si nous sommes dans la «bonne direction», celle qui finira par l'implosion de la pensée révélant le silence intégral, ou un contact avec une shakti (énergie) supérieure. Si l'on suit un enseignement, il n'est pas rare de se rendre compte qu'on aura compris de travers un énoncé, puisque l'esprit ne fera que projeter sa propre expérience sur l'idée contenue dans la phrase écrite ou écoutée. Cette fragilité du mental justifiait par le passé l'autorité des maîtres, les seuls qui puissent débrouiller dans le moment même les représentations déformées qu'un novice se fait du monde spirituel, en faisant correspondre, par le travail du dialogue, le signifiant et le signifié. Cette procédure pour libérer l'intelligence — l'écoute des éveillés — n'a pas lieu de disparaître, mais elle est insuffisante pour permettre un accroissement de conscience. Il serait donc temps que la plupart comprennent que le cerveau est une sorte de machine biologique infiniment complexe certes, mais qui travaille en grande partie sur les informations provenant des sens et du système nerveux pour décréter ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

Cette confiance aveugle dans le fonctionnement cérébral donne de terribles résultats, comme l'on voit parfois de grands intellectuels religieux prêts à tout brûler sur leur passage sous prétexte de révéler le règne de Dieu. Les manières variées dont l'esprit fait sien ce qu'il perçoit en appelant cela «la réalité», cela doit continuer d'être investi avec patience aussi bien par les neurobiologistes que par les psychologues. Nous savons à quel point déjà l'autre peut faire partie de soi-même, l'enfant pour sa mère, sa mère pour l'enfant, le maître pour le disciple, la bien-aimée pour l'amant, et parfois même comme nous le voyons dans la culture anglaise, quand le vieux majordome est entièrement identifié à son patron, dont il prévient toutes les intentions, un peu comme s'il l'était lui-même, alors qu'aucune intimité n'a jamais prévalu dans la relation. Au-delà des identifications, qui sont comme une ébauche déformante de la connaissance par identité, le moi est déjà le non-moi: la conscience est souveraine par rapport à tous les objets qui sont absorbés dans le filet de l'esprit, pour ne faire qu'unRupert Sheldrake, «le septième sens» éditions du Rocher. avec lui.

Le soi peut être considéré comme cet esprit immobile, quantique, qui est à la fois identifié à l'objet et profondément extérieur à lui. C'est un mur infranchissable par la raison, foncièrement difficile à atteindre, et cependant, tant qu'il n'est pas franchi, la vie n'est qu'un long déroulement que nous subissons, quelles que soient les inventions de notre propre marge de manœuvre entre le moi et le Tout, quels que soient les mérites de notre libre arbitre.


4 La dualité fondamentale

La recherche détachée du soi, l'anticipation de l'illumination comme couronnement de l'existence, libère les chantages réciproques que les quatre Mystères entretiennent entre eux, et il est donc nécessaire de départager les mérites de chaque pôle de la dualité fondamentale, la conscience et l'énergie, le purusha et la prakriti. Si ces deux réalités convergeaient naturellement, il n'aurait pas été nécessaire de les distinguer. L'énergie (la prakriti) aurait été décrétée au service de l'esprit, et nous aurions ainsi un modèle fort rassurant de l'être humain, une unité en mouvement entrelaçant sans arrêt des idées et des actes, sans difficulté, dans un automatisme souverain, marchant de connaissance en connaissance, d'épanouissement en réalisation. Toute l'histoire humaine, cependant, constitue le symbole de l'impossibilité de réconcilier la conscience et l'énergie. L'énergie est toujours devant, elle soutient d'innombrables mouvements par elle-même et elle vit en quelque sorte pour elle-même, comme nous le voyons par exemple dans la grammaire de communication animale, où les codes de dominance jouent un rôle prépondérant, et prévalent sur l'identité individuelle embryonnaire, avec les dominés et les dominants qui se répartissent automatiquement dans la proportion adéquate.

Si nous laissons libre cours à la prakriti, le mystère 3 et le mystère 4 s'épaulent mutuellement pour créer un être humain qui s'enivrera constamment de l'existence et des pouvoirs de la vie tout en y laissant sa personne morale, car il se laissera «manger» par la puissance de l'instant, ou du désir, ce qui revient au même. Si au contraire le moi ne s'éprend que du purusha, le Mystère 1 se combinera au Mystère 2 et permettront d'accéder à une sorte de sainteté ascétique, surplombant la vie sans y toucher, tandis que l'existence du corps sera ramenée à sa plus simple expression. Le mental et les représentations qu'il sera capable de créer, finiront par dicter a priori l'interprétation que les sens devront accorder aux objets investis. Ainsi, par exemple, les fondateurs du jaïnisme s'étaient-ils épris de la conscience immatérielle (et sans mouvement) au point de renier ou presque leur existence charnelle, comme le font encore quelques adeptes de sectes shivaïtes ou autres, cherchant à décrocher le soi ou le contact divin par un mépris dogmatique mais concret, du corps, où il sera tout à fait de mise de lui faire endurer toutes sortes de privations. Enfin, la tentation de la vision cathare, qui diabolise la vie, resurgit à intervalles réguliers et elle ne peut reconnaître la conscience qu'en se fermant proportionnellement à la matière et à l'énergie, ce qui entraîne encore aujourd'hui de graves suicides collectifs.

L'investigation des quatre Mystères permet au contraire une harmonisation de la conscience-témoin et de l'énergie matérielle du corps avec ses différents flux, le «Ki» voué aux organes, puis le souffle de vie, tandis que le subconscient, encore très mystérieux, livrera ses procédures d'amalgames entre le moi et le non-moi, qui pourront ainsi se dissoudre (complexes, nœuds énergétiques, obsessions). Le mouvement de la prakriti et l'immobilité du purusha peuvent se marier harmonieusement par une attention extrême, et je ne fais par là que remettre au goût du jour l'Isha Upanishad, qui, en quelques versets seulement, se joue de toutes les contradictions et antagonismes que l'on rencontre sur le chemin spirituel. Le purusha et la prakriti ne sont pas entièrement distincts, puisque notre activité mentale, infiniment triturée par les cellules du cerveau (ou réciproquement), se mélange à la pure énergie de vie, tout en créant toutes sortes de fantômes intérieurs virulents qui nous échappent, telles les sub-personnalités, ainsi que les obsessions chroniques, ou les compulsions graves, ou les minipathologies réactionnelles, suscitées par les mêmes occasions. Bien sûr, ce qui nous intéresse, c'est la convergence absolue du purusha et de la prakriti, sans qu'aucun des deux ne souffre de l'attention portée à l'autre, ce que l'on trouve encore dans de rares enseignements secrets, génériquement baptisés tantriques, dans lesquels l'idée d'opposer les principes est totalement abandonnée. Dans notre optique, seul le soi du centre peut absorber dans son immensité, ou sa neutralité si l'on préfère, les mouvements de l'énergie sans s'y perdre ni les combattre en vain. L'illumination semble donc le passage obligé pour réconcilier l'éthique et l'idéal qui ont tendance à monter par eux-mêmes, et à abstraire au détriment du ressenti, avec l'énergie vitale et comportementale qui a tendance à descendre sous la pression de la peur et du désir, qui banalise le présent, ce quatrième champ qui met en scène et déroule les situations et les rôles et leur perpétuel tourbillon. L'illumination se prépare par toute incursion dans un champ mental plus dépouillé, plus lent, tendant vers le vide.

Les sagesses traditionnelles qui semblent préfigurer la descente du supramental, sont celles qui ont tenté de réconcilier les contraires, plutôt que de vanter le pôle supérieur, le «céleste», et la vie post-mortem, au détriment de l'observation permanente. Mais comme l'union des contraires, l'alchimie, est plus difficile à réaliser que la fuite en avant transcendantale, les mouvements qui n'ont jamais renoncé à l'incarnation tout en cherchant la plus haute sagesse, n'ont concerné que quelques élites. Tout ce qui est nuancé échappe au vulgaire, et il faut moins de trois générations à une religion révélée pour devenir sa propre contrefaçon. Nous affirmons que Bouddha prêchait une vision radicale, susceptible de mener au soi, où la méditation sur la peur et le désir jouait un rôle, telle que le Tch'an l'a préconisée et recueillie, ce qui n'a rien à voir avec le bouddhisme à la carte, pétri de moralisme et de bon sens, de complaisance, qui constitue le bouddhisme répandu en Asie. Dans la Baghavad Gîtà, quelques passages étincelants dénoncent à demi-mot les rites et la liturgie, tandis que la sentence: «Prends refuge en Moi seul» stipule qu'il suffit de se donner au Divin sans autre forme de procès, mais sincèrement, pour Le rejoindre. L'évangile du Christ prêchait une véritable politique, une action permanente à mener dans sa vie quotidienne, en dehors des temples, pour être à l'écoute de l'autre, partager la même intelligence et construire une société qui ne soit plus fondée sur la convoitise. Les pères taoïstesLie-tseu, Lao-tseu, Tchouang-tseu. voulaient unir le ciel et la terre, en apprenant l'acrobatie du yin et du yang, qui, révélée par un maître, rend compte d'une autre manière il est vrai, de la polarité purusha/prakriti.

La conscience-témoin est passive, elle reçoit, elle transforme les mouvements qui viennent de l'énergie et de la nature, toujours active, et une partie de nous-mêmes redoute cette passivité, car des vérités humiliantes profiteront de notre ouverture entière pour traverser nos défenses, et nous montrer sous différents jours, ce que la partie «matérielle» de notre être aurait préféré ne pas voir. L'éveil est difficile à réaliser car la prakriti a toujours une longueur d'avance, nos réactions précèdent nos réflexions, nos désirs précèdent nos consentements à les réaliser, nos peurs précèdent l'évaluation objective du danger, notre colère précède notre soi-disant maîtrise; bref, comment trouver une force pour ne pas être entraînés malgré nous dans la longueur d'avance de la prakriti ?

Il est nécessaire et suffisant de pouvoir opposer le contrepoids proportionnel d'une immobilité parfaite, ce qui caractérise le soi, pour que la longueur d'avance de la nature soit infiniment ralentie et, pour le véritable éveillé, observée à sa source même. Les actes deviennent alors conformes aux qualités de l'être intérieur, puisqu'ils ne sont plus des élans tirés par la nature, ou poussés par le passé, mais de véritables expressions de l'être devenu le souverain de ses sens. Peu de voies traitent avec précision du travail que l'être intérieur doit accomplir sur l'enveloppe charnelle pour parvenir à concilier les antagonismes représentés par les Mystères. Mais, sans le soi qui sert de pont entre l'idéal et le contingent, entre le moi permanent et le sujet plongé dans le désir ou la peur; les occasions et les accidents déterminent avec trop d'impact la perception du moment. Il faut donc pouvoir être là, entièrement à l'écoute de chaque moment, sans pour autant se perdre dans ce qui est écouté, comme s'il était possible de laisser la signification des choses se faire d'elle-même, au point de contact entre le moi ouvert et détaché, sans jugement, et le non-moi incoercible, susceptible d'infliger toutes sortes de démentis à nos attentes, à nos croyances, à nos valeurs, à nos idéaux, et à nos souhaits les plus profonds. Faire que le moi et le non-moi ne soient plus qu'une seule et même chose, tel est le projet de l'action supramentale sur la terre, car l'unité dont il est question est si totale, si entière, que la conscience du moi en embrassant l'univers d'un seul tenant devient l'univers lui-même. Une expérience nouvelle que Mère et Sri Aurobindo ont partagée au XXe siècle, sans oser pour autant affirmer que nous parviendrions à la poursuivre.


5 Physionomie de la méditation quantique

Le système des quatre Mystères permet que ce qu'on appelle les obstacles à la méditation fassent partie de la méditation elle-même, et soient purement et simplement absorbés en elle. Dans cette mesure, ce que nous préconisons s'écarte de la ligne du zen, trop précise, qui semblait vouloir monopoliser l'image de la méditation et la répandre depuis quelques décennies en Europe, grâce à une étiquette de terroir authentique et une simplicité séduisante par rapport aux écoles hindoues ou bouddhistes. Pour pratiquer correctement les quatre Mystères, il est nécessaire de se dégager des anciennes croyances ou conceptions concernant la méditation, et s'en tenir à ce que les expériences passées tiennent lieu de préparation plutôt que de références. N'avoir aucune habitude en la matière n'est pas un handicap, puisque notre méthode peut ainsi être saisie avec innocence, sans les interférences d'une érudition à double tranchant sur ce chapitre.

Cette pratique est nouvelle, et vise autre chose, par exemple, que ce que le grand spécialiste de la question, Maharishi Mahesh YogiMaharishi Mahesh Yogi, la science de l'être et l'art de vivre. Robert Laffont., voulait développer, et que nous citerons bientôt, car il a su nettoyer les présupposés dualistes qui empêchent de comprendre l'essence de la méditation. La méditation cardinale, ou quantique, est simplement quelque chose d'autre, sans qu'elle puisse être comparée à quoi que ce soit, puisqu'elle constitue une combinaison en quelque sorte dialectique des arts traditionnels, rendue nécessaire par la descente du supramental, en 1956, qui ajoute à la quête de l'être la possibilité de l'expérimentation physique du Divin (Mère, Satprem). Le but n'est pas de réunir un pourcentage de méditants pour rendre la paix plus facile, ni de seulement libérer du stress, pas plus que la réalisation du Soi ne constitue l'unique bien. La méditation cardinale encadre toute la vie, mais elle n'a elle-même aucun cadre, et elle prépare à tous les événements, subjectifs ou objectifs, individuels ou historiques, car elle a le pouvoir de transformer l'arborescence des associations d'idées, et donc de transformer la perception elle-même, et, partant, la signification de toutes choses.

Ce sont seulement deux droites, qui se coupent à la perpendiculaire, qui définit quatre champs d'exploration particuliers, champs qui donnent des directives d'observation, sur l'empilement des couches qui nous constituent, et dont chacune actionne le cerveau. En simplifiant, quatre moteurs font tourner la machine, aux carburants en quelque sorte différents, mais seul le centre, qui n'agit pas, peut donner à chacun sa place, et sa fonction par rapport aux autres. Cette caricature provocatrice souligne que la conscience humaine, parce qu'elle s'organise à partir de pièces différentes, possède nécessairement une mécanique, une loi de fonctionnement secrète, qui organise les liens entre le corps physique, les corps énergétiques et le sentiment du moi permanent, les trois étages étant traversés par la durée, malléable d'un côté par le choix de notre calendrier, inflexible de l'autre, avec l'alternance des occasions et des accidents, qui ne dépendent pas de nous. Une fois le diagramme compris et mémorisé, tout le reste revient à la pratique et à l'expérience, puisque l'esprit passif du Soi, intègre et présent, accueillera les identifications et leurs objets, pour les dédramatiser, les recentrer par rapport à l'être essentiel, souverain vis-à-vis des circonstances, des actes, et des émotions.

Oublier ses références, ce n'est pas une chose aussi aisée, et il est toujours tentant de s'enfermer dans une tradition ou une liberté affichée, pour faire cesser l'exploration qui semble, à tort ou à raison, dangereuse ou aléatoire. Avec le risque, toujours le même, qu'un train en cache un autre, c'est-à-dire que l'accent mis sur telle ou telle vérité laissera dans l'ombre certains aspects non négligeables. Le grand avantage du supramental, c'est que son balayage ne peut rien oublier, rien laisser au hasard, et je dirai donc que c'est l'énergie divine qui m'a poussé à explorer les quatre champs, ce dont je me serais bien passé pour rester dans ma «bulle» supérieure d'éveillé du Soi. La conscience supramentale est directe, par identité immédiate, et n'a plus besoin de constructions, bien que des enchaînements significatifs se produisent. Je n'aurais jamais «trouvé» le diagramme des quatre mystères sans l'expérience profonde et variée, qui remonte au début de l'année 1977, et qui m'a ouvert au monde nouveau. J'ai été obligé, depuis, de revenir inlassablement sur tous les aspects de ma personne pour offrir au Divin un champ d'expérience dans la matière, et j'ai accepté l'importance capitale du corps physique dans ce yoga. Il devenait donc nécessaire de tisser un canevas de représentations pour évoquer le troisième champ, auquel j'ai pu associer la mémoire évolutive: des programmes subconscients efficaces pour préserver la survie de l'enveloppe charnelle, et qui profitent des manques d'attention consciente, ou d'événements difficiles, pour transformer la chimie du cerveau et produire des états de conscience régressifs. Les obstacles rencontrés dans le Mystère trois, le champ du moi écologique, peuvent se résoudre, dès que le soi les a réfléchis, par la détermination du sujet dans le premier champ, par son aspiration dans le second, par son lâcher prise dans le présent, et leurs combinaisons.

Grâce à l'aspiration divine, au mantra puissant que je pratique depuis 1982, je parviens en général à revenir rapidement de plongées dans l'obscurité même de la vie, parfois à la lisière de la mort, et j'ai pu ainsi opposer avec rigueur le Mystère 3, qui concerne notre passage dans l'incarnation avec le poids du corps et ses propres mécanismes de survie, et le Mystère 2, qui porte particulièrement bien son nom, puisque la plupart des actions directes du Divin sur nous-mêmes sont imprévisibles, secrètes, jusqu'à l'énergie supramentale puissante et souveraine, ressentie dans chaque fibre du corps, qui souvent décide d'intervenir à son gré. Quant au Mystère numéro 4, il regroupe le temps sous ses aspects objectifs, durée qui se déroule et moment présent, le maintenant, mais il est inutile d'y associer le passé, puisque c'est notre passé et notre mémoire, profondément subjectifs et limités, et inutile d'y associer l'avenir, qui n'a aucune réalité objective puisqu'il n'existe pas encore. Face à la vitesse de l'écoulement apparent de la durée, irréversible, la conscience du champ 1, ou moi permanent, joue à jongler avec le temps, puisque nous savons très bien nous souvenir et anticiper, créer des durées virtuelles, indépendantes de l'écoulement authentique du temps, dans lesquelles nous nous voyons aussi bien dans des situations passées que dans des situations futures, par l'entremise puissante des collections de mémoires ou de l'éventail des images du gratifiant à obtenir, du fantasme quasi inconscient au souhait le plus pur, en passant par des désirs de toutes sortes, des architectures de projets, des vœux plus ou moins pieux, des souhaits plus ou moins suivis de démarches susceptibles de les faire aboutir.


6 Exemples analogiques

En fait, selon ce qui adviendra dans la pratique même, l'expérimentateur pourra faire coïncider s'il le désire une prise de conscience nouvelle, avec un contenu déjà répertorié dans un autre système, et peu importe alors le nom correspondant. Seule la saveur, le rasa compte, dans la méditation, et elle ne sert pas à collectionner des souvenirs supérieurs. Une navette particulièrement inspirée entre le Champ 4 et le Champ 1 peut produire l'équivalent d'une méditation de Jnana-Yoga, ou de Samkhya, le sujet découvrant soudain dans la durée elle-même un aliment original capable de combler sa soif de connaissance, ce qu'il sent maintenant à sa disposition (en renonçant cependant à «soumettre» cette disponibilité), tout en ressentant une nouvelle intelligence, moins poussée dorénavant à réagir aux opinions différentes. Des séances vivifiantes et conscientes, de marche, de snorkelingVision sous-marine depuis la surface, avec descentes en apnée. Dans une eau chaude, 27 ou 28 degrés, le corps peut retrouver la félicité originelle du placenta., de promenade pendant lesquelles le Champ 3 se donne au 4, tandis que le Champ 1 investit la conscience du corps, peuvent tout à fait correspondre à des exercices poussés de Taï Chi, de Ki-cong ou de hatha-yoga, renforcer l'immunité, et éveiller le hara; permettre une libération de la peur ancestrale, ou encore purifier le vital si les exercices de respiration sont corrects (ce qui nécessite un lâcher prise précis).

Un équilibre qui frôlerait la perfection entre les 4 Mystères, grâce au Soi distribuant sa neutralité et son détachement dans les quatre orientations, équitablement et sans friction, peut produire des expériences dites tantriques, sans qu'aucune opposition ne persiste entre le Soi et la Manifestation, le désir trouvant une place nouvelle, paradoxale, que le mental ne peut pas représenter. Une méditation en 4, non troublée par des rémanences émotives ou sémantiques, rejoint le florilège vivant des adeptes du Tch'an et du zen, ou des maîtres de l'Advaïta. Des montées dans la conscience du champ 2, par l'intermédiaire du soi qui réunit les autres mystères, provoquent des expériences analogues à ce que les mystiques décrivent, des champs de fréquence vibratoire interdits d'ordinaire se révélant dans la perception même, accrochant l'instant à l'Éternel.

L'intelligence est en effet toujours libre de tenter toutes sortes de démarches pour rendre le corps physique plus conscient, et, finalement, la pratique des quatre Mystères constitue simplement une méthode accélérée pour enrichir le moi par ses confrontations multiples à l'enveloppe charnelle (et sa défense territoriale), au cadre du moment dépouillé de toute finalité (où le centre et le 4 se confondent), et à l'énigme supérieure du moi subliminal, où des énergies secrètes travaillent à l'ouverture des chakras, de l'Intellect, et de l'être psychique. Bien que nous partions d'une division, les quatre champs, la méditation se fait dans l'unité, car le soi du centre finira par estomper les antagonismes issus naturellement des quatre secteurs par la conscience qu'il en aura, la nécessité des habitudes à abandonner, et celle d'œuvrer dans de nouvelles directions. En simplifiant, nous supposons que la forme des quatre Mystères varie sans cesse, et que la méditation est censée nous permettre de remettre dans l'ordre le puzzle pour se faire joindre exactement les quatre pièces, et bénéficier d'une unité merveilleuse, les quatre champs n'en formant plus qu'un. Chaque prise de conscience, dans n'importe quelle zone, libère le soi et le maintient présent, alors que les identifications continuent de s'effectuer. Comme le dit admirablement Maharishi Mahesh, si l'être demeure présent, il n'a pas à chercher à éliminer les identifications, il en tire parti, elles lui font face et le renseignent. Ainsi l'esprit devient-il quantique, identification et non-identification se confondent.

«La pensée de la liberté, même si elle semble bonne, n'est rien qu'une pensée, ce n'est pas un état. La pensée de la liberté est aussi aliénante que toute autre pensée. Par sa nature même, la pensée nous fait sortir hors de notre Soi. Lorsque l'esprit commence à entretenir une pensée, il pénètre dans le domaine de la dualité, et la pensée voile la nature essentielle de l'esprit. Par conséquent, toute pensée, quelle qu'elle soit, entraîne l'identification.

Ainsi le problème de l'identification n'était pas du tout résolu par la pensée du Soi, du Divin ou de Dieu. C'est pourquoi ces pratiques n'ont pas réussi à procurer la liberté, et c'est pourquoi également la quête de la liberté est restée insatisfaite et les voies qui y mènent ont été embrouillées par ces habitudes d'entretenir l'idée du divin Soi ou de Dieu au niveau de la pensée.

L'erreur fondamentale venait de ce qu'on prenait l'identification elle-même pour l'aliénation. Alors qu'en fait l'identification n'est pas l'aliénation. Ce qui constitue l'aliénation, c'est l'incapacité de maintenir l'Être en même temps que l'identification. Ce qui constitue l'aliénation, c'est l'incapacité de maintenir l'Être alors qu'il y a aperception et qu'on se livre à l'activité.

Si l'identification était l'aliénation, la liberté ne serait possible que dans l'état qui succède à la mort, et dans lequel cessent toute perception et toute activité. Tant qu'un homme est en vie, il continue de faire des expériences et d'agir, si bien qu'il lui est impossible durant toute sa vie, d'éviter l'identification.

L'identification n'est pas l'aliénation, parce que c'est dans le monde qu'il faut vivre la liberté et que vivre dans le monde implique qu'on s'identifie avec chaque chose qui s'y trouve, dans le but même de l'expérience et de l'activité.»

Dans cette mesure, le moi peut considérer comme extérieur à lui les mémoires des comportements qui gênent la méditation «pure» sans les fuir, et que la pensée du champ 3 rapporte à la surface fidèlement, comme un chien têtu qui ramènerait sans cesse aux pieds de son maître des objets pour qu'il lui lance, alors que celui-ci veut rester immobile. Dans certaines écoles, l'on dit qu'il faut se débarrasser du chien, et qu'alors seulement la méditation a lieu. Ce n'est pas la solution. Le soi absorbe tout ce qui se présente et y trouve une signification évolutive, et il n'a pas à nier le passé puisqu'il peut le transformer. Le silence absolu finira par se présenter sans qu'on l'appelle, quand l'intelligence se lassera des pensées morcelées et qu'elle se dirigera enfin vers sa propre source. Le cerveau fait impeccablement son travail quand il nous soumet tout ce qui nous dérange, et c'est simplement parce que nous ne disposons pas du soi pour accueillir tous ces matériaux pénibles, que nous cherchons à tricher avec la vérité, et que nous refoulons ce que nous ne voulons pas voir, en ne laissant pas entrer, par le contrôle, les informations gênantes, qui concernent en général ce manque d'habileté que nous ne voulons pas reconnaître, dans différents secteurs. Dès que le soi se manifeste, le méditant affronte la honte qui se présente, la dissout, la condamne au passé, et il peut éliminer les procédures par lesquelles elle pourrait se représenter. Il fait la même chose avec toutes sortes de culpabilités, comme il peut également absorber dans sa neutralité des images de soi humiliantes, sans se sentir concerné, tout en rectifiant le tir en puisant sa force en lui-même ou dans le champ 2. En prise directe avec le présent pur, le Soi dissout ce que l'on pourrait appeler «les péchés», annule les fautes dans la nécessité même de ne plus les reproduire, ce dont il est naturellement capable, puisque son intelligence est plus forte que tamas, plus forte que rajas, plus forte même que sattva. Le soi a le pouvoir de tourner les pages, d'abandonner ipso facto ce que nous croyions posséder, comme un serpent change de peau, qu'il s'agisse de mérites confits de vanité ou de défauts récurrents, de faiblesses, qu'il jette à la poubelle tels des habits usés, si l'aspiration du 2 est suffisamment forte. L'imperfection n'est pas un obstacle, mais le chemin même de la perfection qui se fait jour en élaguant les processus séparatifs.


7 Les perspectives générales de la méditation quantique

La pratique consciente de la méditation libre, qui se tourne vers le soi tout en acceptant les informations ponctuelles qui viennent de chacun des Mystères, permet à l'esprit de découvrir sa véritable nature: une souplesse infinie qui ne s'arrêtera plus aux barrières rigides de l'ego, ni aux peurs carrées du corps, et qui se faufilera en traversant les désirs de la personnalité pour jouir d'un territoire immense, ce qui se produit dès que le centre immobile et le champ 4 parviennent à des échanges stables, non accidentels.

Le barattage du mental ouvre parfois la porte d'une manière soudaine vers une conscience beaucoup plus profonde du Champ 2, et c'est alors que la pratique de la méditation quantique produit des sentiments nouveaux chez le méditant, qui se sent maintenant appartenir d'une manière indéfectible, non seulement à la vie et à la terre, mais à la conscience de l'univers. Ces moments-là portent des noms différents selon les traditions, et mettent en contact avec différents mondes énergétiques, et seul le mental, parce qu'il limite et sépare, tient à différencier outre mesure la méditation et la contemplation, où l'amour pour le Divin se manifeste sans adoration servile. Le vrai moi est large et goûte plusieurs nourritures: la méditation est sèche et elle estompe les objets de telle manière que l'esprit puisse se rassembler sur lui-même en évitant de perdre le tout au profit de l'objet qu'il distingue. La contemplation est une nourriture presque liquide, quelque chose sans doute d'indescriptible, mais qui arrive, et fonde alors l'identité du moi dans l'identité du Tout, comme si toutes les défenses territoriales du champ 3 et les barrières psychologiques du champ 1 s'effondraient d'un seul tenant, révélant la Présence vivante, différente de celle du Brahman, indifférent à la vie.

Il se peut encore que l'attention du Champ 1 dirigée sur le Champ 3 par le biais d'une reconnaissance progressive de l'indétermination du Champ 4 (libre du passé et de l'avenir), permette un travail intérieur tout à fait analogue à ce que nous trouvons dans le paradigme de la psychologie transpersonnelle, ou encore dans celui de la philosophie bouddhiste ésotérique, elle qui n'est pas avare de préconiser toutes sortes d'exercices mentaux susceptibles de démantibuler les résistances ordinaires du Champ 3 pétri de peurs génériques, celles du Champ 4 avec son opportunisme du désir, et celles du premier champ aux prises avec le cadre de l'image de soi. Le silence mental, faisant un tour d'horizon des Mystères par un simple balayage passif, rencontre parfois des contenus psychologiques concrets, presque matériels, qui encombrent la psyché, et il peut les dissoudre, ou en prendre conscience et chercher des solutions. Indépendamment des complexes, de sub-personnalités déjà largement répertoriés, la méditation peut tomber sur des «attentes», comme des caillots énergétiques, émanant sans cesse des sortes de demandes, comme un signal de détresse lancé en permanence. La demande d'approbation et le complexe d'abandon en sont les exemples les mieux connus.

Les prises de conscience virtuelles des êtres humains sont pauvrement qualifiées à travers les descriptifs les mieux autorisés. Ce qu'est une authentique méditation, ou un réel processus d'individuation, ou une véritable consécration, ou encore un «vrai» moment présent, seule l'expérience le montre, et le modèle est fort glissant, ce qui le rend inutile. Ce serait encore créer des cages sur mesure pour les oiseaux étincelants de l'éveil, de caractériser les procédures, comme si le mode d'emploi dispensait d'utiliser la machine. La seule réalité est celle que nous vivons, c'est notre manière personnelle de nous orienter dans les directions cardinales, de revenir au centre, en sachant que tout se tient là, dans la contrainte du moi lié à l'enveloppe charnelle, dans la servitude du moi par rapport au souverain Présent, maître des occasions et des accidents, et dans l'obédience respectueuse de notre être à l'univers infini dont il s'échappe, et que nous avons représenté par le Champ 2.


8 La dualité du mental

Non seulement les quatre Champs sont immenses, ce qui rend toute tentative d'en préciser les limites vaines, mais encore le centre du soi est illimité et imprescriptible. C'est-à-dire que le principe qui nous permet de former des pensées à chaque instant est si profond et si parfait que toute tentative de «mettre la main dessus» est vouée à l'échec.

Il s'agit donc de coïncider avec cette source et non pas de s'en emparer par une quelconque saisie objective. C'est là la différence fondamentale qui sépare le sage du philosophe. Le philosophe croit encore que son propre esprit va pouvoir se saisir lui-même, et il donnerait tout ce qu'il a pour parvenir à ce résultat. Le philosophe s'oblige donc à devenir un architecte, et il s'imagine que ces échafaudages d'idées peuvent rendre compte de la nécessité de la vie, de l'Ordre, voire de Dieu. Le sage au contraire, par une grâce qu'il ne s'explique peut être pas toujours lui-même, est parvenu à la conclusion que le mental ne pouvait pas saisir la réalité. En renonçant à domestiquer l'intelligence, non seulement elle ne se dissout pas, mais elle s'exerce avec une telle spontanéité qu'elle va révéler la vraie nature des choses par un contact immédiat avec elles, et non par une élaboration quelconque, qui voudrait faire rentrer l'observation dans un cadre prémédité.

Cette révélation de la souveraineté de l'intelligence spontanée sur le mental cultivé, a été chantée à toutes les époques et sur de nombreux continents. Lao-Tseu a transformé l'esprit pragmatique chinois en le convaincant qu'il obtiendrait de meilleurs résultats dans la recherche de l'harmonie s'il abandonnait les rites et les ancêtres pour se livrer à l'innocence d'une vision ludique de la réalité, dans laquelle le grand principe pouvait être retrouvé à condition de s'y soumettre. Mais la folie de Socrate et celle d'Empédocle, et la concision même d'Héraclite, chantent la même légende. Celui qui accepte de basculer hors des limites humaines (dans notre jargon hors de la manipulation du cerveau ou du Champ 3) peut découvrir ce que les lois interdisent: que Dieu n'est pas une autorité mais une présence d'amour infini, palpable et sensible, que la souffrance de la vie maquille une félicité insoupçonnable, celle que le Moi soucieux de sa propre profondeur finit par découvrir et peut-être même conserver. La méditation quantique ouvre donc toutes les investigations que l'on trouve en général répertoriées dans d'autres voies, mais son génie consiste à ne faire prévaloir aucune orientation, ce qui limiterait la portée des autres, renchérirait sur la valeur de certains champs au détriment d'autres, alors qu'ils sont tous enchevêtrés.

Le chercheur intégral, simple précurseur, peut tout autant se considérer comme sage ou mystique, comme un maître ou comme un «innocent» ayant désappris, comme un psychologue ou comme un guerrier, les anciennes étiquettes ne correspondant plus à l'expérience en cours, comme cela est sensible dans l'Agenda de Mère. Il tâche de faire bénéficier de son avance ceux et celles qui sont animés par le respect de la Conscience, l'amour de la Terre et donc, la reconnaissance de la Matière oubliée dans de nombreuses voies. Les amants de la vérité peuvent recueillir les nouveaux témoignages, divers, en captant leur fréquence. L'auteur, par exemple, ne peut pas faire grand cas de sa propre expérience ni s'en gargariser, car la vision de la Mère des mondes et le contact avec la Conscience suprême lui ont révélé sa place, à sa véritable échelle dans l'infini. Une toute petite place (mais séparée de rien), ce qui lui a permis de réduire dans un paradigme dialectique toutes les réalités en les ramenant à cinq, les champs déterminés par la croix, et son centre, le Soi, que toute approche intellectuelle blesse ou tue. Les mots que l'on met sur les prises de conscience sont donc par définition trompeurs, puisqu'ils figent dans un intitulé rapide et bref le contenu entier d'un mouvement rempli de «sauts quantiques», c'est-à-dire contenant des passages d'une zone de conscience à une autre, qu'aucun raisonnement n'explique, qu'aucun itinéraire ne décrit. Nous sommes donc maintenant libres d'accueillir à chaque moment ce que notre esprit nous soumet pour voir quelle zone est réellement concernée et quelles turbulences se produisent, étant donné que le Champ 3 nous tire en sens contraire du Champ 2 (à moins d'un travail conséquent), et que le Champ 1 ne sait finalement jamais sur quel pied danser avec le moment pur.

Sans la conviction profonde que le Soi est au centre de cette croix, et qu'il peut se jouer des conflits qui s'exercent entre les quatre Mystères, et les résoudre, la méditation cardinale reste pratiquée artificiellement. Ce sont donc les témoignages des grands maîtres de l'orient qui nous permettent d'avoir confiance dans une résolution transcendante de l'écartèlement horizontal/vertical propre à l'incarnation. Ceux qui ont traversé le mur avant nous, essaient maladroitement de nous montrer leurs traces afin de nous faciliter le passage, mais comme nous l'avons déjà dit, les mots ne peuvent rien représenter d'autre que l'expérience que le lecteur ou l'auditeur en aura déjà. D'où cette cruelle évidence que «l'illumination» représente beaucoup plus de choses pour le disciple qui la poursuit que pour le maître qui, lui, ne fait qu'évoquer un épisode de son existence. Nous savons donc que nous prenons quelques risques à créer un diagramme aussi simple et complet que celui des quatre Mystères, où le soi occupe le milieu, puisque mal comprise, cette représentation limpide, simple et enfantine, pourra permettre à certains esprits compliqués de s'enfermer dans un type de méditation préconçu ou volontariste, si le mental récupère l'intuition fulgurante qui donne le pouvoir à cette méthode. Mais c'est un risque calculé, puisque le système intègre dans un minimum de données d'infinies possibilités, ce qui en fait réellement un modèle quantique adapté à la singularité de chaque individu. C'est une représentation quantique, qui permet de développer la souplesse d'esprit, souveraine dans le lâcher prise, et qui facilite la reconnaissance de l'esprit de Fo-Hi: épouser les transformations permanentes de l'univers pour rester tissé avec le Tout; afin de comprendre comment la conscience universelle brode notre existence dans l'espace-temps (ce qui nous dispense d'inventer des motifs mensongers).

Tout se transforme à chaque instant, les mots ne sont pas les choses qu'ils représentent, les signifiants donnent sur des signifiés plastiques, élastiques, souvent informes pour les réalités supérieures (Dieu, totalité, existence, vie, être, réalisation, etc.). Les identifications auxquelles l'état de veille nous oblige sont d'infimes segments du soi continu et indéchirable, au fond de nous, et ce silence conscient peut donc jouer avec elles, choisir, éliminer, dans une danse infinie, où seul souffre le tamas en nous, l'inertie propre aux lois de l'espèce (le subconscient joue encore son rôle avec une autorité certaine dans la vie de l'homme, l'évoluteur cosmique«Sache que tamas, né de l'ignorance, est ce qui égare toutes les âmes incarnées; c'est par la négligence, l'indolence et le sommeil qu'il lie (l'âme), ô Bhàrata.» Bhagavad Gita, chant XIV.). C'est donc avec une certaine désinvolture que nous nous ouvrons à explorer les quatre Champs, sans en faire un lourd devoir ou une routine, tout en demeurant sensibles à l'occurrence du silence mental autant qu'au retour instructif de scories non clarifiées, de constellations parasites, dans le simple déroulement du moment unique, toujours le même (pour le soi) et toujours différent (pour le vécu et son histoire).


9 Le système du système

Quelques éveillés modernes commencent à dénoncer le mythe de l'illumination, alors qu'il est évident qu'ils sont eux-mêmes passés à travers le mur mental, pour embrasser la source immobile de l'esprit. C'est une position qui mérite d'être abordée avec prudence, puisqu'il est certain que l'obtention définitive du silence mental ouvre de nouveaux horizons. En revanche, nous considérons, comme ces maîtres modernes, que l'illumination ne doit pas être poursuivie comme un but, ce qui ferait du centre, le soi, un lieu souverain par lui-même, alors qu'il est surtout là pour permettre l'intégration des champs dans l'unité individuelle, qui ainsi, devient une fractale de l'Unité cosmique, le microcosme rejoignant le macrocosme, afin de s'y soumettre dans la confiance absolue.

Si tel était le cas, que le centre soit considéré comme indépendant de ce qui l'entoure, ce que nous avons défini comme la méditation dans le Champ 4 serait à considérer comme une expérience manquée si les pensées venaient la troubler, car elle est finalement censée se confondre par la dissolution, avec le soi, le Brahman. Or, le fait même de vouloir s'obliger à ne pas penser, crée un objectif et un enjeu qui empêche la manifestation spontanée du soi, thème principal de cette symphonie discursive que constitue ce livre, et qu'il nous appartient donc de traiter dans différents tons. Tandis que la pratique des quatre Mystères non seulement accepte que la méditation soit troublée, mais encore elle en profite pour découvrir ce qui empêche le calme de l'esprit; puis corrige, grâce au dialogue intérieur. Dans la mesure où les mouvements sont clairement caractérisés, rien n'empêche d'y remédier. Plus la différence entre le soi, l'océan, et les «poissons» des pensées qui surviennent, est nette, plus les informations sont limpides. Quand le soi est transparent, c'est-à-dire immobile sans effort, tout ce qui provient de la pensée possède des contours définis, l'enchaînement fait sens, et il est d'autant plus significatif qu'on veut réellement changer sa propre nature. Selon la formule de Satprem «l'obstacle devient l'allié». On ne tombera finalement que sur deux catégories d'obstacles, ceux qui appartiennent au monde extérieur et qui peuvent être observés, et ceux qui appartiennent au monde intérieur, croyances ou valeurs imaginées de toutes pièces par l'esprit, retour en filigrane des actes douteux, désirs ou peurs refoulés, plus difficiles à débusquer, mais que les émotions de malaise révèlent, et qu'on finit, en quelque sorte, par appâter.

Une méditation sera troublée soit par des stimuli qui viennent des sens (bruits, odeurs, température), soit par des pensées qui n'ont strictement rien à voir avec le contexte et dont il reste à identifier le champ d'origine. La difficulté provient de l'amalgame que l'esprit produit entre le problème objectif et ce qu'il représente. On peut être appelé par la méditation à résoudre des problèmes contingents (trouver un autre mode de relation avec un proche, trouver un nouveau travail), mais cette question sera très rarement considérée sans les enjeux de son échec ou de sa réussite, enjeux qui font rentrer la dimension émotionnelle dans la solution à trouver, avec des craintes d'un côté et des attentes de l'autre. La méditation permet à ce moment-là de mieux poser la question, car si la question qui se pose concerne le Champ 3, la manière d'y répondre peut provenir du Champ 1, et n'avoir rien à voir avec les circonstances objectives: l'image que l'on se fait de soi-même se noue automatiquement à la manière dont on envisage la réponse. La même question objective sera traitée différemment selon notre habileté dans la méditation. Le sujet qui ne se rendra pas compte qu'il mélange dans sa recherche de solution des raisonnements stratégiques et des contenus inconscients, ne pourra certainement pas trouver la réponse qui se trouve dans l'axe de la question posée. Les interférences subjectives, comme de la «friture» sur une ligne de téléphone, empêcheront le soi de réfléchir la question, et elle sera donc traitée non pas comme une question mais comme une simple réaction cherchant une issue de secours.

La transversale des champs 1 et 4 a été évoquée par le passé, et des procédures de passage ont été chantées pour permettre au moi permanent de s'ouvrir inconditionnellement au présent pur, indéterminé, et d'apprivoiser ainsi le champ du moi contingent, le moi physique, en le faisant participer à l'échange, pour le faire renoncer à l'appropriation du moment dans le fil même du passé. Il faut, en quelque sorte, faire remonter le 4 vers le 1, et que le moment imprègne le moi passif. Dans l'autre sens, c'est finalement la personnalité qui surplombe le moment, et lui donne un cadre, où subsistent quelques filtres. Pour parvenir à une sorte de circulation parfaite, à une osmose entre le présent et le moi, il est nécessaire d'apprendre à conférer au moment une autorité en lui-même.

Le passage du champ 3 au 2 est archaïque, un vestige, on le trouve utilisé dans les moments difficiles par les personnes les moins concernées par la métaphysique, qui demandent soudain à Dieu d'exister pour quémander une faveur, dans un moment terrible. C'est dans ce mouvement qu'une religiosité infantile parvient à s'établir, le moi émotionnel se rassurant sans cesse en corrompant le Divin par de petites attentions mesquines. Le champ 2 vers le 3 est une procédure difficile, on peut néanmoins y associer la pratique du mantra, les chants dévotionnels, les sacrifices des satisfactions vitales, la rigueur, parfois exagérée, de la discipline. Les passages latéraux existent aussi, du moi permanent au moi suprême, sans distance ni durée, mais il est difficile de les évoquer car ils transcendent le langage. Les passages du 3 au 4, sans le maintien de la présence du moi structuré du champ 1, sont dangereux, régressifs, mais ils existent sous différentes formes, dans les cas extrêmes de survie, dans les combats à mort, dans les contre initiations diaboliques ou sataniques, dans les addictions profondes au sexe, à l'alcool, à la drogue, à l'argent.

Les passages verticaux sont virtuels, difficiles à déceler, bien que le moi permanent (1) puisse contrôler le corps (3) par sa seule détermination, sans s'appuyer sur des procédures temporelles, par le simple effet de la volonté ou de la compréhension instantanée. Le passage du 3 au 1 emprunte de nombreux canaux subconscients, et forge un ego supérieur. La navette directe entre le champ 2 et le 4 est la plus séduisante, la plus rare, la plus élevée, elle abolit le sentiment d'une identité personnelle aux contours définis, mais elle ne peut s'éterniser, puisque le retour à la transformation physique du corps doit succéder aux envolées suprêmes, dans une alternance magique, guidée par la grande Mère. Dans l'autre sens, du moment vers l'âme, la pureté du présent mène parfois au deuxième champ en passant par le soi, et cette expérience répétée a donné à l'histoire spirituelle ses lettres de noblesse, et a permis d'établir des doctrines diverses, où les mêmes noms savants reviennent, pour tenter de définir les espaces transcendants, et leur approche, à partir du simple ressenti instantané.

Il est infiniment complexe, ce processus de la résultante de l'esprit dans chaque moment, mais nous voyons bien qu'il mélange étroitement le Champ 3 (le sujet et ses sens) et le Champ 4 (l'objet du moment) sous le droit de regard variable du Champ 1 et du Champ 2, qui disposent d'une marge de manœuvre pour s'identifier à ce qui se passe. La méditation apparaît comme l'unique moyen de refuser d'être manipulé par le quatrième champ et son opportunisme du désir, par le troisième et son attachement à défendre et préserver, par le premier et son acharnement à vouloir conserver de lui-même l'image qui le séduit. Même le Champ 2, s'il est puissant mais pas assez clarifié (c'est-à-dire relié correctement (consciemment) aux trois autres Mystères) peut manipuler avec avidité un sujet qui s'éprend grossièrement de l'inconnu et de la transcendance.

Le soi occupe le centre des quatre champs, absorbe naturellement le quatrième, et accepte inconditionnellement les trois autres. Nous pouvons donc compter sur un abandon total à la réalité pour accéder à la non-séparativité, à la symbiose harmonieuse et, enfin, à l'unité dans le multiple, quand l'illumination efface les frontières entre les quatre Mystères, quand le silence mental estompe les branches de la croix jusqu'à ce que se révèle un cercle infini: «Je suis cela».


Troisième partie

LES FLUCTUATIONS DES MYSTERES




1 Les exagérations des mystères

Les raisons pour lesquelles l'un des champs devient prépondérant au point d'étouffer l'équilibre d'ensemble sont diverses, et ne sont pas découvertes avant que l'on cherche à rectifier la proportion, puisque le moi prend l'habitude de remplir mécaniquement le Mystère le plus fort, en compensant ainsi les lacunes ailleurs. Le mouvement centrifuge d'un champ particulier peut tirer l'ensemble du moi psychologique dans son propre coin, donnant les extrêmes suivants:

En 4, tyrannie du présent, de l'émotion, du plaisir, de l'ivresse existentielle, addictions diverses. En 3, tyrannie du contrôle du milieu social et familial, attachements divers aux objets matériels, possession maladive des êtres «chers». En 1, tyrannie du culte de soi-même, obsession de se décevoir, de manquer ses buts, de ne pas être reconnu (à sa juste valeur), autoritarisme malveillant ou ascétisme, sentiment de supériorité, ouverture faible à l'altérité. En 2, tyrannie de la perfection imaginaire, attachement à des idoles, esprit sectaire supérieur, fascination pour l'occultisme, les siddhis, les «maîtres», le supranormal. Obsession de l'avenir. Idéalisme envahissant et prophétisme.


A Sentiment exagéré du mystère 3

Le développement outrancier de la conscience de soi en tant qu'enveloppe charnelle et individu social demeure finalement la déformation la plus naïve de toutes. Elle s'appuie sur l'évidence irréfragable que tout le Moi n'est que le prolongement de la naissance dans le monde physique, et qu'il s'abouche au milieu par l'identification. Pour le moment encore, peu d'êtres humains se sont réellement penchés sur les différences structurelles qui échelonnent le parcours d'une existence. En revanche, ceux qui l'ont fait ne cessent, chacun à leur manière, de répéter à quel point le mouvement vers la différenciation individuelle s'opère à partir d'un magma de dépendances amalgamées. Une lecture en parallèle des écrits des éthologuesBoris Cyrulnik, éditions Odile Jacob, plusieurs titres., des pédiatres, des psychologues et des maîtres spirituels, fait converger notre intelligence vers une réalité difficile à admettre sans quelques remous émotionnels: différentes empreintes s'emparent du Moi et pourraient indéfiniment le mouler dans cette unique direction de la conscience matérielle, s'il n'y avait pas la possibilité pour lui de remettre en question la manière dont il subit les sensations.

L'empreinte maternelle est sans doute la plus profonde, puisque l'individu en gestation peut s'imprégner avant la naissance de certains états psychologiques de la mère. Il suffit par la suite de faire le parallèle entre le petit enfant de moins de trois ans et n'importe quel animal sensible (par exemple un singe, un loup ou un dauphin) pour comprendre que des codes automatiques se mettent d'eux-mêmes en place pour gérer la relation entre le sujet et son environnement, avant que la fonction du discours ne vienne entièrement transformer cette dialectique. Dans la semi-conscience du petit enfant, des plis extrêmement profonds peuvent inscrire la loi de l'action et de la réaction, du gratifiant et du non-gratifiant. Plus on cherche à pousser loin la conscience du Moi en tant que tel, c'est-à-dire de cette conscience de soi qui s'ancre dans l'appartenance au cosmos contre l'appartenance au territoire, plus on cherche à se libérer des plis qui auront été pris pendant les 6 premières années, et qui auront conduit le sujet à déformer certains types d'événements en les interprétant à travers la grille automatique des premières impressions tragiques ou merveilleuses, et des signaux qui les auront produites. Il s'agit de voir se manifester des troubles, à n'importe quel âge, qui gauchissent l'approche d'une situation par une «friture» sur la ligne émotionnelle, pour être mis sur la piste de l'origine d'une position fausse ou trouble. En étant attentif, on finit par comprendre qu'un résidu traumatique a été ramené à la surface par une situation lui correspondant. La psychanalyse tourne en grande partie autour de ce paradigme. L'astrologie humanisteDane Rudhyar, éditions du Rocher, «tryptique astrologique.» soutient que certains moments sont cruciaux, pour tout le monde, en particulier à la fin d'un cycle homogène, si le cycle n'a pas porté ses fruits spirituels, ce qui peut infliger au sujet des crises longues à l'issue incertaine, en particulier à 29 ans, autour de 40 ans, entre 58 et 60 ans. Ce qu'on appelle les «transits lourds» (soit le passage des planètes puissantes de Saturne à Pluton sur des positions privilégiées du thème natal) correspond également à des moments où le non-moi et le moi ne peuvent plus coïncider de la même manière, par la même stratégie d'ensemble, et nous avons constaté en consultation que l'individu dépend, qu'il veuille ou non le reconnaître, des horloges cosmiques. Un relent de fatalité, qui s'accompagne souvent d'un sentiment d'injustice, tombe alors sur les épaules du sujet, aux prises avec des difficultés événementielles ou psychologiquesAlexander Ruperti, «les cycles du devenir», éditions du rocher., l'un n'empêchant pas l'autre, tandis qu'il est difficile de savoir dans quel ordre s'est produit la dégringolade psychologique, ou le désarroi qui amène des bifurcations. Il est finalement probable que la réciprocité multiplie les préjudices, c'est-à-dire que la personne sache de toute façon moins s'adapter pendant ces périodes-là, tandis qu'elles apportent par elles-mêmes des événements plus difficiles qu'à l'accoutumée, ou différents.

Les précurseurs de la conscience ont rapidement vu les limites de ces cristallisations structurelles que représentent les mythes fondateurs, les obligations religieuses et leurs cérémonies fondatrices d'un ordre conservateur, les cadres de valeurs socioculturelles, et ils se sont donc aventurésLire ou voir Jonathan Livingstone le goéland. Richard Bach en acceptant les risques et périls d'un voyage par-delà les frontières figées de leur clan, dans les zones interdites des mystères 4, 1 et 2. Le besoin de sécurité matérielle prolonge la mère chez l'adulte, et celui de se soumettre à une autorité morale prolonge le père. Ces substituts s'organisent d'eux-mêmes, avec une marge de manœuvre certaine, et sont suffisants pour constituer des valeurs ordinaires à long terme, mais l'évoluteur conscient dépasse les objets requis par ces besoins, et ne s'en contente pas. C'est dire que l'intuition du quatrième champ comme réservoir perpétuel de nouveaux possibles est enfin saisie dans ses conséquences pratiques: l'abandon des croyances, la démarcation individuelle, le travail intérieur.

En effet l'usage de la durée n'est pas libre, où que ce soit, et la médiation permet de retrouver son ressenti naturel. Les cultures incitent toutes leurs représentants à s'emparer du temps qui passe pour en faire un emploi précis. Tout ce qui est devant nous est déjà en quelque sorte notre propriété personnelle si nous nous référons aux valeurs de la société moderne issue du XVIIIe siècle occidental. Dans cette mesure, l'acquisition de ce que va donner le temps nourrit les grands conditionnements subis pendant l'enfance, et les remplit. L'avenir sera l'esclave de présupposés archaïques, et ne pourra être désiré que dans sa conformité fantasmée à un modèle préexistant - agissant comme un envoûtement intellectuel. Il faudra à tout prix utiliser la durée pour en faire du gratifiant qui échappera au non-gratifiant. Et dans cet effort désespéré de manipulation exhaustive des horaires, et finalement du non-moi lui-même, un socle d'ego profond se forme, qui filtre la durée à travers des pochoirs psychologiques, ce qui empêchera à tout jamais l'esprit du moment de sortir des limites imposées par la peur et le désir. Le sujet reculera devant une réflexion (ouvrant le 4 sur le 1 et 2 rassemblés) qui saperait les bases de l'image de soi, et qui montrerait que le sentiment que le Moi se fait de lui-même n'est fondé que sur une structuration des apparences, et une dialectique des réactions.

En fait, ce système a fait ses preuves. La vie passe à travers toutes ces personnes qui vivent les sensations coutumières, et considèrent que cela est suffisant, sans se mettre martel en tête. Elles renforcent les codes ambiants en les approuvant, en les suivant, en les défendant, tout en demeurant dans les ornières psychologiques de leur famille, de leur clan, de leur race, avec un peu de jeu subjectif (issu du caractère héréditaire le plus souvent, ou de la structure astrale), comme par exemple les opinions politiques et l'engagement religieux. Ce type d'êtres humains peut facilement nuire à d'autres, puisqu'il demeure convaincu que sa loi est la bonne et qu'il faut en quelque sorte la répandre, mais il est manipulable par plus fort que lui, ce qui rend compte en partie de la trame historique. Un tel sentiment de satisfaction naturelle peut en effet caractériser des personnes si entièrement identifiées à leur propre culture qu'elles peuvent décider de l'imposer à d'autres, comme pour développer un univers homogène dont elles seraient l'origine. C'est justement ce sentiment de la conscience tribale que l'univers semble décidé à éradiquer de la Terre, en déversant des énergies célestes et universelles. Il ne s'agit pas de critiquer sa légitimité, puisqu'elle s'appuie sur la mémoire de la vie elle-même, et de ce saut extraordinaire que la vie a franchi en imposant à une nouvelle créature, le mental. Le mental ne peut se satisfaire de la loi écologique, mais, dans un premier temps, il la défend. Il la transgresse par définition, et il n'y revient que si les choses tournent mal, quand il y a réellement quelque chose de vital à défendre, ce qui remet en circuit les compulsions de survie, violence et tutti quanti. Certains êtres s'affranchissent de tout territoire matérielKRISHNAMURTI, l'éveil de l'intelligence., et c'est là le mouvement même de l'Histoire, balbutiant il est vrai. Il y a donc dans le mental la volonté d'échapper au monde sensible, ne serait-ce que pour créer de nouveaux ordres d'interprétations des choses subies, mais il reste mélangé au vital, sauf dans les abstractions pures et les intuitions parfaites. Ou dans le non-mental, immobile derrière la pensée.

Les premières années de l'existence sont purement et simplement subies.

Le petit Moi n'ayant aucune puissance à opposer à l'environnement. Dans cette mesure, tout ce qui est subi est à double tranchant. Si le petit homme souffre d'un manque d'amour et de respect, cela peut laisser dans sa psychologie des codes profonds de comportements. Mais s'il est au contraire trop choyé, admiré par principe, considéré trop tôt comme possédant sa propre autonomie et donc sa propre autorité, il peut tout autant adopter des codes de comportements pervers dans lesquels le non-moi sera considéré comme un objet, purement et simplement instrumentalisé aux fins de l'ego. C'est donc la semi-conscience de la petite enfance qui constitue le paradoxe majeur de notre incarnation. Si pendant la première année le Moi et le non-moi sont entièrement confondus, et si dès l'âge de 30 ans le Moi et le non-moi sont absolument différenciés, toute la période antérieure n'est qu'un combat entre la dépendance et l'autonomie, entre l'intégrité du Moi se cherchant lui-même et les pressions multiples du non-moi auxquelles le sujet doit s'identifier. Pressions parfois gratifiantes, comme le sentiment amoureux, virtuel ou actuel, pressions plus contraignantes encore comme la place à trouver parmi les autres, à travers une autonomie pécuniaire. Cependant, s'occuper de ces juridictions qui ne font que prolonger la naissance physique ne requiert la disponibilité que d'une toute petite partie du mental, contrairement à ce qui est prétendu, tandis que nous sommes tous encouragés à nous identifier outre mesure par rapport au milieu socioprofessionnel. Selon Goleman, la dépression augmente dangereusement dans la plupart des pays les plus riches, dont la culture déracine des valeurs spirituelles. Le rôle des maîtres et des avatars consiste à enjoindre à l'esprit d'une race ou d'une époque particulière de se préoccuper de ce qu'il y a au-delà du monde sensible hérité de la naissance, dont les exigences sont sclérosées et superficielles. Tous les pionniers s'accordent pour évoquer des univers invisibles mais peut-être plus réels que le monde sensible soumis aux apparences, c'est-à-dire à l'entrelacement imprévisible des accidents et des occasions, des événements contrôlables et digestes et des manifestations du chaos qui révèlent les limites de notre pouvoir, et de notre tolérance émotionnelle.

Ce mystère numéro 3 nous empêche d'oublier que nous sommes un être charnel, avec des besoins physiques imprescriptibles, et un ensemble de relations obligées avec l'environnement, et les autres. Mais tout lui sacrifier est une conduite guidée par la mémoire ancestrale. Plus l'esprit est capable de prendre du recul et d'augmenter la distance vis-à-vis de ce scénario, vis-à-vis du film instantané que nous vivons, plus il est capable également d'en changer la direction et d'en transformer les formes. Cela impose de savoir briser la loi des conditionnements qui font vivre le temps d'une manière préconçue, et cela nécessite également que le Moi recherche en lui-même sa propre source d'existence, un secret infini qui coupe le cordon ombilical de la naissance physique définitivement.


B Sentiment exagéré du mystère 4

Instituer la recherche du présent pur ne peut se faire que dans un cadre spirituel. Dans ce contexte, l'on prend simplement conscience que l'esprit habille de ses propres projections le moment qui passe, et qu'il est pratiquement impossible de voir dans l'instant les indices de nouveaux commencements. Mais, extraite du contexte spirituel, la recherche du présent comporte d'innombrables dangers, puisque l'on peut plus ou moins consciemment instrumentaliser le présent dans la seule quête du plaisir et du gratifiant. Si le Moi dispose d'une aspiration solaire réelle, il ne se laissera pas entraîner trop loin dans les mirages d'un présent qui révèle que l'âme de la vie est constituée par le désir. Il est d'ailleurs assez classique de rencontrer dans les hagiographies les épreuves que les sages et les saints traversent jusqu'au silence mental. Souvent, un contact plus dépouillé avec la durée permet d'espacer les pensées et d'atteindre une sérénité nouvelle. C'est après cette phase que la méditation devient plus difficile puisque la conscience vitale peut profiter des progrès accomplis pour se faufiler dans un présent puissant et large d'où le désir semblera jaillir avec une force imprévue et débordante. Les légendes évoquent alors l'apparition de démons qui tentent d'empêcher le passage dans l'ultime réalité.

Le présent dont parlent les traditions est un vide qui contient toutes choses dans une paix immuable, et il n'est en aucun point comparable à l'essence de la vie, qui, elle aussi, habite le moment pur et y inscrit la volonté de jouir pour croître. Ces deux présent(s) se chevauchent d'une manière simultanée dans le monde quantique, et il est donc tout à fait naturel de concevoir que certaines méditations destinées a goûter la saveur du Soi débouchent comme par hasard dans l'âme de la vie chatoyante, qui viendra souligner avec une insistance quasi diabolique les besoins de l'enveloppe charnelle. Mais la tentation hédoniste n'est pas le seul danger d'une découverte intempestive du mystère 4. Si le sujet s'abandonne avec trop de complaisance dans chaque nouvelle journée, il finira par effilocher sa volonté propre, et cultiver des attentes impossibles (à moins de compenser par un travail équivalent en 1, pour décanter l'exploration du jour).

S'enivrer frauduleusement, en quelque sorte, de l'immatérielle durée finit par provoquer une vision discontinue du réel, où les choses s'enchaînent comme allant de soi, mais sans que l'on y découvre les véritables liens de cause à effet, ni les enchaînements évolutifs. L'esprit s'habitue donc à accueillir toutes sortes d'événements hétérogènes, qui finissent par se rassembler dans une fatalité homogène, une bouillie séduisante parce que toujours nouvelle. Ce thème mériterait un long développement, qui justifierait, une fois pour toutes, le retour de l'esprit sur lui-même pour digérer les événements (introspection, méditation, réflexion, exploration des croyances). Sans le garde-fou des valeurs spirituelles, la fascination du présent peut engloutir le Moi dans une fuite en avant perpétuelle, où la ruse servira à raccommoder des valeurs étrangères les unes aux autres, jusqu'à ce que toute éthique disparaisse dans les torrents rapides des événements ayant force de loi. C'est chez les adeptes inconscients du quatrième Mystère que nous trouvons tous ces êtres faibles, friands de présages, et persuadés que leur vraie personnalité jaillira d'un concours heureux de circonstances plutôt que d'un travail intérieur. Certes, la prépondérance provisoire du quatrième champ constitue une étape initiatique nécessaire, par exemple à l'adolescence où le désir sexuel s'embellit de la recherche d'un objet idéal, afin que le Moi et le non-moi conviennent désormais de s'épauler l'un l'autre au lieu de se combattre ou de rester dans un statu quo étroit.

Il est loin d'être préjudiciable par principe d'être emporté dans la féerie du mystère vital, puisque c'est là que le sentiment d'appartenir à la vie se fonde dans la légitimité la plus naturelle, avec un désir inconditionnel de vivre qui aime l'élan. Aussi, nous ne devons pas nous étonner que quelques rares doctrines, celles des tantriques chinois et hindous, révèlent la double nature du présent, à la fois comme l'essence de la vie et du désir et comme le vide incréé qui libère de toute pensée et de tout attachement (nous plaçons cet aspect au centre dans le diagramme). C'est également dans cet esprit qu'il faut comprendre les arts paradoxaux où des techniques matérielles se combinent avec des exercices subtils pour parvenir à fondre dans un seul mouvement la transformation du vital et la recherche du Soi, comme l'ancien taoïsme, certains Ki-cong, le hatha-yoga, ou d'autres pratiques secrètes où le souffle est sollicité. L'apprivoisement du vital par le travail sur le physique peut s'adjoindre à la recherche pure, mais n'est pas nécessaire, et certaines doctrines s'en passent.

Cela revient à dire que la connaissance possède un prix, étant donné que les voies qui la révèlent comportent quelques risques inconnus des mentalités ordinaires. Parvenir donc au moment pur délivré de toutes projections, le Soi, qu'on approche d'abord en délivrant le maintenant de toute finalité, peut amener certains détours décourageants, telles la confrontation vivace aux instincts animaux (terreur, colère, luxure, cruauté) qui s'enracinent dans les éléments de la Terre et du Feu, et la vision humiliante des innombrables attentes projetées dans un futur naïf et infantile, qui s'enracine dans les éléments de l'Air et de l'Eau. Mais le pur présent, celui qui est le marchepied du Supramental, transcende toutes les différenciations de la matière, et il est le socle souverain et accessible d'où part toute tentative d'exister. Voilà pourquoi de nombreux sages s'y sont définitivement arrêtés en acceptant de s'y abandonner corps et âme. Même le Bouddha semblerait s'y être noyé, puisque saturé de cette immense connaissance vivante, il se serait abstenu de rechercher l'existence du Divin, tels que Sri Aurobindo par exemple le décrit, avec la conscience infinie d'un côté et la Mère des Mondes de l'autre.

Il n'est pas surprenant que cette zone fondamentale, ce quart en quelque sorte de la réalité qui nous concerne dans notre évolution, puisse être abordée à partir d'autant de perspectives différentes, puisque c'est là que tout se passe. Même une réflexion philosophique, sans prétention méditative, telle que savaient la mener les anciens grecs, nous montre que le temps est insondable, et que la mémoire, qui est à la fois la trace et le fantôme du présent dans le passé, n'a aucune consistance réelle. Et pourtant nous pouvons nous déplacer avec complaisance dans les lieux de notre enfance avec la même imagination que celle qui nous transporte dans les avenirs que nous souhaitons.

Par là même, le mystère de l'esprit, l'énigme du mental est établie: ce qui est réel et ce qui ne l'est pas ne fait qu'un.

Le sujet voit ce qu'il veut voir dans l'objet plutôt qu'il ne l'observe, le Moi pare de beauté l'objet convoité et de laideur la vérité qui le dérange, dans une éternelle fuite en avant où chaque être invente sa propre existence avec ses motifs inconscients et ses arabesques idéales plutôt qu'il ne la parcoure reliée aux principes objectifs, le Ciel et la Terre pour les chinois, Dieu et la nature pour les monothéistes, la conscience et l'énergie pour les hindouistes et les tantriques. La plongée dans le champ 4 réserve infiniment de surprises qui deviennent autant de brèches dans les systèmes fermés des représentations convenues, et qui percent le tunnel évolutif. Le Moi y est forcé d'y observer les mouvements propres au Mystère 3 et d'y apprécier la force inconsciente de la nature, pour s'en libérer. Il voit aussi se dessiner, quand la vitesse des pensées diminue, le besoin d'être un être unique et intègre, dépouillé des scories des influences, maître de ses propres valeurs, et cherchant son propre axe vertical. C'est alors que la conscience du Mystère premier flirte avec celle du quatrième et sacre l'espérance d'un avenir sculpté par des découvertes inconditionnelles. Enfin, dans les moments de coïncidences extrêmes où les Mystères 3, 4 et 1 s'épaulent, la conscience souveraine du Moi divin peut s'emparer du sujet, se moquer des limites de l'enveloppe charnelle, pardonner celles de la personnalité, et le relier à la conscience suprême.

La loi du territoire aura été abrogée, la conscience obscure d'appartenir à un seul milieu particulier, décidée à défendre coûte que coûte ses propres valeurs, aura fait place à un esprit universel, doué d'une intelligence infaillible et qui voit le Tout dans chaque fragment, sans violence, sans effort, transcendant tous les lieux et toutes les époques. Le maintenant constitue donc la porte absolue, par laquelle tous les enfermements sont brisés comme des coquilles tandis que l'immensité finit d'être une menace pour devenir une promesse. Mais un abandon au 4, s'il n'est pas rééquilibré par des retours en 1 et en 2, loin de purifier l'émotionnel, l'augmente dangereusement, soumettant le sujet à une vulnérabilité qui deviendra maladive, et pourra finir par l'emporter dans une sensibilité lunaire régressive, ce qui arrive parfois à certains artistes, les poètes en particulier, qui se lancent sans vergogne dans l'immédiateté, parfois sans garde-fous.


C Sentiment exagéré du mystère 1

Le sentiment d'une identité permanente s'établit par la force des choses, et chaque être humain est renvoyé sans cesse à son enveloppe charnelle par les besoins quotidiens du corps. L'identité intérieure et l'identité extérieure sont en réalité confondues tant le Moi se projette constamment dans le milieu pour y établir des stratégies gratifiantes. Les premières grandes émotions viennent attester qu'il existe un Moi en retrait des identifications, séparé du milieu, et ce Moi peut toujours devenir plus profond, varier l'éventail des verbes qu'il utilise à la première personne, et se distancier de l'événementiel. Le je utilise d'innombrables verbes et, par exemple, la dichotomie entre le «je sens» et le «je suis» est à la base de toutes les morales et des pratiques religieuses, et ponctue la philosophie en établissant par là l'écartèlement psychologique fondamental de la croix cardinale, que nous utilisons dans le système des Mystères. L'effort humain s'est donc établi depuis fort longtemps pour faire prévaloir un Moi structuré par rapport à un moi constitué des seules identifications au milieu (3) et au désir (4), ainsi qu'aux objets passagers du moment, et ce souci motive et anime également la philosophie depuis son origine.

Le rôle des émotions puissantes est de nous faire comprendre que nous ne sommes pas les objets auxquels nous nous identifions. La perte d'un être cher par exemple révèle que nous avions mélangé notre Moi intérieur et notre moi extérieur dans l'affect pour cette personne, dont l'hologramme, en quelque sorte, vivait en nous, hologramme qui cherche, si l'on peut dire, à survivre à l'original. La preuve en est que chez les «vieux» couples qui se séparent et qui sont contents de le faire, le souvenir de l'autre persiste, et la présence de l'absence vient s'imposer avec une rigueur déconcertante dans la nouvelle existence. Transformer la dose de mémoire qui reste en véritable «amour» n'est pas à la portée d'un sujet ordinaire. C'est donc bien que l'esprit travaille pour tisser le Moi avec le non-moi dans une trame extrêmement fine, et ce travail nous échappe en grande partie, vers le bas avec le subconscient, et vers le haut avec le supraconscient, et le subliminal. Comme il y a l'infra rouge et l'ultra violet au-delà des capacités de notre œil, notre ressenti est codé, dans une certaine mesure, dans des réservoirs d'informations qui nous échappent, mais que le supramental révèle par sa propre nature, puisqu'il brise les barrières, et que la méditation indique elle aussi, dans une proportion moindre, mais conséquente et exponentielle.

En fait, la plupart des êtres humains ne font un retour à la conscience de leur identité permanente que s'ils y sont forcés par les circonstances, en général douloureuses. Seul le prêtre, le mystique, le guerrier, le shaman, le mage, le philosophe cherchent réellement à explorer la différence entre le Moi intérieur et le moi extérieur. Le prêtre parce qu'il aime le principe caché derrière la manifestation, le mystique parce qu'il en recherche le contact, le shaman et le mage parce qu'ils s'intéressent aux énergies efficientes mais cachées, le philosophe parce qu'il sait que l'esprit est souverain par rapport aux objets qu'il saisit (il pressent l'Intellect derrière la pensée), et le guerrier parce qu'il doit nécessairement développer des qualités intrinsèques de connaissance de soi pour faire face aux dangers, et survivre. Certains artistes creusent vers le dedans, mais pas tous, puisqu'ils sont les thuriféraires du 4. Les femmes doivent dépasser les satisfactions de mère et d'épouse pour creuser vraiment vers le moi, et plus généralement se lasser des rôles sociaux auxquels elles se livrent pour se confronter au Moi profond, mais elles ont autant de chances que les mâles d'y parvenir, car elles sont moins dupes des architectures mentales, et plus tentées d'établir en permanence une synthèse entre leurs sentiments, leurs actes, et leurs aspirations.

Ce qu'il faudrait, c'est inaugurer une période où le besoin pour chaque personne de se connaître elle-même en tant qu'être cosmique devienne naturel. Pour le moment, la plupart des êtres humains qui recherchent la permanence structurée du Moi le font encore dans une quête supérieure du gratifiant. Toutes les cultures préconisent d'obtenir une compétence susceptible d'apporter le succès et la notoriété, le prestige et la richesse. Pour y parvenir, il est clair qu'un certain travail intérieur doit être entrepris, et que les bases de l'identité individuelle permanente apparaissent. Le sentiment que la vie doit apporter un épanouissement appert, mais il s'accompagne du cortège des représentations archaïques soulevées par la peur et le désir. Le Moi se cherche et parvient à modifier son écologie en prenant quelque distance sur les choses et en développant une intelligence dynamique. Mais, tant que la reconnaissance soudaine de la souveraineté du Tout ne s'opère pas, le Moi qui se structure dans le premier champ forme un ego plus puissant que celui de la nature, et développe une volonté individuelle efficace, qui va facilement à l'encontre des intérêts et du respect des autres. C'est comme si le premier champ se développait sur le socle du troisième sans passer par le second avec ses ouvertures à l'inconnu, tout en utilisant le maintenant sans vergogne.

Cependant, l'hypertrophie du Mystère 1 est considérée comme un luxe à atteindre dans la plupart des civilisations, puisqu'elle établit d'une manière concrète le sentiment de supériorité que la personne humaine cherche à s'attribuer, par principe en quelque sorte, pour faire face à l'altérité. Un moi conquérant s'établit, qui jouit de son initiative et de son libre arbitre, et un certain triomphalisme peut ainsi s'emparer d'un individu qui parvient la plupart du temps à réaliser ses propres objectifs. Il est néanmoins difficile de savoir comment le renversement s'opère, c'est-à-dire, comment une personne peut basculer dans la reconnaissance de son identité cosmique après avoir longtemps lutté pour devenir ce qu'elle croyait être. C'est une question épineuse, car différentes perspectives s'ouvrent pour la traiter, et qui, chacune, possède une part de vérité. Si nous supposons que la vie va irrémédiablement à la rencontre du Divin, comme Sri Aurobindo, nous avons le loisir de considérer que les individus puissamment structurés dans le Mystère 1 finiront par se lasser de leurs conquêtes. Ce serait donc de manière naturelle que les individus doués d'une forte personnalité finiraient par renoncer à leur royaume matériel pour se soumettre à l'Esprit. Mais dans une perspective historique, il apparaît au contraire que la plupart des puissants et des forts non seulement ne remettent jamais en question leur ego, mais cherchent au contraire à toujours étendre leur empire.

En revanche, il est absolument établi que d'une existence à l'autre, l'âme peut entièrement changer d'orientation. Des âmes qui se sont par le passé aventurées loin dans «le mal» et le chaos peuvent dans cette existence présente éprouver le besoin d'un retour à la conformité cosmique très puissant. En revanche, des personnalités faibles et qui veulent en quelque sorte servir Dieu par principe, ou par devoir, risquent d'avoir une foi superficielle et un engagement médiocre. Il est donc impossible de généraliser cette question et de prétendre qu'il faut éviter de se structurer un ego personnel fort et puissant, autonome, et indépendant de toute reconnaissance du Divin. Au sein même de cette expérience, le besoin inconditionnel d'être peut se former. Puisque tout mouvement vers le Moi peut se renverser vers le non-moi d'une manière proportionnelle, on peut affirmer, comme l'attestent d'ailleurs les écritures et certains témoignages, que ce sont parfois les êtres qui se sont égarés le plus loin du Divin qui y reviennent avec le plus d'intensité, d'amour et de respect. Cette vérité paradoxale fonde l'expérience comme le seul chemin de la vérité.

Nous subissons énormément de pressions culturelles pour développer l'hypertrophie du premier champ, susceptible de nous faire monter les échelons hiérarchiques dans notre société. On apprend à instrumentaliser l'intelligence dans des buts matériels et financiers, comme si tout son pouvoir se limitait à manipuler les structures du non-moi pour tirer son épingle du jeu. Le véritable progrès établi dans la connaissance de soi, à travers la reconnaissance des mythes fondateurs modernes tels que la psychanalyse, est vite récupéré par le besoin de s'affirmer dans la réalité sociale. Certes, l'intelligence semble pouvoir équilibrer les besoins du Moi intérieur et ceux du moi extérieur, mais vu les valeurs qui président à l'heure actuelle dans toutes les sociétés, cet équilibre ne peut être maintenu. Les individus lassés de plafonner dans le Mystère 1, s'ils veulent vraiment mettre en chantier leur propre existence et découvrir une durée nourrissante, doivent en général renoncer à augmenter leurs prérogatives sociales, ou être particulièrement habiles dans leur milieu pour ne pas se sentir écrasés par le stress ou les responsabilités, ou l'emploi du temps. D'un certain point de vue, l'humanité doit sans cesse sacrifier aux idoles archaïques du champ territorial, organiser une survie chaotique dans un milieu où l'économie s'empare du politique jusqu'à détruire les valeurs de la civilisation elle-même.

La durée a été ensevelie dans les valeurs empiriques et pragmatiques. D'où l'insistance de tous les sages, de tous les maîtres, de tous les avatars sur la qualité de la méditation qui contrebalance toutes les récupérations des horaires aux seules fins mercantiles ou avidement ludiques. Il semblerait que l'histoire soit réellement à bout de souffle, puisque tout ce qui a été accompli pour libérer les peuples de la survie matérielle n'a servi qu'à les aliéner davantage. L'espoir insensé du XIXe siècle a été radicalement anéanti. Le progrès scientifique n'a aucunement changé les valeurs de la société où les inégalités s'accroissent sans que des remèdes apparaissent, quel que soit le régime politique au pouvoir. C'est le moment d'affirmer que le mental, qui se croit intelligent par lui-même, est en réalité stupide. La dissection analytique ne peut pas s'emparer de l'ensemble des systèmes où elle prélève ce qu'elle choisit en mutilant la toile de fond, où toute modification se répercute sur l'ensemble. Que les meilleurs esprits aient pu à ce point se tromper sur la direction de l'histoire montre à quel point la pensée est limitée et peu fiable, en dépit de la confiance aveugle que lui vouent les dirigeants et les intellectuels. Peu importe que des individus se structurent dans le premier Mystère d'une manière si autonome qu'ils se sentent au-dessus de toutes les lois, prêts à tout pour conserver leur pouvoir dans un cynisme quasi religieux. Même les forces les plus obscures de la Manifestation, et qui voudraient s'emparer définitivement de l'humanité, ne pourront que disparaître devant la pression de la conscience de vérité supramentale, quelle que soit la durée nécessaire à cette transformation. La loi du territoire sera abrogée, et un mouvement conscient vers l'unité finira par prévaloir à travers la somme des existences individuelles.


D Sentiment exagéré du mystère 2

Développer outre mesure l'espace du second champ constitue une sorte de luxe, à la portée seulement des individus qui veulent adhérer fermement aux plans subtils. Le second Mystère est en effet une véritable auberge espagnole, puisque nous pouvons y projeter toutes nos représentations de Dieu, tous les embellissements avec lesquels nous voulons décorer notre propre existence si nous ne la jugeons pas assez lumineuse. C'est dans le second Mystère que les repères font véritablement défaut. Tandis qu'il est aisé d'observer notre propre vécu dans son environnement, facile de vérifier ce que le moment nous fait ressentir, et naturel de fouiller en nous la question du «qui suis-je ?», il est en revanche délicat de ne pas mêler la substance même de l'imagination à nos sentiments les plus purs et les plus profonds pour l'énigme du cosmos et le secret du Divin.

Si, par nature, nous avons tendance a nous réfugier dans les éthers invisibles, et que nous nous figurons habités par des présences supérieures, c'est en restant vigilant sur ce que nous sommes dans le troisième mystère que nous pouvons réellement ajuster notre vision du réel, et ne pas oublier que, quels que soient nos élans et nos souhaits transcendants, ils ne peuvent s'appuyer que sur une conscience objective de notre projection dans l'environnement. Ce paradigme vient de l'Orient, de la Chine et de l'Inde, thuriféraires de la non-séparativité, et il est moins courant en Occident, où la vision du corps physique s'incorpore mal aux conceptions spirituelles d'une part, et où la «volonté» est considérée comme une panacée. Mais au vu des découvertes récentes, comme le sabotage potentiel des plans du moi par le subconscient, (somatisation, refoulement, sub-personnalités, plis traumatiques), le retour à la conscience du corps dans son milieu (vulnérable aux accidents et aux occasions), s'impose comme le nouveau paradigme pour établir non seulement la médecine holistique, mais l'itinéraire évolutif de principe, dépouillé de formes particulières.

La Conscience suprême s'amuse aujourd'hui à jouer avec les cellules, les investit et superpose à la trame de la nature un mouvement infiniment plus rapide, un tourbillon d'une vitesse inimaginable. L'idéeSatprem «la genèse du surhomme». Editions Buchet-Chastel. est de recréer une nouvelle unité d'ensemble de l'être en intégrant les travaux séparés du subconscient, du conscient, et du Supraconscient dans un seul être matériel/spirituel.

Le chercheur qui compte trop sur le développement du second champ pour évoluer, finit par opposer au monde réel du contingent l'univers vertical et solaire de sa propre aspiration. Il s'ensuit généralement une sorte de culture quasi méthodique des conflits possibles entre l'aspiration solaire et le milieu extérieur, entre les souhaits divins et la pratique relationnelle, qui entraîne conflits et jugements malveillants, la préservation d'un décor «favorable», qui se coupe de la vie réelle, tandis que la somatisation est encouragée parce que le champ 4 ne fournit plus une durée homogène, mais des hauts et des bas contrastés, qui épuisent le système nerveuxD'où la nécessité de «l'égalité», qui apaise les guna, dans les meilleures traditions hindoues. et malmènent l'image de soi. En revanche, il est établi depuis des milliers d'années que les puissantes expériences spirituelles demeurent intransmissibles. Le meilleur gourou du monde ne peut pas à volonté déclencher chez ses disciples l'Illumination. Il est remarquable que la transcendance du Mystère numéro 2 résiste à toute appropriation«Au seigneur tout ceci qui est, pour qu'il l'habite, et chaque chose, univers se mouvant dans l'universel mouvement. De tout cela détache-toi et jouis-en; ne convoite aucun bien que s'approprient les hommes.», Isha Upanishad, commentaires de Sri Aurobindo (Arya, 1914.1915). Aucune formule ne force le Seigneur à se manifester et compter sur l'abus de prières ou de contemplations pour avancer plus vite n'est qu'une ruse du mental pour donner le change à l'ego. La structure d'une discipline est nécessaire, avec ce paradoxe qu'elle doit subir les empreintes réelles de la durée, pour acquérir une souplesse pragmatique, c'est-à-dire tenir compte réellement de l'impact des événements au lieu de «souffler dessus» quand ils dérogent à la conformité subjective attendue. Il est tout à fait plausible de passer plusieurs jours ou même plusieurs semaines dans une contemplation quasi ininterrompue si les circonstances s'y prêtent, tandis que d'autres périodes peuvent infliger l'abandon provisoire des aspirations les plus hautes, voire des enfers insondables. La marge de manœuvre dans l'exploration des 4 Mystères est absolument immense, et il est plus naturel de l'adapter au vécu (la suprématie concrète du mystère 3 se déroulant ne pouvant pas être remise en question) que de la figer dans un système fermé sur lui-même, virtuel et intemporel.

Le supramental fonde définitivement la souveraineté du second Mystère, il domine les trois autres par principe et demeure le plus caché dans l'expérience, et, dans cette mesure, il ne peut s'atteindre correctement qu'après un usage nouveau de la durée dans le champ 4, qui aura établi une nouvelle dialectique entre le moi contingent du 3 et le Moi permanent et intègre du 1, qui aspire à l'être, en passant par le centre, le Soi, là où l'esprit est vide de tout concept et présent à sa source. L'observation de soi-même, quand elle devient naturelle, constitue un contrepoids efficace aux envolées de l'imaginaire qui veut parer le passage dans le second champ d'une symbolique extravagante. À la lisière où le mental et le vital communiquent, on trouve une force étrange qui cherche à séduire le divin, comme un jeune homme imagine quelque ruse pour se faire valoir auprès de l'objet amoureux qu'il convoite. Si cette force se développe, elle peut s'emparer de l'être, le convaincre qu'il est au service de Dieu alors qu'il ne vit que ses propres fantasmes et c'est en quelque sorte ce mental vital qui est responsable de tous les fanatismes et de tous les intégrismes.

L'exploration des quatre champs peut toujours se vivre d'une manière efficace dans les transversales: aux profondes aspirations solaires qui soulèvent encore confusément le moi dans le second Mystère, s'opposeront les observations sans complaisance des comportements et des relations, qui permettront le dépassement des pulsions et des compulsions de la nature animale dans le Mystère 3, suscitées par les occasions. Aux revendications trop fortes du Moi permanent qui voudrait structurer la durée à son seul avantage, s'opposeront le lâcher prise ou le non agir dans le quatrième champ, ce qui permettra à l'esprit d'élargir sa vision des possibles et de transformer l'image de soi. Développer le Mystère 2 en oubliant le 3 est aussi dangereux que développer le 1 en oubliant le 4. Dans ces deux cas de figure, un moi triomphaliste escamote son appartenance au réel en forgeant par sa volonté les barreaux d'une prison subjective. Qu'ils soient plus subtils en 2 ou plus concrets en 1, le fait est que certaines fuites orchestrées peuvent donner le change au sujet qui s'échappe du mystère absolu pour se l'approprier.

Une connaissance plus profonde et naturelle des relations entre les quatre Mystères permet de voir parfois surgir l'espace du centre, le Soi, une présence sans pensée, qui n'a nul besoin de s'identifier à quoi que ce soit, et qui embrasse entièrement le moment sans saisir d'objet.


2 Les déficiences des mystères


A Sentiment déficient du mystère 3.

Le fait d'être obligé de percevoir sans arrêt le non-moi à partir du corps semble une contrainte à certains moments de l'existence, et il peut être tentant de tenir à l'écart de la voie spirituelle les besoins physiques et les préoccupations matérielles et relationnellesVoir l'histoire de Marthe Robin.. C'est un thème qui peut être étudié indéfiniment aussi bien dans l'histoire que dans notre pratique personnelle. Sous prétexte que le cerveau agit sous la pression de la mémoire évolutive pour rattacher le sujet, à travers ses perceptions, au seul environnement, à chaque époque de nouvelles théories apparaissent pour mettre en garde les chercheurs contre la tyrannie des besoins corporels dans leur démarche. Les grandes religions ont fondé des ordres monastiques innombrables, dans le but de permettre aux adeptes de vivre avec un esprit ouvert aux réalités non contingentes. Mais ces procédures qui semblent faciliter le travail créent elles-mêmes de nouvelles habitudes, qui, elles aussi, cristallisent l'esprit, et peu d'êtres humains sont réellement prêts à subir sans préjudices tous les sacrifices qui accompagnent cette quête difficile de la vérité. Des intégristes de l'ascèse ont même inventé les «mortifications» pour se rapprocher de «Dieu», qu'il s'agisse de fakirs mystiques ou des fameux Cathares, et même Pascal, paraît-il, portait un cilice!

La difficulté essentielle consiste à ne pas rejeter le corps alors qu'on lui interdit de nombreuses formes de plaisir facile, ce dont le subconscient cherche à se venger.

On repère souvent de la cruauté chez les êtres qui croient représenter une morale supérieure, et qui trouvent tout à fait naturel de faire souffrir des individus aux critères moraux superficielsRegis Debray, évoquant l'intolérance triomphaliste du Che, par exemple, punissant pour des broutilles. Loués soient nos seigneurs (page 189) GALLIMARD.. C'est une question très épineuse, quand on sait que l'Inquisition a duré trois siècles en Europe, que des êtres ont souffert des maux inimaginables sous la férule d'êtres humains soit disant convaincus d'agir au nom de Dieu. Le mental peut donc se détacher à ce point du corps physique et des réalités immédiates qu'il fera vivre ses victimes dans le sentiment d'une dualité abyssale entre la vérité et le monde manifesté, entre l'espérance d'une vie meilleure pour l'âme et la condition du corps physique. Le mental sait oublier toutes les choses qui le dérangent, et il aime décréter ce qui doit exister et ce qui ne doit pas exister de son propre chef, indépendamment de toute réalité objective.

C'est facile de se méfier du corps, ou de le considérer comme un adversaire. En réalité, ce que Sri Aurobindo appelle le vital joue des tours dans le cheminement spirituel, puisque c'est une énergie qui possède une autonomie extravagante et une accointance particulière avec le moment, c'est donc le lien essentiel entre le champ 3 et le champ 4, si l'on considère que le sujet permanent est légèrement en retrait. Le vital peut s'emparer du moment et imposer au moi (s'il est faible) n'importe quel déchaînement de pulsions. Dans les monastères, les couvents et les ashrams, les colères rentrées provoquent des luttes de pouvoir et d'influence, les frustrations sexuelles engendrent toute sorte d'effets pervers, allant de la culpabilité à éprouver du désir jusqu'à des liaisons cachées, souvent homosexuelles, et qui représentent le pouvoir de la nature sur la volonté subjective qui s'acharne à conquérir l'Esprit sans distinguer les matériaux de l'être. Vouloir créer des circonstances favorables, par principe, à un meilleur usage du temps, c'est-à-dire à une spiritualisation de la matière, est une entreprise à double tranchant, puisque l'état naturel s'oublie au profit d'une création en partie imaginaire, aussi idéale soit-elle. Bien sûr, chaque individu peut utiliser l'itinéraire qui est le sien pour parvenir aux grands états de conscience spirituelle, et certains, qui méprisent le corps, parviennent à des résultats remarquables, mais dans ce cas, la conscience du second champ aura subordonné le premier, puis le quatrième, et, finalement, le sujet historique, en bout de chaîne, se sera soumis en contrôlant désirs et émotions. Cette voie drastique ne semble pas celle de l'avenir, car l'énergie divine descend, et si le travail s'effectue correctement dans le quatrième champ, elle peut parvenir jusqu'au corps physique, sans que celui-ci n'ait été torturé par les frustrations censées permettre un détachement supérieur. Quelques-uns choisissent de vivre dans des cavernes ou la solitude pure pour obtenir le samadhi, la réalisation, mais, parmi eux, peu demeurent dans l'esprit qui mène au soi, les autres s'imaginent y parvenir car ils ont accumulé les formes de la perfection pour mieux en abandonner l'esprit, en inventant une routine «transcendantale» en quelque sorte. La perfection rituelle a toujours cherché à s'acheter l'intimité avec le Divin, et ce sont souvent les êtres qui se jugent irréprochables qui ont le cœur le plus sec et l'âme la plus biscornue. Leur droiture hautaine n'épouse pas les contours des événements, qu'ils racornissent en étouffant leur sensibilité.

Dans la mesure, au contraire, où des hommes et des femmes jaillissent dans le mystère divin en ayant mené des vies d'apparence ordinaire, respectueuses des faits ordinaires, il apparaît inutile de préciser le statut définitif du corps physique et des besoins vitaux. En revanche, il est certain que chacun apprend à se battre avec, et s'amuse à voir les pièges de la facilité et de la négligence quand les aspirations solaires ont été meurtries. L'être vital cherche en effet toutes sortes de compensations quand il ne relie plus correctement le sujet à son environnement, dans la simple joie naturelle d'exister. C'est donc plutôt là que se situe la véritable question: si l'ascèse spirituelle, au lieu de conforter le moi dans la reconnaissance de son adhésion inconditionnelle à la totalité, le met en porte à faux, toutes sortes d'obstacles, de faiblesses, de démons, se manifestent pour réclamer le dû de cette plénitude grossière qui s'est évaporée au bénéfice d'accomplissements supérieurs, aux satisfactions fines, aux plaisirs légers, aux attentes faibles. Il est toujours utile de découvrir les raisons qui permettent de fuir l'exploration du Mystère 3. Elles sont diverses, certaines sont naturelles et d'autres culturelles.

Si le sujet a trop souffert dans son milieu, il peut essayer de se débarrasser de son passé en escamotant l'observation de son comportement, de ses relations, tout en se construisant une personnalité puissante en champ 1, qui lui permettra de justifier les angles morts de sa vision du monde, en évitant de se remettre en question. Cette attitude est parfois légitime, mais fermée, si le sujet a dû écraser sa sensibilité pour survivre. Beaucoup de personnes sont incapables de remettre en question la manière dont elles se conduisent avec les autres, tout simplement parce que l'éducation a été suffisamment mauvaise pour laisser l'empreinte permanente que l'altérité est une menace. Certains êtres humains se barricadent dans la personnalité du premier Mystère, car ils auraient l'impression de revenir en arrière s'ils consentaient à se surveiller en permanence dans leurs relations. Ces êtres-là deviennent facilement des fétichistes du pouvoir et savent passer maîtres en conseils et recommandations, ce qui les dispense avantageusement d'être à l'écoute. La question est donc de comprendre que la nature sait organiser des systèmes de défense puissants, quand le Moi et le non-moi ne coïncident plus suffisamment.

C'est d'ailleurs un des mérites de la psychologie moderne d'avoir identifié différentes procédures de verrouillage de l'information. Elles sont innombrables, semblent sur le moment protéger le moi du monde extérieur, alors qu'en général cette protection est factice, et que le sujet se coupe de l'altérité et s'isoleGuérir par l'éveil (Natarajan), derniers chapitres. Ces procédures automatiques n'ont strictement rien à voir avec la distance souveraine, le recul impérial, que le non agir apporte dans une situation embarrassante. Tandis que les verrouillages inconscients tendent à nier les faits et à enfermer le moi dans ses propres représentations, le lâcher prise, en revanche, dans un moment difficile, conserve l'attention, envisage la possibilité d'un conflit, mais cette situation n'est traitée ni par la fuite ni par le rejet, mais par le questionnement intelligent, qui désamorce l'élan émotionnel violent. Dans la perspective où l'incarnation reste ouverte au travail du Divin dans la matière, l'observation perpétuelle de son propre territoire, c'est-à-dire du Mystère 3, constitue une nécessité. En effet, toutes les réactions psychologiques sont autant de filtres qui privent du soi et du supramental, et c'est donc dans la banalité quotidienne la plus triviale que le plus gros du travail spirituel s'accomplit. Mais vu que cette vérité est dérangeante, car elle retient la fuite en avant gratifiante vers les trois autres mystères, où il est facile de tricher, il n'y a en général qu'auprès des maîtres eux-mêmes que les disciples comprennent la nécessité d'une attention perpétuelle.

C'est souvent pour des raisons culturelles que le chercheur oublie de se confronter au champ écologique sous prétexte que la vie contingente s'oppose irrémédiablement à l'expérience de l'Esprit. C'est là une déformation tout à fait profane qui laisse la voie ouverte aux ésotérismes les plus dangereux, comme certains mouvements et sectes qui parviennent simultanément à être fascistes et mystiques, puisque la haine du vulgaire et de l'ordinaire y est sciemment attisée. La fascination de la verticalité, si elle ne s'accompagne pas d'une exploration horizontale, crée un usage pervers du mental, qui surplombe les réalités tout en les condamnant et en les jugeant. L'inspiration possède ses propres victimes, ces bâtisseurs de nouveaux mondes qui n'ont pas su découvrir la légitimité du multiple dans l'unité, et qui sont mal redescendus de leurs ascensions, tel Nietzsche qui s'est payé de mots, et entretenait avec son corps une relation pour le moins douteuse, sa volonté mentale se mariant à un laisser-aller physique indigent, comme si l'onanisme voulait le maintenir prisonnier du monde auquel il voulait échapper. Les génies peuvent être en partie victimes des démarches qui ouvrent de nouveaux passages pour l'humanité, mais la révolte contre l'ordre établi et l'histoire peut mener aujourd'hui beaucoup plus loin qu'avant, si le Divin est pressenti derrière la «comédie tragédie» de la Manifestation.

Les difficultés qui surgissent du Mystère 3 peuvent être acceptées par l'âme, le mental, la personnalité structurée, et les pouvoirs supérieurs apprennent ainsi à dédramatiser les situations, ce qui libère l'émotionnel, atténue la somatisation, et initie une meilleure approche permanente du moment présent. D'autres variations veulent tellement souligner les mérites des champs 4 et 2 qu'elles oublient de mentionner que sans la transformation du troisième, l'immatérielle durée demeure dangereuse, et les univers subtils plus imaginés qu'expérimentés. Si l'on reconnaît intuitivement la nécessité d'une navette nourrissante et savoureuse entre le Moi et le non-moi, l'on est prêt à observer toutes ses propres sensations, et c'est au cours de cet apprentissage que la méfiance, d'une part, et la complaisance, d'autre part, diminuent pour faire place à un regard plus objectif. C'est donc souvent pour éviter de se confronter à ses peurs d'un côté et à ses convoitises de l'autre, que l'on tient le mystère 3 pour moins important que les autres, alors qu'il va de soi qu'il en est, ne serait-ce que chronologiquement, l'origine vivante.

Nous ne voulons pas pour autant affirmer que l'ascèse idéale se tourne perpétuellement vers le passé, sous prétexte d'en extraire des matériaux archaïques, ni que le relationnel est la clé de la voie spirituelle, ou que le travail a plus d'importance que le reste, ou qu'il faille devenir un maniaque de l'examen de conscience nocturne. Le champ 3 comprend des éléments enchevêtrés, des architectures comportementales, puisque c'est là que le présent s'appuie sur le passé, sur la permanence de structures émotionnelles, sociales et affectives, et c'est donc là qu'aujourd'hui constitue davantage le prolongement d'hier qu'il n'est aujourd'hui même, puisque nous apportons dans chaque nouvelle journée les structures de la veille, avec la difficulté permanente de débusquer celles qui peuvent disparaître, et celles qui doivent se transformer.

Au final, si le travail dans le champ 4 commence à s'amplifier, ce sera dans le présent pur que des prises de conscience affectant le passé se produiront, jaillissant d'elles-mêmes. Car la méditation qui s'aventure dans le moment sans rien en attendre permettra au cerveau de libérer des mémoires qui resteraient enfermées, et donc inaccessibles, sous le contrôle de l'esprit. Vu que le travail énergétique du supramental concerne le corps physique, toute la psychologie émotionnelle concerne le chercheur intégral.


B Sentiment déficient du mystère 4

Dans le monde lunaire de la petite enfance, le sentiment d'une unité indifférenciée prédomine, jusqu'à ce que les premiers objets apparaissent. Ce sont la mère dès que le bébé saisit qu'elle n'est pas entièrement disponible, et le corps physique, dès qu'il sait provoquer des sensations en touchant son propre épiderme. En revanche, il n'est pas du tout établi que les êtres humains dans leur ensemble perçoivent la durée comme un objet. Pour beaucoup d'entre eux, le temps n'a pas d'existence indépendante, et il est simplement ressenti comme un prolongement de soi-même. D'un point de vue supramental, il est clair que seul un manque de maturité psychologique fonde le sentiment que la durée fait partie de soi-même. Cette vision archaïque et rudimentaire provoque simultanément l'attachement au passé et le besoin naïf que le futur soit conforme aux attentes subjectives. C'est un travail à proprement parler initiatique que de plier le genou devant l'autorité de la durée. Au bout de l'itinéraire, elle fait à nouveau partie de soi-même, mais c'est l'énigme du Brahman, comme un déroulement immobile, et le temps ne donne plus l'impression de s'enfuir. En effectuant ce travail, qui consiste à faire son deuil de la convoitise du temps, nous apprenons à accepter que le présent nous soumette ses propres prérogatives, indépendantes de notre volonté. S'il est difficile pour chacun de ressentir la virginité du présent, le soi, cela provient rarement des mêmes causes. La prépondérance excessive d'un des trois autres mystères verrouille l'accès au moment objectif.

A/ La sensation du présent peut donc être étriquée pour toute personne trop tournée vers le passé et les racines, et qui croit en la valeur des structures de l'univers territorial, du mystère 3. Le présent sera alors rejeté comme une menace vis-à-vis de ce qui est pérenne, et qui est déjà caractérisé puis établi. L'aujourd'hui sera seulement le prolongement d'hier. (Entrer dans l'avenir à reculons).

B/ Le moment vierge sera interdit de séjour chez tout individu trop confiant dans les qualités de sa personnalité, et qui croit à la stratégie de consolider le projet d'un contrôle sans faille de ses propres prérogatives. L'aujourd'hui sera le moyen de prolonger la personnalité sclérosée.

C/ Le présent pur sera de la même manière évité par les thuriféraires de l'avenir, engloutis dans une prédominance abusive du mystère 2, leur chuchotant sans fin de nouvelles promesses. C'est dans cet esprit qu'il faut comprendre l'intransigeance de la plupart des maîtres traditionnels de l'Orient, qui reprochent avec délectation à leurs disciples de ne s'occuper que de leur petit désir transcendantal, au lieu de s'abandonner au flux absolu de la durée, qui seul peut dissoudre dans son mouvement rapide et limpide les concrétions psychologiques, les mémoires nouées sur des événements traumatiques et les attentes magiques d'un idéal qui surplombe le réel au lieu d'y confronter. L'aujourd'hui sera au service d'une cause sans cesse poussée devant soi.

En simplifiant les choses à leur extrême, on pourrait presque affirmer que toute l'évolution spirituelle dépend de la possibilité de saisir la durée sans se l'approprier. Des lectures attentives de Shankara ou Nagarjuna, révèlent les possibilités de l'esprit, n'ayant plus rien à saisir, ni à différencier, et surtout pas le Soi de ce qui n'est pas le soi. Les maîtres indiens forcent à la reconnaissance du paradoxe, et finissent, comme les patriarches zen, à convaincre que l'esprit pur ne contient aucune aspérité, et qu'aucune aspérité n'y conduit (système de pensée ou mouvement particulier). Bien entendu, des projets peuvent être soutenus, des souhaits peuvent être conservés, après que le champ 4 aura été investi librement et profondément, mais ce sera avec une plus grande réserve et une souplesse merveilleuse. D'un point de vue technique, il est nécessaire de découvrir cet état d'esprit dans lequel le moi ne cherche plus à s'emparer du moment pour lui faire dire ce qu'il connaît déjà. Or, si l'esprit passe son temps à projeter sur le non-moi la structure intérieure du moi, il n'est pas si évident que cela de découvrir la méditation fondamentale,

   celle dans laquelle les pensées surviennent sans que le moi se considère en être le propriétaire ou l'auteur.


Et cependant le message le plus sublime de l'Orient consiste bien à proclamer que les pensées se forment d'elles-mêmes, et qu'elles ne nous appartiennent pas. S'il faut longtemps pour parvenir à les voir se former au lieu de s'y identifier corps et âme, le résultat de cette démarche est souverain contre toutes sortes de maux.

Les émotions qui surviennent, par exemple, peuvent être vécues en elles-mêmes, dans leurs éphémères manifestations, et le moi les empêche ainsi de laisser des traces trop profondes dans sa propre structure permanente. Du côté du gratifiant, les plaisirs peuvent être vécus sans provoquer d'addiction, du côté du non-gratifiant, les souffrances profondes ne sont pas nécessairement somatisées. Il apparaît donc que la durée, elle aussi, doit échapper à la loi du territoire. Ni le présent ni l'avenir n'ont par définition le rôle de devenir nos propriétés personnelles, selon l'image que l'on peut s'en faire. En effet, les modèles de ce que nous croyons devoir obtenir sont des constructions limitées par notre ignorance actuelle. S'ouvrir dans un abandon plus libre à toutes les remises en question de notre comportement dans les Mystères, comme des représentations que nous en avons, voici l'itinéraire qui permet d'accueillir ce qu'il advient, quel qu'en soit la nature, avec une bienveillance (ou en tout cas une neutralité face au difficile) qui ouvre les horizons évolutifs.

Dans cette mesure, chacun doit reconnaître qu'il est sa propre victime s'il ne parvient pas à s'abandonner aux prises de conscience immédiates que le présent soumet.

Victime de vouloir faire régner un ordre préconçu si le Mystère 3 est trop prépondérant, et avale la durée à reculons, victime de vouloir se fabriquer soi-même sans tenir suffisamment compte des lois cosmiques si le Mystère 1 l'emporte et contrôle délibérément tout ce qui se présente, victime de vouloir déjà être plus loin, plus en avant, si la magie subtile du Mystère 2 s'est emparée du psychisme, et pousse frauduleusement le présent dans l'avenir imaginaire. Enfin, le moi est également victime de lui-même, s'il s'abandonne au présent sans aspiration, sans retenue, ce qui renforcerait en lui le pouvoir de l'âme de la vie tout en l'éloignant définitivement du soi et de l'incréé, du souverain non-mental.

En ramenant les mouvements de l'esprit à quatre directions fondamentales, chacun peut réfléchir sur les options qui se présentent,
La préservation territoriale,
Le lâcher prise dans le présent,
Le dialogue avec son moi profond,
L'ouverture à l'âme et au Divin,


autant de réalités essentielles qui nous sollicitent chacune, sans que l'on puisse établir qu'elles peuvent converger avant qu'on apprenne à le faire. Le cerveau reptilien est au service du mystère 3, le cerveau limbique est très réceptif au moment; le néocortex, la matière grise servent allègrement le mystère 1 et commencent à se préoccuper, avec une certaine réserve il est vrai, du 2. Nous sommes obligés d'admettre que la complexité de notre nature, simultanément matérielle et spirituelle, simultanément organique, nerveuse, et mentale, nous contraint à des ajustements permanents, nous oblige à rechercher l'équilibre avec une acuité et une précision toujours plus parfaites. Il y a dans ce mouvement quelque chose qui dépasse notre volonté naturelle, et qui vient de beaucoup plus loin, de la présence involuée du Divin dans la matière, en quête de sa propre harmonisation dialectique, Divin qui retrouve, à rebours, son propre itinéraire, en nous libérant des vestiges du passé de l'espèce, par toute une suite de prises de conscience intempestives, les faits soutenant l'aspiration et révélant des sens cachés.




C Sentiment déficient du mystère 1

Tout être humain qui n'éprouve pas le besoin de se différencier, de trouver sa propre vérité, reste manipulé par la résultante spontanée des trois autres mystères. Seul le moi qui cherche à se structurer est capable de trouver un équilibre entre les lois écologiques et l'architecture relationnelle, la disponibilité au moment présent, et les aspirations cosmiques qui ouvrent sur le sens définitif de l'existence (et donc de la mort). Il est difficile de savoir sur quels critères s'établira la prise de conscience fondamentale, celle qui fera que l'individu ne prendra plus pour argent comptant ce qu'il ressent et ce qu'il pense sous la dictée souveraine des événements. Tous les cas de figures sont permis, qu'il s'agisse des enfermements si contraignants dans le 3 qu'ils réveillent le besoin de s'affirmer d'une manière unique, qu'il s'agisse d'un tel moment de plénitude dans le 4 qu'il enjoint au moi d'approfondir son propre mystère, qu'il s'agisse du besoin soudain de vouer son existence à ce qui peut en constituer l'origine et la fin, le Divin.

Affirmer que cet élan du Moi vers lui-même est inévitable, voilà ce qui fonde la tradition ésotérique mais, historiquement, la proportion des êtres humains qui se vouent à l'exploration du réel pour découvrir ce qu'ils sont, reste faible. On peut même considérer que les religions constituent des moyens de coercition pour forcer le sujet historique à reconnaître qu'il est un être cosmique et qu'il doit rendre des comptes à l'univers, c'est-à-dire à creuser vers le second champ en acceptant le premier. Cette politique semble avoir échoué, ce qui était sans doute nécessaire dans la période obscure de l'âge de fer, pour que l'urgence du chaos finisse par réveiller le mental universel, qui parvient facilement, une fois que la nouvelle direction a été donnée, à investir l'univers intérieur, c'est-à-dire le monde des contenus psychologiques (manipulation réciproque du 3 et du 1).

Les adversaires de l'intériorité sont des pouvoirs puissants disséminés dans toutes sortes de zones matérielles ou subtiles. D'un point de vue historique, les puissants ont toujours cherché à éviter que la réflexion fasse partie des préoccupations des populations exploitées. Les vérités libératrices des religions ont même été déformées pour que la personne reste soumise au pouvoir en place alors qu'il est évident que l'émancipation des croyances tribales au profit de la consécration spirituelle, doit concerner tous les domaines pour permettre la différenciation individuelle. Mais en amont, en quelque sorte, les pouvoirs subconscients de la nature cherchent à dicter leurs lois à l'esprit ordinaire, de telle manière qu'il ne remette pas en question la fondation même de la perception: rechercher systématiquement le gratifiant et éviter en permanence le non gratifiant.

Le pari qui consiste à devenir un individu, à découvrir sa propre unité, s'appuie sur la démystification de l'interprétation naturelle de l'existence, avec un enjeu immense. Dans tous les cas de figures, le mental revient sur lui-même et, au lieu de se contenter de saisir les objets de la perception, il examine avec soin ce que ces objets lui apportent, d'une manière si intime et si personnelle qu'elle ne peut que différer des interprétations culturelle ou religieuse convenues. Mais ce bond en avant peut être difficile à accomplir, ou remis au lendemain, puisque le mental se trouve tout à coup confronté à une immense révélation: les concepts ne peuvent pas avoir de sens objectif: la seule chose qui leur donne substance et valeur, c'est l'expérience que l'on en a soi-même.

On ne peut plus penser innocemment à la liberté sans vouloir s'affranchir des esclavages et des contraintes, on ne peut plus se laisser aller à prononcer le mot de Dieu sans vouloir Le toucher, Le savourer, Le connaître. On ne peut plus mettre le mot je devant n'importe quel verbe dans la coulée naturelle des impressions sans s'étonner de ce flux de verbes conjugués au petit bonheur la chance.

Les raisons pour lesquelles le besoin de différenciation personnelle ne s'établit pas comme la composante fondamentale de l'existence sont diverses. L'amalgame naturel des trois autres champs est parfois suffisamment riche pour que la vie soit vécue dans un équilibre précaire, simple et intuitif, sans que la personne ait réellement besoin de creuser davantage le mystère de sa propre existence, ce qui risquerait de lui attribuer un sens par trop subjectif, tandis que les satisfactions sont réellement appréciées, sans orgueil ni appropriation. Dans les campagnes du monde entier, quelques personnages réalisés et qui n'ont même pas conscience de l'être, existent encore, surtout chez les femmes, il s'agit de floraisons empiriques entre le moi et le non-moi parfaitement réussies, qui disparaîtront probablement dans l'avenir, qui créera une civilisation complexe.

Un abandon à un seul des mystères, qui s'empare alors de la personnalité tout entière, peut être également la source du refus de la différenciation authentique, ou de son impossibilité. Beaucoup s'acharnent à respecter la loi du territoire et à trouver leur satisfaction dans les convenances, les devoirs, les modes, les tabous, et ils greffent le moi embryonnaire du champ 1 sur la souche du champ 3, tandis que le quatrième est subordonné comme un esclave. D'autres voient l'univers de la durée comme le propre prolongement de leur présence dans le champ 3, et se laissent donc emporter dans une vie ordinaire, avec des satisfactions ordinaires fondées sur des évitements judicieux et les appropriations médiocres des gratifications; le Moi du 1 reste en jachère, les champs 3 et 4 étant parvenus à un compromis satisfaisant. Il arrive aussi que le développement à outrance de la conscience du second Mystère empêche la personne de s'accepter elle-même, de voir toutes ses peurs, tous ses désirs, au profit d'un personnage imaginaire cherchant la perfection, mais escamotant toute confrontation à la culpabilité, ou à ses propres limites. Le Mystère 2 s'appuie alors sur le quatrième, au détriment de la conscience du moi permanent, tandis que la gestion du milieu est subordonnée pour permettre la souveraineté surplombante du 4 et du 2 confondus, qui trichent pour contourner le face-à-face 3/1.

Le champ 1 peut également exister, mais d'une manière entièrement déformée, caricaturale, poignante, chez ces personnes volontaires et exigeantes, «saturniennes» selon les astrologues, et qui réduisent le Réel à ce qu'il devrait être par rapport à leurs propres yeux, pour lui livrer une guerre sans merci. L'image de soi se confond avec le moi lui-même. La perception des sens est entièrement corrompue, tout est interprété, rien n'est ressenti sans être passé au préalable au crible des «valeurs» qui forment un grillage impénétrable.

Il n'est pas rare de constater que les véritables individus, les personnes qui ont transformé leur appartenance ordinaire au milieu en prise de conscience de soi-même, ont traversé beaucoup d'épreuves, supporté des souffrances psychologiques intenses; ce qui est finalement l'itinéraire obligé de la dédramatisation émotionnelle d'une part, et de l'enracinement spirituel d'autre part.


D Sentiment déficient du mystère 2

Ce n'est finalement que dans un cadre de recherche spirituelle que cette déficience peut être préjudiciable. L'histoire nous révèle qu'une certaine conscience naturelle de la divinité a toujours animé les cultures, comme si l'intuition de la totalité demeurait réellement au fond de l'être humain, tel qu'il est créé. Mais cette intuition ne peut pas être développée jusqu'à son terme, la recherche du Soi, dans le cadre d'une culture religieuse, puisque les structures qui animent la relation entre le dévot et le Tout reposent encore sur des mécanismes inconscients. La peur de l'autorité souveraine de Dieu transforme le peu d'amour naturel qu'on peut Lui porter en une forme assez perverse de soumission, qui établit des angles morts. Il n'est donc pas particulièrement intéressant de se pencher sur le succès et les échecs des religions dites civilisatrices, ni même sur les mérites des traditions primitives, chez tous ces peuples fiers et présents qui ont en quelque sorte préféré vivre qu'inventer l'écriture et développer le mental qui soustrait aux sensations (et projette dans le culte de l'avenir). Bien que des travaux d'anthropologie religieuse aient été déjà menés à bien par des hommes remarquables tels que Frazer et Eliade, ce qui nous intéresse, c'est de faciliter l'émergence du moi subliminal dans l'être humain, ce qui ne peut se faire que dans des conditions précises, indépendantes des valeurs culturelles et religieuses particulières, et indépendantes des témoignages du passé.

La souveraineté absolue du Divin doit être non seulement acceptée intellectuellement, mais profondément ressentie, jusqu'à ce que le sujet se consacre en permanence à une remise en question de ses propres structures psychologiques. Bien entendu, plus les hautes fréquences divines se manifesteront, plus il sera naturel, et donc facile, de pressentir en soi-même un développement réellement cosmique. L'atmosphère terrestre peut encore subir des modifications fondamentales, de telle sorte qu'ils se créent, chez les êtres humains, simultanément, un besoin de différenciation authentique qui se couplera à un besoin de se conformer au principe supérieur de l'existence, harmonie, intelligence inspirée, sentiment fusionnel avec la totalité. Pour le moment, beaucoup de voies qui prétendent pouvoir transformer l'homme se contentent de proposer un chantier psychologique entre la racine du champ trois et le bourgeon du premier, en passant par une ouverture obligée dans le Mystère quatre.

Ce travail ne peut constituer qu'une préparation, et il est probable que les mutants solaires s'attachent à fonder la complémentarité du travail sur soi d'une part (qui n'a pas à s'appuyer sur le Divin) et de l'ouverture à la Conscience suprême, qui ouvre la réceptivité aux influx supérieurs par une consécration inconditionnelle.

Cette vision peut sembler partisane puisqu'elle fonde la mystique comme faisant partie du processus évolutif lui-même, ce qui ne peut pas être prouvé intellectuellement, et retarde en quelque sorte le passage au monde supramental. On en revient donc à la nécessité de développer une intuition supra-rationnelle, s'organisant dans une supra logique où les limites ordinaires du mental sont enfoncées (la vulgarisation de la mécanique quantique en montre le chemin). Or, justement, c'est l'abandon à la durée qui permet de rendre l'esprit subjectif parfaitement malléable. Tous ceux qui s'aventurent dans le présent pur ont expérimenté que l'intelligence du moment s'évade des constructions formées par la superstructure du champ 1 et l'infrastructure du champ 3.

L'aspiration à devenir, qui ne figure pas dans les enseignements traditionnels puisque leur but est l'être immuable, intemporel, impersonnel, est nécessairement réhabilitée par la conscience supramentale, puisque le corps devient le témoin et le réceptacle de l'énergie divine. Dans cette mesure, le soi (Brahman) qui semblait suffisant par le passé pour couronner l'ascèse spirituelle (et que nous plaçons au centre) n'est devenu aujourd'hui que le moyen de se hisser dans la shakti supramentale, d'une rapidité indescriptible, et qui cherche à modeler le corps humain pour en transformer les sensations. Une longue réflexion est nécessaire pour comprendre la suprématie du Mystère 2 sur les autres, et même cela est parfois insuffisant. Dans ce cas, une véritable expérience établira cette légitimité, et permettra de commencer à accrocher le chercheur spirituel à son avenir divin, le centre, le soi, jouant à laisser remonter les informations, les pensées, depuis les quatre quarts de la croix, pour laisser s'ordonner une répartition des quatre Mystères en perpétuel changement, dans leur prépondérance, leur ordre, leur proportion, leur équilibre transcendant. Les moments d'ouverture ne peuvent pas être préconçus, mais il est clair que les chercheurs qui ont déjà exploré fort avant les trois autres mystères, en comprenant leurs relations, peuvent parfois être soulevés, même s'ils ne s'y attendent pas, dans une vibration nouvelle qui les reliera physiquement à l'infini. (Le supramental agit sur le plan physique, cellulaire, depuis 1956Agenda de Mère, Institut de recherches évolutives. Par année)

Les processus qui peuvent interdire la conscience du champ 2 sont divers et se combinent aisément. La peur psychologique de se perdre est en général soutenue par les valeurs sociales et religieuses, qui tentent d'établir «qu'on n'a pas les pieds sur terre» quand les préoccupations métaphysiques s'imposent et emmènent le sujet vers d'autres perceptions, au-delà des règlements moraux, et des éthiques politiques ou religieuses. Il est clair également que la reconnaissance mystérieuse du champ 2 n'entraîne pas par elle-même de certitude concernant ses résultats et ses bienfaits. Dans cette mesure, l'investissement peut paraître si aléatoire qu'une partie de l'être s'y refuse, que ce soit le vital qui ne veut pas perdre son temps, ou encore le mental terrifié à l'idée de perdre sa souveraineté. Mais il suffit de laisser se développer en soi les intuitions supérieures qui nous révèlent à quel point nous sommes rattachés au Tout, pour renverser les résistances et trouver dans la quête de l'inconnu des satisfactions nouvelles.

Ceux qui éprouvent la crainte de ne pas savoir où aller s'ils reconnaissent ce champ, avouent tout simplement qu'ils refusent de renoncer à leur autonomie apparente, qu'ils jugent supérieure à toute autre vision et stratégie. Nul ne peut donc forcer qui que ce soit à reconnaître la suprématie du Mystère 2 et de tout ce qu'il contient, la Terre comporte donc des types d'évolutions fort différents les uns des autres, dans un cadre extrêmement large où chacun peut tenter de vivre en fonction de son propre ressenti. Le pari de Sri Aurobindo et le nôtre, c'est d'affirmer que la conscience supramentale est absolument nécessaire, que l'humanité sera contrainte de la reconnaître, puis de s'y soumettreS'y soumettre librement., pour continuer le mouvement de la vie sur la Terre. Le passage par la méditation qui donne sur le silence intérieur intégral constitue le chemin le plus classique et le plus approprié pour se préparer à l'avènement supramental. C'est donc le paradigme entier de l'existence qui a été transformé au XXe siècle, et il est trop tôt pour juger les formes qui accompagneront cette transition. En revanche, ce qui est certain, c'est que l'opposition transversale des Mystères trois et deux s'accentue. Plus le nombre d'êtres humains prêts à abandonner leurs croyances augmente, plus ceux qui veulent imposer leur propre loi s'organisent pour régenter leur territoire tout en essayant d'en augmenter la surface. Ces conditions laissent présager des bouleversements politiques certains, économiques inévitables, et écologiques catastrophiques. Néanmoins la conscience supramentale révèle que l'histoire n'est qu'un accident de terrain, le terrain de jeux choisi par le Divin lui-même, et elle empêche donc de s'identifier avec complaisance aux drames subjectifs ou collectifs, bien qu'une compassion illimitée accompagne la vision des souffrances humaines.


Quatrième partie

LE PRÉSENT, MIROIR PSYCHOLOGIQUE





1 Méditation et synchronicité

Le terme de système doit être compris dans son acception objective: un ensemble de structures convergeant vers une seule fin. Dans cette mesure, le diagramme des quatre Mystères a été précédé par des créations analogues, qui ont donné à leur propre culture leurs lettres de noblesse. Le livre des transformations chinoisLa meilleure traduction est récente: Cyrille Javary, éditions Albin Michel, le fameux Yi-King, repose lui aussi sur une répartition de l'unité dans ses composantes fondamentales, et il est de notoriété publique que toute personne qui pénètre ce puzzle géométrique finit par être enchanté par sa composition, tandis que la pertinence de l'ensemble s'avère dans ce qui est convenu d'appeler un tirage divinatoire. Liebnitz s'y serait confronté. La puissance du Yi-King est ratifiée depuis des milliers d'années, et il peut être utilisé aussi bien d'une manière concrète (pour prendre des décisions rapides) que d'une manière abstraite, où il révèle les principes de l'existence à travers le couple du Yin et du Yang, chacune des polarités se renversant dans son contraire à son apogée, ce que le tirage permet de déterminer pour épouser les transformations naturelles des circonstances. Avec lui, nous voyons se développer un système parfaitement mathématique, possédé par la symétrie, et qui permet à l'esprit de prendre des raccourcis entre les questions et les réponses. De la méditation toute mâchée d'avance, les chinois en seraient bien capables, dans un but pratique.

Nous trouvons dans la Kabbale une entreprise similaire, qui rend compte de la Création à travers le catalogue de vingt-deux lettres, nécessaires et suffisantes, dont chacune peut être considérée comme une énergie, un pouvoir, un principe. Bien que ces deux systèmes soient absolument incomparables, ils participent chacun de la même tentative (qui est d'ailleurs la nôtre en créant la méditation quantique), celle de pouvoir se représenter le Réel sans angles morts tout en le ramenant à ses principes essentiels, pour qu'ils soient perçus, ce qui nécessite de sacrifier les formes qui les habillent et les dissimulent. (Les hexagrammes, ou les cartes du tarot, pourraient être ramenés par analogie aux quatre Mystères).

Le tarot des initiés du Moyen âge est peut-être décalqué de la Kabbale elle-même, puisque l'on peut difficilement attribuer au hasard la coïncidence entre le nombre des arcanes majeurs et celui des lettres hébraïques (22). Enfin, on ne peut passer sous silence l'extraordinaire géomancie, qui ramène les événements-clefs de l'existence à seize figures essentielles, avec suffisamment de pertinence sans doute pour que sa pratique se retrouve dans des régions de la Terre fort éloignées les unes des autres, et depuis des temps immémoriaux. Le Yi-King est utilisé dans le monde entier, ce qui montre que certaines créations de l'esprit sont à proprement parler universelles, et veut bien dire que les principes sont les mêmes partout, à condition de les saisir dans leur essence et non pas dans les premières formes qu'ils revêtent. Bien sûr, pour un esprit profane, ces systèmes ne représentent qu'une description du monde, et font figure de tableaux. Mais il s'agit de tout autre chose, c'est-à-dire que la description elle-même n'est que l'apparence ou la surface d'un moteur de symboles perfectionnés, capables de provoquer immédiatement des sensations nouvelles dans l'esprit du chercheur. Le Yi-King est un ensemble de miroirs parfaitement bien ordonnés, chacun d'eux ayant une forme particulière, un tain différent, afin de créer une résonance spéciale. De la même manière les arcanes majeurs du Tarot, les lettres hébraïques, les figures géomantiques nous mettent en demeure de répondre à leurs sollicitations, quand la curiosité ou bien un tirage nous soumet à leur action.

Est-il vraiment nécessaire d'enfermer le réel dans un puzzle, sous prétexte de mieux comprendre ce que nous sommes ? Des représentations bien faites, bien ordonnées, conformes aux principes des choses, peuvent nous permettre de modéliser les liens fondamentaux que notre existence va contracter avec les énergies extérieures, où le multiple guette, où l'enchevêtrement prédomine. Savoir exactement où nous en sommes, constitue un défi permanent: la manipulation vient de partout, et nous cerne. Le subconscient nous manipule, les guna nous manipulentEssai sur la Guîtà, l'instructeur divin, Sri Aurobindo, éditions du Rocher., le temps nous manipule, les autres nous manipulent (pas tous heureusement), la culture nous hypnotise. Autant regarder les choses en face: de quoi dépendons-nous exactement, la dépendance change-t-elle d'aspect selon les époques, selon notre complicité, selon l'incoercible fatalité ? La méditation, comme les meilleurs modèles de miroirs mantiques, répond à la question.

Les traditions hindouistes énumèrent les tattva, qui seraient les qualités essentielles de l'être, et qui formeraient ce qui nous compose depuis les organes des sens jusqu'à des réalités subtiles auxquelles nous pouvons nous identifier par l'intelligence, l'abandon ou la consécration. Cette culture ramène d'ailleurs l'essentiel à trois énergies seulement, l'inertie, le mouvement de vie, la claire lumière mentale. Ces guna fondent l'antagonisme de la création, évoluant, grâce au sattva, et ils pourraient être distribués dans les quatre Mystères pour mieux expliquer leurs différences, rajas logeant comme un roi dans le quatrième champ et lançant au sujet les cadeaux des passions, tamas se cachant dans le troisième pour conserver et posséder, tandis que sattva, amoureux du possible, monte dans le premier Mystère, voit les choses de plus haut, mais passe son temps à départager ses deux confrères. Le centre et le second Mystère les transcendent tous les trois. Si ces cadres fondamentaux de représentations sont fondés sur des expériences sensibles, et non pas sur de simples constructions intellectuelles, ils possèdent une réelle valeur. Dans ce cas, les huit trigrammes chinois représentent véritablement des modalités du Tao unique, qui parsèment le temps; les lettres hébraïques doivent permettre de contacter de véritables fréquences, les arcanes médiévaux et les figures géomantiques doivent nous inciter à saisir comment, dans un moment donné, nous sommes reliés à l'ensemble, si l'on comprend la fréquence à capter, ou l'orientation intérieure à trouver. Prendre connaissance de ces grandes inventions abstraites, afin d'en tirer ce qui nous convient, avec désinvolture, sans nous attacher justement à en faire une pratique assidue, qui deviendrait superstitieuse, est une excellente préparation à la méditation cardinale.

Le système des quatre Mystères est abstrait et concret, formel et informel, puisque chacun est invité à explorer son ressenti en fonction de quatre directions seulement, ce qui est conforme à la physionomie même de l'espace qui nous caractérise. Le symbole de la croix est fort ancien, l'horizontal représente l'incarnation et la terre, le vertical représente le ciel, et aussi les grands mystères de la naissance et de la mort, bref, ce qui échappe à l'investigation, et sans doute enfin les «devoirs» de l'être vis-à-vis du Tout. On peut aussi jouer à réduire ces quatre zones en deux couples: le couple yin formé par les champs deux et quatre, l'axe vertical gauche sur le papier, où le non-moi pénètre le moi et le malaxe puis le transforme, et le couple yang formé par le troisième et le premier, l'axe vertical droit, où le moi doit agir sur l'extérieur, s'enraciner, répondre aux sollicitations du milieu au lieu de s'y abandonner, ou encore se concentrer sur lui-même en annulant la pression du monde extérieur. Grâce à l'irruption du soi, non polarisé, chacun peut trouver un nouvel équilibre en développant le pôle qui est le moins prépondérant. Nul n'a intérêt à suivre sa propre pente, renforcer un yin déjà fort, qui mène à subir les événements, ou encourager un yang prédominant, qui s'enivrera d'actions et d'initiatives au détriment de la réceptivité et du repos, et de la tolérance aux imprévus. Au-delà d'une certaine disproportion, l'événementiel reproduit fidèlement l'attitude intérieure, les yin excessifs subissent du matin au soir et vagabondent insatisfaits au milieu de circonstances changeantes, tandis que leur esprit devient filandreux; les yang excessifs planifient tout, contrôlent à tour de bras, et ne supportent pas la moindre objection à leur tyrannie décisionnelle, tandis que leur agenda surchargé devient leur véritable demeure.

Comme le faisaient déjà les Grecs anciens, et avant eux, quelques éveillés hindous, nous formons dans cet ouvrage un cadre dans lequel l'intelligence s'exercera en sachant exactement ce à quoi elle s'adonne, pour proportionner des paramètres après avoir établi des mesures, dans la spontanéité renouvelée de chaque méditation. L'infini du non-moi mérite un éventail de représentations, quelques tableaux, une gamme de miroirs, l'ensemble formant des cartes topographiques, qui nous permettent d'en refléter les morceaux et les matériaux qui nous intéressent. Tous les modèles de doctrines spirituelles répondent à cette nécessité, nommer quelques repères qui tiendront lieu de flambeaux pour ceux qui veulent éclairer la nuit de leur ignorance, feux qui deviendront inutiles quand le jour de la connaissance fera irruption. Les maîtres ont beau insister sur le fait que l'enseignement est provisoire, une simple passerelle, le mental s'y attache et en fait son miel, puis la glose insipide envoûte la parole de feu. On finit par gribouiller les cartes, pour se dispenser de se mettre en chemin.

L'intellect, qui traverse la pensée avec l'aspiration solaire, ne peut pas être supprimé sous prétexte que la sensation et l'intuition à elles seules seraient suffisantes pour provoquer l'éveil divin, ou bien cela comporte des risques majeursRené Guénon, une fois de plus.. L'abandon d'une profonde rigueur intellectuelle dans la voie dite «spirituelle» amène toujours les mêmes contrefaçons: une dévotion superficielle et complaisante passera pour de l'amour universel, et enveloppera le troisième Mystère de projections naïves et pastelles, tandis que la conscience, dans le champ 1, restera faible. Ou bien, une pratique réglementaire des règles s'attachera à la lettre plutôt qu'à l'esprit, et les actes spirituels demeurent alors rigides et étroits, le quatrième champ ne s'ouvre pas définitivement sur l'étincelant moment, et l'image de soi du sujet, tel un surmoi freudien tyrannique, régente le champ écologique. Ou encore, une interprétation incessante des canons, des sutras, des paroles du gourou, produit des intellectuels idéalistes incapables de quitter le mental qu'ils chérissent, et qui raffinent sans cesse l'interprétation du moment par le discours subjectif, sans savoir y renoncer, transformant le quatrième Mystère en propriété privée.

Les référents, même s'ils paraissent convenus (car la carte n'est pas le territoire), guident l'esprit vers les profondeurs, à condition d'en faire de simples signes de piste, ni plus ni moins, et encouragent donc l'intelligence à se mesurer à ses propres créations, tandis que le moi permanent se fortifie dans la concentration. En dépit de tout ce que l'on peut reprocher au «mental», c'est un fluide infiniment souple et flexible qui ne demande qu'à remodeler en permanence les formes qu'il construit, des pensées ordinaires aux idées, des idées aux paradigmes qui les organisent en vue d'obtenir certains résultats, mais, étrangement, ce pouvoir-là passe inaperçu, et il faut l'insistance permanente des éveillés pour révéler cette puissance aux êtres qui ne la découvrent pas, parce qu'ils se fixent sur un éventail très faible de projections, sans se douter de toutes les autres possibilités à leur disposition, (à moins que la direction du centre n'apparaisse par la méditation). Ces autres possibilités exigent, il est vrai, une suspension de la soif d'agir, et un amour pour la recherche qui soit indépendant des résultats escomptés, une attitude d'esprit perdue dans notre société d'épiciers aux comptes d'apothicaires, obsédée par la peur de perdre: perdre son temps.

Même les maîtres qui dénoncent avec acharnement le mental, conservent quelques représentations du Réel, des sortes de repères intellectuels d'une part, et d'outils de communication d'autre part. Bien que l'intelligence soit suffisamment mystérieuse pour qu'il soit impossible de la caractériser, et trop rapide pour que nous saisissions autre chose que son propre sillage, nous lui vouons une confiance absolue, puisqu'elle constitue le principe supérieur du mental, et nous nous débarrassons seulement de la pensée sans affliger sa source: le pouvoir illuminatif de l'Intellect, ou du Soi, par intuition, et souvent par raisonnement, et bien sûr par combinaison des deux, ce qui est l'apanage des arts divinatoires sacrés, et, dans une certaine mesure, de la méditation, où l'introspection soulève vers la lumière fulgurante des contenus obscurs. L'art de réfléchir en passant par des objets propices (les symboles), a toujours été pratiqué, comme une algèbre d'idées, et les mythes révèlent justement, par la force de leurs images, des vérités qui seraient plus difficiles à atteindre sans leur habillage, la personnification. Les arts symboliques traditionnels peuvent être explorés dans un nouvel esprit, dépourvu de préjugés, et cela ne peut que contribuer à la compréhension du diagramme des Mystères.

Nous mettons de côté pour le moment tout ce qui concerne la prédiction, pour nous attacher aux liens décrits entre le sujet et l'immense non-moi qui comprend tout ce qui est extérieur au sujet en question, de la même manière que nous entrons dans une méditation sans savoir ce qui va se passer. Nous ne sacrifions pas notre liberté au présupposé que ce qui doit nous arriver est déjà écrit quelque part, et qu'une ruse quelconque va nous le révéler. C'est la mentalité ordinaire qui tire vers le bas les trésors philosophiques contenus dans les arts divinatoires des initiés, assez nombreux, et dont la plupart ont été perdus. Ce qui nous intéresse donc, c'est la composition de l'ensemble, avant de savoir à quoi cela peut servir et les différentes manières de l'utiliser. Si nous acceptons l'hypothèse que ces systèmes peuvent parfois anticiper des événements réels, c'est bien que dans leurs matériaux entrent toutes les situations — mères auxquelles nous pouvons être confrontés. Notre souci sera donc de comprendre la répartition de ces matrices, d'accepter leur nombre et leur puissance, c'est-à-dire finalement, d'envisager que notre vie comporte des hauts et des bas par la force des choses, signifiés par les symboles, et parce que le Réel n'a pas à se soumettre à notre propre volonté. Nous profiterons du travail des anciens en approfondissant les éléments du puzzle holistique qu'ils auront construit, et nous nous étonnerons de voir que les événements sélectionnés pour faire un répertoire essentiel d'accidents et d'occasions sont analogues partout, et évoquent tous la meilleure tournure que le consultant doit adopter à leur égard.

Il est à chaque instant possible que nous fassions une rencontre extraordinaire, que nous perdions un être cher, qu'une aide inattendue nous soutienne, qu'un appui, professionnel ou autre, nous fasse soudain défaut, qu'une amitié se confirme, qu'une inimité se forme, qu'une prise de conscience radicale se manifeste, qu'un changement important soit pressenti, qu'un accident survienne, ou qu'une maladie s'attaque à notre corps physique. Les bifurcations (potentielles) sont permanentes, et comme elles déchirent le tissu homogène qui coud le moi avec le non-moi par l'identification, c'est l'ensemble de notre existence qui est en réalité touché par les virages des opportunités nouvelles et des enjeux imprévus, ce que peu de personnes comprennent. Si tout se tient, de petites modifications existentielles, qui paraissent anodines, se répercutent par leurs propres canaux dans d'autres domainesL'effet papillon de la météorologie, qui empêche, jusqu'à présent, des prédictions relativement justes au-delà de trois jours., et cela nous échappe souvent. Il y a des commencements, des développements et des termes dans tous les secteurs et toutes les activités, et il est difficile d'établir le moment propice pour le début et l'achèvement de toute démarche. Il est probable que de nombreux événements qui ne dépendent pas de nous (et qu'il est donc aussi difficile de produire que d'éviter), puissent surgir dans le maintenant et exiger un type d'adaptation particulier, et souvent inédit. Les «matrices» sont donc des moments particulièrement intenses où le moi est lié au non-moi d'une manière inhabituelle (ce sont ces objets-là qui sont représentés dans le tarot), ce qui laisse entendre que toutes sortes de réponses soient possibles, puisqu'il est impossible face à elles de conserver la stabilité habituelle, alors qu'un certain dépassement est demandé. Le moi «courant» est confronté sans dommages à certains événements auxquels il ne s'attend pas, s'ils demeurent dans les limites de la tolérance émotionnelle. Au-delà, les turbulences font des dégâts, parfois même jusqu'à détruire l'image de soi, ou transformer l'image du monde, ou renverser l'usage du temps et du désir (4), ce qui révèle d'autres aspects du moi, avec des scories inconscientes d'un côté et des ressources insoupçonnées de l'autre. Des personnes faibles et croyantes profitent d'un décès qui les touche pour annuler Dieu. Des personnes fortes, éventuellement athées ou matérialistes, traversent des souffrances extraordinaires pour découvrir une vie spirituelle intense.

C'est en cas de difficulté seulement que les oracles sont vraiment utiles, puisqu'ils suggèrent quel type de relation (moi/non-moi) s'établit au moment du tirage. Quand tout semble normal, l'idée de se fier à une boussole ne se présente pas, mais quand on a «perdu le nord» ou qu'on risque de le faire, le miroir mantique peut fournir une base de données pour trouver l'orientation, et pour notre part, nous préférons cette démarche précautionneuse, qui semble craintive, à l'arrogance absolue de l'occident moderne, qui ne doute de rien et détruit la Terre la conscience tranquille, envoûté par l'action et abandonné par l'intelligence. Les matrices laissent une trace dans la psyché. Les événements intenses, extraordinaires, appellent donc plus de conscience et de vigilance, par définition, et dans ce mouvement même, d'innombrables résistances se manifestent pour déplorer la perte de l'itinéraire habituel, et elles proposent des réponses truquées en provenance du subconscient. Les situations inhabituelles exigent des ressources profondes, que la méditation met à jour, par elle-même, et prépare, le cas échéant, à faire face à des difficultés poignantes. L'esprit assoupli est capable de chercher des issues nouvelles là où la personnalité ordinaire ne sait pas où se rendre, dans les réservoirs impersonnels de l'identité, derrière le sujet biologique et son vécu. Dans une certaine perspective, la méditation quantique fait office de divination, et c'est en quelque sorte l'esprit vierge du moment lui-même qui tire certaines cartes de l'inconscient, en pêchant dans les Mystères de précieuses informations sur la forme actuelle et provisoire de la relation entre le moi et le non-moi.

Le freudisme a déjà mis à jour la puissance de certaines matrices obscures, puisqu'il établit que des moments particulièrement difficiles laissent une information dans la psyché, empreinte qui vient parfois parasiter le moment, ou même, qui détermine en permanence une approche méfiante des objets analogues à celui qui a provoqué le traumatisme. Cela a été confirmé par l'observation aux États-Unis d'anciens soldats du Vietnam présentant tous des symptômes, parfois différents, du même syndrome, comme si les pires moments avaient incrusté définitivement la psyché pour saboter le présent.

Mais il n'y a pas de raison de supposer qu'il en soit autrement pour les matrices gratifiantes et lumineuses. Ce qui est favorable est caractérisé différemment selon les systèmes, mais il s'agit toujours de nouvelles liaisons entre le moi et le non-moi, de telle façon que le moi soit si satisfait de ce qui lui arrive qu'il reconnaît dans la totalité sa véritable origine, son véritable père et sa véritable mère. (On en revient toujours à ouvrir le 3 vers les autres Mystères). Jupiter, en astrologie, n'intervient qu'à la neuvième place sur la douzaine que comprend l'ensemble, et il sacre le moi dans le Tout, après qu'il se sera confronté à lui-même et à l'autre. Et Jupiter est favorable, il établit l'être humain comme l'enfant du ciel, qui n'a pas à se méfier de son milieu, et qui peut inconditionnellement se réjouir de sa naissance. Cela sous-entend que le sujet, bien sûr, apprendra à prendre du recul sur ses insatisfactions, qu'il les tolère, puis les accepte, et enfin qu'il devient responsable de les réduire en se soumettant à l'ordre réel des choses. Alors il sera aidé. Il éprouvera de la gratitude, même au sein des difficultés. Au lieu de résister au Réel sous prétexte qu'il ne lui convient pas, il l'embrassera, prendra son mal en patience, le reconnaîtra comme son maître, voire comme son Seigneur, et la vie s'établira hors des caprices et des attentes merveilleuses, hors des craintes infantiles et des dénis supérieurs. Les grands moments jupitériens, ceux qui révèlent une sorte d'emboîtement précis entre le moi et le non-moi, avec un épanouissement qui dépasse les satisfactions de l'ego, peuvent eux aussi laisser des traces, positives celles-là, et incrémenter la mémoire du triomphe de la vie dans le cerveau individuel, tout en libérant l'intelligence de certains de ses préjugés et de son rationalisme étroit. De la même manière, l'étoile du Tarot, par exemple, signifie une éphémère jonction avec la totalité, entièrement bénéfique, absolument imprévue, et il y a lieu de supposer que les expériences magnifiques, même si elles ne durent pas, laissent quelques empreintes vivantes de ce qu'elles ont produit, informations qui peuvent subsister si la nostalgie n'est pas considérable, une fois l'expérience passée, en fondant le moi dans le souvenir du miraculeux, et en le soutenant par la suite, quoiqu'il advienne.

Bien sûr, les deux cartes géomantiques de la fortune majeure et de la fortune mineure (présage où il faut donner un coup de pouce à l'opportunité), doivent posséder leur équivalent obscur, et c'est bien justement l'occasion de comprendre ce qui donne à la Manifestation son statut, et au quatrième champ sa souveraineté dans l'univers du non-moi. Tandis que les principes sont immuables, la durée les distribue, chacun sous forme positive et négative, dont les pôles s'équivalent, et ce, dans un ordre qui nous échappe, pôles qui sont apprivoisés par les qualités mises en avant par les doctrines de l'Orient: détachement, égalité, sacrifice de l'ego, soumission au Divin. Nous ne sommes pas plus maîtres de tout ce qui nous arrive que nous ne sommes l'esclave des événements. D'où le conseil d'Epictète: évitez de vous faire du souci pour les choses qui ne dépendent pas de vous. Et en filigrane: découvrez vraiment ce qui vous concerne. Triez. Le tri est ésotérique, il s'oppose à l'identification fusionnelle et confuse du moi à son environnement, telle qu'elle est vécue par l'être humain ordinaire, prisonnier, dans notre jargon, du mystère 3 et de la fascination du 4, où le moment et le désir se confondent. Mais trier implique quelque chose en amont: posséder des critères pour établir le choix.

De la même manière que les arts divinatoires nous permettent de tirer des informations de nous-mêmes en étant guidés, la méditation suspend le temps ordinaire, mécanique, abroge le déroulement habituel du temps, qui s'arrête de couler, et devient le miroir de ce que l'on est vraiment. Plus le soi se manifeste, plus le miroir devient fidèle, son tain lumineux, et sa surface lisse.

Les matrices archétypiques difficiles mélangent les juridictions de nos trois cerveaux. La colère ou le contrôle, le ressentiment ou le lâcher prise, l'envie de s'en sortir ou la démission ? Quid, quand un événement provoque une émotion intolérable... Les positives aussi d'ailleurs: le succès flatte facilement la vanité et l'arrogance, les passions réussies peuvent renforcer la convoitise de l'objet par quelques opérations qui nous échappent au fond du cerveau, où la chimie est prépondérante. Bref, les options du présent ne sont pas innocentes dans le tout de la personne, et c'est lui qui parfois joue au maître. Il distribue les cartes sans vergogne, nous impose la douleur et l'accident, la chute sociale ou le déni parfois cuisant perpétré par l'autre, par l'intime; il nous envoûte avec des «coups de foudre» indélicats, comme il nous fait parfois rencontrer l'extase pleine et entière, en se moquant de nous en quelque sorte, en nous soumettant seulement à un coucher de soleil splendide, où à l'écoute d'une musique, quand ce n'est pas en allant faire des courses que le voile se déchire inopinément !

Qu'on le veuille ou non, nous sommes reliés.


2 Le paradigme holistique

Interdire au présent de nous manipuler, par le contrôle exhaustif, c'est ce que certains s'acharnent à obtenir. Pour échapper aux réactions infligées par le non-gratifiant, il leur faut toujours plus de pouvoir, de maîtrise, d'autorité sur les autres, d'agendas remplis, et de liberté individuelle. Mais ils ne pourront empêcher la mort de ceux qu'ils aiment, ni se prémunir d'une somatisation grave devant quelque événement humiliant, qui se jouera de leur maîtrise, parce que le subconscient interprétera à sa convenance le choc, et lui, en fera une maladie. L'attitude inverse part du principe que le non-moi est souverain, et que c'est à nous de nous adapter à ce qui arrive, quels que soient nos projets et notre habileté. Dans cette vision, le sujet ne prend jamais de haut l'événement d'apparence préjudiciable, comme s'il ne le méritait pas. Il souffre, certes, mais accepte, et c'est ce qui change tout. Cette philosophie peut se développer facilement et produit des résultats merveilleux: peu d'événements se parent d'une qualité hétérogène, la plupart sont absorbés dans l'ampleur du moi, qui se détache de l'approbation, de l'autorité à imposer ou à suivre, gagnant ainsi une paix intérieure qui résiste aux modalités du tissu relationnel et aux attaques du destin. Le système nerveux n'est plus toujours sur la brèche, et les contrariétés ne dérangent plus, appelant seulement des réponses réfléchies.

Les grandes matrices événementielles (64 pour le Yi-King) ne sont pas innombrables. Il n'y a pas lieu de supposer que tous les événements, même s'ils sont uniques à l'extérieur, déclenchent d'incalculables réactions. Comme il y a des archétypes de situations, il y a des archétypes d'humeurs excités par les événementsLes élixirs de fleurs du docteur Bach donnent une bonne nomenclature des réactions émotionnelles.. Le gratifiant possède des nuances, mais dans l'ensemble, il semble bénéfique. Le non-gratifiant peut être provoqué par toutes sortes de facteurs, mais ce qu'il déclenche intérieurement tient dans un petit catalogue. Colère, ressentiment, déni, plaintes, sentiment d'être victime, révolte, malaise, démission de la volonté de vivre, culpabilité, laisser-aller intégral. Même en doublant ou triplant la liste, comme un spécialiste pourrait le faire pour nuancer, une unité se dégage dans le fond, la nécessité d'un rétablissement. L'obstacle est le pilier de l'adaptation.

C'est dire que le mental n'est pas souverain, et que la partie émotionnelle de notre être est chargée de traiter notre relation au non-moi dans son ensemble, avec des critères qui peuvent nous échapper, ou qui ne correspondent pas à nos croyances, et parfois à nos valeurs. Nous sommes donc confrontés à deux types d'interprétation différents (et simultanés si l'on est très vigilant) de ce qui nous arrive. Et si le bonheur, l'épanouissement, consiste à faire coïncider les deux interprétations, la vie se charge de les opposer par toutes sortes de stratagèmes puissants. Le désir et l'amour peuvent se confondre, mais ce n'est pas toujours le cas, ou bien cela dure difficilement. Ce que nous accomplissons découle parfois de ce que nous sommes, mais souvent nous devons agir sans être en plein accord avec nous-mêmes, par exemple dans la profession, la famille. Le décalage menace en permanence, entre le meilleur de nous-mêmes qui se relie pleinement au Tout, et le nous-mêmes aux prises avec toutes sortes d'obstacles qui soulignent un désaccord entre l'être volontaire et conscient et la machine du champ 3, qui traite les informations selon la loi du subconscient et du territoire, dès qu'un nuage apparaît dans l'amoureuse union qui nous lie à la totalité. Le ressenti n'est donc pas une plaisanterie, ou une simple propriété de l'enfance dont il faut se libérer, comme l'ont cru les bourgeois convaincus du XIXe siècle, et qui sont allés si loin dans leur déni qu'ils ont permis à Freud d'inventer la psychanalyse: on ne pouvait plus «cacher la poussière sous le tapis», elle débordaitFreud à Romain Rolland (1930) «J'essaie maintenant de pénétrer dans la jungle hindoue dont m'avait éloigné jusqu'à présent un certain mélange d'amour grec de la mesure, de modération juive et d'anxiété philistine. J'aurais vraimernt dû m'y aventurer plus tôt...Mais il n'est pas facile de franchir ses propres limites.» Rapporté par Raymond de Becker, «la vie tragique de Freud.». Refouler le ressenti est dangereux, et si l'écouter est pénible, c'est la voie royale de la connaissance, car le moi contingent, le sujet du troisième champ, est continuellement ramené à son identité centrale, le moi du premier champ, et reconduit à l'observation des circonstances dans le présent. Et l'individu peut ainsi garder un cap homogène, qui coïncide avec ses aspirations, au prix de transformations permanentes (on en prend l'habitude), sans s'acharner à faire prévaloir ses propres préférences et ses attachements, comme si l'environnement, le relationnel, et l'avenir devaient se soumettre.

Nous pouvons aussi prendre le problème à l'envers, faire l'inventaire des émotions, considérer qu'elles appartiennent au sujet, puis chercher l'éventail des «événements» qui peuvent les déclencher. La psychologie moderne, elle, part de là, de la grammaire psychologique, tandis que les arts divinatoires sacrés font l'inverse, et procèdent depuis la grille des événements spéciaux. Mais qu'on fasse découler les contenus psychologiques (en général des émotions) des événements extrêmes qui les actualisent, ou qu'on énumère les compulsions ou les enthousiasmes passagers sans tenir compte de ce qui les actionne, cela revient strictement au même. Le moi du champ 3 est infiniment vulnérable à l'altérité. La culture moderne, ayant oublié les «principes», est repartie de zéro, d'une manière empirique, et après Freud, Jung, et bien d'autres, l'Occident contemporain collectionne les témoignages des empreintes négatives psychiques, qu'il suffit de faire correspondre à certains symboles des arts divinatoires. Contrairement à ce que s'imaginent les rationalistes, ce n'est pas la peur, mais la prudence, et même le souci de vérité, qui ont permis de fabriquer ces merveilleux systèmes qui reproduisent le tout dans un puzzle miniature relativement simple, et qui, d'une certaine manière, contenaient déjà la psychologie: certaines cartes du tarot évoquent des événements probables qui peuvent faire peur, d'autres qui excitent le désir, d'autres qui évoquent des dangers précis, d'autres qui annoncent des obstacles dissimulés, d'autres qui exigent des changements urgents, d'autres des consolidations, d'autres des sauts dans l'inconnu. Et cette approche se transpose dans l'histoire, qui sort les mauvaises cartes plus souvent qu'à son tour: on ne peut nier l'acharnement de la fatalité dans les civilisations, la somme considérable de malheurs occasionnés par des erreurs ou des fautes, des mensonges ou des ruses, et, en dernière analyse, par l'incapacité de prévoir, et donc d'empêcher le nuisible et le chaos de se manifester.

La violence est un accident qui peut être évité. Krishnamurti et Maharishi Mahesh Yogi ont consacré leur existence à fournir des outils pour dissoudre les compulsions inhérentes au sujet possédé par le champ 3, soucieux de la préservation du territoire à n'importe quel prix, terrassant le moi moral et permanent pour des questions réveillant les peurs. Dans les deux exemples, la procédure d'un retour de l'intelligence à la racine même de son pouvoir créateur de pensées, est invoquée et encouragée, sans support pour l'un, avec une pratique assez précise pour l'autre. C'est ce que nous indiquons nous-mêmes en plaçant le soi au milieu des Mystères, charge à lui, en quelque sorte, d'arbitrer les différends que la croix cardinale engendre, d'équilibrer les tensions écologiques et les impératifs moraux, d'absorber les conflits en visant toujours la priorité essentielle de l'être, l'harmonie globale avec le Tout. Elle exigera parfois qu'on perde quelques plumes sur le plan matériel, des illusions tenaces sur le plan des sentiments, et que nous acceptions, enfin, de voir que les attachements et les cristallisations fossiles sont des entraves au libre circuit de l'intelligence, tandis que les croyances sont des boutons sur le visage de Dieu.

Dans la reconnaissance humble de la souveraine totalité, l'intelligence la plus haute s'aventure sur la piste de sa propre origine pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, et qui sait, en éviter de nouvelles. Ce sont les esprits les plus brillants, les plus soucieux d'améliorer la condition humaine qui se sont penchés sur les inventaires possibles des principes essentiels. Et cette préoccupation se retrouve finalement partout, par les structures religieuses et occultes dans les sociétés cycliques, et par les doctrines philosophiques et spirituelles dans les civilisations caractérisées par l'écriture. Pourquoi le mental ne prendrait-il pas un plaisir extrême à découvrir les choses dont il ne peut que dépendre, étant donné qu'il prend ainsi conscience du tissage entre le moi et le Tout ? Et c'est là la convention des arts divinatoires sacrés: la vie ne nous obéit pas, les revers de fortune existent (tirons-en partie), tous les événements possèdent un sens secret, secret et opportun, à condition de savoir user du meilleur comme du pire. L'intelligence est bien là à l'œuvre, celle pour qui tout chaos n'est que provisoire, une transition d'ordre en quelque sorte, comme la maladie est censée rétablir la santé, n'être qu'une phase paradoxale de la santé. Nous pourrions ainsi convenir de l'espace réel de notre propre liberté tout en cherchant des moyens pour briser les limites de son territoire, une fois qu'elle bute sur des contraintes qui semblent impénétrables. (Mais quelle limite est-elle vraiment imprescriptible ?)


3 L'imprévu révélateur

Chacun tombe parfois sur son mur, son propre mur.

La situation qui «fait péter les plombs», celle qui produit un déchaînement de violence, celle qui fera jaillir une rumination perpétuelle, et qui fera «baisser les bras». Les murs à l'intérieur desquels notre liberté quadrille l'espace, les arts divinatoires les connaissent, la psychologie les énumère, l'astrologie les caractérise, la méditation les dépasse. La connaissance spirituelle apparaît donc comme une extension du champ de conscience, et comme ce processus n'est pas visible de l'extérieur, les êtres spiritualisés, dont les visions transgressent infiniment les perceptions ordinaires et les «champs» convenus du mental, peuvent très bien passer pour des gens ordinaires. On s'imagine aussi qu'ils ne font qu'émettre des opinions quand ils évoquent la vastitude du domaine spirituel, les seuils interdits qu'ils ont traversés, la qualité de leurs expériences, et cette erreur réduit considérablement la portée de leurs témoignages. Les êtres doués d'une vision supérieure seraient même contraints à certaines époques de la dissimuler sous peine de représailles. Une théorie veut même établir que le tarot constitue une sorte de Kabbale chrétienne où les initiés du nord auraient révélé leur sagesse, en adaptant et réduisant un jeu oriental, tout en la dissimulant par le stratagème de la personnification.

Si l'être humain n'envisage pas la possibilité d'un gain supérieur contre la perte de ses illusions tribales et subjectives, pourquoi se donnerait-il à l'inconnu, pourquoi plierait-il le genou devant une autorité divine invisible, insaisissable...Et souveraine ? À cette question, Lao-Tseu répond que l'insipide a de la saveur, que l'invisible se voit autrement, que l'impalpable est concret, et il enjoint d'une manière discrète de reconnaître l'immensité libératrice, et de se donner à elle, sans conditions. Contrairement à une opinion répandue, l'énigme existentielle rassure si elle est ressentie comme une présence absolue et bienveillante, dans son étendue illimitée et irréductible. Cela n'a alors plus aucune importance qu'elle résiste à une saisie intellectuelle, et que tous les arguments se brisent contre sa souveraineté silencieuse: l'inexplicable, (et même le sans cause, ou le non-né de Bouddha), n'est pas un obstacle à la relation pleine et entière avec le Tout. Sri Aurobindo affirme que la voie spirituelle amène tant de satisfactions, que, si les êtres humains pouvaient l'imaginer, ils n'hésiteraient pas à se livrer au Yoga.

Il semble bien que les événements — mères, par leurs aspects proprement excessifs, peuvent ouvrir des brèches dans la mécanique naturelle de l'esprit, fractures symétriques, ouvrant simultanément vers des résurgences du comportement subconscient et vers les prises de conscience solaires et détachées, hors du territoire écologique, ce qui leur confère d'emblée une portée évolutive si le paradigme des transformations permanentes est accepté comme clé du devenir. À l'illumination correspond l'enfer, les matrices rivalisent pour pousser le sujet dans ses retranchements, d'extase fuyante en crise interminable, puis le moi finit par se réveiller, fatigué d'être bousculé par ce qui le dépasse, et enfin prêt à voir dans le quatrième champ, non pas son domestique mais son suzerain. La vision du présent ouvert change la conception de l'existence, et meurt le présent fermé, le prolongement systématique du passé. L'adepte se met en quête de ce qui absorbe sa volonté dans un plus grand cercle, et peut, soit la contrarier soit l'encourager. Ce qui arrive nous oblige à prendre position, et c'est là que nous voyons monter en nous toutes sortes de mouvements imprévus, l'événement exceptionnel nous obligeant à sortir des ornières de nos procédures mentales. Bien avant la psychologie, certains s'étaient donc intéressés à l'impact des faits sur le psychisme, et avaient inventorié les situations essentielles, dans le but naturel de les rendre toutes favorables, qu'elles le soient ou non dans leur occurrence (apparence) matérielle. Voyons, il n'y a aucun intérêt à prédire une catastrophe si cela n'a pas pour effet de l'éviter... Ou d'en limiter les dégâts.

Une certaine lecture des faits permet de saisir les «concours de circonstances» qui se forment, et d'en déduire les conséquences. Mais il faut pour cela savoir interpréter les signes, collectionner les informations convergentes, jusqu'à ce que leur ensemble puisse permettre d'établir de hautes probabilités. Et, dans cette mesure, autant, si l'on en est capable, créer les signes soi-même, afin de les répartir dans une harmonie représentative. Une harmonie conforme aux principes, dirait Guénon. Car il n'y a pas de raison de vouloir faire dire aux faits qu'ils sont faciles s'ils sont difficiles ou inversement. La divination, c'est encore un poncif contraire à la réalité, ne triche pas. Elle s'ouvre à la force du moment, elle établit que tous les moments ne sont pas égaux. Cela est confirmé par l'astrologie depuis des millénaires. (La rotation de la lune crée des dispositions, des humeurs, des potentialités différentes selon les segments qu'elle occupe). La divination doit donc trouver un système où le favorable patent et le défavorable patent s'équilibrent, maintenant qu'ils sont reconnus comme des agents imprescriptibles produits par le simple déroulement de l'existence. Il suffira de renforcer le favorable s'il échoit, et d'annuler, autant que faire se peut, le défavorable, en limitant sa manifestation, ou en l'attaquant de manière transversale, tout en identifiant ses causes.

Rien de plus facile dans l'histoire de la divination, si l'on convient que ce qui se trouve à droite est favorable, et que ce qui se trouve à gauche est défavorable, une déduction empirique qui s'impose à l'unanimité, où que ce soit, par une sorte de coïncidence répétée en série, qui découle peut-être du sens de la rotation terrestre... Mais d'autres conventions plus subtiles s'avèrent, sur la qualité des nombres pairs et impairs, sur la correspondance des couleurs et des situations, et au cours des siècles, des systèmes s'élaborent, se purifient et décantent, rectifient les approximations, et ne conservent finalement que les signes qui ont fait leurs preuves. De fil en aiguille, tout en conservant les intentions originelles, les objets qui pouvaient tenir lieu de facteurs de présages, ont évolué, du concret vers l'abstrait, ce qui est le sens de l'histoire. Jusqu'à des rencontres achevées entre les fruits de l'observation et le génie intellectuel, l'observation servant le raisonnement, le raisonnement s'organisant en volutes, en arborescences, pour disperser des formes complémentaires de signes autour d'un noyau unique, qui les absorbe toutes. Les signes s'accumulent et convergent vers le centre: le présent, à partir de points probablement futurs qui l'encerclent, qui distribuent le favorable et le défavorable en le déclinant dans ses formes essentielles; mais le présent, toujours lui, hic et nunc, préside au centre. Le présent est en quelque sorte cerné par une foule d'avenirs concurrents, qui l'entourent. Il suffit de faire une roue des hexagrammes, ou de disposer les arcanes majeurs en cercle, et l'on comprend tout de suite. «Ce qui peut arriver» possède une famille de caractères bien différenciés, et il arrivera forcément quelque chose, comme il faut bien qu'un numéro sorte à la roulette, quand la bille s'arrête. Le présent peut être considéré comme informel dans son essence (Tao), mais il s'habille de formes, le jour et la nuit, le facile et le difficile, le favorable et le défavorable, car nous sommes incarnés dans le moment même, différent des précédents et des ultérieurs, enracinés dans la matière, responsables d'un milieu.


4 L'identité du centre et du présent

La place du centre, le présent, verra défiler, dans un ordre aléatoire, chaque hexagramme, chaque arcane, chaque figure géomantique. L'intelligence jubile en encadrant ainsi la durée insaisissable dans la permanence de quelques modèles inépuisables, modèles qui donnent sur le réel, sur les circonstances, sur le lien moi non-moi. Le temps possède sans doute des formes premières, nous permettant de rêver qu'il y a quelque analogie entre le triangle et le début, entre le carré et l'accomplissement, entre le cercle et le terme. Qui sait si nous ne découvrirons pas un jour ce genre de choses, que les poètes ont annoncé: lire à livre ouvert la nature (voire toutes les circonstances), pour y puiser immédiatement ce qui fait sens, ce qui relie l'œil à l'objet, l'esprit à ce qu'il saisit, le moi au non-moi indivis. (Car il est indivis et la théorie des cordes, qui avance, n'a pas l'intention de morceler le Réel. Qu'est-ce qui peut être hétérogène dans une galaxie de galaxies ?)

Les oiseaux des augures ont été remplacés par des symboles, des inventions humaines, mais le principe demeure, les signes parlent. Il suffit d'établir un cadre, de donner quelques règles au «tirage», et voilà que les symboles se mettent à parler, ouvertement. Ils ouvrent sur la situation présente, énoncent les probabilités les plus hautes, et comme ils nous confrontent à elles, il s'agit d'interférer pour les réduire, si ce sont des probabilités adverses, ou de les augmenter si elles nous servent déjà. L'idée de manipuler le temps lui-même est donc très ancienne. Empêcher les mauvaises semences de croître, définir les bonnes et les arroser, voilà déjà ce qu'essayaient de faire les chinois avec les carapaces de tortues brûlées, bien avant que Fo-Hi ait l'idée de tout ramener à un trait plein, et à un trait brisé, pour tout représenter.

La question est d'identifier ces fameuses semences. Et c'est là que la loi des analogies intervient, avec la synchronicité, qui l'ancre dans le concret. Si tout se tient, et qu'on tire un élément d'un puzzle réellement holistique, cet élément correspond forcément à ce qui se passe. C'est cela qui advient. C'est cela qui a force de loi. Il est impossible de tirer un tarot qui ne nous concerne pas, ou un Yi-King décalé, encore faudra-t-il savoir relier l'oracle à notre ressenti du moment. Ce qui sort est «actuel», tout le reste demeure «virtuel», c'est aussi simple que cela. La qualité de la divination dépend de l'exactitude de la représentation générale du Réel, dans ses aspects fondamentaux, et il nous semble que de ce point de vue, le Yi-King l'emporte sur les autres systèmes. C'est lui le plus mathématique, le plus dénué de projections subjectives, on dirait aujourd'hui que c'est lui le plus scientifique. Saisir les virtualités sur le point de se manifester afin d'agir sur leur cours, c'est là aussi la préoccupation de la philosophie, qui imagine les modalités du temps qui nous reste à vivre, qui décrit les qualités supérieures que nous ne possédons pas encore pour nous inciter à les découvrir, comme le Beau, le Juste, le Bien, le Vrai, par exemple; et qui invente des modèles politiques. Et si nous analysons plus loin, le marxisme tout entier s'est appuyé sur une sorte de prédiction de l'échec inévitable du capitalisme pour imposer sa loi.


5 Le mythe fondateur de l'illusion: L'avenir

L'avenir nous préoccupe plus que ce que nous avouons, et nous essayons parfois, à tort ou à raison, that is the question, mais rien n'est plus épineux, de faire dépendre le présent de l'avenir. Il y a ceux qui s'imaginent qu'il existe en soi, loin devant nous mais qu'on peut tirer dessus jusqu'au maintenant, et les autres beaucoup plus rares, ce sont en général des éveillés, des maîtres, des sages, qui savent le secret. Le secret qu'il faut voir, car il ne peut pas se penser, qu'il faut expérimenter car il ne peut pas s'imaginer.

L'avenir... Ce n'est que du présent qui n'a pas encore eu lieu.

C'est le supramental qui nous le présente ainsi, et nous nous refusons à «croire» au futur. Quand on voit à quel point le présent peut être embrouillé, riche, imprévu, entrelacé, contrasté et contradictoire; à quel point le maintenant réserve de surprises, de méandres, de fausses marches, de cahots et de montagnes russes, pour ne pas parler de pièges, il faut appliquer ce système à l'avenir, puisque c'est du présent en attente. Ni plus ni moins. C'est à cela qu'il faut en revenir dans la pratique de la méditation. Éprouver un tel amour pour la durée qu'elle devient souveraine. Que chaque moment soit plein de quelque chose, n'importe quoi, mais que cela enseigne, nourrisse, ou repose. Un temps pur, un temps dégraissé. Un temps relié.

Le futur possède beaucoup moins de consistance que le passé, qui lui, laisse la trace de la mémoire, mais, par définition, on peut attendre de lui ce qui manque dans le passé, sans être certain de combler le vide. Personnellement, si le meilleur voyant du monde nous prédisait un avenir qui ne nous convient pas, nous nous efforcerions d'interférer dessus, avec le supramental, pour le modifier. Il n'y a pas lieu de se soumettre à la moindre fatalité. C'est également l'objet de la méditation, car la fatalité n'est rien d'autre qu'un ensemble d'aspérités en mouvement, sur lesquelles l'esprit rigide n'a pas de prise, aspérités psychologiques hétérogènes déclenchant leurs propres conséquences néfastes mécaniquement. L'esprit ouvert, délié, relié, s'égare moins souvent, bifurque à temps, tombe dans moins de pièges, ou bien s'en sort mieux. Il est plus astucieux d'apprendre à tomber en souplesse, que de rêver d'un pas infaillible. En tout cas, sur le territoire de la vie, fort différent de la carte du bonheur qu'on poursuit dans le sillage des ancêtres. Oui, et tant pis pour la répétition: il est plus utile de savoir tomber que de chercher à éviter la chute ou le faux pas. La vie n'est pas plane, mon cher Watson, mais un univers de surfaces mélangées parmi des déclinaisons diverses, parfois glissantes, hérissées ou trop abruptes; l'existence déroule des chemins entravés de croisements aussi séduisants que bordés de précipices cachés par la brume, et savoir revenir à soi où que l'on aille, abolir les directions dans le centre du moi solaire, quel que soit l'événement subi sur l'itinéraire, constitue un art et une science.


6 Se libérer du passé

Étant donné qu'il apparaît que toutes les époques créent leur propre mode d'interprétation du Réel, avec des lignes de forces particulières, il devient clair que l'exercice mental est en quelque sorte faux par lui-même s'il s'éloigne trop du présent, ou plutôt, qu'il est tellement relatif aux conditions ambiantes qu'on ne peut lui faire confiance en dehors de son travail immédiat. Dans cette mesure, les philosophies et les sciences réagissent à une ignorance contingente plutôt qu'elles n'établissent la connaissance, de la même manière que nos opinions ne font que s'opposer à d'autres, sans être fondées sur un ressenti entier, non-mental et imprescriptible. Sinon, depuis longtemps, certains acquis seraient définitifs, ou bien nos idées personnelles nous voueraient au bonheur, mais il s'épuise sans vigilance. Il n'en est jamais ainsi: la vitesse nous entraîne et nous pouvons lâcher les cristallisations dès qu'elles deviennent fossiles, c'est-à-dire rapidement, et renouveler les structures mentales, les approches relationnelles, la vision du monde, comme nous pouvons reconnaître les fluctuations de l'image de soi que nous entretenons, et qui est exposée aux turbulences majeures. Le chaos du temps extérieur rattrape ceux qui vivent dans un ordre intérieur fermé, et les broie, aussi la méditation peut-elle être une pratique destinée à nous soustraire aux aléas de l'histoire, pour y faire face par une politique cosmique. Plus le champ 3 est transformé, moins nous sommes dépendants du lieu, des biens, des attaches, des racines contingentes. Victimes de leur petitesse, les ego fermés s'imaginent être des proies, alors qu'ils ont seulement cru pouvoir vivre sans attention, sans précaution, sans profondeur, dans l'orgueil de ce moi souterrain qui juge toute remise en question comme aveu de faiblesse, et qui ne voit pas le péril arriver.

Aimons sans nous barricader dans nos prédilections, puisqu'aujourd'hui est souverain. Platon ne résiste pas à l'histoire, Newton doit s'incliner devant Einstein, qui le corrige plutôt qu'il ne le contredît, et nous voilà déjà beaucoup plus loin que le savant juif aux cheveux longs qui savait tirer la langue, avec des cordes et des bosons, des quarks et des gluons, avec des neutrinos sans masse pour tisser la toile de fond, tandis que le big-bang est un tableau un peu trop naïf pour tenir la route encore longtemps, sans recevoir les tomates d'étudiants géniaux en colère. Même en matière de religion, le christianisme, l'hindouisme, le bouddhisme ne peuvent plus prétendre à la suprématie spirituelle, même locale, depuis que le supramental apporte une nouvelle dimension aux possibilités humaines (ce qui n'enlève rien à ce qu'ils ont apporté, chacun à sa manière). Gautama (Bouddha) en avait assez de la dévotion contemporaine, et prêchait l'éclair, le Christ voyait dans la loi du talion la perpétuation insane de la loi du clan et du territoire, et prêchait l'amour, l'hindouisme sacerdotal s'épuisait à maintenir la vision d'une connaissance accessible pendant la vie contre celle d'un salut de l'âme acheté à crédit (à un taux dérisoire), par la perpétuation des rites, répandue à renforts de menaces morales par les pandits rassasiés. Le freudisme devait se prolonger dans des constructions qui semblent le renier ou presque, Jung, Adler, Rank, Maslow, Rogers, Laing, Grof, Assagioli, Dolto, Erickson, jusqu'à Watzlawick, qui semble avoir été instruit en cachette par un patriarche zen ou avoir pique-niqué avec Alan Watts parmi les séquoias; mais, dans tous ces cercles étiquetant la psychologie, le même souci d'intelligence s'est dispersé aux quatre vents pour aborder la question de l'ascenseur entre le conscient et le subconscient, comme le faisaient déjà les avatars, avec la peur et le désir, la culpabilité et le don de soi, la rancune et le pardon. Chaque étape est nécessaire, et s'approprie à tort une quantité d'absolu qui ne pourra être démentie qu'à l'étape suivante. En utilisant le mental, il suffit de ne pas lui demander l'impossible mais de le forcer à rendre l'urgent, pour qu'il permette au moment actuel de créer des interprétations immédiates. Les seules qui soient nécessaires, si tout se tient, que le passé s'effiloche et que l'avenir se fait attendre. (Quand on tire le Yi-King ou le tarot, choisir le moment qui ne s'interprète pas de lui-même et nécessite un «coup de pouce».)

Elles sont là, les significations présentes. Et qu'elles n'aient aucune portée à long terme, cela montre que l'avenir n'existe pas, sinon nous aurions bien fini par le débusquer depuis le temps qu'on le cherche. Il n'a jamais été conforme, à aucune époque, à l'attente particulière ou collective: les aristocrates n'attendaient pas la prise de la Bastille, et les révolutionnaires, les premiers surpris, n'attendaient pas le régime de la Terreur aussi rapidement (terme conservé par les livres d'Histoire pour écoliers). Tout se défait et se refait dans l'instantané, et toute prévision qui se veut précise est une blessure infligée au souverain présent. Héraclite a définitivement raison: quoi que ce soit que saisisse l'esprit, c'est au moment où cela est saisi que c'est vrai, dans la reliance pure, dans l'instantané. Un peu plus tard ou plus tôt, les conditions ont changé, et l'eau du même fleuve est différente, donc ce n'est plus le même fleuve. Sortir de leurs contextes les soi-disant vérités obtenues par les efforts du mental, dans quelque domaine que ce soit, voilà une procédure qui donne des résultats peu fiables. Platon sera toujours plus vrai à son époque qu'aujourd'hui, comme Marx a pu envoûter l'intelligentsia d'une certaine période avant de finir aux oubliettes. C'est donc que la philosophie ne peut pas être séparée de l'histoire, à moins qu'on veuille l'assassiner, et en faire lettre morte. Et si nous appliquons ce principe à la religion, il faut admettre qu'elles se succèdent, qu'elles tiennent compte de leur époque, et qu'elles ne sont toutes finalement, que des réformes à grande échelle de la religion universelle et unique, dont les Rishis ont eu quelque connaissance, et qui continue sa route aujourd'hui même, au-delà de tous les particularismes.

Si nous détachons le mental du moment même de ses opérations, c'est lui accorder une souveraineté qu'il ne possède que dans de très rares domaines, purement intemporels, comme les mathématiques pures, l'ésotérisme des principes, bref, ce qui se borne à énumérer et caractériser des «invariants» absolus, à l'abri de la corruption temporelle et matérielleRené Guénon est le champion toutes catégories des «invariants», qu'il a découverts, énumérés, défendus, dans toutes les cultures qu'il a explorées. Son œuvre est homogène, perçue dans cette perspective.. (Le Yi-King, par son alphabet binaire, conforme à celui de l'informatique, semble avoir de beaux jours devant lui.) Dans la saisie pleine et entière du moment particulier, l'intelligence fonctionne à plein rendement, en tenant compte de tous les matériaux à sa disposition, et de ce point de vue, la réflexion profonde sans émotion et la méditation sont les seules procédures exactes, celles qui ramènent l'intelligence au lieu même du moment, sans escamoter la présence du corps physique, qui permet l'alignement total et doit participer sans qu'aucune déchirure ne se produise entre les envolées de l'esprit et l'inscription contingente du sujet dans le moment même. Notre esprit, parce qu'il sait virtualiser la durée, tente à tout bout de champ de se projeter dans le futur ou de revenir dans le passé, quand le présent se dérobe, et il le fait sans cesse, car il nous renvoie à nos rêves et à nos espoirs, à nos échecs et à nos souvenirs. Enfoncer le mental dans le présent constitue donc une intention légitime, à laquelle résistent de nombreux agrégats psychologiques répartis dans les trois premiers mystères.

Une vérité peut en quelque sorte se faner, ce qui arrive sans arrêt dans les domaines scientifique et médical, et en sciences humaines, où l'on ne sait toujours pas comment un anthropologue peut faire pour voir autre chose que ce qui l'arrange dans une société qui lui est foncièrement étrangère, tandis que les ouvrages s'accumulent sur le même folklore sans épuiser les arborescences possibles des liens entre la psychologie et la culture. Tout n'est donc que perspectives, informations, contrats dans le moment. En caricaturant, mais ce n'est peut-être pas entièrement faux, on ne peut capter l'intention d'un auteur que si l'on en est contemporain, et affilié à la même culture, et présent au moment même de son discours. Assister à une improvisation de Socrate ou un cours de Platon vaut vingt ans d'études compliquées. On y reniflera, corps et âme, sous le portique académique, la nécessité de l'essor de cette nouvelle vision, dans son cadre même, en respirant l'azur, mais il faut savoir se déplacer dans le passé et connaître le grec ancien. À la Sorbonne, Platon, ce ne sont plus que des signes encadrés par des titres, au milieu d'autres signes aussi similaires que différents: Aristote, Pythagore, Protagoras... Nécrophilie ou illusion naïve !


7 La suprématie du moment

En pratiquant la méditation se fait jour sa véritable nature, qui ne peut pas être comprise de l'extérieur, pas plus qu'on ne peut déguster une langouste grillée par le coup d'œil jeté sur la carte. Les mots sont trompeurs. Le même signifiant change de sens d'un moment à l'autre. Le mot décès, par exemple, qui a l'air innocent, prononcez-le à propos de la disparition d'un proche, il «résonnera» autrement. Seul le contenu est vivant. Le moment est réel, le sillage est mort, et personne ne sait ce qu'il pensera trois minutes plus tard. Il est donc tout à fait naturel de s'étonner de ses propres pensées : une pensée peut se former dans le 3, une autre dans le 4, une autre dans le 1, ou même le 2, pour la même situation, ou encore, leur résultante peut être biscornue. C'est en quelque sorte quantique: devant le danger, la pensée 3, issue du corps, préconise violence et défense, la pensée 4 se concentre et attend la faille de l'adversaire, tous les sens aux aguets, la pensée 1 se distancie de l'émotion et temporise, la pensée 2, éventuellement, s'abandonne. Cet exemple sert la pratique des 4 mystères, pour illustrer que nos trois cerveaux travaillent simultanément, et que, selon les situations, l'un ou l'autre cherchera naturellement à prendre la barre, ou encore, exprimé autrement, les guna proposent chacun leur service. Daniel GolemanDaniel Goleman, L'intelligence émotionnelle, éditions J'ai lu, psychologie, auteur d'un livre magnifique, «l'intelligence émotionnelle», cite le cas d'un père qui abat sa fille de quatorze ans d'une balle dans la nuque, dans sa propre chambre: elle voulait s'amuser à effrayer ses parents et avait prétendu être sortie...Qui a tiré ? Ce n'était pas le père du 1, mais l'animal «débordé» du 3.

Deepak ChopraDeepak Chopra, le corps quantique, Inter-éditions., dans son excellent «corps quantique», (qui est une préparation parallèle à la pratique des 4 mystères) ramène la fameuse légende du serpent et de la corde. Un homme effraie tout son village, à la tombée de la nuit, en prétendant qu'un cobra en garde l'entrée. Ce n'était qu'une corde enroulée... L'esprit ne supporte pas toutes les situations avec la même élégance, ni la même objectivité. La peur disponible d'un côté (3) et le désir de l'autre (4), attendent tous les deux, dans l'incertitude quantique, les situations propices pour broder leurs drames contraires. Des opinions divergentes peuvent soudain séparer fermement des amis, une attente déçue, devenant une «déception» émotionnelle, contamine le moi, qui prendra des mesures; une bonne surprise peut «doper» les neurotransmetteurs et produire une chimie particulière qui embellit le moment, ou le décape des projections. Or, notre conviction est que nul ne peut adopter de valeurs s'il ne les a pas découvertes par lui-même, et les vraies valeurs jaillissent au centre, dans le soi, et ne proviennent ni d'une obédience ni d'une imitation, bref d'aucune influence. Les faux végétariens profitent de Pâques pour se gaver de gigôt d'agneau en famille, quelque peu coupables mais enfin rassasiés, et les faux chrétiens sont incapables d'aimer leurs ennemis (mort aux infidèles !). Les ascètes obéissants attendent sans se l'avouer des amours supérieures, comme les athées rationalistes attendent malgré eux que Dieu se manifeste au coin d'un bois, gourmands d'avoir la preuve de son existence. Tout ce que le mental saisit, (et laissons-le donc saisir l'Idéal c'est son job aussi), doit être mis à l'épreuve des faits. À l'épreuve des faits, et c'est alors que la jonction s'établit, d'une manière beaucoup plus souple entre les quatre mystères, tandis qu'au centre un espace plus large se dessine, sans attentes, sans peur, un espace de présence impériale pour lequel le quatrième champ est un fruit, une source, une divinité.

Le mental est l'outil de l'espèce. Utilisons-le, sans imiter personne, et surtout pas les maîtres qui en ont perdu l'usage. Laisser l'esprit devenir autonome engendre toujours les mêmes résultats désastreux, mais le ramener au centre, le soi, en fait le délégué personnel de l'intelligence universelle. Évitons que le moi se noie dans ses pensées pour déclarer, en cas de crise, une lutte sournoise entre le cerveau émotionnel et le sentiment de l'identité personnelle. Le moi n'a plus à s'accrocher à ce qui est déjà perdu s'il écoute le corps; il ne cherche plus à circonvenir le cerveau émotionnel, qui lui, est déjà plus loin, dans l'aveu d'une nouvelle situation, les sens l'ayant renseigné sur les changements effectués. Il suffit de lâcher prise, au lieu de laisser s'affronter les deux cerveaux dans un déni de la situation conflictuelle, qui entraîne de la souffrance pure: les «ça n'aurait pas dû se produire», qui eux, ne remonteront jamais le temps.


Cinquième partie

PROCÉDURES TECHNIQUES




1 Description des méditations

MYSTÈRE 1

MÉDITATION DE DISTANCEPlutôt dans une pièce fermée, à l'abri du bruit, téléphone éteint, sonnette coupée, faire l'exercice sérieusement sans lourdeur, tout faire pour ne pas être dérangé.

EN TAILLEUR OU LOTUS, PLACER SA CONSCIENCE DANS LE TROISIÈME Œ, ET DISSOUDRE PETIT A PETIT LE MONDE EXTÉRIEUR, FERMER LES YEUX JUSQU'A NE PERCEVOIR
QUE SA PROPRE PRÉSENCE.

SE CONCENTRER SUR CE QUE L'ON EST EN DEHORS DES ÉPOQUES, AU-DELÀ DU PASSE, SANS LA MÉMOIRE, AU-DELA DE L'AVENIR,
SANS FANTASMER DE FUTUR PARTICULIER.

LAISSER AFFLEURER LES QUESTIONS, ET CHANGER DE MYSTÈRE, PUIS REVENIR, EN PLAÇANT LA CONSCIENCE DANS LE TROISIÈME ŒIL
LAISSER MONTER LA QUESTION, SI ELLE SE PRÉSENTE, DE CE QUE L'ON REPRÉSENTE POUR
SOI-MÊME. QUAND ON SENT QUE LA CONSCIENCE S'EST DÉPLACÉ,
SE PLACER SOI-MÊME EN TANT QU'ETRE DANS LE TROISIÈME ŒIL

MYSTÈRE 2

MÉDITATION D'ASPIRATIONDehors ou dedans, l'aurore et le crépuscule sont de bons moments. En montagne.

DANS N'IMPORTE QUELLE POSITION,
PLACER LA CONSCIENCE
DANS LE PLEXUS SOLAIRE,

SENTIR LA PUISSANCE DU TAO, DE DIEU, DU MYSTÈRE ABSOLU,
SENTIR EN SOI UNE FLAMME BRÛLER, IMPERSONNELLE, QUI AIME INCONDITIONNELLEMENT, QUI ACCEPTE INCONDITIONNELLEMENT LA VÉRITÉ,
LA PRÉSENCE DU TOUT,
RESSENTIR LE POTENTIEL SOLAIRE,
L'APPEL DU DIVIN EN NOUS,
SE TOURNER ÉVENTUELLEMENT VERS LA MÈRE DIVINE, L'ÉNERGIE CRÉATRICE,

MAINTENIR LA PRÉSENCE
DANS LE CHAKRA DU CŒUR.

MYSTÈRE 3

MÉDITATION D'ENRACINEMENTPlutôt dehors, au soleil en hiver, dans un cadre tranquille, éventuellement s'allonger, mais conserver la sensation d'être écrasé vers la terre. Forêt, champs..

POSITION EN TAILLEUR OU LOTUS,
SENTIR LE CONTACT AVEC LA TERRE
AVEC TOUTES LES PARTIES DU CORPS
EN CONTACT AVEC LE SOL

MAINTENIR CETTE SENSATION

LAISSER AFFLEURER LES PRÉOCCUPATIONS
DU MONDE ÉVÉNEMENTIEL
SANS LES RECHERCHER
MAINTENANCE DU TERRITOIRE
TRAVAIL
RELATIONS TRANSGÉNÉRATIONNELLES
ALIMENTATION ET SANTÉ

RESSENTIR L'ÉTAT DU CORPS

DÉTENDRE LE VISAGE ET PARFOIS INSPIRER LENTEMENT
RELÂCHER DOUCEMENT.

MYSTÈRE 4

POSITION TAILLEUR OU LOTUS,
MAIS SI L'EFFORT EST RÉCLAMÉ, S'ALLONGER ET SE DÉTENDRE
MÉDITATION ROUE LIBREVarier à l'intérieur et en extérieur. Dehors, rien de mieux qu'auprès d'une cascade, torrent, ruisseau, s'identifier au mouvement rapide du flux. Eventuellement, le littoral. Changer de position pour éviter toute tension, improviser.

LAISSER PASSER TOUTES LES PENSÉES
SANS S'ACCROCHER A RIEN

ACCEPTER TOUT CE QUI SE PRÉSENTE
PUIS REVENIR AU PRÉSENT PUR
SANS ATTENTE
RESSENTIR TOUTES LES SENSATIONS

REVENIR A LA DÉTENTE MUSCULAIRE
NE PAS FORCER SUR LA POSITION DE LOTUS

METTRE LA CONSCIENCE SUR L'ÉPIDERME
DANS LES OREILLES LES POUMONS
ÉCOUTER LE CERVEAU

SI DES QUESTIONS REVIENNENT
ALLER DANS LE MYSTÈRE CORRESPONDANT
S'OUVRIR AUX INFORMATIONS




2 Conditions pour l'efficacité de la pratique

DÉCIDER PASSIVEMENT DE TROUVER UN SENS
A LA MOINDRE
SENSATION
ÉMOTION
PENSÉE

DÉCIDER QUE LES ÉVÉNEMENTS (EXTÉRIEURS OU INTÉRIEURS) QUI VOUS SEMBLENT DÉFAVORABLES SONT AUSSI FAVORABLES A VOTRE ÉVOLUTION QUE LES ÉVÉNEMENTS FACILES ET CONFORMES A CE QUE VOUS DÉSIREZ.

CHERCHER LE SENS DE L'OBSTACLE.
ACCEPTER DE VOIR SURGIR
DES FRICTIONS ENTRE LES MYSTERES
NE PAS S'ATTENDRE A TROUVER DES SOLUTIONS IMMÉDIATES
(LES SOLUTIONS IMMÉDIATES PEUVENT ÊTRE
TRUQUÉES OU N'ÊTRE QUE DES RÉACTIONS).

ACCEPTER LA LÉGITIMITÉ DE CHACUN DES 4 MYSTERES
C'EST A DIRE SA PRÉSENCE INCONDITIONNELLE
EN DÉPIT DES DIFFICULTÉS
RENCONTRÉES DANS LA RELATION AVEC L'UN OU L'AUTRE.


Sixième partie

JOUER AVEC LE TEMPS




1 La méditation divinatoire

La méditation cardinale constitue aussi, en aval de son usage pur, un art divinatoire nouveau, aussi profond que le Yi-King, et que les chinois assimileraient volontiers à un feng shui de la conscience elle-même. D'ailleurs, on peut tout à fait choisir sa méditation «au hasard», en tirant par exemple une carte parmi les quatre as, et utiliser la donne comme nous allons le décrire maintenant. C'est une alternative naturelle à la méditation cardinale, où, d'instinct, on décide de passer un moment à explorer et approfondir un des quatre Mystères, par un choix qui s'impose sans effort. Cela constitue un exercice ludique pour l'intelligence du moment, en la canalisant vers le champ primordial qui sortira, tout en habituant le cerveau à maintenir son attention dans un seul secteur. Puisque la synchronicité fonctionne, on peut affirmer également que c'est le véritable moment de se confronter à l'exploration de ce champ, d'où l'on reviendra avec des indices pratiques, puisque le sort en aura déterminé l'urgence.

Par esprit des correspondances, l'atout de cœur revient au mystère 2, le carreau au 4 (la pointe inférieure du losange indique le surf à effectuer sur l'arête de l'instant), le Pique revient au 3, cela va de soi, et le trèfle au 1, les trois branches en demi-cercle indiquant la synthèse passé/présent/futur, que le moi permanent intègre dans sa structure représentée par la tige.

La méditation synchrone (avec tirage) se présente donc comme un moyen d'approfondir son ressenti à travers la réflexion sur le contenu du champ défini par le sort, qui, pendant cette période, mérite un soin particulier, puisqu'il est actualisé alors que les autres atouts sont restés virtuels. En maintenant une attention concentrée dans le seul champ représenté par la carte tirée, on exerce l'esprit à se rassembler, et cette expérience est intéressante à différents égards. En restant longtemps enveloppé par un seul Mystère, il est possible de faire des découvertes sur ce qu'il représente dans la profondeur de notre être, par le travail qui se produit de le distinguer complètement des autres. Certains verront qu'il est difficile pour eux de séparer complètement le 1 du 3, ou le 3 du 4, ou le 1 du 4 par exemple, ou même le 1 du 2, et ils peuvent inviter leur intelligence à revenir sur le champ jusqu'à ce qu'elle ne s'identifie plus qu'à lui, sans amalgame, sans confusion à aucun des autres.

Les options qui se présentent sont les suivantes:

Premièrement: la démystification (du décor) du Mystère 3, par la distance et le recul, est bienvenue, tandis qu'on évaluera la place que tient cette zone en voyant défiler les secteurs qui la constituent. Relations, travail, famille, le moi dans son milieu, ce que subit le corps à travers ces structures. Tirage de l'as de Pique.

Deuxièmement: la virginité du moment pur, canal vers le Soi, tirage de l'as de Carreau, représente quelque chose, un but, une grâce, un besoin, une nécessité, qu'est-on prêt à remettre en question pour mieux cerner le temps non instrumentalisé ? Peut-on en faire l'expérience immédiate ?

Troisièmement: la qualité du moi permanent, et la transformation plastique de l'image de soi sont à l'honneur. Tirage de l'as de Trèfle. Ce que l'on représente pour soi-même est-il tributaire du contrôle des événements, du rôle du désir et du temps, des attentes spirituelles ? Peut-on clarifier ce qui ne tient qu'à notre être, sans les identifications au milieu ? Sans les influences affectives ou prestigieuses ?

Quatrièmement: Le développement du moi subliminal (Chakras, énergies subtiles, voix de l'âme) tirage de l'as de cœur, renvoie à notre engagement global vis-à-vis de la réalité la plus profonde, celle qui nous échappe et dont nous provenons, le Divin, le cosmos, la Terre, la vie.


2 Méditer, pour s'ouvrir au NON-MOI

La vision philosophique moderne, celle d'un homme supérieur qui n'a pas de compte à rendre à Dieu ni à la nature, constitue un phénomène nouveau dans l'histoireRupert Sheldrake, l'âme de la nature, Albin Michel, collection Espaces libres., et peu d'êtres humains nés en Occident à notre époque ont fait le travail complet d'affranchissement de cet envoûtement culturel, qui nous prive de racines célestes et terrestres. Le travail que je propose constitue une manière rapide pour faire le point avec les scories de croyances superficielles héritées dès l'enfance, et qui peuvent encore déterminer une approche trop étroite de nos possibilités d'intelligence du non-moi. Trois siècles se sont écoulés dans la même orientation suicidaire, celle qui voulait que l'homme fût maître de toutes choses, et qu'il puisse transformer à sa convenance toutes les conditions de son existence, l'Occident entraînant dans sa course effrénée le reste du globe. Nous savons aujourd'hui que les conséquences de cette attitude sont catastrophiques, que les conditions de vie ne se sont améliorées que pour une minorité ou presque, et que le climat terrestre se désorganise chaque année davantage. Nous comprenons aujourd'hui que nous avons usurpé notre liberté en nous fondant sur la science à laquelle nous demandions l'impossible: une sorte de déchiffrage abstrait des lois de l'univers qui nous permettrait, clés en main, de toujours améliorer notre société. L'être humain s'est en quelque sorte enfermé dans ses rêves d'indépendance, tout en imaginant qu'il pouvait subordonner la nature et le cosmos à sa propre volonté, en abandonnant son cœur.

C'est donc toujours en nous tournant vers des vérités anciennes, presque oubliées, que nous retrouvons le paradigme exact de la Manifestation: l'être humain n'est pas libre de tout, à chaque moment il doit répondre d'une manière particulière à la pression que la totalité exerce sur lui, pression qui a toujours été symbolisée par l'occurrence de la mort, qui peut frapper à n'importe quel moment, ou les exigences des esprits défunts, ou même, les commandements de Dieu, et enfin l'Unité transcendantale. Les êtres avisés des civilisations anciennes ne cherchaient donc pas à s'affranchir par des exploits volontaires des contraintes fondamentales de l'existence, ni à les oublier dans le culte obsessionnel du travail et du rendement. Au contraire, en essayant de comprendre les énergies plus fortes que celles de la volonté humaine, qu'ils plaçaient aussi bien dans le passé que dans l'avenir, ils s'y soumettaient d'une part, et trouvaient leur propre marge de manœuvre d'autre part. Le présent se vivait sous une certaine coupole mystérieuse qui dépassait des deux côtés. Bien que la superstition ait fini par avoir raison de la philosophie de la table d'Émeraude«ce qui est en haut est comme ce qui est bas par le «pouvoir magique» d'une seule chose»., comme elle vient à bout également de l'esprit supérieur des religions, certaines civilisations intelligentes savaient parfaitement utiliser les oracles, dans un esprit sacré, de la Chine à la Grèce, en Afrique, dans les royaumes celtiques, mais c'était un art difficile, secret, qui, telle la transmission du Soi par les maîtres, voyait facilement ses lignées s'éteindre ou se pervertir, la relève étant difficile, fluctuante, parfois impossible dans le cadre des changements politiques. L'autorité des lois cosmiques est difficile à découvrir, et plus encore, à ressentir.

C'est donc dans tout ce qui nous permet de reconnaître l'autorité du non-moi sur nous-mêmes, ou en tout cas, pour les plus déterminés, son droit de veto, que nous retrouvons la direction de l'être, et chaque méditation se veut ainsi une fenêtre ouverte sur l'infini des possibles, dont nous ne récusons plus l'autorité potentielle, ou l'invite opportune. Nous pouvons décliner les visages de ce «non-moi» immense vers lequel nous nous tournerons, du Divin supramental à l'ensemble de l'univers physique (et insécable) auquel nous appartenons, le ciel, la terre, la vie, le temps, l'altérité, la famille, l'environnement et la profession par exemple, mais quel que soit l'aspect choisi, ou la perspective ponctuelle, cela revient au même: la Réalité est plus forte que nous puisque elle nous cerne de toutes parts, et l'idée de la reconnaître et de la comprendre, avant de s'ériger en maître de sa propre existence, doit prévaloir sur nos croyances et nos habitudes, pour nous permettre de faire jeu égal et de coïncider. S'emboîter dans le Réel.

Bien compris, les symboles de la coupole mystérieuse nous révèlent un équilibre très fragile à trouver entre les événements qui nous arrivent par la force des choses et ceux que nous pouvons produire par nous-mêmes, par le pouvoir de nos propres qualités et aspirations. C'est une des applications de la méditation. Le Yi-King, le tarot inspiré, ou l'astrologie transpersonnelle, et en premier lieu l'ouverture au Soi, nous délivrent de l'obscénité moderne: croire que l'on peut tutoyer la nature avec mépris, rejeter le Divin comme une hypothèse gênante, s'approprier l'avenir aux seuls fins de l'ego individuel. Il existe donc une manière de vérifier si nous sommes tissés avec le non-moi, par l'ensemble du Réel, d'une manière qui réduise les déchirures probables avant qu'elles ne se développent et entraînent toutes sortes de maux, dont les somatisations, qui se passent par-dessus la conscience que nous avons nous-mêmes de notre mal-être. De cette manière, un retour fondamental à la nature terrestre, souveraine et pure, peut s'opérer, et favoriser une guérison écologique. Quant à l'ascension vers la transcendance, elle permet d'accepter sans jugement ni mépris ce difficile passage de l'histoire dans lequel nous sommes embourbés, tandis que se développe chez le chercheur un amour inconditionnel pour le Divin encore caché.


3 Méditation et thérapie

Les événements n'ont aucun sens par eux-mêmes, et c'est la manière de les interpréter qui leur attribue une valeur. Si nous devenons donc conscients que le même fait possède déjà en lui-même trois ou quatre interprétations virtuelles, par rapport à la part de nous-mêmes à laquelle il s'adresse, nous faisons un progrès considérable pour choisir la manière de l'interpréter, et cela peut constituer un exercice enrichissant de ressentir les mouvements qui s'opèrent dans les directions. Beaucoup de personnes se sentent par exemple humiliées dans leur personnalité même (1), alors qu'on n'exerce à leur égard que des critiques purement comportementales, contingentes, qui ne les mettent pas en cause, mais seulement leur savoir-faire ou leur mode de communication (champ 3). Elles ont interprété dans le Mystère 1 ce qui se passe dans le troisième. La susceptibilité est le signe que le 3 et le 1 n'ont pas été réellement départagés, et que le circonstanciel inonde le moi en permanence. D'autres vivent une situation éphémère et intense, dans un 4 chatoyant, et si cette expérience tourne court, elles se laissent affecter dans le moi lui-même, étant incapables de départager la séquence extérieure, le film, en quelque sorte, qui appartient au passé, de leur individu en retrait des événements car la nostalgie des plaisirs perdus (4), l'emporte sur le moment neuf, qui redevient plus modéré. Le fin du fin, c'est de ne rien interpréter, mais de voir directement, sans construction ni déformation, ni enjolivures, l'impact réel des choses, mais seul le Soi en est capable. D'où la nécessité imprescriptible de la méditation, quantique ou traditionnelle.

Les événements difficiles sont en général récupérés dans l'émotionnel, et transférés dans le 1, sous forme de traces humiliantes, de déceptions, de pertes exigeant le deuil. C'est une étape qui se traverse pour venir à bout des blessures narcissiques, tout en se rassemblant dans la force d'intégrité du premier Mystère, pour lui faire repousser la contamination qui vient du 3, ou encore en s'abandonnant à la volonté du Divin dans le 2. Les deux procédures permettent de ne pas se sentir victimes, car la personne qui souffre se trouve dans le 3 et le 4, mais dans le champ 1, le Moi ne souffre pas s'il s'appuie sur le champ 2: il souffre à travers le 3 auquel il s'identifie, et il peut soit repousser les attaques émotionnelles, soit les absorber et les dissoudre. Les blessures narcissiques, déniées, peuvent libérer d'un seul coup la conscience du champ 4, et le sujet se laisse alors aller à faire n'importe quoi pour se venger de son humiliation, pour se perdre. Cette voie entraîne ce qu'on appelle le «mauvais karma», produit des personnes arrogantes, qui se croient tout permis, et empoisonnent l'existence des autres tandis qu'elles deviennent la seule réalité qui les intéresse. Il est probable que certaines pathologies mentales soient simplement le fruit de combats chroniques entre les quatre champs, le moi devenant autre selon quel Mystère parle en lui, à un moment donné.

Pour le chercheur spirituel, la méditation est simplement ce qui permet aux opérations cérébrales sur différents étages de se combiner jusqu'à ce que le moi central sache prendre position pour accepter la situation qui se présente, au lieu de répondre trop rapidement, sans avoir saisi toutes les options possibles, ou de fuir les suggestions émotionnelles jusqu'au grave rappel à l'ordre du corps. Dans l'optique supramentale qui est la nôtre, il est toujours possible pour le moi du champ 1 relié au moi du champ 2 d'accepter les événements les plus difficiles. La procédure simplifiée d'ouverture à la méditation cardinale, hors tirage de synchronicité, consiste donc à se mettre au centre des Mystères, sans penser, et à assister à l'orientation prise par les pensées qui surviennent. Avec un peu d'habitude, on se rend compte qu'il existe une navette permanente entre les champs 4, 3, et 1, le premier champ synthétisant des données qui viennent sourdre de partout, préoccupations mesquines (payer une facture en retard) (3), sentiments intérieurs (bilan d'une relation, navigation entre les attentes et la déception), projets précis ou structuraux, souvenirs intempestifs, questions sur l'origine de ses actes, retour à l'image de soi (1). Les opérations chimiques automatiques, qui nous échappent, sont parfois modifiées par la foi, la visualisation positive, ou encore (ce qu'il faut adjoindre dans des cas difficiles), une procédure physique dans le lâcher prise en 4.

La méditation cardinale que nous présentons ne cherche pas à tricher avec les événements et à leur faire dire ce qui nous convient en fonction de notre philosophie ou de notre idéal. C'est une méthode qui est fondée sur la connaissance supramentale de l'action de l'intelligence suprême dans le cerveau, le système nerveux, les cellules, et qui libère de tous les parti pris dogmatiques. L'intelligence mentale jouant sur plusieurs registres, elle provoque des informations, c'est-à-dire des pensées, différentes et contradictoires, conformes à l'esprit du seul champ qu'elles représentent, et donc étrangères aux autres champs. Une couche de l'esprit essaie de ne pas tenir compte des avertissements du corps et du vital, quand du non-gratifiant se présente, mais les signaux ignorés proviennent eux aussi d'une autre forme d'intelligence, radicale et puissante, matérielle, celle qui traite chimiquement l'impact des événements, par le biais des neurotransmetteurs, des endorphines et des neuropeptides, et qui peut produire toutes sortes d'émotions, dont certaines si fines qu'elles sont peu repérables sans une pratique assidue. Moins le sujet écoute, plus l'intelligence physique insiste, et accentue les déséquilibres jusqu'à ce que le moi soit obligé de prendre note: avec l'émergence d'une maladie physique, nerveuse, ou psychosomatique.

Plus l'équilibre entre le moi et le Tout est vivant et précis, moins la souffrance s'obstine.


4 Des arts divinatoires à la méditation

Tandis que les arts divinatoires se contentent de caractériser les évènements-mères, ces matrices où nous sommes justement particulièrement manipulés par les circonstances, la méditation, au contraire, envisage que tous les événements soient importants, et qu'il ne s'agit ni d'éviter les accidents ni de favoriser les occasions. Il s'agit d'être à chaque instant si vigilant dans l'écoute et le ressenti qu'il n'y aura plus d'événements mécaniques, plus de ressenti de routine, plus aucun moment dont la sensation serait commandée par la mémoire.

Reconnaître la suprématie de la totalité ne revient pas à s'y soumettre aveuglément, mais à chercher la coïncidence la meilleure entre elle et nous. La nature y sera acceptée comme un partenaire difficile, mais comme un partenaire, et le désir pourra être envisagé de différentes manières jusqu'à ce qu'il trouve une place homogène dans le moi. De la même manière, le mental sera considéré comme un pouvoir à notre disposition, et un véritable entraîneur. La méditation, quelle que soit sa forme, nous permettra de distinguer le raisonnement enténébré par les scories inconscientes, de l'argumentaire pur et objectif, serein, celui qui propose d'autres solutions que celles qui viennent des angoisses et des peurs, ou de désirs violents. Le moi augmentera son champ de conscience, et l'esprit se ramifiera jusqu'aux univers subtils les plus radieux, dans l'onde du Soi sans limites. Le cosmos lui-même sera envisagé comme un partenaire puissant, s'amusant à nous permettre d'expérimenter notre liberté dans un large éventail d'expériences, qui toutes, nous nourrissent du non-moi, et qui ensemble nous ramènent au moi et à son intégrité mystérieuse. Enfin, le Divin lui-même devient un partenaire particulièrement présent, puisqu'Il joue à se cacher et à se manifester directement, puis à se retirer, dans une ronde qui nous échappe et dont nous ne possédons pas les clefs.

«Il y a un sens dans chaque coup du hasard
Il y a une liberté dans chaque face du destin»

Sri Aurobindo, Savitri.



Natarajan, Mai 2006.